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ISBN de la version numérique : 9782724684896
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CAHIERS DE LA FONDATION NATIONALE DES SCIENCES POLITIQUES

N° 194

une documentation sur les publications de la Fondation nationale des sciences politiques sera envoyée sur simple demande adressée au Service des publications Fondation nationale des sciences politiques 27, rue Saint-Guillaume 75341 Paris Cedex 07

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~ fondation nationale des sciences poIltiques/armand colin

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© 1974 LIBRAIRIE ARMAND COLIN et FONDATION NATION.AL1l: DES SCIENCES POLITIQUES

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Ont collaboré à cet ouvrage :

Jean BESSON

Geneviève BIBES

Giordano SIVINI

Sidney TARROW

Giorgio VISENTINI

Professeur agrégé d'histoire.

Chargée de recherche au Centre d'étude des relations internationales de la Fonda­tion nationale des sciences politiques.

Professeur, dipartimento di soclologia, Università della Calabria.

Professeur, department of government, Cornell University.

Les cartes et les graphiques ont été dessinés par André LEROUX.

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SOMMAIRE

AVANT-PROPOS page IX

SIDNEY TARROW

Le Parti communiste et la société italienne page 1

GIORDANO SIVINI

Le Parti communiste : structure et fonctionnement page 55

JEAN BESSON, GENEVIEVE BIBES

L'électorat communiste page 143

GIORGIO VISENTINI

L'Image du Parti communiste page 183

GENEVIEVE BI BES

Bibliographie commentée page 201

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AVANT-PROPOS

En mars 1968, la Fondation nationale des sciences politiques organisait, sur l'initiative de son secrétaire général, Jean Touchard, et du directeur du Centre ([étude des relations internationales, Jean Meyriat, un colloque sur le communisme en France et en Italie. Les rapports présentés à cette occasion, les débats auxquels ils ont donné lieu et les études plus approfondies qui les ont poursuivis (cf. Le communisme en France, Paris, Fondation nationale des sciences po­litiques, Armand Colin, 1969) ont permis de dégager, derrière 7:appa­rente similitude de. certaines situations politiques et sociales, la sin­gularité de chaque mouvement.

Sans doute est-on d'abord frappé par les points communs. Seules, parmi les grands pays industriels de l'Europe occidentale, la France et l'Italie connaissent un phénomène communiste d'une ampleur com­parable: 22,4 % des suffrages aux élections législatives françaises de 1967, 26,9 % en Italie en 1968. Les conséquences sur le système poli­tique des deux pays sont du mhne ordre: absence â alternative, dif­ficultés ([une gauche oscillant entre 7:alliance de type front populaire (Italie entre 1945 et 1968, France dans les années 1960-1970) qui crée des difficultés spécifiques pour 7: accès au pouvoir, et la coupure qui isole les communistes et fait des socialistes des alliés subalternes de gouvernements modérés (France de 1947 à 1960; Italie depuis 1968).

L'exclusive à 7: encontre ([un parti longtemps considéré comme un parti antisystème et parfois comme un parti «étranger» n'empê­che cependant ni en France ni en Italie 7:identification à la cause nationale. La participation très active des communistes à la Résistan­ce et aux premiers gouvernements démocratiques de 7: immédiat après­guerre jusqu'en mai 1947 leur assure, sur le plan social comme sur celui de la politique locale, une légitimation qui leur est encore re­fusée au niveau national.

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X a.va.nt-propos

Enfin la géographie électorale des deux partis présente des aspects comparables avec leurs deux grandes zones de force: les régions industrielles à forte concentration ouvrière, les «républiques paysan­nes rouges» des régions centrales (contreforts du Massif Central en France, Emilie, Toscane, Ombrie en Italie).

Mais la comparaison ne va guère au-delà de ces aspects trèsgé­néraux. Le contexte historique, politique, économique, social et cul­turel, profondément différent dans les deux pays, a imposé à chaque parti des conditions de formation, des choix stratégiques et politiques non réductibles à un unique modèle.

