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TOUT PROCHE DANS LE DEUIL, LE SOIN DE L’ENDEUILLÉ

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Tout proche dans le deuil, le soin de l’endeuillé

Essai

cécile Furstenberg

editions persée

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Ce travail a été réalisé en première année d’une formation en Master Éthique, Science, Santé et Société.

Toute reproduction ou utilisation est interdit sans l’accord préalable de son auteur.

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Avec tous mes remerciements et ma reconnaissance pour l’Espace éthiqueet l’enseignement fourni, l’équipe formatrice,

les étudiants avec qui j’ai pu partager certaines réflexions sur le sujet.

Mes encouragementspour ceux qui sollicitent le questionnement éthique

pour soutenir les valeurs du soin ;pour Emmanuel Hirsch directeur de l’enseignement,

Virginie Ponelle et Armelle Debru formatrices,Évelyne Malaquin Pavan qui m’a accompagnée dans ma démarche.

Avec tous mes remerciements attentionnés pour les patients et leurs proches qui – vivants et défunts – ont contribué directement ou indirectement à la

rédaction de ce mémoire,pour Michel Hanus qui a tant apporté avec ses multiples travaux sur le deuil.

Et une pensée particulière pour les soignants sur le terrain !

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INTRODUCTION

La mort est une déchirure irrémédiable, une perte, un sacrifice, le néant… un passage, une résurrection… Selon le dictionnaire� le mot « Mort » signifie en Occident : cessation de vie. Du latin mors, génitif mortis (« mort, trépas, décès, fin, destruction (des choses), cadavre, homme mort, homme mourant, coups mortels »). L’étymologie du mot mort dans d’autres cultures nous ouvre d’autres horizons, la mort dans la culture négro-africaine par exemple est un passage, une transformation, qui fait partie intégrante du processus de la vie. Les religions s’appliquent à lui donner du sens. La mort situe l’homme dans le mystère de la vie. La vie et la mort animent mutuellement la quête de l’homme, du philosophe, du religieux, de l’athée…

La mort définit la précarité de la vie de tout être humain.La mort de l’autre est un traumatisme dans l’immédiat et dans

la durée pour l’ami, le proche.Le proche (dérivé de prochain qui vient du latin proximus),

c’est celui qui est près dans l’espace, dans le temps. Il est lié par la parenté, peu différent de, le parent, l’intime.

Un long temps de déconstruction, de reconstruction dans la vie intérieure et extérieure du sujet, voilà le travail de deuil des survivants.

Le deuil au sens étymologique vient du latin dolus de dolere Issu du bas latin dolus (« douleur »), l’orthographe actuelle est � – Site Internet : http://www.mediadico.com/dictionnaire/citation/mort/76 - 120k

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une réfection sur le modèle œil, yeux, avec création d’un pluriel régulier. Le dictionnaire2 définit le deuil comme affliction, douleur qu’on éprouve de la perte de quelqu’un ; et par extension : grande tristesse causée par une chose funeste, déplorable.

Le deuil, écrit Sigmund Freud en 1917, est « un processus d’adaptation à la perte »�. Michel Hanus, psychologue contemporain, le rejoint : « Le deuil exprime toutes les relations et attitudes consécutives à une perte ou à une séparation ».

Le travail de deuil est « le processus intrapsychique, consécutif à la perte d’un objet d’attachement et par lequel le sujet réussit progressivement à se détacher de celui-ci »�.

Je travaille comme infirmière en gériatrie depuis 5 ans. Régulièrement les patients meurent, les « départs » s’enchaînent, s’égrènent avec des pleurs, des conflits, des craintes, des colères, des désespoirs que l’absent suscite chez les survivants. Ceux qui sont affectés, écorchés par le départ, la perte de l’aimé, de l’ami, du parent, « gravitent », « jaillissent », manifestent parfois contre leur gré le traumatisme du deuil.

Les soignants sont bien conscients que l’accompagnement des proches fait partie de leur rôle de soignant.

Mais l’accompagnement des proches dans le deuil pose un dilemme : est-ce du rôle du soignant ou celui de la société ? Les deux : les soignants dans les services avant le décès, lors du décès, et juste après le décès peuvent contribuer au bon déroulement du processus de deuil qui se poursuit ensuite à l’extérieur dans le monde.

Les soignants de notre société sont peu préparés pour accueillir les naufragés de la tourmente du deuil. Dans ce soin, peu abordé ou évoqué lors de la formation, peu s’aventurent.2 – Site Internet : http://fr.wiktionary.org/wiki/deuil� – Sigmund Freud, « Deuil et mélancolie », In : Oeuvres Complètes de Freud/

Psychanalyse vol 13. Paris, PUF, 1988. pp. 260-280.� – Wikipedia, site internet : http://fr.wikipedia.org/wiki/Travail_de_deuil

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Les uns s’évertuent avec leurs ressources humaines personnelles, d’autres se tiennent à distance, bloquent leurs affects, voilent le regard, ou se protègent dans l’activité qui nécessite une présence réelle et « justifie » leur évitement.

Le soin de l’endeuillé est vital. Les naufragés du deuil ne peuvent survivre s’ils ne sont pansés. Pour certains proches ce soin est préventif de pathologies ou addictions latentes prêtes à donner le jour dans la solitude. Par cette exposition à l’autre, l’attention à tout proche dans le deuil que ce soit l’ami, le mari, l’enfant, le soignant donne à l’endeuillé de trouver au cœur de cette vulnérabilité un espace pour donner sens à sa vie, à celle d’autrui, à l’affrontement à la mort.

Dans ce mémoire je chercherai à donner sens au soin des endeuillés, en milieu hospitalier : réfléchir, penser ce soin, connaître des moyens pour mieux l’appréhender.

Je présenterai une méthodologie d’appropriation du concept d’accompagnement et un éclairage éthique du deuil. Le soin du proche dans le deuil : rôle propre et en équipe de l’infirmière. Oser la juste proximité avec l’endeuillé, c’est une aventure humaine et professionnelle, l’attitude adaptée du soignant s’acquiert et se cultive. Le cheminement éthique est le fondement du soin au proche en deuil. On peut définir par éthique « cette commune humanité qui me pousse à la solidarité envers mon prochain »5

À partir de quatre situations vécues dans le service de soins de suite et de rééducation, en gériatrie – un service ou les soins curatifs et palliatifs se côtoient, « soigner pour guérir en principe mais pour mourir aussi », – je développerai quatre parties.

Dans une première partie, je présenterai les concepts philosophiques en lien avec le sujet : le proche, l’autre ; la mort, la vie ; le deuil, le processus de deuil.5 – Axel Kahn, conférence : « Peut-on maîtriser la mort ? » 10 mars 2009, Collège des

Bernardins, Paris.

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Dans une seconde partie, j’analyserai la manière dont est vécu le deuil dans notre contexte culturel. Quasi 80 % des personnes meurent à l’hôpital. La mort est reléguée ou confiée à l’hôpital mais les proches ne peuvent éviter d’être affectés par le deuil. L’individualisme de rigueur n’aide pas les proches à retrouver leur équilibre après un deuil. Les rites moins présents ne donnent plus cet espace d’expression individuelle et collective du deuil qui peut alors malheureusement se transformer en deuil pathologique.

Dans une troisième partie, je relèverai l’embarras constaté des infirmières pour ce soin : l’accompagnement des proches dans le deuil. Je présenterai le questionnaire préliminaire qui m’a permis de mieux cerner mon sujet et d’entamer la réflexion sur le terrain avec les soignants. J’exposerai ensuite les réponses. Je soulignerai l’apport des soins palliatifs pour un tel sujet. Enfin je définirai l’attitude soignante infirmière dans le cadre de l’accompagnement des proches dans le deuil, ce qui relève de son rôle propre et du rôle en équipe. En cela j’inviterai les soignants à une éthique en chemin appliquée au soin de l’endeuillé.

Dans une quatrième partie enfin, je décrirai les formations personnelles sur le sujet : la semaine de formation à St Christopher’s Hospice, deux colloques proposés à l’Espace Éthique -la mort à l’hôpital et la chambre mortuaire lieu d’hospitalité-. Je présenterai aussi d’autres apports, expériences aidantes dans le domaine. J’exposerai la méthodologie pour une appropriation du concept d’accompagnement et un éclairage éthique du deuil dans l’hôpital où je travaille en gériatrie. Et finalement je présenterai les différentes démarches entreprises auprès des soignants dans l’hôpital par le biais de ce mémoire.

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PROBLÉMATIQUE :

Le soin du proche dans le deuil est un soin délicat qui touche tant à l’intimité, il nécessite connaissance et respect. Les infirmières sont peu formées à ce soin lors de leur formation initiale, certaines l’ont seulement abordé succinctement en module optionnel le plus souvent. Elles ont ainsi tendance à se réfugier dans les soins techniques, évitent la relation avec les proches dans le deuil, ceci au détriment des endeuillés. D’autres puisent individuellement dans leurs ressources personnelles pour accompagner les endeuillés au risque de s’épuiser. Comment transmettre ce soin relationnel dans notre contexte actuel ?

L’enjeu de ce mémoire est double :

D’une part, en invitant les soignants à un questionnement et un cheminement éthique ainsi qu’au soin de l’endeuillé, on leur évite un épuisement professionnel dû aux situations psychologiquement lourdes, mal gérées, qui engendrent frustration et perte de sens.

D’autre part, améliorer le soin des endeuillés en milieu hospitalier présente un intérêt de santé publique car cela permet de favoriser un bon déroulement du processus de deuil et indirectement de réinsérer ce soin dans la société.

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HYPOTHESE :

Une méthodologie opérationnelle d’appropriation du concept d’accompagnement et un éclairage éthique du deuil permettent de cultiver le soin des proches dans le deuil en milieu hospitalier et par ce biais aussi en société

Cher lecteur,Je vous souhaite une saine plongée dans les tristes méandres du

deuil, je vous laisserai quelques bouées de sauvetage en cours de route, si vous en survivez vous vous sentirez peut-être aguerri avec un regard nouveau ou plus nuancé sur la vie.

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1 - CADRE CONCEPTUEL

Je vous convie déjà à penser différents concepts en lien avec le mémoire, déjà par le biais d’un récit, ensuite en vous donnant quelques éléments de réflexions à partir de certains auteurs ou documents, que signifie l’autre, le proche ? La mort de l’un, son incidence dans la vie de l’autre ? Que signifie le deuil ainsi que le processus de deuil ?

Récit : « le soin de l’endeuillé : leçon d’une proche »

Mme L ou plutôt Melle L est accueillie dans le service de SSR, en gériatrie, elle est atteinte d’un cancer avancé, en phase terminale. Sa mère centenaire (10� ans !), Mme L, s’en occupait au domicile ; exténuée, elle relègue le soin à l’hôpital mais souhaite accompagner sa fille jusqu’au bout et demande donc à être hospitalisée en sa compagnie.

Mlle L est sa fille unique, célibataire, sans enfant. Elle vivait en province lorsque le cancer a fait irruption dans sa vie, voici quelques années. Après des traitements aux résultats éphémères, elle accepte le soutien de sa mère et la rejoint à son domicile en région parisienne.

La relation entre les deux, tissée d’une complicité filiale forte, exclusive, fidèle, résistante aux aléas de la vie, s’intensifie.

La mère de Melle L, est une femme forte, légèrement voutée, qu’une prestance habille de ces longues années traversées vaillamment malgré les intempéries d’un siècle mouvementé. Sa

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force intérieure, son langage posé et sûr, son attitude déférente envers autrui, la plongent dans une éternité qui laisse bouche bée.

La fille, plus frêle, s’amenuise et s’efface dans un corps qui lui échappe peu à peu. Les deux se retrouvent, bon gré mal gré dans cette chambre double, la mère, côté fenêtre, la fille, côté porte ; la proximité pour les soins oblige.

Dès leur arrivée dans le service, la mère sert d’interlocutrice, sa présence suscite spontanément l’échange, la fille pourtant s’exprime encore. De temps en temps la mère fait remarquer discrètement : « mais vous pouvez le lui demander ». La mère nous renseigne sur ces maints détails qui agrémentent la vie quotidienne et facilite l’adaptation au soin.

Je les regarde toutes les deux, le tableau est pathétique. J’imagine en arrière-plan la relation maternelle, la mère-la fille, à la naissance, lors des premiers jours ; maintenant le temps suit le même cours à l’envers, plus le temps passe plus les liens sont forts, maternels.

Les rides, pour l’une, la maladie, pour l’autre, ont laissé leurs traces indélébiles et voici maintenant la fille aux bons soins de sa mère et de l’équipe soignante. Mystère de la vie… La mère laisse échapper, avec un soupir, lasse, son ressenti sans réponse : « Ce n’est pas juste, elle part avant moi. »

Les soignants sont émus. Lors de la réunion d’équipe, il est évoqué l’histoire de ce « couple », Mme L et Melle L, mère et fille, et leur relation qualifiée de fusionnelle. « Le décès de la fille risque d’être dramatique, et le décès de la mère risque de s’en suivre, il serait bon de les séparer pour éviter d’accroître le chagrin de la mère et lui éviter de voir mourir sa fille » « Elle ne s’en remettra jamais. »

À l’arrivée, le problème avait déjà été soulevé, mais devant l’insistance de Mme L qui venait pour accompagner sa fille, une chambre double pour les deux avait été acceptée, pour l’instant…

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La mère de Mme L est aux aguets, elle observe sa fille, l’épie de jour comme de nuit et rapporte aux soignants ce qu’elle constate. Elle évalue sa douleur et rassure les soignants « vous savez, je la connais bien ». Elle participe à des menus soins, comme lui mettre à disposition sa boisson…

Melle L. fille perd de sa capacité à se mobiliser, à communiquer, les métastases vraisemblablement l’envahissent…

L’après-midi la famille arrive, neveu, nièce et conjoints, certains amis. Ils compatissent pour Mme L, la mère, et s’épanchent auprès des soignants : « Cela doit-être dur pour sa mère, c’est le monde à l’envers, elle ne s’en remettra pas. »

Devant l’insistance de certains soignants qui souhaitent préserver la mère d’un décès insurmontable, une tentative de séparation est envisagée. Cette proposition à peine évoquée, Mme M, blessée de se sentir incomprise, réitère sa demande initiale- pourtant claire pour elle- de pouvoir accompagner sa fille jusqu’au bout. Son ton respectueux mais péremptoire ne laisse pas de place à la discussion, « soit »

Je regarde cette femme, « elle a dû en voir d’autres, les années de guerre, les décès de proches, amis… » me dis-je.

Les journées passent… La mère de Melle L accepte de prendre un petit traitement anxiolytique en soirée, cela l’aide à dormir.

L’équipe de l’aumônerie assure aussi un soutien auprès de Mme L et de sa fille, croyantes.

Aux transmissions, on évoque l’affaiblissement progressif et notoire de Melle L. Certains soignants se retranchent devant la décision de Melle L, dubitatifs… en redoutant le moment fatidique, « pourvu que ce ne soit pas pour cette fois-ci »

Un week-end, en début d’après-midi, aux transmissions, je perçois que la fin de Melle L semble imminente…

Lors de ma visite dans la chambre, je découvre en effet Melle L avec une respiration atténuée, le visage blême et le regard absent,

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une pause respiratoire transitoire… je comprends. J’essaye de ne pas trop manifester d’inquiétude en présence de la mère, pour ne pas lui susciter d’angoisse supplémentaire, me retire et avise.

La surveillante du service passa à ce moment-là, je lui confie que le départ de Melle L semble très proche. Elle évoque un changement de chambre. Je lui dis que pour l’instant cela se passe plutôt bien et qu’elle avait dit auparavant qu’elle ne le souhaitait pas. « C’est donc bien comme cela ».

Je préviens l’interne de garde, tout en lui signalant que Mme L est en fin de vie, en soins palliatifs, la famille est au courant de la situation. Il signale qu’il passera pour évaluer son confort et qu’il prend note. L’interne passe, effectivement elle est en phase d’agonie, mais semble confortable.

Je retourne voir Melle L, les pauses respiratoires s’intensifient. Je m’installe aux côtés de la mère et ose lui confier : « votre fille n’est pas bien ». « Je sais, elle va partir, elle n’est vraiment pas bien ? » dit-elle en tournant son regard vers elle. Je confirme : « Elle n’est vraiment pas bien », avec une certaine émotion qui trahit la gravité de l’annonce. J’ose : « Vous savez, je peux vous installer à ses côtés, baisser la ridelle… ». « Oui, merci ».

Je l’installe dans le fauteuil, à ses côtés, proche pour qu’elle puisse la soutenir et lui parler dans l’intimité. La mère de Melle L a compris.

Je les laisse seules.Je retrouve les aides-soignantes et les informe de la situation

tout en les rassurant, pour l’instant cela se passe bien.Je vaque à mes occupations.Je repasse dans la chambre. Sa fille est inerte. « Ça y est », me

dis-je. Je regarde furtivement la mère qui me semble dans d’autres sphères.

Je la touche délicatement sur l’épaule et lui dis : « Elle est partie, c’est fini. » Elle me regarde : « ah bon ? ». Un soupir long

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des années d’accompagnement, d’espérance et de désespoir… Tout est clos dans cet instant : « Ça y est, elle est partie ». Elle cherche à s’approcher d’elle, avec des larmes dans les yeux, ses émotions refoulées jusqu’à maintenant « pour tenir », débordent sans retenue et s’épanchent dans ce silence sombre.

J’appelle l’interne : « ça y est ». Il arrive, constate le décès, parle avec la mère et joint le proche référent.

Je préviens les soignants, les rassure « la mère de Melle L est à ses côtés, je la sens forte ».

La famille proche arrive. Le neveu, très anxieux, agité, me prend à part en me disant : « Sa mère ne supportera jamais, elle va en mourir, vous feriez-bien de lui augmenter les anxiolytiques parce qu’elle ne va pas dormir ». J’essaye de le rassurer : « Mme L est étonnante, elle a une grande assurance intérieure, en revanche, je me demande si pour vous, un anxiolytique pour ce soir ne serait pas bien… » Il sourit, et admet : « peut-être bien »

Je propose à la mère de Melle L et aux proches de se retrouver ensemble dans le lieu de vie, le temps de réaliser la toilette mortuaire. Je conduis Mme L et son entourage là-bas. Je la vois mener la conversation et tempérer l’ambiance, Elle m’épate !

Lors de la toilette mortuaire, l’aide-soignante émue observe que le visage de Melle L s’est détendu. « Elle est belle » dit-elle, avec cette retenue à laquelle invite la circonstance… de cette beauté qui se fige dans le passé et le futur d’une mémoire qui la cherche, « Elle n’est plus ».

Je propose à l’entourage de regagner sa chambre et de se recueillir auprès d’elle. Ils acceptent et se retrouvent installés à ces côtés, certains assis, d’autres debout. Ils chuchotent ou se recueillent en silence, selon.

Nous évoquons entre soignants l’éventualité d’un changement de chambre pour éviter à Mme L, mère, l’inconfort d’une nuit seule

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après cet évènement. Et nous organisons la descente du corps pour le début de la soirée.

Les proches semblent se disperser, je propose à la mère et au neveu référent l’organisation possible. Ils sont d’accords pour que le corps descende assez rapidement en début de soirée, le neveu pense que de dîner à l’extérieur de la chambre serait plus propice. La mère préfère partager son bol de soupe, du pain et du fromage ou une compote, là, maintenant qu’elle se trouve avec eux, cela ira comme cela. Elle dit qu’elle remercie pour l’attention mais pour cette nuit, « Je suis fatiguée, je dormirai bien, je crois que cela ira sans médicament ». En revanche, elle accepte le changement de chambre pour le lendemain :

« Sinon, je vais déprimer toute seule, il vaudrait mieux que je sois avec quelqu’un ».

Melle L a été conduite en soirée en chambre mortuaire. Mme L, la mère, a bien dormi.

Mme L se réveille et entame une relation avec sa voisine. « C’est dur, avoue-t-elle aux soignants, mais cela va aller ». Le choc de la veille lui rappelle son grand-âge et la resitue devant sa vie, « la vie continue, il ne faut pas que je me laisse aller ».

Lors de la réunion de service, le médecin du service relate le décès étonnement bien vécu en l’occurrence, « mais restons vigilants ».

Les jours suivants, Mme L envisage son retour au domicile. Les proches sont étonnés de la voir ainsi évoluer. Plusieurs s’apprêtaient à gérer un second deuil consécutif !

Et voilà que Mme L réclame, – à l’affolement des proches, « cela va lui faire un choc terrible de la revoir morte, à quoi bon, ce n’est pas bon pour son moral » – de pouvoir se rendre à la mise en bière à la chambre mortuaire. Elle s’adresse au médecin, qui, réticent, tente de freiner son élan, en vain : « je souhaite l’accompagner jusqu’au bout » affirme-t-elle.

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Les bénévoles de l’aumônerie sont de même inquiets, « et s’il arrive quelque chose » « Laissons la famille gérer le transport de Mme L jusqu’à la chambre mortuaire, nous, nous assurons la levée de corps ».

Mme L se rend à la levée de corps et à la stupéfaction de tous elle se rend aux funérailles, jusqu’au cimetière… et revient bien vivante dans le service. Le neveu n’avait plus qu’à se plier à sa demande, « quel exploit ! ». Elle a bien dormi.

Mme L noue une relation sympathique avec sa voisine, âgée de 88 ans, qui finit par se sentir bien petite devant elle… « Cela va finir par me déprimer… mais quelle leçon de vie ! »

Mme L s’en va, centenaire vaillante et déférente envers les soignants, remerciant d’avoir pu accompagner sa fille jusqu’au bout. Elle emmène avec elle, malgré elle, sa sagesse sempiternelle.

Je rencontre quelques jours plus tard la psychologue, de retour de vacances, et lui relate l’histoire, le dénouement ne l’a pas tant surprise : « vu l’histoire de cette femme, son vécu antérieur, cela pouvait bien se passer ».

Relecture à thèmes du récit

Le proche/L’autre

Dans ce récit la relation forte entre la mère et la fille qui portent le même nom, se retrouvent dans une même chambre tend à créer une union voir un assentiment profond entre les deux. Fille unique, célibataire, sans enfant, Melle L se retrouve aux petits soins de sa mère, veuve. Melle L atteinte d’un cancer avancé languit ravagée dans son corps par ce fléau qui la ronge, sa mère forte et vaillante dans son grand-âge veille sur elle et souhaite l’accompagner

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jusqu’au bout. Ce qui les unit si fort se distend dans cette réalité physique si différente. Le cheminement de la mère si proche maternellement par sa présence, son attention auprès de sa fille qui revient se rapprocher dans sa faiblesse dans cette sécurité et affection maternelle après une vie indépendante en province : tout les rapproche et les sépare en même temps. La fille malade s’en va, son corps s’étiole et ne laisse bientôt plus qu’un soupir-le dernier soupir- que Mme L happe et elle poursuit dans cette vigueur, cet élan vital qui lui donne de continuer sa vie.

La vie/La mort

Mme L et Melle L se trouvent confrontées en dépit de leur volonté à cette cruelle réalité. « L’être humain est mortel ». Mme L est affectée par cette injustice pour elle, celle de voir sa fille partir avant elle, ce qui est contraire au mouvement logique de la vie, et défie son bon sens, elle ne peut qu’acquiescer impuissante.

Mais Mme L est forte et ancrée dans une espérance qui la porte enracinée dans une foi discrète qui la conduira à accompagner ses proches à son tour et à effectuer cette varappe héroïque jusqu’au cimetière. Mme L est présente lors du dernier soupir, la proximité, l’intimité des deux âmes. Cela lui donne la satisfaction d’avoir accompli son désir le plus profond : accompagner sa fille jusqu’au bout.

Incomprise de certains soignants affolés par cette démarche téméraire à leurs yeux et à risque de dépression consécutive, Mme L est contrainte avec son grand âge de se faire entendre et accepter dans sa démarche. Ces soignants réticents ne l’avaient pas située dans son contexte, son histoire, et analysaient trop la situation d’après leur propre réaction spontanée qui peut être l’évitement face à la mort pour s’auto-protéger. Le dénouement a surpris ces soignants qui ont été impressionnés de contempler

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l’énergie et la force tranquille de cette femme, qui même après le décès avec sa tristesse justifiée, continuait de s’ouvrir aux autres, toujours lancée dans cette vie qui la portait malgré elle comme elle disait : « elle s’en va et moi je reste, ce n’est pas juste ».

Le deuil/Le processus de deuil

Melle L est partie progressivement, son corps amoindri s’affaiblissait journellement, inéluctablement la mort se faisait proche. Mme L connaissait le diagnostic et le pronostic létal, elle était consciente de la situation même si elle n’exprimait pas forcément ses sentiments par rapport à la mort prochaine. Elle savait qu’elle allait mourir sous peu, ne savait pas exactement quand mais ne s’acharnait pas non plus à le savoir.

Elle donnait au moment présent son attention, ses menus gestes de soutien, ce qui était à sa portée… servait de relais avec les soignants et surtout accomplissait par sa présence son devoir et son souhait profond. Sa revendication à pouvoir être présente jusqu’au bout n’est pas anodine, c’est dans cette proximité fidèle qu’elle veut à sa manière soutenir sa fille.

La possibilité qui lui fut offerte de pouvoir vraiment être installée toute proche lors du dernier soupir fut pour elle ce temps d’épanchement intérieur dans l’intimité de cette réalité si dure à assumer.

Elle part, la mort laisse la place à la vie qui s’en va dans ce dernier souffle et se dit dans ce corps maintenant inerte qui pourtant esquisse un visage paisible d’où émane une certaine beauté qui se fige. Mme L a le temps de se recueillir, elle a vu et compris et peut accompagner les proches à son tour. Elle a besoin de temps pour intégrer ce décès douloureux, la mort de sa fille unique la rend triste mais sa foi alimente cette flamme intérieur vacillante et lui donne de continuer dans son chemin de vie. Sa religion lui donne les moyens de se ressourcer dans sa pratique.

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Le temps d’adieu à la chambre mortuaire vient parachever l’au revoir au corps défunt et se donne de s’exprimer dans la cérémonie religieuse qui vient la consoler dans son espérance. Son acheminement au cimetière est le comble de son désir d’accompagner jusqu’au bout… Mme L revient et par sa seule manière d’être, a donné une leçon aux soignants et aux proches.

Le décalage entre les générations, Mme L centenaire, les soignants plus jeunes, marque le décalage dans la manière d’appréhender la mort et la vie.

1.1 Le Moi/Le prochain/L’Autre

L’homme est un animal politique, « zoon politicon » disait Aristote, il ne vit pas seul ce qui fait son humanité c’est sa sociabilité. Tout être est singulier, sujet personnel, unique. Quel est le rapport du moi à l’autre dans cette vie en société ?

C’est dans le sillon de Lévinas, philosophe du XXe siècle, que je vous propose de découvrir la relation du sujet à l’autre, dans cette responsabilité qui est pour lui le cœur de l’éthique6.

Dans « L’ontologie est-elle fondamentale »7 Lévinas rappelle bien que l’ontologie (ontologie : science qui étudie l’Etre) n’est pas pour lui fondamentale.

Il refuse cette primauté de l’ontologie accordée à la philosophie classique occidentale et reprise par la philosophie contemporaine.

Il critique la philosophie de Heidegger qui rapporte tout étant à l’être et qui donc implique que toute compréhension de l’étant se situe dans « l’ouverture de l’être ». Pour Lévinas la relation à autrui ne se réalise aucunement au niveau de la compréhension qui

6 – Adaptation d’une rédaction réalisée dans le cadre d’un séminaire sur Lévinas, Cécile Furstenberg « La responsabilité jusqu’à la substitution », Paris, ���8.

7 – Emmanuel Lévinas, « L’ontologie est-elle fondamentale ? » In Phénoménologie-Existence, Colin, 1953, p. 193-203

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obligerait à exercer une domination, une violence ou un pouvoir sur l’autre. Cette relation à autrui doit être rencontre avec un frère et l’accueil du commandement : « Tu ne tueras pas ». Cette relation à l’autre, cette découverte du visage, cette réponse à l’invocation de l’autre est ouverture sur l’infini.

Emmanuel Lévinas dit clairement que le sujet ne s’accomplit vraiment qu’en passant par le détour de la rencontre de l’autre, et donc de l’intégration de l’éthique et du commandement moral : « tu ne tueras pas ». Toute personne est dotée d’une conscience qui est « présence de soi à soi » et « passe pour le thème ultime de la réflexion »8. Cette réflexion permet à tout homme de réfléchir sur soi et sur l’existence. Elle lui donne cette capacité de savoir, de comprendre. Mais ce genre de compréhension pour Lévinas peut conduire au narcissisme, au repli sur soi, à la finitude. Or l’homme est appelé à vivre une expérience d’humanisme qui n’a rien de comparable avec une connaissance stérile qui centrerait l’homme sur le pouvoir.

Seul l’autre, extérieur à soi, peut permettre au sujet de sortir de l’égoïsme et de l’ouvrir à l’infini. Mais pour cela encore faut-il que l’autre ne soit pas considéré comme un étant quelconque, ce qui impliquerait encore une relation de domination, de possession, de compréhension qui en fait est une violence, une négation de l’autre.

Dans la rencontre de l’autre il faut passer par le commandement « Tu ne tueras pas », soit connaître son pouvoir mais aussi son impossibilité : autrui n’existe qu’à partir du moment où j’accepte de ne pouvoir tuer.

L’autre apparaît alors dans la hauteur, comme visage. Visage qui est parole. La morale devient « critique et principe de la présence de soi à soi »�. Ainsi « le visage d’autrui serait le commencement

8 – Emmanuel Lévinas, « La philosophie et l’idée de l’Infini », dans revue de métaphysique et de morale, Colin, 1957, N° 3.

9 – Emmanuel Lévinas, « La philosophie et l’idée de l’Infini », Ibidem.

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même de la philosophie »10. C’est cette philosophie que nous allons tenter de découvrir, philosophie qui n’aboutit pas à la négation du moi, même si elle oblige le sujet à passer par le sacrifice. Le sujet se retrouve dans le chemin d’humanité, de responsabilité.

L’autre est obligatoirement « absolument autre »��, extérieur au moi. Ce visage est donc « épiphanie »12. « La manifestation du visage » est le premier discours. Le moi ne peut avoir aucune emprise sur ce visage, celui-ci se donne dans la nudité « sans défense »��, un regard qui doit être regardé, une parole, un logos « tu ne tueras point » qui doit être respecté.

On ne peut nier que l’autre s’inscrive dans une culture déterminée, appartienne à une histoire particulière personnelle, soit membre d’une société donnée. Mais le visage n’est pas le « dévoilement d’un monde »��, ce visage est vraiment nu. En cela ce visage est « extraordinaire » et devient « révélation »15.

Cet autre, ce visage énigmatique n’est pas un idéal purement abstrait, bien qu’il se profile dans le sillon de l’infini. Le visage de l’autre c’est mon prochain, mon frère en humanité, incarné. Dans cette rencontre du moi à l’autre Lévinas ne refuse pas la corporéité ni la sensibilité qu’il dénomme aussi contact.

Mais Lévinas tient aussi bien à distinguer ce contact, cette caresse de la vraie proximité fraternelle désintéressée, de la sensualité érotique 16. Ce visage « s’alourdit d’une peau »17 et la proximité est possible par ce « détour de l’incarnation »�8. Autrui

10 – Emmanuel Lévinas, « La philosophie et l’idée de l’Infini », Ibid.11 – Emmanuel Lévinas, « La philosophie et l’idée de l’Infini », Ibid.12 – Emmanuel Lévinas, « La philosophie et l’idée de l’Infini », Ibid.13 – Emmanuel Lévinas, « La philosophie et l’idée de l’Infini », Ibid.�� – Emmanuel Lévinas, « La trace de l’autre », paru dans Tijdschrift vor philosophie, 1963,

N° 3.15 – Emmanuel Lévinas, « La trace de l’autre », Ibidem.16 – Emmanuel Lévinas, « Dieu et la philosophie », Le nouveau commerce, 1975.17 – Emmanuel Lévinas, « La proximité », dans Archives de philosophie, n° 3�, 1 971.�8 – Emmanuel Lévinas, « La proximité », Ibidem.

