UNESCO. Des frontières en Afrique du XIIéme au XXéme siècle . Bamako, 1999

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  • Des frontires en Afriquedu XIIe au XXe sicle

    Bamako, 1999

  • La prsentation des faits figurant dans cet ouvrage, ainsi que les ides et opinionsqui y sont exprimes, sont celles des auteurs et ne refltent pas ncessairement lesvues de lUNESCO.

    Les appellations employes dans cette publication et la prsentation desdonnes qui y figurent nimpliquent de la part de lUNESCO aucune prise deposition quant au statut juridique des pays, territoires, villes ou zones ou deleurs autorits, ni quant leurs frontires ou limites.

    Publi par lOrganisation des Nations Uniespour lducation, la science et la culture7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP

    Collage de couverture :don de Michel Coquery

    Mise en page : STEDI-MDIA, ParisImpression : STEDI-MDIA, Paris

    UNESCO 2005Tous droits rservs

    Imprim en FranceSHS/FPH/PHS/HI/05/PI/2

  • Sommaire

    Jerzy Kl/oczowskiAvant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

    Franois Bdarida

    En guise de prface : La contribution du savoir historiqueet la responsabilit des historiens face au monde prsent . . . . . . . . . . . 9

    Christophe WondjiIntroduction : Histoire et culture de la paix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

    ALLOCUTIONS DOUVERTURE

    Federico Mayor, Directeur gnral de lUNESCO . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

    Jerzy Kl/oczowski . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

    Alpha Oumar Konar,prsident de la Rpublique du Mali . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

    1re PartieProblmatique gnrale et mthodologie :frontires, histoire et culture de la paix

    Catherine Coquery-VidrovitchHistoire et perception des frontires en Afrique du XIIe

    au XXe sicle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

    Boubacar BarryHistoire et perception des frontires en Afrique aux XIXe

    et XXe sicles : les problmes de lintgration africaine . . . . . . . . . . . . . . 55

    Anthony I. AsiwajuFragmentation ou intgration :quel avenir pour les frontires africaines ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73

    g

  • Joseph Ki-ZerboFrontires et paix : quelques considrations mthodologiquesliminaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

    Pierre KiprFrontires africaines et intgration rgionale : au sujet de la crisedidentit nationale en Afrique de lOuest la fin du XXe sicle . . . . 91

    2me PartieEtudes de cas en Afrique australe et orientale

    Patrick HarriesDapprendre lire, lire pour apprendre : le thmede lalphabtisation en Afrique australe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117

    3me PartieEtudes de cas en Afrique centrale

    Thierno BahFrontires, guerre et paix dans lAfrique prcoloniale :lexemple des chefferies Bamilk et du royaume Bamumdans lOuest-Cameroun . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145

    Martin Z. NjeumaContributions diplomatiques et administratives la paixsur la frontire entre le Cameroun et le Nigeria (1885-1992) . . . . . . 159

    4me PartieEtudes de cas en Afrique du Nord et du Nord-Ouest

    Chenntouf TayebLa dynamique de la frontire au Maghreb . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191

    5me PartieEtudes de cas en Afrique de lOuest

    Michal TymowskiLe territoire et les frontires du Songha la fin du XVe

    et au XVIe sicle. Le problme du centre et des territoirespriphriques dun grand Etat de lAfrique occidentale . . . . . . . . . . . . . 213

    g

  • Skn Mody CissokoLa notion de frontire dans le Soudan-Malidu XVIIe au XIXe sicle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239

    Mahamadou DiagouragaLa culture de la paix pour une meilleure gestion des frontireset des conflits en Afrique : le cas du Mali . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247

    Kre LodeLe dcoupage administratif comme moyen de rpression,de division et de contrle. La recherche dune solutionde rechange . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255

    Pierre Claver HienLa dimension historique des conflits de frontiresentre le Burkina Faso et ses voisins aux XIXe et XXe sicles . . . . . . . . 279

    6me PartieAllocutions de clture

    Franois Bdarida . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295

    Christophe Wondji . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297

    Mme Adame Ba Konar . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301

    Conclusions

    Christophe Wondji, Doulaye Konat, Ibrahima Thioub . . . . . . . . . . . . . . . . . . 309

    ANNEXES

    1. Liste des intervenants et titres des communications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 321

    2. Appel de Bamako . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 325

    3. Motion de remerciements au Directeur gnral de lUNESCO . . . . . . 327

    4. Motion de remerciements Alpha Oumar Konar . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 329

    g

  • Avant-propos

    En ma qualit de prsident du Comit mixte UNESCO-CISH1, depuis1997, jexprime au nom de ce comit notre reconnaissance lUNESCO quiparticipe la publication des actes dun colloque organis par notre comit Bamako (Mali), en mars 1999.

    Lide de la cration du Comit mixte UNESCO-CISH se trouve troite-ment lie aux dbats tenus au sein du Conseil excutif de lUNESCO autourde la problmatique de la culture de la paix qui fut lance, avec lnergie quiest la sienne, par son ancien directeur gnral, le professeur Federico Mayor. Entant que membre du Conseil excutif, jai eu loccasion de souligner, plusieursreprises, limportance capitale de lhistoire qui se rvle indispensable dans tou-tes les zones de conflit, l o le dialogue vritable fait dfaut.

    Mandat par le directeur gnral de lUNESCO de lpoque, jai priscontact avec notre trs regrett ami Franois Bdarida, alors secrtaire gnraldu CISH et minent spcialiste de lhistoire contemporaine. Pendant lecongrs mondial dhistoriens de Montral (1995), jai propos, en sance pl-nire du CISH, la collaboration avec lUNESCO2. Le projet fut approuv parle Bureau du CISH.

    En mai 1997, en tant que prsident nomm par le Directeur gnral delUNESCO de ce Comit naissant qui a pris la dnomination de Comit mixteUNESCO-CISH, jai eu lhonneur dorganiser la premire rencontre rgiona-le Varsovie (Pologne), avec la participation, entre autres, de Franois Bdaridaet dAlexander Gieysztor, lancien prsident du CISH et membre de sonBureau. Nous avons prpar un premier plan dorganisation de colloques rgio-naux, dabord en Europe du Centre-Est et en Afrique subsaharienne, ensuite enAmrique latine, dans les Carabes, les Etats arabes et en Asie du Sud-Est.

    Le premier colloque rgional, trs russi, fut organis Lublin (Pologne),du 23 au 25 octobre 1998. Les actes furent publis par lInstitut de lEuropedu Centre-Est, de Lublin, grce au soutien de lUNESCO, en anglais et enfranais, sous le titre : Les frontires et lespace national en Europe du Centre-Est.

    1 CISH : Comit international des sciences historiques.2 Voir Kloczowski, J., Les historiens et la culture de la paix , dans : Bulletin

    dInformation, n 22, Paris 1996, pp. 151-155.

  • Exemples de quatre pays : Bilorussie, Lituanie, Pologne et Ukraine (The Bordersand National Space in East-Central Europe The Example of the Following FourCountries: Belarus, Lithuania, Poland and Ukraine)3.

    Le colloque de Bamako, quelques mois aprs celui de Lublin, prouveencore une fois limportance de notre initiative. Pendant le Congrs mondialdhistoriens, organis par le CISH Oslo (Norvge), en aot 2000, nousavons eu la possibilit de prsenter les rsultats de nos travaux, notamment lesproblmes de lAfrique et de lEurope du Centre-Est4.

    Aprs lanne 2000, les activits du Comit mixte UNESCO-CISH ontmalheureusement connu un certain ralentissement li la rorganisation delUNESCO et la disparition prmature, en septembre 2001, de notre amiFranois Bdarida.

    A partir de la fin 2003, nous avons donn une nouvelle impulsion nosactivits, dautant plus que lactuel directeur gnral de lUNESCO, M.Kochiro Matsuura, a approuv, ds le dbut de son mandat, les activits duComit mixte UNESCO-CISH sous ma direction. Le nouveau Bureau duCISH a, une fois de plus, souscrit pleinement cette collaboration. A partirdu 1er janvier 2004, le Comit mixte UNESCO-CISH aura donc trouv saplace au sein du Secteur des sciences sociales et humaines de lUNESCO touten gardant sa pleine autonomie.

    La collaboration internationale des historiens ainsi promue et soutenue parlUNESCO aboutit un approfondissement pouss des recherches sur lhistoi-re des diffrentes rgions du monde. Les travaux dj raliss sont autant dta-pes ncessaires et utiles pour favoriser les nouvelles initiatives en cours, dans lemonde arabe comme en Amrique latine et aux Carabes. Comme pour les actesde Lublin et de Bamako, ces efforts conjoints donneront lieu publication.

    Les membres actuels du Comit UNESCO-CISH sont :Prof. Jerzy Kloczowski, PrsidentM. Jrme Bind (UNESCO)M. Ren Zapata (UNESCO)Prof. Jrgen Kocka (CISH)Prof. Jean-Claude Robert (CISH) Prof. Catherine Coquery-Vidrovitch (CISH).

    Jerzy Kloczowski(Pologne)

    UNESCO, Paris, avril 2004.

    8 Jerzy Kloczowski

    3 Sous la direction de Kloczowski, J., Plisiecki, P. et Laszkiewicz, H., Lublin 2000 (314 pages).4 Deux tables rondes ont rendu compte Oslo de ces travaux. Leffort est largi dans le

    cadre du congrs suivant du CISH, qui aura lieu en juillet 2005 Sydney (Australie).

  • En guise de prface

    La contribution du savoir historiqueet la responsabilit des historiens

    face au monde prsent

    En cette fin de sicle, et lheure du cinquantenaire de lUNESCO, undouble bilan semblerait appropri : dune part, un bilan critique de lapportde la science historique la connaissance et lintelligence de notre temps, quien ferait apparatre la richesse et les acquis mais aussi les dficiences et lesdrives ; dautre part, un bilan de la manire dont lhistoire, dans son ensei-gnement, sa diffusion et sa reprsentation du pass relle ou imaginaire , at et continue dtre utilise, pour le meilleur et pour le pire, par les Etats, lessocits et les cultures sur toute la plante.

    En effet, un regard rtrospectif sur le sicle coul nous amne consta-ter quaprs les drames, guerres, gnocides et expriences totalitaires quilont jalonn, les espoirs ns autour de lanne 1989 espoirs de paix et delibert, dharmonie et dpanouissement de lhomme ont t bien vitedus. Certes luniversalisme du modle dmocratique sest impos commenorme gnrale en mme temps qutait reconnu comme rfrence suprmele principe des droits de lhomme, de la dignit de ltre humain et du respectde la personne face lEtat. Mais cette aspiration universelle se trouveconstamment battue en brche par des processus de domination, dexploi-tation et dexclusion, tandis quest remise en cause la confiance dans lesprogrs de la science, quil sagisse des sciences de la nature ou des sciencessociales et humaines. Comme la dit Ilya Prigogine, le XXe sicle a trans-form notre plante en la faisant passer dun monde fini de certitudes unmonde indfini dinterrogations et de doutes.