De plus, dans le cas du communisme italien, T: apport personnel de Gramsci, «le plus grand théoricWn. marxiste depuis Lénine », sa définition d'une «voie italienne au socialisme» ont profondément marqué d'originalité un parti qui, au lendemain de la guerre, a fondé ses analyses et son action autant sur le génie théorique du jeurw philosophe sarde, mort dans les prisons fascistes en 1937, que sur le pragmatisme et le sens politique d'un leader incontesté comme To­gliatti. Ayam très vite reconnu T:impossibilité de transférer purement et simplement la stratégie léniniste révolutionnaire - d est-à-dire la conquête de T:Etat par un parti de révolutionnaires professionnels -dans des pays occidentaux où la société conservait une autonomie et une complexité infiniment plus grande qu.en Russie, Gramsci a fondé toute la stratégie du parti sur la conqu~te de cette société civile (en­tendue dans un sens plus hegelien que marxiste).

De là découle à la fois une analyse très pénétrante de la société italienne et de ses caractéristiques essentielles, telle que T: emprise de l'Eglise ou la réalité du Midi, et une définition du rôle d'un parti communiste capable d'exercer une hégémonie culturelle sur T: alliance de la classe ouvrière avec d'autres catégories sociales: classe moyenne, paysannerie, etc.

La réorganisation du parti, dès 1944, 8 est donc faite en fonction d'un schéma théorique qui reposait sur T: obligation d'occuper tous les centres vivants de la société civile .

. C'est sur cet aspect fondamental qu'il nous a paru utile de mettre l'accent en limitant T: étude du communisme italien à ses rapports aooc la société dans ses différentes articulations. '

Les quatre chapitres qui composent ce livre répondent donc aux questions que pose la «stratégie de la présence », élaborée par Gramsci et appliquée par Togliatti:

- Comment peut-on définir un parti qui 1Î est ni léniniste, ni social-démocrate, ni réformiste? Comment réussit-il à li'liSérer dans

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avant-propos XI

les «tranohées et les fortifications» de la société civile, selon le vœu de Gramsci, sans en subir les oontraintes et les valeurs? En tl autres termes, où passe la limite entre f adaptation et r acculturation?

- Comment foutü forgé pour assu'rer cette volonté d'hégémonie culturelle - le parti de masse fondé en 1944 - répond-ü à ces exi­genoes? En quoi certaines caractéristiques permanentes tlun parti léniniste - le centralisme démocratique, par exemple - 8 accordent­elles avec un pluralisme reconnu et une organisation fondée sur la section locale et non sur la cellule tl entreprise?

- Quelle réponse la société italienne apporte-t-elle, depuis 1946, au Parti communiste? A quelle réalité sociale, idéologique, histo­rique ou économique correspond fimplantation de r électorat com­muniste (conqu~te du Midi, gains réguliers dans les forteresses tra­ditionnelles, léger recul dans les zones surindustrialisées, difficile percé.e dans les régions de subculture catholique)?

- Enfin, quelle image se font du communiste ses partisans et ses adversaires, c'est-à-dire quel est le degré tlexclusion ou tlintégra­tion des communistes dans la société italienne?

Bien entendu, nous avons conscience des limites de cette étude qui 1]' a aucunement la prétention de cerner tous les aspects· du com­munisme italien.

Une étude systématique de iidéologie et de la politique du parti, dans leur permanence comme dans leur évolution récente, aurait sans doute permis de compléter les réponses aux questions posées au cours de ces pages. Elle n'aurait pas contredit, nous semble-t-il, i explication par i analyse sociologique des réussites et des faiblesses du commu­nisme italien.

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SIDNEY TARROW

LE PARTI COMMUNISTE ET LA SOCIÉTÉ ITALIENNE·

Q UEL EST LE RÔLE DU PCI dans la société italienne? Pour ré­pondre valablement à cette question il faut résoudre les prohlèmes suivants:

- Quel est le modèle stratégique du PCI, c'est-à-dire son rÔle dans la société italienne, tel qu'il a été conçu par la direction du parti ?

- Quelles sont les origines de ce modèle par rapport au processus théorique de développement du parti et dans le contexte historique, après la seconde guerre mondiale?

- Comment le modèle a-t-il été appliqué du point de vue social, économique et régional, et comment s'est-il manifesté sur le plan poli-. tique?

- Quels problèmes cela pose-t-il pour le succès du parti et pour Sa ligo,e d'action future dans la société italienne?

