Sociologie de la pédagogie et des savoirs...

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1 Sociologie de la pédagogie et des savoirs scolaires Pédagogie invisible et malentendus d’apprentissage Dossier documentaire Alain Beitone Octobre 2015 Document 1 : « Le travail de Bernstein offre des outils de description et d’analyse des discours pédagogiques. Même si elles peuvent à leur tour générer des sous-dimensions, trois dimensions fondamentales structurent tout modèle pédagogique dans le raisonnement de Bernstein : les classifications du curriculum, le cadrage de la relation pédagogique et les critères d’appréciation. Il a principalement examiné ces dimensions à partir du type de codage dont elles font l’objet : ces codages peuvent être explicites ou implicites. A partir de ces dimensions, Bernstein construit deux idéaux-types pédagogiques : le modèle pédagogique visible et le modèle invisible. La distinction visible/invisible doit être comprise du point de vue de l’élève : c’est d’abord à partir de son point de vue que le modèle pédagogique est visible ou invisible. Dans le modèle invisible, les tâches à effectuer sont des tâches globales, le séquençage est lâche, implicite ; l’élève peut difficilement savoir quelles sont les finalités de la tâche ; seul l’enseignement connaît les objectifs spécifiques qu’il poursuit ; ces objectifs sont fortement intégrés. Les pédagogies invisibles sont sous-tendues par une théorie compréhensive, éventuellement implicite, du développement de l’enfant. La pédagogie visible, à l’inverse, se caractérise par un découpage et un séquençage explicite des apprentissages (classifications forte) ; elle met moins l’accent sur la créativité individuelle et la relation pédagogique y est plus explicitement hiérarchique ; les évaluations sont explicites ». C. Mangez et E. Mangez (2008), Analyse sociologique des discours pédagogiques application au cas de la politique éducative en Belgique francophone, in Frandji D. et Vitale Ph. (dirs), Actualité de Basil Bernstein, PUR, (pp. 190-191) Document 2 : « L’introduction sans étayage particuliers, de modèles d’éducation centrée sur l’élève, voire sur l’enfant, est très pénalisante pour ceux qui manquent des informations et des prérequis nécessaires à la prise en charge de soi, de ses études et de ses apprentissages. L’appel à des remédiations parentales et plus généralement extrascolaire pour soutenir les élèves en difficulté est une sorte de renonciation à la conviction qu’on doit pouvoir apprendre à l’école. Il désarme les enseignants, attise les concurrences pour la maîtrise des apprentissages, culpabilise les familles et les élèves qui ne peuvent tirer leur épingle du jeu ». E. Bautier et P. Rayou (2009), Les inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques et malentendus scolaire, PUF, Coll. Education et société.

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SociologiedelapédagogieetdessavoirsscolairesPédagogieinvisibleetmalentendusd’apprentissage

Dossierdocumentaire

AlainBeitoneOctobre2015

Document1:«Le travail deBernsteinoffredesoutilsdedescriptionetd’analysedesdiscourspédagogiques.Mêmesiellespeuventàleurtourgénérerdessous-dimensions,troisdimensionsfondamentalesstructurent toutmodèle pédagogique dans le raisonnement de Bernstein: les classifications ducurriculum,lecadragedelarelationpédagogiqueetlescritèresd’appréciation.Ilaprincipalementexaminécesdimensionsàpartirdutypedecodagedontellesfont l’objet:cescodagespeuventêtreexplicitesouimplicites.A partir de ces dimensions, Bernstein construit deux idéaux-types pédagogiques: le modèlepédagogique visible et lemodèle invisible. La distinction visible/invisible doit être comprise dupointdevuedel’élève:c’estd’abordàpartirdesonpointdevuequelemodèlepédagogiqueestvisible ou invisible. Dans lemodèle invisible, les tâches à effectuer sont des tâches globales, leséquençage est lâche, implicite; l’élève peut difficilement savoir quelles sont les finalités de latâche; seul l’enseignement connaît les objectifs spécifiques qu’il poursuit; ces objectifs sontfortement intégrés.Lespédagogies invisiblessontsous-tenduesparunethéoriecompréhensive,éventuellement implicite, du développement de l’enfant. La pédagogie visible, à l’inverse, secaractériseparundécoupageetunséquençageexplicitedesapprentissages(classificationsforte);elle met moins l’accent sur la créativité individuelle et la relation pédagogique y est plusexplicitementhiérarchique;lesévaluationssontexplicites».C.MangezetE.Mangez(2008),Analysesociologiquedesdiscourspédagogiquesapplicationaucasde lapolitiqueéducativeenBelgique francophone, inFrandjiD.etVitalePh. (dirs),ActualitédeBasilBernstein,PUR,(pp.190-191)

Document2:«L’introduction sans étayage particuliers, demodèles d’éducation centrée sur l’élève, voire surl’enfant, est très pénalisante pour ceux qui manquent des informations et des prérequisnécessaires à la prise en charge de soi, de ses études et de ses apprentissages. L’appel à desremédiationsparentalesetplusgénéralementextrascolairepoursoutenir lesélèvesendifficultéestunesortederenonciationàlaconvictionqu’ondoitpouvoirapprendreàl’école.Ildésarmelesenseignants,attiselesconcurrencespourlamaîtrisedesapprentissages,culpabiliselesfamillesetlesélèvesquinepeuventtirerleurépingledujeu».E. Bautier et P. Rayou (2009), Les inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques etmalentendusscolaire,PUF,Coll.Educationetsociété.

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Document3:«(…)nombredediscoursinstitutionnels,prescriptifsouincitatifs,maisaussinombredepratiquesque nous avons pu observer et analyser, visant à adapter contenus et modes de travailpédagogiquesauxélèvesdesmilieuxpopulaires,àprendreencompteleurs«différences»,réellesousupposées,peuventaboutiràconsacreretentérinercesdifférences,àenfermerlesélèvesdansce qu’ils sont, ce qu’ils savent ou ce qu’ils aiment, là où il s’agirait de travailler à ce qu’ilsreconnaissent (dans les deux sens du terme) la nécessité et les exigences d’un travaild’acculturation qui leur permette d’élaborer leurs appartenances et expériences passées etprésentespourmieuxs’endéprendreetanticipersurdesexpériencesàvenir.Cerisqueapparaîtd’autantplusgrandque,d’unepart, les logiquesd’adaptationmisesenœuvrereposentsurunevulgatesociologiquenepercevantlesélèvesetlesmilieuxpopulairesqu’entermesdemanques,de déficits et d’incapacités, sur des représentations et des valeurs qui sont celles des classesmoyennes et supérieures, et que, d’autre part, méconnaissant les différences réellementpertinentesdupointdevuedesapprentissagesscolaires,deleurscontenusetexigencespropres,ellespeuventallerà l’encontredesobjectifsaffirmésendressantdesobstaclessupplémentairesautravailcognitifrequisparl’appropriationdessavoirsparlesélèves.Eneffet,danslamesureoù,commeonvientdelevoir,cesdifférencessesituentpourunelargepartdanslamanièredontlesélèves interprètent les attentes institutionnelles et les situations scolaires, plus les modes detravailpédagogiquessontflous,«invisibles»ouambigus,plusilsreposentsurl’implicite,moinsilspermettent aux élèves peu familiers du rapport étroit entre travail cognitif et apprentissageseffectifsdeconstruirecerapportnécessaireàl’appropriationdessavoirs».E. Bautier et J.Y. Rochex, «Ces malentendus qui font la différence», in J.P. Terrail (dir.), LascolarisationdelaFrance,LaDispute1997(pp.115-122)http://www.ac-caen.fr/ia50/circo/chv/rar/malentendus.pdf

