SOUS LE PORTRAIT DU LIVRE, L'IMAGE DU...

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SOUS LE PORTRAIT DU LIVRE, L'IMAGE DU LECTEUR ? par A//ne Eisenegger Premières lectures ou romans pour plus grands, les collections actuelles jouent de toutes les ressources de l'objet-livre pour attirer les petits ou les faibles lecteurs. Aline Eisenegger, s'appuyant sur le discours des éditeurs eux-mêmes, propose une description de l'apparence des livres. À travers ce « portrait de famille » du livre d'aujourd'hui s'esquissent une représentation de la lecture facile et une image de l'enfant lecteur. Les Cadets ou LES PREMIÈRES LECTURES Les premières lectures ressemblent aux albums que l'on se faisait lire... et d'ailleurs, elles sont conçues pour être aussi lues à voix haute et, par le truchement des dialogues, à deux voix. Pourtant les premières lectures ne sont pas des albums. Elles s'inscrivent, ce qui n'était pas systématique avec les livres d'images, dans des collections, dont le nom met en avant la fierté du tout nouveau lec- teur : « C'est moi qui lis » chez Nord-Sud, « Je commence à lire » chez Casterman ou « Première lecture » chez Rouge et Or et insiste sur le fait que la lecture autonome est une nouveauté que l'enfant commence à maî- triser. D'autres noms cherchent à sécuriser, on reste encore dans le domaine des « Belles histoires » pour Bayard Poche et les histoires sont légères comme une « Plume » au Sorbier, un nom à double sens qui précise que l'on se situe bien dans le domaine de l'écriture et que le texte est prioritaire. Certains albums réédités en poche (« Cadou » chez Hachette, « Belles histoires » pour Bayard, la « Petite Bibliothèque » pour Calli- gram) changent de statut : ils passent de l'album à la première lecture, car le format réduit donne plus d'importance au texte et la place de l'illustration diminue. Par ailleurs, la taille du livre convient mieux à une lecture individuelle qu'à une lecture accompagnée. 62 /LAREVUE DES LIVRES POUR ENFANTS

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SOUS LE PORTRAITDU LIVRE,

L'IMAGE DU LECTEUR?

par A//ne EiseneggerPremières lectures ou romans pour plus grands, les collections

actuelles jouent de toutes les ressources de l'objet-livre pour attirerles petits ou les faibles lecteurs. Aline Eisenegger, s'appuyant

sur le discours des éditeurs eux-mêmes, propose une descriptionde l'apparence des livres. À travers ce « portrait de famille »

du livre d'aujourd'hui s'esquissent une représentationde la lecture facile et une image de l'enfant lecteur.

Les Cadets ou LES PREMIÈRES LECTURES

Les premières lectures ressemblent auxalbums que l'on se faisait lire... et d'ailleurs,elles sont conçues pour être aussi lues à voixhaute et, par le truchement des dialogues, àdeux voix. Pourtant les premières lectures nesont pas des albums. Elles s'inscrivent, ce quin 'étai t pas systématique avec les livresd'images, dans des collections, dont le nommet en avant la fierté du tout nouveau lec-teur : « C'est moi qui lis » chez Nord-Sud,« Je commence à lire » chez Casterman ou« Première lecture » chez Rouge et Or etinsiste sur le fait que la lecture autonome estune nouveauté que l'enfant commence à maî-

triser. D'autres noms cherchent à sécuriser,on reste encore dans le domaine des « Belleshistoires » pour Bayard Poche et les histoiressont légères comme une « Plume » au Sorbier,un nom à double sens qui précise que l'on sesitue bien dans le domaine de l'écriture et quele texte est prioritaire.

Certains albums réédités en poche (« Cadou »chez Hachette, « Belles histoires » pourBayard, la « Petite Bibliothèque » pour Calli-gram) changent de statut : ils passent del'album à la première lecture, car le formatréduit donne plus d'importance au texte et laplace de l'illustration diminue. Par ailleurs,la taille du livre convient mieux à une lectureindividuelle qu'à une lecture accompagnée.

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« Myriades, une collection de livres qui accepte

l'idée que l'enfant garde le temps de se tourner vers

d'autres distractions. Une collection qui admet que

l'image a envahi son existence et qu'un livre

d'enfant doit tenir compte de ce nouvel environne-

ment. Une collection qui comprend qu'en com-

mençant par lire un peu, on finit par lire

beaucoup. » Épigones.

