SOMMAIRE PLAIE DU PIED CHEZ UN PATIENT DIABÉTIQUE

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LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 27 l N° 896 l FÉVRIER 2013 Mettre en décharge, évaluer et hospitaliser en urgence si nécessaire. DOSSIER Par Olivier Bourron Service de diabétologie, hôpital Pitié-Salpêtrière, 75651 Paris Cedex 13. olivier.bourron@ psl.aphp.fr L a neuropathie diabétique, l’artériopathie des membres inférieurs, les déformations des pieds et les antécédents d’ulcération et/ou d’amputation sont les principaux facteurs de risque d’ulcération du pied chez le diabétique. Leur prévalence est élevée : 15 à 20 % de cette popu- lation aura au cours de sa vie une plaie des mem- bres inférieurs ; 5 à 10 % sera un jour victime d’une amputation ; 10 % des diabétiques hospitalisés en France le seraient pour une lésion du pied, et 25 % des séjours en diabétologie sont dédiés à la prise en charge d’une plaie du pied. Enfin, 10 000 amputa- tions en France sont dues au diabète et 50 % d’entre elles pourraient être évitées. La prise en charge adéquate d’un mal perforant plantaire permet, dans la plupart des cas, d’en limi- ter les conséquences (amputations de membres, immobilisations de longue durée, hospitalisations prolongées et répétées, coût…). PREMIÈRES MESURES Dater le début de la plaie : une ulcération ancienne (de plus de 4 semaines) fait craindre une artérite des membres inférieurs ou une ostéite sous-jacente. Rechercher une cause pour la supprimer : un frottement de la chaussure ou un appui sur la plaie, un ongle agressif… 2 Elle est parfois difficile à identifier, mais c’est indispensable. Du fait de la neuropathie et donc de l’absence du signal d’alarme « douleur », le malade ignore fréquem- ment comment il s’est blessé, et la découverte de la plaie est souvent fortuite, en enlevant sa chaus- sure. L’analyse de la sensibilité superficielle au monofilament met en évidence la neuropathie (encadré, page 3). INTERDIRE L’APPUI C’est la mesure la plus importante. L’arrêt de l’ap- pui doit être immédiat et total. Le malade, qui ne souffre pas, comprend mal cette interdiction absolue (même pour aller aux toilettes). Il est donc essentiel de lui en expliquer l’importance. Il existe plusieurs moyens pour mettre en décharge le membre inférieur : utilisation d’une chaussure WPS ou Barouk sans avant-pied pour les plaies de la face plantaire de l’avant-pied, d’une chaussure Tera PLAIE DU PIED CHEZ UN PATIENT DIABÉTIQUE 155 Premières mesures Interdire l’appui 156 Évaluer la gravité 157 Hospitaliser ou non ? 158 Contrôler l’infection Mesures complémentaires 159 Mesures préventives Des unités dédiées 160 Prévention SOMMAIRE 155 TOUS DROITS RESERVES - LA REVUE DU PRATICIEN-MEDECINE GENERALE

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LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 27 l N° 896 l FÉVRIER 2013

Mettre en décharge, évaluer et hospitaliser en urgence si nécessaire.

DOSSIER

Par Olivier BourronService de diabétologie,hôpital Pitié-Salpêtrière,75651 Paris Cedex 13. [email protected]

La neuropathie diabétique, l’artériopathie desmembres inférieurs, les déformations despieds et les antécédents d’ulcération et/ou

d’amputation sont les principaux facteurs derisque d’ulcération du pied chez le diabétique.Leur prévalence est élevée : 15 à 20 % de cette popu-lation aura au cours de sa vie une plaie des mem-bres inférieurs ; 5 à 10 % sera un jour victime d’uneamputation ; 10 % des diabétiques hospitalisés enFrance le seraient pour une lésion du pied, et 25 %des séjours en diabétologie sont dédiés à la prise encharge d’une plaie du pied. Enfin, 10 000 amputa-tions en France sont dues au diabète et 50 % d’entreelles pourraient être évitées.La prise en charge adéquate d’un mal perforantplantaire permet, dans la plupart des cas, d’en limi-ter les conséquences (amputations de membres,immobilisations de longue durée, hospitalisationsprolongées et répétées, coût…).

