The Birds (Hitchcock, 1963) & Sleuth (Mankiewicz, 1972)

28
UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES Faculté de Philosophie et Lettres « The Birds » et « Sleuth » : Allers-retours entre Alfred Hitchcock et Joseph L. Mankiewicz Thomas VAN DEURSEN Travail présenté dans le cadre du cours : Matricule : 336808 Esthétique et Philosophie du Cinéma

description

Comparaison entre "The Birds" d'Alfred Hitchcock (1963) et "Sleuth" de Joseph L. Mankiewicz (1972).

Transcript of The Birds (Hitchcock, 1963) & Sleuth (Mankiewicz, 1972)

UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLESFacult de Philosophie et Lettres

The Birds et Sleuth:Allers-retours entre Alfred Hitchcock et Joseph L. MankiewiczThomas VAN DEURSEN Travail prsent dans le cadre du cours:

Matricule: 336808 Esthtique et Philosophie du Cinmadonn par Mme Dominique NASTAANNEE ACADEMIQUE 2013-2014 I) IntroductionA premire vue, rien ne laisse prsager qu'une comparaison entre The Birds, le classique de l'pouvante ralis par Alfred Hitchcock en 1963; et Sleuth, le dernier film du multioscaris Joseph L. Mankiewicz sorti en 1972, soit pertinente d'un point de vue acadmique. Outre une petite dcennie d'cart entre les deux productions, beaucoup d'lments les opposent. D'un ct nous avons une grosse machine hollywoodienne avec un grand nombre d'acteurs et d'effets spciaux, de l'autre un huis-clos qui fait la part belle aux longs dialogues soutenus ports par un duo de stars anglaises (Laurence Olivier et Michael Caine) sans personne d'autre l'cran. Plus fondamentalement, les histoires racontes ne jouissent, a priori, d'aucune corrlation formelle. Dans The Birds, Mlanie Daniels (Tippi Hedren) rencontre Mitch Brenner (Rod Taylor) San Fransisco; elle dcide d'offrir un couple d'insparables la petite sur de Micth pour son anniversaire comme une tentative de sduction, leur romance est interrompue par une srie d'attaques inexpliques de plus en plus violentes commises par des oiseaux sur la petite communaut de Bodega Bay. Sleuth, quant lui, dpeint le rapport conflictuel animant Milo Tindle (Michael Caine), un jeune coiffeur sduisant, et Andrew Wyke (Laurence Olivier), un riche auteur de polars dont la femme, Marguerite, file le parfait amour avec Tindle; les deux hommes s'affrontent coup de supercheries complexes, essayant de tromper l'adversaire pour lui prouver qui est le suprieur de l'autre. Malgr cette distance de sujet et de genre, les deux uvres sont nourries de procds cinmatographiques similaires et les conceptions stylistiques de deux ralisateurs se recoupent jusqu' joindre leurs thmatiques respectives sous une entit conceptuelle commune. Nous allons tudier ces similitudes trs varies avec l'objectif d'en dresser un portrait plus gnral qui correspond une vision particulire du 7e art. II) L'analysePARTIE A: Entre la ralisation classique et l'originalit de l'auteur1) Le rcit ferm et la fonction rfrentielle

La structure des deux films, malgr des caractristiques varies, entre dans le champ classique de la narration efficace et transparente instaure dans le cinma dit hollywoodien. L'organisation du rcit de telle manire ce que le message et l'action soient parfaitement intgrs par le spectateur dpend du ralisateur qui se pose en vritable conteur omniscient sans la moindre dlgation et selon les codes du genre dans lequel s'inscrit le film. Avec The Birds, Hitchcock doit matriser son corpus afin de crer un sentiment progressif d'angoisse et finalement d'horreur l'aide de mthodes qu'il connait trs bien (sa filmographie en tmoigne). Prdominent, donc, une srie de techniques d'agression et une gestion temporelle millimtre. Sleuth est plus difficile classifier dans un genre prcis, flottant du suspens au mystre en passant par la comdie de murs. On verra des procds communs mais la fonction rfrentielle trouve un canal d'expression diffrent chez Mankiewicz: le retardement de l'information et la dispersion d'indices ludiques travers le rcit. Dans les deux cas, le ralisateur est le seul dtenir le savoir filmique pour que chaque effet fonctionne dans la continuit digtique. Cognition et sentiments sont gnrs par l'emprise de l'auteur sur le film. Cela se manifeste de la mme manire chez l'un comme chez l'autre et ce, caractristiquement, ds la premire scne. On peut mme arguer que les gnriques d'ouverture jouent, dj, un rle d'exposition et de mise en forme esthtique. Dans The Birds, l'omniprsence brutale des oiseaux qui corchent les noms sur fond blanc; dans Sleuth, un montage de plusieurs maquettes affichant des petites scnes nigmatiques encadres par un dcor thtral. Ensuite, chaque film offre au spectateur une scne programmatique o les lments principaux de l'histoire venir sont synthtiss en quelques minutes. Hitchcock densifie le plan avec la donne aviaire et souligne l'incident dclencheur (la rencontre Mlanie/Mitch et le cadeau dpos la cabane de ce dernier); Mankiewicz, lui, plonge ses protagonistes dans un labyrinthe (qu'il filme d'ailleurs de haut en forte plonge). On peut dj se rendre compte que ces deux ralisateurs appartiennent une mme cole cinmatographique, une gnration pour laquelle c'est la transparence du rcit qui prime. Un dtail cocasse rsume bien ce paralllisme: en effet, constatons simplement que l'un et l'autre ont eu besoin d'une trs longue priode de prparation via, par exemple, des story-boards extrmement dtaills (Hitchcock tait coutumier du fait), des dcisions de casting ou simplement, pour Mankiewicz, le besoin d'occuper le dcor pendant des heures avant mme le dbut du tournage.