Un modèle d'auto-insertion et de transformation

On ne peut pas nier qu'il y ait eu, en 1945, une place importante pour un nouveau parti extrémiste de gauche en Italie. Les raisons en sont multiples : une « révolution nationale» incomplète qui avait réali­sé funité de la péninsule sans la participation des grandes masses po­pulaires· et contre le désir de la seule institution nationale du pays, l'Eglise catholique; un système agraire ayant abouti à. un radicalisme rural particulièrement marqué; une industrialisation en très grande

o Les commentaires de Geneviève Bibes, Donald Blackmer, Peter Lange et Alessandro Pizzomo ont été très utiles à la préparation de cette étude.

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2 le Parti communiste •..

partie limitée au Nord-Ouest, agissant dans les autres régions unique­ment comme facteur de pénétration commerciale et de bouleverse­ment social; un Etat libéral qui n'avait jamais réalisé le programme de ses fondateurs et dont les dirigeants étaient discrédités par leur responsabilité dans l'avènement du fascisme avec lequel ils avaient ensuite collaboré; enfin, une gauche socialiste traditionnelle, célèbre par son maximalisme stérile, le peu de sérieux de ses objectifs et ses erreurs de jugement.

En fait, tous ces facteurs étaient favorables à l'apparition, en 1945, d'un parti communiste fort, mais ils ne garantissaient pas que le PCI pourrait survivre à la guerre froide, au «miracle» économique, à la coalition de centre gauche, à la vague d'extrémisme de la :fin des années 1960, et conserver intact son électorat. L'histoire explique l'existence du PCI; elle ne peut pas, cependant, expliquer son succès. Peut-elle nous dire pourquoi le PCI est sorti de la Résistance com­me aux limites de la légitimité, ni sectaire ni assimilé, à la fois con­testataire et conciliateur? Elle le peut en partie, mais nous devons con­sidérer d'abord le modèle concret d'adaptation au système politique et à la société italienne qu'a développé le parti, afin de pouvoir saisir le sens de cette adaptation.

L'essence même de ce modèle réside dans la notion de la présence que Togliatti a énoncée à son retour en Italie, en 1944:

« Nous sommes le parti de la classe ouvrière ... Mais la classe ouvrière n'a jamais été étrangère à l'intérêt national ... Nous voulons une Italie démocratique mais nous voulons une démocratie forte, qui ne laissera plus jamais se développer une situation semblable à l'autre [celle de l1talie pré-fasciste] ou capable de la repro­duire. En tant que Parti communiste, parti de la classe ouvrière, nous revendiquons le droit de participer à la construction de cette Italie nouvelle, conscients du fait que si nous ne revendiquions pas ce droit et nous n'étions pas capables de remplir cette fonction maintenant ou dans l'avenir, l1talie ne serait pas recons­truite, et cette perspective serait très grave pour notre pays D 1.

Ce concept de la présence découle de trois hypothèses étroite­ment liées entre elles et qui ont influencé la pensée du PCI durant la seconde guerre mondiale et dans l'immédiat après-guerre. Ces hypo­thèses concernent premièrement la nature du développement du ca­pitalisme italien et son interprétation; deuxièmement, la structure de classes et les alliances possibles pour le PCI dans le contexte de la société italienne; troisièmement, les perspectives théoriques concer­nant les relations entre l'Etat et la société civile, d'une part, et, d'autre

1. TOGLIA'ITI (palmiro), La 'Via italiana al socialismo, Rome, Ed. riuniti, 1964, p.37.

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•.• et la société italienne 3

part, le rÔle stratégiqué du parti entre les deux. Nous examinerons rapidement chacune de ces hypothèses, leur origine et leurs consé­quences sur le modèle de comportement établi par le PCI. Ce modèle n'est ni sectaire, ni social-démocrate, ni réformiste. C'est un modèle d'action et de transformation des structures de la société civüe; on pourrait le définir comme un modèle d'auto-insertion. Comme nous le verrons plus loin., ce modèle de comportement a eu des conséquences très nettes sur les relations entre le PCI, le système politique et la société itallenne.

La nature du capitalisme italien

La première hypothèse, qui a, semble-t-il, guidé la stratégie du PCI après la guerre, était la perspective d'une .intégration nécessaire de la classe ouvrière dans la vie de la nation. Cette hypothèse posée, le parti se devait de favoriser cette intégration et, donc, d'agir Sur la modernisation de la société italienne. Comme l'a écrit Alessandro Pizzorno, à propos des idées des dirigeants du parti, «la classe poli­tique "qui conquerra l'hégémonie sera celle qui aura su interpréter, anticiper et favoriser ce mouvement de modernisation» 2.

