Syllogismes de l'amertume, d'Émil Cioran

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    Cioran

    Syllogismes de lamertume

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    Syllogismes de l'amertume

    Atrophie du verbe

    Forms l'cole des vellitaires, idoltres du fragment et du stigmate, nous appartenons un

    temps clinique o comptent seuls les cas. Nous nous penchons sur ce qu'un crivain a tu, sur ce qu'ilaurait pu dire, sur ses profondeurs muettes. S'il laisse une uvre, s'il s'explique, il s'est assur notreoubli.

    Magie de l'artiste irralis..., d'un vaincu qui laisse perdre ses dceptions, qui ne sait pas les fairefructifier.

    *

    Tant de pages, tant de livres qui furent nos sources d'motion, et que nous relisons pour y tudierla qualit des adverbes ou la proprit des adjectifs!

    *

    Dans la stupidit il est un srieux qui, mieux orient, pourrait multiplier la somme des chefs-d'uvre.

    *

    Sans nos doutes sur nous-mmes, notre scepticisme serait lettre morte, inquitudeconventionnelle, doctrine philosophique.

    *

    Les vrits , nous ne voulons plus en supporter le poids, ni en tre dupes ou complices. Je rved'un monde o l'on mourrait pour une virgule.

    *

    Combien j'aime les esprits de second ordre (Joubert, entre tous) qui, par dlicatesse, vcurent l'ombre du gnie des autres et, craignant d'en avoir, se refusrent au leur!

    *

    Si Molire se ft repli sur ses gouffres, Pascal avec le sien et fait figure de journaliste.

    *

    Avec des certitudes, point de style : le souci de bien-dire est l'apanage de ceux qui ne peuvents'endormir dans une foi. A dfaut d'un appui solide, ils s'accrochent aux mots, semblants deralit; tandis que les autres, forts de leurs convictions, en mprisent l'apparence et se prlassentdans le confort de l'improvisation.

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    Mfiez-vous de ceux qui tournent le dos l'amour, l'ambition, la socit. Ils se vengeront d'yavoir renonc.

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    L'histoire des ides est l'histoire de la rancune des solitaires.

    *

    Plutarque, aujourd'hui, crirait les Vies parallles des Rats.

    *

    Le romantisme anglais fut un mlange heureux de laudanum, d'exil et de phtisie; le romantismeallemand, d'alcool, de province et de suicide.

    *

    Certains esprits auraient d vivre dans une ville d'Allemagne l'poque romantique. On imaginebien un Grard von Nerval Tubingue ou Heidelberg!

    *

    L'endurance des Allemands ne connat pas de limites; et cela jusque dans la folie : Nietzschesupporta la sienne onze ans, Hlderlin quarante.

    *

    Luther, prfiguration de l'homme moderne, a assum tous les genres de dsquilibre : un Pascalet un Hitler cohabitaient en lui.

    *

    ... le vrai seul est aimable. C'est de l que proviennent les lacunes de la France, son refusdu Flou et du Fumeux, son anti-posie, son anti-mtaphysique.

    Plus encore que Descartes, Boileau devait peser sur tout un peuple et en censurer le gnie.

    *

    L'Enfer aussi exact qu'un procs-verbal;Le Purgatoire faux comme toute allusion au Ciel;Le Paradis talage de fictions et de fadeurs...La Trilogie de Dante constitue la plus haute rhabilitation du diable qu'ait entreprise un chrtien.

    *

    Shakespeare : rendez-vous d'une rose et d'une hache...

    *

    Rater sa vie, c'est accder la posie sans le support du talent.

    *

    Seuls les esprits superficiels abordent une ide avec dlicatesse.

    *

    La mention des dboires administratifs ( the law's delay, the insolence of office ) parmi lesmotifs justifiant le suicide, me parat la chose la plus profonde qu'ait dite Hamlet.

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    Les modes d'expression tant uss, l'art s'oriente vers le non-sens, vers un univers priv etincommunicable. Un frmissement intelligible, que ce soit en peinture, en musique ou en posie,nous semble juste titre dsuet ou vulgaire. Lepublic disparatra bientt; l'art le suivra de prs.

    Une civilisation qui commena par les cathdrales devait finir par l'hermtisme de laschizophrnie.

    *

    Quand nous sommes mille lieues de la posie, nous y participons encore par ce besoin subit dehurler, dernier stade du lyrisme.

    *

    tre un Raskolnikov sans l'excuse du meurtre.

    *

    Ne cultivent l'aphorisme que ceux qui ont connu la peur au milieu des mots, cette peur de crouleravec tous les mots.

    *

    Que ne pouvons-nous revenir aux ges o aucun vocable n'entravait les tres, au laconisme del'interjection, au paradis de l'hbtude, la stupeur joyeuse d'avant les idiomes!

    *

    Il est ais d'tre profond : on n'a qu' se laisser submerger par ses propres tares.

    *

    Tout mot me fait mal. Combien pourtant il me serait doux d'entendre des fleurs bavarder sur lamort!

    *

    Modles de style : le juron, le tlgramme et l'pitaphe.

    *

    Les romantiques furent les derniers spcialistes du suicide. Depuis, on le bcle... Pour enamliorer la qualit, nous avons grand besoin d'un nouveau mal du sicle.

    *

    Dpouiller la littrature de son fard, en voir le vrai visage, est aussi prilleux que dpossder la

    philosophie de son charabia. Les crations de l'esprit se rduiraient-elles la transfiguration debagatelles? Et n'y aurait-il quelque substance qu'en dehors de l'articul, dans le rictus oulacatalepsie?

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    Un livre qui, aprs avoir tout dmoli, ne se dmolit pas lui-mme, nous aura exasprs en vain.

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    Monades disloques, nous voici la fin des tristesses prudentes et des anomalies prvues : plusd'un signe annonce l'hgmonie du dlire.

    *

    Les sources d'un crivain, ce sont ses hontes; celui qui n'en dcouvre pas en soi, ou s'ydrobe, est vou au plagiat ou la critique.

    *

    Tout Occidental tourment fait penser un hros dostoevskien qui aurait un compte en banque.

    *

    Le bon dramaturge doit possder le sens de l'assassinat; depuis les lisabthains, qui sait encoretuer ses personnages?

    *

    La cellule nerveuse s'est si bien habitue tout, qu'il nous faut dsesprer de concevoir jamaisune insanit qui, pntrant dans les cerveaux, les ferait clater.

    *

    Depuis Benjamin Constant, personne n'a retrouv le ton de la dception.

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    Qui s'est appropri les rudiments de la misanthropie, s'il veut aller plus avant, doit se mettre l'cole de Swift : il y apprendra comment donner son mpris des hommes l'intensit d'une

    nvralgie.

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    Avec Baudelaire, la physiologie est entre dans la posie; avec Nietzsche dans la philosophie. Pareux, les troubles des organes furent levs au chant et au concept. Proscrits de la sant, il leurincombait d'assurer une carrire la maladie.

    *

    Mystre, mot dont nous nous servons pour tromper les autres, pour leur faire croire que noussommes plus profonds qu'eux.

    *

    Si Nietzsche, Proust, Baudelaire ou Rimbaud survivent la fluctuation des modes, ils le doiventau dsintressement de leur cruaut, leur chirurgie dmoniaque, la gnrosit de leur fiel. Ce quifait durer une uvre, ce qui l'empche de dater, c'est sa frocit. Affirmation gratuite? Considrez leprestige de l'vangile, livre agressif, livre venimeux s'il en ft.

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    Le public se prcipite sur les auteurs dits humains ; il sait qu'il n'a rien en craindre : arrtscomme lui mi-chemin, ils lui proposeront un arrangement avec l'Impossible, une vision cohrentedu Chaos.

    *

    Le dbraillement verbal des pornographes mane souvent d'un excs de pudeur, de la honted'taler leur me et surtout de la nommer : il n'est pas de mot plus indcent en aucune langue.

    *

    Qu'une ralit se cache derrire les apparences, cela est, somme toute, possible; que le langagepuisse la rendre, il serait ridicule de l'esprer. Pourquoi s'encombrer alors d'une opinion plutt qued'une autre, reculer devant le banal ou l'inconcevable, devant le devoir de dire et d'crire n'importequoi? Un minimum de sagesse nous obligerait soutenir toutes les thses en mme temps, dans unclectisme du sourire et de la destruction.

    *

    La peur de la strilit conduit l'crivain produire au-del de ses ressources et ajouter auxmensonges vcus tant d'autres qu'il emprunte ou forge. Sous des uvres compltes gt unimposteur.

    *

    Le pessimiste doit s'inventer chaque jour d'autres raisons d'exister : c'est une victime du sens de la vie.

    *

    Macbeth : un stocien du crime, un Marc Aurle avec un poignard.

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    L'Esprit est le grand profiteur des dfaites de la chair. Il s'enrichit ses dpens, la saccage, exulte ses misres; il vit de banditisme. La civilisation doit sa fortune aux exploits d'un brigand.

    *

    Le talent est le moyen le plus sr de fausser tout, de dfigurer les choses et de se tromper sursoi. L'existence vraie appartient ceux-l seuls que la nature n'a accabls d'aucun don. Aussi serait-il malais d'imaginer univers plus faux que l'univers littraire, ou homme plus dnu de ralitquel'homme de lettres.

    *

    Point de salut, sinon dans l'imitation du silence. Mais notre loquacit est prnatale. Race dephraseurs, de spermatozodes verbeux, nous sommes chimiquementlis au Mot.

    *

    La poursuite du signe au dtriment de la chose signifie; le langage considr comme une fin ensoi, comme un concurrent de la ralit ; la manie verbale, chez les philosophes mme; le besoin

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    de se renouveler au niveau des apparences; caractristiques d'une civilisation o la syntaxeprime l'absolu, et le grammairien le sage.

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    Goethe, artiste complet, est notre antipode : un exemple pour autrui. tranger l'inachvement,

    cet idal moderne de la perfection, il se refusait comprendre les dangers des autres; quant auxsiens, il les assimila si bien qu'il n'en souffrit point. Sa claire destine nous dcourage; aprs l'avoirfouille en vain pour y dcouvrir des secrets sublimes ou sordides, nous nous abandonnons au motde Rilke : Je n'ai pas d'organe pour Goethe.

    *

    On ne saurait trop blmer le XIXe sicle d'avoir favoris cette engeance de glossateurs, cesmachines lire, cette malformation de l'esprit qu'incarne le Professeur, symbole du dclin d'unecivilisation , de l'avilissement du got, de la suprmatie du labeur sur le caprice.

    Voir tout de l'extrieur, systmatiser l'ineffable, ne regarder rien en face, faire l'inventaire des

    vues des autres!... Tout commentaire d'une uvre est mauvais ou inutile, car tout ce qui n'est pasdirect est nul.

    Jadis, les professeurs s'acharnaient de prfrence sur la thologie. Du moins avaient-ils l'excused'enseigner l'absolu, de s'tre limits Dieu, alors qu' notre poque, rien n'chappe leurcomptence meurtrire.

    *

    Ce qui nous distingue de nos prdcesseurs, c'est notre sans-gne l'gard du Mystre. Nousl'avons mme dbaptis : ainsi est n l'Absurde...

