Textes ecriture creative 2015
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olivierkahnmendoza -
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Atelier d'criture crative
Textes 2014-2015
Intervenant : Pierrick Bourgault
Auteurs des textes : Mlodie Andrieu, Germain Bonne, Laurne Collinet, Wendy Daglish, Jordan Duchne, Alexia Jehan, Leonardo Lauriot, Grard Millet, Anna Paquier, Gaylor Wafflard-Fernandez
Cet atelier de l'Universit Paris-Sud est ouvert tous : tudiants, personnel et participants extrieurs. Il se droule l'Espace Vie Etudiante (btiment 330), sur le campus d'Orsay.
Objectifs : amliorer son style, librer son imaginaire, sa plume. Prendre plaisir dvelopper sa veine crative. Traquer les faiblesses d'un texte, pratiquer la rcriture. Mieux s'exprimer grce aux sens des mots et leur puissance motionnelle, aider les participants dans les textes quils rdigent durant leurs tudes, leur vie professionnelle. Les projets personnels sont vivement encourags.
Un soir par semaine, les auteurs sont invits une demi-heure d'criture sur un thme (choisir un point de vue insolite, une forme, crer une histoire d'aprs une image, poursuivre une phrase...) puis lire leur texte, qui est comment par le groupe. L'exercice laisse toute libert de genre et de ton. Ce recueil rassemble quelques-uns de ces textes piques, potiques, fantastiques, micro-nouvelles, personnages et univers romanesques... Bref, autant de voix que d'auteurs.
Un dernier mot aux participants : poursuivez l'criture.
Et aux lecteurs : vos commentaires sont bienvenus !
Informations sur l'atelier : [email protected]
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Les auteurs
Ne en 1991, aventurire niveau 2, Mlodie Andrieu est pourvue dun grand sac--dos et dune licence de mathmatiques. En qute de libert, elle aime voyager, stonne dun rien et gribouille des carnets de route quelle ne parvient pas toujours dchiffrer. Le monde est un livre dont je veux lire toutes les pages. [email protected]
Germain Bonne, n en 1948, retrait, ex-informaticien, deux enfants, photographe amateur depuis tout petit. Aprs une vie professionnelle plutt technique, j'cris pour le plaisir et tenter de mettre en mots sentiments, images, impressions des multiples aspects de la vie, dans des crits plutt courts . [email protected]
Laurne Collinet, ne en 1996, tudiante en physique : Si ma plume se libre un peu plus chaque jour, c'est parce qu'elle est en constante qute dinspiration. Il suffit d'une image pour que les mots fassent ravage, dposant motions et rimes qui effleureront vos sensibles oreilles. Restez attentifs chaque pas de loup, chaque lettre a sa raison d'tre. [email protected]
Wendy Daglish, ne en 1994, tudiante en MPI, Montrez plutt que racontez, dcrivez avec tous vos sens. L'criture ouvre un champ d'expression infini, et c'est dans ce sens que je la considre comme ressourcificatrice. [email protected]
Jordan Duchne, n en 1995, tudiant en L2 Informatique. Crer des systmes stellaires, des galaxies, des guerres, des intrigues politiques, des histoires d'amour et de mort du bout de sa plume, c'est enivrant. Se laisser porter par les mots dans un autre univers, et le voir voluer, c'est tout aussi enivrant. [email protected]
Alexia Ghan, ne en 1996, Licence 1 Biologie, j'ai toujours autant aim lire qu'crire, en toute situation. Le pouvoir des mots, c'est de chanter le bonheur comme de pleurer les peines. C'est pourquoi j'ai toujours un cahier porte de main : parce que quoi qu'il m'arrive, je pourrais toujours le mettre en mots et le transmettre, peu importe qui ou pourquoi. [email protected]
Leonardo Lauriot, tudiant en biologie et scribouillard occasionnel, les sances de l'atelier m'offrent l'occasion d'crire avec plaisir. [email protected]
Grard Millet : Je suis en retraite depuis plus de cinq ans. Droit et Sciences Po furent les deux chemins que jai suivis. De grands matres mont form. Jai choisi comme mtier les Ressources Humaines, qui exigent lcoute et le respect. La retraite est pour moi l'opportunit de ne plus pratiquer le langage administratif et de dcouvrir avec plaisir lcriture crative. [email protected]
Anna Paquier, ne en 1990, doctorante en physique, Cherchez, ttonnez, imaginez, inventez. Parce que les expriences, scientifiques comme littraires, permettent de comprendre et de crer des mondes. [email protected]
Gaylor Wafflard-Fernandez, n en 1994, tudiant en magistre 1 de physique fondamentale. Si mon encphale vacille sur la Science, mon me, elle, demeure l'Art. J'aime faire briller les mots sans briser leur mail et dguiser leurs sonorits d'une parure cadence . [email protected]
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Exercice : crire un texte de libre inspiration, partir d'une image que chaque auteur choisit dans, pourquoi pas, le Direct matin du jour. Une publicit d'un voyagiste reprsentant un chien joyeux assis sur une valise a inspir Anna.
Promenade
- On va se promener ?
a commence toujours comme a, toujours les mmes mots, "on va se promener ?".
Ma rponse est toujours et invariablement la mme. Oui, cent fois oui, mille fois oui. Bien sr que
je veux aller me promener. Je sautille sur place, je remue de la queue, je jappe une ou deux fois
mais pas fort, au-dessous de l'aboiement parce que les humains n'aiment pas trop quand j'aboie. Il
faut juste que j'arrive leur transmettre mon excitation. Parce que je suis excit, de la pointe de mes
oreilles au bout de ma queue qui frtille.
Le grand humain aux poils noirs va chercher le collier, la grande humaine aux poils jaunes tiens elle est o la grande humaine aux poils jaunes ? Ah, elle arrive. Elle est avec le petit humain ! Le
petit humain vient avec nous ? Je l'aime bien le petit humain. Il est haut comme moi sur mes pattes
arrire et il sent toujours le sucr. Quand il tait encore plus petit, il criait souvent, alors je criais
aussi et il criait plus fort. Il devait tre frustr de ne pas savoir marcher tout seul.
Le petit humain a eu droit trois tours d'charpe et il est tout boursoufl dans sa doudoune. Nous
sortons tous les quatre, les trois humains et moi, et on part sur le chemin derrire le jardin, dans le
bois. Le petit humain n'avance pas trs vite et je fais des allers-retours d'avant en arrire pour
redcouvrir le sentier que je connais par cur, puis revenir chercher les humains qui tranent. J'aime bien la fort. a craque et a se froisse sous mes pattes, et puis il y a ces peureux d'cureuils.
Le petit humain a enfin lch la main de la grande humaine. Il fait quelques pas saccads et revient
avec les mains pleines de feuilles rouges. Je veux l'aider et je lui en ramne une pleine gueule. Mais
il abandonne les feuilles et se met me caresser maladroitement le dos.
Les grands humains discutent dans leur langage dhumain. Je ne comprends pas lhumain, juste quelques mots, surtout quand a parle de manger.
- Quand je pense quon voulait se dbarrasser du chien quand Tom est n
Un cureuil senfuit et je fais semblant de le poursuivre. Les grands humains sourient, le petit humain rit et moi je ris aussi.
Anna Paquier
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Cet exercice nomm l'trangement consiste dcrire quelque chose d'usuel ou d'ordinaire, la manire d'un enfant ou d'un tranger qui le dcouvre pour la premire fois. Un renouvellement du regard, mais aussi une possibilit crative que Montesquieu utilise dj dans ses Lettres persanes.
Eureux
Youpi, j'en ai trouv un autre ! Et cette fois, personne m'a vu le prendre. Il faut bien le
cacher, sinon ils vont tre jaloux et ils vont me le piquer. C'est vrai que c'est joli comme papier, il y
a une bande qui brille au bord et un joli dessin de chaque ct. Et mme que quand on met de la
lumire derrire, et bah a fait d'autres dessins. Et le truc qui brille, il brille encore plus !
Il est marrant ce papier, il est tout violet, sauf le carr qui est bleu. Et les toiles dedans qui
sont jaunes. Mais sinon, il est violet. Le dessin est violet, les chiffres sont violets et les lettres
violettes aussi. Mais pas la bande, car la bande elle est brillante, elle a pas de couleur.
Je vais le cacher dans ma poche, mais il faut pas que je le fasse tomber en sortant mes mains,
sinon les grands vont le voir et vont le prendre. Je sais pas pourquoi, ils ne le trouvent pas joli et ont
dj du papier tout blanc pour crire. Mais s'ils le voient, ils vont me le piquer et me frapper.
Comme hier.
Moi au moins, je le trouve joli ce papier, il est pas comme ma bosse l o ils m'ont frapp.
Ma bosse, elle est violette aussi mais elle fait mal quand je la touche. Le papier, lui, il fait pas mal.
Et puis c'est marrant, il est pas pareil que le papier crire, il est moins doux, comme s'il y avait
pleins de petits grains de sable dessus. Sauf la bande brillante, elle, elle est trs douce.
Il est trs joli ce papier. Avant les gens faisaient des trucs qui servaient rien, juste parce que
c'tait joli. C'tait trs diffrent avant. Y a mme des vieux qui racontent que quand ils avaient mon
ge, y avait tellement d'eau que les gens s'en servaient pour enlever la terre de la peau. Mais un jour,
ils ont aussi dit que, avant, les animaux taient dans des boites et qu'il n'y avait pas besoin de les
tuer pour les manger. Moi je pense que c'est des btises, les animaux en boite a n'existe pas. Les
vieux racontent n'importe quoi.