Document4:«On le voit, il ne suffit pas d'« innover », ni de vouloir « adapter » les modes de travailpédagogiquesauxélèvesendifficultépouripsofactoleverlesmalentendusd'ordresocio-cognitifentrecesélèves,lesenseignantsetlesexigencespropresàl'appropriationdessavoirsetautravailintellectuel.Cequinesignifiepasquelesdémarchesinnovantesci-dessusinterrogéesnepuissentêtreréellement"aidantes"pourcertainsélèvesetleurpermettrederemédieràcertainesdeleursdifficultés.Forceestcependantdeconstaterque,faisanttropbonmarchéde laspécificitédescontenusetactivités d'apprentissage, elles se révèlent trop souvent être des leurres, pour les enseignantscommepour lesélèves,quantauxpossibilitésd'appropriationdes savoirsetde réellesactivitésintellectuelles auxquelles elles sont censées donner accès. Autant dire que les conceptionspédagogiques et les pratiques enseignantes "innovantes", qui font aujourd'hui l'objet de fortesincitationsinstitutionnellesaunomdeladémocratisationdel'accèsausavoir,peuvent,au-delàdeleursoppositionsapparentes,partageraveclesconceptionsetpratiques"traditionnelles",sinonlamêmeindifférenceauxdifférences,dumoinslamêmeméconnaissancedecequidonneformeetcontenuauxdifférencesentreélèves,ets'avérerdèslorsbeaucoupmoins"démocratisantes"quenel'espèrentounel'affirmentleurspromoteurs.Al'encontred'unetelleméconnaissancepartagée,d'autrespratiques,d'autresvoiesderechercheetderéflexionexistent,quineséparentpaslesenjeuxpolitiquesetsociauxdedémocratisationdel'accès au savoir de la nécessaire interrogation de la culture scolaire et de ses modes detransmission. Les difficultés d'apprentissage, les embûches et les obstacles que les élèves, tout

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particulièrement ceux qui sont issus desmilieux populaires, rencontrent, voire se créent, sur lavoiedel'accèsauxsavoirsnesesituentpastantenmargequ'aucœurdesenjeuxetdesréquisitssociauxetépistémologiquesdespratiquesdesavoir.Autrementdit,ilscontraignentàdécaperlevifdesconcepts,dessavoirsetdespratiquesintellectuelles,etdutravaildecréationdontilssontissusetqu'ilspermettentdepoursuivre,de laganguedes formesaliénantesde leursmodesdetranspositionetdetransmissiondidactique,etdescontradictionssocialesetinstitutionnellesdanslesquelles ils sont pris. Il n'est pas de raccourci sur la voie de la démocratisation de l'accès ausavoiretàlaculture.Celle-ciatoutàperdreaussibienàl'extensiond'uneconceptionfaibledelaculture s'accommodant d'un relativisme empirique ou de méthodologies sans contenus, qu'àl'installation satisfaite dans les formes consacrées de la culture scolaire et de sa transmission,donnéescommeéternellesetindépassables».E. Bautier et J.Y. Rochex, «Ces malentendus qui font la différence», in J.P. Terrail (dir.), LascolarisationdelaFrance,LaDispute,1997(pp.115-122)http://www.ac-caen.fr/ia50/circo/chv/rar/malentendus.pdf

Document5:«…nous développons une hypothèse qui permet de prendre en considération l’ensemble dessituationsdetravailscolaire,au-delàdesseulsmomentsconsacrésàlaproductionlinguistiqueetlangagièredans lechampdisciplinairede la languematernelle.L’hypothèsereposesur leseffetsducumuldedeuxphénomènes:l’évidencescolaired’unecultureécritepartagéepartousdèsleplus jeune âge se combine avec une familiarité, partagée au sein même de l’école, avec unelangue qui n’est plus tout à fait français standard de l’école et des apprentissages, languegrammatiséeet justement fondéedans l’écrit,maisune languedecommunicationquotidienne,langue circulante, vernaculaire, qui véhicule le partage des références et des expériences.L’illusiondelaconnivencelinguistiqueetdelafamiliaritédetousaveclalangueécritevientsansdoute de la réduction de l’écart entre cet oral ordinaire et la langue standard du fait de lascolarisationmassiveetdesmédias.La situation ainsi construite peut apparaître paradoxale; on peut la décrire en termesbernsteiniens. Leparadoxe se situedans la constructionauquotidiende la classed’undiscourshorizontaletdesituations«particulariste», concrète,à traiter«matériellement»’dansunoralde l’oralité ordinaire, quand l’objectif réel est celui de la construction de significationsuniversalistes,généralesquinepeuventseconstruirequedansl’élaborationquepermetl’usagelittéraciédelalangue,ycomprisdansleséchangesoraux».E. Bautier, Quand le discours pédagogique entrave la construction des usages littéraciés dulangage, in J.Y.Rochexet J.Crinon (dirs),Laconstructiondes inégalités scolaires.Aucœurdespratiquesetdesdispositifsd’enseignement,PUR,Coll.Paidéia,2011(pp.160-161)

Document6:«Pourcomprendreleseffetspotentiellementnégatifspourunepartiedelapopulationscolairedecette situation scolaire très contemporaine, elle doit être mise en relation avec les évolutionscurriculairesqui,justement,touchentsimultanémentsavoirsetlangage.Nousavonsdéjàailleursdéveloppelesrelationsétroitesentrel’importanceaccruedesusagesdulangagedanslaclasseetl’affaiblissementdessavoirsdisciplinaires(codesérielchezBernstein)auprofitnonseulementdessavoirs de communication orale et écrite, mais aussi des savoirs transversaux et de nouveauxsavoirsrégionalisés,etsurtoutdelasegmentationdessavoirsliésàleurcontextualisationdeplusen plus grande et à leur transformation en compétences. Ces savoirs ne relèvent pas d’uneinscription disciplinaire particulière,mais ils les supposent souvent; ils supposent également la