2) Elments de stylistiqueLe style est la consquence directe de la rfrentialit dcrite plus haut. Il serait videmment impossible de faire contenir toutes les subtilits syntaxiques de Sleuth et de The Birds dans le confinement thorique de ces quelques pages.Nous allons nous focaliser sur quelques lments illustratifs avant d'en tudier les rpercutions grce deux extraits qui se font cho dans leurs constructions respectives.

Premirement, chaque ralisateur a une conscience quasi picturale de l'articulation visuelle, ce sont des imagiers qui parviennent concentrer une grande quantit d'informations l'intrieur de plans composs avec un soucis d'esthtisme probant, un double travail qui requiert la maestria voque plus tt.

Deuximement, de part et d'autre, on dnote une utilisation spcifique du mouvement en gnral et du traveling en particulier, le mouvement intraplanique est aussi dterminant dans la structure des deux films et pour des vises similaires de tension.

Troisimement, et cela dcoule du point prcdent, l'organisation spatiale et l'emploi des dcors occupent une part importante de la narration dans chacun des films, par essence pour Sleuth (l'espace confin d'un huis-clos demande une attention particulire), par choix cohrent avec la stratgie d'angoisse pour The Birds; qui plus est, leurs approches sont voisines puisquelles reposent sur la dichotomie naturalisme et artificialit dlibre.

Quatrimement, le montage et l'utilisation du cadre se coordonnent pour donner du souffle la digse et se concentrent sur l'emploi de la dualit (des points plus approfondis concernant cet aspect sont venir).

Cinquimement, la mise en abme et l'auto-rflexivit non systmique; Hitchcock et Mankiewicz aiment tous les deux jouer se mettre brivement en scne, par sa prsence l'cran pour le premier (sa camo se situe dans la premire scne devant la boutique animalire) et via de petites astuces auto-citationnelles dissmines dans tout le film (des faux noms d'acteurs composs partir de personnages de ses films au gnrique ou bien des photos) pour le second; de plus, les deux utilisent en abondance le surcadrage (portes, fentres) ainsi que les miroirs (avec une pertinence supplmentaire dans Sleuth) comme codes d'apparence et de reprsentation.

Et, enfin, siximement, en bons ralisateurs classiques tourns vers l'efficacit, les deux hommes ajoutent des paramtres objectuels signifiants pour consolider le message visuel grce des accessoires emblmatiques: comme les jumelles ou les lunettes dans The Birds pour l'accompagnement de la logique du regard (pulsion scopique ou voyeurisme) et de l'agression des yeux; ou comme le masque de clown dans Sleuth, symbole bivalve du jeu d'identit et du rire tragique.