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peut se trouver dans la misère, le besoin, la souffrance. L’autre m’appelle et m’invoque par sa présence, sa pauvreté. Cet autre ne vient pas satisfaire un besoin du moi. En effet le besoin et la satisfaction provoquent le retour sur soi et l’égoïsme. Autrui en revanche permet au moi de réaliser son désir par la générosité. Ce désir « est notre socialité »��.

L’autre et le moi ne se trouvent pas dans une relation fermée à tout autre. Le tiers fait intrusion dans cette relation en binôme. Le moi est appelé à la rencontre avec Autrui et autrui. Le tiers vient ouvrir une brèche dans cette relation bipolaire et donne naissance à la justice. C’est dans cette communauté, fraternité que deviennent effectives la solidarité et l’humanité. La relation du moi à l’autre et aux autres n’appartient pas au domaine de l’immanence, même si elle se réalise dans ce monde. Le visage appartient à la transcendance et ne peut être réduit par le moi à l’immanence. La rencontre avec l’autre, la visitation du visage est une expérience de transcendance.

Si Lévinas qualifie l’autre de « prochain » il tient à dire que l’autre est absolument Autre et élément d’abstraction qui permet la « percée » du concret et la transcendance. Dans cette trace se trouve le signe. Le signe qui permet de recevoir le sens du langage. Ce signe est différent du signe que l’on émet volontairement pour communiquer et qui fait partie des signes auxquels correspond une signification connue et déterminée. Ce signe nous dit la signification du visage avec tout ce qu’il comporte d’énigme.

Cette trace n’appartient pas au temps du monde. Elle se trouve dans un passé qui ne peut resurgir dans aucun souvenir parce qu’il est « passé plus éloigné que tout passé »20, « immémorial ». Cette trace est « passe »21. En ce sens elle n’est pas signe au sens concret. Elle est la présence de l’Absent.

�� – Emmanuel Lévinas, « La trace de l’autre », op. cit.20 – Emmanuel Lévinas, « La trace de l’autre », op. cit.21 – Emmanuel Lévinas, « La trace de l’autre », op. cit.

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Cette trace ne peut-être considérée comme un « tu » tel qu’autrui. Pour qu’elle soit irréversible il faut qu’elle corresponde à la troisième personne. En effet dans une relation moi-tu, l’ipséité n’aurait pu se confirmer comme supérieure, or grâce à la relation avec « l’illéité »22, la trace échappe à toute emprise du moi, ainsi qu’à l’ordre du monde.

Si la transcendance et Dieu se situent dans la hauteur c’est dans un mouvement de descente qu’il rencontre l’homme. « L’humilité est la pauvreté de Dieu » se disent dans « cette proximité de l’infini », qui demeure « cette voix de fin silence »23. Dieu va jusqu’à « s’infliger une humiliation » car comme créateur il accepte de s’abaisser au niveau de sa créature. Cette relation de moi à autrui qui se trouve dans la trace, est rencontre avec « Dieu-homme ».

Cette rencontre du moi et de l’autre n’est pas une proximité anodine, fortuite sans incidence. Elle est vivante, humaine. L’autre interpelle, invoque le moi dans sa nudité qui ne peut rien faire d’autre que répondre : « l’épiphanie de l’Absolument Autre est visage où l’autre m’interpelle et m’ordonne de par sa nudité, son dénuement »2�. C’est cette réponse du moi à autrui qui est responsabilité. C’est dans cette responsabilité que le moi peut vraiment devenir moi.

Cette responsabilité a ceci de particulier qu’elle ne peut être le fruit de l’intentionnalité ou d’un engagement conscient et réfléchi du moi. Cette responsabilité n’est possible que parce qu’elle est précédée de l’élection du moi.

L’autre m’appelle de façon immédiate, avant que le moi ne puisse construire un quelconque projet.

« L’idée de l’infini consiste en une impossibilité de se dérober à la responsabilité, elle consiste dans l’impossibilité de s’arrêter 22 – Emmanuel Lévinas, « La trace de l’autre », op. cit.23 – Emmanuel Lévinas, « Un Dieu homme ? » Conférence donnée à la session des intellec-

tuels catholiques français en 1968.2� – Emmanuel Lévinas, « Transcendance et hauteur », conférence de 1962, devant la

société de philosophie.

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et en l’absence de toute cachette, de toute intériorité où le Moi pourrait reposer harmonieusement sur soi »25.

L’appel de l’autre est urgent et en quelque sorte le moi ne peut-être qu’en retard dans sa réponse. « Retard irrécupérable, « j’ai ouvert… il avait disparu », ma présence ne répond pas à l’extrême urgence de l’assignation »26. Dans la relation du moi et de l’autre est présente cette inquiétude due à l’anachronisme de la proximité. « La proximité n’est pas simple coexistence, mais inquiétude »27. Elle demande une constante vigilance, attention.

La responsabilité donne à l’existence de tout homme une certaine gravité, la vie humaine et la relation aux autres ne se prêtent pas au jeu. « Rien n’est plus théâtre, le drame n’est plus jeu. Tout est grave »28. Celui qui veut vivre dans la réalité doit être responsable, l’irresponsable est celui qui demeure dans le jeu, le théâtre, l’illusion. Le jeu est toujours lié à l’intéressement. Au jeu correspond « l’enjeu-argent ou honneurs »29. La responsabilité qui oblige de vivre dans la réalité demande désintéressement.

Le moi responsable répond : « Me voici ». Cette réponse est donnée dans la passivité, elle est « passivité de la passivité »30, le sujet se retrouve à l’accusatif. Le moi obéit à un commandement. « L’autre m’assigne avant que je ne le désigne »��. Ceci implique que ma réponse n’est pas le fruit d’un engagement construit et choisi par le moi, même si cette réponse aboutit à un vrai engagement dans le sens où le moi est entièrement donné à cette responsabilité. Le moi devient assiégé par les autres. « Cette obsession est la responsabilité ».

25 – Emmanuel Lévinas, « Transcendance et hauteur », op. cit.26 – Emmanuel Lévinas, « Un Dieu homme ? », op. cit27 – Emmanuel Lévinas, « La proximité », op.cit.28 – Emmanuel Lévinas, « Un Dieu Homme ? », op. cit.29 – Emmanuel Lévinas, « Au-delà de l’essence », dans la revue de métaphysique et de

morale, juillet 1970, n° 3.30 – Emmanuel Lévinas, « La proximité », op.cit.�� – Emmanuel Lévinas, « La proximité », op.cit.

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Le moi est constamment délogé et ne peut reposer sur le moi. Le moi est sans cesse appelé à se « vider de soi, s’absoudre de soi comme une hémorragie d’hémophilique… »32. Le moi alors vit « pour l’autre ». La fin de la responsabilité est la substitution. La responsabilité va jusqu’à la substitution qui est définie par « l’un pour l’autre ». La responsabilité du moi pour l’autre, pour sa misère, pour sa souffrance, pour ses péchés. Cette substitution est la prise en charge de l’autre, « maternité pour l’autre »��.

Cette prise en charge de l’autre peut concerner la considération des biens matériels, la misère physique de l’autre, sa souffrance morale. Elle suppose oubli de soi et attention aux besoins de l’autre et une réponse qui peut demander une action concrète. Cette « maternité » envers l’autre peut conduire à « aller jusqu’à s’arracher le pain de la bouche et faire don de sa peau à autrui »��. Tout moi est appelé à cette responsabilité de l’autre, de sa vie. Tout moi est appelé à « être gardien de son frère ».

Lévinas nous invite à déloger notre moi pour entendre l’appel de l’autre dans sa détresse et répondre « me voici » dans cette alliance relationnelle ou le lien est tissé par l’éthique qui est responsabilité.

Cette traversée de la pensée de Lévinas vous donnera de mieux comprendre par la suite l’intérêt de son œuvre dans la pratique des soins et pour un meilleur ajustement de la relation soignant soigné. Pour oser la proximité avec l’autre souffrant il faut cette disposition de responsabilité, ou le moi comme l’autre se retrouvent. La responsabilité permet la respiration du moi. En effet le sujet replié sur soi « étouffe », la substitution permet au moi d’inspirer, cette inspiration est « le pneuma même du psychisme »35.32 – Emmanuel Lévinas, « La proximité », op.cit.33 – Emmanuel Lévinas, La substitution, dans Autrement qu’être ou Au-delà de l’essence,

La Haye, Dordrecht, 1988.3� – Lévinas, « La substitution », dans Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, Ibid.35 – Emmanuel Lévinas, La Substitution, dans Autrement qu’être ou Au-delà de l’essence,

Ibid.

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1.2 La vie/la mort

« La mort : cessation de la vie ». Interrogeons maintenant la mort à la lumière de la vie.

L’étymologie du mot mort dans d’autres cultures est intéressante.36

Chez les Hébreux le mot mort est Moth ; il évoque également le changement d’état. Cette racine a donné Mother, Mutter, mère, mutation, must, maturation matière… L’étymologie du Mot Mort nous montre un parallèle entre ce qui est source de naissance à la vie, (la mère) sur le plan terrestre et la mort, la naissance à une autre vie.

Chez les chinois nous avons également ce parallèle en effet, la naissance et la mort sont le même mot An ou Chen. Selon eux tout ce qui naît a déjà existé et tout ce qui meurt existera toujours… Chez l’égyptien, le chinois, et pour tous les peuples anciens de la planète, la Mort est une naissance pour une autre vie, une renaissance.

Chez les anciens Egyptiens Le mot mort « Mouth » signifie mutation, Changement d’état et non cessation de vie. C’est la même racine que Maat (Vérité) Lorsque l’égyptien parle de la mort, il emploie des mots très poétiques.

Mourir = « sortir » pour aller au « ciel », sortir en égyptien est le même mot qui est employé pour une graine qui éclot dans la terre.

Dans l’aire méditerranéo-mésopotamienne on a mis très tôt les souffrances de l’homme en rapport avec celles d’un dieu. C’était leur 36 – Site internet : www.lugernos-dossiers.blogspot.com à étymologie du mot mort.

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donner un archétype, les faire accéder à la normalité. Le mythe le plus célèbre de cette catégorie est le mythe de la souffrance, de la mort et de la résurrection de Tammouz.

« Ishtar, déesse de l’amour et de guerre (c’est-à-dire qui régit la vie et la mort) épouse le berger Tammouz qui devint ainsi le souverain de la cité. Un jour, Ishtar décide de descendre aux Enfers (séjour des morts) pour supplanter sa sœur aînée, c’est-à-dire pour abolir la mort. Elle réussit à pénétrer dans le palais de sa sœur, mais doit se dépouiller de tous ses vêtements, c’est-à-dire abandonner tout son pouvoir. Sa sœur la fixe alors du regard de la mort et son corps devient inerte. Des messagers venus du monde d’en haut parviennent à la rejoindre, mais les sept juges de l’enfer la retiennent en disant : « Qui donc, descendu aux enfers, est jamais remonté de l’enfer sans dommage ? Si Ishtar veut remonter des enfers, qu’elle fournisse un remplaçant ! « Le remplaçant sera son mari Tammouz.

Devant les lamentations de Tammouz, la souveraine des enfers décide qu’il ne restera qu’une moitié de l’année dans le monde des morts et que sa sœur le remplacera pour l’autre moitié.

Comment interpréter ce mythe ? Il raconte l’échec de la déesse de l’amour et de la fertilité pour conquérir le royaume de sa sœur, c’est-à-dire pour abolir la mort. Les hommes doivent accepter comme le dieu Tammouz l’alternance vie/mort. La vie et la mort sont deux faces d’une même réalité, la vie et la mort formant un tout indivisible. Mais ce drame rappelait aussi à l’homme que la souffrance n’est jamais définitive, que le mort est toujours suivie de résurrection, que toute défaite est annulée et dépassée par la victoire finale. » 37

37 – Ralph Stehly, Professeur d’histoire des religions, Université Marc Bloch, StrasbourgSite Internet : http://www.persocite.com/orient/mort.htm

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La séparation de l’âme et du corps

La séparation de l’âme et du corps est une croyance qui s’est développée en particulier dans le monde indo-européen. Encore aujourd’hui dans nos campagnes, quand un décès se produit, on ouvre la fenêtre. Dans diverses religions on évoque le départ de l’âme au ciel. Résurrection dans la religion chrétienne, Réincarnation dans les religions de l’Inde… différents modes d’existence après la mort s’expriment dans les religions ou des formes de croyance diverses. Si cette transformation évoque la permanence d’une présence sous un autre mode il n’en demeure pas moins que la mort reste une épreuve douloureuse pour le survivant.

La communauté des vivants doit continuer de vivre

La communauté des vivants a été affaiblie par la mort d’un de ses membres. Il faut donc faire redémarrer au plus vite la vie. Ceci explique les repas funèbres festifs.

Il faut aussi entretenir la vie des morts. On leur fournit de la nourriture, des libations, des fleurs. Dans sa forme la plus spiritualisée, le culte des morts se borne à la prière pour les morts où s’exprime l’idée d’une communauté agrandie qui unit les vivants et les morts. Les vivants peuvent intercéder pour les morts, et les morts aussi peuvent continuer à influencer le cours des choses ici-bas.

La mort d’autrui

Si la mort interroge l’homme car elle le situe devant la précarité de sa vie, la mort de l’autre l’affecte, le blesse. L’amitié qui unit deux êtres et leur donne de savourer d’un soutien mutuel fidèle, rend

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la mort de l’autre d’autant plus amère. Voici quelques méditations autour des écrits et de la vie de Michel de Montaigne, humaniste français du XVIe siècle.

Montaigne et La Boétie

L’amitié qui unit Montaigne et La Boétie est restée célèbre comme un exemple d’amitié parfaite, illustrée par les fameuses lignes :

« Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui ; parce que c’était moi »

Ces mots résonnent d’autant plus tragiquement que cette amitié était encore jeune puisque les deux hommes s’étaient rencontrés au parlement de Bordeaux en 1 557 et que La Boétie devait s’éteindre en 1563, à peine âgé de 33 ans.

Montaigne a écrit une lettre à son père au sujet de la mort de son ami Étienne de la Boétie. Il ne publiera cette lettre qu’en 1 571 à Paris. De ce récit, voici une page qui relate le moment crucial d’un cœur à cœur entre deux amis :

« Mon frère, me dit-il, tenez-vous auprès de moi, s’il vous plaît. Et puis, […] il prit une voix plus éclatante et plus forte, et donnait des tours dans son lit avec tout plein de violence […] Lors entre autres choses, il se prit à me prier et reprier avec une extrême affection, de lui donner une place : de sorte que j’eus peur que son jugement fût ébranlé. Même que lui ayant bien doucement remontré, qu’il se laissait emporter au mal, et que ces mots n’étaient pas d’homme bien rassis, il ne se rendit point au premier coup, et redoubla encore plus fort : Mon frère, mon frère, me refusez-vous donc une place ? Jusqu’à ce qu’il me contraignît de le convaincre par raison, et de lui dire, que puisqu’il respirait et parlait, et qu’il avait corps, il avait par conséquent son lieu – Voire, voire, me

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répondit-il lors, j’en ai, mais ce n’est pas celui qu’il me faut ; et puis, quand tout est dit, je n’ai plus d’être. Dieu vous en donnera un meilleur bientôt, lui fis-je. Y fussé-je déjà, mon frère, me répondit-il, il y a trois jours que j’ahane pour partir. »

Si Montaigne n’a pas capté immédiatement le sens précis de la prière de son ami, plus tard il s’acquittera de son devoir de lui accorder une place dans sa vie. Il nous donne de comprendre que le deuil de l’autre est d’autant plus douloureux que l’amitié ou les liens sont forts.

Victor Hugo déplore le décès de Léopoldine

La poésie, par son expression symbolique est un remède pour l’âme endolorie par le deuil, voici l’écho d’une âme poète Victor Hugo en peine du décès irréparable de sa fille Léopoldine.

À bord du voilier de la vie dans les flots du deuil de cette mer infinie, tourmentée, je vous invite lecteur à voguer, en la triste mais douce compagnie d’un poète alangui par l’absence de son enfant partie. A Villequier, cette poésie exprime bien la souffrance du survivant qui s’étale dans le temps en des échos en pleurs dont voici un extrait : (je vous invite à le lire en son intégralité le détour est mérité)

« Les mois, les jours, les flots des mers, les yeux qui pleurent, Passent sous le ciel bleu ; Il faut que l’herbe pousse et que les enfants meurent ; Je le sais, ô mon Dieu !

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Dans vos cieux, au-delà de la sphère des nues, Au fond de cet azur immobile et dormant, Peut-être faites-vous des choses inconnues Où la douleur de l’homme entre comme élément. Peut-être est-il utile à vos desseins sans nombre Que des êtres charmants S’en aillent, emportés par le tourbillon sombre Des noirs événements. »

Demain dès l’aube… Quelque peu consolé Victor Hugo intériorise l’absence de sa fille en une présence intérieure que le simple rite de la promenade au cimetière induit.

Demain, dès l’aube…

« Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends. J’irai par la forêt, j’irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. »

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Lançons-nous maintenant à la suite de Victor Hugo dans les méandres du processus du deuil…

1.3 Le deuil/le processus de deuil

Le deuil d’après le Petit Robert est : affliction, tristesse, douleur que l’on éprouve à la perte de quelqu’un.

« C’est un processus intérieur qui consiste à traverser, maîtriser, dépasser, reconnaître une perte majeure. Processus physique qui consiste à exprimer les émotions liées à la perte » Carlson.

La définition suivante est similaire en son sens bien que Carpenito précise qu’il y a possibilité de deuil relatif à une perte à venir.

« Etat dans lequel un individu ou une famille éprouve une perte réelle ou le sentiment d’une perte (statut, fonction, objet, relation, personne) ou état par lequel un individu ou une famille réagit à l’idée d’une perte à venir. » (Carpenito).

Depuis les temps les plus reculés, le deuil désignait les réactions sociales entraînées par la mort d’une personne, c’est-à-dire l’ensemble des usages, rites, coutumes, restrictions imposées en toutes circonstances. Ce sens se conserve dans l’expression « être en deuil ». Le mot deuil a une terminologie sociale dans la version française.

Voici différentes expressions en lien avec le mot deuil.

• Être en deuil : Statut de quelqu’un qui vient de perdre un être cher. À présent le deuil désigne de plus en plus la réaction psychologique, subjective, personnelle ou familiale à la perte de quelqu’un ou de quelque chose d’important et l’expression « faire son deuil » dans le

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sens de devoir accepter une perte. La mort restera toujours au cœur du deuil, en raison de son universalité, implacabilité, radicalité, et de son irréversibilité. Elle constitue la perte, la limite par excellence, la mort des personnes aimées et préfigure la nôtre.

• Faire son deuil : Ensemble des états affectifs que vit l’endeuillé/se résigner à en être privé de…

• Porter le deuil : signaler sa situation par des marques extérieures socialement imposées.

Dans la terminologie anglaise l’on trouve trois mots différents qui rendent compte de l’ensemble des significations qu’englobe le mot deuil.�8

• Bereavement : C’est la situation objective du deuil. Elle traduit la perte en tant que telle sans faire part pour autant de la douleur affective ;

• Grief : ce terme est sans doute beaucoup plus fort en anglais que notre traduction de « chagrin » (plutôt employé pour les enfants, dans sa signification d’état de tristesse non contrôlé et non expliqué, submergeant celui qui l’exprime). Grief traduit une tristesse éprouvante, douloureuse, que rien ne peut consoler. Seul le temps permet son amenuisement.

• Mourning est une notion plus sociale qui désigne le fait de porter le deuil ou de participer à des funérailles. Elle permet de distinguer la part sociale du deuil, de sa part affective.

Le lienEchange d’énergie qui se produit lorsque nous sommes dans

l’attachement. Sentiment qui nous unit aux personnes, objets. Créer des liens, c’est s’attacher aux autres dans un souci d’échanges et de �8 – Marie Françoise Bacqué Michel Hanus, Le deuil, Paris, Que sais-je ? 2000.

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réciprocité. On ne peut parler de deuil sans parler du lien puisque le deuil est une réaction à une rupture/continuité.

L’attachementIl y a perte et travail de deuil chaque fois qu’il y a eu attachement.

L’attachement est au cœur même de tout travail de deuil. En effet, s’il n’y a pas d’attachement à une personne, à un animal, à une chose, un but, un idéal, il n’y a pas vraiment deuil. L’être humain a besoin d’attachement. Ce que nous oublions c’est que tout attachement que nous créons se termine par une séparation. Que cet attachement date de 2 semaines ou de 72 ans, il est par nature appelé à se terminer.

La perteAprès le lien vient la perte. C’est le changement dans la

situation d’un individu qui réduit la probabilité de réaliser des buts implicites ou explicites (Carlson). Les pertes les plus évidentes pour un être en croissance sont liées au développement psychomoteur puis aux changements qui s’opèrent au cours de l’adolescence, du vieillissement… Les pertes inévitables de la vie : perte d’un travail, perte d’amis, de l’autonomie, séparation/divorce, retraite, départ d’un enfant de la maison.

Dans ce parcours existentiel il se produira des périodes d’accalmie, d’équilibre, de stabilité relative, et puis des périodes d’équilibre moindre, des périodes ou les changements sont plus manifestes, plus difficiles à négocier, ou nous sommes face à des remises en questions. Nous nous sentons alors dans un vécu de crise.

Le processus de deuil, processus d’adaptation à la perte

Vient alors le processus de deuil, proprement dit. Lorsque le processus est vécu dans sa totalité, il permet à la personne

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endeuillée de retrouver l’énergie nécessaire pour créer de nouveaux attachements. Ce cycle est à accomplir extrêmement souvent dans la vie. Il ne prend que quelques minutes quand la perte est peu importante, d’autre fois il peut prendre des années lors de la perte d’un conjoint, d’un enfant, de parents.

Ce processus de deuil, suite de renoncements et de réinvestissements, nous le rencontrons chaque fois que notre vie nous oblige à reconsidérer nos attentes, nos désirs par rapport à nous-mêmes, aux autres, au monde, à la vie. C’est un « processus de cicatrisation ». « Le travail de deuil permet de canaliser la douleur en l’inscrivant dans quelque chose de cohérent et qui a du sens »��

On parle davantage de « processus de deuil » que de « travail de deuil », qui sous-entend une fin et qu’un jour le deuil serait terminé. En fait il subsistera toujours des traces de la perte. Il s’agit d’un « travail de deuil » dans le sens où la personne va consommer beaucoup d’énergie et être démobilisée pour tout le reste. Elle va aller au fond de sa peine, rechercher le sens de sa vie, de sa mort. Le travail de deuil doit mener la personne à intégrer, accepter la perte pour pouvoir ensuite se reconstruire autrement.

C’est un travail de reconstruction. Le but : remplacer un vide affectif par une présence intérieure. La séparation se fait dans les meilleures conditions.

Le deuil est « garant du non-oubli » (Christophe Fauré) : Le travail de deuil ne vise pas à l’oubli de la personne. Au contraire le travail de deuil est l’accueil en soi de la personne aimée. La cicatrice reste présente et l’endeuillé vulnérable par-delà les années. La souffrance sera moindre, la personne pourra recréer des liens, retrouver un sens à la vie.

�� – Christophe Fauré, Vivre le deuil au jour le jour, Paris, Albin Michel, 200�, p. 27.

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Le processus de deuil d’après Strœbe M. et Schut.�0

Le processus duel du deuil d’après Strœbe et Schut s’inscrit dans une oscillation entre des temps de confrontation avec le deuil – expression du vécu, des sentiments – et un temps d’évitement du deuil-distractions, hyperactivité, évitement des souvenirs désagréables.

C’est décrit comme comportement orienté vers la perte ou vers la restructuration. L’idée est que celui qui est en deuil oscille entre ces deux orientations, et l’important est que la balance trouve un équilibre. Si le comportement est dans l’oubli ou l’évitement de manière prolongé, le risque est un déséquilibre émotionnel qui peut engendrer une crise lors de la résurgence du souvenir du décès lors d’un décès ultérieur par exemple. De même une orientation prolongée dans la confrontation au deuil avec une focalisation excessive peut plonger l’endeuillé dans une déprime qui le taraude, avec des idées fixes qui l’obnubilent et l’empêchent de vivre au quotidien. L’endeuillé risque de perdre son travail, sombrer dans l’alcoolisme…

Le schéma (annexe I) suivant de leur modèle duel montre l’oscillation normale lors d’un deuil qui suit un processus normal.

Le temps du deuilLe deuil débute quand et finit quand ? L’on peut penser que par

définition que le deuil débute au moment de la mort du proche, au moment précis de la perte, et termine au moment au l’endeuillé a retrouvé son équilibre, or il s’avère que tout est beaucoup plus complexe que cela.

�0 – Stroebe M. présente dans une conférence « Deuil et accompagnement » en 199� à L’hôpital St Georges, Londres, « En aidant le deuil à arriver à son terme avec la perte : ce que la recherche sur le deuil offre »

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Début du deuilDans le cas d’un deuil brutal inattendu, il s’avère en effet que le

deuil débute lors de l’annonce du décès. Lors d’une maladie évolutive avec un risque létal possible ou patent, le deuil ne débute pas tout simplement lors du décès.

En effet le proche anticipe ce décès et réalise en son fort intérieur ce que l’on peut appeler un pré-deuil qui peut se transformer en deuil anticipé, ou dans certaines situations on parle de deuil blanc.

Le pré-deuil Le Pré-deuil représente l’ensemble des événements, des

émotions, des prises en charge etc. qui concernent le futur endeuillé avant le décès. Il y a bien sûr un pré-deuil lointain (au moment de l’annonce d’une maladie grave par exemple), mais le terme désigne le pré-deuil au moment de la phase terminale. Dans ce dernier cas, le pré-deuil constitue une saine préparation à l’avenir ainsi qu’un désinvestissement normal de tout ce qui concerne les espoirs, les projets, les attentes, les besoins par rapport à celui qui va mourir.

Le deuil blanc Un pré-deuil particulier du proche d’une personne démente. « Le

deuil blanc désigne la réaction à la perte de la relation d’échange en lien avec une maladie des fonctions supérieures »��.

À un stade avancé, le dément renvoie une image de mort psychique, qui précéderait en quelque sorte la mort physique.

Le caractère dégénératif et irréversible de la démence va entraîner un véritable bouleversement psychique chez le proche dont le parent est atteint par cette pathologie, notamment par un

�� – E. Malaquin Pavan, accompagner une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer : aspects spécifiques du deuil des aidants naturels et pistes de soutien DU, UFR Bobigny 1995-1997

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fonctionnement relationnel qui s’inverse aboutissant à une sorte de deuil avancé, qualifié de « deuil blanc » chez le proche le poussant à se détacher affectivement du parent pour réduire son angoisse et sa souffrance. Le lien avec les proches demeure cependant encore maintenu.

Le deuil anticipé :Il faut faire la distinction entre anticipé au sens d’effectué à

l’avance, donc prématuré puisque la personne mourante n’est pas morte, et le pré-deuil au sens d’envisagé, prévu. Ainsi, le deuil prématuré, ou anticipé qui s’effectue avant le décès est un deuil problématique.

« Processus psychologique par lequel peuvent passer certains proches déjà pendant l’accompagnement du malade, qui consiste à prendre une grande distance, réelle ou affective, par rapport au malade, le mettant au rang des disparus »�2.

La fin du deuil« A la fin du deuil, le moi redevient libre comme avant. »

(Isabelle Delisle, Les derniers moments de la vie).Cependant la réalité semble plus complexe. Il est bien difficile de

qualifier un travail de deuil terminé ou clôturé. Il convient de ne pas donner de laps de temps « normal », la durée du deuil est variable en fonction des circonstances, de l’endeuillé, de l’entourage. On considère une durée d’environ un an sans manifestations extrêmes pathologiques comme un temps qui normal pour le déroulement du processus de deuil. Le deuil même cicatrisé peut être réactivé lors de circonstances particulières, anniversaires du défunt ou date du décès par exemple sans que ce réveil transitoire se transforme nécessairement en deuil compliqué ou pathologique. De même

�2 – Jean Pillot, « Deuil et pré-deuil », bulletin JALMAV, Paris n°�, 1992, p12.

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un deuil peut devenir compliqué ou pathologique dans un délai inférieur à un an.

Toute confrontation au deuil, à la mort réactive les autres décès auxquels on a été confronté. Le deuil n’a pas de fin, on réélabore à chaque fois. Le deuil n’est pas un processus linéaire. « Le deuil n’est pas un état, mais un processus » (Colin Parkes). Il est fait de ruptures, de progressions rapides et de retours en arrière.

Deuil normalLe deuil normal, qui est de loin le plus fréquent, est celui que vit

une personne sans troubles particuliers lorsque les circonstances de la mort sont habituelles. Si la durée des deuils varie d’un individu à l’autre, on considère que la majorité d’entre eux sont achevés au bout d’un an.

Worden (1 982) propose � critères permettant d’évaluer si l’aboutissement de ce processus s’est révélé positif :

� l’acceptation de la réalité de la perte2 l’expression de la douleur reliée à cette perte� l’adaptation à un environnement dans lequel le défunt est

absent� le retrait de l’énergie émotionnelle de cette relation et le

réinvestissement de cette énergie dans d’autres relations.

Les grands traits des manifestations du deuil normal ��:

Sur le plan somatique :– Une insomnie est fréquente dans les �8 à 72 heures qui

suivent le deuil après l’annonce de la mauvaise nouvelle. Ensuite le sommeil est perturbé. Les rêves perturbent, souvenirs du défunt, moments du décès…

�� – Marie-Françoise Bacqué et Michel Hanus, le deuil, op.cit.

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– L’anorexie fat partie de l’état dépressif des premiers temps, liée à l’anhédonie, perte de goût dans les activités, ainsi qu’à l’anxiété « boule dans l’estomac ». Avec un sentiment de culpabilité souvent sous-jacent.

– L’épuisement physique fait suite à l’état de choc subi lors de l’annonce. Le débit verbal peut être ralenti, la pensée de même. Les endeuillés souvent consultent mais les vitamines et fortifiant sont peu efficaces. La tentation de prescrire des antidépresseurs est grande et pas forcément nécessaire ou efficace.

Sur le plan intellectuelLe ralentissement de la pensée est responsable de la longueur

du travail de réminiscence. Cette centration sur le passé affaiblit l’attention et la concentration. L’endeuillé peut perdre ses moyens ou capacités cognitives pour étudier, travailler… Chez les personnes âgées le veuvage peut constituer le point de départ d’une démence ou d’une pseudo-détérioration mentale.

Sur le plan affectifLa tristesse domine. Le discours est négatif envers lui-même et

l’environnement. L’endeuillé est hypersensible et fond en larmes à tous moments. Le risque majeur est l’isolement, la solitude. Les antécédents psychiatriques et dépressifs sont à prendre en compte. Car le deuil peut se compliquer.

La phase dépressive est incontournable. Elle dépend de la personnalité de l’endeuillé, du mode de relation instauré avec le défunt. Elle est liée à la façon dont la mort s’est produite et a été annoncée.

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Les différents moments du deuil/Modèles conceptuels

• Les travaux d’Elisabeth Kübler-Ross font retenir cinq étapes d’un deuil.

� – Choc, déni : Cette courte phase du deuil survient lorsqu’on apprend la perte. C’est une période plus ou moins intense où les émotions semblent pratiquement absentes. C’est en quittant ce court stade du deuil que la réalité de la perte s’installe.

2–Colère : Phase caractérisée par un sentiment de colère face à la perte. La culpabilité peut s’installer dans certains cas. Période de questionnements.

�–Marchandage : Phase faite de négociations, chantages…�–Dépression : phase plus ou moins longue du processus de

deuil qui est caractérisée par une grande tristesse, des remises en question, de la détresse. Les endeuillés dans cette phase ont parfois l’impression qu’ils ne termineront jamais leur deuil car ils ont vécu une grande gamme d’émotions et la tristesse est grande.

