S'étonner d'être

28

Transcript of S'étonner d'être

Page 1: S'étonner d'être
Page 2: S'étonner d'être

s'étonner d'être

Page 3: S'étonner d'être

DU MÊME AUTEUR

Chez d'autres éditeurs:

AU BORD DU TEMPS (Cahiers du Sud, 1936).

LE MIRACLE ENFERMÉ ( I b i d . ,

TRACÉ PAR L'OUBLI (Renaissance du Livre, 1951).

CHRONOS RÊVE (Ibid., 1959).

DES NUITS ET DES JOURS (Seghers, 1968).

DANS LE SECRET DU TEMPS (Renaissance du Livre, 1972).

LE TRAIN SOUS LES ÉTOILES (Ibid., 1976).

Page 4: S'étonner d'être
Page 5: S'étonner d'être

I l a é t é t i r é d e c e t o u v r a g e :

CINQ EXEMPLAIRES SUR PUR FIL DES PAPETERIES D'ARCHES

RÉSERVÉS A L'AUTEUR, NUMÉROTÉS DE 1 à V

© FLAMMARION, 1977. Printed in France.

ISBN 2-08-064007-0

Page 6: S'étonner d'être

Par un matin vacant qui portait à chanter Quelqu'un de téméraire avait menti le monde, Et l'on a vu la bulle aux émois de clarté Se balancer dans l'air... Allait-elle éclater

En rendant à l'oubli sa ruse vagabonde ? Mais elle étincelait si fraîche qu'il fallait Sauver de ce péril le miracle incomplet Et, trompant l'œil distrait d'un invisible maître, Armer sa nudité fragile d'un enduit De cette vérité d 'écorces qui séduit La vieille méfiance, et fait croire.

Peut-être

Après tout n'est-ce pas le menteur qui pensa Pour empêcher ainsi que la fraude cassât A l'épaissir de ces frissons de chair réelle Mais eux-mêmes, qui tel un brassin d'étincelles S'éveillèrent puis feuille à feuille, jour à jour, Vinrent coller à l'idée éphémère pour Y hasarder leur vie anxieuse de vivre.

Tant de formes sans nom, tant de sève et de sang Attendaient de s'étonner d'être et de poursuivre Toujours plus sûre l'aventure d'un présent... Tout naissait de plus en plus dru, les fleurs, les bêtes, Et des chasseurs happés par l'innombrable fête Voulurent habiter les trous tièdes des monts.

Leur descendance a fait vibrer de blés les plaines Et confirmé de son effervescence humaine

Ce mensonge nourri de vrai que nous aimons.

Page 7: S'étonner d'être
Page 8: S'étonner d'être

I

DES INSTANTS PARLENT

Page 9: S'étonner d'être
Page 10: S'étonner d'être

la naissance et l'adieu

Pour que l'énigme d'être prît visage Il a fallu qu'une première image Rompît la digue immuable du Temps... Mais par la brèche un univers latent A délivré sa foison de visages En un flux innombrable fait d'instants,

Et dans la porte aux pans toujours battants Où le possible illuminé s'engage Nous ne pouvons que répondre au passage A ces saluts d'un adieu miroitant.

Page 11: S'étonner d'être

charmeur d'instants

Avec ma flûte j'apprivoise des instants.

Son eau vive ruisselle en tressauts insistants

Et j'avance attentif à la moindre brindille Dans la forêt d'un jour où les minutes brillent, Serpents jaillis qui se font ombre à peine nés Et se faufilent sous les feuilles sans qu'on puisse Surprendre à quel oubli de fougères ils glissent... Mais il faut que j'invite seuls les désignés !

Celui-ci, que siffle un taillis saisi de brise ? Mes doigts polissent quelques trilles qui s'irisent Au même éclat dont il frissonne, et tout à coup Je sens qu'une fraîcheur s'enroule à l'immobile Tronc que je suis, comme du lierre à des genoux...

Et je poursuis, les bras fleuris d'anneaux reptiles Dont les sursauts qu'un air complice vient mouiller Changent le fil de flûte en chant multiplié. Me voici l'arbre en marche aux élastiques branches Chatoyant de musique ailée et de rayons, Et je puis revenir aux maisons.

Page 12: S'étonner d'être

C'est dimanche,

La sieste vous entrouvre à ce que nous rêvions Mais moi j'ai su trier le peuple de mon songe. Je verse sur les seuils ces orvets de soleil Et, pour que le ballet pullule et se prolonge, Je leur souffle de s'introduire en vos sommeils.

Page 13: S'étonner d'être

rêve éveillé

Frais d'éveil nous nous promenons dans ce jardin Que l'aube a dessiné d'un doigt tendre et certain.