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secondarisation de l’expérience et de la culture quotidiennemédiatisée, ou plus largement del’expérience culturelle et sociale des milieux fortement scolarisés, et la mise en relation decompétencesetconnaissanceshétérogènes(ilenestainside l’introductionducinémaà l’école,plus largement de l’art, de l’éducation à l’environnement ou à la santé). Le rôle du langagelittéraciéestcentraldans leprocessusdeconstructiondecessavoirs,c’est luiquiestà l’œuvredans sa fonction de mise en relation, de construction de la généricité et d’élaboration du«nouveau» par les élèves eux-mêmes. (…) Si on se souvient des attaques dont les savoirsacadémiques, culturellement et socialement construits, ont fait l’objet dans les travaux sur lareproductionsocialepar l’école,aumotifde leurrôlediscriminatoire, laprépondéranceactuelledes savoirs situés dans les maniements langagiers littéraciés est plus discriminante encore,puisqu’elle invisibilise cequi est savoir aujourd’hui. (…) Les contenusde savoir sontaujourd’huidevenusflous,oudumoins,sontdesenchevêtrementdecontenusdisciplinaires,ponctuelsleplussouvent, d’usages du langage, de raisonnements et de mode de faire procéduraux dans lesactivités».E. Bautier, Quand le discours pédagogique entrave la construction des usages littéraciés dulangage, in J.Y.Rochexet J.Crinon (dirs),Laconstructiondes inégalités scolaires.Aucœurdespratiquesetdesdispositifsd’enseignement,PUR,Coll.Paidéia,2011(pp.161-162)

Document7:«Les manuels d’aujourd’hui, bien plus que ceux d’il y a cinquante ans, sollicitent une activitéintellectuelleetdesdispositionspourlaréaliserquisontplusexigeantes.Simultanément,ilssontdavantagel’occasiond’encouragerl’élèveàréaliserdeschosesplusdifficiles,enopérantseuldessautscognitifsàpartirdetâches,etunrisqued’inégalitésd’apprentissage.Lesélèvesdoiventainsise saisir d’unepluralitéd’élémentshétérogènes,de l’ensembledes composantesd’unedouble-pageoud’uneséquence:textesdesavoir,documentsàétudiercommeune«source»ouune«donnée » (tableau statistique, carte, témoignage d’époque...), représentations d’informations(frisechronologique,graphique,carte...),etc.Lesmanuelssollicitent làdesdispositionscognitivesde«misesenrelation»denaturediverse:inférences à partir des pages précédentes ou entre portions de pages, comparaison entre cas,décontextualisation, distinction entre singularité et généralité, ordonnancement chronologique,lienentretexte, image,etdonnées.C’est liéà lanaturedessavoirs,quinesontplusdélivrésentexteslinéairestoutprêtsàl’usagedelamémorisation-restitution,maisquel’élèvedoitdécouvriretformulerlui-même,ouchargerdesenscomplémentaireàpartirdestâchessuggéréesquandilssontdonnéssousformedecourtrésumé.Enoutre,lessavoirssontprésentésdefaçonbienmoinssimplifiée, en intégrant les savoirs savants et leur caractère provisoire, comme en mettant enrelation différents points de vue disciplinaires décloisonnés. Et ils sollicitent simultanément laconstructiondesavoirs,impersonnelspardéfinition,etlamobilisationderessentispersonnelsetd’opinionsdesenscommun.Cesontlesélèveseux-mêmesquidoiventconstruireunpointdevuesurl’objetétudié,d’oùdesexigencesplusgrandes,dessavoirsplusdifficilesàs’approprier.Or,lemanuelcadredefaçontrèsdiffuse cette mobilisation de dispositions, qui s’avèrent de fait davantage pré-requises queconsidérées comme étant à développer chez tous les élèves. Ainsi peut être objectivé unapprenantsupposéparlemanuel,danslaconnivence,quisaurasesaisirdesélémentsdumanuelavec lesdispositionsattendues. Lesobservationsdeclassemontrentque lesélèveseffectifsquicorrespondentàcemodèles’avèrentengénéralêtreissusdefamillesquiontfaitdesétudes.Etpar défaut, les autres élèves, bien plus souvent issus de familles populaires, se voient de faitdévolus des exigences dénivelées, qui peu à peu gênent le cumul des apprentissages et leurdéveloppement».

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S.Bonnery,Sociologiedes«élèvessupposés»parlesmanuelsetdeleursusagesdanslesclasses:uneentréepourquestionner lesdidactiquesdesdisciplines,HEPdeVaud,ColloqueSociologieetdidactique,13et14septembre2012http://www.hepl.ch/files/live/sites/systemsite/files/uer-agirs/Actualit%c3%a9s/Colloque%20didactiques%20et%20sociologie/Contributions-du-colloque/atelier-5%e2%80%93manuels-scolaires-et-construction-des-savoirs/sociologie%20des%20eleves-supposes-par-les-manuels-2012-uer-agirs-hep-vaud.pdfDocument8:«La définition que nous avons présentée, d’un discours pédagogique actuellement dominant,noussembleéloignerlesélèvesd’unesocialisationlangagièreetcognitivequilesinscriraitdanslafamiliaritéavec la littéracieétenduesupposéepar le fonctionnementde l’écoleaujourd’hui. Lesdifficultésquis’ensuiventpourcertainsélèvesaumoinsvontdanslesensd’unaccroissementdesinégalités,accroissementrenforcéparlamiseenœuvredifférenciéedecediscourspédagogiqueselonleniveauréeloureprésentédesélèves.Eneffet,alorsqu’aveclesclassesjugéesbonnes,lalanguestandardestsouventprésenteetproduiteparl’enseignant,pluslesélèvessontconsidéréscomme ayant des difficultés scolaires et/ou étant de milieux populaires, plus les enseignantsinscriventleursinterventionsetledialoguesurleregistrequotidienethorizontal,pluslesphrasessontinachevéesetpeuformelles.L’évolutioncurriculaireetlangagièrequenousvenonsdedécrireinterrogelespossibilitéspourlesélèvesdeproduireuntextedesavoir.Toutsemblesepassercommesiactuellement, lesélèvesétaient davantage entraînés à répondre à des questions, dire un sentiment ou une opinion enéchoàtelouteltexte,qu’habituésàproduireuntextefaisantdialoguerdessavoirsauseind’unedisciplineidentifiéesàl’aided’unefamiliaritéavecunelangueetsesusageslittéraciés».E. Bautier, Quand le discours pédagogique entrave la construction des usages littéraciés dulangage, in J.Y.Rochexet J.Crinon (dirs),Laconstructiondes inégalités scolaires.Aucœurdespratiquesetdesdispositifsd’enseignement,PUR,Coll.Paidéia,2011(p.171)