5–Acceptation : Dernière étape du deuil où l’endeuillé reprend du mieux. La réalité de la perte est beaucoup plus comprise et acceptée. L’endeuillé peut encore vivre de la tristesse, mais il a retrouvé son plein fonctionnement. Il a aussi réorganisé sa vie en fonction de la perte.

Les 5 phases ci-dessus peuvent être linéaires mais il arrive souvent qu’un endeuillé puisse faire des retours en arrière avant de recommencer à avancer. Une bonne façon de traverser un deuil est de comprendre ce que l’on vit et de partager ses sentiments et émotions avec des proches ou des gens qui vivent également un deuil.

Ces étapes ne se succèdent pas forcément. Il ne s’agit pas d’un mécanisme inévitable. Certaines personnes peuvent quitter

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un deuil et passer à l’ultime étape de liberté d’action, sans que les sentiments qu’elles pouvaient porter puissent être considérés comme négligeables.

• Dr Christophe Fauré. Pour lui on ne peut dire qu’il y ait une trajectoire fixe, norme pour le processus de deuil. Chaque deuil est particulier. Cependant on reconnaît d’après Christophe Fauré � phases pas forcément linéaires mais progressives. ��

� – La phase de choc, de sidération, de déniLes proches sont surpris par la mort attendue ou brutale. Ils ne

peuvent accepter la réalité et la nient. Ils se protègent psychiquement en anesthésiant leurs émotions. Le fait de voir le corps du défunt permet de prendre conscience de la réalité progressivement, il est très difficile de faire le deuil d’un disparu. Les rites sont aussi un bon moyen pour intégrer la réalité.

2 – La phase de fuite/rechercheLes proches cherchent désespérément la présence du défunt dans

ce corps mort. Des circonstances, des objets donnent au proches de sentir le défunt comme encore vivant. Les proches parfois continuent à lui parler, ils l’imitent. Ces attitudes sont souvent critiquées par l’entourage qui conseille aux endeuillés de reprendre le cours de leur vie. Ce qui blesse les proches qui se sentent incompris. La recherche du vivant défunt finit par s’avérer infructueuse, s’il demeure présent dans leurs pensées, il est absent corporellement.

� – La phase de déstructuration ou dépressionCette phase apparait de longs mois après. Rechute après une

illusion d’équilibre. La culpabilité, la colère expression de cette

�� – Christophe Fauré, Vivre le deuil au jour le jour, Paris, Albin Michel, 200�.

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culpabilité souvent, la baisse de l’estime de soi. Cette dépression est aussi parfois le contre coup de longs mois voire d’années d’accompagnement qui ont épuisé le défunt.

C’est aussi la période de désinvestissement des proches à l’égard du défunt, la dépression est alors signe d’un processus de deuil en voie de résolution.

� – La phase de restructurationLes personnes en deuil retrouvent un équilibre dans leur vie, la

perte est acceptée, le défunt est intériorisé. Continuer à vivre devient impossible parfois avec quelques scrupules ou le « complexe du survivant ». Les proches réorganisent leur vie, leur relation au défunt, aux autres et à soi-même. Cette phase est manquante dans les deuils compliqués ou pathologiques.

Le processus de deuil en fonction de l’âge de l’endeuillé/spécificité du deuil de l’enfant et de la personne âgée

Deuil des enfants

Michel Hanus envisage le deuil des enfants suivant les trois perspectives suivantes :

Le deuil survient chez un être en pleine évolution mobilisant beaucoup d’énergie psychique. Mais, lors de la perte d’un être cher, le deuil requiert des forces et de l’énergie qui ne sont dès lors plus disponibles pour le processus de croissance de l’enfant. Cette épreuve de deuil interfère donc irrémédiablement avec le processus de développement de l’enfant.

Face à la mort, situation à la fois inhabituelle et étrange, l’enfant, dépendant des adultes, se dirige vers eux et s’identifie immédiatement à leurs attitudes et réactions. « Le deuil des

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enfants se calque sur celui des adultes de leur entourage » (Michel Hanus). Un deuil important durant l’enfance entraîne des changements dans les conditions d’existence. Ces changements peuvent être, par exemple de l’ordre d’un déménagement, ce qui aura comme conséquence d’éloigner l’enfant de son cadre de vie habituel, perdant ainsi ses repères et ses amis.

L’enfant en deuil doit alors faire face à des difficultés supplémentaires.

La représentation de la mort des enfants en fonction de l’âge

Avant deux ans, l’enfant ne sait pas ce qu’est la mort. La seule expérience de séparation qu’il ait vécue est la séparation d’avec sa mère. Il ne reconnaît pas la mort comme telle. Il attribue aux morts vie et conscience.

Avant cinq ans, l’enfant définit la mort comme un fait réversible et il la compare à un voyage, parfois même au sommeil. Ensuite, il commence à reconnaître le fait physique de la mort mais n’est pas encore capable de le distinguer de la vie.

Entre cinq et neuf ans, la mort est souvent personnifiée et conceptualisée comme un événement contingent. La confusion entre la mort et le mort rend compte de la pensée concrète de l’enfant. Si la mort est une personne, il est encore possible de lui échapper.

De manière plus précoce (aux alentours des 6-7 ans), certains enfants comprennent que la mort coïncide avec l’arrêt des fonctions vitales chez l’être vivant.

Entre neuf et douze ans, l’enfant considère la mort comme un fait irréversible qui obéit à certaines lois naturelles, c’est-à-dire qu’elle induit la cessation des activités physiologiques. Dans ce groupe d’âge, les enfants prennent conscience du caractère

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biologique, inévitable et universel de la mort, et en particulier de sa propre mort, ils se préoccupent davantage des rites funéraires et de ce qu’il advient au corps après la mort.

Néanmoins, la mort se situe dans le lointain avenir et appartient au monde de la vieillesse (Loretto, 1980). Il n’est pas nécessaire que l’enfant ait une conception complète de la mort pour réaliser son deuil, l’environnement culturel et affectif a une influence notoire pour une bonne évolution du processus de deuil.

Deuil des personnes âgées�5

Les personnes âgées constituent une autre population à risque. À cet âge les risques du deuil sont surtout représentés par une détérioration éventuelle de la santé physique et par la solitude qui peut devenir un facteur de dépression lorsqu’elle est trop importante et mal supportée. La mortalité chez les veufs âgés est particulièrement importante ; elle est plus modérée chez les veuves. Les deuils, au grand âge, décompensent souvent les affections chroniques en cours et révèlent des perturbations somatiques bien tolérées jusque-là. À la mort d’un époux, de frères et sœurs, d’amis du même âge, parfois d’enfants, s’ajoutent souvent la perte de la santé, de l’autonomie, du milieu de vie (en cas d’entrée en maison de retraite), du petit animal favori… Pour se remettre de toutes ces pertes, il faudrait du temps aux aînés.

Or, bien souvent, cette succession ne leur donne précisément pas le temps de faire face à l’absence et aux sentiments qu’elle suscite en eux ; pas le temps de « faire leur deuil », c’est-à-dire de traverser l’épreuve de la mort d’un proche, de l’affronter réellement et de s’en remettre assez pour continuer à aimer vivre. Les personnes âgées sont à une période de leur vie où le passé revêt une grande

�5 – www.prevention.ch/lepreuvedudeuil.htm - 35k

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importance, des pertes même anciennes continuent de hanter leur esprit et de produire des effets néfastes sur leur personnalité. Les personnes âgées sont aussi plus fragiles que les jeunes. Certaines sont ainsi portées à la tristesse et à la déprime jusqu’à ne plus vouloir continuer de vivre. D’autres traduisent leur souffrance par des attitudes hostiles envers leur entourage.

Peut-on extrapoler ou éluder le processus de deuil ?

Les frénésies et la recherche du bien-être de notre société le tentent hors il s’avère que ce qui alimente vraiment la vie d’un homme c’est l’amitié, la relation tissée dans le temps. Ce partage d’intimité, cette ouverture à la vulnérabilité de l’autre et de soi, cette proximité entre deux âmes, « s’achève » devant ce cadavre blême, inerte. « Il n’est plus ». Mais est-ce si simple ? Non, les souvenirs sont vivants, envahissants. L’aimé se fait proche, de cette proximité intérieure, dans le cœur du survivant. Le défunt hante la mémoire, présent dans son absence cruelle, proche et lointain, il taraude la pensée de l’ami…

Affecté, affligé par la perte d’une partie de soi, un miroir, une passerelle, un autre soi, différent de soi-même, un proche, un tout autre, le proche est dans un intense désarroi. Tout est chagrin, silencieux, un gouffre de solitude, un vide brutal qui étouffe et noie, qui appelle à reconstruire. Dans ce présent funeste, où les proches du proche sont « ailleurs », à distance de soi et de ce qui les entourent, « absents », ils ne pensent qu’à l’ami parti.

Là, en soi justement, le proche cherche spontanément, désespérément la présence de l’Absent. Son corps n’est plus, froid et bientôt lointain, décomposé, enfoui. Il ne lui donnera plus cette chaleur, son soutien, ses conseils, plus de discordes, de conflits, ce dialogue en chemin « qui lui donnait d’exister. Comment « survivre » pour le proche ? Vivre au-dessus de la vie ? Dans la solitude infinie ? Faire semblant de vivre ?

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Si ce qui donnait sens à la vie du proche disparaît, quel est maintenant son phare ? Où est son phare en cette mer tourmentée ? Il est des souffrances indicibles, qui rongent. Il est des endeuillés qui sombrent à jamais dans la mélancolie, la dépression tenace et ravageuse, l’alcool qui anesthésie, la drogue qui permet l’évasion factice. Le proche pour survivre a besoin de s’épancher, trouver un cœur attentionné. « La souffrance est l’enfermement même, la condamnation a soi-même, et pourtant dans cette souffrance il y a un cri, une plainte, c’est la première prière. C’est l’origine de la prière, la prière adressée à l’absent »,

« Dans ce secours à l’autre, à cet appel à l’autre, la première réponse est peut-être une réponse de médecin »�6, de tout soignant.

Le soignant, tout un chacun, est là pour panser les plaies du cœur et de l’âme, ces plaies qui nécessitent la fraternelle sollicitude, de l’attention, de la vigilance, un soin pour ne pas s’infecter, et bien évoluer.

�6 – Emmanuel Levinas, Médecine et Éthique. Le devoir d’humanité, Paris, Cerf, 1990.

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II-APPROCHE SOCIOLOgIQUE

Récit : le soin de l’endeuillé : une proche accompagnée

Le soin de l’endeuillé : une proche accompagnée

Mme Z arrive dans le service de soins de suite et rééducation. Quelques lignes sur la fiche de liaison nous laissent présupposer une arrivée peu gaie… « Suivi post-décès traumatique très récent de son mari hospitalisé dans la même chambre » Les soignants soupirent.

Les soignants en principe ne peuvent s’empêcher de soupirer dès qu’un patient entrant est présenté comme perturbé, « déambulateur », à risque de fugue. En effet ils présagent à juste raison des « courses », des recherches effrénées ou nonchalantes, de-ci de-là, avec cette répétition langoureuse qui taraude la patience des uns et des autres… Les chutes présumées, la contention éventuelle mal tolérée ou finalement non résolutive… l’aporie dont il faut s’accommoder avec philosophie…

Non, cette fois-ci le soupir des soignants est différent, empreint d’une douce résignation, d’une certaine gravité…

Le premier contact avec Mme Z est révélateur du choc émotionnel, récent, traumatique. Aux premières paroles Mme Z fond en larmes et ne peut s’empêcher de dire « mon mari est mort il y a trois jours, j’étais dans la même chambre » elle se replie sur elle-même, se recroqueville, cela lui suffit, « laissez-moi tranquille », traduit son corps. Son désarroi invite à une douce attention, je dispose certaines affaires dans son nouvel environnement.

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Sa voisine de chambre, Mme Y, côté fenêtre, voit d’un œil peu enthousiasmant la situation. Elle tourne son regard vers la fenêtre peut-être pour y cueillir un brin d’espérance et de gaité et « respirer » Les longues journées à l’hôpital, les séances de kiné dont l’efficacité lui semble rédhibitoire… et maintenant une voisine en deuil : « de quoi me remonter le moral ! »

Je prends les constantes de Mme Z bien que je me sente un peu gênée de la déranger dans ce moment d’effusion, mais je me dis que le toucher, les soins simples lui donneront d’être un peu présente à elle-même.

Les confidences ont besoin de temps. Mme Z nécessite de se sentir entourée dans son nouvel environnement, cette chambre double où une voisine avec tous ses soucis lui sert de compagnie, « là-bas c’était mon mari » Les sanglots déferlent cachés par cette retenue que couvre son corps qui se replie. Je la laisse dans ce désarroi en lui disant que les aides-soignantes ne vont pas tarder à lui apporter son goûter…

Le lendemain, le surlendemain, Mme Z réitère ce tableau de prostration profonde. Les aides soignantes n’insistent pas trop pour les soins, elles acceptent son chagrin et son repli mais trouvent que cela prend des proportions impressionnantes : « Que faire ? Dès qu’elle parle elle évoque son mari et fond en larmes… ».

Mme Y essaye de trouver son modus vivendi face à cette situation peu gaie, sa déception, elle finit par s’attendrir par moment sensible au désarroi de Mme Z.

Les médecins ont bien eu écho des transmissions orales et écrites et lors des visites ont perçu un besoin d’aide et de soutien manifeste. Un soutien psychologique est demandé.

Le petit accent de Mme Z me laisse supposer qu’elle est d’origine étrangère, je m’aventure à le lui demander. Elle commence alors à me parler de certains souvenirs de sa jeunesse et bien sûr, elle remémore

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les nombreuses années avec son mari et pleure… Sa vie pour elle maintenant n’a plus de sens, d’ailleurs elle n’a plus d’appétit… et Mme Z disparaît dans son fauteuil… « Vous comprenez »

Ce soupir n’invite pas tant à comprendre mais plutôt à regarder, à contempler ce visage au faciès, fin, triste, les yeux éteints. Cet appel me touche et pour lequel je ne trouve d’autre réponse que ma présence et un petit geste affectueux, discret. Je lui demande si elle souhaite le soutien ou l’accompagnement d’un bénévole ou si elle est croyante. Elle me répond que non, elle ne croit pas ou ne croit plus mais qu’une visite amicale de soutien ne lui fera pas de mal toute fois pas tout de suite. Je lui dis : « très bien, à l’occasion, la psychologue passera d’ici peu et cela pourra vous aider. » Mme Z acquiesce.

Nous sommes démunis devant cette femme qui trahit une solitude immense. Elle est pourtant entourée, elle a deux enfants, des belles-filles, des petits enfants. Un fils médecin lui rend visite, d’autres proches passent aussi. Leur simple arrivée ne fait que solliciter ses larmes qui les incitent à un passage furtif.

Aux transmissions certaines soignantes du matin disent qu’elles hésitent entre la laisser s’épancher sans fin ou la secouer gentiment pour la sortir de sa bulle mortifère. Ce n’est pas simple effectivement de trouver le bon geste, la bonne parole, au bon moment…

Mme Y y met du sien, elle entame quelques échanges succincts avec Mme Z et se donne peut-être l’espoir, autant salutaire pour elle que pour sa voisine, de lui donner un brin de consolation…

La psychologue est passée…Mme Z s’en est bien accommodée, elle a pu parler davantage,

lui raconter un peu son histoire, celle de son mari, laisser sa peine trouver une échappatoire dans l’expression et le partage.

Mme Z sanglote « c’est dur ». Je m’assieds à ses côtés et je lui dis qu’en effet cela doit-être très dur… j’essaye pourtant

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progressivement de lui faire comprendre qu’il faut qu’elle prenne un peu son courage à deux mains parce qu’à force de se laisser tomber au fond du gouffre on finit par y chuter pour de bon et après on ne maîtrise plus rien… Elle me montre des photos de famille et naturellement pleure, j’accueille son émotion avec une larme et doucement lui dit « Mme Z vous savez ces photos sont belles et votre mari est encore avec vous quand vous les regardez. Vos souvenirs lui donnent de rester vivant pour vous. Continuez à vivre maintenant avec cette présence que vous aimiez, essayez de vous intéresser à vos proches, ceux qui viennent vous rendre visite… pour eux cela ne doit pas être facile aussi » « Mais quand ils viennent ils me demandent seulement comment je vais, alors je pleure… »

Les proches m’évoquent en effet cette peine qu’ils ont à entrer en dialogue avec elle car « elle est submergée par son chagrin » Je leur conseille de lui parler de leurs projets, des anecdotes de leur vie quotidienne…

Ils prévoient un entretien avec le médecin et la psychologue pour faire le point.

Voici quelques semaines que Mme Z est parmi nous. Son attitude de petite taupe s’efface peu à peu et elle retrouve un regard plus alerte, elle devient plus coquette et s’adonne à quelques rangements succincts. Mme Y s’en réjouit bien qu’elle la trouve encore avec un petit caractère… « Enfin » au point où elle en est, elle s’en accommodera. Ce qui prime maintenant pour Mme Y c’est d’être vite et bien soignée pour rentrer sine qua nom vivre chez elle.

Aux transmissions, Mm Z se fait déjà moins entendre, elle « laisse » la priorité à d’autres patients dans un état de santé précaire et qui posent soucis… Elle retrouve sa place dans cette petite société qui l’entoure et se situe à nouveau dans son cercle familial…

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Les feuilles du calendrier tombent… Mme Z s’évertue à faire gaillardement quelques pas… « Ça y est, c’est reparti » elle me regarde avec un petit sourire à la volée qui ose à peine se poser, comme si l’ombre du souvenir de la mort l’en retenait… « Nous voilà sauvés » me dis-je avec un petit sourire que je retiens mi-obligée « Cela fait plaisir de vous voir comme ça » lui dis-je attendrie. Mme Y s’en amuse « Ah la vie !.. »

Voici le temps de retrouver domicile avec les siens. Aux transmissions j’apprends son départ pour le lendemain… Tout le monde se réjouit de l’évolution. Mme Z est encore sensible mais elle a repris vie.

Dans l’après-midi je lui souhaite bonne route pour la suite et ne peux m’empêcher de lui faire une petite bise, elle remercie et sourit. Je la regarde et m’émerveille devant ce visage rasséréné.

« Ça va mieux » me confie-t-elle, elle range ses photos avec délicatesse, son cœur gonflé pour cet amour et ces souvenirs qui l’habitent encore…

Mme Z est venue déposer son fardeau parmi nous en compagnie des siens qui continuent avec elle cette route difficile du deuil que certains virages rendent périlleuse, mais la longue côte est passée…

Pourvu que cette route ne croise pas la route d’un autre deuil à traverser…

Je l’imaginais déjà dans d’autres lieux et vaquais en attendant à mes occupations pressantes.

Deux visages de Mme Z : l’un triste en pleurs et l’autre souriant serein, se superposent, disjoints mais assemblés dans cet à venir… Un souvenir à conserver.

Mme Y, l’œil humide s’attriste de son départ et se préoccupe de l’arrivée de sa prochaine voisine… En attendant elle s’empresse de faire ses petits pas de manière bien ostentatoire toute heureuse « Ah ! Me voici bientôt sortie ! »

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Relecture à thèmes

La mort à l’hôpital, le deuil à l’hôpital.

M. et Mme Z se trouvaient au domicile lorsqu’un ennui de santé de M. Z a vu contraindre l’hospitalisation pour tous les deux.

De plus en plus de personnes âgées décèdent à l’hôpital alors qu’il s’avère que dans de nombreuses situations un bon suivi au domicile aurait été possible. Soit les médecins traitants ne savent pas gérer la fin de vie au domicile ou le problème de santé ponctuel, soit l’anxiété du conjoint est telle qu’elle le désarçonne et la personne âgée est alors envoyée aux urgences. Malheureusement parfois ensuite aussi en réanimation où le décès s’en suit parfois. Dans d’autres cas il est envoyé en soins palliatifs. Bref, la mort à la maison fait peur et angoisse les proches. Le deuil aussi n’arrive plus à s’effectuer en société, les rites se perdent, la solidarité dans les moments tristes est réservée aux plus vaillants ou attentionnés pas toujours présents. La solitude de l’endeuillé induit une hospitalisation de plus en plus fréquente dans notre contexte moderne, le deuil à l’hôpital…

Traumatisme du deuil/solitude des endeuillés

Mme Z est donc avec son mari à l’hôpital, elle se repose et l’accompagne, quant à lui son état de santé s’aggrave et il décède. Elle en est traumatisée. Les longues années vécues maritalement ont soudé leur amour et la séparation la désespère. La mort elle-même fut un choc traumatique important, le voir sans vie, une réalité désespérante. Mme Z ne peut que se raccrocher à cette réalité qui enlève tout sens à sa vie. Pourtant elle a deux enfants, un fils médecin à Paris, un en province, des belles-filles, des neveux et nièces mais son entourage ne vient pas compenser la perte sur laquelle elle se

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focalise et qui lui fait perdre la tête et son intérêt ou sa capacité de relation avec les autres.

Risques de deuils compliqués ou pathologiques – des proches/symptômes à démasquer et à soigner

Mme Z est dans cette phase initiale et traumatique du deuil qui atteint pour elle son apogée. C’est le choc psychologique prononcé qui se traduit en repli sur soi, pleurs incessants, perte d’appétit, perte des activités, altération de la communication et focalisation sur l’évènement traumatique. Un suivi dans un autre hôpital s’avère obligé.

L’entourage est très démuni et n’arrive pas à juguler le problème et ne peut envisager le retour au domicile. Les proches sont plutôt dans la rationalisation et elle dans la perte de raison et la plongée dans l’émotivité exacerbée par la perte, le clivage est profond.

Ainsi l’entourage démuni qui vaque rapidement à ses occupations professionnelles relègue à l’hôpital le soin de l’endeuillé qui devient dans ce cas un soin à part entière. De nombreux endeuillés décompensent et finissent par nécessiter une hospitalisation car ils n’ont pu retrouver un équilibre dans leur environnement propre. Les rites de plus en plus absents, la société de consommation et la course à l’occupation, ne rendent plus les gens disponibles et attentionnés à l’entourage en souffrance qui dérange et qu’on évite.

Mme Z est transférée pour le suivi de deuil dans un autre hôpital où l’équipe soignante elle-même manifeste de la réticence à réaliser cette démarche qui de suite ne l’égaye pas… et d’ailleurs pour laquelle elle se sent peu formée…

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Mme Z nécessite présence attention, disponibilité, sensibilité à ses pleurs et réinsertion progressive dans la vie quotidienne, tout un art relationnel difficile à ajuster. La psychologue en l’occurrence va aussi aider. Non pratiquante et peu croyante Mme Z ne peut se ressourcer dans des rites ou une croyance spécifique. Elle a besoin de trouver du sens ou de redonner un sens à sa mesure. L’entourage aussi nécessite d’être accompagné pour permettre progressivement de réajuster la relation entre Mme Z et ses proches vivants.

Mme Z finit par retrouver un équilibre qui reste précaire mais permet la sortie et le retour chez elle. Le deuil est long et il n’est pas sûr qu’elle ne replonge pas dans une dépression progressive mais la stabilité émotionnelle est pour l’instant suffisante pour la sortie. L’entourage vigilant veillera ensuite.

Nombreuses sont les personnes âgées qui décèdent après leur conjoint ou ont une complication de santé pour laquelle ils ne luttent plus et le décès s’en suit. Lors des accueils des familles et entretiens à l’arrivée il nous arrive fréquemment d’entendre un proche relater que le décès du conjoint a induit une chute spectaculaire ou notoire de l’état de santé de leur parent et qu’ils n’ont pu y remédier, c’est comme si l’envie de lutter les abandonnait.

2.1 La mort à l’hôpital/une proie à la technique ?

Mourir à la maison devient presque une gageure, les proches ne savent plus comment aborder, entourer les malades incurables, chroniques voire mourants. Le manque de disponibilité, les contraintes horaires ou familiales ne justifient pas totalement le don fait du mourant à la médecine et aux hôpitaux chargés de s’en préoccuper. La mort en réanimation est fréquente et désagréable, le patient est entouré de machines et les relations humaines sont

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difficiles. Les soins palliatifs en ont fait une spécialité, qui a grandement contribué à améliorer la qualité de vie des mourants, la prise en charge de la douleur, l’accompagnement de l’entourage. Cependant il demeure par ailleurs le risque d’une spécialisation médicale voire psychologique excessive parfois du soin réservé au mourant, comme ci, là encore, la médecine se réserve de devoir tout maîtriser étouffant cette part mystérieuse que nous réserve la vie, et qui vivifie. Michel Castra dans son livre « Bien mourir »�7évoque cela.

Mourir bien aujourd’hui dans un environnement spécialisé, devient dans la perspective moderne gommer la mort, souhaiter sédater la douleur pour qu’elle disparaisse dans un confort endormi, ceci associé à un soutien psychologique où toute angoisse psychique vise à être aussi extériorisée, sédatée ou hypnotisée. La mort confortable qui permet aux familles de bénéficier de vacances ou repos distants sans culpabilité ?

Est- ce là vraiment bien mourir ? Étonnement ou paradoxalement fréquemment les patients se rebellent, et, même dans notre contexte moderne, sont réticents devant ces thérapeutiques de confort anesthésiants… Ils réclament un accompagnement dans la vie.

L’inquiétude en fin de vie a son intérêt dans l’accompagnement dans la vie des mourants et de leurs proches. Marie Sylvie Richard et Patrick Verspieren ont organisé le 22 novembre 2008 un colloque intitulé « l’inquiétude en fin de vie » pour souligner cette problématique qui surgit dans notre contexte moderne actuel : « La réflexion proposée tout au long de ce cahier invite par contre à ne pas en faire une règle générale. De bien des manières est exprimée la conviction, appuyée sur l’expérience, qu’une présence attentive et une écoute respectueuse permettent de dépasser les jugements négatifs qu’il portait sur lui-même, d’opérer un cheminement dont

�7 – Michel Castra, Bien Mourir, Paris, PUF, 2 003.

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il percevra la valeur et le sens, donner à ses derniers jours une dimension spirituelle ou religieuse selon ses convictions, et de prendre congé de la famille et de ses proches de la manière dont il aura choisie. Et c’est cette proximité du malade qui permettra aux soignants d’apporter aux proches le soutien dont ils ont grand besoin. Il importe donc d’éviter tout usage excessif d’anxiolytiques qui ferait obstacle à ce cheminement »�8.

Claude de la Genardière va aussi dans ce sens en remarquant que la spécialisation de l’accompagnement ou du soin de l’endeuillé peut de même ne pas favoriser, quand il devient excessif, la réinsertion de ce soin dans la société, réservant ce soin à une élite. « Au contraire, le modèle thérapeutique, voire psychiatrique, donné parfois à l’accompagnement, risque de contribuer à un effet pervers qui finit par faire de l’endeuillé un malade. Ce genre de déviations est bien connu aussi à propos des femmes enceintes ou des récentes accouchées par exemple ».

Il convient de savoir lier cette spécialisation du soin réservé aux mourants à une intégration du soin pour tout soignant tout en réinvitant à nouveau en société des moyens pour se réapproprier le soin des mourants pour sa propre santé, et son humanité.

2.2 Le deuil escamoté/solitude des endeuillés

Un facteur aggravant du deuil : la solitude mérite un temps d’arrêt dans la mesure où il ouvre à une analyse sociologique : « Une des constantes du discours de la Société de Thanatologie ou des Soins Palliatifs est de s’appuyer sur la dénonciation d’une carence sociale ou d’un supposé dysfonctionnement pour « imaginer » trouver ce qui fait défaut, ce qui manque, pour que �8 – Patrick Verspieren et Marie Sylvie Richard, “l’inquiétude en fin de vie”, Revue Ethique

n°150, Médiasèvres, 2009, p8.

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ça fonctionne mieux. Pour ce qui est de notre propos, pour éviter les deuils pathologiques par exemple »��.

Les rituels de funérailles malgré leur disparité dans le temps et dans l’espace géographique et culturel, obéissent à des constantes universelles :

– « Régler le devenir du mort en composant avec l’abjection de la putréfaction, en lui assignant un lieu spécifique qui intégrera la différence entre le monde des vivants et le monde des morts » (Louis-Vincent Thomas). Les cimetières en sont un exemple.

– « Prendre en charge les survivants, en mobilisant autour d’eux la communauté, en réglementant le deuil » (Louis Vincent Thomas).

Le rituel permet, pendant cette période de chaos intérieur, de pouvoir se reposer sur un savoir commun, en restant intégré à une communauté sociale vivante. En ce qui concerne notre société, la déchristianisation semble avoir eu une grande incidence sur la disparition des ritualisations. On constate désormais un vide des ritualisations collectives autour de la mort, qui va de pair avec ce qu’on nomme le déni de la mort. Il est intéressant de constater que le processus de déritualisation fait suite à un nouveau style de ritualisation que l’on peut observer au crématorium du père Lachaise par exemple, comme si l’être humain même en dehors d’appartenance religieuse avait besoin de rites de passage pour vivre certains moments de la vie en particulier le deuil.

Dans notre société des médiations sociales vont tenter de réparer ce manque de rituel et de permettre à l’endeuillé d’avoir une place, d’être reconnu dans sa souffrance. Des possibilités d’inscription collective du deuil sont offertes par diverses associations : groupes �� – Laurence Bounon, « deuil et endeuillés », site internet : www.usp-lamirandiere.com/deuil.htm-�8k

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de partage et de deuil, actions collectives d’information et de réflexion…

Différentes dispositions ont été prises au niveau national pour améliorer et favoriser la présence et l’accompagnement des mourants par les proches. C’est un moyen non négligeable pour permettre une réinsertion de la solidarité familiale et sociétale en fin de vie.

– Le congé de solidarité familiale en fin de vie, accordé le 15 septembre 2008 (en annexe II)– L’adoption définitive le 16 février 2010 de la loi pour l’allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie

L’allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie est versée aux personnes qui accompagnent à domicile une personne en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, et qui remplissent les conditions suivantes :

• Soit sont bénéficiaires du congé de solidarité familiale ou l’ont transformé en période d’activité à temps partiel• Soit ont suspendu ou réduit leur activité professionnelle et sont un ascendant, un descendant, un frère, une sœur, une personne de confiance ou partagent le même domicile que la personne accompagnée.

L’allocation est versée pendant une période maximum de 21 jours. L’allocation est versée pour chaque jour ouvrable ou non. Lorsque la personne accompagnée à domicile doit être hospitalisée, l’allocation continue à être versée les jours d’hospitalisation.

L’allocation cesse d’être versée le lendemain du décès de la personne accompagnée.

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2.3 Les deuils compliqués et pathologiques – des proches, des soignants/symptômes à démasquer

Le deuil n’est pas une pathologie, c’est au contraire un processus psychique d’adaptation à la perte. Le deuil pathologique, c’est quand ça se tord un peu plus dans la structure.

Le deuil peut-il s’aggraver ?

Le deuil peut se compliquer sur le plan physique, psychologique et comportemental.

Le schéma de George Kolhrieser du processus de deuil montre bien les risques d’un deuil qui se complique (annexe III).

Le deuil compliqué50

Le deuil compliqué est caractérisé par une perturbation du travail de deuil qui ne s’engage pas ou qui ne parvient pas à son terme. Le processus de deuil se prolonge. Le deuil compliqué est celui qui se manifeste par la décompensation d’une pathologie psychologique ou physique qui était connue antérieurement mais s’aggrave du fait du deuil. Les deuils sont dits compliqués souvent lorsqu’ils perdurent au-delà d’un an ou plus.

Les indicateurs des deuils compliqués• absence de toute réaction au moment du décès, et délai de plus de deux semaines avant la première manifestation de chagrin• forte identification à certains symptômes ou traits personnels du défunt• colère démesurée, chagrin très profond et persistant• cauchemars réitérés (souvent avec des images du défunt)

50 – Marie Françoise Bacqué et Michel Hanus, le deuil, op.cit.