Le papier il est trs joli, et il est dans ma poche. Donc je pense que c'est vrai que avant on
fabriquait des trucs que parce qu'ils sont jolis. Mais je ne dois pas le montrer au camp, sinon les
grands vont encore se battre pour l'avoir pour eux tout seuls. Je pense que c'est pour a qu'on en
fabrique plus, pour pas que les gens se battent.
C'est mon papier moi, et mme qu'il a un nom qui est marqu dessus. Heuro , je crois
qu'il s'appelle Heureux , y a un vieux qui m'apprend lire. Il dit que c'est important de savoir
lire, que a sert pas rien comme l'argent. C'est bizarre, les autres ils disent que lire a sert rien,
mais que l'argent sera utile plus tard. Mais personne veut me dire ce qu'est l'argent. Je crois que c'est
un secret de grand.
Leonardo Lauriot
Bton dencre
La premire fois que jen vis un, je crus une magie.
Lobjet tait fin comme une baguette, mais assez court, plus petit quune main. Il y avait une pointe de mtal un bout et lautre tait couronn dune protubrance bleue effile. Entre les deux, un tube transparent, probablement de verre, avec lintrieur un autre tube qui contenait lencre. Mais la quantit de liquide tait si faible quil devait tre impossible d'crire plus de quelques lignes avec cet engin.
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Et pourtant, mon camarade avait rdig toute sa dissertation avec, me disait-il. Il me proposa de
lessayer. La sensation fut incroyable. Sans plume, sans encrier, jcrivis avec facilit pendant plusieurs minutes. La pointe glissait aisment sur le parchemin et lencre semblait intarissable. Linvention extraordinaire scintillait la lueur des chandeliers.
Le tube devint un monde de possibilits cratives, une capacit d'crire qui tiendrait dans une
poche. La pointe mtallique tait une pe magistrale me piquant la pulpe des doigts mais tranchant de simplicit et le petit chapeau bleu se transformait en dlicieux bonbon car, daprs les marques de dents, il tait comestible.
Mon camarade mexpliqua que la gravit permettait lencre de couler avec rgularit sur le papier, sans aucune autre magie. Quand il le reprit pour le ranger, il dcrocha lextrmit bleue et la retourna avec une prodigieuse simplicit pour couvrir la pointe de mtal, qui sans doute pouvait tre
dangereuse. Le bton dencre fut remis sa place, dans sa pochette de tissu et je vis par la fente qu'elle recelait des btons supplmentaires de couleurs varies, certains en bois, dautres entirement en mtal, certains plus fins que celui que javais eu la chance de tenir, dautres plus pais quun doigt.
Anna Paquier
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Cet exercice donne aux auteurs une seule contrainte : choisir une forme d'criture (lettre, mode d'emploi, recette de cuisine...) et raconter une histoire en respectant ses codes, voire en les dtournant.
Lettre sale
Cher/chre inconnu(e),
Oui, vous, je sais tant de choses votre sujet, tant de choses sans que vous en ayez conscience.
Suite la lecture de cette dernire phrase, vous vous demandez soudainement qui donc puis-je tre?
Devinons... vous venez de baisser votre regard, la recherche d'une quelconque trace, signature, de
mon identit ? Vous voyez, je connais chacun de vos gestes. Malheureusement, rien ne fait office
d'information sur ma personne, ai-je raison ? Effectivement, comme vous venez de le constater,
nous sommes bel et bien deux inconnus ; peut-tre nous sommes-nous dj aperus, ou peut-tre
pas, peut-tre suis-je encore en vie, peut-tre non.
Si vous lisez ces quelques mots, vous devez vous situer en bord de mer, voici ce que je suis certain
de connatre votre propos. Probablement vous donnez-vous du mal dchiffrer mes lettres, l'eau
sale a d voler quelques gouttes d'encre ce morceau de papier. Un grand nombre de lettres
flottent la surface de l'ocan qui doit sparer nos deux mondes : posez-vous alors la question
pourquoi vous particulirement, ce jour-ci, cette heure prcise, avez-vous l'occasion de sauver
l'une d'elles des profondeurs. Pourquoi, pourquoi vous ?
Vous souhaitant une agrable route vers une mystrieuse rponse,
Laurne Collinet, inconnue parmi vous
Tableau daffichage
3 juin
Il est rappel aux lves que, conformment larticle 36 du rglement de linternat, les animaux de compagnie sont strictement interdits dans les chambres des internes pour des raisons sanitaires. Les
lves concerns se reconnatront.
12 juin
Il est rappel aux lves que larticle 36 du rglement de linternat stend galement lEcole, ce qui implique que les animaux de compagnie sont interdits dans les chambres mais galement dans
toutes les parties communes accessibles aux lves, dont couloirs, rfectoire et salles dtude. Comme latteste lallergie de M. Michaud due au chaton dans laile nord, la prsence danimaux dans lEcole est une atteinte aux normes sanitaires.
18 juin
Bien que la salle des professeurs ne soit pas une partie commune destine aux lves, lintroduction danimaux de compagnie dans celle-ci constitue une violation de larticle 36 du rglement de lEcole. Sauf rclamation de la part du propritaire, les lapins nains dcouverts le 17 juin dernier dans la salle des professeurs seront livrs la fourrire lundi prochain.
21 juin
Le corps des enseignants remercie le propritaire des lapins pour les avoir retirs de la salle des
professeurs, tout en regrettant que les djections de ceux-ci ne soient pas parties avec eux.
Cependant, les couleuvres du Brsil les ayant remplacs constituent encore une atteinte larticle 36 du rglement. Tout animal, incluant mais ne se limitant pas aux animaux dit de compagnie ,
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sont formellement interdits dans toutes les salles de lEcole et de linternat.
23 juin
Conformment larticle 41 du rglement, laccs au toit de lEcole est formellement interdit et ce, avec ou sans animal. Lensemble de ladministration prie le propritaire de la chvre de venir la chercher au plus tt, celle-ci souffrant manifestement de vertige, perturbant de ses cris les classes
ltage infrieur.
24 juin
Il est annonc aux lves que, suite la dcouverte dune fourmilire dans le tiroir du directeur accompagn de la note La semaine prochaine, ce sera des araignes , larticle 36 est supprim du rglement. Les animaux de compagnie sont donc prsent autoriss dans les chambres des internes.
Flicitations pour votre persvrance.
Anna Paquier
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Cet exercice consistait dbuter un texte par la phrase de Modiano : Je ne suis rien quune silhouette claire, ce soir l, la terrasse dun caf .
Avec ou sans papiers
Je ne suis rien quune silhouette claire, ce soir l, la terrasse dun caf, une petite feuille de papier abandonne, demi chiffonne. Certains disent que jai lair brillante, dautres me trouvent un peu glace.
Moi qui viens dailleurs, je te croise aujourdhui par hasard. Qui suis-je ? Ici, les gens me donnent plusieurs noms. Je suis ltranger, le mtque ou bien le martien, le persan, le huron. Jai pos le pied il y a peu de temps sur ce continent. Mes matres qui menvoient mont dit que jallais dcouvrir ici la socit des Lumires. Ce projet ma sduit.
Cher inconnu venu dailleurs, ton arrive est un peu perturbe, tu nous rencontres Paris dans un quartier mal clair o la circulation est compltement bloque. Au loin, tu entends les bruits dune manifestation. Il faut se dplacer dans la semi obscurit. Seule ma silhouette blanche donne un peu
de clart et sert de repre aux promeneurs gars.
Tu sembles bien fragile pour remplir cette mission de guide qui rassure les passants, lgre comme
tu es, toi qui au moindre coup de vent peux tomber par terre et te faire pitiner sur les pavs
crasseux. Jai du mal penser quun quart de feuille de papier puisse me guider dans une ville o jentends venir un dtachement de la marchausse. tranger, les pouvoirs du papier sont fonction du texte dont il est messager, cest pour moi la faon de te dire que ses pouvoirs sont presque illimits.
Dans la situation de ce soir, sil y avait soudain une lueur de sagesse, je pourrais me transformer en drapeau blanc et obtenir la paix. Dans dautres circonstances, je ressemble plutt hlas, au linceul des morts.
Mes ans ont pris longtemps la forme dune lettre de cachet. Dautres, plus rcemment ont choisi de transmettre, avec leur plume, une plaisanterie. Ce got de pratiquer lhumour par crit a t puni de plusieurs annes de gele en Sibrie.
Comment ne pas rappeler aujourdhui encore le danger quotidien auquel sont exposs ceux qui manient du papier pour faire vivre un journal. Charlie et ses amis lont pay de leur vie, cela se passait au cur de Paris. Sur ce continent, depuis des sicles, le rire est le propre de lhomme , il doit le rester et sexprimer sans risque sur une page de journal.
Douce clart, je vois plir encore ton teint dj tout blanc en voquant ce drame. Sache que do je viens, on respecte lhumain. Je comprends ton chagrin.
Dis-moi maintenant, quel est ton contenu, es-tu une feuille vierge ou pleine de secrets ?
La manifestation approche, les bousculades aussi. Les tables des terrasses sont maintenant
renverses, la feuille de papier, comme la belle Ophlie sest noye. elle flotte sur londe calme et noire dun caniveau de Paris.
Sans elle, je suis un gar. Jai pourtant encore une question importante poser : Pourquoi cette socit qui a pour objectif le zro papier met-elle tant de zle pourchasser les sans -papiers ?