PREMIÈRES MESURESDater le début de la plaie : une ulcération ancienne(de plus de 4 semaines) fait craindre une artérite

des membres inférieurs ou une ostéite sous-jacente.Rechercher une cause pour la supprimer : un frottement de la chaussure ou un appui sur laplaie, un ongle agressif…2 Elle est parfois difficile à identifier, mais c’est indispensable. Du fait de la neuropathie et donc de l’absence du signald’alarme « douleur », le malade ignore fréquem-ment comment il s’est blessé, et la découverte dela plaie est souvent fortuite, en enlevant sa chaus-sure. L’analyse de la sensibilité superficielle aumonofilament met en évidence la neuropathie(encadré, page 3).

INTERDIRE L’APPUI

C’est la mesure la plus importante. L’arrêt de l’ap-pui doit être immédiat et total. Le malade, qui nesouffre pas, comprend mal cette interdictionabsolue (même pour aller aux toilettes). Il estdonc essentiel de lui en expliquer l’importance. Il existe plusieurs moyens pour mettre en déchargele membre inférieur : utilisation d’une chaussureWPS ou Barouk sans avant-pied pour les plaies de laface plantaire de l’avant-pied, d’une chaussure Tera

PLAIE DU PIED CHEZ UN PATIENT DIABÉTIQUE

155Premières mesuresInterdire l’appui

156 Évaluer la gravité

157 Hospitaliser ou non ?

158 Contrôler l’infection Mesures complémentaires

159 Mesures préventivesDes unités dédiées

160 Prévention

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156 Plaie du pied chez un patient diabétiqueDOSSIER

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Heel ou Sanital sans talon pour celles postérieuresou talonnières, d’une Podalux pour celles de la facedorsales de l’avant-pied (fig. 4), de bottes en résine,de cannes anglaises, d’un déambulateur à deux rou-lettes ou d’une chaise roulante, pose d’un plâtre dedécharge.3

ÉVALUER LA GRAVITÉUne artérite est-elle associée ?

Les antécédents facilitent souvent le diagnostic(pontage vasculaire ou angioplastie). L’examen dela plaie elle-même permet de distinguer l’ulcéra-tion ischémique du mal perforant neuropathiquepur (fig. 2).Les ulcérations ischémiques sont souvent provo-quées par le frottement du pied dans la chaussure,contre une couture interne saillante par exemple,ou par un ongle incarné ou mal taillé… La plaiesiège donc au pourtour du pied. La peau est fine,fragile, elle peut être arrachée par la simple abla-tion d’un sparadrap collé (à tort) à même la peau.Il existe des signes locaux d’ischémie : abolitiondes pouls ; peau froide, atrophique, cyanosée ; plaienécrotique. Les douleurs de décubitus et la claudication inter-mittente sont rares en raison de la fréquence de laneuropathie.4

La plaie est-elle infectée ?

Le mal perforant est souvent infecté initialement.Sous l’orifice externe entouré de kératose, il existeune importante chambre de décollement. Il estessentiel de l’expliquer au malade, au besoin àl’aide d’un schéma, pour qu’il comprenne quel’abrasion de la kératose mettra à nu une largeperte de substance. Une fois drainé, le mal perfo-rant peut être colonisé par des germes sans êtreinfecté. Il faut rechercher systématiquement des signesgénéraux de sepsis (fièvre, frissons, signes dechoc…), une inflammation locale (écoulementpurulent, rougeur, chaleur, œdème) ou des signeslocaux extensifs (fluctuence, crépitation localisée,lymphangite, érysipèle, hypodermite ou fasciitenécrosante) (fig. 5, 6, 7).2

Existe-t-il une ostéite sous-jacente ?Toute plaie du pied doit être explorée par un styletmétallique à pointe mousse (fig. 8) à la recherched’un contact osseux signant l’ostéite (valeur prédic-tive positive de 90 %).5

La radiographie du pied confirme le diagnostic(érosion corticale, décollement périosté, destruc-tion osseuse). En cas de normalité du cliché et s’ilexiste une forte présomption clinique, il faut

Un durillon qui tourne mal !Le mal perforant plantaire est la complication la plus fréquente de la polyneuropathiediabétique.