    *

    Supercherie du style : donner aux tristesses usuelles une tournure insolite, enjoliver des petitsmalheurs, habiller le vide, existerpar le mot, par la phrasologie du soupir et du sarcasme!

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    Il est incroyable que la perspective d'avoir un biographe n'ait fait renoncer personne avoir unevie.

    *

    Assez naf pour me mettre en qute de la Vrit, j'avais fait jadis en pure perte le tour debien des disciplines. Je commenais m'affermir dans le scepticisme, lorsque l'ide me vint deconsulter, ultime recours, la Posie : qui sait? peut-tre me serait-elle profitable, peut-tre cache-t-elle sous son arbitraire quelque rvlation dfinitive. Recours illusoire! elle tait alle plus avantque moi dans la ngation, elle me fit perdre jusqu' mes incertitudes...

    *

    Pour qui a respirla Mort, quelle dsolation que les odeurs du Verbe!

    *

    Les dfaites tant l'ordre du jour, il est naturel que Dieu en bnficie. Grce aux snobs qui leplaignent ou le malmnent, il jouit d'une certaine vogue. Mais combien de temps sera-t-il encoreintressant?

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    Il avait du talent : pourtant plus personne ne s'en occupe. Il est oubli. Ce n'est que justice : iln'a pas su prendre toutes ses prcautions pour tre mal compris.

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    Rien ne dessche tant un esprit que sa rpugnance concevoir des ides obscures.

    *

    Que fait le sage? Il se rsigne voir, manger, etc., il accepte malgr lui cette plaie neufouvertures qu'est le corps selon la Bhagavad-Gta. La sagesse? Subir dignement l'humiliationque nous infligent nos trous.

    *

    Le pote : un malin qui peut se morfondre plaisir, qui s'acharne aux perplexits, qui s'en procurepar tous les moyens. Ensuite, la nave postrit s'apitoie sur lui...

    *

    Presque toutes les oeuvres sont faites avec des clairs d'imitation, avec des frissons appris et desextases pilles.

    *

    Prolixe par essence, la littrature vit de la plthore des vocables, du cancer du mot.

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    L'Europe n'offre pas encore assez de dcombres pour que l'pope y fleurisse. Cependant tout faitprvoir que, jalouse de Troie et prte l'imiter, elle fournira des thmes si importants que le romanet la posie n'y suffiront plus...

    *

    S'il n'avait gard une dernire illusion, je me rclamerais volontiers d'Omar Khayyam, de sestristesses sans rplique; mais il croyaitencore au vin.

    *

    Le meilleur de moi-mme, ce rien de lumire qui m'loigne de tout, je le dois mes raresentretiens avec quelques salauds amers, avec quelques salauds inconsols qui, victimes de la rigueurde leur cynisme, ne pouvaient plus s'attacher aucun vice.

    *

    Avant d'tre une erreur de fond, la vie est une faute de got que la mort ni mme la posie neparviennent corriger.

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    Dans ce grand dortoir , comme un texte taoste appelle l'univers, le cauchemar est le seulmode de lucidit.

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    Ne vous exercez pas aux Lettres si, avec une me obscure, vous tes hants par la clart. Vous ne

    laisserez aprs vous que des soupirs intelligibles, pauvres bribes de votre refus d'tre vous-mme.

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    Dans les tourments de l'intellect, il y a une tenue qu'on chercherait vainement dans ceux du coeur.Le scepticisme est l'lgance de l'anxit.

    *

    tre moderne, c'est bricoler dans l'Incurable.

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    Tragi-comdie du disciple : j'ai rduit ma pense en poussire, pour enchrir sur les moralistesqui ne m'avaient appris qu' l'mietter...

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    L'escroc du Gouffre

    Chaque pense devrait rappeler la ruine d'un sourire.

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    Avec force prcautions, je rde autour des profondeurs, leur soutire quelques vertiges et medbine, comme un escroc du Gouffre.

    *

    Tout penseur, au dbut de sa carrire, opte malgr lui pour la dialectique ou pour les saulespleureurs.

    *

    Bien avant que physique et psychologie fussent nes, la douleur dsintgrait la matire, et lechagrin, l'me.

    *

    Cette espce de malaise lorsqu'on essaie d'imaginer la vie quotidienne des grands esprits... Versdeux heures de l'aprs-midi, que pouvait bien faire Socrate?

    *Si nous croyons avec tant d'ingnuit aux ides, c'est que nous oublions qu'elles ont t conues

    par des mammifres.

    *

    Une posie digne de ce nom commence par l'exprience de la fatalit. Il n'y a que les mauvaispotes qui soient libres.

    *

    Dans l'difice de la pense, je n'ai trouv aucune catgorie sur laquelle reposer mon front. Enrevanche, quel oreiller que le Chaos!

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    Pour punir les autres d'tre plus heureux que nous, nous leur inoculons faute de mieux nosangoisses. Car nos douleurs, hlas! ne sont pas contagieuses.

    *

    Rien n'tanche ma soif de doutes : que n'ai-je le bton de Mose pour en faire jaillir du roc mme!

    *

    En dehors de la dilatation du moi, fruit de la paralysie gnrale, nul remde aux crisesd'anantissement, l'asphyxie dans le rien, l'horreur de n'tre qu'une me dans un crachat.

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    Si de la tristesse j'ai peine tir quelques ides, c'est que je l'ai trop aime pour permettre l'esprit de l'appauvrir en s'y exerant.

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    Une vogue philosophique s'impose comme une vogue gastronomique : on ne rfute pas plus uneide qu'une sauce.

    *

    Tout aspect de la pense a son moment, sa frivolit : ainsi de nos jours, l'ide de Nant...Combien semblent rvolus la Matire, l'nergie, l'Esprit! Par bonheur, le lexique est riche : chaquegnration peut y puiser et en tirer un vocable, aussi important que les autres inutilement dfunts.

    *

    Nous sommes tous des farceurs : nous survivons nos problmes.

    *

    Du temps o le Diable florissait, les paniques, les effrois, les troubles taient des mauxbnficiant d'une protection surnaturelle : on savait qui les provoquait, qui prsidait leurpanouissement; abandonns maintenant eux-mmes, ils tournent en drames intrieurs oudgnrent en psychoses , en pathologie scularise.

    *

    En nous obligeant sourire tour tour aux ides de ceux que nous sollicitons, la Misre dgradenotre scepticisme en gagne-pain.

    *

    La plante est lgrement atteinte; l'animal s'ingnie se dtraquer; chez l'homme s'exasprel'anomalie de tout ce qui respire.

    La Vie! combinaison de chimie et de stupeur... Allons-nous nous rfugier dans l'quilibre duminral? enjamber reculons le rgne qui nous en spare, et imiter la pierre normale?

    *

    D'aussi loin qu'il me souvienne, je n'ai fait que dtruire en moi la fiert d'tre homme. Et jedambule la priphrie de l'Espce comme un monstre timor, sans assez d'envergure pour merclamer d'une autre bande de singes.

    *

    L'Ennui nivelle les nigmes; c'est une rveriepositiviste...

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    Il est une angoisse infuse qui nous tient lieu et de science et d'intuition.

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    Si loin s'tend la mort, tant elle prend de place, que je ne sais plus o mourir.

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    Devoir de la lucidit : arriver un dsespoir correct, une frocit olympienne.

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    Le bonheur est tellement rare parce qu'on n'y accde qu'aprs la vieillesse, dans la snilit, faveur dvolue bien peu de mortels.

    *

    Nos flottements portent la marque de notre probit; nos assurances, celle de notre imposture. Lamalhonntet d'un penseur se reconnat la somme d'idesprcises qu'il avance.

    *

    Je me suis enfonc dans l'Absolu en fat; j'en suis sorti en troglodyte.

    *

    Le cynisme de l'extrme solitude est un calvaire qu'attnue l'insolence.

    *

    La mort pose un problme qui se substitue tous les autres. Quoi de plus funeste la philosophie,

    la croyance nave en la hirarchie des perplexits?

    *

    Dans cet univers provisoire, nos axiomes n'ont qu'une valeur defaits divers.

    *

    L'Angoisse tait dj un produit courant au temps des cavernes. On se figure le sourire de l'homme de Nanderthal , s'il et prvu que des philosophes viendraient un jour en rclamer lapaternit.

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    Le tort de la philosophie est d'tre trop supportable.

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    Les abouliques, laissant les ides telles quelles, devraient seuls y avoir accs. Quand les affairss'en emparent, la douce pagaille quotidienne s'organise en tragdie.

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    L'avantage qu'il y a se pencher sur la vie et la mort, c'est de pouvoir en dire n'importe quoi.

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    Le sceptique voudrait bien souffrir, comme le reste des hommes, pour les chimres qui font vivre.Il n'y parvient pas : c'est un martyr du bon sens.

    *

    Objection contre la science : ce monde ne mrite pas d'tre connu.

    *

    Comment peut-on tre philosophe? Comment avoir le front de s'attaquer au temps, la beaut, Dieu, et au reste? L'esprit s'enfle et sautille sans vergogne. Mtaphysique, posie, impertinencesd'un pou...

    *

    Stocisme de parade : tre un passionn du Nil admirari , un hystrique de l'ataraxie.

    *

    Si je puis lutter contre un accs de dpression, au nom de quelle vitalit m'acharner contre uneobsession qui m'appartient, qui me prcde? Que je me porte bien, j'emprunte le chemin qui meplat; atteint ce n'est plus moi qui dcide : c'est mon mal. Pour les obsds point d'option : leurobsession a dj opt pour eux, avant eux. On se choisit quand on dispose de virtualitsindiffrentes; mais la nettet d'un mal devance la diversit des routes ouvertes au choix.Sedemander si on est libre ou non, vtille aux yeux d'un esprit qu'entranent les calories de sesdlires. Pour lui, prner la libert, c'est faire montre d'une sant dshonorante.

    La libert? Sophisme des bien portants.

    *

    Non content des souffrances relles, l'anxieux s'en impose d'imaginaires; c'est un tre pour quil'irralit existe, doit exister; sans quoi o puiserait-il la ration de tourments qu'exige sa nature?

    *

    Pourquoi ne me comparerais-je pas aux plus grands saints? Ai-je dpens moins de folie poursauvegarder mes contradictions qu'ils n'en dpensrent pour surmonter les leurs?

    *

    Quand l'Ide se cherchait un refuge, elle devait tre vermoulue, puisqu'elle n'a trouv

    quel'hospitalit du cerveau.

    *

    Technique que nous pratiquons nos dpens, la psychanalyse dgrade nos risques, nos dangers,nos gouffres; elle nous dpouille de nos impurets, de tout ce qui nous rendait curieux de nous-

    mmes.

    *

    Qu'il y ait ou non une solution aux problmes, cela ne trouble qu'une minorit; que les sentimentsn'aient point d'issue, ne dbouchent sur rien, se perdent en eux-mmes, voil le drame inconscient

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    C'est porter atteinte une ide que de l'approfondir : c'est lui ter le charme, voire la vie...

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    Avec un peu plus de chaleur dans le nihilisme, il me serait possible en niant tout de secouermes doutes et d'en triompher. Mais je n'ai que le got de la ngation, je n'en ai pas la grce.