Document9:«Le pilotage, ou même la conception, du travail de l’enseignant par les tâches conduit à unepéjoration,voireàuneméconnaissancedesenjeuxdesavoiretdetravailintellectuel(etdoncdesdifférenceset inégalitésentreélèvesauregarddecesenjeux),tantenamontqu’aucoursouenavaldel’effectuationdestâches,tantdanslaconception,lechoixoularéalisationmatérielledestâchesetdes supportsde travailproposésauxélèves,quedans lesmodalitésdecadragedecequ’enfaitchaqueélève,etdanscellesdutravail,individueletcollectif,censépermettred’entirerdes règles, des conclusions ou des enseignements. Cette péjoration, ce caractère incident desenjeuxdesavoiretdetravailintellectuelfaitque,dansnombredenosobservations,ilsnesontniàl’originedespratiquesd’enseignement,ni,pournombred’élèves,àleurdénouement,etquelecaractère très incertainauregarddecesenjeuxdessituationsetdespratiquesmisesenœuvreaboutitàungaindidactiquetrès faible,voirequasinulpour lesélèvesquinedisposentpasdesressourcesetdesdispositionsnécessairespourallerau-delàde laseuleeffectuationdestâches,pourlesmettreenrelation,entreellesetavecdesenjeuxetcontenusdesavoirquilesdépassentetanticipentsurdestâches,dessituationsetdesapprentissagesàvenir.Ilestd’ailleursàcraindreque cette logique de pilotage par les tâches du travail enseignant et des situations et activitésproposées aux élèves soit exacerbée par l’importance croissante des contraintes et dispositifsd’évaluationetdeslogiquesoudestentationsderestrictioncurriculaireetdeteachingtothetestquien résultentbien souventetpardesmodesde redéfinitiondescurriculumsprivilégiantuneapprocheparcompétencesqui,d’unepart,renforcelesrisquesdeconfusionentredessituations

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d’apprentissageetd’évaluation,et,d’autrepart,minoreoucontournelaspécificitéetlerôledessavoirsetdesdisciplines».Jean-Yves Rochex, La fabrication de l’inégalité scolaire: une approche bernsteinienne, in J.Y.RochexetJ.Crinon(dirs),Laconstructiondesinégalitésscolaires.Aucœurdespratiquesetdesdispositifsd’enseignement,PUR,Coll.Paidéia,2011(p.179)Document10:«Pournotrepart,nousavons fait l’hypothèseque s’affirme,en lienétroit avec l’affirmationdedispositifspédagogiquesetdemodalitésdeclassificationetdecadragequirenforcentl’invisibilitéou le caractère implicite de ce qui est attendu des élèves, un «genre discursif scolaire», quisemble d’autant plus prégnant que l’on a à faire avec des élèves ou des classes de milieuxpopulaires.Cegenrediscursifsesitueaucroisementdel’influencedesthéoriesdel’apprentissageditesconstructivistesetde leurdiffusionsousformededoxaset idéologiespédagogiques,etdevaleurs et préoccupations liées aux conceptions dominantes de l’enfance, de l’élève, de ladémocratie ou des rapports entre l’école et ce qui n’est pas elle: valeurs de participation,«respect» ou promotion des différences, de la diversité, des identités et particularitésindividuelles, requalificationde l’expériencesocialenonscolaire, soucide faireque les individussoientpartieprenantedanslesprocessussociauxetscolaireslesconcernant,etc.Préoccupationsetvaleurscertesgénéreusesetpenséescommecontribuantquasinaturellementàla«libérationdesenfants»etàladémocratisationdel’institutionscolaire,maisquinoussemblenttropsouvent(…) minorer ou contourner à la fois les enjeux propres aux contenus de savoir et à leurapprentissage, et les enjeux de pouvoir et de production d’inégalités qui leur sont liées,contribuantparlàmêmeàlafoisàunedéspécificationetàunedésociologisationdelaquestionscolaire».Jean-Yves Rochex, La fabrication de l’inégalité scolaire: une approche bernsteinienne, in J.Y.RochexetJ.Crinon(dirs),Laconstructiondesinégalitésscolaires.Aucœurdespratiquesetdesdispositifsd’enseignement,PUR,Coll.Paidéia,2011(p.194)Document11:«…legenrediscursifscolairequenousavonstentédedonneràvoirconcourtàfairedudiscourshorizontal–discours fortementcontextualisé, traitant les savoirset les significationsdemanièresegmentée et particulariste, et orienté par et vers des pratiques et des visées d’action et decommunication spécifique à un contexte particulier et dépendant de lui – le discours principalrégissant la relation pédagogique, alors que les attendus scolaires continuent à relever, voirerelèventdeplusenplusetdeplusenplustôtdans lesparcoursscolaires,dudiscoursvertical–discours décontextualisé, à visée d’élaboration et d’échange de significations universalistes,émancipées des situations et des rencontres particulières et pouvant établir entre elles desrelations et un ordre propres, seconds, qui en développent les pouvoirs de réflexivité sur lessituations passées et d’anticipation sur des situations à venir. Un tel genre discursif scolairecontribueraitainsiàleurrerdurablementlesélèves(voirelesenseignants)surlanatureréelledesattentes de l’institution. Nous en avons montré ou évoqué de nombreux indices, relevant dedifférentes composantes ou dimensions des dispositifs pédagogiques: des types de texte etsupportsdetâchessur lesquelsonfait travailler lesélèves,à leursmodesdereconfigurationensituation et aux modalités de nomination ou de désignation de ce qui est présenté commepertinente de faire ou d’apprendre, en passant par les types d’interactions langagières ousémiotiques dans lesquelles se conjuguent (au détriment du premier, semble-t-il) le discoursinstructeur à visée d’apprentissage et le discours régulateur, à visée de communication et decontrôle».