U y a quelque ironie à découvrir une perspective si moderne, anti­cipant d'au moins dix ans le « miracle» économique de l'après-guerre, chez les dirigeants du Parti communiste d'un pays encore aussi peu développé. Le paradoxe est plus apparent que réel si l'on considère l'histoire tragique des années 1920 et les conséquences qu'a eues pour le parti, l'évaluation moins réaliste qu'il faisait alors du capitalisme itàlien. A cette époque, le retard économique de l'Italie avait poussé le Parti communiste à faire siennes, en toute conscience, les leçons de la Révolution d'octobre. Très schématiquement, cette leçon était la suivante : dans une société arriérée, absolument subordonnée à l'Etat, il suffit de réussir à s'emparer de l'Etat pour voir toute la pyramide de la société civüe tomber dans ses mains. Comme Trotsky l'avait observé dès 1906, la société civüe en Russie était aussi soumise à l'Etat qu'elle l'aurait été à un quelconque adversaire vainqueur 3.

Dans un tel contexte, un parti équipé pour une Blitzkrieg contie l'Etat, malgré son manque d'influence à tous les niveaux dans la société, représentait la réponse stratégique idéale.

2. PIzzOllNO (A.J, a Le Parti communiste italien dans le système politique italien D, Colloque sur le communisme en France et en Italie, Paris, Fondation nationale des sciences politiques, 1968, p. 6, ronéo.

3. Cité dans DEUTSCHER (Isaac), The prophet armed, Londres, Oxford Univer­sity Press, 1954, p. 151-154.

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4 le Parti communiste ...

Mais en Occident, la société civile avait une cohésion et une auto­nomie vis-à-vis de l'Etat bourgeois, même dans des pays qui, comme I1talie, étaient en retard dans leur développement industriel. Ceci signifiait que la stratégie léniniste, sous la forme systématique où elle avait été importée au début des années 1920, était profondément étrangère à l'Occident puisque la « guerre de mouvement» à laquelle elle. conduisait se heurtait à la capacité d'autonomie et aux intérêts organisés d'une société civile évoluée.

La tragédie du PCI en 1920 a été la suivante: .en raison de la pauvreté du pays, ses leaders ont pris à la lettre la comparaison avec la Russie et ils ont ignoré le caractère fondamentalement occidental de la société civile italienne, en particulier dans le Nord 4. Entre 1919 et 1921, on trouve dans la revue Ordine nuO'Vo des allusions répétées à la similitude entre les structures sociales de la Russie et de I1talie. Cette erreur a entrainé premièrement la rupture prématurée et désas­treuse entre soCialistes et communistes à Livourne, deuxièmement la domination de la faction sectaire de Bordiga et, troisièmement, la désorganisation et la paralysie· de la gauche face â la menace fasciste montante. Si la nouyelle direction du PCI avait compris la complexité, l'autonomie et l'élasticité de la société civile italienne (par opposition au caractère primitif, rigide et dépendant du modèle russe), son com­portement dans les années 1920 aurait été complètement différent.

En conséquence, les dirigeants qui avaient vécu les désastres des années 1920 reprirent le combat politique des années 1940 avec un respect forcé pour les possibilités d'autonomie et d'initiative de cette société bourgeoise qu'ils étaient décidés à conquérir. Le premier à saisir . que la nature du problème était autre qu'on ne l'avait supposé dans les années 1920 fut Gramsci; il avait vu qu'à l'Ouest « •• .la superstructure de la société civile ressemble au système des tranchées dans la conduite de la guerre moderne .,. (où) la première attaque de l'artillerie semble avoir détruit le système· de défense de r adversaire, mais n'a, en fait, détruit que le périmètre extérieur» 5. Et de conclure que le parti devait trouver une position à l'intérieur même des «tran­chées et fortifications» de la société civile et faire une «guerre de position» en même temps qu'il se réservait là possibilité de faire « une guerre de mouvement ».

Les leaders du PCI, après la guerre, ne faisaient qu'élargir la pensée de Gramsci en développant le concept de la présence. PlutÔt que de

4. Voir Ordine nuooo, 12, 2 a011t 1919. 5. GRAMSCI (Antonio), Note sUl Machiavelli, sulla politica e sullo Stata modema,

4e éd., Turin, Einaudi, 1955, p. 67.

