Torseurs sous une variété abélienne sur R (( t ))

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manuscripta math. 105, 311 – 321 (2001) © Springer-Verlag 2001 Antoine Ducros Torseurs sous une variété abélienne sur R((t)) Received: 23 October 2000 Abstract Let V be an henselian discrete valuation ring with real closed residue field and let k be its quotient ring; we denote by k + and k the two real closures of k. Consider a k-abelian variety A. We compute the Galois-cohomology group H 1 (k, A) in terms of the reduction of the dual variety of A and of the semi-algebraic topology of A(k + ) and A(k ). The tools we need are Ogg’s results concerning valuation rings with algebraically closed residue field, Hochschild–Serre spectral sequence and Scheiderer’s local-global principles. At the end we study more precisely the case of an elliptic curve. Introduction Soit k le corps des fractions d’un anneau de valuation discrète hensélien à corps résiduel réel clos. Le corps k est formellement réel et possède exactement deux ordres (déterminés par le choix du signe d’une uniformisante) ; on notera k + et k les clôtures réelles correspondantes. Soit A une k-variété abélienne. Le but de cet article est de déterminer le groupe de cohomologie galoisienne H 1 (k, A) (qui clas- sifie les k-torseurs sous A) en fonction de la composante neutre de la fibre spéciale du modèle de Néron de la variété duale de A et de la topologie (semi-algébrique) des ensembles A(k + ) et A(k ). On utilise de manière essentielle les résultats de Ogg ([5]) établis dans le cas d’un corps résiduel algébriquement clos, dont la suite spect- rale de Hochschild–Serre permet de déduire une description complète de la torsion impaire de H 1 (k, A) et certains renseignements sur sa composante 2-primaire. On achève le calcul de cette dernière à l’aide d’un principe local-global (relatif à la fa- mille des clôtures réelles de k) dû à Scheiderer ([6, Th. 12.13, p. 151] ou [7, Th. 3.1, p. 327]). On arrive ainsi au résultat suivant (proposition du paragraphe 2.4) : Proposition. Soit V un anneau de valuation discrète hensélien dont le corps rési- duel R est réel clos. Soit k son corps des fractions dont on notera k + et k les deux clôtures réelles. Soit A une k-variété abélienne de dimension g, soit B sa variété duale et B 0 la composante neutre de la fibre spéciale du modèle de Néron de B sur V . Soient r 1 ,r 2 ,r 3 ,s,i et j les entiers tels que B 0 soit une extension d’une R-variété abélienne par un groupe linéaire isomorphe à G r 1 m × R 1 G r 2 m × RG r 3 m × G s a A. Ducros: IRMAR, Université de Rennes, Rennes 1, Campus de Beaulieu, 35042 Rennes, France. e-mail: [email protected]

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manuscripta math. 105, 311 – 321 (2001) © Springer-Verlag 2001

Antoine Ducros

Torseurs sous une variété abélienne sur R((t))

Received: 23 October 2000

Abstract Let V be an henselian discrete valuation ring with real closed residue field andlet k be its quotient ring; we denote byk+ andk− the two real closures ofk. Consider ak-abelian varietyA. We compute the Galois-cohomology groupH1(k, A) in terms of thereduction of the dual variety ofA and of the semi-algebraic topology ofA(k+) andA(k−).The tools we need are Ogg’s results concerning valuation rings with algebraically closedresidue field, Hochschild–Serre spectral sequence and Scheiderer’s local-global principles.At the end we study more precisely the case of an elliptic curve.

Introduction

Soitk le corps des fractions d’un anneau de valuation discrète hensélien à corpsrésiduel réel clos. Le corpsk est formellement réel et possède exactement deuxordres (déterminés par le choix du signe d’une uniformisante) ; on noterak+ etk−les clôtures réelles correspondantes. SoitA unek-variété abélienne. Le but de cetarticle est de déterminer le groupe de cohomologie galoisienneH 1(k, A) (qui clas-sifie lesk-torseurs sousA) en fonction de la composante neutre de la fibre spécialedu modèle de Néron de la variété duale deA et de la topologie (semi-algébrique) desensemblesA(k+) etA(k−). On utilise de manière essentielle les résultats de Ogg([5]) établis dans le cas d’un corps résiduelalgébriquementclos, dont la suite spect-rale de Hochschild–Serre permet de déduire une description complète de la torsionimpaire deH 1(k, A) et certains renseignements sur sa composante 2-primaire. Onachève le calcul de cette dernière à l’aide d’un principe local-global (relatif à la fa-mille des clôtures réelles dek) dû à Scheiderer ([6, Th. 12.13, p. 151] ou [7, Th. 3.1,p. 327]). On arrive ainsi au résultat suivant (proposition du paragraphe 2.4) :