Les premières lectures misent sur une illus-tration abondante et toute en couleurs, desimages à chaque page qui soutiennent le texteet apportent de la gaieté tout en permettantune respiration. Plusieurs collections partentdu postulat que les enfants n'avancent pastous au même rythme, il y a donc troisniveaux à l'intérieur de la collection : unbonhomme signifie, chez Casterman, queje déchiffre, deux que je lis, et trois que jedévore ; et pour « Myriades » que l'enfantapprend à lire, sait lire, et aime lire. Lejeune lecteur est supposé franchir très viteces différentes étapes, au cours des quelquesmois que dure le Cours Préparatoire.

« Ecrite en grosseslettres rondes et ras-surantes, illustréepar des dessina-teurs qui jouent detous les registres, Jecommence à lires'attache à donneraux enfants le goûtde lire à travers leplaisir de l'image. »

Casterman.

Le texte, bien aéré, s'inscrit en grandes lettresbien lisibles, parfois en écriture cursive (« Jecommence à lire »), ces lettres avec lesquellesl'enfant écrit ses premiers mots. Le nombrede pages est réduit, (de 24 à 48), il s'agit dene pas décourager le lecteur novice. Celaprésente aussi l'avantage de pouvoir être lu

d'une seule traite par les lecteurs les plusmotivés. Le format se réduit sensiblementpour adopter une formule « poche » en hau-teur. La couverture est, comme pour lesalbums, cartonnée et colorée.

« Pour stimuler le jeunelecteur : des textes facilesà déchiffrer, des illustra-tions en couleurs à chaquepage, des héros qu'ilsretrouvent dans plusieurstitres. »

« Myriades », Minimôme,

Épigones.

Mais il faut encore un hameçon supplémen-taire pour convaincre l'enfant de choisir lelivre. Puisque les enfants ont du plaisir àretrouver de livre en livre les personnagesqu'ils aiment et avec lesquels ils sont familia-risés, ce désir est comblé dans les livres à tra-vers les séries, tout comme dans les journauxoù l'on retrouve de mois en mois les mêmeshéros, ou encore à la télévision avec les des-sins animés et autres séries. Dans tous les caschaque aventure constitue un tout et on peutprendre les titres dans n'importe quel ordre.Chaque collection propose plusieurs séries,de 6 à 8 titres en général, comme L'OursBouli de Michel Piquemal en « Myriades »,Mini-Loup de Philippe Matter chez Hachetteen « Cadou », héros que l'on peut découvriren albums grand format, en poche ou encoreen CD-Rom. D'autres séries proposent despersonnages moins précis, ainsi dans la sérieVive la grande école de Claude Gutman etSerge Bloch chez Casterman, où les héros sonttoute une classe. A travers cette série lesauteurs abordent l'univers des jeunes écoliers :La Rentrée, Les Cabinets, La Cantine... Ontrouve une collection comparable chezCalligram, « Ainsi va la vie » de Dominique deSaint Mars et Serge Bloch, où tour à tour

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Max et Lili aident les jeunes enfants à dédra-matiser les problèmes qu'ils peuvent rencon-trer : Les Parents de Max se disputent, Liliveut choisir ses habits, Max a triché, Lili estfâchée avec sa copine... Enfin, mais avec unhéros différent dans chaque livre, la fameusecollection créée par Roger Hargreaves, les« Bonhommes » et les « Dames » (84 titres et280 000 exemplaires vendus chaque année).Des petits livres (13,8 x 12,7 cm) à petit prix(9,40 F), relayés par des mini Pop-up et deslivres peluches. Et les « Bonhommes »étaient un temps vedettes d'un journal à leurnom ainsi que de cahiers parascolaires...

Les Juniors ou LES ROMANS

La taille ou le format

Un roman est fait pour être lu par un lecteurseul avec son livre. C'est une lecture intime.Pour cela le format se réduit à celui d'unepoche, le livre se fait souple et léger. Leroman pour enfants est majoritairement depoche, plus ou moins grand, plus ou moinssophistiqué, mais de poche.Aujourd'hui on compte quatre grands édi-teurs de livres de poche traditionnels pourles enfants : « Le Livre de poche Jeunesse »,diffusé par Hachette Jeunesse est né en 1979,« Folio Junior », a été lancé par Gallimarden 1977, « Castor Poche » a été créé en 1980par le Père Castor-Flammarion. Ces collec-tions ont entre 400 et 500 titres à leur cata-logue. Depuis 1994, il faut ajouter PocketJeunesse qui a lancé deux collections dis-tinctes : « Kid Pocket » pour les enfants de laMaternelle au CM2 et « Pocket Junior » pourles années collège. Cet éditeur affiche déjà250 titres à son catalogue. Les caractèrestypographiques sont adaptés aux différentsâges, car le « poche » se décline en plusieurscatégories : Benjamin, Cadet, Junior etSenior. On peut encore ajouter à cette liste lacollection « Zanzibar » chez Milan lancée en

1987 et qui compte aujourd'hui tout juste150 titres. Ces livres sont vendus dans le cir-cuit traditionnel, mais, Milan étant d'abordun groupe de presse, « Zanzibar » est aussipositionnée comme « la première collectionde poche par abonnement » à raison de 12ou 18 livres par an, au même titre que lejournal-livre Moi, je lis Diabolo.