    *

    Avoir prouv la fascination des extrmes, et s'tre arrt quelque part entre le dilettantisme et ladynamite!

    *

    C'est l'Intolrable, et non point l'volution, qui devrait tre le dada de la biologie.

    *

    Ma cosmogonie ajoute au chaos primordial une infinit de points suspensifs.

    *

    Avec chaque ide qui nat en nous, quelque chose en nous pourrit.

    *

    Tout problme profane un mystre; son tour, le problme est profan par sa solution.

    *

    Le pathtique trahit une profondeur de mauvais got; de mme cette volupt de la sdition o secomplurent un Luther, un Rousseau, un Beethoven, un Nietzsche. Les grands accents, plbianisme des solitaires...

    *

    Ce besoins de remords qui prcde le Mal, que dis-je! qui le cre...

    *

    Supporterais-je une seule journe, sans cette charit de ma folie qui me promet le Jugementdernier pour le lendemain?

    *

    Nous souffrons : le monde extrieur commence exister...; nous souffrons trop : il s'vanouit. Ladouleur ne le suscite que pour en dmasquer l'irralit.

    *

    La pense qui s'affranchit de tout parti pris se dsagrge, et imite l'incohrence et l'parpillementdes choses qu'elle veut saisir. Avec des ides fluides , on s'tendsur la ralit, on l'pouse; on nel'explique pas. Ainsi, on paye cher le systme dont on n'a pas voulu.

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    Le Rel me donne de l'asthme.

    Syllogismes de l'amertume

    *

    *

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    Il nous rpugne de mener jusqu'au bout une pense dprimante, ft-elle inattaquable; nous luirsistons au moment o elle affecte nos entrailles, o elle devient malaise, vrit et dsastre de lachair. Je n'ai jamais lu un sermon de Bouddha ou une page de Schopenhauer sans broyer durose...

    *

    On rencontre la Subtilit :

    chez les thologiens. Ne pouvant prouver ce qu'ils avancent, ils sont tenus de pratiquer tant de

    distinctions qu'elles garent l'esprit : ce qu'ils veulent. Quelle virtuosit ne faut-il pas pour classerles anges par dizaines d'espces! N'insistons pas sur Dieu : son infini , en les usant, a fait tomberen dliquescence nombre de cerveaux;

    chez les oisifs, chez les mondains, chez les races nonchalantes, chez tous ceux qui se nourrissentde mots. La conversation mre de la subtilit... Pour y avoir t insensibles, les Allemands sesont engloutis dans la mtaphysique. Mais les peuples bavards, les Grecs anciens et les Franais,rompus aux grces de l'esprit, ont excell dans la technique des riens;

    chez les perscuts. Astreints au mensonge, la ruse, la resquille, ils mnent une vie double etfausse : l'insincrit par besoin excite l'intelligence. Srs d'eux, les Anglais sont endormants :ils payent ainsi les sicles de libert o ils purent vivre sans recourir l'astuce, au sourire sournois,aux expdients. On comprend pourquoi, l'antipode, les Juifs ont le privilge d'tre le peuple le plusveill;

    chez les femmes. Condamnes la pudeur, elles doivent camoufler leurs dsirs, et mentir : lemensonge est une forme de talent, alors que le respect de la vrit va de pair avec la grossiretet la lourdeur;

    chez les tars qui ne sont pas interns..., chez ceux dont rverait un code pnal idal.

    *

    Jeune encore, on s'essaie la philosophie, moins pour y chercher une vision qu'un stimulant; ons'acharne sur les ides, on devine le dlire qui les a produites, on rve de l'imiter et de l'exagrer.L'adolescence se complat la jonglerie des altitudes; dans un penseur, elle aime le saltimbanque;dans Nietzsche, nous aimions Zarathoustra, ses poses, sa clownerie mystique, vraie foire descimes...

    Son idoltrie de la force relve moins d'un snobisme volutionniste que d'une tension intrieurequ'il a projet au-dehors, d'une ivresse qui interprte le devenir, et l'accepte. Une image fausse de lavie et de l'histoire devait en rsulter. Mais il fallait passer par l, par l'orgie philosophique, par leculte de la vitalit. Ceux qui s'y sont refuss ne connatront jamais le retombement, l'antipode et les

    grimaces de ce culte; ils resteront ferms aux sources de la dception.Nous avions cru avec Nietzsche la prennit des transes; grce la maturit de notre cynisme,nous sommes alls plus loin que lui. L'ide de surhomme ne nous parat plus qu'une lucubration;elle nous semblait aussi exacte qu'une donne d'exprience. Ainsi l'enchanteur de notre jeunesses'efface. Mais qui de lui s'il futplusieurs demeure encore? C'est l'expert en dchances, lepsychologue, psychologue agressif, point seulement observateur comme les moralistes. Il scrute en

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    Syllogismes de l'amertume

    ennemi et il se cre des ennemis. Mais ses ennemis il les tire de soi, comme les vices qu'il dnonce.S'acharne-t-il contre les faibles? il fait de l'introspection; et quand il attaque la dcadence, il dcritson tat. Toutes ses haines se portent indirectement contre lui-mme. Ses dfaillances, il les

    proclame et les rige en idal; s'il s'excre, le christianisme ou le socialisme en ptit. Son diagnosticdu nihilisme est irrfutable : c'est qu'il est lui-mme nihiliste, et qu'il l'avoue. Pamphltaireamoureux de ses adversaires, il n'aurait pu se supporter s'il n'avait combattu avec soi, contre soi, s'il

    n'avait plac ses misres ailleurs, dans les autres : il s'est veng sur eux de ce qu'il tait. Ayantpratiqu la psychologie en hros, il propose, aux passionns d'Inextricable, une diversit d'impasses.Nous mesurons sa fcondit aux possibilits qu'il nous offre de le renier continuellement sans

    l'puiser. Esprit nomade, il s'entend varier ses dsquilibres. Sur toutes choses, il a soutenu le pouret le contre : c'est l le procd de ceux qui s'adonnent la spculation faute de pouvoir crire destragdies, de s'parpiller en de multiples destins. Toujours est-il qu'en talant ses hystries,Nietzsche nous a dbarrasss de la pudeur des ntres; ses misrent nous furent salutaires. Il a ouvertl'ge des complexes .

    *

    Le philosophe gnreux oublie ses dpens que d'un systme seules survivent les vritsnuisibles.

    *

    A l'ge o, par inexprience, on prend got la philosophie, je dcidai de faire une thse commetout le monde. Quel sujet choisir? J'en voulais un la fois rebattu et insolite. Lorsque je crus l'avoirtrouv, je me htai de le communiquer mon matre.

    Que penseriez-vous d'une Thorie gnrale des larmes? Je me sens de taille y travailler. C'est possible, me dit-il, mais vous aurez fort faire pour trouver une bibliographie. Qu' cela ne tienne. L'Histoire tout entire m'appuiera de son autorit, lui rpondis-je d'un

    ton d'impertinence et de triomphe.Mais comme, impatient, il me jetait un regard de ddain, je rsolus sur le coup de tuer en moi le

    disciple.

    *

    En d'autres temps, le philosophe qui n'crivait pas mais rflchissait n'encourait pas le mpris;depuis que l'on se prosterne devant l'efficace, l'oeuvre est devenue l'absolu du vulgaire; ceux quin'en produisent pas sont considrs comme rats Mais ces rats eussent t les sages d'unautre temps; ils rachteront le ntre pour n'y avoir pas laiss de trace.

    *

    Vient l'heure o le sceptique, aprs avoir mis tout en question, n'a plus de quoi douter; et c'estalors qu'il suspend pour de bon son jugement. Que lui reste-t-il? S'amuser ou s'engourdir, lafrivolit ou l'animalit.

    *

    Plus d'une fois il m'est advenu d'entrevoir l'automne du cerveau, le dnouement de la conscience,

    la dernire scne de la raison, puis une lumire qui me glaait le sang!

    *

    Vers une sagesse vgtale : j'abjurerais toutes mes terreurs pour le sourire d'un arbre...

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    Syllogismes de l'amertume

    Temps et anmie

    Qu'elle m'est proche cette vieille folle qui courait aprs le temps, qui voulait rattraper un

    morceau de temps!

    *

    Il existe un rapport entre la dficience de notre sang et notre dpaysement dans la dure : tant deglobules blancs, tant d'instants vides... Nos tats conscients ne procdent-ils-pas de la dcolorationde nos dsirs?

    *

    Surpris en plein midi par la frayeur dlicieuse du vertige, quoi l'attribuer? au sang, l'azur? ou l'anmie, situe mi-chemin entre les deux?

    *

    La pleur nous montre jusqu'o le corps peut comprendre l'me.

    *

    Avec tes veines charges de nuits, tu n'as pas plus ta place parmi les hommes qu'une pitaphe aumilieu d'un cirque.

    *

    Au plus fort de l'Incuriosit, on pense une bonne crise d'pilepsie comme une terre promise.

    *

    On se ruine d'autant plus une passion que l'objet en est plus diffus; la mienne fut l'Ennui : j'aisuccomb son imprcision.

    *

    Le temps m'est interdit. Ne pouvant en suivre la cadence, je m'y accroche ou le contemple, maisn'y suis jamais : il n'est pas mon lment. Et c'est en vain que j'espre un peu du temps de tout lemonde!

    *

    La leucmie est le jardin o fleurit Dieu.

    *

    Si la foi, la politique ou la bestialit entament le dsespoir, tout laisse intacte la mlancolie : ellene saurait cesser qu'avec notre sang.

    *

    L'ennui est une angoisse larvaire; le cafard, une haine rveuse.

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    Syllogismes de l'amertume

    *

    Nos tristesses prolongent le mystre qu'bauche le sourire des momies.

    *

    Utopie noire, l'anxit seule nous fournit desprcisions sur l'avenir.

    *

    Vomir? prier? L'Ennui nous fait monter vers un ciel de Crucifixion qui nous laisse dans labouche un arrire-got de saccharine.

    *

    J'ai longtemps cru aux vertus mtaphysiques de la Fatigue : il est vrai qu'elle nous plonge

    jusqu'aux racines du Temps; mais qu'en rapportons-nous? Quelques fadaises sur l'ternit.

    *

    Je suis comme une marionnette casse dont les yeux seraient tombs l'intrieur. Ce propos d'un malade mental pse plus lourd que l'ensemble des uvres d'introspection.

    *

    Quand tout s'affadit autour de nous, quel tonique que la curiosit de savoir comment nousperdrons la raison!

    *

    S'il nous tait loisible de quitter notre gr le nant de l'apathie, pour le dynamisme du remords!

    *

    Auprs de l'ennui qui m'attend, celui qui m'habite me parat si agrablement insupportable que jetremble d'en puiser la terreur.

    *

    Dans un monde sans mlancolie, les rossignols se mettraient roter.

    *

    Quelqu'un emploie-t-il tout propos le mot vie ? sachez que c'est un malade.

    *

    L'intrt que nous portons au Temps mane d'un snobisme de l'Irrparable.

    *

    Pour s'initier la tristesse, l'artisanat du Vague, certains mettent une seconde, d'autres une vie.