Proposition. SoitV un anneau de valuation discrète hensélien dont le corps rési-duelR est réel clos. Soitk son corps des fractions dont on noterak+ etk− les deuxclôtures réelles. SoitA unek-variété abélienne de dimensiong, soitB sa variétéduale etB0 la composante neutre de la fibre spéciale du modèle de Néron deB

sur V . Soientr1, r2, r3, s, i et j les entiers tels queB0 soit une extension d’uneR-variété abélienne par un groupe linéaire isomorphe àG

r1m×R1G

r2m×RG

r3m×Gs

a

A. Ducros: IRMAR, Université de Rennes, Rennes 1, Campus de Beaulieu, 35042 Rennes,France. e-mail: [email protected]

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et tels que le groupe des composantes semi-algébriques deA(k+) (resp.A(k−) )soit isomorphe à(Z/2)i (resp.(Z/2)j ). Alors

H 1(k, A) � (Q/Z)g−r1−r3−s ⊕ (Z/2)i+j .

On applique ensuite cette proposition au cas particulier ouA est une courbeelliptique. On obtient un tableau détaillé (à la fin de l’article) donnant la valeur deH 1(k, A) en fonction de la structure de la fibre spéciale du modèle de Néron deA.

J’ai eu, lors de la préparation de cet article, de fructueuses discussions avecJean-Louis Colliot-Thélène et Johannes Huisman ; qu’ils en soient ici remerciés.

1. Rappels et notations

1.1. Généralités

Si k est un corps on appellerak-variété unk-schéma séparé de type fini ; on no-teraGm,k le groupe multiplicatif Speck[t, t−1] etGa,k le groupe additif Speck[t] ;on écrira parfois simplementGm et Ga s’il n’y a pas d’ambiguïté sur le corpsde base. SiX est unek-variété etL une k-algèbre on noteraX(L) l’ensembleHomSpeck(SpecL,X) desL-points deX et XL le L schémaX ×Speck SpecL.Si G est unk-groupe algébrique commutatif etn un entier quelconque on noteraHn(k,G) le n- ième groupe de cohomologie galoisienne associé au Gal(ksep/k)-moduleG(ksep), oùksepest une clôture séparable dek. SiL est une extension dekon emploiera la notationHi(L,G) pourHi(L,GL). SiL est une extension finiedek etX uneL-variété quasi-projective on notera RL/kX (ou parfois simplementRX si le contexte le permet) la restriction à la Weil deX (sur cette notion on pourraconsulter le chapitre 4 de [6]).

Si M est un groupe abélien etn un entier on noteranM le sous-groupe den-torsion deM etM/n le quotientM/nM. Si l est un nombre premier on désignerapar l∞M le sous-groupe de torsionl-primaire deM et parTlM le module deTate lim← lnM. Il est bien sûr profini silnM est fini pour toutn. Sous cette dernière

hypothèse le modulel∞M est isomorphe à(Ql/Zl )(I )⊕N pour un certain ensemble

I et un certain groupe finiN . Le facteur direct(Ql/Zl )(I ) est le sous-groupe divisible

maximal del∞M ; le cardinal deI est appelérang divisiblede l∞M.Supposons donnée une suite exacte 0→ M ′ → M → M ′′ → 0 de groupes

abéliens et un nombre premierl tel queM ′/ln soit trivial etlnM fini pour tout entiern. Dans ce cas la suite 0→ln M ′ →ln M →ln M ′′ → 0 est exacte pour toutn ;soit (xn) un élément de lim← M ′′n . Alors pour toutn l’ensembleEn des antécédents

dexn danslnM est fini et non vide. La limite projective desEn est donc non vide,et on en déduit que la suite

0→ TlM′ → TlM → TlM

′′ → 0

est exacte.