Les gaz lacrymognes font pleurer notre cher tranger, il sort de sa poche un mouchoir en papier.
Grard Millet
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Silhouette
Je ne suis rien. Rien qu'une silhouette claire, ce soir l, la terrasse d'un caf.
Le texte figurait en blanc sur un panneau gris, ct de l'image : une grande photo rectangulaire, de
plus de deux mtres de haut, accroche au centre du mur. Une personne vue de dos assise sur une
chaise, la terrasse d'un caf, le visage tendu vers la rue ; une lampe suspendue, la nappe d'une
lumire blafarde. Des cheveux blonds mi-longs tombant sur un impermable mastic. Serre dans
son vtement, sa carrure large quoique frle lui donnait une petite trentaine. Une bche transparente
venait clore l'espace. Dehors, dans l'obscurit du dbut de soire, des passants se croisaient, cachs
dans leurs manteaux. Le cadrage du buste et l'arrire plan trs parisien voquait le travail de Robert
Doisneau dans les annes 50, une sorte de prliminaire au Baiser de l'htel de Ville. Le noir et blanc
dominait le tirage couleur. Seules quelques touches pastel, dans le flou des mouvements des pitons,
rendaient un hommage discret David Hamilton.
J'tais en avance mon rendez-vous. Le temps maussade me poussa m'abriter ; je rentrai dans une
galerie rue de Seine. L'arrire-boutique, une vaste pice carre, haute de plafond, o bruissait un
ventilateur, abritait quatre photos presque identiques : Essai I IV, une sur chaque mur. Leur grande
taille m'incitait me tenir au centre de l'espace, et tourner sur moi-mme. La scne s'anima : les
passants avanaient lentement, les feux des voitures coloriant les ombres. Le personnage central
restait immobile, fig dans la solitude de l'attente. Je n'ai pas retenu le nom du photographe. Il me
fallut bouger, ne plus m'interroger sur mon ressenti. Dans la pice sur rue, une ancienne boutique
reconvertie, une jeune femme lisait un magazine fminin. Elle ne leva pas la tte quand je la saluai
en sortant, se contentant de marmonner un au revoir atone.
Je rejoignis la rue de l'Ancienne-Comdie, que je descendis jusqu'au boulevard. l'angle, la
terrasse de la brasserie tait envahie par un groupe d'Asiatiques qui photographiaient avec
application le carrefour de l'Odon. Une petite table ronde tait libre au fond, juste l'entre du bar.
Je m'y installai et attendis. J'tais devenu la silhouette de la photo, rien qu'une silhouette sombre.
Germain Bonne
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Et si l'on poursuivait une premire phrase de Boris Vian ?
J'voudrais pas crever
J'voudrais pas crever, avant d'avoir connu
celle que l'on nomme Aurore,
danseuse de nuit, danseuse lumineuse,
valsant avec grce parmi les toiles.
J'voudrais pas crever, avant d'avoir connu
celle que l'on nomme Antarctique,
grande reine calme et paisible,
blouissante de glace et de neige.
J'voudrais pas crever, avant d'avoir connu
celle que l'on nomme Amazonie,
aux cimes si hautes qu'on les devine,
et son Amazone o nagent les dauphins.
J'voudrais pas crever, avant d'avoir connu
celle que l'on nomme Atacama,
qui dans ses formes abrite les dunes,
innombrables et belles, o chante le vent.
J'voudrais pas crever, avant d'avoir connu
ceux que l'on appelle les Quatorze,
titans immenses, dpassant les huit,
l'Everest et ses amis, chatouillant le ciel.
J'voudrais pas crever, avant d'avoir connu
celui que l'on appelle Ocan,
le vrai qui ne voit nul continent,
et berce la mer en respirant.
J'voudrais pas crever, avant d'avoir connu
celle que l'on appelle Terre,
aux mille visages que contemplent les toiles,
scintillantes la nuit, mille fois plus nombreuses.
Leonardo Lauriot
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Le thme de cet atelier : crivez partir du premier texte qui vous tombe sous les yeux. Dans notre salle, ce fut la recommandation affiche : Fermez les portes et les stores .
Lpicerie
Fermez les portes et les stores ! hurlait mon pre aux employs, tandis quil nous avait chops, mon frre et moi, et nous broyait les bras. Clarisse ! Clarisse bon sang ! Emmne-les la
cave... Maintenant !
Je ne comprenais pas. Quelle btise avions-nous encore fait ? Nous jouions seulement aux
kaplas ! Etait-ce parce que javais envoy un morceau de bois dtruire la tour dEmile ? Papa avait interdit quon joue la guerre. Mais l, ce ntait pas vraiment la guerre, pas vrai ? Et puis, il avait le dos tourn.
*
Ce jour-l, lpicerie, tout tait normal. Maman soccupait de la caisse ; elle parlait aux clients dune voix doucereuse, bien diffrente de celle avec laquelle elle nous disputait, le soir. Bonjour Madame Duhamel ! Comment allez-vous ? Bien ? Ah, et votre poux, son arthrose... ?
Papa, lui, enregistrait les livraisons. Il dballait des cartons de toutes tailles, des petits, des
gros, inspectait la marchandise, comptait les botes de conserves, les recomptait encore, soupesait
les pices de viande... Bon sang, ces pauvres diables nous ont encore envoy des ctes de porc de
six jours ! maugrait-il.
Je me souviens du magasin comme dun immense terrain de jeu. Ctait un labyrinthe aux mille couleurs dans lequel on pouvait courir, sattraper ou se cacher. Chaque recoin avait son odeur : ici, les agrumes exhalaient leurs fragrances amres ; l flottait le relent sal de la saucisse sche,
enroule autour dun manche balai, lui-mme suspendu au plafond. Oh, et puis les fromages ! Jadorais aller renifler le brie, le comt, le camembert, surtout celui de brebis. Je plantais mon doigt dans sa pte gluante... Il tait terrible !
Lpicerie tait pour moi un lieu dexploration et de dcouvertes : le kaki tait un fruit orange, rond et lisse, de la taille dune balle de tennis, avec un got de friandises ; les lentilles, de petites perles rouges, jaunes ou vertes, que lon piochait par pellete dans une grosse bote en fer ; le ceylan, un th noir dont le parfum me faisait tourner la tte.
Eh toi, l, bas-les-pattes ! Les tagres sont vieilles et fragiles, tu vas tout casser. Va-ten jouer avec ton frre sur le tapis, lentre. Prenez les kaplas, tiens ! Y parat que a dveloppe limagination, a ! temptait mon pre.
*
On ne se rend pas bien compte quel point lesprit saccroche aux images, mme les plus anodines, comme sil esprait y trouver une raison, un lment dclencheur, un prsage du cataclysme. Il me suffit de fermer les yeux pour entendre distinctement le dring du tiroir-caisse, le
ton mielleux de maman, les grognements de papa. Je revois Madame Duhamel, lchine courbe, enveloppe dans son manteau feutr quadrill de rose et de gris.
Oui, ce jour-l, lpicerie, tout tait normal. Jusqu ce que le ciel se dchire au-dessus de nos ttes. Je nai pas eu le temps de regarder par la fentre : un bruit fracassant rsonnait dans la ville, tandis que le sol se drobait sous nos pieds. Les vitres, les bocaux et les bouteilles de vin
clatrent lunisson. En un clair, nos vies, comme les tagres branlantes de la boutique, avaient bascul.
-
Fermez les portes et les stores ! hurlait mon pre aux employs, tandis quil nous avait attraps, mon frre et moi, et nous tenait fermement par le bras. Clarisse ! Clarisse bon sang !
Emmne-les la cave... Maintenant !
Dans la ville, les sirnes allaient bientt retentir. Cette fois-ci, ctait pour de vrai.
Mlodie Andrieu
Sommeil
Fermez les portes et les stores! dit Aurlien, la tte enfouie dans son oreiller moelleux, la couette
lui remontant jusqu'au menton.
Il ferma les yeux pour chapper la lumire vive de ce dbut d'aprs-midi. En effet, bien qu'il ne
s'tait pas couch tard la veille, Aurlien aimait bien dormir. Ce n'tait pas qu'il tait
particulirement paresseux ou anmique, mais il apprciait la chaleur et la mollesse de son lit, et
plus encore, l'absence de sensations extrieures, une fois la lumire teinte, les stores ferms et le
silence install.
Il pouvait alors donner libre cours son imagination pour dvelopper des histoires bouleversantes
ou, inspir par quelque bribe rsiduelle de sa journe, rflchir sur le monde. Mais au rveil, alors
qu'il essayait de prolonger ses rflexions, son environnement extrieur prenait un malin plaisir l'en
empcher.
La porte grina et il entendit les griffes de son chat cogner rapidement contre le parquet. Un klaxon
retentit. L'attention d'Aurlien se porta alors sur la rue et il dtecta le camion poubelle avec son
moteur essouffl, sa voisine crier aprs son chien Kiki d'une voie stridente et les aboiements de ce
dernier.
Son oreiller ne pouvait entirement camoufler le bruit du trafic, dans la rue. Une odeur de caf
atteint ses narines. Dissipe au dpart, elle dploya petit petit son parfum riche, la fois rond et
pntrant.
Il se rappela la publicit Nescaf, son tourbillon brun parsem de flocons tincelants, qui lui mit
l'eau la bouche. Il se leva.
Wendy Daglish
vasion
Fermez les portes et les stores, murmura le capitaine. Ils sont sur nos talons.