Le format des romans tourne autour du livrede poche classique. Il peut cependant êtresensiblement plus petit comme la « PetiteBibliothèque » de Cafligram qui a adopté unformat réduit (9,5 x 13 cm) parce que « lespetites pages se tournent plus vite » et que« la lecture devient dynamique ».

« La Petite Bibliothèque Calli-gram est une collection quiaide l'enfant à ne plus craindrele livre. En lui proposant despetits formats, des textescourts, des grands auteurs, desillustrations, la Petite

Bibliothèque va entraîner l'enfant à tourner facile-ment les pages, à lire davantage de livres. Il se sen-tira valorisé en tant que lecteur. »

Calligram

Même choix pour la toute nouvelle collectionde Syros, lancée au printemps 1996, « UnJardin se crée ». Des petits (12,4 x 12 cm)romans d'amour et d'émotion qui sont « àsavourer dans l'intimité » et « faciles à mani-puler au creux d'un oreiller ».

« j'aime beaucoup monjardin secret. C'est unroyaume sans loi. Pas decensure. On peut tout dire,tout peut être évoqué, rienn'est interdit. »

Charlotte Ruffault,

Lettre à un jeune lecteur, « Un jardin se crée », Syros

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A l'intérieur on trouve une typographie aéréeet un texte imprimé en caractères bienlisibles. Chaque chapitre, sans titre, estintroduit par un petit dessin en noir et blancet il y a quelques illustrations en pleine page,sur fond coloré. Une couleur tendre quis'harmonise avec le ton de la collection : unton feutré, propice à la confidence. Etcomme la collection s'adresse aux 8-10 ans,des lecteurs pas encore bien expérimentés quine liront pas le roman d'une seule traite, il ya un grand rabat qui peut servir de marquepage.

« Pleine Lune » a fait le pari inverse et a optépour plus d'espace afin d'offrir un meilleurconfort de lecture. Sous une couverturecrème semi-rigide, on trouve des textes pastrop longs (de 128 à 288 pages), imprimésdans une typographie aérée. La collection aaujourd'hui deux ans d'existence et compteune soixantaine de titres. Son succès aconduit l'éditeur à proposer cette année auxcadets une collection similaire, « Demi-Lune », et aux benjamins, « Première Lune ».

LE JOUR DETOUSLES MENSONGES

« Côté séduction, la

maquette est volontaire-

ment illustrée, établis-

sant ainsi la transition

entre l'album et le livre,

et dans le même esprit,

les caractères sont assez

gros, facilitant la lecture.

Enfin il s'agit d'un vrai

livre cousu, donc plus

solide, et sa couverture est souple et douce au tou-

cher. »

Hélène Wadowski,

directrice de la collection « Pleine Lune », Nathan.

En mars 1996 Albin Michel Jeunesse, avec lacollection « Petites Histoires du GrandDébut », entre dans le secteur du roman. Lestrois premiers titres, de 88 pages, Panne deterre, Made in la Lune et Un Temps de pin-

gouin sont écrits par Gilles Barraqué etabondamment illustrés, en noir et blanc, parFranck Stéphan.

« II s'agit d'une

série de trois

romans d'autant

plus sérieux

qu'ils sont hila-

rants et qu'ils

considèrent les

enfants comme

des grands et les

grands comme

des enfants. Car

si l'on admet

que l'homme est

né pour rire, le rire n'est pas l'apanage d'une tranche

d'âge. Alors oui, les premiers romans jeunesse

d'Albin Michel, sont des romans de 10 à 120 ans.

Voilà le ton est donné. Maintenant, pour ce qui est

du format, nous l'avons voulu ample, car nous

aimons les belles images et les textes qui respirent.

Et comme nous ne voulons pas rivaliser inutilement

avec les multiples collections de poche qui s'ali-

gnent sur les rayons des librairies, nous avons choi-

si de nous distinguer... par l'originalité et la

qualité. »

Albin Michel Jeunesse.

La tête ou la couverture

C'est par la couverture, instantanémentvisualisée, que le livre se fera connaître etreconnaître. D'un seul coup d'oeil, elle en ditsouvent long, elle vise à donner confianceaux jeunes lecteurs tout en aidant le pres-cripteur éventuel à choisir. Pour cela plu-sieurs possibilités : une illustration centralerésumant le livre, avec en plus pour « PleineLune » chez Nathan, des petites vignettes pré-sentant les personnages principaux qui sont,tel un menu, une mise en appétit efficace. Lemême principe, mais sur la première page, setrouve dans « J'aime lire ».