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1.2. Variétés abéliennes sur un corps réel clos

On va simplement rappeler des résultats bien connus dont on peut par exempletrouver une démonstration dans l’appendice de [3]. SoitR un corps réel clos etC une clôture algébrique deR. On noteG le groupe de Galois{1, σ } deC/R.Si M est un groupe abélien, on noteraM(1) le G-module dont il est le groupesous-jacent et sur lequelσ agit en multipliant par(−1) ; on désignera parM[G] leG-moduleM⊗ZG. SoitA uneR- variété abélienne de dimensiong. Il existe alorsun entiera tel que pour tout nombre premierl leG-moduleTlA(C) soit isomorpheàZa

l ⊕Zl (1)a⊕Zl[G]g−a ; si l est impair alorsZl[G] � Zl⊕Zl (1) et donc on peutécrire aussiTlA(C) � Z

gl ⊕Zl (1)g. Le groupe des composantes semi-algébriques

deA(R) et les groupes de cohomologieHq(R,A) pour q supérieur ou égal à 1sont tous isomorphes à(Z/2)a .

1.3. Les résultats de Ogg

Etablis dans [5] ils sont les suivants : soitW un anneau de valuation discrètehensélien dont le corps résiduelC est supposé algébriquement clos de caractéris-tique 0 et soitL son corps des fractions. SoitAuneL-variété abélienne de dimensiong etB sa variété duale. Soitl un nombre premier. Ogg montre tout d’abord que laflècheH 1(L, l∞A) → l∞H 1(L,A) est un isomorphisme, puis que l’applicationbilinéaire

H 1(L, l∞A)× TlB(L)→ lim→ H 1(L,µln) � Ql/Zl

construite par passage à la limite à partir de l’accouplement de Weil induit unedualité parfaite. En conséquence

l∞H1(L,A) � Hom(TlB(L),Ql/Zl ).

Soit B le modèle de Néron deB au-dessus deW ([4], cf. aussi [2]), soitBsa fibre spéciale etB0 la composante neutre de cette dernière. Ogg montre queTlB(L) � TlB

0(C). CommeB0 est unC-groupe algébrique commutatif on peutl’écrire comme extension d’une variété abélienneB0

ab par un groupe linéaireB0lin.

D’après les résultats généraux sur les groupes algébriques linéaires commutatifsle groupeB0

lin est le produit d’un tore par un unipotent ([1, Th. 10.6, p. 137]).Un groupe unipotent commutatif en caractéristique 0 est un produit deGa ([8],VII.2.7), un tore sur un corps algébriquement clos est un produit deGm. Il existedonc deux entiersr et s tels queB0

lin soit isomorphe àGrm ×Gs

a . La dimension deB0ab est alorsg − r − s. La suite exacte

0→ B0lin(C)→ B0(C)→ B0

ab(C)→ 0

en induit une au niveau des modules de Tate (les hypothèses énoncées au 1.1 étantclairement satisfaites). Or

TlB0lin(C) � Tl(Gm(C)

r ×Ga(C)s) � Zr

l

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etTlB0ab(C) � Z

2(g−r−s)l . On en déduit queTlB0(C) � Z

2g−r−2sl puis que

l∞H1(L,A) � (Ql/Zl )

2g−r−2s .

Finalement on a un isomorphisme

H 1(L,A) � (Q/Z)2g−r−2s .

2. Calcul de H 1(k, A)

2.1. Préliminaires

SoitV un anneau de valuation discrète hensélien dont le corps résiduelR est réelclos et soitk son corps des fractions. Il possède exactement deux ordres (déterminéspar le choix du signe d’une uniformisante). On notek+ et k− les clôtures réellescorrespondantes. On noteW l’anneauV [X]/(X2 + 1). Son corps résiduelC estalgébriquement clos ; son corps des fractionsL est une extension de degré 2 dek.On noteG = {1, σ } le groupe de Galois deL surk. SoitA unek-variété abéliennede dimensiong. La suite spectrale de Hochschild–Serre

Hp(G,Hq(L,A))⇒ Hp+q(k, A)

fournit en particulier une suite exacte

(∗) 0→ H 1(G,A(L))→ H 1(k, A)→ H 1(L,A)G→ H 2(G,A(L)).