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Jean-Yves Rochex, La fabrication de l’inégalité scolaire: une approche bernsteinienne, in J.Y.RochexetJ.Crinon(dirs),Laconstructiondesinégalitésscolaires.Aucœurdespratiquesetdesdispositifsd’enseignement,PUR,Coll.Paidéia,2011(p.194)Document12:«Si lamiseenplaceducoursdialoguédans lesclassesfaiblesoscilleentresous-participationetsur-participationtousazimutsdesélèves,c’estbienparceque l’effectivitépédagogiquedecettepratiquerequiertdesdispositionsscolairesspécifiques.Dansl’idéal,un«bon»coursdialoguéestceluioù laprogressiondupropos senourritdes interventions simultanéesduprofesseuretdesélèves. Les questions de l’enseignant et les réponses des élèves construisent peu à peu lacompréhensiongénéraleetlesquestionsdesélèvesetlesréponsesdel’enseignantpermettentderevenir sur des points que certains élèves n’ont pas compris. Ce modèle, pour fonctionnercorrectement, doit s’appuyer sur deux dispositions scolaires des élèves. La première concernel’attention:uncoursdialoguénepeutfonctionnercorrectementqu’à laconditionqu’unepartiesignificative des élèves écoute demanière continue le cours. La seconde, plus décisive encore,concerne directement les ressources cognitives des élèves. Pour répondre aux questions oudemander des précisions, il faut que l’élève parvienne à intégrer en temps réel lesdéveloppements du cours. Or, ces dispositions scolaires font tendanciellement défaut dans lesclasses faibles. On voit ici le paradoxe de cette pratique pédagogique : pensées comme un «remède » pour les élèves en difficulté et généralement présentées comme une alternative aucoursmagistralpour«accrocher»lesnouveauxlycéens,les«méthodesactives»serévèlent,auxdiresmêmedesenseignants,beaucoupplusefficacesdansles«bonnes»classesquedansles«mauvaises».J.Deauvieau,Observeretcomprendrelespratiquesenseignantes,Sociologiedutravail,49(2007)(p.104)Document13:«L’enseignement des SES puise ses références dans plusieurs disciplines universitaires :essentiellementl’économie,lasociologieet,dansunemoindremesure,lasciencepolitique.Cependant,lecontenud’enseignementneserésumepasàunepuretranspositiondidactiquedecesdisciplinesuniversitaires1.Eneffet,lesconcepteursdespremiersprogrammesd’enseignementdes SES, proches de l’école des Annales, ont voulu créer un enseignement de sciences socialesconstruit autour du croisement de plusieurs disciplines (économie, sociologie, démographie,histoire)surunmêmeobjet(Chateletal.,1990).Ceprojetd’enseignementinitialseraparlasuiteremodelé, amendé, pour déboucher sur une perspective plus « conforme » au découpagedisciplinaireactuelde l’université :unepartiedesprogrammesd’enseignementestd’inspirationéconomique et l’autre d’inspiration sociologique.Malgré tout, ce curriculum reste construit surl’idéeque l’enseignementdesSESestmoinsunepropédeutiqueauxsavoirsuniversitairesqu’unenseignementdesenjeuxsociauxetéconomiquesdumondecontemporain.La discipline SES est ainsi le produit d’une transposition « hétéroclite » de certains savoirs deréférenceuniversitairesquisontensuiterecomposésàpartirde«questionsvives»socialementconstituées,tellesquelechômageoulaglobalisationdel’économie.Dufaitdecetteconstructiondisciplinaire,troisgrandsregistresdesavoirscirculentenclassedeSES:dessavoirsscolaires,dessavoirs«politiques»etdessavoirsd’expériences.Eneffet,puisqu’ilviseavanttoutlacompréhensiondesenjeuxéconomiquesetsociaux,lamiseenœuvre du curriculum scolaire débouche facilement en classe sur des questions touchantdirectementauchamppolitique.Enfavorisantparailleurslaparticipationdesélèvessurdessujetsqui les touchent directement, les pratiques d’enseignement font également souvent appel ouécho aux savoirs d’expériences des élèves. L’enseignement des SES prescrit précisément cette

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circulationentrelesregistresdesavoirs.Convoquerlessavoirsd’expérienceàtitred’exempleoud’illustrationestpensécommeunbonmoyenpour«intéresser»lesélèvesetlesfaireentrerdansl’universpropredessavoirsscolaires.Dans lesclasses faibles,ces trois typesdesavoirscirculentdans l’interactiondemanièreparfoiscomplètement enchevêtrée. S’il impulse dans l’interaction une logique de savoirs scolaires,l’enseignantpeutàcertainsmomentsfaireundétourouaboutirauxenjeuxpolitiquesinhérentsàces savoirs ou puiser, à travers l’exemple concret notamment, dans le registre de l’expérience.L’élève,quantà lui,peut faire lemêmechemin.Dans les classesde faibleniveau scolaire, c’estd’ailleursdemanièreprédominanteàpartirdessavoirsdesonexpériencesocialequ’ilvanourrirl’interaction.L’unedesconséquencesdecejeuàtroisbandesestbienqu’ilportelesgermesd’uneconfusionsurcesregistresdesavoirs,etl’enjeumajeurduprocèsscolaire—toutparticulièrementdanscesclassesdefaibleniveauscolaire—estd’arriveràremettrechacundessavoirsàsaplace.Laconfusionsurcesregistresdesavoirslaisseeneffetcourirlerisquedumalentendusurlanaturedessavoirsscolaires.Danslesinteractionscognitivesoùrègneuneconfusionentrecesregistres,c’estendéfinitivelestatutdusavoirscolairequiestparfoismissurlasellette.Autant les deux autres types de savoirs ne sont pas immédiatement soumis à une exigence de« vérité » (chacun est libre de penser ce qu’il veut dumonde social et d’adopter telle ou telleposturepolitique),autantlesavoirscolaireestsoumisàunenormativité,unepertinencedétachéede la personne qui l’énonce. Reconnaître la « vérité » des savoirs scolaires d’un point de vueépistémologiqueestlepréalableàtoutapprentissage,et,partant,àtoutecritiquedecessavoirssurunplanintellectueletscriptural.Lestravauxsurl’apprentissagemontrentquelerapportauxsavoirsdesélèvesendifficultéscolairetendàrelativiserlessavoirsscolairesaunomd’une«vérité» de l’expérience et que cette attitude empêche précisément d’entrer dans une postured’apprentissage».J.Deauvieau,Observeretcomprendrelespratiquesenseignantes,Sociologiedutravail,49(2007)(pp.107-108)

