Ostéite du pied chez le patient diabétique - FELIN · Infection atteignant les structures...

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Ostéite du pied chez le patient diabétique Hervé Dutronc Service de Maladies Infectieuses et Tropicales Hôpital Pellegrin - Bordeaux

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Ostéite du pied chez le patient diabétique

Hervé DutroncService de Maladies Infectieuses et

Tropicales Hôpital Pellegrin - Bordeaux

Introduction 15 à 25% des diabétiques développeront une ulcération

du pied 40 à 80% de ces ulcérations s’infecteront 20% évolueront vers une ostéite 2/3 de ces ulcérations infectées aboutiront à une

amputation Toute plaie chez un diabétique nécessite de :

nettoyer-débrider déterminer la profondeur de la plaie (sonde métallique ++) évaluer la neuropathie évaluer l’artériopathie déterminer s’il existe une infection

Examen clinique (1)

Inspection et palpation soigneuses : durillon, cor, crevasse, ulcération, fistule…

Extension de l’inflammation (dermo-hypodermite)

Sondage au stylet métallique à la recherche d’un contact osseux signant une ostéite : VPP varie selon les études : 53 – 89% VPN : 98%

[Grayson et al JAMA 1995 ; Shone et al Diabetes Care 2006 ; Lavery et al Diabetes Care 2008]

Examen clinique (2)

Examen neurologique complet (test au monofilament ++)

Examen vasculaire : Pouls distaux Souffle vasculaire Temps de recoloration des orteils Index de pression systolique (PAS cheville/PAS bras) :

normale : 0,9-1,3 si < 0,9 : AOMI si > 1,3 : médiacalcose

Définir l’infection

Plusieurs facteurs interviennent dans la genèse de l’infection : Virulence bactérienne (Ex : Streptococcus β hémolytique,

Staphylococcus aureus) Substances produites par la bactérie (toxines...) Quantité de bactéries présentes : >105 UFC/gramme

de tissu Réponse de l’hôte

Classification

Classification selon le Consensus International sur le Pied Diabétique (1)

Grade 1 Pas de symptômes, ni de signe d’infection

Grade 2 (infection bénigne)Atteinte cutanée uniquement (sans atteinte des tissus sous-cutanés, ni systémique) avec au moins deux des signes suivants :

chaleur locale érythème > 0,5-2 cm autour de l’ulcère sensibilité locale ou douleur tuméfaction locale ou induration décharge purulente (sécrétion épaisse, opaque à blanchâtre ou

sanguinolente)Les autres causes de réaction inflammatoire de la peau doivent être

éliminées (traumatisme, goutte, pied de Charcot …)

Classification selon le Consensus International sur le Pied Diabétique (2)

Grade 3 (infection modérée)Érythème > 2 cm et une des constatations décrites ci-dessus

OuInfection atteignant les structures au-delà de la peau et du tissu sous-cutané,

comme un abcès profond, une lymphangite, une ostéite, une arthriteseptique ou une fasciite.

Il ne doit pas y avoir de réponse inflammatoire systémique (Cf : Grade 4)Grade 4 (infection sévère)

Quelle que soit l’infection locale, si présence de signes systémiques manifestés par au moins deux des caractéristiques suivantes :

température > 39°C ou <36°C fréquence cardiaque > 90 battements/min fréquence respiratoire > 20 cycles/min PaCO2 < 32 mmHg leucocytes > 12 000 ou < 4 000/mm3 10 % de formes leucocytaires immatures

Imagerie du pied diabétique infecté à la recherche d’une ostéite (1)

La radiographie : à demander en 1ère intention : réaction périostée, ostéopénie, ostéolyse n’apparaissant que

tardivement (20ème jour). elle n’est pathologique qu’après une destruction de 30 à 50% de

l’os

Le scanner : analyse de l’os cortical ++ manque de spécificité indications limitées par l’existence d’une insuffisance rénale

L’IRM : l’examen de référence diagnostic d’infection osseuse et surtout des parties molles

Imagerie du pied diabétique infecté

Imagerie du pied diabétique infecté

IRM : Abcès+++ zone en hyposignal T1, hypersignal T2 rehaussement périphérique après Gadolinium

T1 T2 T1C+

Imagerie du pied diabétique infecté

IRM : Trajets fistuleux de contenu variable

Imagerie du pied diabétique infecté

Ostéomyélite :Infiltration de la cavité médullaire (hyposignal T1, hypersignal T2), rehaussement homogène ou hétérogène après Gadolinium

T1 T2FS T1C+FS

Imagerie du pied diabétique infecté à la recherche d’une ostéite (2)

La scintigraphie osseuse à l’HDP-Tc-99m [Croll et al. J Vasc Surg1996 ; Enderle et al. Diabetes Care 1999]