Soit B la variété duale deA et soitB son modèle de Néron surV . On noteB la fibre spéciale deB et B0 la composante neutre deB. CommeW est uneextension étale deV le modèle de Néron deBL au-dessus deW n’est autre queB ×SpecV SpecW . Les résultats de Ogg rappelés au 1.3 assurent l’existence pourtout nombre premierl d’un isomorphisme

l∞H1(L,A) � Hom(TlB

0(C),Ql/Zl ),

qui commute à l’action deG. La suite exacte de groupes abéliens

0→ TlB0lin(C)→ TlB

0(C)→ TlB0ab(C)→ 0

mentionnée au 1.3 est en fait une suite exacte deG-modules.On emploiera dans ce qui suit les notationsGm,Ga etRGm pourGm,R,Ga,R et

RC/RGm,C . Soit R1Gm le sous-groupe algébrique de RGm noyau de l’applicationnorme ; il peut être défini par l’équation affinex2 + y2 = 1. Le groupeB0

lin est unR-groupe algébrique linéaire commutatif connexe. Il est donc isomorphe au produitd’un tore par un groupe unipotent ([1], Th. 10.6, p. 137). UnR-tore est un produitde copies deGm, de R1Gm, et de RGm ; c’est en effet l’énoncé dual du résultatsuivant : unZ-module libre et de type fini muni d’une action deG est une sommedirecte de copies deZ, deZ(1) et deZ[G]. Un groupe unipotent commutatif encaractéristique 0 est un produit deGa ([8], VII.2.7). Il existe donc quatre entiers

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r1, r2, r3 ets tels queB0lin soitR-isomorphe au produitGr1

m ×R1Gr2m ×RG

r3m ×Gs

a .La dimension de la variété abélienneB0

ab est égale àg − r1− r2− 2r3− s.Soit l un nombre premier. LesG-modules

TlGm(C), TlR1Gm(C) et TlRGm(C)

sont respectivement isomorphes àZl (1),Zl etZl[G] ; quant àTlGa(C) il est trivial.Et il existe d’après les résultats rappelés au paragraphe 1.2 un entiera (qu’on peutpar exemple caractériser comme laZ/2-dimension du groupe des composantessemi-algébriques deB0

ab(R)) tel que

TlB0ab(C) � Za

l ⊕ Zl (1)a ⊕ Zl[G]g−r1−r2−2r3−s−a.

LeG-module l∞H 1(L,A) s’insère donc dans une suite exacte

(∗∗) 0→ (Ql/Zl )a ⊕ (Ql/Zl (1))

a ⊕ (Ql/Zl[G])g−r1−r2−2r3−s−a

→ l∞H1(L,A)→ (Ql/Zl (1))

r1 ⊕ (Ql/Zl )r2 ⊕ (Ql/Zl[G])r3 → 0.

2.2. Le cas oùl est impair

Les groupesH 1(G,A(L)) etH 2(G,A(L)) étant de 2-torsion la suite(∗) donneen particulier un isomorphisme entrel∞H 1(k, A) et l∞H 1(L,A)G. D’autre partla restriction du foncteurM �→ MG à la catégorie des modules de torsion im-paire est exacte. La suite(∗∗) fournit donc immédiatement un isomorphisme entrel∞H 1(L,A)G et (Ql/Zl )

g−r1−r3−s . On a donc

l∞H1(k, A) � (Ql/Zl )

g−r1−r3−s .

2.3. Le cas oùl = 2

Dans ce cas commeH 1(G,A(L)) etH 2(G,A(L)) sont de 2-torsion la suite(∗)montre que2∞H 1(k, A) et 2∞H 1(L,A(L))G ont même rang divisible. D’autrepart (∗∗) permet de calculer ce rang : en effet on en tire une suite exacte longuede cohomologie dont le quatrième terme est leH 1 d’un certainG-module et estdonc de 2-torsion. Le rang divisible de2∞H 1(L,A)G est donc la somme des rangsdivisibles des groupes d’invariants sousG de chacun des deux autres termes de(∗∗) à savoir finalementg − r1− r3− s.