Le jeune Michel, le dernier tre entr, referma vivement la porte derrire lui. Le lieutenant baissa
le store de la porte d'un coup sur la ficelle, mais personne n'eut le temps de s'occuper de la vitrine.
Les bottes commenaient claquer sur les pavs au dehors. Des aboiements et des cris
retentissaient. Il n'y avait plus le temps.
terre, siffla le capitaine. Pas un bruit ou nous sommes tous morts.
Nous nous jetmes par terre le plus silencieusement possible.
Nous avions pris la premire boutique reste ouverte. De l o nous tions, nous ne pouvions rien
voir. Le store de la porte vitre de l'entre nous cachait maintenant la rue et, recroquevills sur le sol
dans l'angle mort de la vitrine, nous ne pouvions nous risquer jeter un il sans tre vus. J'tais du ct le plus dcouvert, juste dans le coin de la vitrine. Je me tassai contre le panneau dans le dsir
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immense de me fondre compltement dans la masse froide du bois. Je n'avais pas eu le temps de
trouver une meilleure cachette, les soldats couraient dj sur le trottoir. Sils passaient la porte, tout tait fini. Notre seule chance tait de rester invisibles et inaudibles.
Je sentais la poussire de la boutique me piquer le nez. Je ne pouvais voir qu'une partie de la salle :
des tagres vides, une chaise renverse et des livres parpills sur le carrelage. Nous tions
envelopps par l'odeur d'une pice qui n'avait pas t are depuis longtemps. La boutique avait
probablement connu une vacuation la va-vite, comme le reste de la ville. Michel vibrait de peur
dans la pnombre. Je voyais trembloter les mches de ses cheveux sur son front. Je serrai les
mchoires et les poings pour ne pas trembler moi-mme.
Les bruits venant de l'extrieur ne svanouissaient pas. Les chiens et les militaires taient toujours l et je crus mme que les bruits s'intensifiaient, sans savoir si cela tait rel ou si mon imagination
me jouait un tour. Nous tions tous tendus dans l'attente, coutant le moindre bruit, guettant les rais
de lumire traversant la vitrine qui nous indiquaient le passage d'une lampe torche. Je sentis soudain
un got mtallique dans ma bouche et me rendis compte que j'avais mordu l'intrieur de ma joue,
jusqu'au sang. Je nosai mme pas dglutir.
Graduellement, le tumulte de l'extrieur reflua, puis finit par se taire tout fait. D'un geste rapide, le
capitaine nous interdit de bouger. Nous restmes immobiles, plus encore qu'auparavant si cela tait
possible, avec l'espoir grandissant de minute en minute que nous allions, peut-tre, nous en tirer
vivants.
Anna Paquier
-
Enfin, des textes totalement libres, sans indication sur le fond ni la forme...
Soignez vos mots
Ce sont des armes
parfois acres
parfois creuses
qui percent les armures
mieux que des lances
et que les sots agitent
en tous sens
avec lgret.
Ce sont des instruments
de prcision
outils indispensables
mais tratres
comme des rapires
que lon utiliserait une table.
Ils peuvent atteindre au cur avec ou sans
volont
avec ou sans
cette dsinvolture
de la parole.
Soignez vos mots
car ils sont immortels
et une fois libres
ne reviennent pas vers vous.
Soignez vos mots
car ils piquent
et coupent
et tranchent dans le vif
longtemps aprs avoir franchi vos lvres.
Soignez vos mots
car ils laissent des cicatrices
invisibles
vestiges de blessures profondes.
Soignez vos mots
car on gurit au moins aussi mal
d'un coup dpe que d'une phrase affte.
Anna Paquier
-
Possde
Paysage de neige et de glace. Lieu recul de toute habitation. Atmosphre des plus tranges. L'hiver
a fait ses valises alors qu'un faible rayon de soleil vient illuminer la scne en pointant le bout de son
nez au bout de l'alle borde de sapins. Au loin, une silhouette. Puis soudain, un cri, une peur, un
intrus, un appropriement de corps. Dsormais au devant, une personne. Une unique personne
refltant deux identits, la fois distinctes comme deux inconnus et semblables telles leur reflet
dans un miroir. Seul un mot cet instant diffrencie la personnalit de cette jolie demoiselle de celle
des autres tres humains : possde. Un autre est entr en elle, un autre est venu prendre part de son
corps.
Possde. Nous ne savons si c'est elle, ou cet autre qui la hante, qui agit. Nous ne savons si son rire
est dmoniaque ou anglique, car il suffit d'une courte seconde pour que tout l'intrieur de son tre
se transforme en un autre enfoui au plus profond d'elle-mme.
Possde. Elle s'emmle dans ses propres paroles, perdue entre elle et l'autre ; nous n'y retrouvons
alors plus la moindre logique ou mme signification. Un brouillard enneig de secrets dvoils la
surplombe dsormais. Ronge par un sentiment de double identit, elle ne sait plus qui elle est.
Actes dicts par un mme corps mais une autre me, que faire contre ce vacarme intrieur ?
Dvaste par une intrusion, elle ne dirige plus toutes ses actions, et ses dcisions sont compromises.
Ses lvres articuleront un oui lorsque le fond de sa relle personne pensera un non qui, lui,
restera inaudible travers l'opacit des murs de la prison dans laquelle l'intrus l'a enferme
l'intrieur du corps qui lui appartient.
Possde. Jolie demoiselle veut crier sa douleur au monde entier, mais ce n'est que l'cho du silence,
frappant les parois qui emprisonnent son me, qui revient aussitt rsonner au creux de ses oreilles.
Laurne Collinet
La Maladie des fentres
Ce lundi-l, javais dcid de reprendre ma vie en main. Il ntait plus question de passer mes nuits jouer les justiciers et sauver loutre-monde du terrible Lviathan. Non, javais dcid dtre un homme nouveau, un personnage brillant, quilibr, que la vie en socit neffrayait pas. Lide mtait apparue mardi dernier, alors que je venais dachever un donjon bien trop facile en mangeant des cacahutes Menguys. Elle avait germ la semaine durant et, prsent, mon nouveau moi tait prt clore. Bien sr, jaurais pu minscrire dans un club de sport, une association culturelle ou caritative, mais cela aurait t trop ambitieux. IRL, jtais un newbie ; une hte excessive aurait vou lchec mon grand projet. Aussi, je minvestis dune mission plus raisonnable : sortir, prendre un bol dair et rapporter du pain. Ctait une sorte de tutoriel, loccasion pour mes yeux de shabituer la lumire naturelle et de dcouvrir les graphismes du dehors. Jamais, je le jure, je naurais souponn y trouver un bug.
Pourtant, il tait l. Je navais pas fait six pas dans la rue que japerus, sur la faade de la maison voisine, une image tout--fait anodine mais dont la duplication lidentique deviendrait bientt inquitante. Il sagissait dune jardinire estampille Truffaut tout ce quil y a de plus banal : un bac en plastique marron de 70x20x15 cm, pos sur le rebord dune fentre, dans lequel taient plantes de gauche droite : une sapinette vert fonc, une autre rouge, une plante fleurs et une qui
pique. Les mdias mapprendraient plus tard quil sagissait prcisment de deux cyprs miniatures, dun geranium rotundifolium et dun pied de thym. Jusque-l, rien dextraordinaire, sinon que la fentre d ct, ainsi que celle un peu plus loin encore, taient pares de jardinires trangement semblables. Jy regardais de plus prs. Oui, ctait cela : elles taient toutes trois parfaitement identiques, comme si lon avait fait apparatre les deux autres partir de la premire par copier-
-
coller. Tout concordait : depuis la couleur et la composition des plantes jusqu leurs hauteurs et leur disposition ; mme les rideaux, blanc crmeux, taient tirs lidentique.
Je suis persuad quun tre humain ordinaire naurait jamais repr pareille anomalie. Mais parce que javais pass ma vie arpenter des villes virtuelles, construites partir dun nombre limit dlments graphiques (arbres, maisons, villageois), une telle duplication me sautait aux yeux. Sil stait agi dun jeu vido, jaurais associ cette maladresse de lamateurisme. Mais prsentement, je me dis simplement que javais un voisin nvros.
Lhistoire aurait pu sarrter l. Pourtant, elle choisit de prendre une toute autre tournure. Sduit par le croustillant de la baguette Fleuriane, je dcidai den faire, ds ce jour, ma source quotidienne de fculents. Cette rsolution moffrit un prtexte pour sortir davantage. Ma premire expdition ayant t un succs, je mexcutais dsormais sans crainte. Je voulais apprendre la vie. Dans les rues, jinterrogeais du regard les passants, analysais lallure de leur pas, tudiais la disposition des tables sur les terrasses, celle des cendriers... Ce monde semblait dcidment moins hostile que prvu. Je
me surpris mme, un soir, laisser la brise tide porter le frisson de la ville jusqu mon oreille.
Mais tandis que je commenais apprcier le calme de ma nouvelle vie, mes yeux, eux,
continuaient fureter, sonder les visages, questionner les dtails. Cest ainsi que je notai, dix jours aprs la dcouverte du premier bug, que la maniaquerie de mon voisin stait propage dans le quartier. Jignore comment il tait parvenu semer son obsession, mais en une nuit peine, neuf nouvelles jardinires avaient fleuri dans des rues adjacentes la ntre. Neuf duplicatas ! tait-il
possible que personne ne sen aperoive ?