    Or, lhistoire est un instrument privilgi danalyse pour aider com-prendre le monde et comprendre lautre, dans le respect des cultures et desvaleurs spirituelles des diverses civilisations. Cest pourquoi un programme detravail pourrait tre mis au point comportant deux volets. Le premier, plus

  • thorique et plus rflexif, consisterait en une vaste enqute sur le rle de lascience historique et des historiens au XXe sicle, en relation avec les dvelop-pements nationaux, sociaux et culturels intervenus sur les cinq continents, demanire dgager des critres et des rgles dans la recherche des racines et viter les mfaits des mmoires abusives. Le second volet se situerait dans ledomaine de la recherche applique, en tentant danalyser trois champs dtu-de pour une culture de paix : le modle de lEtat-nation et ses avatars, lesminorits, limage de lautre (proche ou lointain).

    I. Le savoir historique et le rle des historiensau XXe sicle

    Lune des caractristiques des socits contemporaines, cest leur ten-dance devenir des socits de plus en plus complexes. Do la ncessitnon seulement de disposer dun bagage de connaissances de plus en plustendu faisant appel lensemble des sciences humaines, mais dtre capa-ble de relativiser les choses et dinterprter avec un sens critique aiguis lemonde qui nous entoure, ce qui est le propre de la dmarche historique.Aussi serait-il utile de procder une sorte dexamen de conscience des his-toriens : ceux-ci seraient invits examiner en profondeur et lchelleinternationale les conditions dlaboration, les processus de diffusion et leseffets de linfluence sur les esprits du savoir historique quils ont produit aucours du XXe sicle.

    A la lumire dune telle enqute, on verrait apparatre ce qui a contri-bu une comprhension vritable des vnements et des phnomnescollectifs de notre temps, et ce qui au contraire a favoris les simplismes etles dformations, considrablement amplifis par la mdiatisation crois-sante. En particulier, on pourrait mieux saisir comment lcriture et lensei-gnement de lhistoire, sous couvert dencourager le sens de lidentitnationale, ont souvent dbouch sur un nationalisme troit, propre susciter un complexe de pseudo-supriorit et gnrateur dintolrance etmme de conflits sanglants. loppos, une volont plus assure de rigueuret de vrit historique, en faisant reconnatre linterdpendance des facteursdu devenir en mme temps que la richesse de lhistoire des autres peuples,conduirait au pluralisme, au sens du dialogue et une culture de tolrance.

    10 Franois Bdarida

  • II. Trois champs dtude pour une culture de paix

    1. Le modle de lEtat-nation et les avatars du nationalisme

    Modle dvelopp en Europe et en Amrique au XIXe sicle, tendu lAsieet lAfrique au XXe sicle, lEtat-nation demeure un cadre de rfrence, mais ilne se prsente plus comme le seul moyen de cohsion sociale sur un territoiredonn. Dautres formes dappartenance et de communaut sont en mouvement,soit dans le cadre despaces transnationaux, polyethniques et multiculturels, soitpar suite de phnomnes de fragmentation et de dconstruction interne. Entrele local et le global, il serait opportun, au niveau national, de soumettre uneanalyse serre les nationalismes, anciens ou nouveaux, du XXe sicle.

    2. Les minorits

    Groupes marginaux et vulnrables vivant lombre dune populationmajoritaire, diffrente par la culture, la philosophie politique et/ou la religion,les minorits, appuyes sur leur propre systme de valeurs et de rfrences,souffrent le plus souvent dun statut de prcarit et balancent entre lintgra-tion et laspiration lindpendance. Victimes frquentes de discriminations,elles ont du mal faire valoir leurs droits au respect de leur langue, de leurculture, de leurs croyances et la participation pleine et entire la socitcivile, notamment sur le plan de lemploi et de la protection sociale.

    Si la protection des minorits avait fait lobjet dune certaine attention dela part de la Socit des Nations et suscit par voie de consquence lintrt deshistoriens pour le sujet, il nen a gure t de mme aprs la Seconde Guerremondiale, lOrganisation des Nations Unies ayant prfr insister sur les droitsindividuels et leur universalisme. Cest seulement depuis quelques annes quesest produite une prise de conscience internationale (Dclaration des droitsdes minorits par les Nations Unies), active par les conflits qui ont ensan-glant lEurope, lAsie et lAfrique. Do limportance et lurgence de nou-velles tudes historiques sur ce thme dimportance primordiale pour le futur.

    3. Le voisin et limmigr : image de lautre et exclusion

    Le phnomne de lexclusion est un problme majeur de nos socitscondamnes vivre ensemble. Quil sagisse de lautre le plus proche levoisin territorial ou le plus lointain, mais devenu tout proche par le fait desmouvements migratoires limmigr , les formes et les modes dhostilit, de

    En guise de prface 11

  • rejet, parfois de conflit, sont multiples, aggravs par la pauvret et le sous-dveloppement. Peurs, xnophobie, racisme guettent de partout. Ici encoredes analyses historiques approfondies, en liaison avec les autres disciplines dessciences humaines et sociales, seraient bienvenues pour dmonter les mcanis-mes des prjugs, pour tudier les sources des conflits et pour dgager lesprocessus de formation du lien social au bnfice dune culture de paix.

    Franois Bdarida1(France)

    12 Franois Bdarida

    1 Ce texte du Pr. F. Bdarida a t crit en novembre 1996 la demande de lUNESCOau moment o samorait la coopration entre lUNESCO et le CISH (Comit internationaldes sciences historiques) dont F. Bdarida tait le secrtaire gnral jusquau XIXe CongrsdOslo, en aot 2000. De 1996 sa mort, au mois de septembre 2001, il a travaill avec cons-tance au rapprochement de lUNESCO et du CISH en ayant le souci de promouvoir la parti-cipation des historiens du Tiers-Monde, notamment africains, aux activits du CISH.Hommage lui soit rendu pour avoir contribu lmergence internationale de lhistoire delAfrique qui est dsormais reprsente dans les instances dirigeantes de cette Organisationmondiale de coopration scientifique quest le CISH (Christophe Wondji).

  • Introduction

    Histoire et culture de la paix

    Nous avons runi dans cet ouvrage les textes issus du Symposiumdhistoriens de lAfrique qui sest tenu Bamako (Mali), du 15 au19 mars 1999, sur le thme : Histoire et perception des frontires en Afriquedu XIIe au XXe sicle dans le cadre dune culture de la paix. Organis parlUNESCO et le CISH (Comit international pour les sciences historiques),avec lappui trs prcieux du gouvernement de la Rpublique du Mali, et suc-cdant celui de Lublin (Pologne, septembre 1998)1, ce symposium sinscritdans une srie de runions rgionales dhistoriens conues par le Comit mixteUNESCO-CISH dans le cadre de ses activits de mobilisation des historiensdu monde en vue de leur contribution au programme de culture de la paix.

    Lanc en 1989 par M. Federico Mayor, alors directeur gnral delUNESCO, consacr la mme anne par le Congrs de Yamoussokro (CtedIvoire) sur La paix dans lesprit des hommes, le programme culture de lapaix a t lun des programmes phares de lUNESCO, voire la pierre angu-laire de sa stratgie moyen terme (1996-2001). Dans lesprit du directeurgnral, lun des objectifs de la culture de la paix devait tre le dsarme-ment de lhistoire .

    Considre, en effet, comme la discipline intellectuelle ayant vocation detransmettre la mmoire de lhumanit, lhistoire a t le support des identitsculturelles et de leur affirmation allant parfois, sinon souvent, jusqu alimen-ter les nationalismes les plus agressifs et les conflits qui en ont rsult2. Cettevocation initiale a longtemps voil un autre aspect de sa dimension : les prin-cipaux rsultats de la recherche historique contemporaine montrent, en effet,qu travers les changes entre peuples au cours des rencontres qui les ont mis

    1 Le Symposium de Lublin avait pour thme : Les frontires et le changement de lespacenational en Europe du Centre-Est : Bilorussie, Lituanie, Pologne, Ukraine.

    2 Certains conflits contemporains (Bosnie, Burundi, Kosovo, Libria, Rwanda, etc.)illustrent malheureusement ce constat.

  • en contact de faon pisodique ou durable et qui ont eu de profondes rper-cussions multiculturelles, lhistoire a une fonction de dialogue interculturel.Cest dailleurs cette dimension que rvlent les projets dHistoires delUNESCO, entrepris au cours des annes 1970 et qui sont maintenant audernier stade de leur achvement3.

    De cette vision rtrospective, fonde sur llaboration dune historiogra-phie glorieuse qui a souvent enferm les Etats et les peuples dans lexaltationde leur propre pass, il importe de passer, selon M. Mayor, une vision delavenir qui engage les peuples de toutes les nations prendre conscience delunit de lespce humaine travers la diversit des expressions culturelles.Lhistoire na pas seulement interprter et faire comprendre le pass, elle doitaussi indiquer les voies de lavenir : elle doit dsarmer son langage en li-minant de son discours les ferments de violence et de conflit pour inventer unenouvelle smantique o les principes et les valeurs qui fondent lunit de lhu-manit occupent une place centrale.

    Dans cette perspective, il convient de souligner la fonction thique delhistoire. A lindispensable travail de mmoire sajoute dsormais la ncessitde saisir le sens des volutions en cours dans le prsent ; tre capable de trans-mettre la connaissance du pass, cest tre capable aujourdhui dimaginerlavenir. Or, nous sommes maintenant confronts deux dfis contradictoires :dune part la marche vers lunit de la plante, travers la mondialisation,dautre part laffirmation et la revendication des identits culturelles des peu-ples marginaliss et des minorits ethniques. Comment concilier ces deuxdfis ? Les historiens et les spcialistes des disciplines voisines sont appels apporter leur contribution la solution de ce problme fondamental enmettant laccent, sans nier les spcificits, sur les expriences qui ont privilgiles convergences culturelles, expriences porteuses de paix parce que riches decomprhension mutuelle.

    Cette proccupation du Directeur gnral de lUNESCO a t reflteau cours de la 29e session de la Confrence gnrale par les reprsentants decertaines dlgations qui ont insist sur la ncessit de rformer les manuels

    14 Christophe Wondji

    3 Ces six projets dHistoires (Histoire du dveloppement scientifique et culturel delHumanit, Histoires gnrales de lAfrique, des civilisations de lAsie Centrale, de lAmriquelatine, des Carabes, Ouvrage sur les diffrents aspects de la culture islamique) ont t conus etexcuts, sous lgide de lUNESCO, par des quipes scientifiques multidisciplinaires, multina-tionales, multiculturelles et multiconfessionnelles, ouvertes lexpression des sensibilits les plusdiverses. LHistoire gnrale de lAfrique est dfinitivement acheve ; quant aux autres, qui sontpour la plupart dentre elles entirement rdiges, elles achveront probablement la publicationde leurs derniers volumes dici 2004-2005.