Ces diffrents points se conjuguent en permanence au sein de chaque film mais il est encore plus frappant de s'attarder sur leur application dans un couple de scnes o les actions sont incroyablement similaires. Pour plus de clart, on va procder deux analyses distinctes.En premier lieu, dans The Birds, analysons la courte squence reprenant l'arrive de Mlanie Daniels la maison de Mitch Brenner quand elle va y dposer les insparables. Tout d'abord, les plans de cet extrait sont mthodiquement travaills non seulement dans l'organisation visuelle gnrale de placement de la camra et du personnage dans le cadre (au centre) mais aussi dans l'utilisation des couleurs o prvaut une juxtaposition de gris et de marrons ternes avec des pastels de bleu (le ciel), de vert (la flore) et de rouge (la grange); teintes rutilisies pour plusieurs lments l'intrieur de la maison auxquels s'ajoute le jaune de la cage aux oiseaux situe au centre de l'cran et qui fonctionne comme un appt pour le regard (l'objectif de Mlanie n'est-il pas le mme?); l'utilisation des couleurs primaires n'est pas un hasard non plus puisquelles sont dterminantes dans la vision humaine et cruciales pour la production des images, le rendu final est donc d'autant plus interpellant pour l'oeil du spectateur. Ensuite, Hitchcock passe subtilement du plan fixe au mouvement de camra qui suit le personnage en alternance avec une rapide occularisation interne, de courts POV shots en mouvement qui reprennent la vision subjective de Mlanie toujours subordonne celle du cinaste car ces plans ne sont pas entirement dlgus au regard de l'hrone cause de changements d'ancrage trs brusques; ajoutons encore que, comme signal plus haut, des travelings sont employs ici pour suivre Mlanie dans ses diffrentes actions. Les dcors, eux, animent la scne puisqu'on les dcouvre en mme temps que la protagoniste et, de plus, ils servent une mise en abme par surcadrage: on voit plusieurs portes (parfois deux dans un mme plan en profondeur) et des fentres qui coupent l'image. Dans toute cette construction, le montage joue, bien sr, un rle dterminant non seulement pour l'occularisation ou dans la gestion du rythme mais aussi comme principe de rvlation progressive, installant une vraie tension dans ce qui pourrat tre une squence compltement anecdotique. Prcisons encore que les diverses chelles de plans participent au dynamisme du montage: on nous prsente Mlanie et les lieux sous toutes les coutures. Enfin, il faut souligner l'ominiprsence de la donne aviaire avec la cage, objet signifiant qui opre une double mtaphore: l'offre et le rituel de sduction d'une part, la matrise vaine de la nature d'autre part. En second lieu, nous pouvons rpter l'analyse avec l'arrive de l'inspecteur Doppler (Milo Tindle dguis et maquill) dans Sleuth la moiti du film. Certes, contrairement The Birds, il s'agit d'une scne de nuit et l'homme ne sort pas d'un bateau mais les procdures de ralisation se rpondent. En plus du visuel baroque qui domine toute l'ambiance de l'oeuvre, on trouve dans le montage altern l'lment crucial rgissant toute la scne. Mankiewicz cre la tension par le savoir qu'il retarde pour le spectateur: en effet, il passe de Andrew Wyke qui se prpare une assiette de caviar Doppler qui fait le tour de la maison et dont on ne voit que les pieds, l'ombre ou les mains. Les choix de cadre sont, sans doute, encore plus lmentaires ici par rapport au Hitchcock. Le dcor agit comme un reflet de cette dualit intrieur/extrieur ou lumire/obscurit qui participe la cration du suspens et du mystre. Comme pour l'extrait prcdent, le passage du plan fixe au mouvement de camra accompagne le parcours des personnages avec une majorit de travelings et se nourrit galement d'une courte focalisation interne assez astucieuse: la camra part d'un plan large (magnifiquement compos en double point de fuite) et se resserre progressivement sur le ct pour coller la vision subjective de Doppler. Autre point commun, l'utilisation des portes et des fentres comme lments de narration (on observe par la fentre, on joue au retardement via des fausses conscutions lies aux portes, etc). L'ensemble de ces techniques correspond de plein pied l'esthtique gnrale du film qui mise beaucoup sur les structures d'opposition, les surprises et, plus largement, la logique du jeu qui s'tablit entre les protagonistes mais galement entre le ralisateur et le spectateur. On le voit, des objectifs opposs, les deux cinastes utilisent des procds stylistiques semblables qui soulignent surtout leur matrise commune du medium cinmatographique: les deux scnes sont entirement dpourvues de dialogues mais le rcit est limpide et l'action passionnante malgr son minimalisme.

3) La dualit stase-action

Une fois de plus, nous voici devant une notion commune aux ralisateurs (qui drive de la fonction rfrentielle) mais applique selon deux axes lgrement loigns. La gestion de l'attente, la prparation des effets, et, surtout chez Hitchcock, les silences mettent le spectateur dans une situation d'apprhension. Ces pauses, dans The Birds, crent le suspens et l'pouvante en alternance avec des scnes d'une extrme violence: des plans simples avec peu de mouvements et un calme plat sont suivis de squences explosives o l'cran est envahit d'activit. Dans Sleuth, la dualit stase-action s'articule autour de la pice principale de la maison o se droule la plupart des moments d'attentes et de dialogues implicatifs alors que les actions se passent dans les autres pices de la maison ou dans les escaliers. Qui plus est, chaque cinaste raccourcit les pauses au fur et mesure que l'histoire progresse (2 fois dans Sleuth cause de la structure en actes): le rythme s'acclre et, plus particulirement chez Mankiewicz, les rvlations choquantes se succdent sans interruption dans les derniers instants du film pour une dstabilisation rdoutable. A noter que, dans cette dynamique, la chorgraphie des mouvements intraplaniques et l'acclration du montage jouent un rle dterminant et ncessitent donc le contrle d'un il omniscient (la fonction motive et la fonction connative sont construites par la rfrentialit absolue).4) La dualit microcosme-macrocosmePour ce point d'tude-ci, nous relevons une diffrence fondamentale. La dualit est dans le texte mme du film pour The Birds plusieurs chelles: d'abord comme version micro de la socit humaine mise mal par la nature ensuite par divers mini-vnements l'intrieur du rcit qui figurent l'essence du discours cranique (on pense la comptine des enfants). Dans Sleuth, cette mme dualit est plutt contextuelle, le microcosme du film exprime, dans la sphre prive des relations entre les 2 personnages, une srie d'oppositions macrocosmiques. C'est en les dchiffrant que nous trouvons les sujets profonds que les ralisateurs brossent dans leurs productions et c'est l que les films se situent dans des champs lexicaux, non pas antagonistes, mais orients selon des rflexions diffrentes sur la socit. Alfred Hitchcock pose un discours gnral sur le rapport de l'homme avec la nature et sur la relativit du contrle que l'on peut oprer dessus avec un chatiment divin la clef. Dans le mme temps, il offre une vision satirique des rapports entre les hommes et les femmes ainsi qu'une approche particulire des rgles familiales et socitales de l'Occident des annes 50 et dbut 60. En croisant les deux, on peut aussi arguer qu'il aborde en filigrane la vaine tentative d'encadrer les pulsions, la censure (ou l'auto-censure dans ce cas-ci). De fait, pour illustrer son propos, il construit tout un modle rduit reprsentatif de la collectivit cette poque avec ses rapports plus ou moins caricaturaux, bnficiant du contrat de lecture qui unit un cinaste son public, ce dernier sait qu'il s'agit d'une fiction mais il en accepte les ralits.