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• idée persistante de rejoindre le défunt• évitement phobique ou, au contraire, attachement maniaque aux lieux et objets rappelant le défunt ou sa mort• panique injustifiée à l’occasion d’une maladie, ou conviction non fondée d’une menace de décès dans la famille• réactivation importante des symptômes aux dates anniversaires• perte de l’estime de soi, auto-dépréciation importante, destruction de soi sous une forme déguisée• inadéquation prolongée au monde extérieur• problèmes de santé importants survenant après la perte• délinquance, alcoolisme, anorexie ou boulimie, absentéisme, neurasthénie…La présence de deux ou plusieurs de ces indicateurs permet de

déceler un deuil compliqué.

Les complications possibles du deuil :

– Le deuil différé : le déni persiste anormalement.– Le deuil inhibé : Là, l’endeuillé ne nie pas la perte mais

refuse les affects qui y sont liés. Le comportement oscille dans l’agitation, l’hyperactivité, ou l’inhibition, l’indifférence.

– Le deuil chronique : C’est un deuil qui persiste dans le temps, le processus de deuil n’arrive pas à se réaliser ou reste bloqué à une étape. Ce deuil peut-être un deuil mélancolique.

– La dépression majeure réactionnelle au deuil : c’est un deuil où la dépression devient dangereuse pour la vie du patient. Cette dépression persistante au-delà de deux mois et associée à des idées suicidaires, perte importante de l’estime de soi, nécessite une aide médicale.

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Facteurs de complication du deuil :

– La relation préexistante à la perte, plus le lien affectif est fort plus le deuil sera difficile

– Des circonstances brutales ou atypiques du décès : décès non prévu

– L’annonce du décès : La manière dont le décès a été annoncé

– Les deuils répétés– L’âge de l’endeuillé éventuellement– Impact de la santé, possible, maladies chroniques ou addictions

diverses fragilisent.– Le chômage– L’absence de rites communautaires – Un environnement froid et distant

Le deuil pathologique51

Le deuil pathologique est caractérisé par la survenue de troubles psychiatriques durant la période du deuil. Le deuil pathologique est celui qui inaugure une maladie qui ne s’était pas manifestée jusque-là. Le deuil est pathologique quand il amène une maladie physique ou mentale chez l’endeuillé. Six symptômes peuvent nous orienter vers une définition du deuil pathologique :

1. Aucune manifestation émotive ou aucune expression émotive quant à la perte.2. Un déni prolongé en regard de la permanence de la perte (durée des réactions).3. Des manifestations extrêmes comme la présence persistante de la colère et de la culpabilité.

51 – Site internet : www.asblux.org/dclic/deuil/documents/Deuilconceptsgeneraux.doc

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�. Une accumulation importante de problème de santé.5. Un état dépressif prolongé accompagné d’agitation, d’insomnie, de sentiments d’auto-accusation et de dévalorisation.6. Un état d’agitation ou d’hyperactivité persistant, troubles anxieux.

L’on trouve différents deuils pathologiques : les deuils psychiatriques : décompensation d’une personne structurée selon la lignée psychotique ou névrotique jusqu’alors asymptomatique ; le deuil hystérique, le deuil obsessionnel, le deuil maniaque, le deuil mélancolique.

La mélancolie52

Le mot est emprunté au latin melancholia lui-même transcrit du grec μελανχολία (melankholía) composé de μέλας (mélas), « noir » et de χολή (khôlé), « la bile ». Le mot signifie donc étymologiquement la bile noire.

Ceci renvoie à la théorie humorale d’Hippocrate selon laquelle le corps contient quatre humeurs qui chacune détermine notre tempérament. Ces quatre humeurs sont le sang, la lymphe, la bile jaune et la bile noire. Le tempérament est donc sanguin lorsque le sang prédomine, lymphatique lorsque c’est la lymphe, bilieux pour la bile jaune et enfin mélancolique pour la bile noire. Et cette bile noire provoquait une tristesse. Certains génies sont décrits comme mélancoliques.

La notion de mélancolie est donc très ancienne et une place majeure lui a toujours été donnée au sein des quatre tempéraments. La mélancolie a un sens littéraire qui signifie la tristesse. Ces derniers propos ci-dessus méritent une autre interprétation. De nos jours, on réduit la mélancolie à un état dépressif. Or, dans

52 – Site internet :  www.wikipedia.org:mélancholie

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la pensée antique (Hippocrate par exemple), la mélancolie avait une autre signification que celle proposée par particulièrement la psychanalyse.

La mélancolie dans le sens antique permettait de vivre le deuil, se dépasser ou encore trouver un sens à la vie, en d’autres termes c’est un passage en temps de crise (qui n’aboutit pas toujours à un résultat négatif). « Philosopher c’est apprendre à mourir » disait Platon. Et c’est là que la mélancolie prétend dépasser ces états de tristesses.

Selon Freud53, le deuil et la mélancolie partageraient certains symptômes, mis à part la mésestime de soi, l’accablement d’auto-reproches. Freud, à partir de cette différence fondamentale, déduit que la perte à laquelle réagit le mélancolique est inconsciente, et n’est pas directement en relation avec une perte réelle comme dans le deuil.

La théorie de Freud à propos de la mélancolie postule que le sujet réagit à la perte en retournant sa libido dans son propre moi : le mélancolique a effectué le désinvestissement objectal, mais la quantité de libido reste intacte et appliquée au moi, qui devient l’objet perdu. Freud présuppose donc trois conditions à l’origine de la mélancolie : la perte de l’objet, l’ambivalence envers l’objet et la régression de la libido dans le moi.

Du côté de la structure, la mélancolie est du registre psychotique. La psychose est le refus d’accepter la séparation. Pour rendre sensible cette structuration du sujet dans son rapport à son premier objet, Freud a usé d’une métaphore : « celle du cristal, sa trame, ses arêtes. Les voies du deuil suivront les lignes déjà inscrites dans le cristal du sujet. »

53 – Sigmund Freud, Deuil et mélancolie, op. cit.

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Les deuils compliqués ou pathologiques,un problème de santé publique

M. Hanus 5� y voit carrément un problème de santé publique.

« Même si le travail de deuil est un cheminement douloureux, long et difficile, c’est un processus normal et le deuil ne relève pas de la médecine, et encore moins de la psychiatrie. Mais si c’est une expérience humaine, à la fois normale et inévitable que nous traversons tous et plusieurs fois, il arrive que le deuil puisse se compliquer. Je dis en général que 5 % des deuils se compliquent ou deviennent pathologiques (ce chiffre approximatif peut paraître faible).

Il y a en France entre 520 000 et 525 000 morts chaque année. Si l’on compte deux endeuillés par personne disparue, cela fait quand même un million d’endeuillés par an, en admettant encore que les endeuillés de l’année dernière aient fini leur deuil, donc il y a 5 % d’un million (50 000 personnes). Et alors là, le deuil, de général qu’il était au départ, devient quasiment un problème de santé publique ».

L’idée est de prévenir les complications du deuil en apprenant à repérer les populations à risques, les signes précurseurs et d’être en mesure de proposer des modalités d’interventions susceptibles d’éviter ces complications tant sur le plan somatique que sur le plan psychiatrique.

5� – Michel Hanus in Thanathologie/Bulletin 103/10�, 1995, p. �1.

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III-APPROCHE SOIgNANTE

Si la mort est reléguée à l’hôpital le deuil suit le même processus, les endeuillés ont besoin d’entre entourés par les soignants pour surmonter le décès qui demeure un choc traumatique vécu le plus souvent en milieu hospitalier.

Récit : « Le soin de l’endeuillé, quand les soignants se font proches »

Le soin de l’endeuillé, quand les soignants se font proches

C’est le temps des transmissions, l’infirmière du matin s’attarde sur Mme A…

Mme A est depuis des mois dans le service, une prise en charge palliative de longue haleine… qui se prolonge, s’éternise, sans vague de rémission prévisible…

« Mme A est douloureuse lors des soins, elle crie même avant qu’on ne la touche, les traitements antalgiques ne sont apparemment pas suffisants. »

Lors de la réfection du pansement, une odeur nauséabonde s’exhale et imprègne l’environnement. L’érésipèle infecté s’exprime et coupe toute communication.

Les plaques de nécrose intermittentes avec des lambeaux de peaux boursouflés marquent la jambe gauche.

L’infirmière et les aides soignantes du matin commentent leur malaise devant ses cris que la porte fermée ne peut étouffer.

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L’infirmière panse les plaies, panse la plainte, et pense… Elle panse et pense, en vain ???

La dermatologue passe à l’occasion donner ses conseils…L’infirmière cadre propose l’utilisation de l’acide borique

efficace dans ce cadre-là.« La transfusion est prévue pour demain, le bilan montre une

nouvelle baisse de l’hémoglobine »« Mme A est trop lourde à gérer ici, on n’est pas assez… »Les échelles d’évaluation de la douleur, ECS, sont remplies

avec assiduité et soulignent dans le dossier de soins la difficulté de la prise en charge.

Les médecins écoutent mais n’envisagent pas de transfert pour elle dans un autre service.

L’équipe mobile de soins palliatifs passe pour réévaluer et adapter le traitement antalgique, proposer un traitement morphinique qui lui convienne.

Mme A travaillait professionnellement dans le théâtre, son comportement, extraverti et parfois décrit comme disproportionné ou mis en scène, le révèle. Mais ceci laisse t-il le droit de minimiser sa douleur ? Faut-il y décrypter un appel à la communication ? Une souffrance morale favorisée par la déchéance corporelle grandissante ?

Mme A depuis son arrivée est isolée dans sa chambre où elle a volontairement choisi de se cloisonner. L’agencement du service de plus est tel qu’il l’éloigne des postes soignants plus fréquentés.

L’isolement de contact préconisé ajoute à ce contexte particulier une tonalité théâtrale involontaire mais claire.

Les soignants entrent dans son univers en blouses jaunes avec des gants. Et Mme A Crie.

Les soignants soignent à défaut de trouver les mots pour répondre. L’infirmière pense, et panse… en vain ?

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L’odeur d’infection s’estompe, la lutte préconisée contre les germes est efficace. J’ébauche une communication avec Mme A à partir d’une de ses lectures, une simple mais vraie joie qui lui reste encore, celui de s’évader dans cet univers de souvenirs et d’imaginaire. Mme A ne s’épanche pas dans des considérations sur la mort, elle évoque une croyance mais qui est peu ancrée dans une pratique concrète, elle est contente du soutien amical des bénévoles, mais dans le fond elle se contente de sa solitude où elle a fait son nid. Une plante fleurie déposée sur la table de nuit lors d’un passage d’un proche atteste une affectueuse pensée.

Le lendemain Mme A est transfusée, l’infirmière du matin me recommande de « bien veiller à ne pas perdre la perfusion pour qu’elle tienne jusqu’à demain, un autre culot est prévu, ses veines ne tiennent plus, pour les prélèvements c’est aussi galère… »

Mme A est régulièrement transfusée, elle a un dossier lourd en hématologie et de temps à autre elle est hospitalisée dans un service d’hématologie pour des examens complémentaires.

La transfusion s’est bien passée…Mme A présente en soirée un léger pic fébrile, sans incident

majeur, à son acoutumé…Elle garde quelques plaisirs à manger même si son appétit est

léger.Les journées s’échelonnent… sourdes à sa plainte… mais

présentes dans sa complainte…La surveillante une après-midi me confie qu’elle la connaissait

alors qu’elle était encore infirmière elle s’en occupait déjà dans un autre établissement, elle était déjà déclarée en soins palliatifs… Les chemins de certains sont parsemés d’entraves…

Mais de douceurs opportunes aussi…

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Son frère clopin-clopant lui rend quelques visites empreintes d’affection fraternelle et des amies meublent son temps de ces évènements simples de leurs vies, en l’appelant de-ci de-là.

Les semaines passent, si les cris de Mme A ne sont plus aussi stridents, au soulagement des soignants, ils suscitent par leur silence un souci cependant…

L’infirmière panse et pense… en vain ?

L’asthénie de Mme A prend le pas et Mme A disparaît de plus en plus blême et crispée, amaigrie sous un drap gondolé qui cache des coussins ergonomiques qui en vain tentent d’éviter la rétraction de la jambe…

Les cris se sont éteints mais le corps s’exprime dans ce tableau que tout œil même inexpérimenté peut saisir. Mme A laisse glisser sa sucette de morphine de sa bouche, son « salut » réconfortant et si rassurant pour elle auparavant la laisse maintenant seule dans sa béante vulnérabilité.

Les soignants pansent et pensent…Les journées passent et le temps amoncelle ces attentions discrètes

que la sollicitude noue entre Mme A et ses proches ; son frère, ses amies qui appellent furtivement comme pour ne pas trop déranger mais juste assez pour avoir des nouvelles, et les soignants…

L’équipe mobile de la douleur passe un vendredi à la demande des médecins et ils décident le transfert en soins palliatifs dans l’après-midi.

« Enfin » soupirent les soignants, « depuis le temps… »Je n’étais pas là ces derniers jours, je rentre après le week-end

et apprends le décès de Mme A.Plusieurs soignants me l’évoquent avec une certaine émotion,

certains étonnés de voir que ce fut si rapide, d’autres se disant que c’était sûrement mieux pour elle. Les réflexions sont partagées,

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différentes, toutes relèvent cette frustration d’un transfert finalement réalisé au dernier moment.

Mme A est décédée dans les heures suivant son transfert, elle n’a pas pu bénéficier de son nouvel environnement, elle a vraisemblablement dû se sentir abandonnée par les soignants de l’équipe, et s’est vue contrainte de quitter son nid, qui certes n’était pas un paradis mais il lui était familier.

Son frère a reçu l’annonce par des soignants qu’il ne connaissait pas… Sa santé défaillante ne s’en est pas vue améliorée…

Les souvenirs de Mme A persistaient et se rendaient manifestes par moments. En effet, lors du goûter, je passe dans le couloir et pense… Prête à rentrer dans la chambre de Mme A… Je me retiens avec ce souvenir encore vivant d’elle m’accueillant, souvenir que le poids du deuil assied doucement… Une aide soignante passe au même moment, elle me commente, « pour moi c’est pareil, l’autre jour je suis passée devant la porte c’est comme si elle était encore là. »

La distance et l’absence ont volé la satisfaction de la présence, les proches laissent échapper ce soupir, et pansent et pensent par leur attention mutuelle aux uns et aux autres cette séparation qui s’égrène dans le temps.

J’appelle à l’occasion la chambre mortuaire, pour savoir quand aura lieu la mise en bière, peut-être que de m’y rendre me donnera de pouvoir me recueillir un moment pour un adieu que j’ai besoin de dire et d’accueillir. Je songe au frère, cela doit être éprouvant pour lui.

Happée par le temps et les maintes occupations, j’oublie le jour j. Je le commente à une autre soignante qui me dit : « dommage en effet, cela aurait pu être bien. »

Mme A ne nous a pas encore quittés, après de longs mois dans le service, elle habite encore nos pensées,

Les pansées et les pensées animent nos journées.

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Relecture à thèmes

Les soignants et la mort/apport des soins palliatifs

Les soins palliatifs contribuent par leurs apports sur la prise en charge de la douleur, leur expertise en matière de traitement antalgique et leur expérience en matière de prise en charge de la dite fin de vie.

Pour Mme N l’équipe soignante bénéficie du recours à l’équipe mobile des soins palliatifs pour améliorer la prise en charge.

Le récit montre une souffrance manifeste de l’équipe soignante en particulier des soignants infirmiers et aides-soignants proches lors des soins qui sont exténués par la lourdeur de la prise en charge. Le manque d’effectif dans cette situation augmente la frustration de ne pas pouvoir répondre à une prise en charge de qualité, le manque de recul des soignants favorise le glissement dans une perception brute émotive, insupportable.

Le manque de concertation avec l’ensemble de l’équipe, tous soignants compris, augmente le clivage entre les groupes professionnels soignants. Les médecins sont encore dans une perspective curative. L’unité de soins palliatifs remédie en désespoir de cause sous la pression des soignants mais trop tard, alors que l’équipe et la patiente sont déjà éreintés et désabusés.

Un transfert dans l’unité de soins palliatifs permet effectivement, dans des situations justifiées, de permettre au patient de vivre ses derniers instants dans un environnement qui bénéficie de plus de confort environnemental et professionnel car l’équipe soignante bénéficie d’un effectif plus important et spécialisé dans la prise en charge palliative.

Une autre démarche vise à favoriser les lits identifiés soins palliatifs dans les unités avec des référents en soins palliatifs et un personnel en conséquence mais l’hôpital n’a pas encore adopté cette

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manière de faire. L’avantage en est que le patient peut demeurer dans le même environnement entouré des soignants qu’il connaît et, l’équipe soignante peut bénéficier de la satisfaction d’avoir accompagné le patient jusqu’au bout.

Par ce transfert Mme A s’est trouvée déracinée, le frère en mauvaise santé contraint de suivre devant des visages inconnus et l’équipe soignante frustrée de n’avoir finalement offert qu’un désagrément supplémentaire à la patiente.

Le deuil des soignants/syndrome d’épuisement professionnel et d’une équipe

Les soignants se trouvent déjà très démunis pour évaluer vraiment la douleur de Mme N pour laquelle une composante psychique est manifeste et complexifie les données.

Ils compatissent face aux plaintes qui deviennent intolérables lors des soins qui s’éternisent.

La souffrance de Mme N finit par déteindre sur les soignants et l’on retrouve une équipe en souffrance car la situation s’amplifie dans la durée.

Mme N est attachante, célibataire, sans enfant, elle a des visites réduites, celle de son frère en mauvaise santé. Elle communique cependant avec des ami(e) s par téléphone.

Son état physique suscite l’apitoiement, l’érésipèle, la rétraction des membres, la cachexie, ne font qu’augmenter la détresse des soignants qui ne trouvent plus beaucoup de sens non plus à leurs soins.

Les cris de Mme N du fond du service ne font qu’ajouter la note décisive d’intolérabilité, ses cris qui se relaient dans une sourde complainte ensuite…

Les soignants expriment désarroi et fatigue, sentiment de manque de compétence en l’occurrence pour accompagner et soigner dans un tel cas, non-compréhension du projet de soins

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et manque de coordination pour la relecture de la situation. La souffrance se diffuse dans l’ensemble de l’équipe et sur l’ensemble de la journée, affecte le travail au quotidien.

Après le décès, les soignants ont mis du temps à « digérer » l’histoire de Mme N, son décès si rapide après le transfert. Le manque de relecture en équipe a favorisé un certain temps l’émergence des commentaires épars non satisfaits.

3.1 Les soignants et la mort/apport des soins palliatifs

Quelles réponses le monde médical propose-t-il à la question du deuil ?

Les endeuillés :Dans le sillage direct des Soins Palliatifs, tout un mouvement

médical et para-médical, avec en particulier comme tête de file Michel Hanus et la Société de Thanatologie y travaille et tente de formaliser une « aide aux endeuillés ».

C’est d’ailleurs une réponse logique aux termes de la circulaire DSG/3D du 26 août 1986 relative à l’organisation des soins et à l’accompagnement des malades en phase terminale, qui précise dans le paragraphe IV, intitulé « Relations avec les familles » : « Le rôle de l’équipe se poursuit après le décès du malade dans le but d’assurer le suivi du deuil et de prévenir ainsi, autant que possible, l’apparition de pathologie consécutive à la perte d’un proche (il est statistiquement démontré qu’on rencontre dix fois plus de pathologies graves chez les personnes ayant eu un deuil l’année précédente) » Personne ne précise d’ailleurs très clairement ce qu’est un « suivi de deuil » ni même ce qu’est un « deuil pathologique » mais on a vu surgir tout un discours sur un nouvel objet de connaissance : l’endeuillé.

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Le but est annoncé : prophylaxie médicale. Le risque serait de croire résoudre ainsi le questionnement humain sur son origine et sa destinée en feignant de le faire taire, par un discours du côté de la compréhension ou de la science : on crée une catégorie « autre » en l’occurrence, les endeuillées, et on se met à faire des « discours sur » peut-être pour ne plus éprouver l’émotion liée à la perte (?).

Les endeuillés pris en tant qu’objet de connaissance, c’est ce qui va dans le sens du « faire » Or l’accompagnement des endeuillés n’est pas dans l’ordre du faire mais du prendre soin.

Quelques extraits de D. Vasse offrent une articulation précise aux termes séparation, souffrance et symptômes et nous donnent de comprendre sur quoi se cristallise un deuil dysfonctionnel.

« La souffrance nous sépare d’avec nous-mêmes. Elle nous divise.

(…) Nous avons perdu l’image de nous-mêmes et nous ne sommes portés par aucune représentation qui nous indiquerait le passage. Il nous reste une voix sa ns parole articulée : un cri. Personne alors, nous semble-t-il, ne peut ou ne veut nous aider. Notre cri est vain et « ça ne sert à rien de parler ! ». La parole n’est que du vent : ce qui est seulement vrai, c’est que nos repères soi-disant objectifs, repères sentimentaux, sociaux, charnels, ont disparu et nous avec. La vie, disons-nous alors ne vaut plus la peine d’être vécue : mieux vaut la mort. Nous sommes fascinés par la disparition de l’image de nous-mêmes dans l’eau de la mort. La séparation d’avec le « même » nous arrache toujours un cri, une demande. Ce cri de l’homme – qui est parole d’un sujet qui se cherche dans la déchirure du corps, dans la séparation des corps – il est le plus souvent rendu inaudible sous le bruit et le remue-ménage que déclenchent les « symptômes ». Je me suis souvent demandé si les soins que nous donnions n’étaient pas faits pour faire cesser le cri, pour ne plus entendre la voix qui crie. La précipitation de l’urgence, (du prescrire), suture souvent la demande. Elle ne laisse

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pas au cri le temps nécessaire de se convertir en mots. Par contre, lorsque le souffrant n’est plus réduit – ou ne se réduit plus – à son symptôme, la souffrance, par le déplacement qu’elle implique, devient le lieu symbolique d’une parole. Ainsi se rouvre un espace où le souffrant et le soignant se rencontrent à égalité de sujet »

.Dans la démarche palliative se voit inclus l’accompagnement

des proches et des endeuillés. Elle a promu la réflexion sur le sujet.

Recommandations ANAES 55

« Les soins palliatifs sont des soins actifs, continus, évolutifs, coordonnés et pratiqués par une équipe pluri-professionnelle. Dans une approche globale et individualisée, ils ont pour objectifs de :

• prévenir et soulager les symptômes physiques (dont la douleur),

• anticiper les risques de complications,• prendre en compte les besoins psychologiques, sociaux

et spirituels, dans le respect de la dignité de la personne soignée ».

La démarche de soins palliatifs vise à éviter les investigations et les traitements déraisonnables tout en refusant de provoquer intentionnellement la mort. Selon cette approche, le patient est considéré comme un être vivant la mort comme un processus naturel.

Les soins palliatifs s’adressent aux personnes atteintes de maladies graves évolutives ou mettant en jeu le pronostic vital ou en phase avancée et terminale, en accompagnant leur famille et leurs proches. »55 – Recommandations ANAES : « Modalités de prise en charge de l’adulte nécessitant des

soins palliatifs »,12/03/02

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D’après la conférence de consensus ANAES :

« L’accompagnement d’une personne en fin de vie et de son entourage consiste à apporter attention, écoute, réconfort, en prenant en compte les composantes de la souffrance globale (physique, psychologique, sociale et spirituelle).

Il peut être mené en lien avec les associations de bénévoles. L’accompagnement de l’entourage peut se poursuivre après le décès, afin d’aider le travail de deuil. »

La professionalisation du deuil

On voit bien comment s’effectue mine de rien le glissement vers le médical. Patrick Baudry dénonce à juste titre cette manière de professionnaliser le deuil du côté d’un individualisme opérationnel : « La privatisation du deuil s’accompagne de sa professionnalisation. Tout se passe comme si un transfert s’accomplissait d’une prise en charge culturelle vers une prise en charge spécialisée.

Comme si l’institution sociale se dérobait, comme si une culture ne permettait plus l’élaboration du rapport à la mort. S’agirait-il, dans une optique comportementale, d’adapter des personnes à un fonctionnement opératoire selon lequel la mort tiendrait de l’incident ? S’agirait-il de mettre en service une instrumentalisation du deuil, logiquement adaptée à la société du déni de la mort. L’aide se présente volontiers comme la réponse presque naturelle qu’il faudrait fournir à une société désemparée. Mais que sait-on de la dite société lorsqu’on en traite qu’à partir de l’individu et comme si « la » société n’était qu’une addition d’individus. Ne s’agit-il pas de proposer la solution au problème qu’on a préalablement construit pour que la solution, sa nécessité évidente, sa logique de fonctionnement, s’imposent absolument. »

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3.2 Les soignants/les proches dans le deuil : l’accompagnement/les attitudes soignantes/la proximologie.

Face au décès d’un patient et face aux endeuillés les soignants adoptent naturellement différentes attitudes ou mécanismes de défense que Martine Ruszniewski56 décrit comme :

– Le mensonge : Ce mécanisme de défense est utilisé dans l’urgence. Le soignant cherche à se donner du temps ou évite la réalité.– La banalisation : Relativisation du mal.– L’esquive : détourner le sujet et le remplacer par un autre– La fausse rassurance : donner un espoir démesuré.– La rationalisation : se réfugier dans des données de connaissances théoriques abstraites.– L’évitement : Éviter la relation, privilégier les soins techniques– La dérision : se servir de la plaisanterie pour biaiser la réalité.– La fuite en avant : Donner toutes les informations d’un coup pour se soulager.– L’identification projective : Se laisser démesurément affecter – émotionnellement et affectivement- par la situation en « se mettant à la place de l’autre ».

Pour que le soignant puisse accompagner il doit prendre conscience de ces mécanismes de défense pour ensuite réajuster son attitude et ainsi maintenir ou adopter une attitude aidante.

56 – Ruszniewski Martine, Face à la maladie grave, Dunod, 1 995.

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L’accompagnement- soins techniques-soins relationnels

Les soignants ont des soins qui sont relationnels et techniques, le patient doit être considéré dans sa globalité physique, psychique, morale, sociale, spirituelle, culturelle.

Dans le décret de compétence de la profession infirmière57, l’infirmier se doit : « de participer à la prévention, à l’évaluation et au soulagement de la douleur et de la détresse physique et psychique des personnes, particulièrement en fin de vie au moyen des soins palliatifs, et d’accompagner, en tant que de besoin, leur entourage ». La partie relative aux soins relationnels est infime par rapport au listing de soins techniques qui s’en suit, cela pose question ; il en va de même pour les cours réservés en Institut de formation en soins infirmiers. S’il y a eu des améliorations pour un meilleur équilibrage et l’instauration de plus de réflexion dans les démarches soignantes, l’effort mérite d’être poursuivi, et le soin de l’endeuillé mérite là sa juste place.

L’accompagnement est défini comme « présence physique, psychologique et professionnelle d’un intervenant dans une phase d’adaptation, de réadaptation ou d’intégration sociale dans le but d’assurer le bon déroulement de cette phase »58.

Quelle belle image vraiment que celle de l’étymologie de ce terme :

« Marcher avec un compagnon « Compagnon : cum panis, « partager le pain avec l’autre » ! Nous connaissons le compagnonnage, qui est une association entre ouvriers d’une même profession à des fins d’instruction professionnelle et d’assistance

57 – Décret n° 200�-802 du 29 juillet 200� relatif aux parties IV et V (dispositions régle-mentaires) du code de la santé publique et modifiant certaines dispositions de ce code, Article R. � 311-2, paragraphe 5.

58 – BLOUIN, Maurice et Caroline Bergeron. Dictionnaire de la réadaptation, tome II : termes d’intervention et d’aides techniques, Québec, Les Publications du Québec, 1997, 16� p., p. 11.

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mutuelle, et qui s’appuie sur des valeurs qui ont depuis le Moyen-âge fondé leur démarche : accueil et accompagnement, transmission des compétences professionnelles, ouverture et attention aux autres.

L’accompagnement s’enracine dans le concept du « prendre soin » décrit par Virginie Henderson.

« Prendre soin » d’une personne est différent de « faire des soins ». La pratique du soin s’inscrit dans une rencontre entre personnes soignées et des personnes soignantes. Il s’agit pour des soignants de rencontrer une personne sur le chemin de vie qui est le sien et de faire un bout de chemin avec elle, allant même parfois jusqu’au bout du chemin. Cette rencontre requiert une présence de l’un à l’autre et la reconnaissance de la différence qui permet le dialogue et la juste distance, le respect des valeurs de l’autre. La base de cette démarche, le premier objectif est de tisser des liens de confiance avec la personne soignée.

Tisser des liens de confiance fondés sur le respect de la personne et qui permettent de cheminer avec elle nécessite la conjugaison de Huit qualités : la chaleur, l’écoute, la disponibilité, la simplicité, l’humilité, l’authenticité, l’humour, la compassion.

Le soignant pour bien accompagner doit tendre vers l’autonomie et favoriser celle des autres. Il/elle doit se connaître et avoir la capacité de prendre soin de soi. Prendre soin est un art, celui qui réussit à combiner des éléments de connaissance, d’habileté, de savoir-être, d’intuition qui vont permettre de venir en aide à quelqu’un, dans sa situation singulière. L’art du thérapeute est celui qui permet de s’appuyer sur des connaissances établies pour des personnes en général en vue de se les réapproprier pour prendre soin d’une personne unique.

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Prendre soin et sollicitude

Jacques Sauvignet décrit la sollicitude comme attitude soignante propre à l’accompagnement :

« Le territoire sur lequel s’exercent ces qualités fondamentales soignantes trouve un écho dans le terme de sollicitude qui a une place importante dans la philosophie de Paul Ricœur. L’auteur place la dynamique de la sollicitude sur la trajectoire de l’éthique et donne à ce mot le statut de « spontanéité bienveillante, soucieuse de l’altérité des personnes, intimement liée à l’estime de soi au sein de la visée de la vie bonne ». En matière d’éthique infirmière, il n’est pas absurde de penser que cette sollicitude s’inscrit dans une prudence (« phronesis ») pratique faite de présence, discussion, de prise en compte de l’altérité, de respect inconditionnel de l’autre, d’empathie, de sympathie, de responsabilité. C’est en quelque sorte le lieu de l’exercice de la sagesse infirmière, une éthique de sollicitude. »

La sympathie/La compassion59

La sympathie est une contagion affective, la transmission d’une émotion d’un individu à un autre individu (Hume).

La compassion est le sentiment par lequel on est porté à percevoir ou ressentir la souffrance des autres, et poussé à y remédier. Le mot compassion provient du latin cum patior, « je souffre avec ». Il s’agit donc d’un calque latin du grec sym patheia, sympathie, dont le sens avait dévié. D’où le besoin de ce mot, ainsi que de celui d’empathie. « Pitié » et « apitoiement » sont tous deux devenus péjoratifs, mais signifient originellement compassion, tout comme « miséricorde » et son synonyme « commisération ».

La compassion est une prédisposition à la perception et la reconnaissance de la douleur d’autrui, entraînant une réaction de 59 – Site internet : www.wikipedia.org:Sympathie/compassion

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solidarité active, ou seulement émotionnelle. Il s’agit donc d’une variante d’empathie axée sur la douleur. On peut aussi se porter de la compassion, ce qui sous-entend que l’on est détaché de soi-même, sans quoi on peut aisément la confondre avec l’apitoiement, avec sa composante de complaisance. De même la compassion envers autrui peut être confondue avec la pitié, au sens moderne, avec sa connotation de condescendance.

Ces deux distorsions de la compassion sont donc stériles, parce qu’il y manque une aide, un soutien actif et efficace, dans la mesure du possible. En effet, si une personne se noie, cela n’arrange pas les choses de se noyer avec elle, et peut même empirer sa condition. De plus, pleurer sur le sort de quelqu’un ne l’aide généralement pas.

L’empathie60

L’empathie (du grec ancien εν, dans, à l’intérieur et πάθoς, souffrance, ce qu’on éprouve) est une notion complexe désignant le mécanisme par lequel un individu peut comprendre les sentiments et les émotions d’une autre personne voire, dans un sens plus général, ses états mentaux non-émotionnels comme ses croyances (on parle alors plus spécifiquement d’empathie cognitive). Dans l’étude des relations interindividuelles, on distingue l’empathie de la sympathie, de la compassion ou de la contagion émotionnelle. (La notion d’empathie n’impliquant pas en elle-même l’idée du partage des mêmes sentiments et émotions, ni d’une position particulière vis-à-vis de ces derniers).