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•.• et la. société ita.lienne. 5

contester la complexité, l'autonomie et l'adaptabilité de la société civile, ils choisirent de défendre, à l'intérieur de cette société, des posi­tions nombreuses, variées et originales. Le succès de la stratégie de la présence ne pouvait s'accroitre que par la modernisation progressive du système, car «avec le développement économique et rinstitutio­nalisation de la vie démocratique, la société italienne était destinée à connaitre une articulation toujours plu1> riche et plus complexe, à ren­forcer les différentes formes de la vie sociale, à instituer des centres autonomes de pouvoir, de nouveaux centres de vie intellectuelle, etc. » 6 En d'autres termes, les transformations de la société italienne au cours des vingt-cinq dernières années, loin de prendre les dirigeants du PCI par surprise, amélioraient leur position, au moins théoriquement.

Il faut d'abord saisir le caractère profondément empirique de l'in­terprétation de la société italienne par le PCI. Aucun dogme, comme celui de l'inévitable paupérisation de la classe ouvrière, ne pouvait em­pêcher ses dirigeants de comprendre ni le «miracle» économique des années 1950 ni même les graves contradictions qu'il suppose. Aucun déterminisme économique grossier ne pouvait les empêcher de mesurer les coûts psychologiques et humains du développement, ni de com­prendre combien il est difficile pour un travailleur, pris dans le cycle de la consommation, d'analyser sa propre aliénation 7. La stratégie de la· présence supposait donc une vision sociale non pas forcément ré­formiste mais en tbut cas empirique.

Ici un nouveau paradoxe. Dans un pays où la classe politique est, de tous les pays occidentaux, celle qui reste'le plus au niveau de l'abs­traction, comment cette orientation empirique a-t-elle pu se dévelop­per ? Cette fois encore, le paradoxe est plus apparent que réel, comme le montrent les circonstances historiques de la naissance du parti.

Contrairement à beaucoup de pays occidentaux, l'Italie de 1919-1920 était dotée d'un Parti socialiste dominé par une extrême-gauche qui se qualifiait elle-même de «maximaliste ». Cette situation était en partie due à la nature du capitalisme italien et au rôle important que jouaient les ligues militantes des ouvriers agricoles de la vallée du Pô. Mais elle était liée aussi à une propension à l'abstraction de la classe politique italienne. La majorité de la direction socialiste en 1919 '( s'adonnait au paroxysme du révolutionarisme verbal ... mais se refusait à considérer sérieusement les moyens qu,i auraient pu être employés pour réaliser la vraie révolution ». Ce sectarisme abstrait avait transformé la politique italienne en «un banquet permanent,

6. PIZZORNO (A.), op. cit., p. 6. 7. Voir le rapport de Berlinguer au XIIIe congrès, L'Unità, 14 mars 1972.

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6 le Parti communiste ...

où se düapide le capital de la révolution daI\s une orgie de paroles» 8.

Gest en grande partie à cause du sectarisme futile des maximalistes que de nombreux socialistes quittèrent le PSI en janvier 1921 et adhé­rèrent au PCI (cette révolte contre l'abstraction des maximalistes, par­ticulièrement marquée dans le groupe Ordine nuovo de Turin, mais également assez répandue dans d'autres groupes atteignit un homme aussi sectaire que Bordiga 9). Le contexte stratégique du nouveau PC d'Italie était donc très différent de celui des partis communistes occidentaux - français et allemand, par exemple - qui avaient à faire face à des opposants réformistes et sociaux-démocrates. On en trouve un bon exemple dans le domaine de la politique agricole après 1918 : la politique sectaire des maximalistes favorisait les salariés agri­coles à l'exclusion absolue de toutes les autres catégories agricoles; si les communistes voulaient accroitre leur influence dans les milieux ruraux et se donner une nouvelle identité, il leur était impossible d'adopter une ligne sectaire.