La tentative de Joseph L. Mankiewicz est plus modeste dans le sens o il s'vertue explorer des concepts un peu plus circonscrits au sein des rapports humains tout en diversifiant les manires d'y parvenir. La premire limitation, de taille, qu'il s'impose est gographique puisqu'il se contente de la structure sociale anglaise un moment prcis (le temps des mancipations). On assiste bien, en plus d'une confrontation gnrationnelle, une vritable lutte des classes sur plusieurs niveaux: la noblesse sur le dclin face aux nouveaux riches, l'anglais pure souche contre le fils d'immigr, l'intellectuel dandy l'assaut du self made man sans ducation. L'ingniosit du systme vient de ce que le moindre dtail soit port vers l'exploitation de ce conflit permanent: les dialogues soulignent l'cart qui existe entre les deux hommes (par l'emploi de l'argot ou des accents); les rapports de forces fluctuants sont mis en place via l'utilisation du champ / contrechamp avec, chaque fois, une contreplonge sur le personnage qui a l'ascendant; les dplacements sont grs en fonction de l'avantage de Wyke dans la premire partie et de Tindle dans la seconde; l'occupation des espaces montre un changement significatif dans la deuxime moiti du film o Milo envahit les pices les plus intimes d'Andrew (la chambre, la salle de bain); cela s'opre de la mme faon jusque dans les costumes choisis, sur un fond de tango (danse d'opposition sexuellement connote), par chacun des protagonistes, un artistocrate franais pour Laurence Olivier, un clown pour Michael Caine.5) Le mtatexte spectaculaireBien qu'on ait vu, en long et en large, quel point l'efficacit se situe au cur de la dmarche des ralisateurs classiques, on aurait tort de cantonner cette conception limpide du cinma comme dpourvue de spiritualit. La mordernit et la post-modernit ont dcompos les codes de la reprsentation artistique pour finalement laborer un discours que les grands cinastes acadmiques ont su infuser tout aussi subtilement dans leurs uvres. Au dtour de la narration simple et du plaisir recherch pour le public qui dirige la logique de Sleuth et The Birds, on peut percevoir un rseau complexe de thmatiques et, au final, un argumentaire mtaxtuel sur le cinma qui se passe, malgr tout, de cassures. Ds lors, ce n'est pas tant le pourquoi de ces ides qui importe mais leurs comments pratiques. Outre les quelques mthodes cites prcdemment comme l'auto-rflexivit non systmique, le cadre dans le cadre ou le miroir, c'est l'entiret des manires de filmer qui parlent du cinma. La faon de prsenter Mlanie comme une personne qui voit et comme un objet vu dans le mme temps d'un ct; le principe du jeu cinmatographique l'intrieur du jeu purement fictionnel de l'autre. L'exercice est dlicat: Hitchcock et Mankiewicz, par de la matrise technique et en faisant rfrence aux principes archaques du film (construction, manipulation, regard, attraction, temps et espace craniques) mettent une vision de leur art dans le simple fait de crer leurs scnes selon une spcificit propre, ce qu'on peut appeler la patte d'un cinaste. Tous les deux taient en fin de carrire, ils avaient un style personnel abouti dont la fluidit devient, par essence, une idologie plus large. Dans ce systme la dualit se rvle une ncessit esthtique. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'en voquant, dans leurs films, les procds de reprsentation, ces deux hommes sont parvenus mler, sans ruptures, la mtatextualit et le spectaculaire, la rflexion artistique et le divertissement. PARTIE B: Le travail sur la bande sonore 1) La mise en scne des bruitages pertinentsDe nombreuses sources voquent le travail de mixage ralis par Alfred Hitchcock dans The Birds comme une vritable mise en scne part entire, si bien que la bande son pourrait se passer du support image et crer la mme stupeur. Le pari du cinaste consistait travailler sans musique et de s'aider uniquement de bruitages pertinents ou significatifs pour renforcer les structures d'agression labores dans son film. Intelligemment, il avait choisi de ne pas utiliser de vrais cris d'oiseaux mais de synthtiser plusieurs sons diffrents qui, ensembles, voquent la sonorit aviaire: on peut discerner, entre autres, des mitraillettes grce auxquelles il devient plus facile d'augmenter le potentiel incisif et violent du paysage acoustique. L'illustration passe irrmdiablement par les sons. De faon gnrale les lments sonores mcaniques occupent le premier plan de tout le soundtrack du film (les moteurs, le feu, les explosions, les clats de verre, etc). Si on parle de mise en scne c'est, en grande partie, d au caractre accumulatif de ces diffrents bruitages; la comptine des enfants en est, d'ailleurs, un fabuleux exemple. Cette mthode trouve-t-elle une correspondance l'intrieur de l'criture-son accomplie pour Sleuth?