Sensibilité : 50-86% Spécificité : 30-50%

La Scintigraphie aux polynucléaires marqués à l’HMPAO-Tc-99m [Keenan et al. Arch Inter Med 1989 ; Johnson et al. Foot Ankle Int 1996 ; Palestro et al. Foot Ankle Int 2003]

Examen de référence Sensibilité : 72-100% Spécificité : 80-85%

Imagerie du pied diabétique infecté à la recherche d’une ostéite (3)

La tomo-scintigraphie ++ [Palestro et al. Semin Nucl Med 2009]

Intérêt pour guider le geste biopsique Fait la part des choses entre infection des parties molles et ostéite

( spécificité / scintigraphie aux leucocytes marqués)

Le TEP-scan [Basu et al. Nucl Med Commun 2007 ; Hopfner et al. Foot AnkleInt 2004 ; Nawaz et al. Mod Imaging Biol 2010 ; Schwegler et al. J Intern Med 2008 ; Familiari et al. J Nucl Med 2011]

N’a pas l’AMM dans cette indication Résultats discordants :

forte VPN pour exclure l’infection/ostéoarthropathie neurogène Se : 30-81% ; Sp : 93% pour certains, ne remplace pas la scintigraphie aux PN marqués

RESULTATS

Suspicion de sepsis sur pied diabétique G : orientation biopsique

Fistule malléolaire interne G : RF diffus scinti os, SPM +, TEMP-TDM = - en os

Suspicion de sepsis sur pied diabétique G avec mal perforant plantaire : SO + aux 3 temps sur la cheville et le tarse ; la SPM planaire montre plusieurs foyers focalisés du

tarse postérieur ; TEMP-TDM = foyers talo-naviculaire, talo-calcanéen et calcanéen + lyse à la TDM : guidage biopsique, AB adaptée

Prélèvements (1)

Ne pas prélever une plaie non infectée Préparer la plaie : débridement ++ Application de sérum physiologique avant le prélèvement Un contact osseux au fond de la plaie est très évocateur

d’une ostéite 3 techniques de prélèvements :

curetage-écouvillonnage si simple ulcère infecté aspiration à l’aiguille en cas de collection, en passant à distance

de la plaie biopsie osseuse si ostéite, en passant à distance de la plaie

(VPN : 90% [Senneville ICAAC 2010])

Prélèvements (2)

La technique de prélèvement est primordiale pour obtenir une documentation bactériologique fiable en cas d’ostéite

A ce sujet, les études sont discordantes : Prélèvements successifs à travers l’ulcération, au contact de

l’os, sont concordants avec les biopsies osseuses : VPP : 90% ; Se : 96% ; Sp : 79% (Bernard et al. Eur J Clin Microbiol Infect Dis

2010)

prélèvements positifs dans la moitié des cas malgré une ATB préalable (Lesens et al. Clin Microbiol infect 2011)

Prélèvements superficiels sans intérêt (Lew et al. Lancet 2004 ; Pellizzer et al. Diabet Med 2001, Senneville et

al. Clin Infect Dis 2006)

Plaie cliniquement infectée ?Oui Non

Laboratoire de Bactériologie

Plaie superficielle ? profonde ?

Pas de prélèvement

Superficielle Profonde

Nettoyage soigneux de la plaie(sérum physiologique stérile)

Présence d’une collection Contact osseux rugueux

Curetage-Ecouvillonnage

Non OuiDébridement local, sérum

physiologique stérile

Aspiration à aiguille fine

(chasser les bulles d’air)

Os liquéfié ?

NonOui

Biopsie osseuse possible ?

NonOui

Prélèvement et conditionnement

(milieu de transport)

Milieu de transport

Plaie cliniquement infectée ?Oui Non

Laboratoire de bactériologie et d’anatomopathologie

Plaie superficielle ? profonde ?

Pas de prélèvement

Superficielle Profonde

Nettoyage soigneux de la plaie(sérum physiologique stérile)

Présence d’une collection Contact osseux rugueux

Curetage-Ecouvillonnage

Non OuiDébridement local, sérum

physiologique stérile

Aspiration à aiguille fine

(chasser les bulles d’air)

Os liquéfié ?

NonOui

Biopsie osseuse possible ?