  • scolaires, en particulier dans le domaine assez controvers de lenseignementde lhistoire. Pour ces dlgus, dont les voix les plus fortes ont t celles de laRoumanie, de la Slovaquie, de la Grce, de la Pologne, du Chili, de la Barbade,du Togo et du Congrs juif mondial, il sagirait de faire de cet enseignementun instrument de paix, en mettant en exergue la comprhension mutuelleentre peuples et cultures, alors que jusqu ce jour cet enseignement avait insis-t sur les particularismes et les antagonismes4.

    Un tel programme de renouvellement des tudes historiques, lUNESCO, vise donc dsarmer les esprits et inciter les savants,pdagogues et leaders dopinion prendre des initiatives pour promouvoirune culture de paix. Pour mettre en uvre ce programme, sur la base delexprience acquise par lUNESCO dans la ralisation des projets dHistoires,il convenait de rencontrer les historiens eux-mmes : ce fut alors la rencontredu Directeur gnral de lUNESCO, M. Federico Mayor, et du Secrtairegnral du CISH, alors M. Franois Bdarida, et qui donna naissance auComit mixte UNESCO-CISH5.

    Mais les historiens nont pas spontanment adhr cette conception durle de lhistoire. A une rencontre prparatoire qui sest tenue Varsovie, en mai1997, certains manifestrent leur rticence lgard du terme de la paix consi-dr comme trop politique et pas assez scientifique. Selon eux, le mot paix com-porte quelques inconvnients : la paix est un concept passif qui connote calmeet inaction ; et puis la paix est toujours relative du point de vue historique ; il nya jamais de priode de paix totale. Il vaut donc mieux choisir le mot concordequi est plus vrai et plus actif et permettra de mobiliser les historiens de diffren-tes sensibilits6 . Tout en admettant le bien-fond des objectifs du programmeculture de la paix, dautres rcusrent le concept de dsarmement de lhistoire au motif que, du point de vue scientifique, les historiens nont pas choisir entreles faits qui soffrent eux : il y a, dans le pass, des actions de des-truction et des actions de construction. Ce serait rduire considrablement lamatire historique en lassimilant aux actions de guerre. Dailleurs lhistoire-batailles est une conception dpasse. Il y a plusieurs aspects dans lhistoire et lacontribution des historiens est dexpliquer les guerres et non de les nier7 .

    Introduction 15

    4 Cest, en effet, la 29e session de la Confrence gnrale de lUNESCO (octobre-novembre 1997) qui a institutionnalis le projet Histoire et culture de la paix comme partieintgrante du programme transdisciplinaire Pour une culture de la paix.

    5 La premire runion de ce Comit sest tenue lUNESCO le 12 novembre 1997.6 Pr. Aleksander Gieysztor, membre de lAcadmie des sciences de Pologne, membre du

    Bureau du CISH.7 Franois Bdarida, Secrtaire gnral du CISH.

  • Varsovie, laccord a cependant t total pour affirmer que lhistoireconstitue une composante indispensable de toute analyse scientifique visant dterminer et examiner les besoins des socits contemporaines. Et, partirdu constat que dans la situation actuelle du monde, il ny a plus de risque deguerre gnralise mais des guerres et conflits rgionaux, on a reconnu que laprise en compte de la perspective historique tait ncessaire au rglement desconflits : savoir, lexamen des situations historiques dont la succession dansla longue dure a engendr des conflits.

    Il apparat ainsi que les historiens ont la possibilit dapporter une contri-bution la rsolution des conflits en restituant la mmoire longue, cest--direen portant la connaissance des hommes les bases relles des identits des unset des autres ainsi que les racines vritables des problmes qui les opposentaujourdhui. Do la ncessit de mobiliser les historiens des rgions o lesconflits dchirent actuellement les populations : il fut donc dcid que lacoopration CISH-UNESCO porterait dabord sur lEurope du Centre-Est etlAfrique subsaharienne, ensuite sur lAmrique latine et les Carabes, lemonde arabe et lAsie du Sud-Est.

    Quel peut donc tre, par rapport la problmatique de la culture de lapaix, la pertinence du thme de la frontire qui a proccup les deux runionsde Lublin et de Bamako ? Ce thme est-il de nature apaiser les craintes deshistoriens soucieux dviter toute politisation des rencontres au profit de leursobjectifs scientifiques ? Peut-il en mme temps satisfaire les attentes delUNESCO, soucieuse de fournir des matriaux et des instruments derflexion aux dcideurs et acteurs politiques ainsi quaux stratgies de recher-che et de maintien de la paix ?

    Il faut dabord remarquer que les conflits de frontire et les remaniementsdespaces nationaux ont occup une place importante dans lhistoire delEurope moderne et contemporaine. Qui ne se souvient des diffrents par-tages de la Pologne et des hgmonies successives qui ont domin lEuropecentrale et orientale ? De mme, les querelles de frontires sont au premierrang des nombreux conflits qui dchirent lAfrique actuelle. Objet de conflit,la frontire est donc belligne lorsquelle provoque la guerre entre les Etats ;lment de rglement des conflits, elle fait partie des dispositifs de linstaura-tion de la paix, en servant de moyen de stabilisation des espaces nationaux.Do lambivalence du concept de frontire qui renvoie la fois la guerre et la paix : si les conflits de frontire conduisent la guerre, en revanche la fron-tire ne disparat jamais compltement au moment du rglement de la paix ;une nouvelle frontire remplace toujours lancienne.

    16 Christophe Wondji

  • On retrouve cette ambivalence lintrieur des socits tatiques elles-mmes : la frontire de classe ou de culture peut servir la fois de protectionet dexclusion ; en de, elle conforte lidentit sociale et culturelle et scuriseles individus et les groupes ; au-del, elle souvre linconnu (ou ltranger) etmne laventure, une aventure qui peut tre prilleuse et mortelle pour lesidentits ou, au contraire, fconde et favorable tous les enrichissements. Sousce double rapport politique et socioculturel, le concept de frontire connotedes ralits complexes et contradictoires qui en font un objet minemmenthistorique ayant un intrt majeur pour les chercheurs scientifiques et les stra-tges de la paix.

    Cette ambivalence est dailleurs rvlatrice de la vision africaine de lafrontire : en mme temps quelle marque la limite du terroir dune commu-naut et dfinit son espace de culture et de chasse, la frontire est aussi un lieude rencontres et dchanges entre communauts voisines. Dans les socitsforestires de la Cte dIvoire, elle est souvent matrialise par des lmentsnaturels (arbres, collines, rivires) qui sont rituellement consacrs commeles repres historiques des pactes dalliance (pactes de sang) ayant accompagnltablissement de la paix. Parfois, elles sont les lieux o sont installs les mar-chs prcoloniaux, notamment chez les peuples courtiers des zones de transi-tion entre fort et savane de lAfrique de lOuest.

    Ainsi, la complexit des ralits auxquelles renvoie le concept de fron-tire, notamment dans une Afrique contemporaine o les traditions modernesissues de lexprience coloniale se superposent aux traditions culturellesanciennes, montre tout lintrt du symposium de Bamako. Les historiens delAfrique y taient convis livrer leurs connaissances et confronter leurspoints de vue sur la faon dont les frontires sont perues ainsi que sur la ges-tion des conflits qui pourraient ventuellement en rsulter. En provenancedAfrique et dEurope, la trentaine dexperts du symposium a bnfici de lac-cueil gnreux du gouvernement de la Rpublique du Mali, dont le prsidenta rehauss de sa prsence la sance douverture en y prononant de surcrot unimportant discours sur le thme des assises8.

    Les communications et les discussions ont dabord port sur la probl-matique gnrale du sujet et les questions de mthodologie partir de deuxdocuments dorientation proposs par les professeurs Catherine Coquery-Vidrovitch et Boubacar Barry. Des tudes de cas trs prcises, traitant lesdiffrents aspects de la question toutes les priodes de lhistoire de lAfrique,ont ensuite permis dapporter des clairages sous-rgionaux cette problma-

    Introduction 17

    8 Voir le texte de lallocution du Prsident Alpha Oumar Konar.

  • tique gnrale. Quelle que soit lapproche adopte, les communications et dis-cussions se sont constamment efforces de rpondre aux questions suivantes :

    Quest-ce que la frontire pour les Africains du pass ? Quest devenue la frontire pour les Africains daujourdhui ? Quelle stratgie adopter pour concilier des comportements hrits du

    pass avec les impratifs des Etats actuels ? Quelle contribution faut-il attendre des historiens et de la connais-

    sance historique pour la mise en place dune culture de la paix dansle contexte de lAfrique actuelle ?

    Au terme de dbats passionnants, les rponses ces questions ont tconsignes dans le rapport scientifique qui figure in extenso dans la conclusionde cet ouvrage.

    Christophe Wondji(France)

    18 Christophe Wondji

  • Allocutions douverture

    Ahmed Ould Deida

    Jerzy Kloczowski

    Alpha Oumar Konar

  • Message du Directeur gnral de lUNESCO

    prsent par

    Ahmed Ould DeidaReprsentant de lUNESCO au Mali

    Si son emploi du temps le lui avait permis, le Directeur gnral de lUNESCO aurait prouv un immense plaisir participer la sance inau-gurale de ce symposium auquel il accorde une importance capitale. Il mademand dadresser ses salutations les plus chaleureuses aux participants etdexprimer ses sentiments de reconnaissance aux autorits de la Rpublique duMali, pour le soutien moral et matriel quelles ont apport lorganisation decette rencontre, qui il adresse le message suivant, et je cite :

    Monsieur le Prsident de la Rpublique,

    Au moment o lUNESCO se prpare clbrer en avril 1999, Tri-poli (Libye), lachvement du projet dHistoire gnrale de lAfrique,projet monumental qui honore le continent africain parce quil rha-bilite un pass nagure mconnu, je suis sensible votre engagementpersonnel en faveur de la tenue du Symposium dhistoriens africainsqui souvre aujourdhui Bamako et dont le thme occupe une placecentrale dans le programme de lUNESCO. Cela ne mtonne pas devous, Monsieur le Prsident.

    En effet, votre cursus universitaire, votre combat quotidien en faveurde la paix dans votre pays et en Afrique saccordent parfaitement aveclesprit et les objectifs de ce symposium.

    Parler dhistoire et de perception des frontires en Afrique, cestdabord voquer des notions et des ralits extrmement complexespour la stratgie et la vie politique des Etats. Quest-ce que la fron-

  • tire pour les Africains du pass ? Quest devenue la frontire pour lesAfricains daujourdhui, dont la plupart vivent encore avec desnotions hrites de la tradition ? Quelle stratgie adopter pour conci-lier des comportements traditionnels avec les impratifs des Etatsmodernes attachs des frontires auxquelles les populations sontrestes le plus souvent indiffrentes ?

    En effet, parler dhistoire et de frontires en Afrique cest ensuite vo-quer la difficile coexistence des Etats et des ethnies transtatiques.Une coexistence souvent mal gre et dont les consquences expli-quent, dans une large mesure, les conflits qui dchirent lAfriquedaujourdhui. Cest donc voquer les problmes de la guerre et de lapaix et, par consquent, rflchir aux problmes du dveloppementdes socits africaines contemporaines.