    *

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    Syllogismes de l'amertume

    Maintes fois je me suis retir dans cette chambre de dbarras qu'est le Ciel, maintes fois j'ai cderau besoin d'touffer en Dieu!

    *

    Je ne suis moi-mme qu'au-dessus ou au-dessous de moi, dans la rage ou l'abattement; monniveau habituel, j'ignore que j'existe.

    *

    Il n'est pas ais d'acqurir une nvrose; qui y russit dispose d'une fortune que tout fait prosprer :les succs comme les dfaites.

    *

    Nous ne pouvons agir qu'en fonction d'une dure limite : une journe, une semaine, un mois, un

    an, dix ans ou une vie. Que si, par malheur, nous rapportons nos actes au Temps, temps et actess'vaporent : et c'est l'aventure dans le rien, la gense du Non.

    *

    Tt ou tard, chaque dsir doit rencontrer sa lassitude : sa vrit...

    *

    Conscience du temps : attentat au temps...

    *

    Grce la mlancolie cet alpinisme des paresseux nous escaladons de notre lit tous lessommets et rvons au-dessus de tous les prcipices.

    *

    S'ennuyer c'est chiquer du temps.

    *

    Le fauteuil, ce grand responsable, ce promoteur de notre me .

    *

    Je prends une rsolution debout; je m'allonge et l'annule.

    *

    On s'accommoderait aisment des chagrins si la raison ou le foie n'y succombait.

    *

    J'ai cherch en moi mon propre modle. Pour ce qui est de l'imiter, je m'en suis remis ladialectique de l'indolence. Il est tellement plus agrable de ne pas se russir.

    *

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    Syllogismes de l'amertume

    Avoir ddi l'ide de mort toutes les heures qu'un mtier aurait rclames... Les dbordementsmtaphysiques sont le propre des moines, des dbauchs et des clochards. Un emploi et fait deBouddha mme un simple mcontent.

    *

    Obligez les hommes s'allonger pendant des jours et des jours : les canaps russiraient o lesguerres et les slogans ont chou. Car les oprations de l'Ennui dpassent, en efficacit, celles desarmes et des idologies.

    *

    Nos dgots? Dtours du dgot de nous-mmes.

    *

    Quand je surprends en moi un mouvement de rvolte, j'avale un somnifre ou consulte unpsychiatre. Tous les moyens sont bons pour celui qui poursuit l'Indiffrence sans y tre prdispos.

    *

    Prmisse des fainants, de ces mtaphysiciens ns, le Vide est la certitude que dcouvrent, aubout de leur carrire, et comme rcompense leurs dceptions, les braves gens et les philosophes demtier.

    *

    A mesure que nous liquidons nos hontes, nous jetons nos masques. Le jour arrive o notre jeus'arrte : plus de hontes, plus de masques. Et plus depublic. Nous avons trop prsum de nossecrets, de la vitalit de nos misres.

    *

    J'ai journellement des aparts avec mon squelette, et cela, jamais ma chair ne me le pardonnera.

    *

    Ce qui perd la joie, c'est son manque de rigueur; contemplez, d'autre part, la logique du fiel...

    *

    Si une seule fois tu fus triste sans motif, tu l'as t toute ta vie sans le savoir.

    *

    Je vadrouille travers les jours comme une putain dans un monde sans trottoirs.

    *

    On ne lie partie avec la vie que lorsqu'on dit de tout cur une banalit.

    *

    Entre l'Ennui et l'Extase se droule toute notre exprience du temps.

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    Syllogismes de l'amertume

    Le Dsespoir est le toupet du malheur, une forme de provocation, une philosophie pour poquesindiscrtes.

    *

    On ne redoute plus le lendemain, lorsqu'on apprend puiser pleines mains dans le Vide.L'ennui opre des prodiges : il convertit la vacuit en substance, il est lui-mme vide nourricier.

    *

    Plus je vieillis, moins je me plais faire mon petit Hamlet. Dj je ne sais plus, l'gard de lamort, quel tourment prouver...

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    Syllogismes de l'amertume

    Occident

    Orgueil moderne : j'ai perdu l'amiti d'un homme que j'estimais, pour m'tre acharn lui rpter

    que j'tais plus dgnr que lui...

    *

    C'est en vain que l'Occident se cherche une forme d'agonie digne de son pass.

    *

    Don Quichotte reprsente la jeunesse d'une civilisation : il s'inventaitdes vnements; nous nesavons comment chapper ceux qui nous pressent.

    *

    L'Orient s'est pench sur les fleurs et le renoncement. Nous lui opposons les machines et l'effort,et cette mlancolie galopante, dernier sursaut de l'Occident.

    *

    Quelle tristesse de voir des grandes nations mendier un supplment d'avenir!

    *

    Notre poque sera marque par le romantisme des apatrides. Dj se forme l'image d'un universo plus personne n'aura droit de cit.

    Dans tout citoyen d'aujourd'hui gt un mtque futur.

    *

    Mille ans de guerre consolidrent l'Occident; un sicle de psychologie l'a rduit aux abois.

    *

    Par les sectes, la foule participe l'Absolu et un peuple manifeste sa vitalit. Ce furent elles quiprparrent, en Russie, la Rvolution et le dluge slave.Depuis que le catholicisme prsente une belle rigueur, la sclrose le gagne; sa carrire n'est pas

    finie pour autant : il lui reste porter le deuil de la latinit.

    *

    Notre mal tant le mal de l'histoire, de l'clipse de l'histoire, force nous est de renchrir sur le motde Valry, d'en aggraver la porte : nous savons maintenant que la civilisation est mortelle, quenous galopons vers des horizons d'apoplexie, vers les miracles du pire, vers l'ge d'or de l'effroi.

    *

    Par l'intensit de ses conflits, le XVIe sicle nous est plus proche qu'aucun autre; mais je ne voispas de Luther, de Calvin en notre temps. Compars ces gants, et leurs contemporains, noussommes des pygmes promus, par la fatalit du savoir, un destin monumental. Si l'allure nous

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    Syllogismes de l'amertume

    fait dfaut, nous marquons toutefois un point sur eux : dans leurs tribulations, ils avaient le recours,la lchet de se compter parmi les lus. La Prdestination, seule ide chrtienne encore tentante,gardait pour eux sa double face. Pour nous, il n'y a plus d'lus.

    *

    coutez les Allemands et les Espagnols s'expliquer : ils feront rsonner vos oreilles toujours lamme rengaine : tragique, tragique... C'est leur manire de vous faire comprendre leurs calamits ouleurs stagnations, leur faon d'aboutir...

    Tournez-vous vers les Balkans; vous entendrez tout propos : destin, destin... Par quoi despeuples, trop prs de leurs origines, camouflent leurs tristesses inoprantes. C'est la discrtion destroglodytes.

    *

    Au contact des Franais, on apprend tre malheureux gentiment.

    *

    Les peuples qui n'ont pas le got des balivernes, de la frivolit et de l'-peu-prs, qui viventdansleurs exagrations verbales, sont une catastrophe pour les autres et pour eux-mmes. Ilss'appesantissent sur des riens, mettant du srieux dans l'accessoire et du tragique dans le menu.Qu'ils s'encombrent encore d'une passion pour la fidlit et d'une dtestable rpugnance trahir, onne peut plus rien esprer d'eux, sinon leur ruine. Pour corriger leurs mrites, pour remdier leurprofondeur, il faut les convertir au Midi et leur inoculer le virus de la farce.

    Si Napolon avait occup l'Allemagne avec des Marseillais, la face du monde et t tout autre.

    *

    Pourra-t-on mridionaliser les peuples graves? L'avenir de l'Europe est suspendu cette question.Si les Allemands se remettent travailler comme nagure, l'Occident est perdu; de mme si lesRusses ne retrouvent pas leur vieille amour de la paresse. Il faudrait dvelopper chez les uns et lesautres le got du farniente, de l'apathie et de la sieste, leur faire miroiter les dlices del'avachissement et de la versatilit.

    ... A moins de nous rsigner aux solutions que la Prusse, ou la Sibrie, infligerait notredilettantisme.

    *

    Point d'volution ni d'lan qui ne soient destructeurs, du moins leurs moments d'intensit.Le devenir d'Hraclite brave les temps; celui de Bergson rejoint les tentatives ingnues et les

    vieilleries philosophiques.

    *

    Heureux ces moines qui, vers la fin du Moyen Age, couraient de ville en ville annoncer la fin dumonde! Leurs prophties tardaient-elles s'accomplir? Qu'importe! Ils pouvaient se dchaner,donner libre carrire leurs effarements, s'en dcharger sur les foules; thrapeutique illusoiredans un ge comme le ntre o la panique, entre dans les murs, a perdu ses vertus.

    *

    Pour manier les hommes, il faut pratiquer leurs vices et en rajouter. Voyez les papes : tant qu'ilsforniquaient, s'adonnaient l'inceste et assassinaient, ils dominaient le sicle; et l'glise tait toutepuissante. Depuis qu'ils en respectent les prceptes, ils ne font que dchoir ; l'abstinence, comme la

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    Syllogismes de l'amertume

    II. France, Angleterre, Allemagne; Italie peut-tre. Le reste... Par quel accident s'arrte unecivilisation? Pourquoi la peinture hollandaise ou la mystique espagnole ne fleurirent-elles qu'uninstant? Tant de peuples qui survcurent leur gnie! Aussi leur dclassement est-il tragique; maiscelui de la France, de l'Allemagne et de l'Angleterre tient d'un irrparable interne, de l'achvementd'un processus, d'un devoir men bien; il est naturel, explicable, mrit. Pouvait-il en treautrement? Ces pays ont prospr et se sont ruins ensemble, par esprit de concurrence, de

    fraternit, et de haine; cependant, sur le reste du globe, la pgre frache emmagasinait des nergies,se multipliait et attendait.Des tribus aux instincts imprieux s'agglutinent pour former une grande puissance; vientle

    moment o, rsignes et branlantes, elles soupirent aprs un rle subalterne. Quand on n'envahitplus, on consent tre envahi. Le drame d'Annibal fut de natre trop tt; quelques sicles plus tard,il et trouv les portes de Rome ouvertes. L'Empire tait vacant, comme l'Europe de nos jours.

    III. Nous avons tous got au mal de l'Occident. L'art, l'amour, la religion, la guerre, nousen savons trop pour y croire encore; et puis, tant de sicles s'y usrent... L'poque dufini dans laplnitude est rvolue; la matire des pomes? Extnue. Aimer? la racaille mme rpudie le sentiment . La pit? Fouillez les cathdrales : ne s'y agenouille plus que l'ineptie. Qui veut

    encore combattre? Le hros est prim; seul le carnage impersonnel a cours. Nous sommes desfantoches clairvoyants, tout juste propres faire des simagres devant l'irrmdiable.

    L'Occident? Unpossible sans lendemain.IV. Ne pouvant dfendre nos astuces contre les muscles, nous allons tre de moins en moins

    utilisables a quelque fin que ce soit : le premier venu nous ligotera. Contemplez l'Occident : ildborde de savoir, de dshonneur et de flemme. A ceci devaient aboutir les croiss, les chevaliers,les pirates, la stupeur d'une mission accomplie.