NonOui

Prélèvement et conditionnement

(milieu de transport)

Milieu de transport

Prélèvements (3)

Transmission rapide au laboratoire de bactériologie : à l’état « frais » si possible sur milieux de transport aéro et anaérobie ensemencements sur milieux traditionnels et

incubation à 37°C importance du milieu anaérobie pour les plaies

profondes

Analyse microbiologique (1)

Analyse microbiologique (2)D.M. Citron et al. J. Clin. Microbiol. 2007

Etude multi centrique américaine entre 2001 et 2004 portant sur des ulcérations du pied diabétique prélèvements obtenus par biopsie tissulaire ou curetage ou

ponction La documentation est polymicrobienne dans 70% des

cas (surtout en cas de lésion chronique ou de traitement antibiotique répété)

Les bactéries à Gram + sont les plus fréquentes : 57% de toutes les souches et 80% des souches aérobies staphylocoques : 34%

S. aureus : 19% dont 12% sont résistants à la méticilline (facteurs favorisants : ostéomyélite, large ulcération, antibiothérapie ou hospitalisation préalables)

Staphylocoque à coagulase négative : 12% (la fréquence des souches résistantes à la méticilline augmente [pouvant atteindre 46% dans certaines études])

Analyse microbiologique (3)D.M. Citron et al. J. Clin. Microbiol. 2007

Les bactéries à Gram + sont les plus fréquentes : streptocoques : 15,5% (surtout S. agalactiae) entérocoques : 13,5% (simples contaminants, surtout dans les

prélèvements polymicrobiens ?) autres Gram + : 13%

Les bactéries à Gram - : 19,7% Les anaérobies : 29%

augmentent avec la profondeur de la lésion et l’existence d’une ischémie sous jacente

co-existent avec les aérobies

TYPE D’INFECTION MICRO ORGANISMES

Ulcère infecté – Pas d’ATCD ATB S.aureus méticillino-sensibleStreptocoque β hémolytique

Infection chronique ou ATB préalable S.aureus méticillino-sensibleStreptocoque β hémolytiqueEnterobactéries

Ulcère ayant macéré P. aeruginosa +++

Infection chronique, profonde avec ATCD ATB à spectre +/- large

Flore polymicrobienne :S.aureus méticillino-sensible ou résistantStreptocoques, entérocoquesEntérobactéries (BLSE), PseudomonasAnaérobies, Champignons

Nécrose ; Gangrène Cocci à Gram + aérobies, EntérocoqueEntérobactéries, Anaérobies

Analyse microbiologique (4)

Antibiothérapie en cas d’ostéite du pied

(après documentation et selon la bactérie)

d’après SPILF 2007

Molécule Posologie par 24h

Voie d’administration

Périodicité

cloxacilline 100-150 mg/kg/j

IV 4 ou 6 h

+/- gentamicine 4 -6 mg/kg/j IV 24 h

OU

ofloxacine 600 mg/j IV/PO 8 h

+ rifampicine 20 à 30 mg/kg/j

IV/PO 12 h

OU

ofloxacine 600 mg/j IV/PO 8 h

+ acide fusidique 1 500 mg/j IV/PO 8 h

Staphylococcus aureus sensible à la méticilline (1)

Molécule Posologie/24h Voie d’administration

Périodicité

rifampicine 20 à 30 mg/kg/j IV/PO 12 h

+ acide fusidique 1 500 mg/j IV/PO 8 h

OU

clindamycine 1 800 mg/j IV/PO 8 h

+ rifampicine 20 à 30 mg/j IV/PO 12 h

OU

triméthoprime +sulfaméthoxazole

640/3 200 mg IV/PO 12h(équivalent 2cp/12hde triméthoprime +Sulfaméthoxazole =

BACTRIM FORTE)

+ rifampicine 20 à 30 mg/kg/j IV/PO 12 h

Staphylococcus aureus sensible à la méticilline (2)

Molécule Posologie/24h Voie d’administration

Périodicité

vancomycine 1 g (dose de charge)puis 30 mg/kg

IVIVC

Dose de charge (1h)

IVC ou / 12 h

+/- gentamicine 4-6 mg/kg/j IV 24 h

ou + rifampicine 20 à 30 mg/kg IV/PO 12 h

ou + fosfomycine 200 mg/kg/j IV 8 h

OU

rifampicine 20 à 30 mg/kg/j IV/PO 12 h

+ acide fusidique1500 mg/j IV/PO 8 h

Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (1)

Molécule Posologie/24h Voie d’administration

Périodicité

triméthoprime +sulfaméthoxazole

640/ 3 200 mg IV/PO 12 h(équivalent 2cp/12hde triméthoprime +Sulfaméthoxazole =

BACTRIM FORTE)

+ rifampicine 20 à 30 mg/kg/j IV/PO 12 h

OU

teicoplanine 10-12 mg/kg x 2/j10-12 mg/kg/j

IV/IMSous-cutané

3 j (dose de charge)24 h

+ rifampicine 20 à 30 mg/kg/j IV/PO 12 h

Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (2)