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Document14:«Que la leçon magistrale précède les exercices d’application comme autrefois ou qu’avec lesconceptions présentées ci-dessus les savoirs soient induits dans des tâches de façon diffuse etinvisible pour que l’élève les construise, l’appropriation effective suppose une postured’appropriation: faire le lien entre les tâches et le savoir. Cette posture est indispensable à laréussitescolaire.Orl’écoleneprendpasenchargesondéveloppementchezlesélèves.Dèslorssemultiplientdes«malentendussocio-cognitifs»(Bautier&Rochex,1997): l’élèvetravailleàcôtédesenjeuxd’apprentissageencroyantfairecequiestdemandé;etleprofesseur,voyantl’élèvetravailler,croitquecelui-cis’engagedansl’activitéintellectuellepertinente.Plus particulièrement, les élèves de milieux populaires se focalisent souvent sur la dimensionvisibledesprescriptionsenseignantes:accomplirunexercice,arriveraurésultat,avoirunebonnenote…sansconsciencequecestâchesnesontquelemoyenpédagogiquedecomprendreoudeconsoliderunsavoir,cequiestrarementexplicité.Aucontraire,pourd’autresélèves,cettedoubledimensiondestâchesestévidente:ilsviventdansdesfamillesimprégnéesdeslogiquesscolaires,où touteactiondesadultesenvers lesenfantsest sous-tendueparunevolontééducativeetoùdeshabitudesdetypescolaireontdéjàétéprogressivementconstruites(désignationdulienentreactivitéetapprentissage,utilisationd’anecdotespourentirerdesrèglesgénérales,attentionauxdétails, concentration, travail autonome avec obéissance non pas à une personne mais à desrègles dépersonnalisées… – Bernstein, 1975). Les familles populaires, faute d’études longues,n’ontpasintégrécesformesd’éducationscolaire.Maisl’Écolefaitcommesicesdernièresétaientprérequises par tous, car répandues dans certaines familles, et elle entretient ainsi lesmalentendus,donc les inégalités socialesde réussite scolaire. (…)Pour réduire lesmalentendussociocognitifs qu’ils reproduisent malgré eux, il faudrait offrir aux professeurs les moyensd’interroger leurproprerapportausavoir,afinqu’ilsanticipentcequi,danschaquepréparationde séance, suppose des prérequis implicites chez l’apprenant, voire identifient dans les outilsdidactiquesàdispositioncequirelèved’évidencessocialementsituées.L’enseignementpourraitêtrepensépouridentifier,aveclesélèves,cesmalentendusafindelessurmonter.Estposéeicilaquestion desmoyensmobilisés pour la formation des enseignants, pour les soutenir dans leuractivitéplutôtquede leurproposerdesdiscourspsychologisantssur leursperformanceset leurrentabilitéquinepeuventconduirequ’àlesculpabiliseràleurtour».S. Bonnéry, Les usages de la psychologie à l’école: quels effets sur les inégalités scolaires?,Sociologiespratiques,2/2008(n°17)http://www.cairn.info/revue-sociologies-pratiques-2008-2-page-107.htm#anchor_citationDocument15:«(…)onpeutlirel’approchedescompétencescommeuneformecontemporainedespédagogies«nouvelles»,dontonretrouvecertainstraitsdufondidéologique:sensibilitéauxenjeuxsociaux(la«pédagogiepopulaire»deFreinet),méthodes«actives»(le«learningbydoing»deDewey),valeursd’ouverturedel’écolesurlavie,souciducontexteetd’uneéducationglobale,au-delàdel’instruction(voirPeyronie&Vergnioux,2008).On y retrouve aussi, du moins en ce qui concerne l’école primaire, des conceptions qui, demanièreplusdiffuseetmoinsréférée,ontpuêtreobservéescommesous-jacentesauxpratiquescourantes des professeurs des écoles (Crinon, 2011 ; Crinon,Marin& Bautier, 2008 ; Goigoux,2007):donnerlaparolelargementauxélèves; lesfaireréfléchir; lesfairetravaillerengroupe;faireémergerlesobjetsd’apprentissagedel’activitémêmedesélèves;lesmotiver;êtreprochede la vie et des préoccupations de ceux-ci ; proposer des projets de travail liant plusieursdisciplinesouplusieursdomaines ;nepasmettre lesélèvesendifficulté.Enfin, cesconceptionspédagogiques nous semblent se développer parallèlement aux recommandations pour

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l’enseignement universitaire émises par le processus deBologne, visant à placer au cœur de lapratique pédagogique non plus les savoirs, pensés du point de vue de l’enseignant,mais les «learningoutcomes»,traduitsparlalocution«résultatsd’apprentissage»,etplusrécemmentparl’expression«acquisd’apprentissage»,pensésdupointdevuedel’apprenant.(…)Unautretypededifficultés tient à ceque l’approchepar compétences s’apparenteà cequeBernstein (1975)appeléles«pédagogiesinvisibles».Lespédagogiesnouvelles,lorsqu’ellesmettentlesélèvesensituationdeprojetouderéalisation,laissentàlachargedesélèveseux-mêmesd’identifier,aucoursdel’activité,lessavoirsencauseetlesapprentissagessouventréalisésdemanièreincidente.Silespédagogiesnouvellessemblentmieux permettre de progresser aux élèves issus des classes sociales favorisées qu’à ceux quiviennentdemilieuxpopulaires,c’est,ditBernstein,parcequelespremiersdisposentde«règles»dereconnaissanceetderéalisationdontlessecondssontdépourvus,brefquelespremierssont,àladifférencedesseconds,enconnivenceaveclesattentesscolaires.Autrementdit,lespremierssontdeplain-piedavecl’universdel’écoleetsaventreconnaitredesenjeux d’apprentissage sous les différents habillages que constituent les tâches scolaires, ycomprislorsqu’ellesprennentl’aspectd’activitésprochesdecellesdumondeextérieur,etau-delàdel’enjeuapparentderéalisation.Unélèvequiréaliseunetâcheàl’écolen’estpastoujoursdansl’activitécognitiveenfonctiondelaquellel’enseignantaprévucettetâche.Ces«malentendus»surlesenjeuxdestâchesscolairesontétémisenévidenceparnotreéquipe(par exemple, Bautier & Rayou, 2009 : Bautier & Rochex, 1997 ; 2004 ; Bonnéry, 2007). Ilsconstituentunélémentdécisifdanslagenèseoulerenforcementdesinégalitésscolaires».J.CrinonetC.Delarue-Breton,Apprentissagesetréductiondesinégalitésscolaires:laFranceàlacroiséedeslogiquespédagogiques,CIFEN,Bulletinn°30,Novembre2011http://www.ulg.ac.be/upload/docs/application/pdf/2013-09/puzzle_bulletin30_nov11.pdf#page=16