Avec l'accord léger des parterres qui tremblent Tu cueilles une fleur dont la paix nous ressemble.

Que peut-il arriver encore ? Je ne sais Car tout est trop parfait pour qu'on ose penser A nul événement, hormis qu'un or d'abeille Vienne de loin coudre le monde à notre oreille.

Page 14: S'étonner d'être

une coccinelle...

Un mot du monde s'est posé sur l'un des mille Hasards de l'herbe, un point de rouge dans le vert Et balancés tous deux au même gré de l'air...

Il ne faut pas que tu le touches, c'est fragile Un mot du monde ! Il miroite silencieux

Tout le temps qu'on l'entende, averti par les yeux. Tu dois bien la comprendre cette halte d'être, Te dire qu'à ton être elle apporte un repos De la part de tout ce qui bouge, et voir paraître Dans son rubis aussi lisible qu'un propos, Avant que ce mot-ci ne revole au silence, Ce que l'ample univers souhaitait que tu penses.

Page 15: S'étonner d'être

l e s é l é p h a n t s

Vers ce moi-même qui se tait ne connaissant plus bien ses [songes

Et reste là force évasive en attente d'on ne sait quoi Je pousse plus d'un paysage, et dans les jardins que je

[longe J'appelle à lui ce que j'entends, cueille pour lui ce que

[je vois : Chantez parfums, riez oiseaux ! Lave ses yeux, fleuve des

[feuilles... Lui se détourne de mes dons, il préfère à ce qu'on lui

[cueille Un bruit monté de ces grands bois qui sont au fond de

[son oubli. C'est comme un trot né des fourrés, l'écho de chocs

[ensevelis, C'est un exode d'éléphants qui dans la nuit ouvre sa route Toujours plus avant et plus lourd, brisant des troncs,

[foulant les doutes, Et l'épaisseur d'arbres et d'ombre se fissure comme un mur Sous le courage d'exister qui se propage à coups obscurs.

Page 16: S'étonner d'être

p a r r e s p e c t

Je ne sais qui dans ce je ne sais quoi de monde Me dota du pouvoir de naître, et je suis né Par respect du pouvoir que l'on m'avait donné...

Depuis lors sans trop me presser je vagabonde, Entendant ce qui me construit vibrer en moi Et portant ces fils d'être bien liés ensemble Comme on porte les tiges d'un bouquet qui tremble Avec le soin qu'en responsable je leur dois. Je regarde, bien regarder est un hommage Qu'en passant il faut rendre à sa fragile image, D'autres bouquets humains

et je n'ai pas non plus L'orgueil vain d'ignorer les bêtes et les choses Dont le miracle en mal d'évidence m'attend

Car tout miracle est nul tant qu'un œil ne s'y pose.

Ainsi de jour en jour, enfant soumis du temps, J'accomplis ce devoir de témoin qui respecte La montagne immuable ou l'effort d'un insecte Ou les couleurs de l'air muant de l'aube au soir

A la façon des mots au flux d'un lent poème

Page 17: S'étonner d'être

Et je vis, par respect de la vie elle-même, Puisque l'on ne sait qui m'a donné le pouvoir D'être en ce monde et qui plus est, de le savoir.

Page 18: S'étonner d'être

p o u r c e s é p a r s

Terre des hommes ? Terre aux multiples tribus Qui la parcourent de leurs pattes, de leurs ailes, Mais n'en possèdent que chacune un site élu Où son active cécité suit d'un long zèle Les pistes d'une chance inquiète à travers Les pièges d'air et d'eau, les embûches des feuilles. Ignorant que l'humain se faufile où qu'il veuille Eux n'ont fait que le fuir un peu vers les déserts...

Or l'homme n'a pas vu que sa chasse et son gîte. Il a prêté l'oreille aux galops qui l'évitent, S'est étonné d'un papillon fou de soleil Ou de ces ombres qui filaient sous des eaux calmes. Il a compris l'abeille en son travail vermeil Et quand une aile s'échappait d'entre deux palmes Salué ce départ aisé d'un cœur jaloux, Puis bercé quelque humeur nocturne au cri des loups.

C'est qu'il n'est pas entré dans ce royaume en maître, Plutôt en visiteur chargé de le connaître Car la Terre n'est pas aux hommes mais ils sont Ceux qui devaient traduire en exact unisson

Page 19: S'étonner d'être

Le cri de ces épars des brousses et des sentes, Trouver les mots du chant que tant de corps pressentent, Dans la chaleur d'un songe unir les désunis Et rendre témoignage au nom de cent voix closes Devant on ne sait quel mutisme d'infini Qui pourrait se tenir aux aguets de ces choses.