Pour déterminer complètement le groupe2∞H 1(k, E) on va recourir à un castrès particulier d’un principe local-global dû à Scheiderer. De sa démonstration duthéorème 3.1 de [7], et plus précisément du diagramme (12) on déduit en effet lerésultat suivant :

Proposition (Scheiderer). L’application naturelle

H 1(k, A)/2→ H 1(k+, A)⊕H 1(k−, A)

est un isomorphisme.

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316 A. Ducros

Lemme. Le noyau de2∞H 1(k, A)→ H 1(k+, A)⊕H 1(k−, A) est le sous-groupedivisible maximal de2∞H 1(k, A).

Démonstration.CommeH 1(k+, A)⊕H 1(k−, A)est de 2-torsion tout sous-groupedivisible de 2∞H 1(k, A) est inclus dans le noyau. Il reste à montrer la réci-proque. Soitx un élément de Ker

(2∞H 1(k, A)→ H 1(k+, A)⊕H 1(k−, A)

)et r un entier. L’image dex dansH 2(k, 2r+1A) par le cobord évident appar-tient au noyau deH 2(k, 2r+1A) → H 2(k+, 2r+1A) ⊕ H 2(k−, 2r+1A) quiest trivial d’après Scheiderer ([6], Th. 12.13, p. 151). On en déduit quex s’é-crit 2r+1y pour un certain élémenty de 2∞H 1(k, A) ; comme 2y appartient àKer ( 2∞H 1(k, A)→ H 1(k+, A) ⊕ H 1(k−, A)) (puisque le groupe image est de2-torsion) on en déduit que Ker( 2∞H 1(k, A) → H 1(k+, A) ⊕ H 1(k−, A)) est2r -divisible, ce qui achève la démonstration.��

Le rang divisible de2∞H 1(k, A) a déjà été calculé, c’estg−r1−r3−s. D’autrepart désignons pari (resp.j ) la Z/2-dimension du groupe des composantes semi-algébriques deA(k+) (resp.A(k−)). AlorsH 1(k+, A)⊕ H 1(k−, A) � (Z/2)i+jd’après les rappels faits au 1.2. On déduit de tout ce qui précède que

2∞H1(k, A) � (Q2/Z2)

g−r1−r3−s ⊕ (Z/2)i+j .

Remarque.D’après les résultats de Scheiderer évoqués ci- dessus ([7, Th. 3.1 etCor. 3.2],) la flèche naturelle

Hq(k,A)→ Hq(k+, A)⊕Hq(k−, A) � (Z/2)i+j

est un isomorphisme pour tout entierq supérieur ou égal à 2.

2.4. Récapitulation

On a finalement montré la proposition suivante :

Proposition. SoitV un anneau de valuation discrète hensélien dont le corps rési-duelR est réel clos. Soitk son corps des fractions dont on noterak+ etk− les deuxclôtures réelles. SoitA unek-variété abélienne de dimensiong, soitB sa variétéduale etB0 la composante neutre de la fibre spéciale du modèle de Néron deB

sur V . Soientr1, r2, r3, s, i et j les entiers tels queB0 soit une extension d’uneR-variété abélienne par un groupe linéaire isomorphe àG

r1m×R1G

r2m×RG

r3m×Gs

a

et tels que le groupe des composantes semi-algébriques deA(k+) (resp.A(k−) )soit isomorphe à(Z/2)i (resp.(Z/2)j ). Alors

H 1(k, A) � (Q/Z)g−r1−r3−s ⊕ (Z/2)i+j .

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3. Le cas d’une courbe elliptique

On se propose d’appliquer le résultat ci-dessus dans le cas oùA est une courbeelliptique surk pour obtenir une description deH 1(k, A) en fonction de la structurede la fibre spéciale du modèle de Néron deA. On garde les notations introduitesau début du 2.1en supposant de plus queg = 1 ; notons que dans ce casB estisomorphe àA. On va tout d’abord décrire en détail les structures possibles de lafibre spécialeB du modèle de NéronB deB (qui est donc aussi le modèle de NérondeA) ; les résultats que l’on va donner sont bien connus (ils figurent par exemplepour l’essentiel dans [9]). Quatre cas se présentent pour le groupeB0 : il peut êtreisomorphe à une courbe elliptique (cas dit de bonne réduction), àGm (réductionmultiplicative déployée), à R1Gm (réduction multiplicative non déployée) ou àGa

(réduction additive).Dans le cas de bonne réductionB est connexe et donc égal àB0. Dans les autres

cas le quotientF = B/B0 est un groupe algébrique fini non trivial en général.