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« L'image joue un rôle-dé

dans J'aime lire. Les illus-

trations facilitent l'entrée

dans l'histoire et aident à

la compréhension du texte.

Elles permettent d'éviter de

longues descriptions fasti-

dieuses pour le jeune lec-

teur. L'enfant doit trouver

en elles un soutien pour lire et aimer lire. »

Martin Berthommier,

rédacteur en chef visuel de « J'aime lire ».

« À notre époque, le texte a

besoin de s'imposer par rap-

port à l'image et nos lecteurs

veulent être pris au sérieux. »

Christian Poslaniec,

directeur de « Zanzibar »

Milan.

La nouvelle couverture est donc plus sobreet le titre se prolonge de deux phrasesd'accroché pour allécher le lecteur.

Pocket propose un extrait du texte en amorcesur la première page de couverture. Unemanière de donner le ton du livre qui permetaussi d'indiquer la taille des caractères.

« Informer, être clair, faire

comprendre mais aussi faire

rêver, les couvertures Kid

Pocket font tout cela à la

fois... Quelques lignes racon-

tent l'histoire... de l'histoire et

donnent envie d'en savoir

plus. »

Pocket Jeunesse.

L'arrivée de Pocket a entraîné, en 1995, unemodification des couvertures chez ses princi-paux concurrents. La couverture du « Livrede poche Jeunesse » a des couleurs plusvives, le titre s'inscrit dans un rond avec au-dessus un triangle dans lequel se trouve lelogo, et sur le côté, un cartouche (rouge pourles cadets, vert pour les juniors, bleu pourles seniors). Même démarche chez « CastorPoche » qui a modernisé sa couverture avecune illustration en pleine page et mis desrepères, par âges (dès 8 ans...) et par genressignalés à l'aide de couleurs.L'année précédente c'était Milan quirevoyait en profondeur la couverture de« Zanzibar ».

Le nom ou la collectionLes romans pour la jeunesse entrent dansdes collections, le hors série est très rare.C'est que la collection offre un double inté-rêt : pour le lecteur c'est une facilité généréepar la standardisation du produit, et pourl'éditeur c'est une promesse de vente car ilespère un effet d'attachement. Le nom descollections des romans cherche à traduireplusieurs idées. Le plaisir de lire pour« J'aime lire » et la constitution d'une biblio-thèque pour la « Petite Bibliothèque » deCalligram, la « Bibliothèque Rosé » ou« Verte » chez Hachette. Une invitation àcollectionner les titres, à s'en servir commedécor grâce à une harmonie de couvertureset de couleurs identiques. C'est aussi uneidée d'appartenance à un club (« LivresClub » d'Hemma). D'autres titres évoquentune kyrielle de livres, « Cascade » chezRageot, « Myriades » chez Epigones. Ouencore des noms sans complication, sans for-malité : « Romans Casterman » (« Huit &Plus », « Dix & Plus »), « Je Bouquine »chez Bayard, « Lecture Junior » chez Galli-mard ou « Neuf » à L'Ecole des loisirs.

« Pourquoi vous appelez-vous « Neuf » ? nous

demande-t-on souvent. À cela neuf raisons.

« Neuf », parce que c'est une collection pour les

gens de 9 à 99 ans. Bien après l'âge de raison

- sept ans pour ceux qui l'auraient oublié - vient

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Guillaume LeTouzeOn m'a oublié

l'âge des questions... et des

histoires qui sont la seule

manière agréable d'essayer

d'y répondre. « Neuf » parce

que les histoires de Christine

Nôstlinger, de Chris Donner,

de Nina Bawden, de Lois

Lowry, de Claire Devarrieux,

de Brigitte Peskine ou de Yak

Rivais sont autant de manières de voir la vie d'un

œil neuf... [...]»

L'École des loisirs.

Enfin d'autres noms privilégient le rêve(« Grain de rêves » pour Bastberg, « Un Jar-din se crée » pour Syros, « Pleine Lune »pour Nathan, « Zanzibar », île des enfants,pour Milan) ou la passion (« Mille passions »chez Milan, « Passion de lire » chez Bayard).