    Lorsque Rome repliait ses lgions, elle ignorait l'Histoire, et les leons des crpuscules. Tel n'estpoint notre cas. Quel sombre Messie va s'abattre sur nous!

    *

    Quiconque, par distraction ou incomptence, arrte tant soit peu l'humanit dans sa marche, enest le bienfaiteur.

    *

    Le catholicisme n'a cre l'Espagne que pour mieux l'touffer. C'est un pays o l'on voyage pouradmirer l'glise, et pour deviner le plaisir qu'il peut y avoir assassiner un cur.

    *

    L'Occident fait des progrs, il arbore timidement son gtisme, et dj j'envie moins ceux qui,ayant vu Rome sombrer, croyaient jouir d'une dsolation unique, intransmissible.

    *

    Les vrits de l'humanisme, la confiance en l'homme et le reste, n'ont encore qu'une vigueur defictions, qu'une prosprit d'ombres. L'Occident taitces vrits; il n'est plus que ces fictions, queces ombres. Aussi dmuni qu'elles, il ne lui est pas donn de les vrifier. Il les trane, les expose,mais ne les impose plus; elles ont cess d'tre menaantes. Aussi, ceux qui s'accrochent l'humanisme se servent-ils d'un vocable extnu, sans support affectif, d'un vocable spectral.

    *

    Aprs tout, ce continent n'a peut-tre pas jou sa dernire carte. S'il se mettait dmoraliser lereste du monde, y rpandre ses relents? Ce serait pour lui une manire de conserver encore sonprestige et d'exercer son rayonnement.

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    *

    Dans l'avenir, si l'humanit doit se recommencer, elle le fera avec ses dchets, avec les mongolsde partout, avec la lie des continents; une civilisation caricaturale se dessinera, laquelle ceux quiproduisirent la vritable assisteront impuissants, honteux, prostrs, pour, en dernier lieu, se rfugierdans l'idiotie o ils oublieront l'clat de leurs dsastres.

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    Le cirque de la solitude

    I

    Nul ne peut veiller sur sa solitude s'il ne sait se rendre odieux.

    *

    Je ne vis que parce qu'il est en mon pouvoir de mourir quand bon me semblera : sans l'ide dusuicide, je me serais tu depuis toujours.

    *

    Le scepticisme qui ne contribue pas la ruine de notre sant n'est qu'un exercice intellectuel.*

    Nourrir dans le dnuement une hargne de tyran, touffer sous une cruaut rentre, se har, fautede subalternes massacrer, d'empire pouvanter, tre un Tibre pauvre...

    *

    Ce qui irrite dans le dsespoir, c'est son bien-fond, son vidence, sa documentation : c'est dureportage. Examinez, au contraire, l'espoir, sa gnrosit dans le faux, sa manire d'affabuler, son

    refus de l'vnement : une aberration, une fiction. Et c'est dans cette aberration que rside la vie, etde cette fiction qu'elle s'alimente.

    *

    Csar? Don Quichotte? Lequel des deux, dans ma prsomption, voulais-je prendre

    commemodle? Il n'importe. Le fait est qu'un jour, d'une contre lointaine, je partis la conqute dumonde, de toutes les perplexits du monde...

    *

    Lorsque d'une mansarde je considre la cit, il me semble tout aussi honorable d'y tre sacristainque souteneur.

    *

    S'il me fallait renoncer mon dilettantisme, c'est dans le hurlement que je me spcialiserais.

    *

    On cesse d'tre jeune au moment o l'on ne choisit plus ses ennemis, o l'on se contente de ceuxqu'on a sous la main.

    *

    Toutes nos rancunes viennent de ce que, rests au-dessous de nous-mmes, nous n'avons pu nousrejoindre. Cela nous ne le pardonnerons jamais aux autres.

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    Syllogismes de l'amertume

    *

    A la drive dans le Vague, je m'accroche au moindre chagrin comme une planche de salut.

    *

    Voulez-vous multiplier les dsquilibrs, aggraver les troubles mentaux, construire des maisonsd'alins dans tous les coins de la ville?Interdisez lejuron.Vous comprendrez alors ses vertus libratrices, sa fonction thrapeutique, la supriorit de sa

    mthode sur celle de la psychanalyse, des gymnastiques orientales ou de l'glise, vous comprendrezsurtout que c'est grce ses merveilles, son assistance de chaque instant que la plupart de nousdoivent de n'tre ni criminels ni fous.

    *

    Nous naissons avec une telle capacit d'admirer que dix autres plantes ne sauraient l'puiser;

    la terre y russit d'office.

    *

    Se lever en thaumaturge rsolu peupler sa journe de miracles, et puis retomber sur son lit pourremcher jusqu'au soir des ennuis d'amour et d'argent...

    *

    J'ai perdu au contact des hommes toute la fracheur de mes nvroses.

    *

    Rien ne trahit tant le vulgaire que son refus d'tre du.

    *

    Quand je n'ai pas un sou en poche, je m'efforce d'imaginer le ciel de la lumire sonore quiconstitue, selon le bouddhisme japonais, une des tapes que le sage doit franchir pour surmonter lemonde, et peut-tre l'argent, ajouterai-je.

    *

    De toutes les calomnies la pire est celle qui vise notre paresse, qui en conteste l'authenticit.

    *

    Dans mon enfance, nous nous amusions, mes camarades et moi, regarder les fossoyeurs autravail. Parfois il nous passait un crne avec lequel nous jouions au football. C'tait pour nous une

    joie que nulle pense funbre ne venait ternir.Pendant bien des annes, j'ai vcu dans un milieu de curs ayant leur actif mille et mille

    extrme-onctions; pourtant, je n'en ai connu aucun qui ft intrigu par la Mort. Plus tard je devais

    comprendre que le seul cadavre dont nous puissions tirer quelque profit est celui qui seprpare ennous.

    *

    Sans Dieu tout est nant; et Dieu? Nant suprme.

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    Syllogismes de l'amertume

    II

    Le dsir de mourir fut mon seul et unique souci; je lui ai tout sacrifi, mme la mort.

    *

    Pour peu qu'un animal se dtraque, il commence ressembler l'homme. Regardez un chienfurieux ou aboulique : on dirait qu'il attend son romancier ou son pote.

    *

    Toute exprience profonde se formule en termes de physiologie.

    *

    D'un caractre, la flatterie fait une marionnette, et, un instant, sous sa douceur, les yeux les plus

    vifs prennent une expression bovine. S'insinuant plus loin que la maladie, et altrant, en galemesure, les glandes, les entrailles et l'esprit, elle est la seule arme dont nous disposions pour asservirnos semblables, les dmoraliser et les corrompre.

    *

    Dans le pessimiste se concertent une bont inefficace et une mchancet inassouvie.

    *

    J'ai expdi Dieu par besoin de recueillement, je me suis dbarrass d'un dernierfcheux.

    *

    Plus les malheurs nous entourent, plus ils nous rendent futiles : notre dmarche mme en estchange. Ils nous invitent parader, ils touffent notre personne pour veiller en nous le

    personnage.

    *

    ... N'et t l'impertinence de me croire l'tre le plus malheureux de la terre, il y a longtemps que

    je me serais effondr.

    *

    C'est une grande injure l'homme de penser que, pour se dtruire, il aurait besoin d'un adjuvant,d'un destin... N'a-t-il pas dj dpens le plus clair de soi-mme liquider sa propre lgende? Dansce refus de durer, dans cette horreur de soi, rside son excuse ou, comme on disait autrefois, sagrandeur.

    *

    Pourquoi nous retirer et abandonner la partie, quand il nous reste tant d'tres dcevoir?

    *

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    Syllogismes de l'amertume

    Les passions, les accs de foi, les intolrances, quand j'y suis sujet, je descendrais volontiers dansla rue me battre et mourir, en partisan du Vague, en forcen du Peut-tre...

    *

    Tu as rv d'incendier l'univers, et tu n'as pas mme russi communiquer ta flamme aux mots,

    en allumer un seul!

    *

    Mon dogmatisme s'tant coul en jurons, que puis-je faire d'autre qu'tre sceptique?

    *

    Au beau milieu d'tudes srieuses, je dcouvris que j'allais mourir un jour...; ma modestie en futbranle. Convaincu qu'il ne me restait plus rien apprendre, j'abandonnai mes tudes pour mettrele monde au courant d'une si remarquable dcouverte.

    *

    Esprit positif qui a mal tourn, le Dmolisseur croit, dans sa candeur, que les vrits valent lapeine d'tre dtruites. C'est un technicien rebours, un pdant du vandalisme, un vangliste gar.

    *

    En vieillissant on apprend troquer ses terreurs contre des ricanements.

    *

    Ne me demandez plus mon programme : respirer, n'en est-ce pas un?

    *

    La meilleur manire de nous loigner des autres est de les inviter jouir de nos dfaites; aprs,nous sommes srs de les har pour le reste de nos jours.

    *

    Vous devriez travailler, gagner votre vie, rassembler vos forces. Mes forces? Je les aigaspilles, je les ai toutes employes effacer en moi les vestiges de Dieu... Et maintenant je seraipour toujours inoccup.

    *

    Tout acte flatte l'hyne en nous.

    *

    Au plus profond de nos dfaillances, nous saisissons tout coup l'essence de la mort;

    perception limite, rebelle l'expression; droute mtaphysique que les mots ne sauraient perptuer.Cela explique pourquoi, sur ce thme, les interjections d'une vieille illettre nous clairentdavantage que le jargon d'un philosophe.

    *

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    Syllogismes de l'amertume

    La nature n'a cre les individus que pour soulager la Douleur, pour l'aider s'parpiller leursdpens.

    *

    Alors qu'il faut la sensibilit d'un corch ou une longue tradition de vice pour associer au plaisir

    la conscience du plaisir, la douleur et la conscience de la douleur se confondent mme chezl'imbcile.

    *

    Escamoter la souffrance, la dgrader en volupt, supercherie de l'introspection, mange desdlicats, diplomatie du gmissement.

    *

    A changer si souvent d'attitude l'gard du soleil, je ne sais plus sur quel pied le traiter.

    *

    On ne dcouvre une saveur aux jours que lorsqu'on se drobe l'obligation d'avoir un destin.

    *

    Plus les hommes me sont indiffrents, plus ils me troublent; et quand je les mprise, je ne puis lesapprocher sans bgayer.

    *

    Si on pressait le cerveau d'un fou, le liquide qui en sortirait paratrait du sirop auprs du fiel quescrtent certaines tristesses.

    *

    Que personne n'essaie de vivre s'il n'a fait son ducation de victime.

    *

    Plus encore qu'une raction de dfense, la timidit est une technique, sans cesse perfectionne parla mgalomanie des incompris.

    *

    Lorsqu'on n'a pas eu la chance d'avoir des parents alcooliques, il faut s'intoxiquer toute sa viepour compenser la lourde hrdit de leurs vertus.

    *

    Peut-on parler honntement d'autre chose que de Dieu ou de soi?

    III

    L'odeur de la crature nous met sur la piste d'une divinit ftide.

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    Syllogismes de l'amertume

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    Si l'Histoire avait un but, notre sort, nous autres qui n'avons rien accompli, combien il seraitlamentable! Mais dans le non-sens gnral, nous nous dressons, roulures inefficaces, canailles firesd'avoir eu raison.