Ma question fut prise de court. Ds le lendemain, dans les artres commerantes dAlbi, les fentres se parrent de leurs sapinettes rouge et vert, de leur granium et de leur pied de thym. Les habitants
normaux commencrent le remarquer et se flicitrent que largent public soit dpens pour embellir leur ville avec autant de got. On consacra mme quelques lignes dune dpche locale faire lloge des paysagistes municipaux. Les plantes se rpandirent dans la ville aussi srement quune rumeur, et elles arrivrent bientt jusquaux quartiers les plus pauvres, dont elles apaisrent miraculeusement les tensions. Quelquun pronona le mot prodige ; dautres lentendirent, le rptrent et lemportrent dans toute la rgion. Pour ma part, je commenais me demander quel point mon voisin tait impliqu dans cette curieuse affaire.
Ce que jignorais, cest que pendant ce temps, lHtel de ville, le maire sinterrogeait lui-aussi. Qui tait ce mystrieux bienfaiteur qui ravissait la cit en mme temps quil redorait son image auprs dune population dsabuse ? Dans le doute, il tlphona au prfet mais napprit rien quil ne savait dj. Ses conseillers furent galement incapables de lui apporter le moindre indice. Alors, se
posait un cas de conscience : devait-il reconnatre publiquement que cet embellissement soudain
ntait pas de son fait ; ou continuer de sen attribuer le mrite ? Il choisit de repousser cette dcision et sappliqua toujours rpondre le plus vasivement possible. Aussi, les journalistes sempressrent de faire tat de sa modestie. Le paon ridicule dautrefois passait tout--coup pour un modle de vertu politique. Tandis que la population chantait ses louanges, ses adversaires saluaient
son calme et son intelligence : eux savaient que celui qui se pavane sur un pidestal finit
immanquablement par en tomber. Pourtant, en ralit, le maire tait bien loin de ces considrations.
En son for intrieur, le paon pestait. Comment un simple pot de fleur faisait oublier aux gens
linertie et les promesses non tenues par sa liste lectorale ? Comment quatre vgtaux parvenaient-ils rehausser une cte de popularit en berne depuis de longs mois, alors que lui consacrait des
heures, des jours entiers calibrer et rpter de beaux discours, en vain ? Les Albigeois taient
ingrats.
Lapparition de jardinires rythma mon mois de juin. tant lun de ses premiers tmoins, je me fis un devoir dtudier plus en profondeur ltrange phnomne. Cest ainsi que jentrepris quelques recherches sur Wikipdia, en mme temps que je mabonnai au Figaro et la newsletter de 20 minutes. Mais, au lieu de rponses, ces lectures mapportrent de nouvelles questions.
-
Dabord, combien tout cela cotait-il ? Je dcidai de mener ma propre enqute et filai aussitt chez Truffaut, calculatrice en poche. Jy trouvai sans difficult les bacs en plastique recherchs. Il sagissait du modle Barcelona, coloris terre cuite, 70x19.5x15.6 cm, vendus 870 lunit. Concernant les plantes, rien nindiquait quelles ne provenaient pas dun concurrent moins cher. Comme je ne disposais daucun point de comptence en jardinage, il mtait difficile den estimer le prix moyen. Aussi, je tlphonai une vieille tante dont ma mre rptait sans cesse quelle avait la main verte. Hlas, ce fut comme parler un PNJ, sinon pire : celle-ci se contenta de me rpter que,
de nos jours, le bouquet garni reprsentait la moiti du prix de revient dun potage, avant de smerveiller des cabrioles de la petite Lucie, cinq ans, qui voulait devenir vtrinaire. Je me renfrognai et tentai une autre tatie, sans plus de succs. Il fallait me rendre lvidence : jtais sur une fausse piste. Dpit, je passai le reste de la journe et une partie de la nuit sur Counter Strike.
Jy aurais dailleurs sans doute pass la semaine entire si des cacahutes trop sales navaient pas fini par me donner mal au foie. Je crois que, malgr moi, il me plaisait de mener une vie plus
quilibre. Aussi finis-je par maventurer de nouveau au-dehors, en mefforant toutefois de ne plus remarquer les occurrences du bug. la place, je concentrais mon attention sur les passants et tentais
de lire, dans leurs regards, les peurs et les dsirs qui les animaient. Comme en ce vendredi le soleil
rchauffait doucement mon visage, je dcidai de masseoir sur un banc afin de poursuivre ce petit jeu. En face de moi, un trs vieux monsieur semblait galement tre venu prendre la lumire. Le
crne peine garni, une barbe comme des flocons de neige, lchine rabougrie, il avait pourtant un air gamin que je ne mexpliquais pas. Je le regardais dfier les annes en souriant, lorsque son oeil vif me remarqua. Il me rendit la moiti de mon sourire : il lui manquait une dent sur deux.
( suivre...)
Mlodie Andrieu
Sous les feux des projections
La lavande, partout. Des pistils multicolores et flavescents qui chatoient timidement dans la
voussure irise d'un arc-en-ciel blouissant. Et les fines gouttelettes qui perlent sur les ptales
appesantis des lilas, mesure que la rose dpose ses caprices. Ce Soleil naissant est dlectable, me
dis-je tout coup, alors qu'une bourrasque smillante caresse mon esprit. Une singulire fragrance
l'accompagne, cre et piquante. C'est alors que l'clair explose, tandis que je me pme et m'tonne Bref, c'est bien beau le lyrisme, mais gardons le pied sur terre, cette terre dsormais dvaste par le
boum gnralis. En effet, le souffle gravitationnel de la dflagration galactique avait tout dtruit,
sauf le narrateur - cest--dire moi -, sans qui cette histoire n'existerait absolument pas. Mais alors, direz-vous tantt, qui suis-je ?
Je suis Le Narrateur, et vous n'avez pas besoin d'en savoir plus pour le moment ! Mais alors,
pourquoi ai-je survcu, moi qui ne possde mme pas d'exosquelette bioprotecteur ou autre
pricarapace dissuasive (je connais un cousin qui en a une) ? Dcidment, vous tes vraiment trop
curieux. Les feuilles sont carbonises ct de moi, et a sent le roussi. Je dirais mme le cram.
Aussi je n'ai pas de temps perdre en prsentation grotesque. Vous n'avez pas le choix, c'est moi qui
dcide. T'es jaloux, hein ? Et oui, je suis tyrannique. Je capte votre attention. Je suis seul et
dsempar. Mais je suis Le Narrateur Alors, frustr ?
En attendant, je vais vous raconter l'histoire d'une limace. La plus baveuse des limaces (on
me l'a assez reproch d'ailleurs). Elle est ne dans un endroit humide et baveux, d'une mre humide
et baveuse, et je n'ai connu que le confort humide et baveux d'une terre limoneuse, boueuse, et
tourbeuse. Ma vie d'alors tait passionnante, trpidante, blouissante, remplie de tunnels glaiseux et
de feuilles glissantes ! Las ! Puisse le lecteur pendu mon pneumostome (il faut bien respirer ! Et
oui ! L'tymologie grecque sert toujours ! Et ne me dites pas que vous n'avez jamais tudi les
-
Humanits...) ne jamais connatre pareilles infamies. Que ne puis-je me baigner dans le mucus
collectif et gluant ! Mais assez d'lgie, car je vois mon cousin blindage renforc prs d'une
chaussure. Je ne suis pas seul ! Je cours (ou plutt je glisse) au ralenti, comme dans ces films
mouvants que je regardais par la fentre du Matre des Salades. Il tourna ses tentacules suprieurs
dans ma direction, et roula des yeux affols vers le ciel o des bouquets de feux explosaient en tous
sens. La botte entama lentement un mouvement ascendant avant de subir la terrible loi de la
pesanteur. La parabole est inluctable, me dis-je soudain, dubitatif. Qu'il tait fier quand il gonfla la
coquille en bombant le pied. Qu'il fut plat quand, dans un jus vert jauntre, la botte l'eut cras.
- On peut dire que c'tait un beau feu d'artifice ! dit l'enfant sa mre.
C'est pas grave, pensai-je. De toute faon, je ne l'ai jamais aim
Gaylor Wafflard-Fernandez
La faim du bonheur
Vie fleurie fleurs fanes
Comme dsempares,
Non pares contre la fin.
Entour de remparts affaiblis,
Part-il faible, affam et ha ?
Yeux ferms, corps dlaiss,
Fleurs effleures, rose claire.
Avoir faim du bonheur,
Pour une fin des pleurs.
Laurne Collinet
Une vieille dette d'honneur
Excuteur, murmura le Correcteur d'une voix bien neutre pour l'acte qui venait d'avoir
lieu ?
- Il est mort. Il ne reste plus qu' mettre en place les preuves de cet accident, accusant le fils
du Snateur Ness. Cela ternira la rputation de son pre, assez pour que le peuple de la Fdration
se penche sur son seul adversaire politique comptent.
- Le veuf Malora, mari bien plus attach aux liberts individuelles que son ex-prsidente de
femme?
- Oui.
Le Correcteur arqua un sourcil dubitatif. Un plan bien complexe, o tant de choses
pouvaient mal tourner, alors qu'un scandale moins sanglant aurait pu aboutir au mme rsultat.
Encore une initiative du Ministre de la Terre.
-
Excuteur. Correcteur.
L'Excuteur se tourna vers la source de cette voix rauque, alors que le Correcteur projeta son
esprit pour voir d'o venait ce son. Il avait dj une ide de qui aurait pu tre cet interlocuteur, et
savait que sa capacit voir le futur et le pass proche n'oprerait pas sur cet individu.