Le Caractère ou les thèmesLa passion est utilisée comme un appât pourles mauvais lecteurs, on veut les rejoindredans leurs enthousiasmes les plus profonds.« Mille passions », la nouvelle collection lan-cée par Milan en 1995 fait le pari d'attirerles mauvais lecteurs en leur proposant deshistoires qui parlent de leurs activités favo-rites : le sport (La Rage de courir de JérômeBertin), la musique (Mon Premier disqued'or, d'Annalena McFee) ou encore lethéâtre. « Passion de lire », avec sa sérieChair de poule lancée elle aussi en 1995, misesur l'épouvante et le suspense : des petitsromans vite lus et qui font peur. Le but deBayard Poche avec cette série est de séduiredes jeunes qui lisent peu ou pas, en récupé-rant les lecteurs des « livres dont vous êtes lehéros ». Tout est mis en place pour donner leton de la série : les titres (Bienvenue aucamp de la peur, Le Masque hanté...),l'illustration de la couverture, le macaron dudos du livre « Attention danger, frissonsgarantis », l'avertissement au lecteur :

« Avertissement ! Que tu

aimes déjà les livres ou que

tu les découvres, si tu as

envie d'avoir peur, Chair de

poule est pour toi. Attention,

lecteur ! Tu vas pénétrer

dans un monde étrange où

le mystère et l'angoisse te

donnent rendez-vous pour

te faire frissonner de peur... et de plaisir ! »

Avertissement dans chaque titre de la série

Chair de Poule, « Passion de lire », Bayard Poche.

A l'intérieur, aucune illustration. Les cha-pitres, numérotés avec des chiffres trem-blant de peur, sont très courts - de 4 à 8pages - et ils se terminent sur un suspensequi oblige le lecteur à poursuivre sa lecture.

Les autres collections proposent plusieursséries dont les thèmes principaux tournentautour de l'humour, de l'aventure, du poli-cier et du conte.

« Castor Poche des livres pour

toutes les envies de lire. Envie

de rire, de frissonner, de réflé-

chir ou de rêver. Envie dépar-

tir au loin ou de se peloton-

ner dans un coin. Des livres

pour ceux qui dévorent. Des

livres pour ceux qui grigno-

tent. Des livres pour ceux qui

croient ne pas aimer lire. Des livres pour ouvrir

l'appétit de lire et de grandir ! »

Père Castor-Flammarion.

C'est Pocket Junior qui a innové en annon-çant clairement sur sa couverture à quellesérie se rattache le roman. Parmi les septthèmes retenus on trouve : C'est ça la vie !qui raconte la vie telle qu'elle est ou tellequ'on la rêve, ou Mythologie. Les autres col-lections se sont adaptées mais on note unecertaine confusion dans ces classements où

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les genres (le roman policier par exemple)sont mis sur le même pied que les thèmes (lavie quotidienne). Ainsi « Le Livre de pocheJeunesse » propose au dos de la couvertureune liste de 36 mots-clés dont ceux qui cor-respondent aux thèmes du roman concernésont surlignés. Les trois premiers termesretenus sont : Amour (un thème), Anthologie(une forme) et Aventure (un genre). « CastorPoche » répartit ses livres en neuf catégo-ries, « Pleine Lune » en retient sept et les« Romans Casterman », quatre. Quoiqu'il ensoit ces indications constituent une approchesupplémentaire pour aider à choisir. Cer-tains thèmes sont spécifiques à des collec-tions. Ainsi Pocket Junior propose Frissons,une catégorie absente chez les autres édi-teurs, des romans de terreur contemporainequi sont des « Stephen King » adaptés auxplus jeunes, S.O.S. Planète est réservé auxamoureux de la nature, et enfin, plus récem-ment, Cinéma, publie le texte de films à suc-cès avec un cahier central de photographiesen couleurs (Jumanji, l'aventure). « PleineLune » a une catégorie Sorcellerie.

L'habillement ou l'illustration :couleur ou noir et blanc ?

Traditionnellement les collections de romanspour enfants, sauf pour les plus jeunes (Ben-jamin et Cadet), présentent des illustrationsintérieures en noir et blanc. Gallimard bous-cule ce principe avec « Lecture Junior », unecollection de poche en couleur pour les 9-14ans. Un nouveau concept qui a été lancé àses débuts avec une couverture sans aucuneréférence, juste une image forte qui se passede mots, qui interroge... la réponse se trou-vant à l'intérieur. Le titre, l'auteur et la col-lection figurent désormais sur un bandeauen haut de la couverture. Et à l'intérieur lasurprise continue puisque texte et images semêlent avec des dessins et des vignettes.

« La couverture sanstexte est une idée génialedont je rêvais depuislongtemps pour la littéra-ture... Ici, l'image destyle hyperréaliste encouverture est presqueabstraite ; c'est lecontraire d'une illustra-tion : c'est une promesse

de texte, je voudrais même aller plus loin en rem-plaçant la quatrième de couverture par une simplephrase qui dirait : « Ouvre ! l'histoire est à l'inté-rieur » ou quelque chose déplus humoristique... »

Daniel Pennac, cité par Gallimard Jeunesse,

à propos de « Lecture Junior ».