    Jai toujours dit, et je ne cesserai jamais de le rpter parce que jensuis convaincu : lAfrique nest pas un problme, cest une solution.Car lhistoire et les valeurs culturelles de ce continent ont donndes leons pour servir lensemble de lhumanit : tolrance, pardon,partage.

    Je suis donc heureux que ce symposium se tienne Bamako, au curdu Mali, ce foyer dinitiatives historiques de crativit, de rencontrede civilisations, o le gnie africain sest distingu de faon excep-tionnelle dans le pass de ce continent, et qui continue aujourdhuipar ses multiples initiatives perptuer cette tradition sculaire depaix, de dialogue, de dmocratie et de tolrance.

    Monsieur le Prsident de la Rpublique,

    En vous remerciant infiniment de lappui que vous navez cessdapporter laction de lUNESCO, jadresse mes salutations lesplus chaleureuses aux participants et je souhaite plein succs leurstravaux.

    22 Ahmed Ould Deida

  • Allocution douverture

    par Jerzy Kloczowski(Pologne)

    Permettez-moi, en tant que prsident du Comit mixte UNESCO-CISH, mis en place par le directeur gnral de cette Organisation en 1997, etmembre du Comit international des sciences historiques (CISH) dont lesecrtaire gnral, le professeur Franois Bdarida, est prsent parmi nous, desaluer tous les participants de notre sance solennelle douverture. Votre pr-sence ici marque, jespre bien, limportance de notre rencontre scientifique,internationale, des historiens de lAfrique, limportance pour le pays qui nousreoit ici avec cette hospitalit qui nous touche profondment, pour toutelAfrique au sud du Sahara, pour la formation des bases solides de civilisationde la paix dans lesprit des programmes lancs par lUNESCO.

    Permettez-moi tout spcialement de saluer chaleureusement MonsieurAlpha Oumar Konar, prsident de la Rpublique, qui nous a fait lhonneurexceptionnel de prsider en personne cette sance douverture. Et je remerciedavance, aussi trs chaleureusement, Son Excellence Madame Adame BaKonar, pouse du prsident de la Rpublique du Mali, qui a accept la prsi-dence de notre dernire session solennelle.

    Mais nous le savons bien, Monsieur le Prsident et Madame, que voustes tous les deux des membres minents de notre fraternit mondiale des his-toriens. Vous avez obtenu, tous les deux, vos titres de docteurs en Histoire lUniversit de Varsovie. Je vous prie alors dexcuser laccent trs personneldun historien polonais trs li avec Varsovie qui va transmettre quelques motsde salutations en langue polonaise, que Monsieur le Prsident et Madame ma-trisent si bien.

    Panie Prezydencie, Pani Prezydentowo, niech mi wolno bedzie przekazacSzanownym Panstwu wyrazy glebokiego uznania i bardzo gorace pozdrowieniaz dalekiej Polski i Warszawy, specjalnie od swiata historykw warszawskich ipolskich dumnych z zaszczytnej drogi znakomitych doktorw warszawskiejuczelni.

  • [Monsieur le Prsident, et Madame, quil me soit permis de vous trans-mettre lexpression dune profonde reconnaissance et les salutations trs cha-leureuses de la Pologne lointaine et de Varsovie, tout spcialement de la partdes historiens de Varsovie et de toute la Pologne, fire de votre rle minentde docteurs dHistoire de Varsovie].

    Le colloque qui souvre aujourdhui Bamako a sa place dans la srie derencontres prvues dans le cadre dune collaboration troite de lUNESCO etdu Comit international des sciences historiques (CISH), organisation mon-diale des historiens trs dynamique depuis 1926 notamment en Europe, enAmrique du Nord et au Japon.

    LUNESCO fut cre aprs la Seconde Guerre mondiale pour construi-re la paix dans lesprit des hommes partout dans le monde. Dans les derni-res annes, un programme ambitieux a progress et a t approuv par tous lesEtats : la culture de la paix. Mais la ralisation pratique de ce programme resteau fond extrmement difficile pour plusieurs raisons.

    Une tche primordiale qui simpose dabord partout, cest de bien com-prendre la situation du monde, la situation de chaque rgion du monde dansla perspective du respect des valeurs essentielles de la paix, de la rconciliation,des droits de lhomme. Cest l prcisment que nous avons pens lUNES-CO et le CISH que lhistoire humaine, globale, capable surtout de com-prendre les hommes, les socits et leurs cultures sans prjugs, peut rendre desservices absolument indispensables. Il sagit des sciences historiques daujour-dhui, ouvertes la collaboration la fois internationale et interdisciplinaire, la perspective comparatiste, indpendantes des pressions politiques et idolo-giques de toutes sortes. Notre but, cest de comprendre les racines profondesdes tensions, des conflits, des guerres, des mfiances vis--vis des autres , des voisins , des minorits , de comprendre la fois les mytho-logies dominant dans les esprits, les strotypes enracins profondment, lesvisions dhistoire de notre pays et lhistoire de nos voisins.

    Cest la collaboration relle, rgionale, des historiens qui nous sembleindispensable pour mieux saisir les conflits entre les voisins et leurs sourcesdans la perspective de la longue dure . Ici les comparaisons seront notam-ment indispensables aussi pour observer le caractre spcial dune situationconcrte. Dans le cadre de lAfrique au sud du Sahara, nous avons besoin lafois dune collaboration strictement rgionale concernant un groupe de pays,mais aussi de la collaboration continentale en vue dune perspective de la situa-tion africaine aujourdhui et demain, enracine dans la connaissance des trans-formations historiques au cours des sicles. Pas de doute que la qualit des his-

    24 Jerzy Kloczowski

  • toriens de lAfrique ainsi que notre connaissance de lhistoire du continent ren-dent possible aujourdhui la ralisation de cette tche intellectuelle dune impor-tance extrme nous en sommes convaincus pour le futur de lAfrique.

    Au sein de notre Comit mixte UNESCO-CISH, nous avons commencle travail avec la rencontre, en novembre 1998, Lublin, des historiens despays de lEurope du Centre-Est. Cest une rgion du monde lhistoire trscomplique, notamment au cours des XIXe-XXe sicles : lhistoire des change-ments de frontires plusieurs fois pendant la vie dune gnration, des ten-sions, des purges ethniques et des massacres barbares de millions de personnes.

    La collaboration effective entre historiens de nationalit diffrente com-mena en 1990 avec lindpendance retrouve par tous les pays en question.Une srie de volumes en rsulta, entre autres lhistoire de chaque pays quiessaie cest la grande nouveaut de mieux prsenter lhistoire des autres. Lesconfrences de Lublin et de Bamako constituent donc le dpart dune colla-boration trs pousse entre historiens des diffrentes rgions du monde.

    Jerzy Kloczowski 25

  • Allocution douverture

    par Alpha Oumar Konar,prsident de la Rpublique du Mali

    Je voudrais dabord solliciter votre indulgence, je voudrais plus particu-lirement encore une fois prendre tmoin notre doyen tous, le professeurJoseph Ki-Zerbo, et quil veuille accepter que je madosse lui.

    Que je madosse lui dabord pour saluer tous les historiens maliens, lestraditionalistes, tous nos anciens, je pense au professeur Skn Mody Cisso-ko, je pense Madame Madina Ly-Tall et tous les autres, tous ceux qui tousles jours dispensent des cours dans nos coles, dans nos universits. Je vou-drais, en madossant lui, remercier aussi tous les historiens africains et tousceux qui travaillent sur lAfrique qui nous ont fait lhonneur ce matindtre parmi nous. Ils sont tous ici, je dis bien : ils sont tous ici, et pour qui lesconnat, la famille au grand complet est au rendez-vous de Bamako. Ceux quinont pas pu tre physiquement prsents sont avec nous de cur et de pense.Certains, bien sr, nous ont quitts parce que cest cela le cours de la vie maispar leurs travaux, ils demeureront ternellement avec nous. Ce matin, plusparticulirement, je pense un de ceux-ci, notre frre Kak (Ibrahima BabaKak).

    Je ne cache pas ma joie chaque fois quil mest donn de communier auxrares instants de rayonnement que constituent ces rencontres de lesprit. Ellesme rappellent, ces rencontres, une ambiance : celle de la communaut scien-tifique que nous avons souvent ctoye et qui nous a tant accompagns. Ellesme rappellent que si jai toujours devin que le savoir tait au confluent detous les pouvoirs, lexprience o je suis depuis sept annes men a donn tousles tmoignages et toutes les assurances. Il ny a pas dacte de gouvernementresponsable qui ne soit le fruit dune maeutique intelligente sur lpoque, leshommes et les vnements.

    Tous ceux qui ont t les acteurs, les tmoins et les critiques de toutes lesluttes politiques et de toutes les mutations sociales de notre continent savent

  • de quoi ils parlent. Nous savons ce quil en a cot nos peuples que le frontdes intellectuels se soit distendu au contact du pouvoir. Nous mesuronsaujourdhui, avec effarement, les drives mortelles qui accompagnent un cer-tain naufrage de lesprit dans le sillage du dsarroi de labsence dune penseafricaine sur une poque qui coule. Dans cette salle, il ny a personne qui nese pose avec angoisse la question de ce qui advient, en ce qui nous concernetous, de cette injonction de Frantz Fanon que je cite de mmoire : chaquegnration a une mission remplir ou trahir .

    Militants intrpides pour lindpendance et la souverainet de lAfrique,responsables aux premiers postes des Etats mergents, chantres de la ngri-tude et de lafricanit, adeptes ou polmistes de la philosophie africaine ,puis opposants politiques de la clandestinit jusqu certaines victoires desannes 1990, qui sommes-nous aujourdhui, nous intellectuels africains,contemporains, spectateurs impuissants ou complices passifs de la penseunique, dune certaine mondialisation domine par le nolibralisme, fondesur la seule logique conomique, commerciale, voire montaire, qui conduitlAfrique grands pas vers la marginalisation, lappauvrissement ?

    Quelle est lide porteuse, je dirais lidologie majeure, capable aujour-dhui de fdrer une pense africaine ajuste laction, de faon ce quechacun dentre nous ait la conviction de batailler dans la juste voie aux ctsde nos peuples, et quil puisse clamer avec certitude, au soir de sa vie : jairempli mon devoir de gnration ?

    Longtemps, nous avons pens avec exaltation que lhistoire tait uncombat livr sur le simple modle de la morale, les colonialistes, les nocolo-nialistes, les imprialistes et les capitalistes dun ct, les peuples asservis, spo-lis et exploits de lautre. Qualors, le choix de la pense et de lengagementtait facile ! Mais je crois quaujourdhui, au milieu du dsarroi collectif, nulne me semble plus malheureux que lintellectuel musel par le cours dvne-ments qui le prennent de revers, lui dont le sentiment de puissance rside dansla certitude de pouvoir les matriser, du simple fait de pouvoir les analyser.