L’hyperkératose au niveau des points d’appui soumis à des pressions inhabituelles formedes durillons qui, faute de douleurs liée à la perte de sensibilité, sont négligés (fig. 1). Ils deviennent de véritables corps étrangers, telles des pierres blessant le tissu sous-cutané(fig. 3a). Cette hyperkératose est responsable, à la marche, de microtraumatismes tissulaires (force de cisaillement) favorisant la constitution progressive de l’ulcération. Une petite poche liquidienne sérohématique se crée sous le durillon (fig. 3b). À la marcheet à la station debout, le liquide sous pression dissèque les tissus sous-cutanés formantune véritable chambre de décollement. Puis la kératose dure se fendille (fig. 3c). La bourse nécrotique sous-jacente s’infecte. Un abcès se constitue dont le pus s’évacuelorsque la coque kératosique tombe, faisant apparaître le mal perforant (fig. 2). Mais cetabcès peut aussi fuser vers l’articulation et les gaines tendineuses sus-jacentes ou vers laloge plantaire (fig 3d.)1

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Fig. 1 – Hyperkératose sur hyperappui plantaire précédant l’apparition d’un mal perforant plantaire. Fig. 2 – Mal perforant plantaire non compliqué (pas d’artérite ni d’infection des parties molles).Fig. 3 – Mal perforant plantaire.

Fig. 4 – Chaussures :WPS (a), Tera Heel (b),Podalux (c).

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répéter cet examen, car l’imagerie est toujours enretard d’une quinzaine de jours par rapport audiagnostic.

HOSPITALISER OU NON ?

Le malade peut rester à domicile sous la surveil-lance de son médecin s’il s’agit d’une plaie noncompliquée (pas de signes de gravité) survenantchez un patient diabétique neuropathe ou non,n’ayant pas d’artérite, connaissant la cause de sablessure et dont le diabète est correctement équi-libré et bien surveillé. Il suffit alors de bien nettoyer la plaie à l’eau et ausavon de Marseille, et de faire un simple panse-ment favorisant la cicatrisation en milieu humide(compresses Adaptic ou Jelonet). La blessure doitêtre surveillée régulièrement (tous les 2 jours lorsdu changement de pansement) ; en l’absence desurinfection et si le diabète est correctement équi-libré, il n’y a pas lieu de prescrire des antibio-tiques. En outre, la vaccination antitétanique doitêtre à jour.À l’opposé, chez un patient diabétique ayantune artérite ou une plaie infectée avec signes degravité, la survenue de la moindre blessure cuta-née doit conduire à une hospitalisation. C’est uneurgence médicale mais pas chirurgicale. Il faut absolument éviter la chirurgie transversaled’urgence, conséquence de diagnostics à l’em-porte-pièce du type « pied diabétique pourri »(typiquement, l’amputation transmétatarsienne

DOSSIER

n

La perte de sensibilité est définie par unemauvaise perception du monofilamentde 10 g.

✔ Trois points d’application sur la plante des pieds

Le monofilament doit être appliqué à troissites de la face plantaire à chacun des deuxpieds : sur la pulpe du gros orteil et en regard de la tête des 1er et 5e métatarsiens. Lorsqu’il est appliqué correctement (cf.mode d’emploi), il exerce une pression de10 g sur la peau. L’application doit être ré-pétée 3 fois sur le même site, sans ordredéterminé.

Deux fausses réponses sur trois à un mêmesite signent l’existence d’une neuropathieet d’un risque d’ulcération.

✔ Mode d’emploi du monofilamentde 10 g

• Appliquez le monofilament perpendicu-lairement à la surface de la peau, avecsuffisamment de force pour le courber(cela évite de transmettre la force du poi-gnet de l’examinateur).

• Appliquez-le d’abord sur le dos de lamain du patient pour qu’il sache ce qu’ildoit ressentir. Demandez au patient defermer les yeux, pour qu’il ne puisse pasvoir où vous allez appliquer le mono -filament.