Chez Gallimard toujours, la collection« Chefs-d'œuvre universels » a égalementrecours à la couleur et à l'illustration omni-présente. L'idée : rendre les « classiques »plus attrayants en multipliant les possibilitésd'entrées dans le livre, à travers le texte,l'illustration fictionnelle, l'iconographiedocumentaire, les informations historiques ouscientifiques à propos du récit... même sic'est au détriment de l'imaginaire ! On trouveencore d'autres collections tout en couleurs,chez Bayard Poche qui mise sur la gaietépour petits et grands, de « Petit Ours Brun »à « Je Bouquine ».

D'autres collections s'attachent malgré toutau noir et blanc. A L'Ecole des loisirs, la col-lection « Mouche » « pour les enfants quiaiment déjà lire tout seuls » est une collec-tion atypique. La couverture est sobre, surfond blanc, crème ou bleu pâle, on trouvejuste les références bibliographiques et undessin discret. A l'intérieur un texte en groscaractères et quelques dessins en noir etblanc. Le texte n'est que rarement découpéen chapitres. Apparemment rien n'est faitpour faciliter la lecture, et pourtant celafonctionne très bien !

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« Mouche », de même que la collections'adressant à l'âge supérieur, « Neuf », estdésormais directement publiée en poche.« Neuf » joue encore plus la carte du texte,puisqu'aucune illustration ne vient détournerl'enfant de la lecture. Même la couverture nedonne que peu d'éléments sur le contenu dulivre. L'éditeur mise sur la différence, lasobriété... et la valeur du livre.« Romans » chez Casterman a également, àl'instar des collections de poche pour enfants,adopté le noir et blanc.

Les accessoires ou la mise enpages

Depuis quelques années Gallimard, dans sesdocumentaires, utilise largement les margespour y mettre des petites illustrations, descitations ou des compléments d'information.Cette maquette est aussi présente dans les« Chefs-d'œuvre universels ». Nathan, en« Pleine Lune », utilise également sesgrandes marges soit pour créer de l'espace,soit pour les remplir avec des dessins qui ydébordent ou des extraits de texte alléchantsqui piquent la curiosité des lecteurs. Autantd'initiatives qui invitent sans cesse le lecteurà entrer dans le texte. Chez Bayard aussi cesaides à la lecture sont très présentes. Lestitres des chapitres de « J'aime lire » sonttrès parlants, et « Je Bouquine » a soigneu-sement étudié sa mise en pages.

« L'accroche visuelle est au cœur même duconcept de je Bouquine. Elle provoque un mouve-ment de curiosité, qu'il s'agit ensuite de transférervers l'écrit. L'illustration devance le texte, elleaide à le deviner, mais ne le remplace pas. La lec-ture d'un roman de Je Bouquine est pleine depauses visuelles : des tirets de dialogues, des let-trines, des espaces blancs qui avertissent le lec-teur qu'on va changer de lieu. La division en cha-pitres donne le rythme, avec ses arrêts générateurs

de suspense. À la fin de chacun d'eux, une courte

phrase sert d'aide-mémoire. »

Xavière Gauthier, Bayard Presse Jeune.

« Ratus poche », la collection à l'effigie durat vert - héros de manuels d'apprentissagede lecture et d'une collection de petitsromans chez Hatier - apporte des aides à lalecture sous forme de lexique : « des motsexpliqués pour t'aider à lire » et de ques-tions illustrées : « des dessins avec des ques-tions pour tester ta lecture ».

Parfois l'illustration se mêle si bien au texteque des bulles participent, au même titre quele texte et les dessins, à l'histoire. On le ren-contre au hasard des titres, par exemple dansTimothée tête en l'air de Margaret Ryan en« Kid Pocket Rouge », ou de façon systéma-tique comme dans la collection « Ainsi va lavie » qui emprunte les techniques de la bandedessinée. Les livres de Bruno Heitz ont souventdes textes écrits à la main avec des personnagesqui parlent dans des bulles, que ce soit dans lasérie des Loupiots en « Copain » chez Hachette,ou dans la collection « Les Impertinents » chezCirconflexe (L'Heure des mamans).

« C'est la liberté duton qui caractérisecette collection.S'appuyant sur desenquêtes minu-tieuses, les livresdécrivent avecverve et ironie lepetit monde quoti-dien des enfants etdes adultes. Au ser-vice de cette série,

des auteurs très originaux qui signent tous les texteset les illustrations d'un même album. Un talent rareles réunit, celui de savoir brocarder avec humour lestravers de nos contemporains. »

« Les Impertinents », Circonflexe.