D’après Wispé : « L’objet de l’empathie est la compréhension. L’objet de la sympathie est le bien-être de l’autre. […] En somme,

60 – Site Internet : www.wikipedia.org:empathie

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l’empathie est un mode de connaissance ; la sympathie est un mode de rencontre avec autrui. ».

La proximologie

Ces différentes attitudes soignantes se conjuguent en fonction des situations, des personnalités, des aptitudes personnelles…

Comme trame de fond il convient de situer la responsabilité au cœur de la relation, responsabilité décrite dans le premier chapitre d’après Emmanuel Lévinas comme fondamentale. Cette responsabilité est motrice dans la réponse du soignant à la détresse de l’endeuillé : elle conjugue avec art les différentes attitudes en fonction de la période de deuil, de la personnalité et de la culture de l’endeuillé, elle intègre l’attention au besoin de tranquillité, respect, repos de l’âme et du corps… Un simple verre d’eau peut-être à l’occasion d’un grand bienfait… Cette responsabilité s’insère dans une rencontre avec l’autre qui se réalise dans la proximité. Il convient d’oser cette proximité, « tout proche dans le deuil », fondée sur cette responsabilité telle que la conçoit Lévinas où le moi et l’autre cheminent individuellement et librement dans cette solidarité de l’un pour l’autre.

Globalement il convient davantage d’être dans l’écoute et l’attention, la sollicitude bienveillante dans les préliminaires, laisser un espace intime pour la libération des émotions. Ensuite, l’empathie, la parole, permet de libérer l’autre progressivement et lui donne à son rythme de trouver du sens. Cependant il n’y a pas de règle stricte et l’adaptation au cas par cas est de bon augure.

La proximologie est une nouvelle discipline dont le but est d’améliorer la relation du monde soignant avec l’entourage des personnes malades et d’apporter un soutien aux proches des patients, qu’il s’agisse de membres de sa famille, de son conjoint ou d’amis. Elle tente de mieux partager les savoirs, de

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mieux coordonner les interventions, de ménager les familles et les proches dans la durée, de les rassurer, de les soutenir tout au long de l’épreuve de la maladie, de les aider dans leur deuil s’il y a lieu.

3.3 L’accompagnement des proches dans le deuil : une éthique en chemin

La visée éthique est définie par Paul Ricœur comme « visée de la vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes »61. Cette visée éthique est primordiale. Les trois composantes de la définition sont également importantes :

– Le souci de soi, ou « visée de la vie bonne » reprise de l’expression Aristotélicienne. Le souci de soi rejoint l’estime de soi.

– Le souci des autres, « avec et pour les autres », donne l’ouverture et la plénitude au moi. « ma thèse est que la sollicitude ne s’ajoute pas du dehors à l’estime de soi, mais qu’elle en déplie la dimension dialogale implicite.

Estime de soi et sollicitude ne peuvent se vivre et se penser l’une sans l’autre. » « Le miracle de la réciprocité, c’est que les personnes sont reconnues comme insubstituables l’une à l’autre dans l’échange même. Cette réciprocité des insubstituables est le secret de la sollicitude. »

– Le souci des institutions, « Vivre bien, avec et pour l’autre, dans des institutions justes ». Que la visée du vivre-bien enveloppe de quelque manière le sens de la justice, cela est impliqué par la notion même de l’autre.

Cette visée éthique doit passer au crible de la norme. C’est le passage de l’éthique à la morale. « Restera à montrer de quelle façon les conflits suscités par le formalisme, étroitement solidaire du moment

61 – Paul Ricoeur, Soi même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.

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déontologique, ramènent de la morale à l’éthique, mais à une éthique enrichie par le passage par la norme et inscrite dans le jugement moral en situation ». La morale est définie comme l’impératif catégorique kantien : « Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne loi universelle ».

Le second impératif kantien vient combler le vide d’une autonomie exacerbée et instaure le respect comme fondamental et ancré dans la sollicitude. « Agis toujours de telle façon que tu traites l’humanité dans ta propre personne et dans celle d’autrui, non pas seulement comme un moyen, mais toujours aussi comme une fin en soi. » Cette idée de la personne comme fin en soi est tout à fait décisive : elle équilibre le formalisme du premier impératif.

Puis dans un troisième temps Paul Ricœur rappelle « la légitimité d’un recours de la norme à la visée, lorsque la norme conduit à des conflits pour lesquels il n’est pas d’autre issue qu’une sagesse pratique qui renvoie à ce qui, dans la visée éthique, est le plus attentif à la singularité des situations ».

C’est dans ce cheminement éthique que je propose au soignant d’adapter son attitude aux endeuillés, au cœur de cette sollicitude se retrouve la responsabilité selon l’expression de Lévinas.

C’est par le biais du regard expérimenté des associations que je vous incite d’écouter ces conseils pour l’accompagnement des endeuillés qui semblent opportuns.

Quelques pistes pour aider la personne en deuil62

Le principal moyen d’aider une personne endeuillée, c’est de l’écouter. Les paroles d’encouragement ou les conseils sont souvent perçus comme inutiles ou même blessants. En effet, nos mots sont parfois maladroits pour exprimer notre pensée ou pour dire à l’autre que l’on est sensible à l’intensité de sa peine.62 – Site Internet : http://www.sdequebec.ca/publications/pub1.asp

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On est souvent mieux d’admettre qu’on ne sait pas quoi dire, qu’on est mal à l’aise parce qu’on devine un peu à quel point on serait soi-même bouleversé dans une telle situation.

Les comportements les plus appropriés et les plus appréciés sont habituellement de se montrer disponible, d’être à l’écoute des émotions de l’endeuillé, de savoir respecter son silence.

Il faut éviter les phrases toutes faites et les conseils tels :« Tu peux avoir d’autres enfants »« Tu es jeune, tu peux te remarier »« Il est bien mieux mort que d’être resté légume »« Tu vas sortir grandi de cette épreuve »

Ces phrases ne sont pas nécessairement fausses, mais elles ne sont pas aidantes. Il se sent alors incompris et cherchera à éviter les personnes qui lui manifestent peu de compassion.

Les gens en deuil ont besoin d’être entourés, mais ils ne recherchent pas le même genre de relations sociales qu’auparavant. Ils se sentent souvent isolés et trouvent que les relations avec leurs proches sont plus difficiles.

On croit parfois qu’il vaut mieux ne pas parler du disparu pour ne pas attrister les endeuillés en leur rappelant leur perte. C’est oublier à quel point leurs pensées sont habitées par le disparu. Plusieurs endeuillés souhaitent en parler, d’autres ne se sentent pas capables ou ne désirent pas le faire. Il faut respecter les besoins de chacun. Cependant, il est important de ne pas changer de sujet quand l’endeuillé parle du décédé. En effet, les endeuillés ont souvent l’impression de renier l’être cher en évitant de parler de lui. Ils vivent cela comme une « conspiration du silence ». Il importe de tenir compte de leurs désirs à ce sujet. Ils ont parfois besoin de dire et de redire les mêmes choses longtemps : leur attachement à la personne décédée, l’histoire de ce qui s’est passé, les difficultés qu’ils vivent, le vide qu’ils ressentent.

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Souvent, après un certain temps, ils ont l’impression que leurs proches ne veulent plus les entendre. Les endeuillés souffrent alors de solitude, d’isolement et d’incompréhension alors qu’ils auraient besoin d’être entourés et respectés dans leur cheminement.

Parfois les endeuillés éprouvent une certaine envie face au bonheur des autres et évitent les rencontres avec des personnes qui leur rappellent ce qu’ils ont perdu. Ainsi, une femme, après le décès de son conjoint, peut éviter les gens qui sont en couple ou encore des parents, après le décès d’un enfant, peuvent s’éloigner de proches qui ont des enfants du même âge. Il ne faut pas s’offusquer de cette attitude des endeuillés et il faut être capable de leur offrir à nouveau plus tard de l’écoute, une sortie, une invitation parce qu’ils cheminent et que leurs besoins changent.

Ceux qui trouvent des personnes attentives, compréhensives, disponibles et tolérantes en sont très reconnaissants et disent à quel point cela les aide à vivre leur deuil.

Les endeuillés apprécient aussi une aide concrète comme apporter un repas, garder les enfants, faire les petites tâches ménagères qu’ils n’ont pas toujours le courage de faire.

Il faut se rappeler que l’attitude et le comportement sont plus importants que les paroles pour transmettre à la personne endeuillée l’expression de notre sensibilité à sa peine et notre disponibilité à l’écouter et à l’accompagner sur ce long chemin du deuil. C’est un processus long et exigeant, mais il faut prendre le temps nécessaire pour le vivre. C’est une condition essentielle à la guérison du cœur blessé par le décès d’une personne aimée.

L’accompagnement des enfants et des personnes âgéesL’accompagnement des enfants et des personnes âgées est

spécifique et il est bon de relever certaines particularités de l’accompagnement pour l’adapter convenablement. Pour plus

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d’informations vous pouvez trouver des éléments intéressants appropriés à ces deux situations spécifiques dans le livre d’Alain de Broca : « Deuils et endeuillés »63

Quelques suggestions pour les aider les personnes âgées dans le deuil6�

On ne doit jamais forcer quelqu’un. Mais il faut saisir les occasions où il manifeste le désir de parler de son deuil, pour l’inviter à en dire davantage.

• Prendre le temps d’écouter. Il s’agit de laisser l’aïeul parler comme il l’entend, sans essayer de le distraire ou de le consoler outre mesure. Parfois, on aura l’impression qu’il se répète. Mais, si on l’écoute bien, on aura l’impression que la narration se fait de plus en plus cohérente, comme si sa mémoire se dégelait peu à peu.

• Reconnaître son chagrin. À la vue d’une personne âgée qui pleure, certains proches ou soignants sont, à tort, enclins à l’empêcher d’exprimer sa tristesse. Or les pleurs contribuent à libérer le trop plein d’émotions, ne pas pouvoir les exprimer risque de rendre malade. L’expression de l’émotion est passagère et elle contribue à l’équilibre personnel.

• Se montrer patient. Faire son deuil exige beaucoup d’énergie et une personne âgée n’en a pas tellement. Aussi est-il préférable de ne pas trop prolonger les moments d’écoute pour lui éviter trop de fatigue. Plutôt que de vouloir épuiser le sujet d’un seul coup, il vaut mieux y revenir à plusieurs reprises. De plus, le processus du deuil chez les personnes âgées s’avère plus lent que chez les jeunes personnes. Une raison supplémentaire de prendre patience.

63 – Alain de Broca, « Deuils et endeuillés », Paris, Masson, 2006.6� – Atouts Presse avec le concours de Jean Monbourquette, psychologue, mis à jour le

13 février 2007 site Internet : www.agevillage.com/article-1870-1- (Dossier-de-la-semaine (html - �5k

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IV- L’ETHIQUE EN PRATIQUE

Après cette varappe dans les monts enneigés de la mort et de l’absence et les cimes ensoleillées de la présence je vous propose un retour en plaine courante…

Récit : Le soin de l’endeuillé, les lancinantes questions de la vie.

Le soin de l’endeuillé : les lancinantes questions de la vie

M. B arrive dans le service de SSR, cachectique, les membres tendus, la voix forte mais peu prolixe, les yeux souvent fermés, en phase de « momification ».

Je les accueille, M. B et sa fille, celle-ci très agitée, gravite autour de lui, des documents à la main, avec cette invective : « Il faut qu’il mange, il ne faut pas qu’il meure maintenant, j‘ai des papiers à lui faire signer ».

Devant ce constat, altération de l’état général flagrant et persistant, opposition constante aux soins, les soignants ne se font guère d’illusions et d’ailleurs : « vu son âge, on peut le laisser tranquille ». Sa fille apparait comme agressive, éreintante par son comportement, elle invite clairement à l’évitement, d’ailleurs, « elle passe en courant d’air ».

Les aides-soignants ne voient pas l’intérêt de persister dans les soins ou pour l’alimentation, vu le contexte. De plus, son refus ne prête pas à confusion.

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Les infirmières doutent de l’intérêt des perfusions, « on ferait mieux de le laisser tranquille ».

Les médecins souhaitent se donner du temps pour réévaluer la situation paisiblement et mieux comprendre la raison des différents comportements.

M. B finit par être touché par la gentillesse des soignants. Il se montre un peu moins récalcitrant face aux soins tout en confirmant son désir : qu’on le laisse tranquille. Il accepte quelques cuillérées à l’occasion mais les soignants sont vigilants car il risque une fausse route.

Sa fille est toujours aussi agitée, focalisée sur l’alimentation et l’hydratation, « pour qu’il ne meurre pas », elle mitraille son père d’invectives à ce sujet… La « bête noire » à éviter, grommellent les soignants et « le pire c’est qu’elle risque de l’exposer à une fausse route, parce que, lorsqu’elle est là, elle ne peut s’empêcher de le faire manger »

Son aspect extérieur contraste avec la description des soignants, visiblement, cette femme, fine, voire coquette sans raffinement excessif, semble douée d’entendement et avoir une certaine éducation…

D’une chambre double. M. B est transféré dans une chambre seule, les yeux fermés… Ceci pour éviter au voisin d’être interpellé, choqué ou fatigué par la situation et permettre à M. B et à sa fille de se retrouver dans un contexte plus intime dans ces moments difficiles.

Le médecin du service sollicite la fille de M. B pour un entretien avec un médecin de l’équipe de la douleur. Cet entretien modifie son comportement, elle est plus réaliste quant à l’état d’aggravation de la santé de son père. Je la trouve plus posée, amène à échanger, la larme à l’œil, pourtant.

Lors de la réunion de service, la difficulté des soignants devant son comportement insolite est soulignée ainsi que le besoin de

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lui rappeler les risques de fausses routes. Le médecin du service mentionne l’entretien avec l’équipe mobile de la douleur et dit qu’elle a besoin d’être soutenue, écoutée.

Je me remémore ma formation à St Christopher’s Hospice en Angleterre et le questionnaire réservé aux familles dans le cadre de l’accompagnement des proches dans le deuil. Je me dis, je vais être à l’écoute, son comportement cache quelque chose à décoder.

Lors de mon passage dans la chambre, je m’attarde un peu et lui propose d’évoquer des souvenirs de famille. Je tente de la situer dans le contexte familial, en visualisant le génogramme -utilisé là-bas comme outil pour situer l’entourage familial ou proche par rapport au patient et utilisé e ici aussi en soins palliatifs-. Elle me confie alors progressivement son histoire, mais hors de la chambre. Elle me conte d’emblée les deuils douloureux, récents et plus anciens…

M. B n’est pas son vrai père, « mais c’est comme mon père, c’est pour cela que je dis que je suis sa fille, en fait c’est mon « père adoptif ». Mme A est émue, elle me parle de son vrai père, « il était très sévère, avec un caractère difficile, nos relations étaient distendues.

Mes parents ont divorcé, les relations étaient très distantes, il s’est remarié… Mon frère a conservé un lien avec lui, moi très peu. Ma mère s’est remariée, et j’ai adopté mon beau-père comme père. Il savait ce qu’il voulait mais il était plus doux… Mon père est décédé, ma mère aussi… Entre-temps je me suis mariée, j’ai trois enfants qui ont la vingtaine, mais,- elle se retient et à mi-voix encore sous le choc –, j’ai perdu mon mari voici deux ans, c’est dur… Le deuxième de mes trois fils en a été profondément marqué, il n’a pas pu poursuivre ses études, cela l’a bouleversé… Et maintenant c’est lui… » Grâce à l’émergence de la parole et l’évocation des souvenirs, l’anxiété et la frénésie active de Mme A

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s’estompent. Mais cela suffit… la pudeur lui donne cette retenue que le silence couvre de son manteau d’intimité. L’histoire a ses secrets que seul le fond des cœurs connait.

J’ébauche une brève synthèse de ses souvenirs et tente de réaliser le génogramme sur une simple feuille que je glisse furtivement dans le dossier de soin. Le lendemain, au récit, certains soignants réagissent et remarquent : « il nous faudrait davantage de temps pour être à l’écoute », ou « si on faisait cette démarche à chaque fois, on n’en finirait pas… » Et pourtant, ce temps « perdu » s’avère parfois précieux et utile…

Les journées passent dans ce temps qui s’effrite avec monotonie en laissant échapper une multitude de détails qui semblent anodins. Mme A ne souhaite pas évoquer davantage ses souvenirs avec une psychologue, en revanche elle accepte volontiers un nouvel échange prochain avec l’équipe mobile de la douleur. « Son père » est soulagé de la voir moins crispée et elle prend plus de temps en sa compagnie, lui parle ; ses trois enfants passent lui rendre visite, c’est le vrai rayon de soleil de la journée de M. B.

La bénévole de l’aumônerie sait qu’il est catholique mais peu pratiquant. Elle s’aventure à lui proposer son soutien, sentant sa mort prochaine. Etonnamment, il demande le sacrement des malades, à la surprise de « sa fille » et en même temps cela ne l’étonne guère, c’est l’occasion pour les deux de voir les choses en face, ou pour lui, de lui permettre de comprendre,

M. B, lors d’une après-midi sans incident, me dit spontanément lors du soin : « vous savez ce matin, j’ai vraiment cru que j’allais mourir, j’ai eu très peur de mourir ». Il semble si soulagé de se sentir vivant. Il exprime son angoisse devant cet inconnu qu’il ne maîtrise pas. Puis il renchérit : « il faut remercier tout le monde, vraiment, ils sont tous gentils, le plus dur est passé »

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Lors de la réunion d’équipe, le médecin transmet que M. B lui avait redit personnellement de bien remercier l’équipe. L’équipe mobile de la douleur repasse pour réévaluer les traitements antalgiques, anxiolytiques, car M. B a les membres excessivement tendus, raides, et il appréhende particulièrement les soins. Un soutien de la psychomotricienne est proposé, avec massage détente, et les traitements sont ajustés.

Je rencontre Mme A en soirée, lui décrit brièvement son état, les soins réadaptés. Elle me dit qu’elle part quelques jours en Normandie, pour un mariage. J’ose lui dire que je le trouve très faible et que c’est à ses risques et périls, il se peut qu’il décède d’ici là… Elle est gênée, se demande ce qu’il faut qu’elle fasse. Je lui demande : « A votre avis, que vous aurait-il dit, qu’aurait-il aimé pour vous ? ».

« Que j’y aille », répond-elle. Alors je la rassure et lui conseille cependant de ne pas hésiter à raconter son projet pour éviter qu’il se sente abandonné. Elle est émue et avant de partir me confie qu’elle le lui a dit. Elle me demande de signaler aux soignants de ne pas hésiter à la joindre s’il arrive quelque chose. Ensuite, elle me retient, me demande si je peux lui donner quelques indications sur comment cela se passe après un décès, au cas où… Je le lui explique très succinctement en lui remettant la brochure d’informations réservée aux familles : « comme cela vous l’avez sous le coude, au cas où ». « C’est vrai, il est très faible » admet-elle avec un soupir, et elle s’en va.

Le matin du mariage, M. B est décédé, elle reçoit la nouvelle et choisit de rester assister à la cérémonie l’après-midi. C’est dur pour elle, la mort et la vie lui donnent rendez-vous en même temps, comment concilier les deux ?..

Mme A décide de procéder par étape, elle se rend à son mariage et le lendemain, dimanche à la chambre mortuaire…

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La vie et la mort se côtoient, mais l’esprit de Mme A est pris par cette annonce tragique, dure, indigeste, « il est mort ».

Elle arrive titubante dans le service en début d’après-midi. « C’est dur de le voir là-bas, je n’ai pas pu, j’ai déposé les affaires pour l’habiller et je suis partie, je le verrai ensuite. » Elle tourne son regard vers la porte de la chambre, légèrement entrouverte, et là, dans le couloir, elle s’effondre en larmes. Le médecin du service, qui était référent de M. B, passe. Elle se reprend, lui dit bonjour, et essaye de se contenir : « ce n’est pas bien de se laisser aller à ses émotions ainsi ». « Ne vous inquiétez pas », le médecin la rassure. Mme A avoue : « c’est vrai, cela fait du bien ». Je me sens démunie, la parole sert peu dans ce contexte. La sollicitude, l’attention discrète, donnent à l’autre de partager sa souffrance et de sortir de sa solitude.

Je lui demande si elle préfère prendre les affaires dans la chambre ou que je les lui passe. Elle opte pour la deuxième solution et évite de se retrouver dans cette chambre vide qui trahit cette absence cruelle qu’elle a encore du mal à accepter. Elle remercie pour l’attention de l’équipe soignante et signale qu’elle repassera lundi pour les formalités administratives et voir la surveillante du service. Je lui signale par la même occasion qu’il y a une bague au coffre à récupérer… « Cela suffit pour aujourd’hui ».

Mme A est repassée lundi pour voir l’infirmière cadre et passer aux admissions. Elle a pu s’exprimer davantage et remercier… maintenant il faut qu’elle assume en se cramponnant aux démarches pratiques, tout en appréhendant de devoir accompagner ses propres enfants dans ce deuil, en particulier son deuxième fils déjà bien fragilisé par le deuil de son propre père.

Elle emporte avec elle ce lourd fardeau d’un deuil long à intégrer, deuil qui, de plus, a ré-ouvert les cicatrices des deuils antérieurs. Le vent n’emporte pas au temps à tout jamais cette larme de la

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mort de l’autre, en certaines occasions, ravivée par le souvenir, une autre larme s’échappe, similaire et différente et un beau matin, une rosée rafraichit l’herbe qui s’éveille et verdit, attendrie…

Les lancinantes questions de la vie…

Relecture à thèmes

Attitudes soignantes vis-à-vis de l’accompagnement

Mme A, par son comportement initial hyperactif, stressée, focalisée désespérément sur l’alimentation de son père, induit une attitude d’évitement chez les soignants. Ceux-ci pourtant obligés de lui donner des informations relatives aux risques de fausses routes se trouvent confrontés à son agacement majoré. Une attitude défensive des soignants s’ensuit. Pour désamorcer l’impasse relationnelle il a fallu une attitude d’écoute avec une attention et une disponibilité à décoder le problème sous-jacent révélateur d’un comportement inadapté du proche.

Il s’avère que la fille devient la belle-fille. L’histoire et le contexte familial se déroulent au profit d’un apaisement et de l’instauration d’un climat de confiance et d’intimité préservés en même temps. Mme A se resitue par la même occasion, elle peut voir progressivement la réalité en face et cheminer enfin dans cette période pré-deuil.

L’écoute et la sollicitude sont deux attitudes clés. Cette écoute doit être ouverte, sans a priori, attentionnée. En même temps elle doit donner à l’autre de découvrir ou dire ce qu’il cache derrière un comportement inhabituel ou inadapté.

La proximité est nécessaire et doit être osée pour permettre la relation. Cette proximité ne doit cependant pas être aliénante pour

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l’autre – elle ne doit pas être pour le soignant l’occasion d’imposer son point de vue –, elle doit être libératrice – elle doit permettre à l’autre par l’échange ou la seule relation de reconstruire un sens à ce qu’il vit et de cheminer à son rythme. C’est ce qui a permis à Mme A de faire ce choix de partir au mariage en Bretagne.

L’attitude soignante adaptée dans le soin relationnel de l’endeuillé est personnelle et à ajuster aux différentes étapes. On retrouve cependant des attitudes qui sont similaires ou se rejoignent dans leurs expressions. Après le décès Mme A est encore trop sous le choc à son retour dans le service et l’expression verbale est étouffée par l’émotion, les pleurs à demi étouffés qui n’ont alors qu’un réel besoin, celui de s’épancher. La présence sensible de la soignante suffit pour lui donner cette possibilité d’extérioriser et confier son chagrin, la présence médicale lui donne cette réassurance d’une compréhension qui passe par-delà la parole et qu’un simple toucher ou un simple mot suffit à confirmer.

La parole à distance, les jours suivants, a donné à Mme A de retrouver son histoire et comment poursuivre après cette nouvelle déchirure qui a réveillé d’autres déchirures et séparations dans le passé.

Le génogramme, apport de St Christopher’s Hospice

Dans la situation présentée l’apport de St Christopher’s Hospice me fut précieux et j’ai pu concrètement en bénéficier. Le génogramme est un outil qui permet de mieux appréhender la dynamique familiale et les problématiques sous-jacentes qui peuvent émerger lors d’un décès. Si le simple récit peut-être suffisant et préférable pour certains, le génogramme permet pourtant de visualiser et concentrer les données dans un schéma. Ceci présente des avantages et des inconvénients certes aussi. Dans l’histoire de Mme A le questionnement m’a permis de mieux

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comprendre son attitude lui donnant de s’apaiser, trouver du sens à ce qu’elle vivait et de faire des choix.

En outre il a permis indirectement de maintenir une vraie relation avec elle et un accompagnement dans le deuil ; avec répercussion positive sur le processus de deuil débuté en milieu hospitalier et poursuivi ensuite en société.

Les soignants ont déploré le manque de formation sur le sujet, formation souvent réservée aux soignants spécialisés dans la prise en charge palliative alors que tout soignant devrait avoir des connaissances ou une sensibilisation sur ce thème, les patients en fin de vie se retrouvent partout et les proches démunis aussi.

4.1 Formations personnelles : St. Christopher’s hospice/colloque : la mort à l’hôpital/colloque : la chambre mortuaire lieu d’hospitalité

Je vous déjà souhaite un bon voyage dans le musée des soins palliatifs !

St Christopher’s hospice, fut créé en 1969 par Cicely Saunder’s dont voici une biographie65 qui mérite une halte palliative commémorative !

Aujourd’hui St Christopher’s hospice est un centre de soins palliatifs internationalement reconnu qui assure des formations en continu. Dans les années 80 une vague d’internes partait là-bas pour faire une expérience et connaître la démarche de soins de ce centre. Ils revenaient en général enrichis et sensibilisés ensuite à la démarche palliative. La formation fournie par St Christopher’s est maintenant internationalement reconnue et effective.65 – Ce texte est un extrait de l’intervention de Marie-Louise LAMAU dans le cours « La Mort et l’Au-Delà ».

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Le soutien de St Christopher’s Hospice aux soins palliatifs dans les pays défavorisés est effectif avec le lien et les contacts privilégiés sur le site internet66.

J’ai eu l’occasion de suivre une semaine de formation à St Christopher’s hospice « Multiprofessional week in Palliative Care » du 12 au 16 mai 2008. Cette semaine, réservée à un petit groupe d’une vingtaine de soignants d’origine et pays divers, comprenait une formation initiale sur l’approche palliative, le contrôle de la douleur, l’accompagnement spirituel, le contexte culturel en fin de vie, l’accompagnement des proches, la dimension familiale, les activités créatives, la sexualité en fin de vie, et enfin le deuil et l’accompagnement dans le deuil.

Je fus surprise de l’intérêt et l’insistance donnés sur le deuil où toute une expérience acquise et transmise s’exposait avec tant de simplicité et tant d’ouverture sur différentes approches…

Tout un travail de longue haleine s’avérait fructueux : l’accompagnement dans le deuil est un soin relationnel délicat, non abordé voire même non évoqué dans le cadre de la formation initiale ou lancé dans un balbutiement malheureusement seulement audible par les plus à l’écoute.

Là, je trouvais des démarches exposées claires, inventives et humbles. En effet la recette ne suffit pas, l’humain dans son processus de deuil suit des méandres que les mystères de la psychologie humaine ne peuvent pas toujours appréhender ou expliquer. Cependant les connaissances et certains outils peuvent aider à ajuster l’accompagnement des aidants naturels.

66 – www.stchristophers.org.uk/-35k

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La dynamique familiale ou des proches

Une place centrale et préliminaire à toute démarche d’accompagnement est l’accueil initial. Lors de cet accueil il est possible par un entretien de percevoir la dynamique relationnelle entre les proches et ainsi situer le patient dans un environnement relationnel qui s’inscrit dans une histoire, des faits marquants, des joies, des tristesses…

Le contexte socio-culturel sous-jacent révèle les liens affectifs et leurs caractéristiques ainsi que leurs implications éventuelles dans ces moments intenses qui entourent le décès.

Le génogramme est utilisé en l’occurrence comme outil qui permet de visualiser rapidement l’environnement familial et les données essentielles susceptibles d’interférer dans l’accompagnement du patient ou des aidants naturels (annexe IV).

L’accompagnement des proches dans le deuil, questionnaire de St Christopher’s (annexe V).

Lors de l’accompagnement des proches, un entretien avec les proches dont le support est un questionnaire autour du deuil et en préliminaire le génogramme, permet de mieux percevoir quels sont les proches susceptibles d’être à risque de fragilité accrue voire de décompensation pendant le décès du proche ou après. Ceci pour favoriser le soutien et la disponibilité pour ceux qui en ont le besoin.

Ce questionnaire fut mis en place après des enquêtes réalisées auprès des proches et études qui montraient la nécessité de soutien pré, pendant et post-décès des accompagnants naturels. Les médecins ou les infirmières ou l’assistante sociale assurent ces entretiens.

D’autres actions furent mises en place dans le cadre du projet de soutien des endeuillés. Entre autres les bougies symboliques

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que l’on allume dans un lieu de prière œcuménique, ouvert à tous, en souvenir du défunt. La bougie permet aux enfants de retrouver un symbole et de donner aux proches un temps où ils puissent se recueillir et intérioriser ensemble leur peine, voir l’extérioriser aussi par l’expression d’intentions pour certains ou de souvenirs ou de prières pour d’autres.

Pour les enfants, un accompagnement spécifique adapté à l’âge et à la relation antérieure au proche leur donne de ne pas se réfugier dans le repli mais de pourvoir exprimer sans honte ou culpabilité leurs sentiments par le biais d’activités artistiques, en particulier le dessin ou la parole pour d’autres. Les enfants souvent fragilisés dans un contexte de deuil n’osent pas s’exprimer devant des parents ou proches eux-mêmes désarçonnés et finissent par refouler leur deuil ce qui n’est pas sans conséquences néfastes à long terme.

Un suivi ou un soutien est instauré ensuite par le biais des écoles. La maîtresse est informée de la situation et reçoit quelques éléments qui lui permettent d’adapter ses demandes par rapport à l’élève affecté voir de favoriser le climat de solidarité entre les élèves.

Pour tous les âges la musicothérapie est une heureuse irruption pour l’accompagnement des endeuillés. Une musicothérapeute professionnelle réunit avant le décès les proches de tous âges leur permettant de s’exprimer par le biais d’instruments faciles d’utilisation et ne nécessitant pas de connaissances musicales approfondies. Tambourins, petites flutes, percussions, chacun lance sa note qui s’harmonise dans une expression qui se cherche et se donne, une expérience touchante où la musique laisse la place à l’expression émotionnelle quand la parole parfois fait défaut.

Au décès, ou après le décès, la musique poursuit son œuvre pour ceux qui y ont trouvé un soutien bénéfique…

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J’ai eu l’occasion en groupe de faire cette expérience et d’être surprise de voir comment spontanément un groupe pouvait exprimer individuellement et en commun un ressenti joliment dit.

Tous ces soutiens ont montré aussi parfois leurs limites/certaines personnes à hauts risques de décompensation post deuil s’y refusent, pour d’autres ces soutiens ne s’avèrent pas suffisants ou seulement une solution palliative face à une souffrance telle qu’elle semble pour l’endeuillée incompréhensible à l’entourage. Cependant pour beaucoup cette sollicitude et disponibilité auprès des endeuillés leur donnent d’avoir une main tendue, d’ouvrir une brèche dans leur poignante solitude.

Colloque l’hôpital et la mort le 3 décembre 2008 à l’hôpital Bicêtre

Ce colloque organisé par l’Espace éthique de l’APHP s’articulait autour de la loi dite Léonetti du 22 avril 2005 et sa mise en application pratique en milieu hospitalier dans les contextes de fin de vie.