Tiens donc, lana-t-il, serait-ce l'homme derrire le rideau ? Non, ce n'est qu'un autre de
ses pantins de bois sans pense propre.
- Excuteur, toujours aussi arrogant. Comme si vos actes taient le fruit de vos propres
rflexions.
Un homme d'ge mr, un peu plus petit que la moyenne, l'air vicieux, s'avana alors dans la
lumire.
Corrupteur Znoss, s'cria le Correcteur ! Celui qui a dj dtruit cent mondes, et induit le
mal dans autant d'espces.
- Quatre-vingt-dix-sept mondes, corrigea le Corrupteur, et exacerber n'est pas crer.
L'Excuteur tendit sa main droite, mlange de chair et d'acier, et un index surmont d'une
lame tranchante dsigna une forme vague derrire le Corrupteur.
Quelle est cette chose qui vous accompagne ?
- C'est mon garde du corps, pas une chose, sombre crtin !
- Faut vous prendre la main, aussi, pour que vous vous perdiez pas dans les rues ? Il vous
donne le biberon ?
L'image d'un Corrupteur avec un biberon dans la bouche fit sourire le Correcteur, qui, pour
ne pas paratre trop joyeux, lana :
Qu'est-ce qui vous amne sur Terre, Corrupteur ?
- Juste une vieille dette d'honneur.
Il toisa quelques instants les deux personnes face lui. Le Correcteur tait vtu comme un
tre lambda de ce monde, alors que l'Excuteur portait son armure d'excution, lgante mais
meurtrire. Le Corrupteur reprit, d'une voix forte :
J'ai les informations que vous aviez demand sur votre prdcesseur, Correcteur. On est
quitte.
Il laissa tomber d'un geste nonchalant un cylindre aux couleurs bleues et argentes, qui
cliqueta au contact du sol, et disparut dans les ombres d'o il venait.
Le Correcteur fit quelques pas, se baissa, se saisit du cylindre d'informations, et son contenu
se dversa dans son esprit. Il resta une minute silencieux, parfaitement immobile, puis se retourna,
faisant ainsi face son mentor.
C'est ce que vous vouliez savoir ?
- J'aurais prfr rester dans l'ignorance.
Jordan Duchne
-
De vie vide
Ils erraient, dans ce monde vide de toute communication relle et ainsi englobs dans leur sphre de
nouvelles technologies plus rcentes les unes que les autres. Ils n'avaient alors qu'un unique point
commun : l'criture, et non la parole comme voudrait l'tre humain.
Ni mme de jolies lettres calligraphies, ni mme une belle plume glissant sur le papier. Entre leurs
mains n'tait blotti qu'un cran tactile, parsem de mots guidant leur esprit et forgeant cette
gnration de vagabonds muets manipuls.
Laurne Collinet
Honteuse prdiction
- J'ai honte... franchement, j'ai honte...
- Les prdictions des oracles peuvent tre perturbantes, mais il ne faut pas avoir honte du futur.
- Des prdictions ? Tu plaisantes ! Je me demande comment elle fait pour garder sa rputation la
vielle peau. J'ai honte d'avoir accept de l'couter, a oui !
- Allons, a ne peut tre si terrible...
- On lui a fil un chameau pour ces conneries ! Pas terrible... tu sais combien a vaut ce genre de
bestiau ?
- Attention ! N'insulte pas la parole des oracles, leurs mots sont sacrs !
- Sacr mon cul oui.
- Voyons, je suis sr que tu as mal interprt. Raconte-moi.
Le vent sifflant soulevait les grains de sable qui percutaient les toiles tendues composant une
douce mlodie, agrable pour ceux qui prenaient le temps de l'entendre. Le ciel limpide offrait sa
scne au soleil naissant qui baignait de sa douce chaleur le camp nomade. Cela aurait pu tre une
belle journe.
- Mahomet, Mahomet ! Vite lve-toi !
La plupart des nomades dormaient encore, ou du moins auraient continu de le faire si un
crieur n'alertait pas tout le camp, filant vive allure entre les tentes. Retrouvant celle qu'il cherchait,
il s'y engouffra sans baisser d'un ton.
- Debout, il faut y aller !
Livide comme un linge, Mahomet se rveilla en sursaut.
- Qu'est ce qui se passe ?! Une attaque ?
- C'est l'oracle. Elle est ici !
- C'est horrible ! Le tocsin ? Pourquoi je ne l'entends pas ? Il a t dtr... Attends, comment a
l'oracle ?
- Oui, l'oracle. Elle est ici, tu dois la voir !
- Mais l'attaque ?
-
- Y a pas d'attaque.
- Quoi !
Une troisime personne sous la tente aurait trouv la scne assez comique. Mahomet
apercevait un garde au sourire bat qui ne semblait nullement se rendre compte de la frayeur qu'il
avait caus. Le garde voyait un Mahomet crisp au visage dform par une rage qui ne semblait
nullement compatible avec l'excellente nouvelle qu'il venait d'annoncer. Les deux taient figs dans
des attitudes totalement opposes qui auraient pu amuser un observateur quelconque... mais
personne ne les observait.
- Mais... mais... mais...
- Non, Aziz. Pas mm. Allez, lve-toi.
- Tu m'as rveill pour...
- ...tapporter la bonne nouvelle. Allez dpche.
Tout en parlant, Aziz ne se gnait pas pour fouiller les affaires de son ami la recherche de
vtements convenables.
- Tu m'as rveill, et mme tout le... tu as rveill tout le camp pour une putain d'oracle ? T'as pas
honte !
- Pas une putain. Une oracle, un peu de respect. Et puis a fait une heure que le soleil est lev, les
gens vont pas tarder en faire de mme de toute faon, je suis d'ailleurs sr que t'es un des derniers
debout. Dis, t'as rien de convenable te mettre ? C'est une oracle tout de mme.
- Lche a ! Et puis, t'tais pas cens tre de garde aujourd'hui ?
- Bah oui, rflchis un peu, comment j'aurais su que l'oracle est l sinon ? Ah, a c'est pas mal. Bon,
a fait un peu bouseux mais au moins c'est propre.
Aziz exhiba firement un ample quamis ocre ayant t relativement pargn par les affres du
dsert.
- Donc si tu es de garde ce matin, qu'est-ce que tu fais dans ma tente ?
- Fallait bien que quelqu'un te prvienne. De toute faon la relve est dans dix minutes.
Mahomet souffla un bon coup pour se calmer.
- Bon, si je rsume, tu quittes ton poste et rveille tout le camp en braillant, juste pour me parler
d'une voyante ?
- Une oracle, pas une voyante.
- J'vois pas la diffrence...
- Les prdictions de l'oracle sont relles.
- Bon... j'ai compris, il est inutile de discuter... Sors d'ici que je m'habille.
- Mets pas n'importe quoi hein ! C'est une oracle, aie un minimum de tenue.
- C'est a, dehors maintenant.
Quelques instants plus tard, Mahomet traversait contrecur le camp, tir par son ami, pouss par le vent et voguant entre des flots d'insultes prouvant que, contrairement aux dires d'Aziz,
Mahomet n'tait pas le dernier se lever.
-
- T'as rveill tout le monde et maintenant ils me voient tous avec toi...
- Voyons, depuis quand a t'embte de traner avec ton vieux pote Aziz. En plus, je te parie qu'ils
oublieront leur colre ds qu'ils la verront !
- Je ne sais mme pas pourquoi je te suis, la dernire fois ton oracle m'a bassin avec un buisson
parlant enflamm...
- Je pense que c'tait une voyante, il ne faut surtout pas les confondre avec les oracles, elles disent
n'importe quoi.
- Mais c'est toi qui mavais parl d'oracle !
- Oui bon, j'ai d me tromper, a arrive.
- Et l, tu ne te trompes pas ?
- Aucun risque. Regarde, elle a mme ses propres gardes.
Aux limites du camp, une caravane de bois et de toile la vtust modeste contrastait avec
les riches vtements des quatre soldats qui l'entouraient. L'un d'eux discutait avec le chef du village
tandis qu'un autre remplissait un abreuvoir pour leurs deux chameaux. Si les marchants itinrants
n'taient pas rares dans le dsert, on les trouvait gnralement aux abords des grandes villes. Il tait
donc peu commun que leur route croise celle des nomades.
- Donc si j'ai bien suivi, ils viennent d'arriver ?
- Oui c'est a !
- Et le soleil est lev depuis peine une heure ?
- Oui c'est a !
- Donc les chameaux... ont march toute la nuit ?
- Oui c'est a. Enfin je ne sais pas. C'est une oracle, cherche pas comprendre
- L'oracle est directement venue dans votre camp ? Mais c'est un signe d'Allah !
- En fait leur route a simplement crois la ntre par hasard, l'oracle a d se dire que c'tait une
bonne occasion de s'enrichir. Mais les autres du camp aussi ont prfr l'explication du miracle
symbole divin, et patati.
- N'as-tu pas honte de blasphmer ainsi, toi qui a eu la chance de recevoir une prdiction ?
- Hey, j'en voulais pas moi de cette merde, on m'y a forc ! Le camp a chang un chameau contre
cinq prophties. C'est pas les volontaires qui manquaient, mais mes autres ont dcid que je devais
en faire partie pour renforcer ma foi et autres btises du genre. Ils m'ont mme fait passer en
premier !