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Les familles ou les séries

« Commencer à lire toutseul ! Moment privilégiédans la vie de l'enfant.Moment de vrai plaisir aussi.Comme celui de retrouverson héros favori. »

Hachette Jeunesse

Comme pour les plus jeunes, de manièreencore plus systématique peut-être, on trouvede nombreuses séries avec les aventures dehéros, anciens ou contemporains. HachetteJeunesse développe massivement ce filon,avec de grands succès commerciaux : ondénombre pas moins de 33 séries au cata-logue Hachette, ce qui représente 540 titres.Oui-Oui et Le Club des cinq d'Enid Blyton,mais aussi Fantômette de Georges Chaulet(27 titres et 100 000 exemplaires vendus en1993) et plus récemment Abdallah de PaulThiès, toujours en « Bibliothèque Rosé »,collection qui a aujourd'hui 140 ans. Pour latranche d'âge au-dessus on peut compter surles indémodables Alice de Caroline Quine (lepremier titre est paru en 1955, aujourd'huiil y en a 32 et 200 000 exemplaires ont étévendus en 1993) et les récents Médecins del'Impossible de Pascal Deloche et PhilippeGranjon. Mais on retrouve aussi Nick, lehéros détective d'Anthony Horowitz, dansplusieurs titres de « Verte Aventure ».Autant de lectures sécurisantes : quand onprend un livre, on est déjà en terrain deconnaissance, pas besoin de présentations,les personnages sont connus, la trame estconnue, on sait à quoi s'attendre. « Lire unFantômette ou un Alice, c'est vouloir les liretous » souligne Laurence Decréau dans CesHéros qui font lire. A côté d'Hachette,d'autres éditeurs, d'autres auteurs, répon-dent à la demande des petits lecteurs. Dan-niel Pennac, chez Gallimard, propose les

aventures de Kamo, Geneviève Brisac, àL'Ecole des loisirs, celles à'Olga.

Le Cadre ou LE CONTEXTE ÉDITO-RIAL ET CULTUREL

Concurrence commerciale et stan-dardisationComment toutes ces recherches sur la présen-tation des livres et son renouvellement s'ins-crivent-elles dans l'évolution du marché édi-torial ? On peut, après ce parcours à traversles collections actuelles, souligner quelquesphénomènes significatifs à la fois descontraintes commerciales et des représenta-tions de la lecture des enfants.Parmi les multiples raisons de cette évolutionon peut noter l'entrée en force du livre dejeunesse à l'école, que ce soit par les BCD etCDI ou par le biais des lectures pédago-giques. Tous les petits collégiens de sixième sesont vu proposer - ou imposer - des lecturesse rapportant à l'Egypte ! Ces romans, clas-siques ou de circonstance, sont tous éditésdans les principales collections pour enfants,chaque éditeur espérant que l'enfant, ayantdécouvert - et apprécié - l'œuvre dans unecollection donnée, sera tenté d'acquérir unautre livre dans cette même collection. Pourfidéliser les lecteurs il faut donc jouer lacarte scolaire et séduire les enseignants.Gallimard, en « Folio Junior éditionspéciale », présente à la fin du livre un« supplément de 32 pages, ludique et enri-chissant, pour favoriser la lecture, la pro-longer et conduire à la littérature ». Le dos-sier étant présenté tête-bêche, la quatrièmede couverture est comme une deuxième cou-verture avec la proposition suivante : « Et sic'était par la fin que tout commençait... ».Dans le même esprit, « Le Livre de pocheJeunesse » vient de créer, en juin 1996, unnouveau segment pour ses classiques, GaiSavoir. Désormais le roman est suivi d'un

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dossier « conçu comme un magazine » de 32pages, sur huit rubr iques , de « qui estl'auteur » à « Témoignage », en passant par« A vos plumes » qui propose un mini-atelierd'écriture.

Quant à la série Références qui publie les« incontournables de la littérature » en« Pocket Junior », elle introduit, au centredu livre, un « entracte » de 16 pages réalisépar des enseignants. Par ailleurs les éditeurspublient des « guides de l'enseignant » quiproposent des pistes de réflexion tout envantant les mérites de leurs collections.Plus généralement, la difficulté principalepour les collections est d'arriver à se démar-quer. En effet, face à la concurrence, lesinnovations imaginées par un éditeur sontrapidement imitées et améliorées par unautre.