• Appliquez le fermement, en une fois : attention à ne pas le faire glisser le longde la peau et à ne pas toucher la peau defaçon répétitive.

• Appliquez le monofilament aux différentsendroits sans ordre déterminé pour éviter

les biais dus à l’anti-cipation du pa-tient ; ne l’appli-quez pas sur unecallosité ou un ul-cère, mais à la péri-phérie.

• La durée totaled’application doitêtre approximati-vement d’une se-conde et demie :demandez au pa-tient de répondre« oui » ou « non »ins tanta némentaprès applicationdu monofilament et, en cas de réponsepositive, de préciser le côté (pied droitou gauche) où il a ressenti le filament.

• Pour conserver cet outil en bon état, gar-dez-le dans son étui ou replié dans sonmanche.

Évaluer la perte de sensibilité du pied témoignant d’une forme évoluée de neuropathie

Trois points d’application du monofilament.

Fig. 5 et 6 – Mal perforant plantaire compliqué d’une cellulite nécrosante.Fig. 7 – Pied infecté. Fig. 8 – Recherche d’un contact osseux par le stylet.

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158 Plaie du pied chez un patient diabétiqueDOSSIER

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proposée d’emblée sur une lésion qui pourraitbénéficier d’une chirurgie beaucoup plus limitéeet conservatrice). Les seules urgences chirurgicales sont la gangrènegazeuse (exceptionnelle), la fasciite nécrosante,l’abcès et la cellulite extensive avec septicémiemenaçant la vie du malade. Cette chirurgie doit sefaire dans le cadre d’une réanimation médicaleavec réhydratation, équilibration du diabète parinsulinothérapie intraveineuse à la seringue élec-trique ou par injections horaires d’insuline rapide.

CONTRÔLER L’INFECTION Prélèvements bactériologiques

Ils sont nécessaires en cas de plaie justifiant la misesous antibiotiques et réalisés avant de débuter letraitement. Les prélèvements sont effectués aprèsdésinfection à la Bétadine des bords cutanés de laplaie et après détersion. Il faut veiller à adresser aulaboratoire des prélèvements (ou biopsies) pro-fonds et non un simple écouvillon.

Quand prescrire un antibiotique ?Une antibiothérapie probabiliste, débutée avantles résultats du prélèvement bactériologique, estindiquée si et seulement s’il existe des signeslocaux infectieux extensifs au niveau des partiesmolles ou des symptômes généraux. Une simplecolonisation ne justifie pas d’antibiotiques et doitêtre au contraire respectée. L’indication est doncpurement clinique ! 6

En cas d’infection des parties molles, l’antibio -thérapie à spectre large doit couvrir staphylo-coques, streptocoques, germes à Gram négatif et, encas d’ischémie, les anaérobies. La durée recomman-dée est alors de 15 jours. En ville, on peut utiliser Augmentin (amoxicilline-acide clavulanique) si le patient n’est pas suscepti-ble d’être porteur de bactéries multirésistantes. S’il a été hospitalisé à plusieurs reprises, il convient

de couvrir les germes multirésistants. L’antibiothé-rapie conseillée est alors l’association d’Invanz(ertapénem) et de vancomycine [ou Tazocilline etTargocid (téicoplanine) en cas d’insuffisancerénale]. Si le malade est immunodéprimé, on remplaceInvanz par Tazocilline (pipéracilline-tazobactam).S’il y a des signes généraux, on associe un amino-side par voie parentérale pendant quelques jours. En cas d’ostéite, l’antibiothérapie n’est jamaisune urgence médicale et concerne surtout lesformes peu destructives. Elle est adaptée auxgermes retrouvés sur les prélèvements profondsou mieux sur la biopsie osseuse. La durée est de12 semaines.7 En cas d’ostéite plus évoluée, lacombinaison d’une chirurgie conservatrice (limi-tée le plus possible à l’os infecté, par exemple unephalange ou une tête métatarsienne) à une anti-biothérapie de 4 semaines pourrait permettre deréduire le délai de cicatrisation.Un rappel de la vaccination antitétanique ou uneinjection de globulines antitétaniques et unerevaccination doivent être systématiques.6

DétersionElle est variable selon la nature des lésions : exten-sive en cas de neuropathie isolée, très limitée etpeu agressive en cas d’ischémie afin de permettrela limitation spontanée d’une nécrose sèche.Sur les plaies exsudatives ou fibrineuses, on utiliseun pansement à base d’alginates ou d’hydrofibres(Algosteryl, par exemple), et en cas de plaies bour-geonnantes, un pansement gras ou hydrocellulaire(Jelonet, par exemple).