    Certes, nous pouvons expliquer que le triomphe dune idologie exclusi-ve est parvenu touffer tout autre modle possible grce des moyens decommunication et de propagande dune efficacit redoutable. Mais cet exer-cice, loin de nous absoudre, nous dvoile que ce qui nous ptrifie, cest plus laforce culturelle de la pense unique que sa puissance conomique connue debonne heure. La prolifration et la domination dun certain modle culturelest, par excellence, lempire de lesprit.

    Madressant de surcrot des historiens, je mesure la gravit des questionssouleves en raison de leur aptitude relle ou suppose lire le temps et lv-

    28 Alpha Oumar Konar

  • nement, tel le magicien dans sa boule de cristal. Et ce sont eux qui ont assum,au nom dune mission, la rcriture de lhistoire de lAfrique. Il en a dcoulla mise en lumire dune axiologie gisant aux fondements de ldification dessocits, de lducation des hommes et des femmes, des motivations de leursactes y compris, parfois, des plus rprhensibles. Une axiologie, fruit duncombat comme une longue dculturation ?

    En ce cas, il faut prendre garde que lhistorien, reconstruisant le pass, nese trouve pris au pige du prsent et du devenir. La revendication de sa propresubjectivit pour tenir un discours normatif sur le pass peut tre prise decourt par lvnement qui surgit, imprvisible, et a contrario de tous les sc-narios. Dj, ici et l, au moment o les pionniers de la discipline sapprtent se retirer avec le sentiment du devoir accompli, on murmure que la recons-truction fut trop belle au point davoir cr lillusion de socits qui auraienttrop bien fonctionn, de hros qui auraient t trop vertueux, dune Afriquequi aurait t idyllique.

    Nous voici justement devant le fait dun sicle qui sachve et dun mill-naire qui souvre dans une atmosphre o le dsespoir parat dominer ; o lapauvret des plus pauvres est alourdie de leur anxit. Jentends que la fin dechaque millnaire saccompagne de grands dsastres comme pour refonder lemonde. Mais ce que je vois, cest un monde pris la gorge par la puissance delargent et de larmement. Un monde de titans qui se battent au-dessus de nosttes sans sapercevoir que sous leurs pas, des socits se brisent, des rves sedfont. Nous voici, mes chers collgues, au chevet de notre Afrique qui paratse dliter, abandonne soi dans son coin. Combien font aujourdhui confian-ce lAfrique, combien ne doutent pas de lAfrique ? Ils peuvent se le permet-tre, mais nous pas. Il se passe, cest vrai, qualors que le reste du monde sor-ganise en des ensembles forts, cohrents et quelquefois mme conqurants,nos Etats sont occups retourner les armes les uns contre les autres, sans soucides populations qui sont massacres, dplaces, affames. Ces enfants-soldatsquon transforme en monstres sous nos yeux. Ce nest pas le moment de par-tager les torts entre une Afrique hbte et le nolibralisme dont le corset lavide, chaque jour qui passe, de ses rserves humaines et conomiques. Ce quenous pouvons faire, ce que nous devons faire, cest exercer notre regard sur lesressorts internes qui ont permis de maintenir ce continent flot au milieu destourmentes de la traite, du colonialisme et de toutes les idologies de la domi-nation, de lexploitation et de lendiguement.

    Nous voici de nouveau assembls pour ausculter lAfrique, ce que certainsde nos illustres devanciers font depuis prs dun demi-sicle. Permettez-moi deredire quelle place centrale tient la rflexion, jallais dire la mditation, en cette

    Alpha Oumar Konar 29

  • phase o pour nous, tout menace de scrouler pour faire place au chaos. Jevoudrais, sans dramatisation excessive, parce que nous sommes optimistesquant au devenir de lAfrique, sinon nous ne serions pas dans nos fonctionsactuelles ; je voudrais donc rappeler, sans dramatisation excessive, que les dan-gers dimplosion daujourdhui nont pas de prcdent dans notre parcours.

    Si lAfrique a connu ses guerres de conqute, bousculant sans cesse desfrontires incertaines, ctait lpoque la loi du genre. Ctait partout, tra-vers le monde, le modus operandi des relations internationales. Mais qua t laConfrence de Berlin dans la texture du corps physique de lAfrique et, dslors, quont t les peuples africains, les uns pour les autres ?

    Chaque poque sinstalle dans un vnement majeur qui scrte, pour lapense, un paradigme de mme porte. La fin de sicle et de millnaireimpose, pour lAfrique, la question des frontires comme le paradigme fonda-mental au travers duquel se lit la paix, cest--dire la dmocratie, cest--dire ledveloppement. Le basculement o nous sommes engags et qui se propage telle feu, rgion aprs rgion, travers lensemble du continent exige que nousexaminions de nouveau, sans complaisance, sans faiblesse et sans complexe, lesdeux questions cls qui contiennent une large part des rponses nos attentes.Il sagit, maintenant et depuis toujours, de lunit africaine et de la questiondes frontires. Or ce paradigme fonctionne la faon de Janus, puisque vousle savez, la charte de lOrganisation de lunit africaine (OUA) postule lunit partir de lintangibilit des frontires.

    Nous ne pouvons naturellement douter de la sagesse qui a prvalu enfaveur de cette sage dcision, au moment o les Etats et les nations taient bal-butiants. Mais puisque prs de quarante annes aprs, lunit, au lieu de streralise, sest plutt largement fissure, notre devoir de gnration ne serait-ilpas de rengager le dbat la lumire des faits nouveaux ? Nallons-nous pasoser poser ces questions ?

    Les faits nouveaux, cest dsormais la solitude de lAfrique depuis la fin dela guerre froide ; les faits nouveaux, cest une pression conomique sans finrendue facile par notre miettement et lillusion de la puissance possible dechaque Etat africain forc une concurrence vaine ; les faits nouveaux, cherscollgues, ce sont ces millions de jeunes dsuvrs et blass, ce sont cesmillions de travailleurs de tous ges, de tous sexes qui fuient le continent pourdes cieux o ils deviennent, disons-le, de nouveaux esclaves ; enfin, les faitsnouveaux, cest la dmocratie, cest--dire la bataille pour un Etat de droit, unebonne gouvernance, lalternance possible, pour une gestion harmonieuse desdiffrences et du pluralisme, pour plus de justice sociale et de libert ; les faitsnouveaux, cest la dcentralisation et lintgration rgionale.

    30 Alpha Oumar Konar

  • ct des faits nouveaux, demeurent des faits constants ; cest quechacun de nos pays est un miroir de lautre. Nous aimons dire que le Malidaujourdhui, cest un peu dAlgrie, un peu du Niger, un peu du Burkina, unpeu de Cte dIvoire, un peu de Guine, un peu de Sngal, un peu de Mau-ritanie et vice-versa. Tenez, par exemple, par nos Fulbe, un cordon ombilicalnous lie jusque dans lAdamaoua, jusquau lac Tchad. Tenez encore, limmi-gration, en plus de lexplosion des moyens de communication, ne rduit-ellepas les espaces ?

    Dans ce monde de la pauvret grandissante, o la libert est cependantle bien le plus cher, gardons-nous de la langue de bois sur les questions denotre survie collective. Il ny a aucun pralable au progrs et au dveloppe-ment de lAfrique qui ne passe pas par la libert. Il ny a pas de libert sanspaix. Il ny a pas de paix avec des frontires contestes, non assumes, o lapeur du voisin est la seule chose communment partage, o lautre estltranger au lieu dtre un autre soi-mme . Cest la raison pour laquellerflexion ne peut tre mieux venue et plus opportune que celle que vous allezaujourdhui entamer.

    Naturellement, on nattend pas dun historien quil soit un devin ou unfaiseur de miracles, et il y a bien des chances quau bout de la rflexion la paixnait pas t une constante en Afrique du XIIe au XXe sicle. Mais si, dans cesgrands empires et royaumes du pass brassant des peuples et des nations decultures diffrentes, il a pu se dvelopper des lois, si lconomie a pu prosp-rer dans un environnement de paix ; si les traditions et les coutumes ontraffermi les identits sans nier les progrs ; si dans ces empires et royaumes dupass, ladepte des religions traditionnelles et le Musulman, voire le Juif ont pupratiquer leur foi dans la tolrance, alors, nous pourrions voir dans le passloccasion doffrir des leons mditer pour lavenir.

    Notre mission nest-elle pas de participer, de conduire lindispensablerupture ? Les intellectuels nont-ils pas le devoir de prcder les politiques surla voie dun contre-Congrs de Berlin , un congrs de lintgration afri-caine, de lunit africaine conue et assume par les peuples africains pourrvaluer les frontires actuelles, pour reconsidrer laccs des pays continen-taux la mer, hors des logiques marchandes, dans une vision de solidarit etde destin partag ou de communaut de destin ?

    Ne devrions-nous pas sortir de labsurdit des guerres de frontires unmoment o partout lon parle dintgration rgionale ? Nos frontires ne

    Alpha Oumar Konar 31

  • pourraient-elles pas tre, comme nous le disons, gres en termes de pays-frontires, points de soudure, voire de suture, lieux de partage ? Espaces desolidarit par exemple, dexpression, dchange, de mise en commun o desnotions de voisinage, de cousinage (grandes valeurs de nos cultures) pren-draient tout leur sens ?

    Ny a-t-il pas aujourdhui une exigence dans certaines rgions de notrecontinent aller autour dune table par le dbat, la ngociation et non par laviolence et la guerre vers la refondation de nouvelles entits territoriales :confdrations, fdrations ? La mme vision ne pourrait-elle pas prsider aurajustement pacifique de certaines frontires ? Nous pourrions aussi bienenvisager sur les limites territoriales actuelles des cercles concentriques homo-gnes, pluriculturels, riches de leurs diffrences, forts des cohabitations entrepeuples divers, toute perception qui tournerait le dos lmergence de rpu-bliques ethniques, terreau de lanarchie, de la guerre civile, de linstabilit ?

    Nous devons aujourdhui oser aborder ces questions sans complexe.

    LAfrique doit sunir, pour reprendre les mots de Kwam Nkrumah, pro-longer et prenniser son combat. LAfrique ne sunira que par une autre per-ception de ses frontires. Cela sera fondamentalement luvre des fils et desfilles dAfrique, certes, avec le concours des dmocrates du monde entier.

    Ignorer cela, vouloir agir la place des Africains alors quil sagit de lesaccompagner, cest prendre le risque de sortir dune logique de chasse garde,disons de chasse quon ne peut plus garder seul, pour aller vers une logiquenon moins condamnable et condamne de chasse partage au profit de mono-poles trangers pour lesquels certains pays africains sont bons dvelopper, tre industrialiss et dautres condamns ntre que de simples marchs, despourvoyeurs de matires premires.

    Cette politique du cavalier et du cheval nest pas aujourdhui de saison, desaison dmocratique, voire dpoque pour nos peuples qui aspirent plus debien-tre et plus de dignit ; lavance dmocratique dans nos pays com-mande inluctablement la dmocratisation des relations internationales.