Oui et non. Contrairement l'autre film, une partition musicale trs labore habite le traitement sonore chez Mankiewicz mme si ce dernier parvient doser judicieusement les mlodies pour ne pas qu'elles envahissent les oreilles. En revanche, comme dans The Birds, certains bruitages font l'objet d'une mise en scne parallle la digse visuelle. Citons, par exemple, le bruit des automates qu'abrite la pice principale ou encore les gros plans sonores effectus sur plusieurs lments comme des portes et des pas qui permettent mme d'animer de manire plus subtile le final tourdissant du film o l'on assiste un vritable tourbillon dchan de bruitages. Mais, surtout, un son trs particulier agit comme un lment de scansion l'intrieur du rcit, savoir le rire de l'automate favori d'Andew Wyke, le seul porter un nom: Jolly Jack Tar, the sailor. Ce rire sec et mcanique (pour lequel Laurence Olivier a prt le sien) est utilis, tour de rle, par les personnages pour ridiculiser l'adversaire; c'est celui qui aura mrit le plus grand nombre de gloussements. Il est d'ailleurs intressant de noter quel point ce marin suit et mme ragit littralement au droulement de l'action du regard (comme une incursion spectatorielle dans la fiction; aprs tout, les protagonistes se livrent une srie de reprsentations). On peut rattacher cette tendance plus ou moins commune (et trs pousse chez Hitchcock) au souci plus gnral d'efficacit et de diversification des effets pour ne pas ennuyer le spectateur. Voyons comment ces bruits organiss s'articulent travers chaque production.2) La structure en leitmotifsCe mot dsigne une phrase thmatique rcurrente l'intrieur d'une uvre musicale, ce que Berlioz avait appel une ide fixe. C'est une mthode qui apporte une cohrence mlodique puissante et qui permet, au cinma, de symboliser des absences ou tout simplement d'organiser le rcit. Si elles sont souvent implicatives (donc centres sur la duplication lexicale), les musiques composes pour le mdium peuvent tre, cependant, employes de faon plus intelligente qu'en simples supports des sentiments. Sleuth bnficie d'une partition baroque originale et complexe dont l'analyse intgrale serait fastidieuse. Pourtant, quelques leitmotifs faisant l'objet de variations sont presque indispensables au rcit (rfrentialit oblige) et agissent en combinaison avec un autre son qui participe la musicalit du film: le rire de Jolly Jack Tar the sailor. Si on ralise une tude transversale du soundtrack, on voit se dessiner une structure particulirement intressante.

D'abord, le gnrique d'ouverture agit comme une vraie matrice formelle mlodique la faon d'un prlude wagnrien. Ensuite, outre le travail d'ornementation du clbre compositeur anglais John Addison (nomin aux oscars pour son travail) qui ralisa la bande originale, on note trois motifs essentiels symbolisant chacun une personne: le thme au clavecin pour Andrew Wyke (rapide, lgant, sec et trs enjou), le thme de Milo Tindle (une sorte de petite marche simple et nostalgique entonne la clarinette) et, enfin, le thme rattach Marguerite (des arpges mystrieux jous par les cordes); ceux-l il faut encore ajouter, donc, le rire de l'automate. La musique attribue Marguerite agit comme un personnage part entire puisqu'elle n'est jamais prsente l'cran si ce n'est par vocation (dans les dialogues, via son portrait, son manteau, sa chambre); on est donc face une mtonymie musicale qui permet d'insrer une troisime figure dans l'intrigue sans pour autant la montrer ou utiliser un flashback ou encore une voix off ou over. Les motifs d'Andrew et de Milo sont jous sparment dans le premier acte du film avec une focalisation particulire sur le premier (qui a les choses en mains), cette alternance participe au jeu de ping-pong auquel se livrent les deux hommes; dans le deuxime acte, en revanche, le thme de Tindle prend le dessus en termes d'occurences et de longueur ( noter que la musique attribue l'inspecteur Doppler est aussi joue par une clarinette, anticipant mlodiquement la rvlation qui s'opre aux trois quarts du rcit). Plus fort encore, les deux thmes finissent par se superposer dans la partie finale du soundtrack (les adversaires sont runis dans l'chec).

Enfin le rire, qui apparat 7 reprises exactement, est employ chaque vritable retournement de situation, pour les grandes rvlations (twist aprs twist): celle de l'lment dclencheur (dispersant le flou de la situation initiale), au moment o on se rend compte que Wyke prpare quelque chose, au faux meurtre de Milo (le rire est doubl), aprs que Tindle ait retir son maquillage d'inspecteur Doppler, la dcouverte d'un indice (des cils), et la conclusion du film (o tous les lments sonores se rejoignent dans une cacophonie incroyable). La musique n'est donc pas une simple illustration mais bien un principe de mise en scne qui agit grce aux rptitions mlodiques organises par le compositeur en partenariat avec le ralisateur ominscient (Mankiewicz).