Quasi 80 % des personnes meurent à l’hôpital, dont 20 % en réanimation. La loi du 22 avril 2005 protège le patient en fin de vie avec :

– la rédaction possible des directives anticipées --qui restent en vigueur dans un délai de trois ans à partir de la date de rédaction, et peuvent lorsque le délai est plus important servir encore comme base à la décision médicale si le patient est dans l’incapacité d’exprimer son opinion-

– et la désignation possible d’une personne de confiance qui a un rôle consultatif dans les prises de décision médicale.

Cependant le témoignage des différents intervenants montre que le patient en fin de vie est bien vulnérable et sa liberté de décision

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reste précaire. La prise en charge palliative dans des services de réanimation est loin d’être généralisée et l’exemple émérite du CHU de Brest exposé dans une superbe vidéo de Bernard Martino bien exceptionnel malheureusement.

Nancy Kentish-Barnes nous a exposé son remarquable travail sociologique consécutif à une analyse de � services de réanimation dont la démarche dans les cas de fin de vie est bien différente depuis l’autonomie exacerbée du médecin paternaliste dans l’excès jusqu’à l’autonomie revendiquée comme primordiale et sans remise en cause par peur des revendication d’un patient et des proches devenus clients. L’exemple du CHU de Brest se faufile dans certaines approches mais les dérives sont encore nombreuses, et la juste relation entre médecin et personne en fin de vie pour une juste décision complexe et difficile.

Armelle Debru, férue d’histoire et de sciences humaines nous a donné de parcourir l’histoire du tableau du mourant à l’hôpital, depuis le moyen âge jusqu’à nos jours.

Emmanuel Hirsch nous a donné de réfléchir à cette fin de vie, une voie possible à découvrir entre l’acharnement et l’euthanasie, une invitation à la lecture d’un ouvrage méditatif pour tout soignant confronté à la problématique du soin du mourant. La voie qui ouvre d’autres horizons que la mort en proie à la technique, une redécouverte du sens de la relation et de la vie jusqu’au bout

Sylvain Pourchet nous a décrit l’utilisation de la sédation dans un service spécialisé dans la prise en charge des fins de vie, avec mesure un soutien avec démesure une dérive néfaste.

Maryvonne Le Run Gatin a poursuivi dans la présentation de la sédation au domicile avec cette même objection possible la dérive euthanasique n’est parfois pas loin, le risque est présent d’un dérapage rapide et non contrôlé.

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La spécialisation de la prise en charge palliative et la décharge de cette prise en charge dans des services spécialisés devrait interroger sur un risque latent d’excuse de non responsabilisation de tout médecin quel qu’il soit pour prendre soin de la fin de vie.

Laurent Haas, praticien hospitalier urgentiste de l’hôpital St louis a rappelé l’intérêt d’un bon aiguillage et des réflexions éthiques dans la pratique pour éviter des passages en réanimation inutiles ou dérisoires ou favoriser la prise en charge palliative dans certaines situations particulières.

D’autres intervenants de valeurs ont présenté leur contexte et une réflexion sur le soin et la démarche dans leur contexte divers et les intervenants dans la salle ont montré qu’il reste encore beaucoup à faire en pratique, et que les conditions de travail actuelles ne favorisent pas cette prise en charge palliative.

La présence de lits identifiés soins palliatifs est encore loin d’être en vigueur dans de nombreux établissements et pourtant elle a déjà fait ses preuves.

Si ce colloque s’attachait davantage à la phase préliminaire au décès il n’empêche qu’une bonne réflexion et prise en charge en amont a une influence indéniable sur l’accompagnement et le soutien des proches dans le deuil en aval du décès

Colloque : La chambre mortuaire lieu d’hospitalité du 5 février 2009 à l’Espace Ethique de l’APHP, CHU St Louis

Ce colloque innovant à mon sens m’a donné de goûter avec plaisir les rénovations et innovations des chambres mortuaires devenues dans certains hôpitaux de vrais lieux d’hospitalité. Les soignants qui y travaillent souvent incognito et à bas bruit effectuent

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un travail considérable dans le cadre de l’accompagnement. Ce temps de témoignage de ses soignants a mis au jour les qualités humaines nécessaires pour travailler dans ce contexte auprès des proches endeuillés, et la structure nécessaire pour faciliter un bon accueil dans ce cadre.

Une psychologue Cynthia Mauro a justement souligné que le soin du corps défunt n’est pas anodin dans le processus de deuil qui se poursuit ultérieurement. Maquillage ou pas du défunt, quel sens pour la thanatopraxie, quand le soin n’est pas adapté au contexte culturel ou familial des proches et du patient il devient dérisoire voire parfois même burlesque. La parole aidante, la bonne attitude est un art dans ce contexte.

Jean-Yves Noël infirmier responsable de chambre mortuaire nous a animé ce lieu par le sens donné au soin du défunt et une mise en relief des complexités sous-jacentes liées au fait de devoir prendre en charge des familles non connues auparavant sur un laps de temps court pendant lequel les émotions sont intenses.

Il préconise une meilleure et plus précise utilisation des fiches de liaison et l’instauration de davantage de liens avec les services pour une meilleure prise en charge consécutive. Entre autre il est possible pour les soignants de proposer aux familles demandeuses et stressées une première visite en chambre mortuaire pour une information sur les modalités de suivi ensuite.

Ceci permet un apaisement notoire des familles dans certaines situations et donne à certains proches de se familiarisée avec ce lieu dont ils ont encore peut-être une image trop funeste. Une meilleure connaissance des rites du patient permet aussi ensuite un meilleur accueil et une meilleure préparation pour ce temps d’adieu à la chambre mortuaire ensuite.

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Yvette Le Querré nous a transmis avec joie les effets bénéfiques de la rénovation et restructuration de la chambre mortuaire, et comment elle s’applique à répondre à l’attente des familles en précisant que ce n’est pas forcément l’histoire ultérieure de la famille ou des proches ou du patient qui cristallise la juste attitude soignante dans l’instant présent de l’accueil si rapidement éphémère. Il s’avère que dans certaines situations la non-connaissance de la situation peut aussi libérer les proches d’une indexation dans une attitude ou un comportement jugé ou critiqué précédemment. Un suivi de la psychologue de l’équipe mobile jusqu’à la chambre mortuaire ne s’est pas forcément avéré bénéfique.

Les avis différents montrent que chaque situation mérite une attention singulière et la recette figée fait mauvaise figure dans ce lieu où le soin relationnel est la pierre d’achoppement.

J’ai eu l’occasion d’échanger avec elle à la fin et elle m’a proposé la visite de la chambre mortuaire. J’ai eu tôt fait de ne pas décliner l’invitation et une visite de la chambre mortuaire le lendemain m’a donné de constater effectivement la bonne organisation des locaux et le souci de favoriser l’écoute et le soutien des proches.

Cependant lors de l’échange j’ai relevé que les soignants qui travaillent en chambre mortuaire sont le plus souvent formés sur le terrain et pour certains n’ont même pas le diplôme d’aide soignant, une formation initiale serait intéressante et qualifiante. Pour ce qui est de l’ordre de l’accompagnement les agents ont là aussi tendance à se réfugier dans le soin du corps mort et à s’attarder dans la démarche esthétique de la présentation du corps défunt en reléguant au second plan la relation de soutien des endeuillés, relation qui les dépasse pour certains.

Une plus grande ouverture et un accueil des professionnels soignants, des stagiaires, voire des internes permettraient une

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meilleure compréhension du soin relationnel auprès des aidants naturels. Du point de vue technique la pratique de la thanatopraxie ou soins de conservation onéreuse mais demandée parfois pour des raisons esthétiques ou des nécessités de transfert rapide du corps, nécessite finalement des précautions draconiennes car il s’est révélé que l’utilisation du formol peut-être cancérigène s’il ne l’est pas utilisé et manipulé dans des hottes à flux laminaires !..

Le soin du mourant au risque de porter atteinte à la santé du vivant…

D’autres intervenants qualifiés ont clairsemé la journée de réflexions éthiques prédominantes dans ce lieu où la vie et la mort se côtoient.

Par la suite les portes ouvertes de la chambre mortuaire de l’hôpital m’ont donné de partager davantage avec les soignants présents dans ce lieu, et d’entamer une réflexion sur une meilleure coordination entre les équipes soignantes des services et les soignants de la chambre mortuaire.

4.2 Apport d’expériences autres d’accompagnement de proches dans le deuil

Accompagnement dans le cadre d’une aumônerie.De 1997 à 2002 j’ai eu l’occasion d’être membre d’aumônerie

d’hôpitaux parisiens.Alors jeune étudiante en philosophie- théologie -intéressée

par un séminaire sur Lévinas, en quête d’une responsabilité à visages humains, une relation à l’autre qui porte à la sollicitude, à la solidarité dans ces moments de souffrance, de fragilité ou de solitude des personnes malades en milieu hospitalier- j’arpentais les couloir de l’hôpital avide de vivre au quotidien la philosophie enfermée dans les bouquins.

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L’accompagnement n’était pas réservé seulement au patient mais encore aux proches et ce parfois jusqu’à la chambre mortuaire après le décès.

Je fus profondément touchée à l’époque par cette histoire que j’ai décrite parmi d’autres dans l’essai de sociologie présenté en deuxième année dans le cadre des études de soins infirmiers. J’avais l’occasion de passer dans tous les services en fonction des demandes, cette histoire se situe dans un contexte de réanimation.

« Jérôme »

« Je suis un séminaire de philosophie sur E. Lévinas.

E. Lévinas m’apparait comme très hermétique… « Responsabilité dont il est impossible d’en fixer les limites ni l’extrême urgence… »67, en même temps il m’interpelle vivement.

Je suis membre de l’aumônerie de l’hôpital X.Je me trouve à l’hôpital X en réunion d’équipe. L’aumônier

nous présente la situation de Jérôme et de sa famille.Jérôme a 18 ans, il est en terminale, il est le fils unique d’une

famille paysanne d’une campagne agricole du nord de la France.Jérôme est accompagné de sa mère, ils viennent pour la

première fois à Paris pour des cures de chimiothérapie, une tumeur cancéreuse découverte dans un des poumons de Jérôme… « Des séances de chimio sur un intervalle de six mois et c’est bon… »

Jérôme n’aime pas Paris, ses chevaux, sa campagne lui manquent, enfin il le faut…

67 – Emmanuel Levinas, Dieu et la philosophie dans le nouveau commerce, n° 30.31, 1975

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Une erreur médicale a lieu lors d’une chimio, ce n’était pas prévu… Une artère est touchée, c’est l’hémorragie interne grave…

Jérôme perd plusieurs litres de sang, il est en réanimation…Sa mère a fait appel à l’aumônerie, elle est croyante, elle ne se

sent pas la force d’affronter tout cela. Son mari peut se libérer à l’occasion mais il ne peut laisser les terrains, les animaux et les cultures seuls, longtemps, c’est leur « pain ».

Elle ne se sent pas le courage de rendre visite à son fils, seule. « Les infirmières sont gentilles, les médecins font ce qu’ils peuvent », mais ce monde en blouses blanches l’intimide, ce n’est pas son milieu. L’aumônier nous les confie tout particulièrement.

Jérôme est sorti de réanimation, il est dans sa chambre. Je croise sa mère dans les couloirs, une petite femme très chaleureuse, « le cœur sur la main », les larmes dans les yeux. Je me présente. Elle me dit qu’elle remercie le soutien de l’aumônier et me propose d’aller parler un peu dans la salle de repos. Nous nous asseyons dans deux canapés un peu bas…

Le professeur du service arrive, ému et confus tout en essayant de garder une certaine contenance.

Je lui propose de les laisser, il voit mon badge, et ne répond pas, ma présence au contraire semble le rassurer.

Il reste debout, peut-être pour ne pas s’effondrer et perdre toute sa contenance, il avoue l’erreur médicale commise par un médecin du service, la voix émue, signale que ce type d’erreur n’était pas arrivé dans ce service depuis plusieurs années. Il s’excuse.

La responsabilité donne à l’existence humaine de tout homme une certaine gravité, la vie humaine et la relation aux autres ne se prêtent pas au jeu. « Rien n’est plus théâtre, le drame n’est plus

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jeu. Tout est grave ».68 Il pose sa main sur l’épaule de Madame. Il essaye de la réconforter : « nous allons tout faire pour la sauver, tout n’est pas encore perdu… » Des sanglots transparaissent dans sa voix, il se retourne et s’efface.

La mère de Jérôme me regarde en silence, cela lui suffit. Nous entrons dans la chambre de Jérôme. Son visage est blême. Sur les murs de nombreuses photos sous forme de posters, ici, il est à cheval dans une grande prairie… là, avec ses chiens… il étreint du regard et avec quelques anecdotes ce petit monde qui l’habite avec une pesante nostalgie…

L’aumônier nous fait part du désarroi du médecin responsable, prêt à abandonner sa carrière… La mère de Jérôme a eu le courage de le réconforter, « l’erreur est humaine… »

La santé de Jérôme s’est aggravée. Jérôme est en réanimation, infections, insuffisance rénale aigüe…

Les infirmières s’affairent, douces, attentives et vigilantes. Je les regarde et suis émerveillée, ce doit être dur pour elles, Jérôme est jeune…

Une pancarte d’isolement est signalée sur la porte. La mère de Jérôme arrive, me dit bonjour et, avec un regard emprunt de détresse et de responsabilité maternelle, me dit qu’elle souhaite entrer. Nous nous habillons toutes de bleu revêtues, avec un masque…

– « Rien n’est plus théâtre, le drame n’est plus jeu. Tout est grave »

Son fils est défiguré, tout bouffi, le corps gonflé, les branchements ne manquent pas. Sa mère lui parle, il est présent, répond avec difficulté, avec un regard de désarroi intense.

Je propose à Jérôme un temps de prière en compagnie de sa mère, il accepte…68 – Emmanuel Lévinas, « Un Dieu homme ? » Conférence donnée à la Session des intellec-tuels catholiques français en 1968.

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Une infirmière entre, nous voit, nous dit bonjour et remarque un petit paquet avec quelques fruits : « c’est gentil, cela doit venir de votre campagne, cela te fait plaisir Jérôme ? » Jérôme lui sourit : « oui ».

Un brin d’humanité, un baume au milieu de cette responsabilité déchirée… Le métier d’infirmier est dur, riche, intense… C’est un « beau » métier…

L’infirmière recommande à sa mère de bien laver et éplucher les fruits avant… « Il est très fragile… »

Jérôme est décédé quelques jours après, c’était la fin, la lutte était vaine, après une curarisation il ne s’est pas réveillé…

Jérôme nous rappelle qu’Autrui est une personne unique et que tout soin s’adresse au singulier. Lévinas dans son éthique du visage aborde l’homme dans des situations où l’humain est défini comme « Singularité irréductible, extérieure à la totalité »69. La gravité de la situation nous situe devant l’ampleur de cette responsabilité dont les conséquences peuvent être dramatiques et aller dans des cas extrêmes comme celui-ci jusqu’à la mort de l’autre, ici de Jérôme. Le personnel soignant a vécu intensément et désespérément la situation.

Le chef de service a « pris sur lui » l’erreur commise et a courageusement opté pour l’aveu et la reconnaissance tout en espérant encore une chance…

Le médecin responsable, devant la prise de conscience des conséquences humaines de son acte désespère et exprime un profond doute sur la légitimité de continuer dans sa vocation.

Les infirmières, avec ce sentiment d’impuissance, erreur irrécu-pérable…, pansent les plaies de cette responsabilité déchirée par leur présence attentive, les derniers petits soins…

69 – Emmanuel Lévinas, Totalité et Infini, Paris, Le livre de Poche, 1990, p. 271

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Les membres de l’aumônerie écoutent et accompagnent cette femme, cette mère, dans ce drame : la maladie et la mort de son fils unique.

L’action s’avère dans ce cas conduire à une situation d’irréversibilité, on ne peut défaire ce que l’on a fait. Le « remède » possible dans ce cas est le pardon et la promesse.

« Le pardon sert à supprimer les actes du passé, dont les fautes sont suspendues comme l’épée de Damoclès au-dessus de chaque génération nouvelle ; la promesse, sert à disposer dans cet océan d’incertitude qu’est l’avenir par définition, des îlots de sécurité sans lesquels aucune continuité, sans même parler de durée, ne serait possible dans les relations des hommes entre eux »70

En effet la mère de Jérôme était cet Autrui qui permettait de laisser surgir une espérance dans l’avenir au milieu de ce drame présent.

J’ai poursuivi l’accompagnement à L’hôpital I. avec la même équipe et des séminaristes en stage, nous avions des demandes en particuliers en unité de soins palliatifs, équipe à l’époque dirigée par le Dr D. J’ai eu là l’occasion d’accompagner en équipe de nombreuses fin de vie et le soutien de Mageda jeune maman originaire de Syrie m’a interpellée. J’ai aussi relaté son histoire dans ce même devoir d’essai sociologique voici l’extrait.

« Magéda »

« Je suis à l’aumônerie de l’hôpital I. L’aumônier me signale que le chef de service en soins palliatifs nous confie tout particulièrement Magéda.70 – Hannah Arendt, la condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1983,

p.302-303

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Magéda a 37 ans, elle est syrienne, mariée, mère de deux enfants de �� et �� ans.

Elle est en France depuis quelques mois, elle parle peu le français, elle a suivi des chimios sans grand résultat, la maladie progresse rapidement, elle est au stade terminal, elle sait qu’elle est en soins palliatifs.

Un de ses frères habite en France depuis plusieurs années, il est marié avec une femme russe orthodoxe. Lui, comme sa sœur d’ailleurs, sont musulmans.

Je rencontre Magéda, lui propose le soutien de l’Imam. Celui-ci accepte de communiquer avec elle par téléphone mais refuse le déplacement : c’est aux proches d’assurer pour les musulmans le soutien spirituel !

Cet échange la réconforte.Quelques temps après Magéda baisse les bras, elle me demande

si le médecin peut faire quelque chose pour en finir vite.– « Le moi ne peut avoir aucune emprise sur ce visage, celui-ci

se donne dans la nudité sans défense »71, un visage qui doit être regardé, une parole, un logos « tu ne tueras point » qui doit être respecté. Autrui n’existe qu’à partir du moment où j’accepte de ne pouvoir tuer, « la manifestation du visage » est le premier discours.

Je parle avec son frère qui me confirme qu’elle lui a exprimé la même chose. Je lui propose de revoir le chef du service en l’occurrence Mageda, pour en parler avec lui. Je lui confie en même temps que de toute façon le service ne pratique pas l’euthanasie mais propose en revanche l’accompagnement. Cela le rassure.

Son frère parle avec le médecin de service.Toute l’équipe prend sa situation à cœur, les infirmières sont

particulièrement attentives à son confort et à maintenir une ambiance chaleureuse et amicale en sa présence.71 – Emmanuel Levinas, La philosophie et l’idée de l’infini, dans la revue Métaphysique et

morale, Colin, 1957, n° 3.

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Magéda accueille cette proposition d’accompagnement.Magéda prend des résolutions : elle souhaite revoir son jeune

fils.Son fils de 13 ans arrive de Syrie, et passe 15 jours chez son

oncle, tout en venant régulièrement voir sa mère.Toute l’équipe est attentive à cette évolution, les émotions sont

fortes, bouleversantes.Son fils rentre en Syrie.Mageda est de plus en plus ouverte avec les infirmières qui l’ont

adoptée comme sœur, comme amie… Magéda accueille quelques bénévoles qui sont venus lui parler dans sa langue maternelle et elle est attentive aux autres.

Magéda entreprend un dernier canevas, des mimosas dans un pot de fleurs, si ma mémoire est bonne. Je le lui termine, sa perfusion lui fait mal. Elle reçoit le petit canevas encadré avec émotion, sûrement pas aussi bien réalisé que si c’était elle qui l’avait fait… mais l’intention l’a touchée !

Je regarde Magéda, son corps exprime la souffrance, l’alimentation ne passe plus, elle transpire, je lui tends un linge humide… La vue est belle dans cette chambre, le soleil est en plein zénith, mais il fait chaud !!!

Magéda ne bouge plus, pratiquement plus, elle remercie, elle est calme, elle sait, enfin… nous nous regardons avec une certaine complicité, nous savons, enfin, tout en ne sachant pas, mystère de la vie…

Ce visage n’est pas un idéal purement abstrait, c’est mon prochain, la rencontre du moi est incarnée. La corporéité, la sensibilité font partie de la vraie proximité fraternelle. Les infirmières sont attentives aux petits soins. La toilette, les bains, les massages, un sourire, ces petits riens du quotidien qui retrouvent une dimension quasi sacrée…

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Magéda prie. Elle tient dans sa main un petit livret de prière en arabe, elle récite les sourates que lui a tout particulièrement recommandées l’Imam, celle entre autre que les musulmans sont invités à prier lorsque leur fin est prochaine.

Magéda faiblit… Magéda est partie…

Le visage appartient à la transcendance et ne peut-être réduit par le moi à l’immanence. La rencontre avec l’autre, la visitation du visage est une expérience de transcendance avec tout ce qu’elle comporte d’énigme.

Les infirmières sont passées lui dire au revoir, à tour de rôle une certaine complicité les avait unies, elles avaient besoin de lui dire au revoir dans l’intimité.

Je n’avais pas encore vu autant d’émotion de la part des infirmières pour le départ d’une patiente.

Son frère a vivement remercié toute l’équipe.Je crois que je n’ai pas vu non plus de deuil aussi bien vécu par

une équipe… »

Nous retrouvons une situation qui illustre bien le régime d’interpellation éthique dans le face-à-face (ou de compassion) qui s’appuie sur la phénoménologie du visage et de la responsabilité pour autrui d’Emmanuel Lévinas, présentée par Philippe Corcuff

Magéda souffre physiquement : immobilité, sueurs, fatigue et moralement dans ce désespoir exprimé dans une demande de mourir.

Toute infirmière dans cette situation ne peut qu’être « prise », en pratique et de manière non réfléchie, par un sentiment de responsabilité vis-à-vis de la détresse d’autrui, dans le face à face et la proximité des corps. La réponse cependant va différer en fonction des contextes.

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« (Lévinas) présuppose d’abord une mesure minimale, dans la reconnaissance de la misère d’autrui, en entraînant au-delà de la mesure vers le don total à l’autre (l’amour démesuré ou agapé modélisé par Luc Boltanski), tout en frôlant une violence elle aussi démesurée puisque par la présence de l’autre souffrant menace ma tranquillité et peut susciter mon agressivité –, alors que les mesures communes de la justice sont là pour tempérer la dé-mesure de la relation singulière (pourquoi privilégier l’autrui singulier au détriment de tous les autres ?) » 72

Magéda est hospitalisée dans un service de soins palliatifs spécialisé dans l’accompagnement. Nous relevons dans l’attitude des infirmières cette compassion au sens Lévinassien du terme soit cet engagement dans une responsabilité démesurée, non réflexive où s’expriment la sensibilité dans le corps à corps, les émotions… jusqu’à l’adieu après le départ…

Grâce à cette responsabilité Magéda a pu vivre ses derniers instants intensément et partir accompagnée.

La proximité fut le levier salvateur pour Magéda et les soignants, l’évitement ou la distance aurait plongé Magéda dans sa déprime mortifère et les soignants dans l’irresponsabilité.

L’écoute, l’attention, la disponibilité, la sollicitude ont donné à Magéda et à ses proches de laisser émerger des bourgeons de vie dans cette situation alanguie, et aux soignants de recueillir les pétales embaumées qu’exhalait son corps décédé…

Les expériences d’accompagnement des proches à la chambre mortuaire lors de la levée de corps ont été pour moi très formateurs pour le soutien aux endeuillés. J’ai eu l’occasion d’accompagner différentes familles d’un contexte culturel varié. Voici le récit de Rose jeune femme rwandaise, ci-joint.72 – Philippe Corcuff, « Justification, stratégie et compassion, apport de la sociologie des régimes d’action » Correspondances, p.7 à 9

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Grâce à Rose j’ai pu mieux comprendre l’influence de la culture dans un contexte de fin de vie, et l’intérêt de bien connaître l’environnement culturel pour adapter les soins et l’accompagnement. Récit de Rose ci-joint.

« Rose »

« Rose, une jeune femme rwandaise ancienne patiente de L. que nous connaissions déjà là-bas soit depuis � ans et qui avait eu un parcours du combattant avec des chimios à l’hôpital T., bénéficiait à son arrivée à l’USP d’un bain qu’elle n’avait pas eu depuis si longtemps et elle décédait dans les heures suivantes à bout de tant de lutte. Elle avait survécu deux ans après la naissance de sa fille alors que le chirurgien ne lui donnait pas plus de quelques mois et encore… Elle a tenu pour que sa fille ait le temps de la connaître. L’aîné avec déjà environ 7 ans ne l’inquiétait guère. Le mari, congolais, affolé et sensible devant l’altération de l’image corporelle ne supportait pas les visites et culpabilisait énormément de ne pas avoir eu le courage de se rendre en soins palliatifs le jour du décès. Cette jeune femme avait eu recours à tout ce qui pouvait s’offrir à elle pour la sauver, marabout, médecine allopathique, groupe de prière protestant, chimiothérapie… les tentatives diverses et variées lui ont donné de l’énergie pour chercher à lutter mais elles furent vaines : son souhait était de guérir.

À la chambre mortuaire les proches tous d’origine africaine ont souhaité une levée de corps selon leur rite tout en faisant appel à nous pour la bénédiction du corps et une prière œcuménique d’adieu. Nous étions deux de l’aumônerie, ce qui m’a beaucoup surprise à l’époque c’était ce déferlement de pleurs et de plaintes, de désolation rituelle, qui sont très expressifs et partent des entrailles,

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j’étais comme submergée par ces sanglots enchaînés, cadencés par une lamentation sans fond. Le frère Philippe et moi-même nous nous sommes regardés en nous demandant désespérément comment nous allions pouvoir procéder dans ce contexte qui nous dépassait…

Etonnant : à peine l’entourage en présence du corps de Rose, habillée comme une mariée selon le rituel toute de blanc avec un diadème et des gants d’une blancheur nacrée, d’une beauté désespérante… et la voix du frère Philippe à peine balbutiée que le recueillement s’instaure en un clin d’œil, un silence recueilli à en couper le souffle… Le mari avec force et courage présentait son discours d’adieu…

Le mari nous a proposé ensuite de participer aux funérailles, le frère Philippe ne pouvait s’y rendre je me proposais donc vaillamment et en même temps touchée par le désespoir de ce mari jeune qui se retrouvait avec deux enfants de bas âge.

Je pars donc en pleine banlieue parisienne à Ste Geneviève des bois près de Chantilly dans ses décors où la population africaine est principale. Ce fut toute une aventure déjà pour retrouver la maisonnée dans ces recoins éloignés ensuite pour assister à des rites si différents des nôtres.

Réfugiée dans un groupe protestant durant le temps de sa maladie, Rose souhaitait des funérailles à l’Eglise et ensuite au cimetière le mari a laissé libre cours au rituel africain basé sur une relecture des raisons de la maladie, une recherche des raisons du décès, présence d’un esprit maléfique dans la famille ? Résurgence d’une malédiction ancienne, mauvais sort qu’il s’agit de conjurer ? Le mari prêtait serment de trouver la cause et d’essayer d’y remédier pour la suite…

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Le mari et les proches me convient ensuite pour le repas d’adieu dans les jours suivant.

Ce fut un repas en soirée où la famille était supposée clôturer une partie du deuil pour relancer chacun dans la vie. J’arrivais malencontreusement en petite tenue sans apparat, un pantalon et chemise sans anecdote, je dénotais autour de ses somptueuses robes africaines et costumes d’homme élégants festifs !!! Effectivement je n’avais pas tout compris mais ma présence leur faisait plaisir cela maintenait le lien. Pendant ce dîner avec une bonne cuisine du pays, j’y ai goûté pour la première fois du manioc !!! Accompagné de poisson et des épinards, en dessert des bananes frites… de quoi être rassasiés !

Au mur des photos de Rose rappelait sa vie et ravivait les souvenirs qui venaient à éclore de la bouche des uns et des autres quel que soit l’âge ou la proximité… elle était là sans être là pendant cette soirée où s’alliait l’ambiance festive adoucie par la triste réalité.

La petite fille de deux ans très sereine me disait « elle est bien au ciel », elle avait construit dans son imaginaire une image de sa mère rayonnante dans un monde d’ailleurs de bonheur. Son frère plus âgé avait du mal à comprendre et demeurait plus silencieux intériorisant un chagrin que sa raison en phase de maturation n’arrivait pas à traduire en mot…

Le mari encore sous le choc arrivait peu à reprendre ses activités professionnelles et semblait dépassé par la situation que le marabout n’est pas arrivé à conjurer et que lui n’a pas encore non plus complètement résolue…

Le temps emportait avec le vent ce deuil long que les rites ont tenté d’adoucir et de réinsérer dans la vie. »

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Une expérience ensuite d’accompagnement chez les Diaconnesses, dans le cadre d’une aumônerie protestante pour répondre à des demandes plus spécifiquement catholiques fut enrichissante.

J’ai ensuite privilégié mon travail d’infirmière et n’ai donc pas poursuivi l’accompagnement dans ce cadre spécifique qui fut d’un enrichissement indéniable. J’avais aussi bénéficié comme membre de l’aumônerie de formations pendant ces années des formations spécifiques à l’accompagnement relatives à l’écoute, au rôle de l’accompagnement, aux besoins spirituels et religieux, à la souffrance morale voire spirituelle au sens large…

Dans le cadre de la formation infirmière

Lors de ma formation j’ai choisi mes modules optionnels et mes stages optionnels en soins palliatifs. Je souhaitais approfondir le sujet et les cours obligatoires ne répondaient pas à ma demande. Je ne fus pas déçue et j’ai pu par ce biais connaître différents centres de soins palliatifs en région parisienne avec des approches différentes, ceci m’a permis de laisser mûrir la rédaction de mon mémoire présenté en 200�, intitulé « Besoins spirituels des personnes en fin de vie ».

Cultures et soin en fin de vieEn octobre 2008 j’ai réalisé une formation ponctuelle à un

groupe d’une trentaine de soignants -infirmiers et aides soignants pour la majorité, infirmières cadres et secrétaires aussi suite à une demande des soignants- sur l’adaptation des soins au contexte culturel dans le cadre de la situation spécifique d’une fin de vie. Cette idée a germé parallèlement à la présentation de mon poster

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« du spirituel au culturel en soins palliatifs »73 et d’un document explicatif et complémentaire au poster. Lors de la présentation du poster au congrès de Nantes, j’ai rencontré différents soignants de fonction différente, infirmiers, aides-soignants, psychologues, médecins, formatrices, qui ont été interpellés par le sujet et ont souligné l’importance d’une formation dans le domaine. La prise en charge des personnes en fin de vie est complexe et nécessite des connaissances appropriées. La famille survivante a besoin d’être accompagnée dans ce chemin de deuil douloureux par l’équipe soignante. Pour réaliser cela les soignants ont besoin de certaines informations relatives au processus de deuil et à l’impact de la culture ou de la religion de la personne défunte et de son entourage.

La toilette mortuaire (Fiche technique : annexe VI) est un soin qui a une importance particulière pour aider au processus de deuil des proches ainsi que des soignants, eux-mêmes sensibilisés par le décès. Certaines précautions sont utiles et à connaître pour apaiser les proches et leur donner de vivre dans l’intimité ce temps fort. Les recommandations s’affinent. Il est possible d’utiliser un collier cervical discret qui maintient le cou sans nécessité de poser les bandages, ce qui permet de laisser davantage le visage dans son contexte naturel. De même pour fermer les yeux un peu de gel suffit, certains utilisent de l’eau sucrée… Et un simple petit massage du visage et en particulier des joues redonnent un aspect plus détendu, moins figé. Il est aussi utilisé maintenant un set à décès très apprécié, comportant autant le matériel que les documents administratifs et informatifs pour faciliter l’organisation du soin ainsi que la liaison avec la chambre mortuaire.