Ce phénomène est, par exemple, très percep-tible dans l'évolution de l'offre de romanspoliciers. Un genre qui, dans le domaineadulte, a acquis de nos jours ses lettres denoblesse et rencontre un vif succès. Il fallaitdonc s'attendre à ce que ce genre se déve-loppe aussi dans le secteur de la littératurede jeunesse. De fait les collections de romanspoliciers pour les enfants se sont multipliéesces dix dernières années, plus exactementdepuis la création, par Joseph Périgot, de lacollection « Souris Noire » chez Syros en1986. Bien sûr les romans policiers pourenfants ne sont pas nés avec Syros. Il y a eules célèbres séries chez Hachette, en« Bibliothèque Verte » : les Hitchcock etautres Alice ont joué, et continuent de jouer,un rôle important, et Rageot avait lancé en1982, « Les Maîtres de l'Aventure/Policier »,aujourd'hui repris en « Cascade Policier »avec une belle couverture noire qui permetd'identifier sans erreur possible le genre lit-téraire.

Mais « Souris Noire » a joué un rôle pionnierdans l'édition pour la jeunesse puisqu'il ne

s'agit plus seulement de résoudre une énigmemais de créer une ambiance plus noire. Lacollection s'adresse aux enfants de 6 à 11ans, mais elle est également lue par des lec-teurs bien plus grands, ce qui a poussé Syrosà fondre les « Souris Noire » et les « SourisNoire plus » en une seule collection à partirde 1994. Dans la foulée sont nées les collec-tions « Mystère » chez Casterman (collectionreprise en « Romans Casterman », sérieMystère) avec un auteur « maison » IrinaDrozd, et plus récemment deux initiativessimilaires, mais avec une présentation diffé-rente : « Mot de passe... » aux Deux Coqsd'or et « Les Classiques du polar » chezHatier. Ces deux collections proposent destextes pris dans le domaine adulte et mis à laportée des enfants grâce à un choix judi-cieux, une typographie bien lisible et destextes courts, proches de la nouvelle. « LesClassiques du polar » sont illustrés en cou-leurs par Sacha Gepner, fait rarissime dansce genre. Le roman policier s'ouvre aussiaux extrêmes : pour les plus petits, « Pick-pocket » chez Gallimard/Giboulées, met enscène Fennec le Futé, un détective privé autarif de « deux chewing-gums de l'heure plusles frais », et les 9-12 ans se voient proposerdes Spécial Noir en « Myriades » chez Epi-gones, dont la couverture a adopté les deuxcouleurs fétiches du polar : le jaune et lenoir. Et pour les adolescents il y a eu cetteannée « Page Noire » chez Gallimard, qui ainauguré cette collection, sans illustration àl'instar de « Page Blanche », avec deux titresprometteurs.

Image du lecteur

« Les jeunes lisent de moins en moins », « lesenfants sont gavés de télévision et demusique, et la place de la lecture diminuerégulièrement dans leurs loisirs », « Lire,c'est quand je n'ai rien de mieux à faire »...

N° 170 JUIN 1996/71

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Le Chat, ill. Geluck, Casterman

ces leitmotivs sont dans l'air du temps. Onsait par ailleurs que la lecture est une activi-té qui demande un effort et que bien desenfants ne lisent que contraints et forcés. Lequotidien Le Monde titrait en première pagele 3 mai dernier « Un élève sur quatre ne saitpas lire ou calculer à l'entrée au collège ».

Affirmations dont les éditeurs prennent acte,qu'ils relaient par leur propre discours etauxquelles ils cherchent à s'adapter en fai-sant porter principalement leurs efforts surla forme, sa séduction et son confort plutôtque sur le contenu et en jouant sur tous leséléments de lisibilité : l'enfant n'aime paslire, on le rassure en lui donnant des livrespas trop gros et écrits dans une typographieconfortable ; il est accaparé par de nom-breuses autres activités, les livres lui parlentde ces occupations : la musique, le sport ; iladore regarder la télévision, les textesdémarrent vite et les illustrations remplacentles descriptions fastidieuses ; il a du mal à seconcentrer, des chapitres et des repèresvisuels rythment sa lecture ; il vit dans une

civilisation où l'image est prioritaire, on luipropose de nombreuses illustrations quelque soit son âge ; il adore retrouver seshéros préférés, les séries lui donnent ce plai-sir. Et comme l'enfant grandit et seconstruit, les livres l'aident à travers desromans d'apprentissage et des romans réa-listes. La diversité des thèmes renvoiel'image de la diversité de ses goûts : l'enfantaime rire, il a à sa disposition des romansd'humour ; il aime se faire peur, les policierset la science-fiction sont là pour assouvircette soif ; il aime rêver, le conte répond àson attente ; il aime jouer, on lui propose deslivres à jouer.

L'emballage et l'habillage des romans s'effor-cent de sédiùre, encore faut-il que l'intérieursoit bon à consommer. Reste la question queFrançois de Closets formule ainsi dans LeBonheur d'apprendre : « Comment se fait-ilqu'un même art (l'écriture), un même objet(le livre), une même activité (la lecture) soientsource d'ennui chez l'un et de plaisir chezl'autre ?» I

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