Et si The Birds opre sans musique originale, Hitchcock n'chappe pas la logique du leitmotif. La seule diffrence c'est que les thmes sont des bruitages. Deux champs lexicaux sont retenir au sein du mixage: celui des oiseaux videmment et, aussi trange que cela puisse paratre, celui de la voiture. Ils sont prsents ds le gnrique et la premire squence; on entend par l tous les diffrents aspects qui caractrisent ces sons, par la suite rutiliss en parties distinctes en fonction de l'effet recherch. Chacun de ces thmes faisant l'objet de gros plans sonores pendant le film selon une struture trs semblable l'organisation des thmes Andrew et Milo chez Addison. La donne aviaire et la donne mcanique (moteur et klaxon) se rpondent selon une alternance trs rigoureuse pendant la majeur partie du film avant d'tre progressivement superposs pour indiquer leur rapport de force. Il s'agit d'une mise en opposition du naturel et de l'artificiel, l'homme et sa technologie contre les oiseaux avec, au final, la prdominance de ceux-ci qui envahissent compltement le dcor auditif des derniers plans. L'astuce du systme en leitmotif dans ce cas-ci, c'est de pouvoir crer le sentiment d'pouvante ou d'apprhension par rminiscence grce la rptition des motifs (dans la deuxime moiti du film, le moindre roucoulement provoque la peur). Curieusement, le nombre d'agressions (les sons de mitraillettes y figurent chaque fois) se limite exactement 7 (comme pour le rire) et l'ultime attaque contre Mlanie voit la disparition des cris au profit des bruits uniques des ailes: c'est une vritable excution. Si on runit ces points avec les diffrents motifs visuels christiques prsents au long du rcit, force est de se rappeler que le chiffre 7, dans la Bible est celui, entre autres, des chevaliers de l'Apocalypse. Il est prsent de manire significative l'intrieur de la structure en leitmotifs des deux productions dans lesquelles un personnage est sacrifi, marquant l'influence, et ce n'est pas un hasard, du symbolisme judo-chrtien chez les cinastes occidentaux.3) Chansons et comptines; le jeu citationnel Un dernier lment de comparaison sonore avant de passer au chapitre suivant, l'utilisation de chansons et de comptines qui tmoigne du sens de synthse lgrement ironique animant Hitchcock et Mankiewicz. Dans The Birds, Mlanie joue un extrait des Deux arabesques L. 66 de Claude Debussy, une composition impressionniste figurant les mouvements de la nature (un vol d'oiseau). La comptine Risseldy Rosseldy est une mise en abme ( la faon de M le Maudit), une anticipation de l'action par l'accumulation et la rptition jusqu' l'absurde. Dans Sleuth, ce sont deux chansons de Cole Porter qui prfigurent le droulement de l'action a moiti du film, You do something to me et, surtout, Anything goes dont les paroles sont employes plus tard par Milo Tindle comme indice, une utilisation identique est d'ailleurs faite de la comptine / devinette Two Brothers qui elle fonctionne comme une pause d'auto-rflexivit, faisant cho au film et son sujet. On peut donc voir que les deux ralisateurs travaillent avec les mmes outils sonores selon des vises parallles et ce jusque dans les moindres recoins du traitement acoustique. Terminons avec une courte squence encore plus russie, un coup de gnie dans l'ide de mise en abme. Laiss seul un instant la cave, Milo saisit le masque de clown dans lequel il a vcu son humiliation du premier acte et le dpose sur un squelette en chantonnant le fameux aria vesti la giubba issu de l'opra vriste Il Pagliacci compos par Ruggero Leoncavallo et dans lequel un membre de la comedia dell'arte (un clown), fragilis par sa jalousie et sa tristesse, perd la raison et, confondant la ralit avec la fiction scnique (o l'on se moque allgrement de son personnage), commet un double meurtre en pleine reprsentation. Par cette citation, Mankiewicz opre une triple mise en abme: de l'histoire dans l'histoire, de la reprsentation dans la reprsentation et de la rime anticipative se nourrissant du principe de la srie culturelle.PARTIE C: Les personnages 1) Approche psychanalytique du triangle relationnelDe toutes les grilles analytiques possibles, quand on aborde les liens qui unissent les personnages d'un film, la tendance psychanalytique est la plus souvent exploite, surtout depuis la premire modernit (Bunuel). L'avantage de ces thories (issues principalement de Freud et de Jung) c'est qu'elles ont le mrite de rapprocher les individus dans une recherche d'harmonisation, autrement dit de traiter les personnages en rapport les uns avec les autres. Les interprtations orientes de cette manire ne manquent pas pour The Birds. Au sein du paradigme familial, on assiste un triangle relationnel typiquement oedipien: le fils, la mre et l'intrue qui perturbe cet quilibre. D'aucuns voient dans les attaques sur Mlanie une matrialisation des pulsions destructrices d'une mre surprsente. La relation volue petit petit vers un nouveau triangle o l'homme est sexuellement esseul entre la figure maternelle et Mlanie qui, par le sacrifice de sa beaut, devient une enfant fragile au mme titre que la sur de Mitch. Le rapport de sduction entre celui-ci et la femme fatale blonde n'existe plus dans la conclusion du film. Ce triangle est aussi l'cho macrocosmique voqu plus haut de transgression du dterminisme socital et de la rpression violente des pulsions. La documentation sur Sleuth est moins consquente mais il est possible d'analyser le triangle relationnel de ce film selon un axe psychanalytique trs proche. Ici, les coins du triangle sont occups par Andrew Wyke, sa femme Marguerite et Milo Tindle, le jeune amant (un trio classique ayant fait les grandes heures du mlodrame bourgeois et du vaudeville). Alors quel lien unit ces personnes entre elles? Dans la logique de comptition sexuelle et d'aprs le combat incessant qui occupe toutes les scnes, on doit poser Wyke en figure patriarcale et, ds lors, on retombe sur le complexe d'Oedipe avec la relation incestueuse entre le jeune Tindle et l'icone matriarcale reprsente par Marguerite. Sous cet angle, ce que cherche Milo c'est remplacer Andrew, occuper la position du pre (il est d'ailleurs prcis qu'un rapport amour-haine unit le personnage son papa). Et, de fait, c'est ce qu'il se passe l'cran, non seulement d'aprs la situation paradigmatique de dpart mais aussi dans l'organisation des espaces personnels: Milo envahit les deux chambres (de Marguerite et de Wyke lui-mme), utilise la salle de bain du matre des lieux, se sert boire, actionne les automates l o il tait presque passif au dbut du rcit. Un autre transfert psychanalytique s'effectue entre les deux hommes, savoir la dichotomie victime / bourreau puisqu'ils occupent, tour tour, ces rles l'un pour l'autre. On retrouve ainsi la mme ncessit de sacrifice pour retrouver l'quilibre de la situation initiale: Milo est excut alors qu'il sort de la pice avec, dans les bras, le manteau de fourrure de Marguerite. Encore une fois, le microcosme relationnel schmatise le discours gnral du film, c'est dire la rupture des codes socitaux. 2) L'image de la femmePsychologie part, la place des femmes occupe un point central dans les deux films, vhiculant une image qui est le reflet d'un statut une certaine poque en combinaison avec la vision personnelle du ralisateur. Hitchcock en dresse un portrait o rgne une profonde ambiguit. Mlanie est prsente comme un personnage de tensions opposes, qui oscille entre la conventionnalit des apparences et l'authenticit de l'essence. Cette optique est souligne par l'utilisation du procd Shuftan. Il dcoule de cette dynamique originelle une srie de doubles caractristiques dans l'criture de la protagoniste. D'une part, la femme est vue (littralement vue avec des expositions rptes en avant plan) comme un objet de dsir, une offre superficielle dont l'objectif est simplement de correspondre au fantasme du sexe masculin par le charme, la matrise de la beaut (Mlanie est impeccable en toutes circonstances), le statut social de soumission l'ordre tabli. D'autre part, elle est montre agissant, prenant des dcisions, regardant, elle veut matriser le monde qui l'entoure. C'est donc aussi un personnage d'action qui est capable de se dbrouiller seul (un phnomne assez rare dans la caractrisation des femmes au cinma de la premire moiti du 20e sicle), malgr le processus quasi systmatique du last minute rescue par un homme. Le dyptique voyant / vue et active / passive dtermine l'axe narratif du film. On se retrouve donc face un portrait de femme qui doit mettre mal sa beaut, son physique, sa superficialit pour une mancipation complte ou bien y renoncer pour mieux rentrer dans le moule prtabli, point de tension sur lequel beaucoup d'artistes ont discouru dans les annes 60 et qui anime encore la lutte pour l'galit des sexes un peu partout dans le monde.