Molécule Posologie/24h Voie d’administration Périodicité

amoxicilline 150-200 mg/kg/j IV 4 à 6 h

+ rifampicine 20 à 30 mg/kg/j IV/PO 12 h

OU

clindamycine 1 800 mg/kg/j IV/PO 8 h

+ rifampicine 20 à 30 mg/kg/j IV/PO 12 h

OU

vancomycine 1 g (dose de charge)puis 30 mg/kg/j

IVIVC

Dose de charge (1h)IVC ou /12h

+ rifampicine 20 à 30 mg/kg/j IV/PO 12 h

OU

teicoplanine 10-12 mg/kg x 2/jpuis 10-12 mg/kg/j

IV/sous-cutanéSous-cutané

3 j (dose de charge)24 h

+ rifampicine 20 à 30 mg/kg/j IV/PO 12 h

Streptococcus spp

Molécule Posologie/24h Voie d’administration

Périodicité

céfotaxime 200 mg/kg/j IV 4 à 6 h

+/- ofloxacine ouciprofloxacine

600 mg/kg/j800 à 1 200 mg/j

ou1 000 à 1 500 mg/j

IV/POIVouPO

8 h8 hou

12 h

OU

ofloxacine ouciprofloxacine

600 mg/j800 à 1 200 mg/j

ou1 000 à 1 500 mg/j

IV/POIVouPO

8 h8 hou

12 h

Entérobactéries

Durée de traitement (1) En dehors de l’ostéite :

non codifiée en cas de forme simple : 1 à 2 semaines en cas de forme modérée à sévère : 2 à 4 semaines

En cas d’ostéite : os totalement excisé SANS infection des parties molles :

48-72 heures os totalement excisé AVEC infection des parties molles :

2-4 semaines os excisé en partie : 4-6 semaines absence de chirurgie : au moins 6 semaines

Durée de traitement (2)

Place de la chirurgie (1) La place de la chirurgie par rapport au traitement

antibiotique n’est pas clairement définie [Henke et al Ann Surg2005 ; Jeffcoate et al Clin Infect Dis 2004 ; Lazzarini et al Int J Infect Dis 2005]

L’antibiothérapie permet de limiter le geste chirurgical, notamment en cas d’amputation

A l’inverse, une antibiothérapie prolongée avant l’hospitalisation est un facteur péjoratif (développement de résistances bactériennes), majorant le risque d’amputation [Henke et al Ann Surg 2005]

La stratégie dépend du stade de l’infection et de l’atteinte vasculaire sous-jacente ne pas « se lancer » dans une chirurgie orthopédique

programmée SANS évaluation vasculaire

Place de la chirurgie (2) Chirurgie d’urgence :

débridement et drainage d’un abcès des parties molles résection osseuse revascularisation en cas d’ischémie aigue parfois amputation (prélever la tranche de section ++)

Chirurgie différée : revascularisation en cas de sténose significative biopsie à visée diagnostique +/- exérèse à visée thérapeutique chirurgie orthopédique correctrice après traitement de l’infection parfois amputation à différents niveaux …

Dans tous les cas : essayer d’être le plus conservateur possible pour préserver

l’architecture du pied et sa biomécanique [Aragon-sanchez Intern J Lower Extremity Wounds 2010]

Mesures complémentaires Oxygénothérapie hyperbare :

elle réduirait les amputations majeures mais le nombre de patients des différentes études est faible [Bakker et al Diabetes Metab Res Rev 2000 ; Kalani et al J Diabetes Complications 2002 ; Wunderlich et al Diabetes Care 2000 ; Wang et al Arch Surg 2003]

Facteurs de croissance (G-CSF) : 5 études randomisées : [Gough et al Lancet 1997 ; de Lalla et al

Antimicrobial Agents Chemother 2001 ; Yonem et al Diabetes Obes metab 2001 ; Kastenbauer et al Diabetologia 2003 ; Viswananathan et al J Assoc Physicians India 2003]

pas de bénéfice en terme d’accélération de la guérison de l’infection

diminueraient le niveau d’amputation et autres mesures chirurgicales

Podologie et mise en décharge +++

Conclusion Importance de l’examen clinique (stylet métallique) Imagerie : IRM +/- scintigraphie couplée (diagnostic différentiel avec le

pied de Charcot) Documentation bactériologique par biopsie osseuse ++ en cas

d’ostéite, à réaliser à distance de toute antibiothérapie Choix de la (ou des) molécule(s) à adapter à la documentation en

privilégiant la biodisponibilité osseuse Durée de traitement varie de 48 h à > 6 semaines (dépend de la

chirurgie associée) Chirurgie complémentaire souvent nécessaire :

vasculaire orthopédique, rarement en urgence, après évaluation vasculaire et en sachant

rester économe (biomécanique ++)

Importance de la décharge +++

FIN