3.1. Etude du cas multiplicatif

On se place donc dans le cas oùB0 est unR-tore, déployé ou non. Dès lorsB0C est isomorphe àGm,C . On sait alors d’après Néron ([4], Chap. III) queFC

est isomorphe àZ/n pour un certain entiern. Soit X le modèle minimal deBau-dessus deV etX sa fibre spéciale. Le groupeB est le lieu lisse deX. Si n ≥ 3alors (toujours d’après Néron [4] Chap. III)XC est une chaîne formée den droitesprojectives, chacune en rencontrant exactement deux autres, et chaqueC-point deX étant situé sur au plus deux d’entre elles. SoitD la composante irréductible deX contenantB0. AlorsDC est l’une de ces droites projectives, et doncD est uneR-forme deP1 qui possède unR-point (le neutre deB0). En conséquenceD estR-isomorphe àP1. SoientD1 etD2 les deux autres composantes deXC rencontrantDC et soientP1 etP2 les points d’intersection correspondants.

Si σ (l’automorphisme non trivial deC/R) stabiliseD1 etD2 alors de procheen proche il stabilise toutes les composantes deXC ; on est donc dans le cas oùl’action deG surFC est triviale, et doncF � Z/n. D’autre part dans ce cas lespointsP1 etP2 proviennent deD(R), et doncB0 est isomorphe, commeR-variété,à P1 privé de 2R-points. En conséquenceB0(R) n’est pas semi-algébriquementconnexe, ce qui exclut queB0 soit isomorphe à R1Gm, et doncB0 � Gm.

Siσ échangeD1 etD2 alors de proche en proche il permute deux à deux toutesles composantes deXC , à l’exception deDC et éventuellement d’une autre sin estpair. Son action surFC est alors précisément la multiplication par(−1), et doncF � µn (le groupe des racinesn-ièmes de l’unité). Dans ce casσ permuteP1 etP2, et doncB0 estR isomorphe àP1 privé d’un point fermé de corps résiduelC.En conséquenceB0(R) est semi-algébriquement connexe, et doncB0 ne peut êtreisomorphe àGm. On en déduit queB0 � R1Gm.

Il ressort de tout ceci queB est ou bien une extension deZ/n par Gm oubien une extension deµn par R1Gm. Dans le premier casB définit une classe deExt1

R(Z/n,Gm). CommeGm(C)est divisible le groupe Ext1C(Z/n,Gm)est trivial.

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318 A. Ducros

La suite spectrale

Hp(R,ExtqC(Z/n,Gm))⇒ Extp+qR (Z/n,Gm)

montre alors que Ext1R(Z/n,Gm) � H 1(R,HomC(Z/n,Gm)). Comme

HomC(Z/n,Gm) � µn

on en déduit que Ext1R(Z/n,Gm) est trivial sin est impair et isomorphe àZ/2

sinon. Dans ce dernier cas l’extension non triviale deZ/n parGm peut être décriteen termes galoisiens ; surC c’est le produitGm×Z/n avecσ agissant comme suit :σ(z, a) = (ζ aσ (z), a) où ζ est une racine primitiven-ième de l’unité.

Dans le cas non déployéB définit une classe de Ext1R(µn,R1Gm). Un raison-

nement analogue à celui qui précède montre que Ext1(µn,R1Gm) � H 1(R,µn)

et donc là encore que ce groupe est trivial sin est impair et isomorphe àZ/2 sinon.Dans ce dernier cas l’extension non triviale deµn par R1Gm peut être décrite entermes galoisiens ; surC c’est le produitGm × Z/n avecσ agissant comme suit :σ(z, a) = (ζ aσ (z)−1,−a) où ζ est une racine primitiven-ième de l’unité.