Document16:«Cettehistoireprofessionnelleavalorisélespédagogiesde«projet»oulerecoursauxsituationsd’apprentissages«naturelles»ou«complexes»,aujourd’huicontestéesaunomduprincipedel’organisation hiérarchique des habiletés. Les thèses pédagogiques inspirées par l’Éducationnouvelle(improprementqualifiéesdepédagogiesconstructivistesalorsqueleconstructivismeestune théorie psychologique et non pédagogique) sont aujourd’hui contestées lorsqu’ellesconduisent à une fréquentation trop aléatoire, trop peu hiérarchisée, trop espacée et trop peufréquente des savoirs visés par l’enseignement. Leurs défauts de planification sont pointés dudoigt,ainsiquel’habillagedessituationspseudoconcrètesquiconduisentlesélèvesàs’égarersurdefaussespistescognitivesetàperdrelesbénéficesqu’offrentunesélection,uneprésentationetuneorganisation rigoureusesde situationsdidactiques«artificielles» :matérielépuré, stabilitédes formats des tâches scolaires, découpage des contenus, rythmede progression et gradationdesdifficultés,etc.Les élèves les plus vulnérables ont besoind’unepédagogiequi respecteune« loi d’optimum»proposant un habile dosage entre une forte part de connu (répétitions intra-tâches) et unemoindre, mais néanmoins consistante, part de nouveauté (variabilités intra et inter-tâches).Lorsque le guidage didactique est réduit à son minimum, lorsqu’on omet l’apprentissaged’habiletés préalables à la résolution de problèmes complexes ou l’entraînement explicited’habiletés élémentaires, les écarts entre les meilleurs élèves et ceux ayant des difficultésaugmentent, alors qu’ils se réduisent dans le cas d’une hiérarchisation des habiletés et d’unguidageprogressif des apprentissages au sein de situations rigoureusement construites dans cebut.Trois éléments apparaissent dès lors comme décisifs : 1) la définition précise des objectifs etl’évaluation de ce qui a été effectivement enseigné, 2) la pratique régulière de l’évaluation

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formative (renforcement intrinsèque), 3) l’enseignement préalable des compétences requisespourunnouvelapprentissage.Lapédagogiequenousdéfendons,etquisemblegagnerduterrain,chercheàconcilierlesacquisdespédagogiesactivesaveclesexigencesdespédagogiesexpliciteset structurées. Elle combine des phases d’enseignement déclaratif (exposition de règles, deprocéduresoudenotions),desphasesderésolutionguidéesouslatutelleétroitedel’enseignantet des phases de tâtonnement, d’exploration ou de découverte (recours à des situations-problèmes)toutenaccordantleplusgrandsoinauxphasesd’entrainement,d’exerciceoudejeuquifavorisentlamémorisationdesnotionsetl’automatisationdesprocédures.».RolandGoigoux,Unepédagogieéclectiqueauservicedesélèvesquiontleplusbesoindel’école.Lanouvellerevuedel’adaptationetdelascolarisation,52,2011.http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/59/50/03/PDF/NRAS_52_pA_dagogie_A_clectique.pdf Document17:«Eneffet,dufaitdesmissionsnouvellesetmultiplesconfiéesparlasociétéàl’École,leniveaudesexigencesd’enseignement"pourtous"n’acessédecroître,alorsquel’évolutiondesconceptionset des formes pédagogiques allait vers moins d’explicitation formalisée3. Il est ainsi devenuévident dans certaines formations d’enseignants et dans leurs pratiques quotidiennes que lessavoirsnedevaientplusêtredélivrésparleprofesseur:celui-cidoitmettreenplaceuncadredetravail, des prescriptions de tâches "mettant en présence" les élèves avec les savoirs sans lesdésigner explicitement pour que l’élève les identifie et les construise lui-même, en les"réinventant". Il s’agitde"pédagogies invisibles" :cequiestprivilégiécenesontpas lessavoirsdésignésparl’enseignantcommeobjetsd’apprentissage,latransmissiondestechniquesconcrètespermettant l’appropriation, mais l’activité de l’élève qui doit identifier lui-même dans l’ici-et-maintenantdel’expérience,delatâche,l’apprentissagesuggérédefaçonimplicite.Sicesformesscolairesnouvellesrépondentàdesévolutionssocialesetàdeschangementsdanslacommande socialeadresséeà l’École, celaamplifie lesdifficultésauxquelles sont confrontés lesélèves de milieux populaires : l’implicite, le non-formalisme étant la norme, ce qui permetd’expliciter,de«vendrelamèche»ausensdeBourdieu,n’enestqueplusrare:lesmalentendussocio-cognitifssontdoncd’autantpluspossibles».Stéphane Bonnéry, Contribution au colloque de l’Association internationale des sociologues delanguefrançaise,Tours,juillet2004http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/67/78/90/PDF/bonnery_AISLF_Tours_2004_individu_jeune_classes_sociales_inA_galitA_s_scolaires.pdf

Document18:«Cette notion de « secondarisation » des activités scolaires, qui implique simultanémentdécontextualisationetadoptiond’uneautrefinalité,noussembleenmesurederendreraisondel’origined’unebonnepartiedesdifficultésdesélèvesdemilieuxpopulaires.Lacentrationdelaplupartd’entreeuxsurlesensordinaire,quotidien,destâches,desobjetsoudesmotssemblelesempêcherdeconstruirecesobjetsdansleurdimensionscolaireseconde.Ilsonttendanceàconsidérerlesobjetsetlessupportsdansleurexistenceetleurusagenonscolairesalors qu’en classe, ceux-ci sont systématiquement des enjeux de questionnements : ilsconvoquentdesuniversdesavoirs, ilssontdesobjetsd’étudeetpour l’étude, ilssontaussidesressourcesd’apprentissage, desobjets d’analyses et de commentaires.Demême,pour certainsélèves,lessavoirspeuventêtreassimilésauxsavoirsd’actionscolaire,ponctuels(etdefaitévaluésà ce titre : répondre à une question, chercher un document, coller des vignettes, remettre en