La stratégie de nombreux dirigeants du PCI en réaction contre le maximalisme du PSI, bien qu'atténuée par les avantages tactiques qu'offrait l'attaque contre les réformistes, révèle une des causes fon­damentales de l'adaptation du PC! à la société italienne: la tentative faite pour comprendre et trouver un accord avec la tradition histo­rique nationale, qui soit aussi éloignée de l'ouvriérisme et de l'anticlé­ricalisme stériles des maximalistes que du conformisme parlementaire des réformistes. En 1921, l'Italie n'était pas un pays où le drame poli­tique ne comportait que deux acteurs : la bourgeoisie et le prolétariat. Sous couvert d'une idéologie libérale, une caste restreinte de la bour­geoisie gouvernait en fait le pays à son gré depuis 1861. Le régime du suffrage censitaire pendant presque toute cette période était destiné à gêner la gauche, mais aussi l'Eglise, qui était en mesure de contrÔler le vote des paysans. L'anticléricalisme des socialistes, qui considé­raient l'Eglise, avec sa clientèle potentielle de millions de paysans misérables, comme un simple auxiliaire de l'élite bourgeoise qui l'avait exclue de la vie italienne pendant soixante ans, relevait du domaine de l'imagination. Le parti confessionnel, qui apparut en 1919 sous la forme du Partito popolare, n'était pas un parti réactionnaire ; c'était un parti paysan, à direction cléricale, qui haïssait l'élite politique bourgeoise. Et pourtant les maximalistes de 1919-1920 agirent comme si le seul

8. Cité dans From (Giuseppe), Vita di Antonio Gramsci, Bari, Laterza, 1966, p.149.

9. Voir, par exemple, BORDIGA (A.), Storia della sinistra comunista, Milan, TI Programma comunista, 1964, p. 178.

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•.• et la société italienne 7

conflit digne de retenir leur attention avait été le conflit entre la bour­geoisie et le prolétariat 1

C'est le mérite d'Antonio Gramsci d'avoir fondé son analyse de la nature de la société italienne en tenant compte de la faiblesse de la classe ouvrière, du rôle national de l'Eglise et du problème régional du Mezzogiorno. li est à la mode aujourd'hui, dans les milieux d'extrê­me gauche, de minimiser l'importance de Gramsci dans la conception de la stratégie d'après-guerre du PCI. Pourtant, les problèmes essen­tiels de l'adaptation du parti à la société italienne après la guerre sont ceux qu'il avait déjà posés cinquante ans auparavant: le problème des relations avec l'Eglise, celui de la nécessité pour la classe ouvrière de nouer des alliances et celui de la situation particulière du Mezzo­giorno. C'est bien grâce à son analyse réaliste des problèmes de l'his­toire et de la société italiennes que le PCI a réussi à s'implanter, dans les limites que nous étudierons plus loin.

Structure des classes et alliances

L'interprétation pluraliste du capitalisme italien et l'empirisme croissant de l'analyse qu'en a faite le parti sont directement liés à la seconde hypothèse contenue dans son modèle d'adaptation. Elle affirme que la transformation de la société italienne dans une direction socia­liste, quels que soient les moyens mis en œuvre, ne pourra se réaliser qu'à partir d'une coalition de groupes et de classes. C'est la suite logi­que de l'interprétation moderniste de la société italienne déjà ébau­chée. Mais, paradoxalement, cette proposition se justifie aussi par l'importance, dans la société italienne, de groupes et classes sociales d'un niveau de développement très bas. Le parti a donc senti la né­cessité de rechercher des alliances, non seulement avec les groupes nouveaux et dynamiques issus de la modernisation du capitalisme italien (techniciens, classes moyennes, etc.), mais aussi avec des groupes anciens et moins dynamiques, dont les aspirations sont loin d'être progressistes. C'est pour répondre à cette seconde nécessité que le PCI a tellement insisté sur l'importance particulière du problème de l'Eglise, du problème méridional, et autrés vestiges de la révolution nationale incomplète du XIX" siècle.

Paradoxalement, on peut trouver à la fois dans la pensée de Gramsci une justification de r explication «moderniste» et une justi­fication de l'explication «résidualiste» de l'importance des alliances. Nous avons vu un exemple de la première dans l'importance qu'il a accordée à la société civile en Italie. A cela s'ajoutent sa fascination à l'égard des conséquences de la technologie et l'importance qu'il ac-