3.2. Etude du cas additif

On se place maintenant dans le cas oùB0 est isomorphe àGa . Dans ce casFC

peut être d’après Néron ([4], Chap. III) trivial ou isomorphe àZ/2,Z/3,Z/4 ou(Z/2)2. On en déduit queF est isomorphe à l’un des groupes suivants ;

Z/2,Z/3, µ3,Z/4, µ4, (Z/2)2 , (Z/2)[G].

Dans tous les cas Ext1C(F,Ga) et HomC(F,Ga) sont triviaux en raison respec-

tivement du caractère divisible et sans torsion deGa(C). On en déduit aussitôt àl’aide de la suite spectrale

Hp(R,ExtqC(F,Ga))⇒ Extp+qR (F,Ga),

que Ext1R(F,Ga) est trivial. En conséquenceB � F ×R Ga .

3.3. Calcul deH 1(k, A) en fonction deB

Soitv la valuation discrète associée à l’anneauV . Considéronsy2 = x3+βx+γune équation de Weierstraß minimale deA (cf. [2], 1.5). Les coefficientsβ etγ sont alors éléments deV . Posons. = 4β3 + 27γ 2. Dans certains des casexaminés ci-dessous on aura besoin d’un calcul explicite des groupesH 1(G,A(L))

etH 2(G,A(L)). Pour cela notons qu’en vertu d’une propriété générale des modèlesde Néron (rappelons que commeA � B la fibre spéciale du modèle de Néron deA est isomorphe àB) l’on dispose d’une suite exacte deG-modules

0→ N → A(L)→ B(C)→ 0

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où N estuniquement divisible. On en déduit queH 1(G,A(L)) � H 1(R, B) etH 2(G,A(L)) � H 2(G, B).

Le cas de la bonne réduction. Dans ce casv(.) = 0 ; le signe de. est le mêmepour les deux ordres dek, c’est aussi celui de son image. dansR. Si ce signe estpositif alorsA(k+), A(k−) etA(R) ont chacun une composante semi-algébrique,et la proposition du 2.4 montre queH 1(k, A) � Q/Z. Si ce signe est négatif, alorsA(k+), A(k−) etA(R) ont chacun deux composantes semi- algébriques, et dans cecas la proposition du 2.4 montre queH 1(k, A) � Q/Z⊕ (Z/2)2.

Le cas de la réduction multiplicative déployée. Dans ce casB est extensionde Z/n (pour un certain entiern) par Gm. La valuation de. est précisémentn.Si n est impair les signes de. dansk+ et k− diffèrent, donc les nombres decomposantes semi-algébriques (chacun étant égal à 1 ou 2) deA(k+) et A(k−)aussi. La proposition du 2.4 montre alors queH 1(k, A) est isomorphe àZ/2.

Si n est pair les nombres de composantes deA(k+) etA(k−) sont les mêmes,ce qui implique, en vertu de la proposition du 2.4, queH 1(k, A) est ou bien trivial,ou bien isomorphe à(Z/2)2. De(∗) on peut extraire la suite exacte

0→ H 1(G,A(L))→ H 1(k, A)→ Z/2.

OrH 1(G,A(L)) est isomorphe comme on l’a vu àH 1(R, B). Ce dernier terme secalcule aisément à l’aide des formules habituelles de la cohomologie des groupescycliques. On trouve qu’il est égal àZ/2 siB est l’extension triviale deZ/n parGm,ce qui implique queH 1(k, A) � (Z/2)2. Dans le cas de l’extension non triviale,on trouve qu’il est nul et doncH 1(k, A) est trivial.

Le cas de la réduction multiplicative non déployée. Dans ce casB est extensiondeµn (pour un certain entiern) par R1Gm. La valuation de. est précisémentn. Si n est impair les signes de. dansk+ et k− diffèrent, donc les nombres decomposantes semi-algébriques (chacun étant égal à 1 ou 2) deA(k+)etA(k−)aussi.La proposition du 2.4 montre alors queH 1(k, A) est isomorphe àQ/Z⊕ Z/2.