    *

    Quelle inquitude lorsqu'on n'est pas sr de ses doutes, et que l'on se demande : sont-ce

    vritablement des doutes?

    *

    Qui n'a pas contredit ses instincts, qui ne s'est pas impos une longue priode d'ascse sexuelle,ou n'a point connu les dpravations de l'abstinence, sera ferm au langage du crime comme celuide l'extase : il ne comprendra jamais les obsessions du marquis de Sade ni celles de saint Jean de la

    Croix.

    *

    Le moindre assujettissement, ft-ce au dsir de mourir, dmasque notre fidlit l'imposture du moi .

    *

    Quand vous subissez la tentation du Bien, allez au march, choisissez dans la foule une vieille, laplus dshrite, et marchez-lui sur les pieds. Sa verve excite, vous la regarderez sans lui rpondre,pour qu'elle puisse, grce au frisson que donne l'abus de l'adjectif, connatre enfin un momentd'aurole.

    *

    A quoi bon se dfaire de Dieu pour retomber en soi? A quoi bon cette substitution de charognes?

    *

    Le mendiant est un pauvre qui, impatient d'aventures, a abandonn la pauvret pour explorer lesjungles de la piti.

    *

    On ne peut viter les dfauts des hommes sans fuir, par l mme, leurs vertus. Ainsi on se ruinepar la sagesse.

    *

    Sans l'espoir d'une douleur plus grande, je ne pourrais supporter celle du moment, ft-elle infinie.

    *

    Esprer, c'est dmentir l'avenir.

    *

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    Syllogismes de l'amertume

    De toute ternit, Dieu a choisi pour nous, jusqu' nos cravates.

    *

    Point d'action ni de russite sans une attention totale aux causes secondaires.La vie est une occupation d'insecte.

    *

    La tnacit que j'ai dploye combattre la magie du suicide m'et largement suffi faire monsalut, me pulvriser en Dieu.

    *

    Quand rien ne nous aiguillonne plus, le cafard est l, dernier stimulant. Ne sachant plus nousen passer, nous le poursuivons dans le divertissement comme dans l'oraison. Et tant nous redoutonsd'en tre privs, que Donnez-nous notre cafard quotidien devient le refrain de nos attentes et de

    nos implorations.

    *

    Quelque intime que l'on soit des oprations de l'esprit, on ne peutpenser plus de deux ou troisminutes par jour; moins que, par got ou profession, l'on ne s'exerce, pendant des heures, brutaliser les mots pour en extraire des ides.

    L'intellectuel reprsente la disgrce majeure, l'chec culminant de l'homo sapiens.

    *

    Ce qui me donne l'illusion de n'avoir jamais t dupe, c'est que je n'ai rien aim sans du mmecoup le har.

    *

    Nous avons beau tre verss dans la satit, nous resterons les caricatures de notre prcurseur, deXerxs. N'est-ce pas lui qui promit par dit une rcompense celui qui inventerait une voluptnouvelle? C'est l le geste le plus moderne de l'antiquit.

    *

    Plus un esprit court de dangers, plus il ressent le besoin de paratre superficiel, de se donner unair de frivolit, et de multiplier les malentendus son sujet.

    *

    Pass la trentaine, on ne devrait pas plus s'intresser aux vnements qu'un astronome aux potins.

    *

    L'idiot seul est quip pour respirer.

    *

    Avec l'ge, ce ne sont pas tant nos facults intellectuelles qui diminuent que cette force dedsesprer dont, jeunes, nous ne savions apprcier le charme ni le ridicule

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    Syllogismes de l'amertume

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    Quel dommage que, pour aller Dieu, il faille passer par la foi!

    *

    La vie, ce pompirisme de la matire.

    *

    Rfutation du suicide : n'est-il pas inlgant d'abandonner un monde qui s'est mis si volontiers auservice de notre tristesse?

    *

    Que l'on s'enivre sans dsemparer, on n'arrivera point l'assurance de ce Crsus d'asile qui disait: Pour tre tranquille, je me suis achet l'air tout entier, et j'en ai fait ma proprit.

    *

    La gne que nous prouvons devant un homme ridicule vient de ce qu'il est impossible del'imaginer sur son lit de mort.

    *

    Ne se suicident que les optimistes qui ne peuvent plus l'tre. Les autres, n'ayant aucune raison devivre, pourquoi en auraient-ils de mourir?

    *

    Les esprits bilieux? Ce sont ceux qui se vengent sur leurs penses de la gaiet qu'ils prodigurentdans leur commerce avec les autres.

    *

    J'ignorais tout d'elle; notre entretien n'en prit pas moins le tour le plus macabre : je lui parlai de lamer, de ce commentaire l'Ecclsiaste. Et quelle ne fut pas ma stupfaction quand, au bout de matirade sur l'hystrie des flots, elle lcha le mot : Il n'est pas bon de s'attendrir sur soi.

    *

    Malheur l'incroyant qui, face ses insomnies, ne dispose que d'un stock rduit de prires!

    *

    Est-ce un simple hasard si tous ceux qui m'ont ouvert des horizons sur la mort taient des dchetsde la socit?

    *

    Pour le fou, n'importe quel bouc missaire est bon. Il supporte ses droutes en accusateur; lesobjets lui paraissant aussi coupables que les tres, il accable qui il veut; le Dlire est une conomied'expansion; tenus plus de discrimination, nous nous replions sur nos dfaites, nous nous yagrippons, faute d'en trouver au-dehors la cause ou l'aliment; le bon sens nous astreint uneconomie ferme, l'autarcie de l'chec.

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    Syllogismes de l'amertume

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    Il sied mal, me disiez-vous, de pester sans cesse contre l'ordre des choses. Est-ce ma faute sije ne suis qu'un parvenu de la nvrose, un Job la recherche d'une lpre, un Bouddha de pacotille,un Scythe flemmard et fourvoy?

    *

    Satires et soupirs me semblent galement valables. Que j'ouvre un pamphlet ou au Arsmoriendi , tout y est vrai... Avec la dsinvolture de la piti, je m'tends sur les vrits et meconfonds avec les mots.

    Tu seras objectif! maldiction du nihiliste qui croit tout.

    *

    A l'apoge de nos dgots, un rat parat s'tre infiltr dans notre cerveau pour y rver.

    *

    Ce ne sont pas les prceptes du stocisme qui nous signaleront l'utilit des avanies ou la sductiondes coups du sort. Les manuels d'insensibilit sont trop raisonnables. Mas si chacun faisait sa petiteexprience de clochard! Endosser des loques, se poster un carrefour, tendre la main aux passants,essuyer leur mpris ou les remercier de leur obole, quelle discipline! Ou sortir dans la rue,insulter des inconnus, s'en faire gifler...

    Longtemps j'ai frquent les tribunaux seule fin d'y contempler les rcidivistes, leur suprioritsur les lois, leur empressement la dchance. Et pourtant ils sont piteux compars aux grues, l'aisance qu'elles montrent en correctionnelle. Tant de dtachement dconcerte; pointd'amour-propre; les injures ne les font pas saigner; aucun adjectif ne les blesse. Leur cynisme est la forme deleur honntet. Une fille de dix-sept ans, majestueusement affreuse, rplique au juge qui essaie delui arracher la promesse de ne plus hanter les trottoirs : Je ne peux pas vous le promettre,monsieur le Juge.

    On ne mesure sa propre force que dans l'humiliation. Pour nous consoler des hontes que nousn'avons pas connues, nous devrions nous en infliger nous-mme, cracher dans le miroir, enattendant que le public nous honore de sa salive. Que Dieu nous prserve d'un sort distingu!

    *

    J'ai tant choy l'ide de fatalit, je l'ai nourrie au prix de si grands sacrifices, qu'elle a fini pars'incarner : d'abstraction qu'elle tait, la voil qui palpite, se dresse devant moi, et m'crase de toutela vie que je lui ai donne.

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  • 7/30/2019 Syllogismes de l'amertume, d'mil Cioran

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    Syllogismes de l'amertume

    Religion

    Si je croyais en Dieu, ma fatuit n'aurait pas de bornes : je me promnerais tout nu dans les rues...

    *

    Tant les saints ont recouru la facilit du paradoxe qu'il est impossible de ne pas les citer dans lessalons.

    *

    Quand on est dvor d'un tel apptit de souffrir qu'il faudrait pour en venir bout mille etmille existences, on conoit de quel enfer a d surgir l'ide de transmigration.

    *

    Hors la matire, tout est musique : Dieu mme n'est qu'une hallucination sonore.

    *

    Poursuivre les antcdents d'un soupir, cela peut nous amener l'instant d'avant, comme ausixime jour de la Cration.

    *

    L'orgue seul nous fait comprendre comment l'ternit peut voluer.

    *

    Ces nuits o l'on ne peut plus avancer en Dieu, o on l'a parcouru en tous sens, o on l'a us force de le pitiner, ces nuits dont on merge avec l'ide de le jeter au rebut..., d'enrichir le monded'un dchet.

    *

    Sans la vigilance de l'ironie, qu'il serait ais de fonder une religion! Il suffirait de laisser lesbadauds s'attrouper autour de nos transes loquaces.

    *

    Ce n'est pas Dieu, c'est la Douleur qui jouit des avantages de l'ubiquit.

    *

    Dans les preuves cruciales, la cigarette nous est d'une aide plus efficace que les vangiles.

    *

    Suso raconte qu'avec un stylet il se grava, l'endroit du cur, le nom de Jsus. Il ne saigna pas envain : quelque temps aprs, une lumire manait de sa plaie.

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  • 7/30/2019 Syllogismes de l'amertume, d'mil Cioran

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    Syllogismes de l'amertume

    Que n'ai-je une plus grande force dans l'incrdulit! que ne puis-je, inscrivant dans ma chair unautre nom, le nom de l'Adversaire, lui servir d'enseigne lumineuse!

    *

    J'ai voulu me fixer dans le Temps; il tait inhabitable. Quand je me suis tourn vers l'ternit, j'ai

    perdu pied.

    *

    Vient un moment o chacun se dit : ou Dieu ou moi , et s'engage dans un combat dont tousdeux sortent amoindris.

    *

    Le secret d'un tre concide avec les souffrances qu'il espre.

    *

    Ne connaissant plus, en fait d'expriences religieuses, que les inquitudes de l'rudition, lesmodernes psent l'Absolu, en tudient les varits, et rservent leurs frissons aux mythes, cesvertiges pour consciences historiennes. Ayant cess de prier, on pilogue sur la prire.Plusd'exclamations; rien que des thories. La Religion boycotte la foi. Jadis, avec amour ou haine, ons'aventurait en Dieu, lequel, de Rien inpuisable qu'il tait, n'est plus maintenant au granddsespoir des mystiques et des athes qu'unproblme.

    *

    Comme tout iconoclaste, j'ai bris mes idoles pour sacrifier leurs dbris.

    *

    La saintet me fait frmir : cette ingrence dans les malheurs d'autrui, cette barbarie de la charit,cette piti sans scrupules...