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cordait au développement d'une classe nouvelle d'intellectuels. Le re­tard de nombreux secteurs de la société italienne est également pour Gramsci une justification de la nécessité de nouer des alliances. Dans les thèses qu'il avançait au congrès de Lyon en 1926 et plus tard, la même année, dans Alcuni temi della questione meridionale, il exami­nait d'une façon réaliste les possibilités révolutionnaires du proléta­riat en Italie et les trouvait minimes. La question des alliances était donc fondamentale, et, dans le contexte italien, elle posait le problème des relations avec les paysans et l'Eglise. Puisque la moitié du pays, le Sud, était une société agraire sous la doinination des propriétaires terriens et sous Ibégémonie culturelle de l'Eglise, le problème du Sud devait être considéré comme un aspect fondamental des possibilités stratégiques en Italie, et non' pas simplement comme un moyen de créer des désordres ruraux pour attirer l'armée hors des villes, «où la vraie révolution aurait lieu» 10. En termes d'alliances le problème du Sud fut, à partir de ce moment-là, considéré comme une contra­diction fondamentale de la société italienne : «Les paysans pauvres du Sud ne sont pas considérés seulement comme les alliés <;les ouvriers, mais comme une des forces motrices de la révolution socialiste, dont rapport direct et autonome sera essentiel» 11.

On ne peut pas nier que l'accent mis par Gramsci sur les alliances, ét le détachement à l'égard de la dialectique marxiste stricte - bour~ geoisie-prolétariat - que cela implique, coïncidaient avec la ligne « de droite» du Komintern au milieu des années vingt. Mais Gramsci avançait dans cette direction depuis les jours orageux de Turin, en 1919-1920, et il continua à insister sur l'importance stratégique des alliances dans le contexte italien même après le virage à gauche du Komintern lors de son VI" congrès en 1928 121. Cet accent mis sur les alliances de la classe ouvrière ne s'explique pas seulement par les tri­bulations du parti ni la déception causée par l'échec du PCI durant sa période «sectaire» des années 1920; il est une constante dans la pen­sée de Gramsci, renforcée par l'expérience des années 1921-1926. Cette affirmation peut paraitre surprenante quand on pense au sectarisme du groupe de Bordiga qui prit la tête du nouveau parti - et pour qui

10. Discours à la commission politique du congrès de Lyon du PC!, le 20 janvier 1926, cité dans FIORI, op. cit., p. 203. Alcuni temi della questione meridio­nale fut d'abord publié dans Stato operaio à Paris en 1930, et on le trouve dans FERRATA (Giansiro), GALLO (NiccoI6), 2000 pagine di Gramsci, Milan, Il Saggia­tore, 1964. Sur la première veœion, a tactique », de l'alliance avec les paysans, voir SPRIANO (Paolo), Storia del Partito comunistaitaliano, t. 1, Da Bordiga a Gramsci, Turin, Einaudi, 1967, p. 470.

11. Ibid., p. 472. 12. Voir la preuve citée dans FIORI, op. cit., p. 288.

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ACHEVE D'IMPRIMER EN NOVEM­BRE 1974 SUR LES PRESSES DE L'IMPRIMERIE BELLANGER & FnS A LA FERTE-BERNARD (SARTHE) - Dépôt légal : 4° trimestre 1974 -

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sociologie du communismeen ltalie

Avec 27,2% des suffrages expriméslors des dernières élections législatives de 1972,et 1 500 000 inscrits, le Parti communiste italienest le plus puissant parti communiste du monde occidental.Quelle explication peut-on donner à cette audience électoraleet à cette puissance d'organisation ?

Quels facteurs ont permis une telle implantationdans un pays industriel à régime parlementaire ?Ces questions sont à I'origine d'un livre qui a cherché la réponseà I'intérieur même du parti. ll ne s'agit pas, bien entendu,de méconnaître I'importance de I'environnement social, politique,culturel itallen non plus que celle de I'héritage historique.Mais I'objet de cette étude reste limité aux réussiteset aux faiblesses d'une stratégie conçue par Gramsciet appliquée par les dirigeants successifs du particomme une " présence " au sein de la société civilebeaucoup plus que comme une prise du pouvoir politique.

rappel :

Le communisme en France.

Racine (N.), Bodin (L.) - Le Parti communiste français pendantl' e ntr e-d e u x-g u e r r e s.

Hermet (G.) - Les communistes en Espagne.

Hu (Chi-hsù - Pékin et le mouvement communiste indien.Cayrac-Blanchard (F.) - Le Parti communiste indonésien.Graff (V.) - Les Partis communistes lndiens.

Berstein (s.), Milza (P.l - L'ltalie contemporaine des nationallstesaux Européens.

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