MESURES COMPLÉMENTAIRESOn demande : – des clichés osseux à la recherche d’une ostéite ;– un écho-doppler avec exploration des 3 artères

de jambe, mesure de l’indice de pression systo-Fig. 9 – Débridement mécaniqued’un mal perforant plantaire.

Neuropathie sensitive : en savoir plusElle se manifeste par une anesthésie superficielle tactile et thermo-algique,débutant à la plante et d’extension ascendante. Elle s’associe à une neuropathie autonome entraînant œdème et sécheresse cutanée et plustardivement à une neuropathie motrice responsable d’une déformationdes pieds (par amyotrophie des muscles intrinsèques et déséquilibre entre extenseurs et fléchisseurs). Il s’ensuit une proéminence de la têtedes métatarsiens avec pied creux et/ou orteils en griffe ou en marteau.La déformation caricaturale de la neuro-arthropathie diabétique est lepied de Charcot.

Figure – Pied creux avec orteils en marteau à l’origine de 2 zonesd’appui excessif : première articulation métatarso-phalangienne

et articulations interphalangiennes. DEB

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lique (PAS à la cheville/pression humérale) et dela pression transcutanée en oxygène pour appré-cier la vascularisation. Une pression de cheville< 60 mmHg, un indice de pression systolique < 0,5 et une tcPO2 < 30 mmHg sont en faveurd’une artériopathie sévère ;8

– une artériographie, s’il existe une artériopathie,en vue d’un geste de revascularisation chirurgi-cale ou d’une angioplastie.

On adapte l’antibiothérapie en fonction de l’évo-lution locale et des résultats de l’antibiogramme,en choisissant, chaque fois que possible, les anti-biotiques à spectre plus étroit, type oxacilline,pour éviter une sélection de germes résistants.En l’absence d’ischémie et s’il existe une ostéite,un geste d’orthopédie podologique conservateur(type résection d’une tête de métatarsien ou abla-tion limitée d’une phalange), sans amputation,peut être envisagé pour raccourcir le délai de cicatri-sation. L’antibiothérapie est poursuivie 4 semainesaprès le geste chirurgical. Néanmoins, il n’y a pas à ce jour d’étude randomi-sée ayant montré le bénéfice de la stratégiemédico-chirurgicale sur le seul traitement médi-cal prolongé 3 à 6 mois en prenant comme critèrede jugement non seulement la durée nécessairepour obtenir la cicatrisation mais aussi le taux derécidive du mal perforant au même endroit oudans une zone d’appui voisine.

MESURES PRÉVENTIVES

Si la plaie est secondaire à un frottement : conseil-ler de découper la chaussure ou le chausson afin desupprimer tout contact, même minime, ou bienprescrire une chaussure de décharge.En cas d’ischémie : prévoir un matelas anti-escarres et une protection des talons (p. ex. un cous-sin relève-jambes Neut qui met en décharge lestalons). Celle-ci est au mieux réalisée par des blocsde mousse en forme de prismes, permettant de sou-lever la jambe en pente douce, le talon restant dansle vide sans appui.Équilibrer le diabète et prescrire un traitementanticoagulant (héparinothérapie à doses isocoa-gulantes) pour éviter les complications thrombo-emboliques liées à l’immobilisation.

DES UNITÉS DÉDIÉES

La coordination des différents intervenants permetune meilleure prise en charge de ces patients, aumieux dans un centre de cicatrisation podologiqueregroupant médecin généraliste, angiologue, dia-bétologue, médecin podologue, pédicure-podo-logue, infirmière, kinésithérapeute, chirurgien vasculaire, chirurgien-orthopédiste, chirurgienplastique, bactériologiste, psychologue et assis-tante sociale.