    Les meilleures politiques africaines, cela me semble, doivent tre discutesavec les Africains, doivent tre partages par les Africains ; pour ce faire aussi,les Africains doivent concevoir leur politique europenne, amricaine, asia-tique, et jen passe. Une Afrique responsable et prte sassumer.

    Nos peuples, aprs stre longtemps battus contre le parti unique et lar-bitraire, sont invits lexercice de la dmocratie dans des contextes souvent

    32 Alpha Oumar Konar

  • ubuesques. Mais contre tous les obstacles intrieurs et extrieurs que nousaffrontons aujourdhui pour parvenir cet idal, il ny a quun remde : la paixqui permet le consensus autour de notre destin commun. Le seul combat quivaille est la qute constante de lhomme et nous le disons souvent : quelle mer-veilleuse cration, mon Dieu, que ltre humain !

    Pour aborder ces questions et dautres, par exemple, le fait colonial et sesconsquences sur lvolution de nos socits, celles des pays coloniss et colo-nisateurs, le Mali serait trs honor la fin de ce sicle de pouvoir abriter unetelle runion pour aussi clbrer le centenaire de la mort de lAlmamy Samori.

    Pour aborder ces questions et les installer dans la conscience de noscontemporains, je fais confiance luniversit africaine. Une universit africai-ne, cest--dire les universits en Afrique, les centres de recherches qui, dans lemonde, traitent de lAfrique. Je leur fais confiance, je fais confiance leurexpertise, leur libert de ton.

    Je voudrais, encore une fois, profiter de cette tribune pour ritrer auxhistoriens africains linvitation que nous leur avons adresse pour quils vien-nent tenir Bamako leur prochain congrs, ceci en rponse une requte quinous a t adresse.

    Je dclare ouverts les travaux du symposium sur : Histoire et perception desfrontires en Afrique du XIIe au XXe sicle dans le cadre dune culture de la paix.

    Alpha Oumar Konar 33

  • PARTIE I

    Problmatique gnrale et mthodologie : Frontires, histoire et culture de la paix

    Rsum des communications

    1. Prsides par les professeurs Jerzy Kloczowski et Franois Bdarida, lessances consacres cette question se sont appuyes sur les documents detravail de Catherine Coquery-Vidrovitch et de Boubacar Barry ainsi quesur les communications dAnthony Asiwaju et de Joseph Ki-Zerbo dontles textes sont reproduits ci-aprs. De mme, figure ici le texte de PierreKipr qui stait annonc mais na pu participer au symposium.

    2. Reprenant lessentiel des ides contenues dans son document de travail,Mme Catherine Coquery-Vidrovitch a dgag les donnes de la probl-matique et esquiss une analyse critique du concept de frontire. Sur labase des repres quelle a indiqus, les contributions et les dbats ontport sur les questions suivantes : lhistoire des frontires, travers les poques, avec le glissement de sens

    et les recouvrements possibles : lAfrique ancienne, lAfrique coloniale,lAfrique indpendante ;

    linterprtation donne par les diffrents acteurs (chefs, sujets, tran-gers, commerants, gouvernants, etc.) du phnomne de la frontire,leur perception et leur utilisation du concept (suivant le temps et lesobjectifs poursuivis) ;

    les relations entre la notion de frontire et les ralits quelle connote :tre tranger, dans une socit donne, dans une communaut, dansune ville, dans un Etat ;

    les relations entre le processus de constitution et les formes de percep-tion des frontires et les questions contemporaines parfois poses defaon aigu ou angoissante comme celles des identits culturelle, indi-viduelle, rgionale, nationale...

  • 3. Sur la base de son document de travail, M. Boubacar Barry a procd une analyse historique de la question des frontires en rapport avec luni-t et lintgration africaines. Dans les dbats qui ont suivi lexpos deBoubacar Barry, plusieurs interventions ont mis laccent sur les conflits defrontires en Afrique. Abdoulaye Bathily et Thierno Bah se sont penchssur les conflits en Afrique centrale qui ont engendr une guerre conti-nentale impliquant sept Etats : lAngola, le Zimbabwe, le Congo,lOuganda, le Rwanda, la Namibie, le Soudan. Sont en jeu, la fois, lalutte pour lespace vital, les questions de frontires, les intrts cono-miques, lexacerbation des problmes intrieurs (en particulier les rivali-ts intercommunautaires), les rivalits entre grandes puissances. Ici, il nesagit plus de la guerre des pauvres mais dune guerre entre pays rece-lant dimportantes richesses ptrolires et minires, capables de pourvoir leurs besoins en armement. Dsormais, la question de la rvision desfrontires en rapport avec les problmes dmographiques est officielle-ment pose.

    4. Dans sa communication, A. I. Asiwaju a introduit les dbats sur lintan-gibilit des frontires qui secouent lintelligentsia africaine et africaniste ;les partisans de la rvision des frontires sont des personnalits minentesdont les arguments doivent tre pris en considration. On peut citercertains dentre eux : Ali Mazrui (Kenya), professeur de sciences poli-tiques, Wole Soyinka (Nigeria), Prix Nobel de littrature, Richard Corn-well, directeur de lAfrican Institute Pretoria, sans oublier les dirigeantsdu Rwanda. Ali Mazrui prdit deux directions dvolution de la situation :celle de lautodtermination ethnique et celle de lintgration.

    5. En suggrant de nouvelles configurations, les partisans de la rvision desfrontires napportent pas de rponse aux questions poses. Or, parce queles frontires sont insparables des entits politiques quelles dlimitent,les problmes poss sont les consquences des dysfonctionnements inter-nes ces pays et non des causes, ils sont les symptmes du mal et non lemal lui-mme. Ainsi, plutt que de suggrer la rvision des frontires, lescrises africaines ncessitent une rvision profonde des politiques en cours,incluant aussi bien les aspects relatifs la mauvaise gestion des ressourcestransfrontalires, lintrieur de chacun des pays, que dans les espacestransfrontaliers. Les frontires pourront ainsi devenir des fentres ouvrantsur de nouvelles opportunits, lintrieur des pays et entre les pays, etcesser dtre des facteurs de conflit.

    36 Partie I

  • 6. Cette rorientation exige, de manire urgente, un plan daction de la partdes dcideurs politiques, un soutien des chercheurs africains et des afri-canistes, du continent et dailleurs. LOUA (Organisation de lunitafricaine), aujourdhui UA (Union africaine), ne devrait pas se permettredentamer le XXIe sicle sans concevoir une politique visant promouvoirla conversion des frontires de leur statut actuel de barrires en pontsvritables entre les pays membres.

    7. Dans le dbat instaur autour de cette question, les participants sontconvenus que les frontires ont certes leur importance, mais quil estpossible denvisager leur devenir dans la perspective de lintgration rgio-nale et de lunit du continent. Cette perspective se conjugue avec lacorrection des dsquilibres internes crs par la construction unilatralede lEtat-nation centralis qui a ignor lexistence de nationalits diff-rentes au sein des nouveaux Etats. La gestion pacifique des frontires estporteuse de lamorce dune renaissance de lAfrique dans lunit, associe une politique interne de dcentralisation et de dmocratisation. Mais,en mme temps, tout en travaillant lintgration, les parties prenantesde cette exigence historique devraient pleinement tenir compte de lancessit dassurer les quilibres ncessaires la coexistence entre les payset les communauts, et de promouvoir des rapports dinterpntrationenrichissants et durables.

    Frontires, histoire et culture de la paix 37

  • Catherine Coquery-Vidrovitch (France)

    Histoire et perception des frontiresen Afrique du XIIe au XXe sicle

    Le concept de frontire a beaucoup vari au cours de lhistoire africaine, travers les vicissitudes dune histoire particulirement tumultueuse. Lobjectifest dexaminer ce concept travers lhistoire africaine, et de mesurer le rle quela perception de ces frontires, diffrents niveaux (celui du pouvoir, celui desgens du commun, celui des trangers) a pu jouer dans lvolution des peupleset des Etats : les frontires des temps anciens (dits prcoloniaux) ne rpon-daient pas aux mmes critres que ceux forgs en Occident ; le rle des fron-tires ntait donc pas le mme. Un rapprochement sest opr dabord aumoment de la rencontre avec lislam, puis ds que les Africains ont t mis encontact avec lOccident, cest--dire au temps de la circumnavigation portu-gaise, sans que les Europens ninterviennent directement dans la perceptiondes frontires autochtones. Il nen fut plus de mme, videmment, avec lapntration coloniale, qui imposa les frontires-lignes de dmarcation recon-nues par les diffrentes mtropoles.

    Pendant longtemps nanmoins, et sans doute jusqu prsent, la synthsede ces diffrentes influences ne sest faite que partiellement, et beaucoupdAfricains, chefs en place, commerants itinrants et gens du peuple, ontfonctionn sur plusieurs registres, voire en ont jou en fonction de leur situa-tion dans la socit et de leurs intrts.

    I. Dans les socits anciennes

    Dans lAfrique ancienne, les socits politiques taient, comme ailleurs,dlimites. Mais le concept mme de frontire ntait pas celui des Etatsmodernes ; la frontire ne se limitait pas une ligne soigneusement trace surles cartes dEtat-major. Un chef, quil ft de lignage, de village, de province oudEtat, savait bien quau-del de certaines limites, son autorit ne sexeraitplus sur les gens. Cest que les relations du groupe (quil sagisse dun village,

  • dun ensemble de villages ou dune structure plus ample), impliquaient unensemble complexe de liens diversifis. En particulier, on ne peut les rduire une hirarchisation verticale de type pyramidal (telle que la monarchie fran-aise la ralisa au XVIIe sicle), qui se rsumerait par la reconnaissance territo-riale dun pouvoir suprieur. La collectivit africaine saffirmait comme telle travers trois types au moins de relations avec lextrieur :

    les relations lignagres fondes sur des liens familiaux, que ces lienssoient rels ou reconstruits mythiquement et socialement,

    les relations politiques proprement dites, ou reconnaissance duneautorit tatique territoriale hirarchise, qui ont effectivement existdans nombre de formations sociales africaines (comme les Empiresmdivaux, lempire Ashanti, les petits Etats interlacustres),

    et les relations de dpendance personnelle qui recouvraient mais aussipouvaient contrarier les deux prcdentes par un rseau dchanges etdobligations, soit horizontal de lignage lignage, de village village soit vertical, depuis lunit familiale ou villageoise jusqu lautoritsuprieure, en passant ou non par les tapes intermdiaires (chefs deprovinces et chefs de tribus au sens lignager du terme, eux-mmescoexistant souvent dans le mme systme). Cela nempchait pas leschefs de revendiquer un territoire, donc dessayer priodiquement denreculer les frontires.