Malgr son troitesse, l'espace tait submerg de tapisseries richement colores tranchant
avec la simplicit de l'aspect extrieur. Celle qui se prtendait oracle tait entoure de moult objets
htroclites qui n'avaient sans doute nul autre utilit que d'instaurer une ambiance suffisamment
trange pour impressionner le chaland. Impression renforce par une odeur pesante, qui stimulait la
mmoire tout en tant impossible identifier formellement. Sans doute s'agissait-il d'un mlange de
parfums communs en un pot-pourri enttant empchant la perception de toute nuance. La vue quant
-
elle tait rapidement agresse par tant de couleurs chatoyantes, beaucoup trop diverses pour des
yeux habitus la monotonie du dsert, yeux facilement capts par l'clat jaillissant d'une immense
sphre d'un cristal aussi transparent que l'eau de rose. Quelques dchirures dans la toile
permettaient la lumire d'envahir l'endroit, emportant avec elle les sons du dsert.
- Bienvenue, oh toi qui vient entendre la parrrooole... de l'oracle. coute et retiens.
Sa voix alternait chaotiquement les graves et les aigus, laissant parfois traner des syllabes
sans raison apparentes avant de marquer une pause injustifie.
- Mahomeeet... tu es Mahomet.
Ayant promis de se tenir, il se retint de faire remarquer qu'il tait dj au courant de son
propre nom depuis qu'il avait entendu le chef discuter avec l'oracle, et mme avant.
- Tu n'es pas n'importe qui, non. Les visions sont trrrrs.... claires. Seuls ceux au destin remarquable
ont un futur aussi limpide.
- C'est gentil dannoncer a mais...
- Tu seras veng !
L'oracle avait subitement hurl, surprenant Mahomet qui faillit tomber la reverse.
- Tu le seras, oui tu seraaaas... veng.
- Ne le prenez pas mal, mais je pense que vous faites fausse route. Je n'ai envie de me venger de
personne, il n'y a donc aucune raison que...
- Tu seras veng deee.... l'offense qui te sera faite.
- Il est vrai que j'ai dj eu des diffrends avec des gens, mais une bonne discussion a toujours
permis de rgler le problme.
- Ils te vengeront, oui ils le feront.
- Qui a, ils ? Je vous assure que j'ai pour habitude de rgler mes problmes moi-mme.
- Ils te vengeront, oui illls... te vengeront aprs ta mort.
- Quoi ?
- Des fidles le ferrrroont... pour venger ton nom.
- Des fidles ? Ma mort !
- Ils vengeront l'offense.
- Je serai mort ?
- Les coupables payeront, oui ils payerooont... de leur vie.
- Vous tes en train de dire que l'on va me tuer ?
Changeant brutalement de ton, l'oracle laissa tomber les variations d'intonation pseudo-
mystique pour rpondre d'une voix rauque tmoignant d'un ge fort avanc.
- Bon coute coco. Ton boss l, il m'a juste pay pour cinq clampins. Si tu veux aussi des infos sur
ta mort, il va falloir qu'on rediscute les tarifs. Ok ?
- Mais... C'est vous qui avez voqu ma mort !
-
- Pour toi, j'vois un truc sur une histoire de vengeance. C'est trs clair, ce moment-l t'es mort, j'y
peux rien c'est comme a. Maintenant, tu la fermes et tu me laisses faire mon travail.
- Heu...
Sans attendre de rponse, elle reprit son numro de faon si soudaine qu'un instant Mahomet
se demanda s'il n'avait pas rv les dernires secondes.
- Ceux qui t'auuuuront... offens, mourront.
- Et l'offense ? J'ai le droit de la connatre ?
- Les blasphmateurs payeront, oui je le vois, ils payerooont....
- Continuez, je vous coute.
- ... pour t'avoir dessin.
- Dessin ? Comment a dessin ?
- Oui je le vois, tu seras offens, tu seras dessin avec un visaaaaaage.
nouveau l'oracle laissa traner longuement une syllabe puis marqua une pause avant de
finir sa phrase. Mahomet attendit poliment de longues secondes avant de se rendre compte que la
phrase tait bel et bien termine.
- Et qu'est-ce qu'il aura ce visage ?
- Tu seras dessin, aveeeec.... un visage tout court.
- Un visage tout court ? Un petit visage ?
- Non... juste un visage.
- Juste un visage ? Vous voulez dire... dcapit ? On va me tuer par dcapitation ? C'est affreux !
- Nooon... tu seras dessin avec un visage. Puuuuis... veng.
- C'est pas trs clair votre truc.
S'nervant nouveau, l'oracle laissa tomber son ton crmoniel au profit du naturel.
- Bordel, j'vois pas ce que tu piges pas, c'est pourtant limpide. Y a des mecs qui te dessinent, trs
moche le dessin d'ailleurs, et sur le dessin t'as un visage. Et toi ce moment-l t'es dj mort.
- Vous vous foutez de moi ?
- Et puis aprs, t'as des fidles qui butent tout le monde.
- C'est n'importe quoi votre truc ! Et est-ce que je peux savoir dans combien de temps a aurait lieu
par hasard.
- Yep, a c'est possible. Hum... dans 1416 ans.
- Bon c'est clair, l vous vous payez ma tte.
- Ah non, les visions sont formelles. Dessin, vengeance, dans 1416 ans. Maintenant sois gentil et
casse-toi, y en a d'autres qui attentent et j'aimerais arriver la Mecque avant la fin de la semaine.
L-bas y a des pigeons capables de m'changer deux chameaux contre une seule prdiction !
- Bien sr, le camp lui a quand mme offert un chameau, a n'a choqu personne d'apprendre que je
-
serais mort dans 1416 ans !
- Je ne mettrai pas en doute la parole de l'oracle, je pense aussi que vous serez mort dans autant
d'annes...
- Mais bien sr que je serais mort ! Y a pas besoin d'tre oracle pour deviner a ! Et l'histoire du
dessin, me dis pas que tu y crois aussi !
- Les paroles des oracles semblent bien souvent obscures, mais elles reclent toujours une sagesse
qui nous sera dvoile au moment opportun.
- Ouais, d'autres. Donc le prends pas mal, mais les voyants et oracles de mes deux, j'ai dj
donn. Alors ta prdiction, je me la carre o tu le penses.
- Mais voyons, Mahomet, ne vois-tu donc pas que je ne suis ni un voyant, ni une oracle ? Je ne fais
pas de prdictions.
- Ben voyons... de toute faon j'ai pas de quoi te payer Gaby.
- Ce ne sera pas ncessaire, mon rle se limite transmettre la parole divine ceux qui ont t
choisis pour l'entendre.
- Et a genre gratos ?
- C'est ma mission.
- Ceci dit, j'dois admettre que tes habits lumineux l, ils valent largement la dco de la vieille. Et
puis j'sais pas comment tu fais, mais ta lvitation l, c'est la classe.
- C'est parce que je suis un archange.
- Jamais entendu parler. Bon allez, si a te fait plaisir, livre-moi ton message. Et comme c'est
gratos, j'aurai pas la honte de me faire arnaquer.
Leonardo Lauriot
Humain voguant au gr des sentiments
Le brouillard qui se maintenait au-dessus de la surface de l'eau se dissipe peu peu, emport par
une lgre brise qui, elle, s'installe autour de moi. Un pas, deux pas. Montant bord les pieds nus, je
remarque quelques grains de sable fin venus s'immiscer au fond de ma frle embarcation. Enfin, je
quitte la terre ferme, prends le large et m'en vais noyer mes sombres penses l'autre bout de
l'horizon.
Dsormais, le vent me pousse. Il me soulve telle une force voulant me mener au-dessus de mes
capacits. Suivent quelques instants o je le sens siffler dans mes oreilles comme s'il me demandait
l'autorisation d'augmenter l'ampleur de sa puissance. Pleinement d'accord, je veux me surpasser. Ces
moments me manquaient tellement que jai limpression dtre une autre personne. Je deviens nouveau un humain voguant au gr des sentiments : tout ce qui m'encombrait l'esprit il y a quelques
secondes s'en est chapp, envol. Je prends conscience de chaque dtail qui m'entoure, comme des
gouttes d'eau qui viennent de plus en plus nombreuses se poser dlicatement sur mes joues rougies
par l'nergie que m'offre ce moment de plaisir. La vitesse laquelle je navigue me donne
l'impression que la coque ne fait que frler l'eau, que je vole au-dessus de celle-ci. Les rayons du
soleil tapent sur mes paules partiellement recouvertes de mes cheveux dtachs.
Sur mon chemin, guide par le vent, je croise des feuilles mortes glissant le long de la coque
blanche ou encore des mduses surprises de mon passage. En moi, n'est prsent qu'un vide rempli
-
de fracheur et de libert. Les vagues s'accentuent, laissant apparatre une houle la fois rgulire et
effrayante par sa grandeur. Dans le creux des immenses vagues formes, je ne vois qu'un mur d'eau
se dressant face moi et atteignant quasiment la verticalit, alors qu'en haut de ces vagues j'aperois
une ou deux voiles blanches disperses au loin. Une bouffe d'air pur s'empara de moi. L'adrnaline
est l, elle me dpasse. Ne sachant comment la canaliser, je me laisse emporter par cette sensation
du got du risque. Je n'ai plus peur. Je n'ai plus peur face l'ocan me transportant une allure
hallucinante.
Mais brusquement, les rafales de vent cessrent et l'atmosphre devint pesante. Un frisson de terreur
se propagea tout le long de mon corps, suite la pense dsagrable de mon retour sur la terre ferme
dans peu de temps. Ce n'est pas une exprience aussi revigorante que celle-ci qui empche un retour
la ralit.