DOSSIER 159

Que dire à vos patients diabétiques à risque de plaies ? Pour éviter la survenue de plaies8

✔ Pédicurie régulière avec soins des ongles et exérèse de l’hy-perkératose.

✔ Graissage des pieds.✔ Chaussage adapté :

− en l’absence de déformations : chaussure de série (en cuirsouple à l’intérieur et à l’extérieur, sans coutures agressives,à lacets, fermées, avec des semelles rigides, achetées en fin dejournée au moment où la taille du pied est la plus grande) ;

− en présence de troubles morphostatiques sévères (pied deCharcot, hallux valgus sévère, pieds inchaussables…) :chaussures orthopédiques sur mesure.

✔ Chaussettes sans couture et en coton pour limiter la transpiration.✔ Pour éviter les mycoses, sources de plaies, laver les pieds ré-

gulièrement puis bien les sécher, notamment entre les orteils.✔ Ne jamais marcher pieds nus ni avec des chaussures ouvertes.✔ Éviter tous les objets dangereux (ciseaux pointus, vaseline

salicylée, coricides, coupe-cors métalliques, sparadrap collé à même la peau, antiseptiques utilisés au long cours, sèche-cheveux sur les plaies neuropathiques…).

✔ Vérifier la température de l’eau de toilette à la main pour évi-ter les brûlures des pieds.

✔ Ne pas utiliser de bouillottes.✔ Inspecter chaque jour les pieds, au besoin à l’aide d’un miroir.

En cas de blessures✔ Arrêter de marcher.✔ Éviter colorants et antiseptiques sur la plaie.✔ Nettoyer la plaie avec de l’eau savonneuse.✔ Mettre une compresse ou un pansement gras simple type

Adaptic ou Jelonet.✔ Essayer d’identifier la cause de la plaie et la supprimer im-

médiatement (chaussure, corps étranger…).✔ Supprimer tout appui ou frottement sur la plaie.✔ Contacter un médecin rapidement.✔ Ne pas oublier que l’absence de douleur, en cas de neuropa-

thie, ne doit pas être un critère rassurant.

Outils interdits aux patientsdiabétiquesayant unpied àrisque.D

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Le chirurgien-orthopédiste n’intervient qu’aprèsun bilan vasculaire et, si nécessaire, avis de l’angio-logue et/ou du chirurgien vasculaire. La prioritéest, en effet, toujours à la revascularisation arté-rielle quand elle est nécessaire et possible.

PRÉVENTION

Tout diabétique doit bénéficier d’un examenannuel des pieds permettant d’évaluer et de graderle risque de lésion. Cette gradation débouche surune démarche de prévention dans laquelle chaqueprofessionnel est appelé à coopérer avec les autresacteurs de soins (tableau).9, 10 ●

R É F É R E N C E S

1. Boulton AJ. The pathogenesis of diabetic foot problems: anoverview. Diabet Med 1996;13(Suppl 1):S12-6.2. Apelqvist J, Larsson J, Agardh CD. The influence of externalprecipitating factors and peripheral neuropathy on the deve-lopment and outcome of diabetic foot ulcers. J Diabet Com-plications 1990;4:21-5.3. Cavanagh PR, Bus SA. Off-loading the diabetic foot for ulcerprevention and healing. J Vasc Surg 2010;52(3 suppl):37S-43S.4. Prompers L, Huijberts M, Apelqvist J, et al. High prevalenceof ischaemia, infection and serious comorbidity in patients withdiabetic foot disease in Europe. Baseline results from the Euro-diale study. Diabetologia 2007;50:18-25.5. Grayson ML, Gibbons GW, Balogh K, Levin E, Karchmer AW.Probing to bone in infected pedal ulcers. A clinical sign of under-lying osteomyelitis in diabetic patients. JAMA 1995;273:721-3.6. Hartemann-Heurtier A, Marty L, Ha Van G, Grimaldi A. Roleof antibiotic therapy in diabetic foot management. DiabetesMetab 2000;26:219-24.7. Hartemann-Heurtier A, Senneville E. Diabetic foot osteo-myelitis. Diabetes Metab 2008;34:87-95.8. Bakker K, Apelqvist J, Schaper NC. Practical guidelines on themanagement and prevention of the diabetic foot 2011. Dia-betes Metab Res Rev 2012;28 Suppl 1:225-31.9. Rith-Najarian SJ, Stolusky T, Gohdes DM. Identifying diabe-tic patients at high risk for lower-extremity amputation in aprimary health care setting. A prospective evaluation of simplescreening criteria. Diabetes Care 1992;15:1386-9.10. HAS. Guide ALD 8. Diabète de type 2. Juillet 2007.