Si n est pair les nombres de composantes deA(k+) etA(k−) sont les mêmes,ce qui implique, en vertu de la proposition du 2.4, queH 1(k, A) est isomorphe oubien àQ/Z ou bien àQ/Z⊕ (Z/2)2. De(∗) on peut extraire la suite exacte

0→ H 1(G,A(L))→ H 1(k, A)→ Q/Z.

OrH 1(G,A(L)) est isomorphe comme on l’a vu àH 1(R, B). Ce dernier terme secalcule aisément à l’aide des formules habituelles de la cohomologie des groupescycliques. On trouve qu’il est égal à(Z/2)2 si B est l’extension triviale deµn parR1Gm, ce qui implique queH 1(k, A) � Q/Z⊕ (Z/2)2. Dans le cas de l’extensionnon triviale, on trouve qu’il est isomorphe àZ/2 et doncH 1(k, A) � Q/Z.

Le cas de la réduction additive. C’est le cas oùB est isomorphe au produit deGa par un groupe finiF . Le groupeH 1(L,A) est alors trivial et donc d’après(∗) la flècheH 1(G,A(L)) → H 1(k, A) est un isomorphisme. OrH 1(G,A(L))

est isomorphe comme on l’a vu àH 1(R, B) et finalement àH 1(R,F), le groupeH 1(R,Ga) étant trivial. Il n’y a plus qu’à calculerH 1(R,F) dans les différentscas possibles, ce qui se fait sans problèmes à l’aide des formules de la cohomologiedes groupes cycliques.

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320 A. Ducros

– SiF est trivial, ou bien isomorphe àZ/3,µ3 ou à(Z/2)[G] alorsH 1(R,F) esttrivial et il en va de même deH 1(k, A).

– Si F est isomorphe àZ/2,Z/4 ouµ4 alorsH 1(R,F) est isomorphe àZ/2, etil en va de même deH 1(k, A).

– SiF � (Z/2)2 alorsH 1(R,F) est isomorphe à(Z/2)2 et il en va de même deH 1(k, A).

3.4. Tableau récapitulatif

On va récapituler les résultats obtenus, en décrivant le groupeH 1(k, A) enfonction de la structure de la fibre spécialeB. Pour chacun des cas envisagés on vadonner un exemple explicite, sous forme d’une équation affine, de courbe dont lafibre spéciale du modèle de Néron surR[[t]] a précisément la forme indiquée ; ladétermination de ces exemples se fonde sur les résultats de Néron ([4], Chap. III ;cf. les remarques de [2], 1.5.)

Tableau 1.

Fibre spéciale H1(k, A) Exemple

Courbe elliptique à une composanteréelle

Q/Z y2 = (x2 + 1)(x − t)

Courbe elliptique à deux compo-santes réelles

Q/Z⊕ (Z/2)2 y2 = (x2 − 1)(x − t)

Gm × Z/n, n = 2r + 1 Z/2 y2 = (x2 − t2r+1)(x + 1)

Gm × Z/n, n = 2r (Z/2)2 y2 = (x2 − t2r )(x + 1)

Extension non triviale deZ/n parGm, n = 2r

0 y2 = (x2 + t2r )(x + 1)

R1Gm × µn, n = 2r + 1 Q/Z⊕ Z/2 y2 = (x2 − t2r+1)(x − 1)

R1Gm × µn, n = 2r Q/Z⊕ (Z/2)2 y2 = (x2 − t2r )(x − 1)

Extension non triviale deµn par R1Gm, n = 2r

Q/Z y2 = (x2 + t2r )(x − 1)

Ga 0 y2 = x3+ t

Ga × Z/3 0 y2 = x3+ t2

Ga × µ3 0 y2 = x3− t2

Ga × (Z/2)[G] 0 y2 = x(x2 + t2)

Ga × Z/2 Z/2 y2 = x(x2 + t)

Ga × Z/4 Z/2 y2 = x3−3t2x+2t3+ t4Ga × µ4 Z/2 y2 = x3−3t2x+2t3+ t6Ga × (Z/2)2 (Z/2)2 y2 = x(x2 − t2)

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Torseurs sous une variété abélienne surR((t)) 321

Bibliographie

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[4] Néron, A.: Modèles minimaux des variétés abéliennes sur les corps locaux et globaux.Inst. Hautes Études Sci. Publ. Math.21, (1964)

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