    *

    D'o vient notre obsession du Reptile? Ne serait-ce point de notre crainte d'une derniretentation, d'une chute prochaine, et, cette fois, irrparable, qui nous ferait perdre jusqu' la mmoiredu Paradis?

    *

    Ce temps o, au lever, j'coutais une marche funbre que je fredonnais le long du jour et qui, ausoir, use, s'vanouissait en hymne...

    *

    Combien le christianisme est coupable d'avoir corrompu le scepticisme! Un Grec n'aurait jamaisassoci le gmissement au doute. Il reculerait plein d'horreur devant Pascal et plus encore devantl'inflation de l'me qui, depuis la Croix, dmontise l'esprit.

    *

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  • 7/30/2019 Syllogismes de l'amertume, d'mil Cioran

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    tre plus inutilisable qu'un saint...

    Syllogismes de l'amertume

    *

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    Dans la nostalgie de la mort, une si grande mollesse descend sur nous, une telle modifications'accomplit dans nos veines, que nous oublions la mort pour ne plus songer qu' la chimie du sang.

    *

    La Cration fut le premier acte de sabotage.

    *

    L'incroyant acoquin l'Abme et furieux de ne pouvoir s'en arracher dploie un zle mystique construire un monde aussi dnu de profondeur qu'un ballet de Rameau.

    *

    Dans l'Ancien Testament on savait intimider le Ciel, on le menaait du poing : la prire tait unequerelle entre la crature et son crateur. Vint l'vangile pour les raccommoder : c'est l le tortimpardonnable du christianisme.

    *

    Ce qui vit sans mmoire n'est pas sorti du Paradis : les plantes s'y dlectent toujours. Elles nefurent pas condamnes au Pch, cette impossibilit d'oublier; mais nous, remords ambulants,etc., etc.

    (Regretter le Paradis! On ne saurait tre plus dmod, ni pousser plus loin la passion de ladsutude ou le provincialisme.)

    *

    Seigneur, sans toi je suis fou, encore plus fou qu'avec toi! Tel serait, au mieux, le rsultatd'une reprise de contact entre le rat d'en bas et le rat d'en haut.

    *

    Le grand forfait de la douleur est d'avoir organisle Chaos, de l'avoir dgrad en univers.

    *

    Quelle tentation que les glises, s'il n'y avait pas les fidles mais seulement ces crispations deDieu dont l'orgue nous entretient!

    *

    Quand je frle le Mystre sans pouvoir en rire, je me demande quoi sert ce vaccin contrel'absolu qu'est la lucidit.

    *

    Que de tracas pour s'installer dans le dsert! Plus malins que les premiers ermites, nous avonsappris le chercher en nous-mmes.

    *

  • 7/30/2019 Syllogismes de l'amertume, d'mil Cioran

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    Syllogismes de l'amertume

    C'est en mouchard que j'ai rd autour de Dieu; incapable de l'implorer, je l'ai espionn.

    *

    Depuis deux-mille ans, Jsus se venge sur nous de n'tre pas mort sur un canap.

    *

    Les dilettantes n'ont cure de Dieu; les fous et les ivrognes, ces grands spcialistes, en font l'objetde leurs ruminations.

    C'est un reste de jugement que nous devons le privilge d'tre encore superficiels

    *

    liminer de soi les toxines du temps pour garder celles de l'ternit, tel est l'enfantillage dumystique.

    *

    La possibilit de se renouveler par l'hrsie confre au croyant une nette supriorit surl'incroyant.

    *

    On n'est jamais plus bas que lorsqu'on regrette les anges..., si ce n'est lorsqu'on souhaite prierjusqu' la liqufaction du cerveau.

    *

    Plus encore que la religion, le cynisme commet l'erreur d'accorder trop d'attention l'homme.

    *

    Entre les Franais et Dieu s'interpose l'astuce.

    *

    Comme il se doit, j'ai fait le tour des arguments favorables Dieu : son inexistence m'a sembl enressortir intacte. Il a le gnie de se faire infirmer par toute son uvre; ses dfenseurs le rendentodieux, ses adorateurs suspect. Qui craint de l'aimer n'a qu' ouvrir saint Thomas...

    Et je pense cet universitaire d'Europe centrale interrogeant une de ses lves sur les preuves del'existence de Dieu; elle s'excute : argument historique, ontologique, etc. Mais elle s'empressed'ajouter : Pourtant je n'y crois pas. Le professeur s'irrite, reprend les preuves une une; ellehausse les paules, persiste dans son incrdulit. Alors le matre se dresse, rouge de foi : Mademoiselle, je vous donne ma parole d'honneur qu'Il existe!

    ... Argument qui, lui seul, vaut toutes les Sommes thologiques.Que dire de l'Immortalit? Vouloir l'lucider, ou simplement l'aborder, relve de l'aberration ou

    de la fumisterie. Des traits n'en exposent pas moins l'impossible fascination. A les en croire, nous

    n'avons qu' nous fier quelques dductions hostiles au Temps... Et nous voici pourvus d'ternit,indemnes de poussire, exempts d'agonie.Ce ne sont pas ces balivernes qui m'ont fait douter de ma fragilit. Combien, en revanche, m'ont

    troubl les mditations d'un vieil ami, musicien ambulant et fou! Comme tous les dtraqus, il sepose des problmes : il en a rsolu une quantit. Ce jour-l, aprs qu'il eut fait son tour auxterrasses des cafs, il vint m'interroger sur... l'immortalit. Elle est impensable , lui dis-je, tout

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  • 7/30/2019 Syllogismes de l'amertume, d'mil Cioran

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    Syllogismes de l'amertume

    ensemble sduit et rebut par ses yeux inactuels, ses rides, ses loques. Une certitude l'animait : Tuas tort de ne pas y croire; si tu n'y crois pas, tu ne survivras pas. Je suis sr que la mort ne pourrarien sur moi. D'ailleurs, quoi que tu dises, tout a une me. Tiens, as-tu vu les oiseaux voltiger dansles rues, puis s'lever tout coup au-dessus des maisons pour regarder Paris? a a une me, a nepeut pas mourir!

    *

    Pour reprendre son ascendant sur les esprits, il faudrait au catholicisme un pape furieux, rong decontradictions, dispensateur d'hystrie, domin par une rage d'hrtique, un barbare que negneraient pas deux mille ans de thologie. A Rome et dans le reste de la chrtient, lesressources en dmence sont-elles compltement taries? Depuis la fin du XVI e sicle, l'glise,humanise, ne produit plus que des schismes de second ordre, des saints quelconques, desexcommunications drisoires. Et si un fou ne parvenait pas la sauver, du moins la prcipiterait-ildans un autre abme.

    *

    De tout ce que les thologiens ont conu, les seules pages lisibles et les seules paroles vraies sontcelles ddies l'Adversaire. Combien leur ton change, leur verve s'allume lorsqu'ils tournent le dos la Lumire pour vaquer aux Tnbres! On dirait qu'ils redescendent dans leur lment, qu'ils seredcouvrent. Ils peuvent har enfin, ils y sont autoriss : ce n'est plus du ronron sublime ni desressassements difiants. La haine peut tre vile; s'en dfaire pourtant est plus dangereux qu'enabuser. L'glise, dans sa haute sagesse, a pargn aux siens de tels risques; pour satisfaire leursinstincts, elle les excite contre le Malin; ils s'y cramponnent et le grignotent : par bonheur, c'est unos inpuisable... Si on le leur tait, ils succomberaient au vice ou l'apathie.

    *

    Lors mme que nous croyons avoir dlog Dieu de notre me, il y trane encore : nous sentonsbien qu'il s'y ennuie, mais nous n'avons plus assez de foi pour le divertir...

    *

    Quel secours la religion peut-elle apporter un croyant du par Dieu et le Diable?

    *

    Pourquoi dposerais-je les armes? Je n'ai pas vcu toutes les contradictions, je garde toujoursl'espoir d'une impasse nouvelle.

    *

    Voil tant d'annes que je me dchristianise vue d'il!

    *

    Toute croyance rend insolent; nouvellement acquise, elle avive les mauvais instincts; ceux qui nela partagent pas font figure de vaincus et d'incapables, ne mritant que piti et mpris. Observez les

    nophytes en politique et surtout en religion, tous ceux qui ont russi intresser Dieu leurscombines, les convertis, les nouveaux riches de l'Absolu. Confrontez leur impertinence avec lamodestie et les bonnes manires de ceux qui sont en train de perdre leur foi et leurs convictions...

    *

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    Syllogismes de l'amertume

    Aux frontires de soi-mme. Ce que j'ai souffert, ce que je souffre, personne ne le saura jamais,mme pas moi.

    *

    Quand, par apptit de solitude, nous avons bris nos liens, le Vide nous saisit : plus rien, plus

    personne... Qui liquider encore? O dnicher une victime durable? Une telle perplexit nousouvre Dieu : du moins avec Lui, sommes-nous srs de pouvoir rompre indfiniment...

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    Syllogismes de l'amertume

    Vitalit de l'amour

    Ne sacrifient l'ennui que les natures rotiques, dues d'avance par l'amour.

    *

    Un amour qui s'en va est une si riche preuve philosophique que, d'un coiffeur, elle fait un mulede Socrate.

    *

    L'art d'aimer? C'est savoir joindre un temprament de vampire la discrtion d'une anmone.

    *

    Dans la recherche du tourment, dans l'acharnement la souffrance, il n'est gure que le jalouxpour concurrencer le martyr. Cependant on canonise l'un et on ridiculise l'autre.

    *

    Pourquoi le corbillard du Mariage (the Marriage hearse)? pourquoi pas le corbillard del'Amour? Combien la restriction de Blake est regrettable!

    *

    Onan, Sade, Masoch, quels veinards! Leurs noms, comme leurs exploits, ne dateront jamais.

    *

    Vitalit de l'Amour : on ne saurait mdire sans injustice d'un sentiment qui a survcu au

    romantisme et au bidet.

    *

    Tel qui se tue pour une garce fait une exprience plus complte et plus profonde que le hros qui

    bouleverse le monde.

    *

    Qui s'userait la sexualit s'il n'esprait y perdre la raison pour un peu plus d'une seconde, pourle reste de ses jours?

    *

    Je rve parfois d'un amour lointain et vaporeux comme la schizophrnie d'un parfum...

    *

    Sentir son cerveau : phnomne pareillement nfaste la pense et la virilit.

    *

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    Syllogismes de l'amertume

    Enterrer son front entre deux seins, entre deux continents de la Mort...

    *

    Un moine et un boucher se bagarrent l'intrieur de chaque dsir.

    *

    Il n'est que les passions simules, les dlires feints pour avoir quelques rapports avec l'esprit, avecle respect de nous-mmes; les sentiments sincres supposent un manque d'gards envers soi.

    *

    Heureux en amour, Adam nous et pargn l'Histoire.

    *

    J'ai toujours pens que Diogne avait subi, dans sa jeunesse, quelque dconvenue amoureuse : onne s'engage pas dans la voie du ricanement sans le concours d'une maladie vnrienne ou d'uneboniche intraitable.

    *

    Il est des performances qu'on ne pardonne qu' soi : si on se reprsentait les autres au plus fortd'un certain grognement, il serait impossible de leur tendre encore la main.