P O U R E N S AV O I R P L U S

– Richard JL, Schuldiner S. Pied diabétique. Rev Prat Med Gen2010;24:696-7.– Lozeron P, Said G. Neuropathies chez le diabétique. Rev PratMed Gen 2006;20:239-41.– Debure C. Lésions du pied du patient diabétique. Rev PratMed Gen 2005;19:801-9.– Hartemann-Heurtier A, Ha Van G. Le pied du diabétique. RevPrat 2003;53:1102-8.– Ha Van G. Éducation : apprendre à regarder ses pieds etsavoir se chausser. Concours Med 2009;131:274-5.– Varroud-Vial M, Henry G. Diabète. Gradation du risque delésion des pieds pour prévenir les amputations. Concours Med2008;130:483-6.– http://www.ancred.fr/prevention-lesions-des-pieds.html

L’auteur déclare participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles pour

Servier, Sanofi, MSD, Urgo.

L’essentiel La mise en décharge du pied est une mesure thérapeutique primordiale devant toute lésion plantaire.

Explorer systématiquement la plaie au stylet, à la recherche d’uncontact osseux, souvent synonyme d’ostéite.

L’infection des parties molles est la seule indication à la mise sousantibiotiques en urgence (l’ostéite n’est jamais une urgence infectieuse).

Des prélèvements bactériologiques profonds, après désinfectionà la Bétadine et détersion, doivent être réalisés avant de débuter les antibiotiques, ils permettent d’adapter secondairement l’antibiothérapie.

Une radiographie du pied est toujours réalisée et éventuellement répétée pour confirmer l’ostéite.

Une artérite associée doit être systématiquement recherchée.

DOSSIER160 Plaie du pied chez un patient diabétique

TABLEAU GRADATION ET PRISE EN CHARGE DU RISQUE PODOLOGIQUE (HAS)

Définition Mesures préventives Intervention des professionnels et fréquence de suivi

Grade 0 Ni neuropathie sensitive ni artérite Examen de dépistage annuel MG une fois par an (ou diabétologue)

Grade 1 Absence isolée de perception Examen des pieds et évaluation du chaussage MG à chaque consultationdu monofilament Éducation : mesures d’hygiène, autoexamen des pieds Podologue : éducation thérapeutique dans le cadre

et des ongles, conseils de chaussage non traumatisant, d’une équipe multidisciplinairemesures de prévention dans les situations à risque, Infirmier : personnes âgées ou avec handicapconduite à tenir en cas de plaie Rechercher l’aide de l’entourage

Grade 2 Absence de perception Mêmes mesures que pour le grade 1 MG à chaque consultationdu monofilament associée : Soins de pédicurie réguliers Diabétologue. Podologue tous les 2 à 3 mois– à une artériopathie des membres Correction des anomalies biomécaniques Infirmier : personnes âgées ou avec handicap

inférieurs Avis sur l’indication d’orthèses et d’un chaussage approprié Médecine physique et de rééducationet/ou Prise en charge de l’artériopathie si existante Podo-orthésiste– à une déformation du pied Recours à un réseau de santé Réseau de santé

Grade 3 Antécédent Renforcement des mesures définies pour le grade 2 Les mêmes que pour le grade 2– d’ulcération du pied évoluant Appareillage systématique, selon les propositions du centre Centre spécialisé/centre de cicatrisation (bilan annuel)

depuis plus de 4 semaines spécialisé Soins podologiques au moins tous les 2 moiset/ou Surveillance régulière par un centre spécialisé– d’amputation des membres ou par un spécialiste diabétologue

inférieurs

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