Dans Sleuth, comme Hercule Poirot se le fait souvent dire lors de ses enqutes: il faut chercher la femme, comprenez: elle est, d'une manire ou d'une autre, l'origine du crime. C'est probablement vrai chez Mankiewicz et l'absence cranique de Marguerite pourrait rendre la contradiction superflue mais si on dpasse la simplicit apparente du scnario, on peut admirer une magnifique densit et une profondeur surprenante dans le chef de ce personnage fminin dont l'analyse revient tudier les traces de sa prsence: un manteau rouge, un portrait, un miroir et ce qu'elle cause entre les deux hommes. A partir de l, on peut dire que la femme est, l'instar de Mlanie Daniels, prsente comme un objet, une donne priphrique suscitant le plaisir et la colre. Mais le smaphorisme chromatique du manteau rouge (qui a anim beaucoup de fantasmes thoriques) rvle une autre facette de la femme, savoir son omniprsence, elle prend le contrle visuel (et sonore, on l'a vu) de l'espace, elle est au centre de tout en tant l'extrieur des enjeux, au dessus de la mle. La dialectique dedans / dehors montre toute la complexit du rapport qu'Andrew et Milo entretiennent l'un et l'autre avec Marguerite, des sentiments antagonistes rsums par la rplique: I found her. I kept her. She represents me. Once she was in love with me....3) L'tre humain et le chaosDepuis la nuit des temps, l'Homme a labor de nombreuses figures anxiognes qui matrialisent ses peurs et ses angoisses existentielles, des images qui se sont majoritairement focalises sur les phnomnes de disparition, le vide, le rien. Une des visions emphatiques traditionnelles du genre cinmatographique de l'pouvante, c'est la destruction de l'homme par le chaos surpuissant de la nature (des monstres, des cataclysmes, des aliens, etc.). Cette opposition entre l'tre humain et le chaos trouve une reprsentation originale et violente dans The Birds. Dans la progression du film, l'ordre humain et ses structures sont systmatiquement mis mal et se font dconstruire par la masse envahissante des oiseaux: on attaque les voitures, les coles, le port, les stations d'essence, autant d'emblmes de l'organisation en collectivit et de la gestion humaine de l'environnement. Qui plus est, avec l'augmentation de la violence des attaques et du nombre d'oiseaux impliqus, le processus d'annihilation devient un vritable facteur d'angoisse au niveau microcosmique: les personnages sont pigs par le dsordre qui rgne partout autour d'eux (le fameux plan dit du point de vue de Dieu peupl de mouettes est un bon exemple). La disparition de l'Homme est donc au cur mme des structures du film, le dernier quart d'heure voit 4 personnes enfermes dans une maison sans aucun moyen de communication, l'lment communautaire n'existe, pour ainsi dire, plus et ce jusqu' ce que l'tre humain lui-mme soit totalement fagocit par la donne aviaire dans la dernier plan o il ne reste que les animaux et le carnage qu'ils ont caus.