    Mais, dans les empires mdivaux du Ghana, du Mali, du Songha, oudans lEtat ancien de lespace shona du Zimbabwe, le pouvoir ne sexerait pasde la mme faon au cur de lEtat, dans et autour de la capitale, que sur lesconfins fluides et changeants. Le phnomne tait le mme chez les Bakuba duCongo au XIXe sicle. Autre exemple : au XIXe sicle, dans lespace qui estdevenu partie intgrante du Ghana daujourdhui, lancien souverain desAshanti, ou Asantehene, expliquait aux Europens, et pour cause puisquectait revendiquer la route daccs au commerce de traite international, queson autorit minente (ce que les Anglais dformrent en suzerainet )sexerait sur les peuples Fanti de la cte : entendait-il par l que la frontirede son Etat sarrtait la mer ? On pourrait, une chelle plus rduite, en direautant des cits-Etats : o sarrtait, dans les cits-Etats hausa, le pouvoir duneville par rapport sa voisine ? Quelle tait, dans ce cas, la reprsentation de lafrontire pour les habitants : politique (limite la cit-Etat), religieuse(lislam cohabitant avec des noyaux animistes forts, ceux prcisment que lesPeul voudront rduire au dbut du XIXe sicle), linguistique (cest--direrecouvrant lensemble des cits-mres), mais allant bien au-del compte tenu

    40 Catherine Coquery-Vidrovitch

  • de la faon dont les commerants hausa ont essaim sur les routes de la kola,du sel ou du btail ? Tout la fois, bien videmment. Quant au pouvoir ligna-ger, dans des socits dites nagure sans Etat , quelles taient les limites decelui exerc, par exemple, par un chef de village ? La frontire sarrtait-elle auterroir ? Nenglobait-elle pas un tissu complexe et ramifi de relations fondessur les associations matrimoniales ? Pourquoi, par exemple, des socits aussiclates que celles des Gbaya de la Lobaye en Afrique quatoriale ou desAwandji au Gabon oriental se reconnurent-elles comme un territoire communde rvolte contre la conqute coloniale et ses exactions ?

    Cest que la frontire tait alors, essentiellement, une zone la fois decontacts, dchanges et de rivalits, dont il convient dinterroger la significa-tion et le concept mme. Des frontires multiples, reconnues comme telles parle mme peuple, pouvaient se recouper sans ncessairement faire conciderplusieurs pouvoirs embots : pouvoir religieux, par exemple celui de loba ougrand prtre dIf sur lensemble culturel (cest--dire, mais avec de fortesnuances locales, linguistiques) plus tard unifi par les Anglais sous le nom deYoruba (Sud-Ouest du Nigeria) ; mais en mme temps, pendant des sicles, lazone embrassa une poussire de cits-Etats dont certaines prirent et reperdi-rent priodiquement le contrle de leurs voisines, comme le royaume dOyoau nord et celui de Benin-city au sud ; pouvoir conomique ou aire dexpansiondu commerce contrl par les entrepreneurs du lieu : un bon exemple en estcelui des dioula1 islamiss, dont la profession de ngoce se diffusa partir duXIIe sicle en rseaux familiaux et marchands, depuis le Sud de la rgion deDjenn sur le fleuve Niger vers lensemble de lOuest africain, au point que leterme prit lentement la faveur l encore des incomprhensions europennes un sens ethnique ; pouvoir politique stricto sensu, qui justement ne se limitaitpas la sphre politique mais impliquait des prrogatives religieuses et cono-miques complmentaires ou contradictoires avec les prcdentes.

    II. Des Etats-nations prcoloniaux

    Cela nempche pas que des Etats-nations prcoloniaux ont bel et bienexist : lEtat du Daxom, celui des Ashanti, lancien royaume du Kongo, lespetits Etats interlacustres en sont autant dexemples, o les concepts de centreet de priphrie du pouvoir se prteraient peut-tre mieux aux ralits ancien-nes que celui de centralit. Autrement dit, lAfrique a construit comme ailleurs

    Histoire et perception des frontires en Afrique du XIIe au XXe sicle 41

    1 Dioula (dyula) : marchands professionnels itinrants dorigine mandingue ou sarakol.

  • des nations et non pas seulement des tribus ; les socits y taient comme lesautres sur la voie dune lente expansion de leurs potentialits, notamment deconstructions nationales que la bibliothque coloniale ultrieure a bapti-ses du nom dethnies. Ces processus se sont trouvs plusieurs reprises brissdans leur lan par lintervention brutale doprations de conqutes, prcolo-niales puis coloniales, qui prtendaient construire de nouveaux Etats contre-disant chaque fois leffort antrieur.

    III. Les Etats de conqute du XIXe sicle

    Ds la fin du XVIIIe sicle en effet, et mme auparavant, ces empires deconqute aussi bien ceux crs par Shaka et ses mules nguni en Afriqueaustrale que ceux ns des jihad 2 ou des empires ngriers , ont introduit enforce de nouvelles notions dEtat : celles de formations maraboutiques, dethocraties militaires ou dentreprises de guerre autocratiques ; elles ont balayen grande partie les formations plus anciennes, fondes sur une communauthistorique, culturelle et conomique diffrente. Les frontires, jamais nette-ment dlimites, sont devenues de plus en plus mouvantes, au gr de lexpan-sion des hommes et des flux religieux et conomiques. Car le principe restaitle mme : le territoire domin par un souverain se dfinissait par lemprise decelui-ci sur ses dpendants, et non sur un espace donn intangible (du moinstant que les frontires nen taient pas officiellement rvises). Plus ses sujetstaient nombreux, plus lespace slargissait ; plus ses troupes se rduisaient cela pouvait tre sous leffet de guerres, dinvasions ou de calamits naturellestelles que scheresses, famines, pidmies priodiques meurtrires , moinsson pouvoir tait effectif au-del du cercle des hommes qui le reconnaissaientpour chef. Alors le territoire se rduisait laune de ses capacits faire recon-natre ses ordres, car les liens entre souverain et domins sexprimaient entermes de dpendance personnelle et non de fief ou de territoire.

    En outre, la frontire telle que lentendaient de grands conqurants(Ousman dan Fodio, ou El hadj Omar en Afrique de lOuest), voire le sultande Zanzibar en Afrique orientale continentale, tait-elle celle reconnue par lespaysans, Bambara ou Hausa louest, Nyamwezi ou Yao lest ? Et quellesfrontires se reconnaissaient les pasteurs peul ? De mme, quelles limites leurexpansion, de chasse et de caravane, taient-elles reconnues par les peuplesnyamwezi dAfrique orientale ? Quel rapport avec celles que prtendait super-viser le sultan de Zanzibar ?

    42 Catherine Coquery-Vidrovitch

    2 Jihad : guerre sainte islamique.

  • Au XIXe sicle surtout, la frontire prit le sens dune zone dexpansion oude rgression culturelle. Cest un sicle o les mouvements de populations, oque lon se trouve, prennent une ampleur probablement ingale jusqualors.Quil sagisse des grands mouvements dans lOuest africain des jihad peulcolonisant les peuples bambara ou hausa, de la remonte des peuples nguni enAfrique orientale depuis lAfrique du Sud jusquaux abords du lac Victoriasous la pression des zulu de Shaka ou de ses mules, ou bien encore de laremonte des peuples du Sud partir du Cap sous la pression conjugue desBoers et des Britanniques, la frontire prend le sens dune limite en expansion,en mme temps que dune barrire rige entre cultures antagoniques, un peu la faon dont procdrent les Amricains aux Etats-Unis dans leur progres-sion vers lOuest. La plupart des empires de conqute qui spanouirent alorsfurent aussi des empires mouvants, repousss comme ils le furent dans leurexpansion par les nouveaux conqurants : ainsi El Hadj Omar fut-il oblig parlavance des Franais de progresser du Haut Sngal vers le centre du Maliactuel, ou bien Samori fut son tour amen transfrer son Etat depuis lesconfins de la Guine jusqu la Cte dIvoire et au-del : que signifiait alors lafrontire pour les peuples conquis, dont lespace politique et culturel concidaitde moins en moins avec lespace politique et militaire de leurs conqurants ?

    IV. Une nouvelle conception de la frontire :les frontires coloniales

    Or, sur cette premire strate en partie brise, puis de surcrot sur les dbrisde ces nouvelles formations elles-mmes bientt dtruites, la partition colo-niale a impos son tour une nouvelle gnration d Etats coloniaux .Formes nouvelles mais pas inconnues dEtats : les empires de conqute duXIXe sicle relevaient en partie dj dinfluences occidentales qui se sont mani-festes trs tt, ds la circumnavigation portugaise de la seconde moiti duXVe sicle. Sauf pour les Portugais qui se sont dfinitivement installs Loanda (Angola) et dans lle de Mozambique ds le XVIe sicle, la colonisa-tion stricto sensu dbuta au milieu du XVIIe sicle, que ce soit Saint-Louis duSngal ou Cape-Town, en Afrique du Sud. Elle sest aventure lintrieurdes terres tout au long du XIXe sicle, avant de culminer la fin du mmesicle. Cest alors que les ides occidentales sur lEtat, qui avaient durant toutce temps chemin, ne serait-ce que par le biais des missionnaires dj installsun peu partout sur les ctes et aussi dans lintrieur de lAfrique australe, ontt introduites en force sur un terrain en partie dj remani, voire prpar.

    Histoire et perception des frontires en Afrique du XIIe au XXe sicle 43

  • Ce qui tait nouveau, nanmoins, cest qu partir des annes 1890 les fron-tires coloniales ont t dfinitivement adoptes, prjugeant de lhistoire desEtats venir. Celle-ci dbuta prcisment par limposition de frontires-lignesdont le concept mme tait ignor auparavant des peuples ou des fragments depeuples ainsi encercls et partags. Ces frontires furent institutionnalises par laConfrence internationale de Berlin (1884-1885) et minutieusement rvises etcorriges tout au long de la priode coloniale. De ces territoires, les Etat moder-nes sont issus, et les nations correspondantes ont merg leur tour : car ceslignes de partage furent reconnues, voire renforces par les Etats devenus ind-pendants dans la charte fondatrice de lOUA en 1963.

    Par exemple, on a beaucoup glos, et lon continue de sinterroger sur la balkanisation 3 de lancienne Afrique occidentale franaise (AOF) lissuede lpisode avort de la Communaut (1958-1960). Etait-ce invitable ?Etait-ce indispensable ? A y regarder de plus prs, il semble bien que la gopo-litique coloniale portait en son sein la rgionalisation ultrieure. Chacun desex-territoires de la Fdration a progressivement acquis, par le biais duneorganisation administrative diffrencie, une originalit incontestable parrapport ses voisins, qui sest curieusement articule autour de dispositions depeuplement pourtant htrognes, et qui dbordaient mme dun territoire lautre. Le phnomne nest dailleurs pas propre la colonisation franaise, onretrouve cette dispersion des entits politiques et culturelles antrieures dansles autres colonisations : ainsi des Wolof diviss entre Sngal et Gambie oudes Makonde partags entre Tanzanie et Mozambique Il nempche quilsest rvl vain, ultrieurement, de revenir en arrire pour reconstituer desformations dites ethniques . Au contraire : des nationalismes forts se sontmanifests trs tt, antrieurement lindpendance mme.