Dans les Instituts de Formation en Soins Infirmiers l’intérêt pour le sujet se développe, et les étudiants peuvent exprimer leurs 73 – Cécile Furstenberg, du spirituel au culturel en soins palliatifs,www.pujo-j-jacques.net/article-du-spirituel-au-culturel-55791�52.html-51k-

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difficultés rencontrées lors de situations concrètes en stage. Il reste encore beaucoup à faire dans le domaine. Infirmière sur le terrain, je rencontre de nombreux soignants, qui spontanément ou lors d’évènements particuliers, apprécient de pouvoir échanger sur le sujet. Eux-mêmes sont d’origine et de culture différente et cet échange permet un enrichissement mutuel entre soignants.

Formation Master éthique Science Santé et Société à l’Espace éthique. Cette année avait pour thème la mort, plusieurs cours de philosophie, d’anthropologie, ou d’éthique étaient axés sur le soin en fin de vie et accompagnés d’une réflexion sur la vie et la mort.

Ces cours m’ont donné d’enrichir mes recherches, mes lectures et d’affiner mes relectures ou de poursuivre ma réflexion. Le programme ou certains articles sont disponibles sur le site de l’Espace Éthique7�. Ce fut aussi durant cette année que j’ai pu assister aux deux colloques présentés auparavant intégrés au programme.

4.3 Travail de recherche et mise en pratique en milieu hospitalier, en gériatrie

4.3.1 Questionnaire préliminaire de recherche : Méthodologie/Résultats/analyse

Dans l’hôpital où je travaille -hôpital gériatrique francilien- j’ai entamé une réflexion avec les soignants côtoyés au quotidien et ceci par le biais d’un questionnaire dont l’objectif était de percevoir le vécu des soignants, en particuliers infirmiers, sur le sujet. Je l’ai aussi proposé à des aides-soignants, et à d’autres professionnels de l’équipe soignante, médecins, infirmière cadre, psychologues, assistante sociale, aumônière, ceci pour avoir un aperçu plus

7� – Site Internet : www.espace-ethique.org

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global. Le questionnaire en lui-même était cependant réalisé plus spécifiquement pour des infirmièr(e) s.

Les soignants rencontrés, intéressés par le sujet, se trouvent dans différents services de l’hôpital. La structure hospitalière comprend diverses spécialités en gériatrie : médecine, soins de suite, soins de longue durée et une petite unité de soins palliatifs.

J’ai eu l’occasion de travailler moi-même dans ces différentes spécialités. J’ai proposé les questionnaires aux professionnels lors d’une rencontre individuelle, ou par le biais de l’infirmière cadre qui les a présentés aux soignants. Les soignants intéressés n’ont pas tous répondu car certains ont trouvé cela un peu fastidieux et ne se sentaient pas disponibles. D’emblée les questions demandent un retour sur soi et l’évocation de faits ou sentiments, ce qui a retenu certains soignants d’y répondre d’emblée spontanément. D’autres soignants se sont volontairement réservés un temps personnel chez eux ou une bonne plage de disponibilité au travail pour y répondre.

Ceux qui l’ont rendu ont apprécié de pouvoir échanger ensuite sur le sujet. J’ai récupéré les questionnaires par le biais d’une infirmière cadre ou ils m’ont été transmis directement ou indirectement.

Le questionnaire se compose de 30 questions. (Annexe VII)Une brève indication préliminaire de la fonction du soignant, sa

spécificité, son âge et son temps d’exercice permettent d’insérer les réponses dans un environnement tout en préservant l’anonymat. J’ai volontairement opté pour des questions ouvertes qui suscitent la réflexion et l’expression personnelle.

Mon intérêt était de faire émerger un questionnement autour des soins des endeuillés depuis la période précédant le décès, pendant le décès et après le décès et pas tant de réaliser une enquête avec des réponses fermées, précises. Les questions telles qu’elles sont dans

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le questionnaire ne suivent pas le classement thématique présenté ci-dessus de manière stricte. J’ai opté pour un enchevêtrement volontaire des thèmes cela permet de faire les liens. Il demeure une progression dans les questions.

Je pars de la connaissance propre du soignant sur le deuil, les proches, je l’interroge ensuite sur sa pratique professionnelle, avant pendant et après le décès, tout en intégrant sa réflexion dans une démarche personnelle professionnelle, une démarche d’équipe soignante, une démarche institutionnelle et une démarche en société. Je souhaite relever les manques et proposer des pistes de réflexion pour l’amélioration de la prise en charge soignante de l’endeuillé.

Ce questionnaire plus qu’une enquête est un outil de réflexion pour les soignants et les équipes. C’est ainsi qu’il a été perçu par les soignants qui l’ont reçu. Les réponses nécessitent du temps, de la réflexion, une implication, une mise à distance, un échange postérieur éventuel, ce qui était mon objectif : favoriser l’échange, libérer la parole sur le sujet pour mieux considérer le soin de l’endeuillé ensuite.

J’ai reçu 33 questionnaires remplis par 15 infirmier(e) s, 2 étudiantes infirmières, 5 aides-soignantes, 3 médecins, 2 internes, 1 infirmière cadre, 2 psychologues, 1 assistante sociale, 1 membre de l’aumônerie, 1 soignant de la chambre mortuaire. (Document joint avec les réponses au questionnaire répertoriées en fonction des catégories soignantes)

Le questionnaire ne pose que des questions sur ce qu’il convient de faire pour soutenir les endeuillés, et non sur ce qu’il convient de ne pas faire pour ne pas blesser les endeuillés. Cette observation s’appuie sur les principes d’Hippocrate : « Etre utile et ne pas nuire ». Il est vrai que l’observation me donnait d’observer davantage une tendance à l’évitement, pour « s’auto-protéger »,

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j’invitais donc d’abord par le questionnaire à une ouverture sur ce qu’il est possible de faire et non sur ce qu’il convient de ne pas faire pour ne pas nuire. Ceci pour libérer la parole et susciter une dynamique réflexive et pratique.

L’attitude soignante doit être tempérée et réajustée dans la pratique par cette autre démarche qui consiste à prêter attention à ne pas faire ce qui peut nuire. J’ai donc repris dans l’approche soignante en deuxième partie du mémoire ces deux aspects complémentaires.

Le deuil

Les trois premières questions concernent le deuil et demandent une implication personnelle dans les réponses, l’expression du vécu lui-même du soignant dans sa vie personnelle et professionnelle : Q 1, Q 2 et Q 3.

Qu’évoque pour vous le mot deuil ?

Les réponses se rejoignent dans leurs expressions quelle que soit la profession du soignant.

J’ai trouvé pour exprimer le mot deuil les mots suivants : « perte », « séparation », « décès », « période qui suit le décès- réactions qui suivent le décès-manifestations variables selon les cultures », « fin de vie terrestre, début de vie éternelle », « mort », « absence », « processus de recueillement et d’acceptation d’un décès qui peut nécessiter une aide extérieure », « réaction psychologique liée à la perte », « échec, parfois échec, parfois accompagnement » « renoncer, travail sur soi », « chemin parcouru ». Les mots les plus récurrents sont : perte, décès, séparation, disparation.

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Ces mots sont reliés au disparu qui est le plus souvent décrit comme « le proche », « un être cher », « une personne ayant beaucoup d’importance », « quelqu’un », « une personne, un animal, un objet, un membre, une situation, un statut, une rupture ».

Les émotions ou affects sont parfois mêlés à la définition :« tristesse », « pleurs », « douleur », « chagrin », « émotions »,

« investie affectivement », « peine », « détresse ». La tristesse est prédominante.

Le deuil : cela vous remémore-t-il des souvenirs personnels ? (exemple)

Un aide soignant écrit : « je l’évoque dans l’intimité seulement », la plupart évoquent le ou les décès de proches de la famille : « Deuil difficile « non fait ? » : exemple de mon père qui a perdu sa mère dans un accident de voiture et qui n’a pas pu la revoir morte », « Des décès et morts cachés, des deuils familiaux jamais faits ». parfois d’un animal. L’infirmière, une interne et les deux psychologues font référence aux décès des malades, une soignante ajoute aussi « la perte de la dextérité des mains ».

Vous sentez-vous à l’aise lors d’un deuil dans le service ? Pourquoi ?

Les réponses sont mitigées. Certains se disent à l’aise tout en précisant qu’ils s’en accommodent parce que c’est leur travail, « Je suis là pour accompagner les endeuillés » (assistante sociale), ou parce que l’âge des patients en gériatrie permet de mieux accepter leur décès, ou parce que le partenariat ou le soutien d’équipe est fort. D’autres, tout particulièrement les jeunes diplômés, internes, stagiaires, mais aussi des professionnels plus expérimentés trouvent cela difficile à vivre et se sentent démunis en particulier

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pour trouver les mots, les contextes ne sont pas toujours aidants, un professionnel évoque le lien fait implicitement entre le décès de patients et celui de ses proches…

Les proches

Les trois questions suivantes permettent au soignant de préciser ce qu’il entend par les proches du patient. Comment il les considère, les intègre dans sa prise en charge soignante : Q �, Q 5 et Q 6.

Comment définissez-vous les proches d’un patient ? Comment les situez-vous par rapport au patient ?

Les réponses là aussi se rejoignent sans différence notoire entre soignants de profession différente.

On retrouve déjà comme définition de proches : « la famille », « ceux qui ont des liens de parenté avec le patient », « ceux qui ont une relation étroite avec le patient », ensuite les amis, « les personnes avec lequel le patient entretient des liens d’amitié profonds, d’amour, d’amitié », « font partie du cercle relationnel », « personnes investies affectivement » ou encore les voisins, les aides à domicile, « l’environnement », « c’est le patient qui les définit selon ses dires », « ceux qui sont vraiment « proches », visites, ceux qui demandent des nouvelles, par téléphone, écrivent et ceux qui ne le sont pas (aucun contact) », « une présence ».

Il est intéressant de constater que, pour certains, sont inclus dans les proches ceux qui gravitent dans l’histoire du sujet même s’ils ne sont pas visibles sur les lieux. Les proches « constituent une partie primordiale de l’histoire du sujet », des accompagnants ou encore

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« des personnes en souffrance qui ont besoin d’être accompagnés dans ces moments difficiles », « font partie de la prise en charge du sujet », « sont importants pour le bon déroulement des soins et l’acceptation des soins de la part du patient ».

Les proches sont-ils pour vous une gêne ou des partenaires du soin ? Précisez.

La plupart des soignants considèrent les proches à la fois comme gênes et comme partenaires du soin en fonction des situations ou parce qu’ils évoluent dans leur relation mutuelle. Les médecins et internes associent tous ces deux aspects. Les psychologues voient davantage l’intérêt positif de leur présence : « leur permettre de s’impliquer dans le projet de vie et/ou de soin du patient », « il me paraît important qu’un accueil soit réfléchi, proposé dans le service auprès des soignants pour les accompagner et prendre soin d’eux, abordé dans un environnement affectif ».

Les proches sont des partenaires du soin parce qu’ils connaissent bien le malade, son histoire, ils participent aux soins, sont des « accompagnateurs », certaines familles sont aidantes « participent à la prise charge ». Mais les proches sont ou peuvent aussi être pour les soignants une gêne, des familles « trop encombrantes », « anxieux », « demandeurs + » « Il est arrivé que les familles cherchent à accélérer la fin de vie. Ou encore qu’elles soient si angoissées que cela répercute sur le patient », « des parasites ».

L’accompagnement des proches fait-il partie de votre rôle soignant ?

La réponse à cette question est unanime quelle que soit la profession, tous s’accordent pour dire que l’accompagnement des proches fait bien partie de leur rôle soignant, « absolument », « c’est évident », C’est étonnant que, devant une réponse si nette

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de tous, lors de l’enseignement initial il est encore si peu abordé, et les soignants dans la pratique manifestent bien des difficultés en l’occurrence…

Le rôle du soignant auprès des prochesavant, pendant et après le décès

Le rôle du soignant auprès des proches endeuillés ne se cantonne pas au moment spécifique du décès. Il s’insère dans une démarche préliminaire pendant la période dite de fin de vie – pendant ce temps qui entoure l’instant précis du décès, l’attente du dernier souffle ou dernier soupir, le choc de la mort et le contact avec le défunt, et enfin pendant ce temps qui suit, avec le départ du corps en chambre mortuaire et sa sortie de l’hôpital pour l’inhumation ou la crémation.

Avant et pendant le décès

Deux questions, Q 7 et Q8, visent à réaliser si le soignant est sensibilisé ou non avant le décès à l’accompagnement des proches dans la phase de pré-deuil, à l’intérêt de la présence des proches auprès du patient lors des derniers instants. Les dernières paroles ainsi que le dernier au revoir irréversible restent mythiques. Je souhaitais connaître l’opinion des soignants sur le sujet et souligner que le soin des endeuillés se prépare avant le décès.

Contribuez-vous à la présence des proches lorsque vous pressentez la mort du patient imminente ?

32/33 réponses sont oui, étudiante infirmière qui s’est abstenue de répondre.

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Cependant, le oui pour une moitié est anticipatoire, les soignants cherchent à favoriser la présence des proches, « je le souhaite et l’encourage » (membre de l’aumônerie) ; pour l’autre moitié, les soignants n’agissent que s’il y a une demande des proches dans ce sens, ou n’interviennent que « quelques fois ». Les médecins s’impliquent en annonçant l’aggravation lors d’un entretien ou par téléphone. L’infirmière cadre spécifie : « Oui, en facilitant leur présence (horaires de visite privilégiés accordés, possibilité de dormir dans la chambre ».

La présence des proches lors du dernier souffle a-t-elle une incidence d’après-vous dans le processus du deuil ? Pourquoi ?

Il y a l’abstention d’une aide soignante et de l’assistante sociale. Les médecins et l’infirmière cadre sont mitigés et pensent que « cela dépend », « probablement, c’est difficile de savoir ». Les infirmières affirment toute de manière positive la relation entre la présence des proches lors du dernier souffle et le bon déroulement du processus du deuil ; les aides soignantes les rejoignent. L’aide soignant de la chambre mortuaire précise que ce moment est important et qu’il convient pour les proches de pouvoir en reparler.

Le membre de l’aumônerie ajoute que, par « la satisfaction des proches d’avoir été jusqu’au bout, ils n’ont pas la culpabilité de l’absence à cet instant ».

L’annonce du décès fait-elle partie de votre rôle directement ou indirectement ? Comment le vivez-vous ?

La question se réfère à l’annonce du décès, celle-ci n’est pas anodine pour le proche qui sera touché ou affecté en fonction de la manière ou des paroles dites à ce moment. Les aides

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soignantes globalement se sentent impliquées mais transmettent l’information à d’autres soignants qui se chargent de l’annonce : IDE, infirmière cadre, médecin… Les infirmières sont concrètement plus impliquées dans l’annonce qu’elles délèguent aux médecins ou réalisent en partenariat avec lui ; parfois dans certaines occasions, elles disent être amenées à le faire, c’est pour la plupart signalé comme un moment « très difficile ». Les médecins y accordent du temps et essayent de le faire avec tact en précisant les conditions du décès… Les internes sont plus démunis : « difficile de trouver les mots adaptés… peu de formation lors des études médicales pour cela… et pourtant c’est un moment important ! », l’aide soignant de la chambre mortuaire dit justement que l’annonce se fait en amont, avant l’arrivée du corps à la chambre mortuaire, cependant il y a eu une occasion où une famille toujours dans le déni était convaincue que leur proche n’était pas le défunt et où il a fallu que les soignants s’en assurent puis le leur confirment…

Après le décès le soignant est confronté au soin spécifique de la toilette mortuaire du défunt. Deux questions cherchent à découvrir les difficultés ou importance de la réalisation de ce soin par le soignant : Q 13 et Q 1�

La toilette mortuaire est-elle pour vous un soin qui mérite une attention singulière ? Pourquoi ?

La toilette mortuaire est importante pour le défunt et pour les proches. Les deux mots les plus utilisés pour évoquer sa fonction sont déjà le respect et ensuite la dignité.

Les soignants font référence aussi aux rites, à la culture du patient et environ la moitié précise que cette toilette prépare ensuite ce temps d’intimité et d’adieu entre le défunt et les proches.

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Vous sentez-vous à l’aise pour réaliser ce soin ? Pourquoi ?La question réservée davantage aux aides soignantes et

infirmières, les réponses sont partagées et souvent en rapport avec l’ancienneté d’exercice. Les infirmières ou aides-soignantes récemment diplômées appréhendent davantage le soin, certaines instaurent le travail en binôme pour éviter les tensions émotionnelles trop importantes et permettre un partage du vécu et du soin. Des étudiantes m’ont signalé en me remettant le questionnaire qu’elles auraient aimé qu’un travail pratique toilette mortuaire soit réalisé lors de la formation et déplorent que ce soit si peu abordé durant le cursus car c’est un soin qui n’est pas anodin et qui génère du stress. Il est intéressant de constater qu’une femme médecin en soins de longue durée s’implique auprès des soignants lors de la toilette par sa présence et l’échange voire des conseils pratiques ; elle joue un rôle important de soutien et elle commence les réunions de synthèse en évoquant déjà le ou les derniers défunts pour susciter un partage si les soignants en ressentent le besoin.

Trois questions suivent et impliquent l’impact de la toilette mortuaire pour l’accompagnement des proches ensuite. J’interroge le soignant sur sa perception de l’accompagnement des proches auprès du corps défunt et de sa fonction : Q 15, Q 16 et Q 17.

Pensez-vous que ce temps des proches auprès du corps défunt est important pour le deuil ? Pourquoi ?

L’importance de la toilette mortuaire est claire car elle permet d’abord l’adieu, ensuite c’est un temps de recueillement, d’intimité. Les psychologues ajoutent que « c’est un moment important pour le bon processus du deuil », ou son « bon déroulement », « cela permet une prise de conscience de la réalité de la perte. Cela permet d’éviter un deuil retardé. »

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Vous arrive-t-il d’accompagner les proches dans la chambre du défunt ?

11 infirmièr(e) s/15 disent accompagner les familles dans la chambre, les étudiantes ne s’y sont pas aventurées ; �/5 aides-soignantes ont répondu oui ; 3/3 médecins ont répondu oui ainsi qu’une interne, l’autre interne n’en a pas eu l’occasion, la cadre de santé s’y applique, l’assistante sociale ne le fait pas, une psychologue le fait en fonction des demandes, l’autre non ; le membre de l’aumônerie le fait en fonction de la demande. Des remarques relatives à la charge émotionnelle en lien avec ces démarches sont observées.

Comment pouvez-vous aider les proches dans la chambre du défunt ?

Les réponses sont variées, complémentaires. Les aides soignantes sont là pour « réconforter », « à l’écoute », « juste ma présence auprès d’eux suffit », ou deux d’entre elles précisent qu’elles se remémorent à ce moment avec les proches des souvenirs du défunt. Les infirmières assurent, avant tout, une présence et une écoute, essayent d’être vecteurs de « calme », « sérénité », un infirmier ajoute un soutien affectif « main sur l’épaule ».

Une infirmière répond tout simplement « empathie » sans préciser ce qu’elle entend par là. Quelques unes s’appliquent à donner des explications ou à répondre aux diverses questions, et l’une s’abstient. Les médecins sont attentifs à l’expression des émotions « pleurs » des proches et sont là pour soulager par leur attention, et par des petits gestes, voire un simple verre d’eau, veillent à la bonne installation dans la chambre, présence « de chaises », donnent des explications en amont si besoin, et restent disponibles mais discrets, avec un éventuel accompagnement dans la chambre pour partager un temps de recueil, tout en sachant

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s’esquiver pour préserver l’intimité des proches. Une psychologue dit justement : « dans une présence discrète, investie, à bonne distance ». La responsable de l’aumônerie assure si besoin une présence et la « prière ».

La connaissance de la culture ou de la religion du patient vous aide-t-elle pour accompagner les proches dans le deuil ? Pourquoi ?

La question poursuit la réflexion et évoque l’éventuelle sensibilisation des soignants à l’intégration de la culture voire de la religion du patient pour adapter le soin de la toilette mortuaire ou l’accompagnement des endeuillés. Les réponses toutes s’accordent pour dire qu’il est important de connaître l’environnement culturel ou religieux, « pour mieux adapter les soins », « pour adapter la toilette mortuaire », « par respect », « pour ne pas faire d’erreur », On remarque dans certaines réponses pourtant parfois peu de connaissance sur le sujet, et dans cette situation, le recours aux proches est utile pour adapter en fonction de ce qu’ils peuvent souhaiter ou que le patient aurait souhaité.

Rôle personnel du soignant/Rôle de l’équipe/rôle partagé du soin des endeuillés en Institution, en société.

Le soignant ne peut réaliser le soin de l’endeuillé seul, il s’insère dans une démarche de l’équipe et de l’Institution. Divers soignants interviennent et ont un rôle. Différentes questions, attribuent le soin de l’endeuillé non seulement au soignant, (Q 6, Q 7, Q 9, Q 10, Q11, Q 13, Q 1�, Q 16, Q 17, Q 18 et Q 21), dans le cadre des soins relationnels propres mais encore à l’équipe soignante, (Q 12 et Q 22), et donnent au soignant la possibilité d’intégrer le rôle de chacun.

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Pensez-vous qu’il puisse être important pour les proches d’être soutenus après le décès ? Qui peut les aider ? Que leur proposez-vous ?

15/17 infirmièr(e) s ont répondu oui, une s’est abstenu de répondre et une a précisé cela dépend. Toutes les autres réponses furent oui soit 31/33 au total dont une réponse mitigée.

Quelle attitude ou mécanisme de défense adoptez-vous le plus souvent ? Pourquoi ?

Les infirmièr(e) s : 9/15 adoptent la distanciation ou l’évitement : « distance », « fuite », « pas trop d’investissement », « éviter les attaches », « refus du soin » ; les raisons invoquées expriment la charge émotionnelle liée à l’accompagnement dans le deuil : « pour ne pas se laisser absorber par la souffrance qui peut freiner le travail », « pour laisser la famille se recueillir », « pour préserver un domaine privé marqué par des souffrances vécues » (identification projective), « refus du soin car souvenir du décès de mon père » (identification projective), « proposer d’appeler le cadre, comme cela je me décharge aussi », « relation soignant-soigné pour éviter les attaches », « se plonger dans le travail pour mieux s’occuper des autres patients ».

– 1 infirmier utilise la banalisation « je relativise-fataliste ». � infirmière utilise la fausse réassurance « je positivise ». 1 infirmière utilise, outre la distanciation, la dérision : « rire nerveux ».– 1 infirmier adopte « l’empathie » sans citer de mécanisme de défense elle se réfère à son attitude. � s’en approche en signalant que pour elle « l’idéal serait aucun mécanisme de défense et d’être dans l’accueil total, empathie et distance professionnelle ».– 1 infirmière invoque sa foi comme aidante pour « accepter » ce moment.

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– 1 infirmière s’abstient ainsi que les deux étudiantes en soins infirmiers.2/5 aides-soignantes utilisent la distanciation, l’une réelle, l’autre intérieure, « se mettre en retrait sans même l’être, savoir trouver sa place par rapport à la famille ».– 1 adopte le réalisme : « une triste journée c’est le réalisme de la journée »– � adopte l’empathie, la discrétion et le professionalisme.– � s’étonne de « ces mécanismes de défenses » : « je n’ai rien à défendre, je ne suis pas sur la défensive… Je peux leur parler de Dieu s’ils le souhaitent. »

Sur les 3 médecins : 1 dit que le travail en gériatrie implique une préparation au décès, et que de prendre le temps de connaître son patient et de le suivre est aidant. � adopte l’accompagnement personnel avec le relais en équipe, « entretiens à plusieurs », « passer le relais, ce qui est rendu possible par le travail en équipe ». � ne sait pas.

Une interne utilise la rationalisation : « objectivation de la situation avec des termes médicaux très précis, je me cache derrière un professionnalisme qui peut créer de la distance ». Une interne : « je ne comprends pas trop la question. »

Les réponses soulignent l’intérêt de reconsidérer la position de chacun lors d’un décès pour permettre d’adopter au mieux l’attitude ou trouver la personne aidante en l’occurrence.

En quoi consiste pour vous l’accompagnement des proches dans le deuil ? Rôle propre et rôle en équipe.

Quels sont les intervenants qui peuvent vous aider dans cette démarche d’accompagnement des proches dans le deuil ?

Pour ce qui concerne le rôle propre des soignants, ceux-ci insistent sur l’importance de « l’accueil », primordial, « l’écoute »,

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« le soutien » ou encore « la relation d’aide », « l’attention », « les prendre en considération ». Il y a des réponses autour du registre de la « compréhension », « l’empathie », « la communication non verbale ». Certains sont attentionnés au soutien physique, au confort, qui instaure un climat rassurant, et soutien le choc émotionnel. D’autres prévoient la suite et répondent aux demandent pratiques administratives ou organisationnelles, « prévoir les vêtements » pour habiller le défunt.

Pour ce qui est du rôle en équipe, le soutien de chacun est bien remarqué, tout soignant quelle que soit sa fonction a un rôle d’accompagnement, le soutien de l’équipe est crucial, efficace pour la plupart, insuffisant pour un infirmier. La psychologue, le référent du culte ou le bénévole sont des soutiens effectifs. Les associations extérieures sont justes mentionnées par un petit nombre comme soutien possible des familles proposé éventuellement. étonnamment le Cercle des familles n’est pas mentionné alors qu’il est amené à avoir un rôle important pour le soutien des familles ; il est aussi un lieu propice à l’échange mutuel des différentes familles. Une psychologue se ressource avec la psychanalyse.

D’autres questions, disséminées par la suite dans le questionnaire élargissent le soin de l’endeuillé du contexte local du service à l’Institution, Q 19, Q 20 et Q 22 voire à la société, Q 29. Ainsi l’entourage, la famille, amis, personnes de confiance, présence de proximité… l’espace de la Chapelle est aussi proposé…

Ainsi la chambre mortuaire et les soignants qui travaillent là ont une place importante et centrale pour le soin des proches dans le deuil : Q 19 et Q 20.

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Quelle fonction a pour vous la chambre mortuaire pour les proches dans le deuil ?

La chambre mortuaire a une place non négligeable, « fait partie de l’hôpital », « une connotation négative par l’impersonnalité de l’endroit, froideur du lieu » mais surtout c’est le lieu propice au recueillement des proches en ce temps d’adieu, « un passage entre le vivant, le service et la mort, le cercueil », ou encore « un endroit où on peut rendre hommage ».

Quel est votre lien direct ou indirect avec la chambre mortuaire ?

La plupart évoquent un lien indirect avec la chambre mortuaire matérialisé par la fiche de liaison, certains soignants plus particulièrement ceux qui travaillent en soins de longue durée ou en soins palliatifs s’aventurent dans les lieux à l’occasion pour accompagner le défunt jusque-là ou assister à la levée de corps en compagnie des proches.

La spécificité des services peut expliquer la différence d’approche mais cette dernière dépend aussi de la motivation personnelle. Une infirmière en SSR confie qu’elle aimerait à l’occasion poursuivre jusqu’à la cérémonie des funérailles.

Il est intéressant de remarquer que les réponses sont plutôt appropriées et judicieuses. Certes, ceux qui ont répondu au questionnaire sont d’emblée des soignants intéressés et motivés par le sujet car sinon ils n’auraient pas pris le temps pour tant de questions. Ce n’est donc pas forcément le reflet de ce que je constate ou que l’on retrouve dans la réalité sur le terrain ; mais cela montre qu’il y a une sensibilisation des soignants autour de cet instant important qu’est la mort à l’hôpital.

La question 22 invite à prolonger la réflexion autour des questions plus précises qui nécessitent certaines connaissances relatives au deuil pathologique : Q25 et Q 26.

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Qu’est-ce que pour vous un deuil pathologique ? Pensez-vous qu’ils sont fréquents ? (exemple)

Globalement les infirmières ou aides soignantes ont du mal à définir le deuil pathologique, une bonne partie cependant le définit bien comme un deuil trop long, une infirmière précise « qui excède une année » ou avec des complications, certaines tentent vaguement une définition pas toujours adéquate.

Pensez-vous que les soignants peuvent contribuer par un bon accompagnement des proches à éviter un deuil pathologique ?

Les aides soignantes, hormis une abstention, s’accordent pour reconnaître l’importance d’un bon accompagnement pour le bon processus de deuil des proches, l’une cependant hésite « Oui et non, car le cerveau est complexe » Les infirmières pour une moitié se joignent aux aides soignantes, l’autre moitié est plus hésitante dans sa réponse, car conscientes de la complexité des situations et de la nécessité de temps. Les médecins et internes synthétisent bien ces deux opinions. L’aide soignant de la chambre mortuaire répond justement « Oui, mais l’aide soignant ne suffit pas, besoin de soutien de l’entourage ». Il renvoie à la société ce rôle ensuite d’accompagnement qui doit se prolonger.

Quel est le ressenti du soignant sur la société : est-elle amène de soutenir les endeuillés ? Q 29

Pensez-vous que dans notre société, ou autour de vous, les personnes dans le deuil, se sentent seules ou écoutées et soutenues ? Pourquoi ?

Les réponses sont étonnantes dans le sens où, malgré la diffusion de la culture palliative dans les médias et le langage, il demeure un tabou de la mort très important dans la vie intime des citoyens et des familles. Les réponses sont flagrantes et d’ailleurs

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confirment un désarroi encore intense dans la société pour ce qui est de l’accompagnement des endeuillés dans le cercle des proches. L’individualisme contemporain est majoritairement évoqué, la solitude des endeuillés constatée dans l’entourage des soignants eux-mêmes citoyens. La perte des rites est parfois invoquée. Une psychologue souligne de plus qu’« il s’agit d’une période qui n’est pas assez prise en compte dans le domaine du travail ».

Les soignants en deuilSi les proches du défunt sont effectivement en deuil, les soignants

qui se sont faits proches ou sont devenus proches du patient par le suivi et les soins dans la durée ne sont-ils pas eux-mêmes en deuil. Mon expérience personnelle me montre que, dans certaines situations, se réalise pour le soignant comme pour l’équipe un travail de deuil, en particulier lorsqu’il s’agit de patients pour lesquels il y a eu un investissement important. Les soignants ont-ils ce même sentiment ? Q 23 et Q 2�

Lorsqu’un patient décède dans le service avez-vous le sentiment d’être aussi dans le deuil ?

Je fus surprise de lire que majoritairement les soignants se sentent aussi dans le deuil lors du décès des patients, ce deuil bien sûr n’est pas proportionnel à celui des proches, et dépend de l’implication relationnelle avec le patient. L’impact des décès n’est pas anodin et la charge émotionnelle est lourde.

Ressentez-vous aussi le besoin d’être accompagné dans votre deuil ? Comment ?

Les soignants pour certains estiment étonnement ne pas avoir besoin d’accompagnement ; une aide soignante précise que sa foi est pour elle son mode de ressourcement ; d’autres trouvent

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un soutien important dans l’équipe de manière formelle ou informelle, le groupe de parole pour un tiers est aidant, le rôle de la psychologue est souvent évoqué.

La formation des soignant au deuil et à l’accompagnement des endeuillés

Il n’est pas anodin de constater la faible proportion de cours réservés aux soins relationnels, aux réflexions humaines ou philosophiques sur la vie et la mort, pourtant essentielles, au profit de cours sur des soins techniques ou prises en charge thérapeutiques.

Le soin de l’homme implique le soin du vivant, du mourant et du mort, j’ai été malheureusement dépitée de constater que l’accompagnement des proches pendant la dite fin de vie, et l’accompagnement dans le deuil, n’étaient majoritairement qu’abordés en cours optionnels. Je demande au soignant ce qu’il en pense : Q 27 et Q 28.

Avez-vous eu une formation sur le deuil ? Précisez.

Estimez-vous que la formation sur le deuil fournie dans le cadre de la formation initiale soit suffisante ?

Pour ces deux questions (9/15 infirmières, 2 étudiantes en soins infirmiers, AS 3/5, médecins 5/5) pensent effectivement que la formation initiale n’intègre pas suffisamment l’accompagnement, les soins relationnels aux endeuillés, une interne est particulièrement virulente à ce sujet et dénonce un manque patent dans le domaine : « non du tout ! C’est limite déplorable ! ». D’autres pensent de même mais signalent cependant que la formation ne donne pas tout pour un bon accompagnement, chaque cas est spécifique. Pour certains, le vécu sur le terrain est plus formateur ; pour d’autres, l’apport théorique n’est pas suffisant il faut une disposition humaine, une attitude ou aptitude personnelle. Une infirmière et

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une aide soignante (AMP) et les deux psychologues et le membre de l’aumônerie ont trouvé l’apport lors de la formation initiale suffisant.