Tout commence par s'envoler sur l'ocan, tout se finit la tte plonge dans les sentiments.
Laurne Collinet
Imparfaite
Ils disent que tout est fini, que tout est redevenu comme avant.
Ils mentent.
Je le sais, je le sens. Je les vois encore, partout sur ma peau, en cet instant.
Il ny a que peu de femmes sur cette plante qui auraient lide de se regarder nues dans un miroir en pied, mais javais besoin dtre sre. Sre que jtais toujours dans le mme tat : blesse et sale. Toute ces marques sur mon corps ne sont ni de moi, ni des incidents. Elles ne sont rien de plus
que les marques dune stupide concidence Et de mes erreurs. Ou plutt de mon erreur, car il a suffi de quelques mots. Quelques mots Et maintenant, il ne reste de moi que des pices dtaches que je nai mme pas cur de recoller entre elles. Je me fiche que lon me trouve faible ou stupide, car en effet, je le suis. Une personne intelligente naurait pas dit ce que, moi, jai dit. Une personne forte naurait pas port les marques que moi, je porte sur ma peau.
Cette histoire remonte plus de trois mois et, en effet, jaurais d avoir compltement cicatris. Cest ce que pensent les mdecins, mais ils ont tort. Si ctait le cas, je ne verrais pas ces constellations violaces et je ne ressentirais pas cette douleur au moindre mouvement. Ils passent
ct de lvidence mme. Si jai espr un jour que cette sorte de patchwork sen irait, ce nest plus le cas. Je le dteste, bien sr, mais il a le mrite de montrer celle que je suis, rellement. Mes
proches ne sont pas de cet avis, videmment, mais je me fiche de ce quils disent, parce que je sais quils ne le font que par convenance. On ne dit jamais une personne que lon fait semblant dapprcier quelle est laide ou encore quelle nest quune idiote.
Puisque je suis suppose rentrer dans les dtails, alors allons-y. De toute manire, ce nest pas comme si je ne ressassais pas tout cela longueur de temps. Une fois de plus ne fera pour moi pas
la moindre diffrence.
Cette journe-l navait pas t une journe diffrente de nimporte quelle autre : me lever, me prparer, aller travailler, rentrer Ce ne fut qu mon changeur que la routine prit fin. tourdie, jai pris la peine de regarder les indications directionnelles : une demi-heure de trajet me suffit largement, mme si je suis plutt bien lotie. Jai lu le nom des villes desservies par la ligne les unes aprs les autres. Normalement, quand on emprunte le mme trajet tous les jours, il suffit dune ou deux stations pour savoir si le sens est bon, mais moi, je voulais voir marqu mon arrt. On ne
prend jamais trop de prcautions. Je nai jamais pu trouver ce petit mot des yeux. Jamais. Parce que jai entendu cette voix. Celle dun homme, devant moi, que je navais jusqualors absolument pas
-
remarqu. On croise tellement de gens, dans les gares, que lon finit par ne plus les voir, part quand ils gnent le passage, auquel cas, on se dbrouille pour se faufiler sans se faire insulter. Mes
yeux se sont poss sur lui sans me donner pour autant loccasion de prendre note de son apparence. Ce ntait ni plus ni moins quun homme ordinaire, comme jen croisais des centaines jours aprs jours. Je me souviens par contre de la menace quil dgageait. Et moi, je navais pas boug. Nimporte qui dautre aurait sans doute gard en mmoire le moindre mot quil avait prononc, mais moi pas. Tout ce dont je me rappelle, cest quil ma vulgairement demand de partir. Je ne faisais rien de mal, je cherchais seulement morienter, ctait tout. Alors je suis reste plante l, muette, incapable de comprendre exactement ce qui se passait.
Et puis il a recommenc, ajoutant de grands gestes. De la mme manire que pour ses paroles, je ne
saurais les refaire, je pourrais dire quil avait une attitude agressive, quil sagitait, quil parlait fort, mais rien dautre. Cest ce moment-l que mes penses ont divagu, la fois trop vite et trop lentement. Lanne passe, jai normment souffert et quand jai relev la tte, je me suis promise que personne ne pourrait plus jamais me donner le sentiment que jtais infrieure qui que soit dautre.
Alors voir cet homme, qui navait rien de plus que moi, me hurler la figure comme si jtais un dchet, ma rendue imbcile. Je me suis campe sur mes jambes, j'ai relev la tte et je lui ai dit non en le regardant dans les yeux.
Peu importe quel point tu es belle,
Car pour linstant,
Cest bien loin de tout ce que tu voudrais tre 1
En cela, je nai t quune imbcile. Je le sais prsent. Tout comme je sais que mes belles rsolutions ne mauraient jamais t dune utilit quelconque puisque je nai pas la force de les mener bien.
Il a videmment trs mal ragi mon affront. Il sest approch et ma envoye embrasser le sol crasseux de la gare. Autour de nous, le monde sest arrt et je revois la perfection toutes ces silhouettes floues formant un cercle presque parfait pour observer le spectacle. Chaque paire dyeux rive sur mon corps encore en bon tat pourtant. Si vous saviez comme je les ai maudits, tous ces
gens, de ne pas avoir boug un cil pour maider ! Mais avec le recul, jai compris : mme le dernier des imbciles ne voudrait aider une personne qui a voulu ce quelle avait, quelquun de suffisamment imbcile pour aller la confrontation de son plein gr. Et en effet, si javais eu de la jugeote, jaurais attrap mon sac et je serais partie dans la seconde, quitte clopiner comme je le pouvais et trbucher quelques mtres plus loin, mais non. Moi, jtais encore reste immobile, lui laissant une occasion de venir me frapper au visage.
Et bien entendu, tout un chacun avait pris soin de me laisser subir ma punition sans faire un
mouvement, en tout cas, jusqu ce que je perde connaissance.
Et tu tombes genoux
Tu supplies, tu implores
"Puis-je devenir quelquun dautre, Pour toutes ces fois o je me dteste ?"
Tes erreurs dvorent ton cur chaque instant Tu te noies dans tes imperfections
2
Jai persist dans lerreur jusqu en payer le prix fort et cest pourquoi je ne cherche mme plus
1 How beautiful you are / Yet seem so far / From everything youre wanting to be , Imprefection, Skillet
2 You fall to your knees / You beg, you plead / Can I be somebody else / For all the time I hate myself / Your
failures devour your heart in every hour / Youre drowning in your imperfection , Imperfection, Skillet
-
me remettre sur mes pieds ni effacer de ma peau lempreinte de ma faute. De toute manire, les faire disparatre ne briserait pas pour autant cette lame qui me saigne peu peu. Cette lame faite
dun seul mot.
Pourquoi ?
Pourquoi se trouvait-il l, ce jour-l, cet endroit-l ? Pourquoi, moi, je me trouvais l, ce jour-l,
cet endroit-l ? Pourquoi a-t-il voulu que je parte ? Pourquoi lui ai-je tenu tte ? Pourquoi la-t-il si mal pris ? Pourquoi nai-je pas essay de menfuir ? Pourquoi a-t-il continu frapper ? Pourquoi, finalement, quelquun ma-t-il port secours alors que jaurais aussi bien pu mourir dans le ddain collectif ?
Et tout un tas dautres qui tournent systmatiquement un peu plus en rond. Seulement, je sais que je naurais jamais de rponse Et cest sans doute lune des plus insupportables choses de cette histoire. Jai toujours dtest le silence, depuis toute petite, mais celui-l est sans doute le pire que je naie jamais connu. Je sais ce que a fait darriver dans une pice et que lon se taise cet instant. Je sais ce que a fait dattendre que des gens aient fini de parler voix basse pour en placer une. Mais a, je pense que tout le monde la vcu, un moment ou un autre, alors cela na rien de si dramatique. Cest toujours extrmement horripilant, mais pas insurmontable. Pas comme cette incertitude permanente quant au fait que lon pourrait aussi bien tre mort sans que a ne fasse de diffrence pour personne.
Pour la loque que je suis devenue, il aurait aussi bien valu que je reste couche sur ce sol souill
jusqu ce que je crve. Et dailleurs, quelle raison peut bien avoir men le Destin me maintenir en vie ? moins que, a aussi, a ne soit une partie de mon chtiment ? Je le trouve bien cruel.
Personne ny chappe Chaque inspiration que nous prenons
Sinscrit dans notre propre squelette 3
Mais bien au-del de la cruaut en elle-mme, il marrive encore, parfois, de me demander ce que jai pu faire de si terrible pour tre ainsi malmene. Jai limpression que plus jessaie, plus je mcroule, parce que je ne trouve jamais aucune atteinte qui que ce fut, aucun crime que jaie pu commettre qui soit la hauteur de justifier ma peine. Je crois en la notion de karma, je crois en un
quilibre entre le Bien et le Mal qui doit tre soigneusement maintenu, je crois que tout acte cruel
mrite une punition qui lest tout autant, mais Et bien pour tre sanctionn, il faut avoir commis une faute. Je suis bien consciente que tenir tte en tait une, dans cette situation, mais vaut-elle
rellement que jen conserve lempreinte jusqu la fin de mes jours ?
Tu nes pas la seule Tu nes pas la seule te noyer dans tes imperfections 4
Alexia Jehan
3 No-one escapes / Every breath we take / Dealing with our own skeleton , Imperfection, Skillet
4 Youre not the only one / Youre not he only one drowning in your imperfection , Imperfection, Skillet