    *

    La chair est incompatible avec la charit : l'orgasme transformerait un saint en loup.

    *

    Aprs les mtaphores, la pharmacie. C'est ainsi que s'effritent les grands sentiments.

    *

    Commencer en pote et finir en gyncologue! De toutes les conditions, la moins enviable estcelle d'amant.

    *

    On dclare la guerre aux glandes, et on se prosterne devant les relents d'une pouffiasse... Quepeut l'orgueil contre la liturgie des odeurs, contre l'encens zoologique?

    *

    Concevoir un amour plus chaste qu'un printemps qui attrist par la fornication des fleurs pleurerait leurs racines...

    *

    Je puis comprendre et lgitimer les anomalies, en amour et en tout; mais qu'il y ait desimpuissants parmi les sots, cela me dpasse.

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    Syllogismes de l'amertume

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    La sexualit : blakanisme des corps, chirurgie et cendres, bestialit d'un ci-devant saint, fracasd'un risible et inoubliable effondrement...

    *

    Dans la volupt, comme dans les paniques, nous rintgrons nos origines; le chimpanz, relguinjustement, atteint enfin la gloire l'espace d'un cri.

    *

    Un soupon d'ironie dans la sexualit en fausse l'exercice, et change qui la pratique en un fumiste de l'Espce.

    *

    Deux victimes besogneuses, merveilles de leur supplice, de leur sudation sonore. A quelcrmonial nous astreignent la gravit des sens et le srieux du corps!

    Pouffer de rire en plein rle, unique moyen de dfier les prescriptions du sang, les solennitsde la biologie.

    *

    Qui n'a recueilli les confidences d'un pauvre bougre auprs duquel Tristan ferait figure deproxnte?

    *

    La dignit de l'amour tient dans l'affection dsabuse qui survit un instant de bave.

    *

    Si les impuissants savaient combien la nature fut maternelle pour eux, ils bniraient le sommeildes glandes et le vanteraient aux coins des rues.

    *

    Depuis que Schopenhauer eut l'inspiration saugrenue d'introduire la sexualit en mtaphysique, etFreud celle de supplanter la grivoiserie par une pseudo-science de nos troubles, il est de mise que lepremier venu nous entretienne de la signification de ses exploits, de ses timidits et de sesrussites. Toutes les confidences dbutent par l; toutes les conversations y aboutissent. Bientt nosrelations avec les autres se rduiront l'enregistrement de leurs orgasmes effectifs ou invents...C'est le destin de notre race, dvaste par l'introspection et l'anmie, de se reproduire en paroles,d'taler ses nuits et d'en grossir les dfaillances ou les triomphes.

    *

    Plus un esprit est revenu de tout, plus il risque, si l'amour le frappe, de ragir en midinette.

    *

    Deux voies s'ouvrent l'homme et la femme : la frocit ou l'indiffrence. Tout nous indiquequ'ils prendront la seconde voie, qu'il n'y aura entre eux ni explication ni rupture, mais qu'ilscontinueront s'loigner l'un de l'autre, que la pdrastie et l'onanisme, proposs par les coles et

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    Syllogismes de l'amertume

    les temples, gagneront les foules, qu'un tas de vices abolis seront remis en vigueur, et que desprocds scientifiques suppleront au rendement du spasme et la maldiction du couple.

    *

    Mlange d'anatomie et d'extase, apothose de l'insoluble, aliment idal pour la boulimie de la

    dception, l'Amour nous mne vers des bas-fonds de gloire...

    *

    Nous aimons toujours... quand mme; et ce quand mme couvre un infini.

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    Syllogismes de l'amertume

    Sur la musique

    N avec une me habituelle, j'en ai demand une autre la musique : ce fut le dbut de malheurs

    inesprs...

    *

    Sans l'imprialisme du concept, la musique aurait tenu lieu de philosophie : c'et t le paradis del'vidence inexprimable, une pidmie d'extases.

    *

    Beethoven a vici la musique : il y a introduit les sautes d'humeur, il y a laiss entrer la colre.

    *

    Sans Bach, la thologie serait dpourvue d'objet, la Cration fictive, le nant premptoire.S'il y a quelqu'un qui doit tout Bach, c'est bien Dieu.

    *

    Que sont toutes les mlodies auprs de celle qu'touffe en nous la double impossibilit de vivre etde mourir!

    *A quoi bon frquenter Platon, quand un saxophone peut aussi bien nous faire entrevoir un autre

    monde?

    *

    Sans moyens de dfense contre la musique, force m'est d'en subir le despotisme, et, suivant sonbon plaisir, d'tre dieu ou loque.

    *

    Il y eut un temps o, ne pouvant concevoir une ternit qui m'et spar de Mozart, je necraignais plus la mort. Il en fut ainsi avec chaque musicien, avec toute la musique...

    *

    Chopin a promu le piano au rang de la phtisie.

    *

    L'univers sonore : onomatope de l'indicible, nigme dploye, infini peru, et insaisissable...

    Lorsqu'on vient d'en prouver la sduction, on ne forme plus que le projet de se faire embaumerdans un soupir.

    *

    La musique est le refuge des mes ulcres par le bonheur.

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    Syllogismes de l'amertume

    *

    Point de musique vritable qui ne nous fassepalper le temps.

    *

    L'infini actuel, non-sens pour la philosophie, est la ralit, l'essence mme de la musique.

    *

    Si j'avais cd aux flatteries de la musique, ses appels, tous les univers qu'elle a suscits etdtruits en moi, il y a longtemps que, d'orgueil, j'aurais perdu la raison.

    *

    L'aspiration du Nord vers un autre ciel a engendr la musique allemande, gomtrie

    d'automnes, alcool de concepts, brit mtaphysique.A l'Italie du sicle dernier foire de sons , il a manqu la dimension de la nuit, l'art de presser

    les ombres pour en extraire l'essence.Il faut prendre parti pour Brahms ou pour le Soleil...

    *

    La musique, systme d'adieux, voque une physique dont le point de dpart ne serait pas lesatomes, mais les larmes.

    *

    Peut-tre ai-je trop mis sur la musique, peut-tre n'ai-je pas pris toutes mes prcautions contreles acrobaties du sublime, contre le charlatanisme de l'ineffable...

    *

    Il se dgage de certains andantes de Mozart une dsolation thre, et comme un rve de

    funrailles dans une autre vie.

    *

    Quand la musique mme est impuissante nous sauver, un poignard brille dans nos yeux; plusrien ne nous soutient, si ce n'est la fascination du crime.

    *

    Combien j'aimerais prir par la musique, pour me punir d'avoir quelquefois dout de lasouverainet de ses malfices!

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    Syllogismes de l'amertume

    Vertige de l'histoire

    Au temps o l'humanit, peine dveloppe, s'essayait au malheur, nul ne l'aurait crue capable

    d'en produire un jour en srie.

    *

    Si No avait eu le don de lire dans l'avenir, il n'est point douteux qu'il se ft sabord.

    *

    La trpidation de l'histoire ressortit la psychiatrie, comme d'ailleurs tous les mobiles de l'action:bouger, c'est faillir la raison, c'est risquer la camisole de force.

    *

    Les vnements, tumeurs du Temps...

    *

    EVOLUTION : Promthe, de nos jours, serait un dput de l'opposition.

    *

    L'heure du crime ne sonne pas en mme temps pour tous les peuples. Ainsi s'explique lapermanence de l'histoire.

    *

    L'ambition de chacun de nous est de sonder le Pire, d'tre le prophte parfait. Hlas! il y a tant decatastrophes auxquelles nous n'avons pas pens!

    *

    Au rebours des autres sicles qui pratiqurent la torture ngligemment, celui-ci, plus exigeant, y

    apporte un souci de purisme qui fait honneur notre cruaut.

    *

    Toute indignation de la rousptance au lucifrianisme marque un arrt dans l'volutionmentale.

    *

    La libert est le bien suprme pour ceux-l seuls qu'anime la volontd'tre hrtiques.

    *

    C'est flotter dans le vague que de dire : j'incline plutt vers tel rgime que vers tel autre; il seraitplus exact d'affirmer : je prfre telle police telle autre. L'histoire, en effet, se ramne une

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    classification des polices; car de quoi traite l'historien, sinon de la conception que les hommes sesont faite du gendarme travers les ges?

    *

    Ne nous parlez plus des peuples asservis ni de leur got pour la libert; les tyrans sont assassins

    trop tard : c'est l leur grand excuse.

    *

    Dans les poques paisibles, hassant pour le plaisir de har, il nous faut chercher des ennemis quinous agrent; souci dlicieux que nous pargnent les poques mouvementes.

    *

    L'homme scrte du dsastre.

    *

    J'aime ces peuples d'astronomes : chaldens, assyriens, prcolombiens qui, par got du ciel, firentfaillite dans l'histoire.

    *

    Peuple authentiquement lu, les Tziganes ne portent la responsabilit d'aucun vnement

    nid'aucune institution. Ils ont triomph de la terre par leur souci de n'y rienfonder.

    *

    Quelques gnrations encore, et le rire, rserv aux initis, sera aussi impraticable que l'extase.

    *

    Une nation s'teint quand elle ne ragit plus aux fanfares : la Dcadence est la mort de latrompette.

    *

    Le scepticisme est l'excitant des jeunes civilisations et la pudeur des vieilles.

    *

    Les thrapeutiques mentales foisonnent chez les peuples opulents : l'absence d'angoissesimmdiates y entretient un climat morbide. Pour conserver son bien-tre nerveux, une nation abesoin d'un malheur substantiel, d'un objet ses inquitudes, d'une terreur positive justifiant ses complexes . Les socits se consolident dans le danger et s'atrophient dans la neutralit. L osvissent la paix, l'hygine et le confort, les psychoses se multiplient.

    ... Je viens d'un pays qui, pour n'avoir pas connu le bonheur, n'a produit qu'un seul psychanalyste.

    *

    Les tyrans, leur frocit assouvie, deviennent dbonnaires; tout rentrerait dans l'ordre, si lesesclaves, jaloux, ne prtendaient, eux aussi, assouvir la leur. L'aspiration de l'agneau se faire loupsuscite la plupart des vnements. Ceux qui n'ont pas de crocs, en rvent; ils veulent dvorer leur

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    Syllogismes de l'amertume

    tour, et y russissent par la bestialit du nombre.L'histoire, ce dynamisme des victimes.

    *

    Pour avoir rang l'intelligence parmi les vertus et la btise parmi les vices, la France a largi le

    domaine de la morale. De l son avantage sur les autres nations, sa vaporeuse suprmatie.

    *

    On pourrait mesurer le degr de raffinement d'une civilisation au nombre qu'elle compted'hpatiques, d'impuissants ou de nvross. Mais pourquoi se borner ces dficients, quand il yen a tant d'autres qui attestent, par la carence de leurs viscres ou de leurs glandes, la prospritfatale de l'Esprit.

    *

    Les biologiquement faibles, ne trouvant aucune satisfaction dans la vie, s'emploient en changerles donnes.

    Pourquoi n'a-t-on pas isol les rformateurs aux premiers symptmes de foi? et qu'a-t-on attendupour les relguer dans un hospice ou une prison? A douze ans, le Ga