Page 20: S'étonner d'être

le f o n d d e t o u t . . .

J'ai dépassé l'âge où notre âge nous alarme, Où l'on sent se hâter le train branlant des jours Et l'on écoute en soi faiblir de vieux vacarmes En un mol résidu de gongs et de tambours. A force de sol ferme et de décors qui changent Je me suis dépassé moi-même, et parvenu Dans un espace frais où l'on avance nu Si j'y rappelle à moi de leur absence étrange Ceux-là qui m'ont laissé tout seul marcher ainsi Est-ce pour être ensemble et pour revoir d'ici, Sous ce pont où nous sommes, la fuyante vie Allonger sa lente luisance inassouvie Tel un fleuve aux remous sans nombre et tout à coup Un doigt pointe son cri : ce reflet, c'était nous ? Non, dis-je. Partagez plutôt ce qui m'accueille, Car le sort qui nous mit sur terre vous le doit.

C'est toujours ce que nous aimions, les toits, les feuilles, Mais ces choses ne semblent plus comme autrefois... On les aime à présent pour elles, non pour soi, Leur rendant ce qu'ont espéré leurs yeux fidèles. Elles n'exigent rien de plus : c'est nous, c'est elles ! Etre là c'est le fond de tout... Que peut le temps,

Page 21: S'étonner d'être

Ce distrait qui gambade avide et malcontent, Sur cet état nouveau de témoins et de frères ? L'avant l'après, souhaiter d'être, avoir été Valent-ils le suprême et suffisant mystère Du monde et nous qui nous regardons persister?

Page 22: S'étonner d'être

l e s o u p i r r o u g e

D'où ces arbres debout à ma fenêtre ont-ils Reçu, tacites assistants, l'ordre subtil De retenir en leurs bras fermes de ramures Le faste cramoisi d'un soir d'hiver qui dure ?

Je cherche à débusquer dans mes instants anciens Celui dont il est presque sûr que se souvient Ce soleil déjà près de terre et qui réclame Un rêve d'homme à quoi se joindre en s'endormant. Divisé par un tronc, le feu riche et sans flamme Devient deux yeux qui m'interrogent... Vainement Je fouille en moi pour y répondre, — ah ! tout s'oublie Et je me dis, très bas et sans l'avoir voulu : C'est triste et beau quand un jour meurt.

Je ne sais plus Hors ces trois mots dire autre chose de la vie : Triste et beau, triste... Je m'entends les répéter Et la tristesse se dissout dans la beauté Car toutes deux sont vie et c'est le soupir rouge Qui plaide et remercie au tribunal du soir, Entre de hauts témoins dont pas un seul ne bouge, Pour ce qu'il faudra rendre et que l'on put avoir.

Page 23: S'étonner d'être

sur ce rebord

Je n'avais pas prévu qu'attendait sur la crête Ce choc d'un univers confus, qui vous arrête... «Sommes-nous arrivés?» demande le chemin.

Que répondre? La glèbe est muette. Ma main Voulait inscrire sur l'air vaste une pensée Mais un oiseau l'a prise en ses ailes pressées Et la voue à quel puits d'espace sans retour... Moi j'hésite étonné sur ce rebord de jour Où, tel un chien que trouble une piste inconnue, Le chemin ne sait plus s'il faut qu'il continue Et m'interroge avec les cailloux de ses yeux. C'est que tout est trop clair ici, trop spacieux, Cet azur est un vide étrange qui s'amasse, Il a bu le grand paysage, et quelle trace Y suivre ?

Marcheur solitaire qui s'émeut, Sentant son masque sûr qui doucement s'effondre, De devenir un peu de bleu dans tant de bleu J'avance sans chemin, dispensé de répondre.

Page 24: S'étonner d'être

s e c r e t s

Que voulez-vous que je confesse encore? J'ai tout livré, je n'ai plus de secrets Hormis ceux-là que leur porteur ignore Puisque c'est au fait d'être qu'ils ont trait.

Ne demandez aux paroles d'un homme Ni la loi qui le meut, ni ses raisons ! Si l'un de nous savait pourquoi nous sommes, S'il en frôlait ne fût-ce qu'un soupçon

Cela l'enfermerait dans le silence, Claire demeure où les secrets sont nus: Parler est vain quand tout brille d'avance, C'est d'ignorer que nos mots sont venus...

Aidé par eux j'ai cru peindre un visage Sur quelques-uns de mes émois épars, Mais pour le reste il n'est pas de langage Et rien ne filtre à travers le brouillard.

Page 25: S'étonner d'être
Page 26: S'étonner d'être
Page 27: S'étonner d'être
Page 28: S'étonner d'être