    Ainsi en alla-t-il pour la Haute-Volta (Burkina-Faso), qui connut uneaventure extraordinaire : sa suppression entre 1933 et 1947 par ladministra-tion franaise ne suffit pas rayer de la carte un Etat pourtant cr de toutespices par le colonisateur moins de deux dcennies auparavant, puisque lau-torit civile ny fut reconnue quen 1920 Un phnomne analogue survinten Afrique australe, o Zambie et Zimbabwe doivent leur existence linitia-tive dun jeune aventurier sud-africain, Cecil Rhodes ; ces deux territoirescoloniaux, un moment runis sous la forme dune fdration par la couronnebritannique (1955-1965), eurent une histoire trs spare, et il ne serait pasquestion aujourdhui de les concevoir comme un Etat-nation unique. Bref,

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    3 Balkanisation , cest--dire le morcellement de la fdration de lAOF en multiplespetits Etats linstar de la rgion des Balkans au 19e sicle.

  • depuis qu la fin du XIXe sicle chacune de ces formations eut reu ses fron-tires coloniales, quon le veuille ou non lhistoire des Etats venir taitcommence. Car ces gens, obligs de vivre ensemble, se sont mis ds lors commencer de forger une unit qui dadministrative est progressivement deve-nue politique, allant de pair avec une synthse de cultures internes, fonde surla rencontre des peuples avec un colonisateur donn. Cette volution a marquplusieurs gnrations. Malgr les objectifs et les mthodes en grande partieidentiques des diffrentes puissances coloniales, cet hritage a marqu diff-remment les Etats hrits des colonisations britannique, belge, franaise ouportugaise, mtines le cas chant dune influence allemande ou sud-africaine(dans le cas des mandats de la SDN)4.

    Certes, ces lignes de partage furent reconnues, voire renforces par lesEtats devenus indpendants, dans la charte mme de lOUA en 1963. Ainsilobjectif explicite de la colonisation, de constituer des espaces territoriaux surle modle labor au cours des sicles en Europe, et renforc par les rglesinternationales contemporaines, comme si lvolution africaine antrieurenavait pas exist, fut-il entrin par lEtat post-colonial : amalgame culturelextraordinaire, et quon ne peut rayer de la carte sur laquelle, pourtant, lesdiplomates europens ne dessinrent leurs frontires quun sicle auparavant.Il est remarquable de noter, malgr plusieurs tentatives de scession, notam-ment par les guerres civiles au Nigeria et au Congo (ex-Zare), que le nationa-lisme de ces Etats fut chaque fois suffisamment fort pour faire chec unervision de ces frontires-lignes pourtant rcentes, sauf dans un cas : celui delErythre. Or le nationalisme rythren trouve lui-mme ses racines dans unehistoire coloniale tout fait distincte de lhistoire thiopienne durant prsdun sicle. Cest, en effet, lempereur dEthiopie, souverain indpendant, quingocia la vente de ce territoire aux Italiens ds 1890, pour des raisons enpartie au moins de politique intrieure : lempereur Mnlik, qui crait unenouvelle dynastie dans la province centrale du Choa, avait tout intrt affai-blir les provinces du Nord qui avaient jusqualors monopolis le pouvoircentral ; il comptait la fois mnager les ambitions italiennes et dvelopper,pour sa part, la route mridionale daccs la mer Rouge (espoir qui lui futravi par les Franais). Toujours est-il que la province rythrenne, colonise parles Italiens jusquen 1940 puis occupe par les Britanniques durant les vingtannes suivantes la faveur de la Seconde Guerre mondiale, ne fut rendue lEmpire quen 1960. Trois gnrations successives au moins se sont succd,

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    4 SDN : la Socit des Nations, anctre de lOrganisation des Nations Unies, ne aprsla Premire Guerre mondiale.

  • et les dernires ont connu, entre autres, partir de la Seconde Guerre mon-diale, une industrialisation et un syndicalisme langlaise qui leur ontfait vivre comme une rgression le retour au vieil empire : cest dailleurs loccasion de cette restitution de province, en 1960 seulement, que lempereurfut contraint par les Anglais de reconnatre le droit syndical. Le nationalismerythren est donc redevable, entre autres, une histoire coloniale tout faitdiffrente de celle des autres territoires impriaux.

    V. Des frontires africaines aujourdhui

    Le gographe Gilles Sautter avait dj expliqu, il y a quelque vingt ans(1982), que la notion de frontire naturelle est une aberration : une rivire,un fleuve, une valle et mme une ligne de crte, parce quelle est scande decols, se franchissent et relient au moins autant quils ne sparent.

    Il a aussi montr que la richesse et la crativit dun pays reposent non passur lhomognit dun seul peuple, mais au contraire sur lhtrognit desrgions, des paysages, des histoires, des cultures. Cest ce qui permet un paysdorganiser un march national fait de multiples complmentarits et dinven-ter une culture faite de syncrtismes complexes et elle-mme constammentretravaille par louverture sur lextrieur et larrive de nouveaux migrants.

    Il est des parties du monde o lhistoire des frontires est trs longue enEurope occidentale, en Chine, par exemple ; dautres o elles ont t imposesbrutalement mais il y a longtemps en Amrique latine notamment, mais enEurope aussi ; dautres au contraire o elles se sont construites rcemment, enparticulier au XIXe sicle : sous la pression dun groupe dominant comme auxEtats-Unis, ou de la construction dune culture, dune langue et dun marchpralables comme en Allemagne, cre en tant que telle en 1870 seulement.

    Un des problmes du continent africain est que les actes fondateurs de lafrontire sont rcents, et quils se sont surimposs une grille historique engrande partie diffrente, aussi bien sur le plan des peuples et des langues quesur celui des marchs et des rseaux conomiques, qui taient, par exemple enAfrique occidentale, davantage orients Est-Ouest que Nord-Sud.

    Les historiens doivent tre intimement conscients de deux facteurs, etdoivent ventuellement essayer den convaincre les politiques :

    1. lhistoire ne se refait pas, on ne peut revenir en arrire, car elle rsultedun temps cumul dont il est impossible de mettre des phases entreparenthses, comme si elles navaient pas exist : la colonisation, mmesi elle a t relativement brve, a contribu crer de nouvelles entits

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  • quil est dsormais impossible de gommer comme si elles navaient pasexist ;

    2. lhistoire implique le temps. Des dcisions politiques immdiates nersolvent pas grand-chose, y compris dans le court terme. Elles doiventtre absorbes, discutes, assimiles dans le temps long par les peuplesqui les vivent.

    De ces constats relve, entre autres, un phnomne insparable des fron-tires : le nationalisme. Or le nationalisme est un moteur actif, en particulierde conflits.

    On a faire deux types de nationalisme : un nationalisme rv, celui des ethnies, un nationalisme rel, celui des Etats.On se trouve, par ailleurs, face deux visions apparemment contradictoi-

    res, mais qui sont en ralit complmentaires : le pouvoir dEtat, pour lequel la frontire est surtout une ligne prot-

    ger au nom de sa souverainet, et les communauts locales, pour lesquelles la frontire est un espace, et le

    plus souvent un espace utile, qui les fait vivre par son existence mme.Dans les deux cas, les frontires sont, quon le veuille ou non, intgres.

    La question nest donc pas de redessiner les frontires, cela ne rsoudrait rien.La ncessit est darticuler, dinterrelier la vision den haut et celle den bas,celle de lEtat et celle des gens. Ce nest donc pas juste une question de fron-tires, et il est inutile de focaliser lattention sur une ligne. Cest un processus la fois politique, conomique, et socioculturel.

    Les questions que lon peut se poser en historien peuvent donc tre lessuivantes :

    1. Peut-on faire lconomie de la phase nationaliste ? Les faits suggrentque cest bien difficile. Les Occidentaux ont longuement tudi, pour leXIXe sicle, les nationalismes europens sous le nom de nationalits .Les observateurs internationaux parlent aujourdhui en Afrique de rgio-nalismes ethniques . Il sagit dun processus analogue, et la diffrencede vocabulaire relve davantage du sentiment de supriorit tenace delOccident que dune ralit de nature diffrente, les guerres dans lesBalkans sont l pour le prouver, sil en tait besoin. Le phnomne peuttout aussi bien provoquer des guerres frontalires que des guerres civiles.Or, une fois que lintervention trangre ou la guerre civile est termineet que les plaies sont panses, ce qui prend videmment un certaintemps, rien ne soude autant le nationalisme collectif ( national parcontraste avec les irrdentismes rgionaux ) que la rconciliation

    Histoire et perception des frontires en Afrique du XIIe au XXe sicle 47

  • impose dabord par les armes : cas des Etats-Unis aprs la guerre deScession, du Nigeria aprs la tentative de scession igbo, et probable-ment, dans un avenir rapproch, du Congo Kinshasa.

    2. Comment rsoudre la contradiction apparente entre frontire vueden haut et frontire vue den bas ? Lexemple de la rsorptiondes conflits du Nord-Mali entre nomades touaregs et sdentaires estexemplaire ; mais il implique, outre videmment lintelligence poli-tique du pouvoir central rsolu la ngociation, la non-interventionde puissances internationales, financires, minires et politiques. Lachance du Mali est probablement de nintresser personne. Lamalchance du Congo est sans doute dattirer deux flux dnormesconvoitises : convoitises minires et conomiques, mais aussi convoi-tises dmographiques, le surplus de populations de mini-Etats surpeu-pls (comme le Rwanda) cherchant se dverser sur des espaces moinsdenses, en dpit du fait que les populations daccueil ont aussi adaptleur vie leur espace. A noter que ces disparits dmographiquespeuvent aussi bien tre facteurs de troubles et de conflits internes,quand des populations dynamiques et prolifiques sont, au sein dunEtat plus vaste, accuses par leurs concitoyens dempiter sur leurespace vital : cas des Igbo du Nigeria ou des Bamilk du Cameroun5

    3. Comment surmonter les handicaps conjoncturels accentus par lhis-toire courte de la plupart des frontires africaines ? Evidemment parune intgration au moins rgionale, et si possible continentale. Il nya pas le choix. Si lAfrique veut un jour ou lautre rsister aux GrandesPuissances, elle doit sunir, la fois conomiquement et politiquement.Mais lhistoire de lEurope occidentale est l pour le suggrer : cest unprocessus long et complexe, qui ne repose pas sur des problmes de

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    5 On aurait pu imaginer une autre configuration politique, neussent t les avenirs impo-ss par la colonisation : le Ruanda-Urundi, allemand avant la Guerre de 14, aurait pu tout aussibien tre confi la tutelle britannique comme le fut le Tanganyika voisin, voire former, quisait, un vaste Etat regroupant aussi lOuganda. La combinaison aurait eu toute chance de fonc-tionner, les petites entits monarchiques quelle aurait incluses nen continuant pas moins saffirmer comme telles, comme le fit le royaume ganda en Ouganda Le fait que la tutelle soitrevenue la Belgique sans que la fu