Si le rsultat est moins ostentatoire dans Sleuth, le duo l'cran est face au mme gouffre dans une version plus intellectuelle mais tout aussi glaante, comme le rsume parfaitement cette rplique d'Andrew Wyke dans la troisime moiti du film: We know what it is to play a game you and I. That's so rare. Two people brought together, equally matched, having the courage and the talents to make of life a continuing charade of bright fancies, happy inventions, to face out its emptiness and its terrors by playing, by just playing. Et cet enjeu existentiel prend petit petit le pas sur leurs motivations de dpart quand les deux hommes s'engagent dans leur affrontement si bien que les raisons du conflit n'ont plus d'importance. Andrew et Milo ne parviennent plus se dfaire l'un de l'autre, ils ont besoin du jeu pour le jeu, pour se donner l'impression d'exister. N'oublions pas leur isolation cranique: seuls dans cette maison peuple d'automates (qu'un plan squence au milieu du film dtaille sans la moindre prsence humaine). La donne mcanique est en ralit le pendant des oiseaux dans l'autre film, l'homme se bat pour exister dans l'irrel et l'artificiel qu'il a lui mme cr. Les protagonistes sont pigs par une situation qui leur chappe. La conclusion du film est aussi pessimiste que dans The Birds, il ne reste plus rien de l'homme que ses pleurs angoisss au milieu d'un chaos touffant de bruits, de mouvements sinistres, de lumires et d'humiliation, ce rire mcanique interminable qui crase tout sur son passage. Le jeu tout prix est seul vainqueur.II) ConclusionsNous avons tudi les points communs et les diffrences esthtiques animant deux films cultes et, leur manire, respectivement oss. On a pu observer quel point Hitchcock et Mankiewicz obissent des rgles cinmatographiques trs prcises tout en y insufflant une originalit propre, notamment dans le traitement sonore et, surtout, en monopolisant toutes les techniques disponibles pour remplir le mme objectif: raconter une histoire de faon intressante pour le spectateur. Dans leur poursuite de la transparence o domine la logique de la rfrencialit, les deux cinastes n'en sont pas moins modernes: leurs proccupations socitales correspondaient des actualits conceptuelles pour l'Occident. Une grande varit de sujets sont ainsi traits en filigrane de l'action grce toutes sortes de procds sans jamais la moindre rupture digtique. On sent galement l'influence psychanalytique de la premire modernit dans leur travail sur la richesse des personnages et les enjeux auquels ils sont confronts. Ils parviennent mme, chacun dans son genre, jouer sur la mise en abme et l'auto-rflexivit, fabriquant, par la mme, une bauche thorique de leur vision du cinma, un art qui, selon leur perspective en demi-teinte, se doit d'tre intelligent, d'adresser une rflexion sur le monde, de poser un questionnement sur les hommes et l'existence mais sans jamais prendre le spectateur parti, avec subtilit et discression, dans le respect des rgles classiques, celles des imagiers omniscients. Le quatrime mur doit rester intacte pour mieux toucher le public. En dfinitive, The Birds et Sleuth se montrent les hritiers d'une tradition culturelle par la forme et le contenu: ils poursuivent avec brio cette logique indlbile d'une symbiose entre la pense et le divertissement.IV) BibliographieSources primaires:

HITCHCOCK Alferd, The Birds, Universal Pictures, Etats-Unis, 1936. MANKIEWICZ Joseph L., Sleuth, Morton Gottlieb, Palomar Pictures, 20th Century Fox, Royaume-Unis, 1972. Sources secondaires: AMIEL Vincent, Joseph L. Mankiewicz et son double, PUF, Perspectives critiques, Paris, 2010. BRION Patrick, Joseph L Mankiewicz : Biographie, filmographie illustre, analyse critique, Martinire, Paris, 2005.

GODIER Rose-Marie, L'automate et le cinma : dans La rgle du jeu de Jean Renoir, Le limier de Joseph L Mankiewicz, Pickpocket de Robert Bresson, L'Harmattan, Champs visuels, Paris, 2005. CHION Michel, L'audio-vision : son et image au cinma, Armand Colin, Cinma/Arts Visuels, Paris, 2013.

MCCOMBE John P., Oh, I see: The Birds and the culmination of Hitchcock's Hyper-Romantic Vision, in, Jon Lewis (ed.), Cinema Journal, University of Texas Press, Austin, 2005. NASTA Dominique, Meaning in film: relevant structures in soundtrack and narrative, Peter Lang, Berne, 1991.