Relecture de situationPour clore le questionnaire, je propose au soignant de relire une

situation concrète vécue sur le terrain, situation qui l’a positivement ou négativement marqué. Les relectures de situation sont pour moi une clé essentielle pour avancer et améliorer la prise en charge. Cela nécessite aussi de prendre un peu de temps pour analyser, regarder et relater à distance la situation.

Cela permet de faire émerger d’autres réactions et de susciter la mise en place de certaines actions : Q 30.

Pouvez-vous décrire une situation d’accompagnement des proches dans le deuil qui vous a interpellée, ou qui a été difficile pour vous et pour l’équipe.

Les expériences relatées marquantes sont très différentes soit estimées satisfaisantes, soit manifestement traumatisantes, difficiles à gérer ou l’expression de l’insatisfaction de la prise en charge des endeuillés en Institution. Voilà quelques récits :

Une infirmière : « Un décès brutal, inattendu d’une patiente que l’équipe avait commencé à apprivoiser, pathologie difficile. Deux sœurs en grande souffrance ne comprenant pas le comportement de cette maman, « décharnée » et méconnaissable. Avis différents dans cet accompagnement. L’annonce du décès faite par le médecin et les démarches ont été pénibles pour toute l’équipe. La famille devait revenir chercher les affaires… »

Une étudiante en soins infirmiers : « Patient de 50 ans avec un cancer et des métastases multiples. Enfant de 25 ans. Cela a été

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une situation difficile pour moi car les proches avaient mon âge et j’ai eu des difficultés à trouver les mots réconfortants après le décès et avant (lors de l’acheminement au décès) ».

Une aide soignante : « Très dur à supporter, insoutenable ! »Une femme médecin : « Nombreux enfants avec déni de démence

(très sévères MMS 0/30) et incompréhension de la fin de vie chez une patiente de moins de 80 ans. La patiente : outil de règlement de compte entre enfants avec accusations de l’équipe soignante. Agressivité difficile à juguler : soulagement/crainte au décès de la patiente. »

Une interne : « Oui, famille très organiciste à demander des réponses en termes d’espérance de vie chiffrée, centrée sur des aspects administratifs du décès, laissant peu de place à un moment d’écoute, d’entretien. Frustration personnelle de ne plus pouvoir parler du décès, mais respecté (moyen de défense des proches ?) »

Une cadre de soin : « Une femme qui décède dans la plus complète solitude. (sans famille et sans amis). Une divergence dans le projet de soins : une chimiothérapie entreprise contre la volonté du malade mais qui a permis au médecin de dire qu’il avait tord de tenter et qui s’est terminée par le décès de la malade. Cette dernière n’a pas supporté le traitement, étant donné son état et son refus de tenter des thérapeutiques depuis plusieurs années ! »

Une psychologue : « Cet accompagnement n’en n’est justement pas un à mon regard. La situation que je décris se déroule dans une unité de soins palliatifs gériatrique. Avant de parler de la situation de deuil des proches, je vais parler du patient puisque son histoire personnelle et l’histoire de sa maladie semblent prédisposer à un deuil compliqué qui n’a pas pu être accompagné correctement. Ce patient était relativement jeune au regard des autres patients-54 ans –, il était d’origine asiatique et souffrait d’un cancer digestif

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opéré 14 fois, lui laissant un trou béant dans le ventre. Il est décédé dans l’unité au bout de 3 mois, ce qui est relativement long si on compare avec la durée moyenne en séjour d’USP. Sa prise en charge a été rendue très compliquée :

– d’une part parce que sa femme ne parlait qu’un dialecte chinois,

– d’autre part parce que sa femme avait des rites religieux qui nous étaient inconnus et qui paraissaient anxiogènes pour le patient (chants très tristes, secousse du patient)

– Et enfin parce que venant d’HAD, sa femme avait l’habitude de faire les soins, changement de la poche de stomie, nettoyer les intestins de son mari…). Face à cette situation, la femme du patient a vite été rencontrée. Mais la barrière de la langue n’a jamais pu être franchie. Aucun interprète ne connaissait son dialecte. Mon outil de travail étant la parole, je me suis sentie impuissante, ne pouvant remplir mes missions de psychologue. J’ai été absente lors du décès de ce patient. Nous n’avons jamais eu de nouvelles de sa femme qui était présente chaque jour, très investie, (voire trop ?) dans les soins. Je ne pense pas qu’elle se soit sentie soutenue, accompagnée dans ce deuil. Cette expérience où la barrière de la langue et de la culture était présente m’a beaucoup marquée. J’y pense encore même si je n’arrive pas à trouver des solutions à posteriori. »

Une membre de l’aumônerie :

« Souvenir d’un fils qui découvre sa mère la première fois dans son cercueil… D’une fille qui a accepté de revoir sa mère alcoolique… De nombreuses situations nous interpellent si nous arrivons à communiquer, c’est beau ; de faire le point, d’accepter ou de pardonner… Les gens sont fragiles et en vérité, donc il y a une vraie communication, mais il faut la saisir, prendre le temps. »

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Un aide soignant de la chambre mortuaire : « Il faut prendre le temps, chaque situation est différente. Souvenir d’une situation très difficile avec une famille très agitée mécontente pour tout alors que réellement nous nous étions bien donné du mal, nous avions vraiment pris le temps de cravater correctement son mari, de l’installer… Rien ne convenait à madame dans tous ses états et ce jusqu’au bout, nous avions même été vérifier au cas où… Enfin elle était dans un état d’agitation, impossible de se poser… »

4.3.2 Méthodologie opérationnelle d’appropriation du concept d’accompagnement et éclairage éthique du deuil.

Pour qu’une démarche éthique de l’accompagnement des endeuillés s’insère dans la pratique des services, il faut sensibiliser les soignants, les équipes, l’institution et les proches. Ceci se réalise donc concrètement à différents niveaux.

Individuellement le soignant est déjà principalement concerné. Pour donner aux soignants de se questionner par rapport à leur attitude soignante face aux endeuillés il faut considérer différents aspects qui rejoignent les quatre composantes de la douleur, la composante sensitive, affective, cognitive et comportementale. Les soignants ont besoin d’adapter leur attitude en combinant ces quatre composantes. Pour ceci les deux concepts fondamentaux sont le respect de l’endeuillé, et les connaissances relatives au deuil. Les soignants sont affectés par la situation de l’endeuillé. La sensibilité et les émotions les soignants sont un point d’ancrage positif pour mobiliser ensuite une démarche d’accompagnement. Il faut que le soignant ose cette démarche de proximité pour que l’accompagnement soit possible. C’est un beau risque à courir, risque cependant qui a besoin d’être sécurisé, le risque sinon peut devenir la noyade du soignant dans une mer de vagues houleuses d’affectivité étouffée, ou épanchée en débordements excessifs, avec une bout vaseuse de burn-out en fond marin…

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Par le biais de la formation initiale et continue les soignants peuvent bénéficier de données et éléments qui leur donnent de la distance et une meilleure compréhension du processus du deuil.

Associés à une démarche personnelle qui se fonde sur une attitude humaine, les connaissances et le respect permettent un bon ajustement de l’accompagnement.

Par le soutien de l’équipe, l’apport des uns et des autres, l’inter et la pluridisciplinarité, l’encadrement, les soignants bénéficient de différentes bouées de sauvetage.

Par une réflexion et une démarche éthique progressive en équipe avec des haltes récréatives les soignants peuvent reprendre souffle. Les lieux d’expression, groupes de paroles formels ou informels, les relectures de situation en équipe des situations les plus difficiles lors des réunion de synthèse, ou lors d’un temps spécifique d’échange trimestriel par exemple sont autant de moyens simples et efficaces que chaque équipe doit pouvoir adapter en fonction de son mode de fonctionnement. Cette démarche s’inscrit dans le concept d’analyse de la pratique de l’infirmière. Dans ce contexte, l’infirmière cadre a un rôle important pour maintenir la dynamique et coordonner le fonctionnement de l’équipe. Évelyne Malaquin Pavan dans le cadre de l’obtention du diplôme de cadre de santé présente dans son mémoire le rôle du cadre dans l’accompagnement des aidants naturels de personnes âgées souffrant de démence Alzheimer.75

Par l’Institution, les soignants et les proches bénéficient de soutien possible et concret. La chambre mortuaire est un lieu important pour l’accompagnement des proches dans le deuil. un bon relais entre les soignants en service et la chambre mortuaire favorise un meilleur accueil là- bas. Les soignants peuvent proposer le soutien :

75 – Évelyne Malaquin Pavan, « Rôle du cadre dans le soutien des aidants naturels de personnes âgées souffrant de démence Alzheimer institutionnalisées : entre posture et organisation apprenante », mémoire réalisé dans le cadre de l’obtention du diplôme de cadre de santé, 2005, IFCS ou journées ARSI 2006.

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• de la psychologue dans l’Institution disponible pour un soutien éventuel,• de l’infirmière cadre pour répondre aux demandes concrètes relatives aux administratives post décès à réaliser.• de l’association Cercle des familles, il devrait pouvoir être un bon soutien pour les proches en détresse,• de l’aumônerie présente dans l’hôpital, elle peut répondre aux demandes d’accompagnement spirituel ou religieux, et faire appel à des référents d’un culte religieux particulier si besoin,• d’associations disponibles et spécialisées dans le soutien aux endeuillés. Le numéro vert de l’association François Xavier Bagnoud réservé aux proches en détresse devant une fin de vie ou un décès peut être utile : 0 811 020 300.

4.3.3 Action de formation envisagée/sensibilisation des soignants

Lors de la mobilisation des soignants sur le sujet individuellement lors de la remise ou récupération des questionnaires, ou en équipe lors de décès dans le service émergeait un désir de formation des soignants sur le sujet, eux-mêmes demandeurs dans ce domaine peu ou pas mentionné ou évalué lors de la formation initiale. J’avais réalisé une formation ponctuelle l’an dernier sur la culture et les soins en fin de vie, rites et religions, les soignants ont apprécié la démarche qui répondait à un réel besoin dans la pratique quotidienne.

Je mûrissais le projet d’entamer à nouveau cette même démarche en incluant un soignant de la chambre mortuaire et une psychologue disponibles et intéressés par le sujet. Mon objectif est de favoriser les relations entre les soignants dans les services et les soignants de la chambre mortuaire pour améliorer les conditions d’accompagnement des proches dans le deuil. Cette demi journée

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ou journée donnerait aussi un ensemble d’informations pour mieux considérer et adapter l’attitude soignante face à l’endeuillé. Une évaluation à distance/appropriation et adaptation des apports permettra de poursuivre concrètement avec les soignants la réflexion sur le sujet et de l’insérer dans la pratique des services.

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CONCLUSION

« Le deuil est reconnu comme l’un des évènements les plus traumatisants de l’existence d’un individu. On sait aussi que les conséquences d’un deuil difficile ou non résolu se traduisent souvent par des problèmes de santé physique ou mentale qui peuvent s’échelonner sur plusieurs années ». les deuils affectent non seulement les endeuillés directement touchés mais aussi leur réseau familial et social. « Il est également reconnu qu’intervenir de manière précoce et préventive peut contribuer à amoindrir les coûts humains et les coûts du système »76 – L’accompagnement de soutien peut être très déterminant à ce stade. Dans de nombreux cas, il constitue une aide suffisante à la résolution du deuil. Toutefois, l’intervenant doit être en mesure de déceler les indices de complications et d’intervenir de manière aidante avec si besoin d’autres soignants ou intervenants appropriés.

Les équipes soignantes sont submergées par ces deuils consécutifs non cicatrisés et générateurs d’épuisement. Le manque de formation, de temps pour des relectures en équipe ou en groupe de parole, de soutien de l’institution, en majorent les troubles. Les familles laissent éclater leur désarroi en comportements émotionnels chargés, ou agressifs car non écoutées ; les revendications fusent… Les patients révèlent leur solitude, leur anhédonie, leur apathie, d’un deuil enfoui…

76 – Pierrette LAMBERT et Micheline LECOMTE. Rapport sur l’état de situation des soins palliatifs au Québec, pour l’AQSP. Gouvernement du Québec, mars 2000.

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Il convient de soigner la relation patient-soignant-proche : « tout proche dans le deuil », pour une meilleure santé de la société.

« Le soin de l’endeuillé » invite à la proximité : « tout proche dans le deuil ».

Le deuil touche tant à l’intimité, à la singularité de chaque personne qu’il dépasse le cadre défini. Toutefois une bonne compréhension du parcours du deuil normal, de ses grandes phases et de ses principales manifestations, peut aider les endeuillés, leurs proches et les intervenants à affronter ce traumatisme avec réalisme.

En ceci la formation et l’éducation ont un rôle primordial.Seul le respect de ces moments douloureux et une reconnaissance

par la société du temps nécessaire à la récupération permettront de vivre le travail de deuil dans de bonnes conditions. Le deuil est du côté de la mort, comme événement, mais il est du côté de la vie comme processus.

Le deuil est souffrance. Il est souffrance car la perte est traumatique, elle blesse en profondeur, elle mine l’être humain dans ce qui le constitue, le deuil lui arrache une partie de ce qui le liait aux autres et au monde.

Le deuil est travail et processus. Il pompe des énergies. La toile déchirée doit se restaurer avec ces fils intérieurs du sens que l’endeuillé, accompagné de ses proches, tisse avec patience et persévérance, avec amour. Faire le deuil c’est aussi se savoir mortel et vivre.

La présence réelle disparue laisse place à une présence réelle résolue. La vie et la joie l’emportent, la mort est assumée. L’homme chemine dans cet élan et ce souffle qui dit : « Vie ». Faire son deuil c’est aussi se savoir soi mortel et vivre.

Les infirmières, en prenant soin des proches en deuil par une attitude adaptée dans leur rôle propre et en équipe, peuvent

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aider au bon déroulement du processus de deuil des proches. La sollicitude soutient les liens entre les soignants, le défunt et son entourage, elle préserve de l’épuisement professionnel et soulage les endeuillés. Cultiver ce soin est une nécessité et mérite, dans le cadre de la formation initiale et continue ainsi que dans la vie quotidienne des services, de germer.

Cher lecteur, nous voici arrivés à bon port, bien équipés, peut-être consolés. Je vous souhaite bonne route dans cette solidarité pour la vie.

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160

• Le Coz Pierre, Le médecin et la mort, collection « Espace éthique », Paris, Vuibert, 2006.

• Levy Isabelle, Mémento pratique des rites et religions à l’usage des soignants, Issy les moulineaux, Estem, 2006.

• Levy Isabelle, Soins et croyances, Issy les moulineaux, Estem, 2000.

• Pascal Hallouët, Jérôme Eggers, Évelyne Malaquin-Pavan, Fiches de soins infirmiers avec DVD, Elsevier et Masson

• Richard Marie-Sylvie, Soigner la relation en fin de vie : Familles, malades, soignants, Paris, Dunod, 200�.

• Ricœur Paul, Vivant jusqu’à la mort suivi de fragments, Paris, Seuil, 2007.

• Ricœur Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.• Ricot Jacques, Philosophie et fin de vie, Rennes, ENSP,

2 003.• Rinpoché Sogyal, Le livre tibétain de la vie et de la mort,

Paris, La table ronde, 2 008.• Ruszniewski Martine, Le groupe de parole à l’hôpital, Dunod,

����.• Ruszniewski Martine, Face à la maladie grave, Dunod,

1 995.• Thomas Louis Vincent, La mort, collection Que sais-je, Paris,

Puf, 2 008.

Revues/articles/mémoires

• Revue Gérontologie : Fondation Nationale de gérontologie : www.fng.fr/35k

• François Dallaire, Le deuil de la conjointe chez l’homme âgé, 24 avril 2006, 6e congrès du réseau de soins palliatifs du Quebec. www.asqp.org/images/congres_2006-2006_A-l.pdf

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161

• SM Delbard Céline, Sgt Février Séverine, SGT Péron Cédric, SGT Stegre STEGRE Cathy L’infirmier(e) face à la mort « Et si nous en parlions », promotion 98-2001, http://www.ddata.overblog.com/xxxyyy/1/01/58/35/memoiremil.pdf

• Dominique Serrÿn, » Le syndrome d’épuisement des professionnels face à la fin de vie ». Centre de Ressources National François-Xavier Bagnoud, www.croix-saint-simon.org

• Benhamou-jantelet (Ghislaine), Brou (Pascal), Bonneau Moren (Catherine), Legeron (Marie), « Le pack décès : considérer la mort autrement », 2001.

Site internet : BDSD base documentaire• Petrognani Annie : La toilette mortuaire est-elle un stress :

enquête auprès de 200 soignants, 2007.• Thibaud Yvon, L’infirmier face aux familles en deuil, mémoire

TFE pour l’obtention du Diplôme d’Etat Infirmier, 2008, site internet : www.infirmiers.com

• Furstenberg Cécile, « Du spirituel au culturel en soins palliatifs », Poster et documentaire, soins et rites, Site Internet : http://www.pujo-j-jacques.net/article-du-spirituel-au-culturel-55791�52.html-51k-

• Manuel de soins palliatifs, ouvrage ordonné par Dominique Jacquemin et Didier de Broucker, Dunod 2009, partie III : Morts, rites et deuil, p. 785 à 857.

Liens/sites internet

• Centre de Ressources National François-Xavier Bagnoud : www.croix-saint-simon.org. Numéro azur fin de vie : 0811.020 300

• Association Vivre son deuil : www.vivresondeuil.asso.fr• Espace Éthique : www.espace-ethique.org

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• Société Française d'Accompagnement et de soins Palliatifs : www.sfap.org

• Union Nationale Association pour le Développement Soins Palliatifs :

www.soins-palliatifs.org• asp fondatrice : www.aspfondatrice.org• J.A.L.M.A.L.V : Jusqu’à La Mort, Accompagner La Vie :

www.jalmav.fr• VMEH – Visiteur des malades en milieux hospitaliers : www.

vmeh-national.com• Les Petits Frères des Pauvres www.petitsfreres.asso.fr• SOS fin de vie : www.sosfindevie.org• St Christopher’s Hospice. www.stchristophers.org.uk• Textes relatifs aux soins palliatifs et l'accompagnement : www.

pujo-j-jacques.net• Ecrire pour se guérir : www.ecrire-pur-se-guerir.over-blog.fr

162

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ANNEXES

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ANNEXE I

Strœbe et Schut, 1995.

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ANNEXE IILe congé de solidarité familiale77

Dernière mise à jour le 15 septembre 2008

77 ^– http://www.travail-solidarite.gouv.fr/informations-pratiques/fiches-pratiques/conges-absences-du-salarie/conge-solidarite-familiale.html -

16�

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ANNEXE III

Schéma de George Kolhrieser du processus de deuil

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ANNEXE IV

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ANNEXE V

Génograme : famille proche, plus éloignée, ou proches affectés par la situation.

Informations données par le genogramme obtenues par :Entretien réalisé par :Génograme réalisé par :

Membres de la famille, proches ou amis du patient

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Nom AdresseLiendeparenté

âge N°tél

Présentlejour

dudécès

Présentle(s)jour(s) après le

décès

A

B

C

D

E

F

Remarques :

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ANNEXE V SUITE

DateProfessionnel

AccompagnantProche(s)

concerné(s)

Résumédel’entretien-noterenparticulier les données pouvant signalerundeuilpathologique

potentiel-

signature

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ENTRETIEN/INfORMATIONS

Complétez chaque case avec O : OUI, N : NON, PC : pas clair.

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ANNEXE VI78

Toilette mortuaire

Temps de préparation prévu : 10 minutesTemps de préparation du corps : �5 minutes

DéfinitionLa toilette du corps est l’acte par lequel le personnel soignant,

après le constat du décès établi par un docteur en médecine, prépare le corps d’une personne décédée avant son transfert en chambre mortuaire (dans un délai maximal de dix heures pour les établissements de santé).

Le principe de la toilette mortuaire est celui de la toilette au lit avec restauration du corps au plus proche du naturel.

La toilette mortuaire est réalisée par l’aide-soignante et l’infirmier, ce dernier étant plus particulièrement chargé des pansements à refaire, des dispositifs médicaux à ôter, etc. Le pacemaker doit être retiré par un médecin, en revanche la chambre implantable peut-être laissée, sauf souhait de la famille, y compris en cas de crémation. En ce qui concerne les autres prothèses ou orthèses, elles sont souvent laissées en place (genou, hanche…).

Législation/ResponsabilitéArt.R. � 311-5- Dans le cadre de son rôle propre, l’infirmier

accomplit les actes ou dispense les soins suivant visant à identifier les risques et à assurer le confort et la sécurité de la personne et de son environnement et comprenant son information et celle de son entourage :78– Pascal Hallouët, Jérôme Eggers, Évelyne Malaquin Pavan, Elvesier et Masson, p 59-62 Fiches de soins infirmiers

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Premiers soins et procédés visant à assurer l’hygiène de la personne et de son environnement.

Tout à fait paradoxalement, la toilette mortuaire n’est pas mentionnée dans la liste du rôle propre des actes infirmiers. Elle est donc assimilée aux soins d’hygiène corporels (Fiche �, Toilette).

IndicationsLa toilette mortuaire est réalisée dans le service de soins dans

lequel est décédée la personne, sauf souhait express de la famille et des religions prenant en charge la toilette en chambre mortuaire.

Prérequis indispensables :• Techniques de soins liées à la toilette au lit.• Approche de la mort et du corps décédé.Le matériel requis est le même que pour la toilette d’une personne

au lit, sauf en ce qui concerne l’habillement du corps qui peut-être réalisé, s’il ne l’est pas dans le service de soins, par le personnel de la chambre mortuaire ou par un personnel spécialisé.

• Protection individuelle (tablier et gants à usage unique non stériles).

• Chariot de soins sur lequel on dispose :– boîte pour coupants/tranchants– gants de toilette à usage unique– serviette de toilette– nécessaire personnel (parfum, perruque, prothèse dentaire,

peigne, etc.)– Coton cardé pour obstruer les orifices naturels (ou tampons

réservés à cet usage) ;– protection à usage unique adapté à la taille de la personne ;– nécessaire pour refaire les pansements ou changer de poches

de recueil ;– drap ordinaire ou drap mortuaire

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– housse de corps fermant étanche, si nécessaire ;– bande pour le menton ou boudin.– bracelet d’identité.

Préparation du matérielLa préparation du matériel est faite sur un chariot de soins.Il peut exister des sets déjà préparés qui contiennent tout le

nécessaire pour la toilette mortuaire à deux soignants.

Préparation du patient• Le constat de décès doit être dressé avant la toilette et l’inventaire

réalisé (effets personnels, bijoux, moyens de paiement, etc.)• La réparation du corps avant la toilette est parfois nécessaire

(plaies suite à un accident, plaies chirurgicales). Demander au médecin la pose de fils de suture (point de surjet) ou la pose d’agrafes (rapide et pratique).

• Les familles de religion juive, musulmane ou bouddhiste prennent en charge la toilette du défunt qui est réalisée en chambre mortuaire.

• La personne décédée est placée dans son lit si elle est hospitalisée. La toilette mortuaire au domicile du défunt est aussi effectuée au lit. Les patients décédés aux urgences ou dans la rue sont conduits en chambre mortuaire et c’est souvent le personnel spécialisé qui prend en charge la préparation du corps.

• Le corps est entièrement déshabillé et les bijoux sont ôtés. Un inventaire est dressé et les objets de valeur ainsi que les moyens de paiement sont déposés au bureau des entrées.

• Tous les objets de soins piquants sont retirés et remplacés par les pansements occlusifs. Les pansements des plaies sont refaits, de façon étanche, et les poches de recueil sont changées. Les déchets sont placés dans un sac de déchets en vue de leur incinération.

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• Le corps est lavé à l’eau et au savon, puis rincé et séché. Le rectum et le vagin sont obstrués par un tampon ou du coton cardé à l’aide d’une pince. Une protection individuelle (couche) est mise, adaptée à la taille de la personne, pour éviter les fuites.Lors de retournements du corps, il existe un risque de chute

dû principalement à l’inertie du cadavre.• L’habillage, selon les souhaits de la personne ou de ses proches,

est réalisé avec les vêtements personnels, souvent une chemise de nuit ou un pyjama. L’habitude de l’habillage en costume de ville s’est perdue de nos jours.

• Un soin particulier est porté au visage puisque ce sera la seule partie visible pour la famille une fois le corps enveloppé dans le drap mortuaire :

– soins des yeux délicats (mettre une gaze ou coton mouillé s’ils ne ferment pas ou collant genre micropore) ;

– capiluve si nécessaire. Remettre la perruque le cas échéant. Les cheveux ou le postiche sont peignés ou brossés ;

– prothèses dentaires en place pour conserver la forme des joues ;

– Boudin sous le menton pour fermer la bouche (sans pincer les lèvres).

Lorsque le boudin ne tient pas, on peut mettre une bande autour du menton et du crâne sans serrer trop fort (marque la peau).

– Les hommes ne sont en principe pas rasés car la barbe pousse encore plusieurs heures après la mort et le rasoir laisse des traces sur la peau.

– Le corps muni de son étiquette ou bracelet d’identité est placé dans le drap mortuaire fermé aux pieds et ouvert à la tête. Les mains sont placées soit sur la poitrine soit le long du corps, selon le souhait de la famille qu’il convient de solliciter. Les symboles religieux ou des fleurs pourront être placés sur le corps comme drap de dessus.

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Avant l’entrée de la famille, il faut veiller à ce que la chambre du défunt soit rangée sans dénaturer le lieu dans lequel il a séjourné.

Complications et risques• La fuite des liquides du corps est le risque le plus fréquent

avec des dispositifs médicaux laissés en place par mégarde.C’est un risque infectieux et traumatique pour le personnel

chargé de la manutention des corps.• L’autre risque déjà mentionné est la chute du corps décédé lors

des manœuvres de la toilette et de l’habillage le cas échéant.

ÉvaluationDe la procédure de soinLa toilette mortuaire est un soin de base, mais ce qui n’est

pas banal : c’est le dernier hommage rendu au corps décédé en dehors du rituel religieux le cas échéant. Le soin doit respecter les souhaits du défunt et de sa famille. A cet égard, les gestes de la famille envers leur défunt sont à respecter voire à encourager si la famille y consent.

Du résultat ou des objectifs à atteindreLe résultat est atteint si l’on a respecté d’une part les souhaits

du défunt et de sa famille et si d’autre part, l’aspect du corps décédé est au plus proche du naturel. La famille est invitée, si elle le souhaite, à rester auprès du défunt avant la mise en chambre mortuaire.

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ANNEXE VII

QUESTIONNAIRE

Fonction :Spécialité du service :Age :Exercice depuis :

�.– Qu’évoque pour vous le mot deuil ?2.– Le deuil : cela vous remémore-t-il des souvenirs personnels ? (exemple)3.– Vous sentez-vous à l’aise lors d’un deuil dans le service ? Pourquoi

�.– Comment définissez-vous les proches d’un patient ? Comment les situez-vous par rapport au patient ?5.– Les proches sont-ils pour vous une gêne ou des partenaires du soin ? Précisez.6.– L’accompagnement des proches fait-il partie de votre rôle soignant ?

7.– Contribuez-vous à la présence des proches lorsque vous pressentez la mort du patient imminente ?8.– La présence des proches lors du dernier souffle a-t-elle une incidence d’après-vous dans le processus du deuil ? Pourquoi ?�.– L’annonce du décès fait-il partie de votre rôle directement ou indirectement ? Comment le vivez-vous ?

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10.– En quoi consiste pour vous l’accompagnement des proches dans le deuil ?rôle propre :rôle en équipe :

��.– Quelle attitude ou mécanisme de défense adoptez-vous le plus souvent ? Pourquoi ?

12.– Quels sont les intervenants qui peuvent vous aider dans cette démarche d’accompagnement des proches dans le deuil ?

��.– La toilette mortuaire est-elle pour vous un soin qui mérite une attention singulière ? Pourquoi ?1�.– Vous sentez-vous à l’aise pour réaliser ce soin ? Pourquoi ?15.– Pensez-vous que ce temps des proches auprès du corps défunt est important pour le deuil ? Pourquoi ?16.– Vous arrive-t-il d’accompagner les proches dans la chambre du défunt ?17.– Comment pouvez-vous aider les proches dans le deuil à ce moment ?

�8.– La connaissance de la culture ou de la religion du patient vous aide-t-elle pour accompagner les proches dans le deuil ? Pourquoi ?

��.– Quelle fonction a pour vous la chambre mortuaire pour les proches dans le deuil ?20.– Quel est votre lien direct ou indirect avec la chambre mortuaire ?

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�8�

21.– Si vous voyez les proches arriver dans le service quelques jours après l’enterrement ou l’incinération quel est votre rôle ? votre attitude/ressenti ?22.– Pensez-vous qu’il puisse être important pour les proches d’être soutenus après le décès ? Qui peut les aider ? Que leur proposez-vous ?

23.– Lorsqu’un patient décède dans le service avez-vous le sentiment d’être aussi dans le deuil ?2�.– Ressentez-vous aussi le besoin d’être accompagné dans votre deuil ? Comment ?

25.– Qu’est-ce pour vous un deuil pathologique ? Pensez-vous qu’ils sont fréquents ? (exemple)26.– Pensez-vous que les soignants peuvent contribuer par un bon accompagnement des proches à éviter un deuil pathologique ?

27.– Avez-vous eu une formation sur le deuil ? Précisez.28.– Estimez-vous que la formation sur le deuil fournie dans le cadre de la formation initiale soit suffisante ?

29.– Pensez-vous que dans notre société, ou autour de vous, les personnes dans le deuil, se sentent seules ou écoutées et soutenues ? Pourquoi ?

30.– Pouvez-vous décrire une situation d’accompagnement des proches dans le deuil qui vous a interpellée, ou qui est ou a été difficile pour vous ou pourl’équipe ?

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TABLE DES MATIèRES

INTRODUCTIONDéfinitions : mort, deuil, proche/Démarche personnelle ...................................�Problématique/Enjeux/Hypothèse ........................................................................... ��

I – Cadre conceptuel .................................................................................................... 17Récit « le soin de l’endeuillé : leçon d’une proche »

1.1 Le moi/le prochain/l’Autre ........................................................................ 261.2 La vie/la mort .................................................................................................. ��1.3 Le deuil/le processus de deuil .................................................................... ��

II – Approche sociologique ....................................................................................... 55Récit « le soin de l’endeuillé/une proche accompagnée »

2.1 La mort à l’hôpital/une proie à la technique ? ....................................... 622.2 Le deuil escamoté/solitude des endeuillés ............................................ 6�2.3 Les deuils pathologiques- des proches, des soignants/symptômes à démasquer ...................................................................................... 67

III – Approche soignante ............................................................................................ 73Récit « le soin de l’endeuillé : quand les soignants se font proches »

3.1 Les soignants et la mort/apport des soins palliatifs ............................ 803.2 Les soignants/les proches dans le deuil : l’accompagnementles attitudes soignants/la proximologie ..........................................................8��.� L’accompagnement des proches dans le deuil :une éthique en chemin ............................................................................................90

IV – L’éthique en pratique ......................................................................................... 95Récit « le soin de l’endeuillé : les lancinantes questions de la vie »

�.1 Formations personnelles : St. Christopher’s hospice/colloque : la mort à l’hôpital/colloque : la chambre mortuaire lieud’hospitalité .......................................................................................................... 103�.2 Apport d’expériences complémentaires autres d’accompagne-ment de proches dans le deuil ......................................................................... 112�.� Travail de recherche et mise en pratique en milieu hospitalier,en gériatrie ..............................................................................................................127

CONCLUSION ...........................................................................................................155

ANNEXES ....................................................................................................................163

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imprimé en France978-2-35 216-703-7

dépôt légal : 4e trimestre 2010