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ordre des images, participer aux échanges verbaux), et n’incluent pas ce que ces actionspermettent d’apprendre au-delà de leurmise enœuvre. Le fait que la constitution des savoirsrenvoie toujours à des questions posées au-delà de soi et de la situation immédiate par uneculture et des hommes qui les ont précédés est aujourd’hui une dimension du sens de l’écoledifficile à appréhender pour les élèves qui évaluent les savoirs à l’aune d’une vérité ou d’uneutilitéquileurestextérieure.Cetteconstitutiondesobjetsdel’actionscolaireensavoirspartagéscollectivement,etqu’iln’estpaspertinentdevalideraunomdesoi,faitpartiedemanièresd’être,secondarisées,ausavoir».E. Bautier et R. Goigoux,Difficultés d’apprentissage, processus de secondarisation et pratiquesenseignantes: une hypothèse relationnelle,Revue Française de Pédagogie, n° 148, juillet-août-septembre2004.Document19:«Avec lamassificationprogressiveduseconddegré, lesenseignantsonteneffetétéconduitsàmodifier leurs façonsd’enseigner. Par souci dedémocratisationd’unepart, en rapprochantdesexigences de ce niveau des élèves qui en étaient peu familiers, par pragmatisme d’autre part,puisque l’hétérogénéité des élèves imposaient de faire des adaptations. Si les enseignants desclasses d’élite pouvaient n’indiquer que très vaguement ce qui était attendu et lamanière d’yparvenir,lesprofesseursducollègedemasseontaucontrairemultipliélesconsignestrèsstrictesparlesquellesilsontessayédeclarifierlestâchesscolairesetlesmodalitésdeleureffectuation.Ledécoupagedutravailensoulignements,cochages,fléchagesouréponsesbrèves,lagénéralisationdesfichesetexercices«àtrou»visentàdissiperlesambiguïtésetàmettrelesélèvesensituationdederéussiteenmêmetempsqu’ilsfacilitentlesévaluations.Pourbeaucoupd’élèvescependant,unetelleobjectivationrendpossibledesatisfaireauxaspectslesplusformelsetprocédurauxdesconsignes mais brouille en même temps le sens général de l’activité intellectuelle qu’il fautconduire».E. Bautier et P. Rayou, Les inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques etmalentendusscolaire,PUF,Coll.Educationetsociété,2009(pp.7-8)Document20:«Acôtéde l’influencede la logiquedecompétences,unenouvelle logiquedeprésentationdessavoirstendàdevenirdominanteetrelèveàsontourdesdescriptionsentermesdecodeintégré(versus code sériel) de Bernstein. Cette présentation, liée à la nouvelle conception des savoirsnécessaires, voire utiles, est ainsi deplus enplus souvent thématiqueouproblématiqueet demoinsenmoinsdisciplinaire.(…)Cetteprésentationdessavoirsconduit,peut-êtrefautedetemps,à faire l’impasse sur les spécificités de chaque discipline convoquée, sur la logique de leurconstruction, la spécificitéde leurproblématisation,de leurmodedevalidationdesenjeux,desspécificitésdestypesd’écrits.Plusencore,unetelledémarcheconduitàfairecommesicessavoirsdisciplinairesétantmaîtrisés,laprioritéenrevenaitàleurconvocationpertinenteetàleurmiseenrelation.Lecoursestainsilelieu,ducollègeàl’université,oùlesélèvesetétudiantss’entraînentàcesconvocationspluridisciplinaires, lessavoirseux-mêmeset leuracquisitionétantrenvoyés,enfonctiondecequechacunsaitounesaitpas,autravailpersonneldedocumentationhorslecours.Siunetelledémarchepeutsejustifieràl’université,samiseenœuvredanslascolaritéobligatoireestfortdifférenciatrice.Ainsi,forceestdeconstaterque,danscesconditions,nombred’élèves,et

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d’étudiants,n’ontpasaccumulélessavoirsdisciplinairesnécessairesàcetteconvocation,nesontpasàmêmecefaisantd’identifierlessavoirsdisciplinairespertinents.Cesontlesdisciplineselles-mêmesquidisparaissententantqueprincipeorganisateurdessavoirsdesélèves».E. Bautier et P. Rayou, Les inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques etmalentendusscolaire,PUF,Coll.Educationetsociété,2009(pp.89-90)Document21:«Onpeutainsifaireréférenceàlavolonté,dansl’école,deconstruireungroupeclasseconvivial,où chacun peut prendre la parole pour ce qu’il est sur le registre qu’il privilégie; dès lors lecadrageflouestlanormequipermetàchaqueélèved’agirdanslasituation.Peusembleimporterque les registresd’interventiondesélèves soient fortdifférents:quecertainsapprennentde lasituationetélaborentun textede savoirnouveaupoureux, tandisqued’autres communiquentleursexpériencesou leuropinion, leurémotion.Et,eneffet, lesélèvess’autorisentdavantageàparticiperdanscegenrehorizontal initiépar l’enseignant lui-même (danscertainesclasses); lesenseignantssontainsiégalementenclinsàpenserqueparlerauplusprèsdelalanguedesélèves,non seulement introduit une atmosphèremoins formelle,moins formaliste, et plus propice autravail, mais permet aussi une meilleure compréhension. Pourtant, l’utilisation des mots«ordinaires» comme «côté» quand il se substitue à «arête» en mathématiques produit del’ambiguïtésicen’estdel’incompréhension».E. Bautier et P. Rayou, Les inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques etmalentendusscolaire,PUF,Coll.Educationetsociété,2009(p.115)

Document22:«Lamiseen circulationpeu rigoureusede conceptions, scientifiques à l’originemaisdénaturéepar leurusage, donneainsi des vulgatesqui peuvent elles-mêmes se trouver renforcéespardepuresopinions,desdoxas. Ilenestainsiactuellementdesthéoriessocioconstructivistesetde laréférence à Vygotski qui transforment les classes en jeux langagiers d’exploration infinie ou enactivismepermanent.C’estnotammentlecas,lorsquelesintérêtsdeplusieursgroupesd’acteursentrentenphaseaveccesraccourcisintellectuelspourscellerunaccordautourdel’école.Ilenvaainsi par exemple de l’attrait pour l’expressivité des nouvelles classesmoyennes, très aisémentajustable à des philosophies pédagogiques vulgarisées qui, centrées sur le relationnel,contournentlesdifficultésdesapprentissages».E. Bautier et P. Rayou, Les inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques etmalentendusscolaire,PUF,Coll.Educationetsociété,2009(p.146)

Document23:«L’appel à l’expérience des élèves (…) est ainsi aujourd’hui un impératif pédagogique trèsfortement intériorisé. Les vulgates qui le sous-tendent sont sans doute nombreuses etconvergentes.Onpeutimaginerquedesversionssimplistesdulearningbydoingcomposentassezfacilementavecdesexplicationssociologisantesentermesdedistanceculturelleentrefamillesetécole.D’autantquedesdoxassocialessurlecaractère«tropthéorique»del’écolesontprêtesàprendrelerelais.Sil’universderéférencedesenfantsetdesjeunesestéloignédeceluidel’école,n’est-ilpassouhaitabledelesrapprocherdusecondenpartantdecequeleuradéjàapprisleurpropreexpérience?Nousavonsévoquébeaucoupdetravauxquimontrentquelesexigencesdel’écolesupposentprécisémentquel’expériencepremièresoitdépassée.Travaillantsurdesobjets

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duquotidien,lesélèvespeuventaussisesentirdansunetellefamiliaritéqu’ilsenperdentdevuel’impératifdedistanciationd’uneformescolairequi,tôtoutard,reprendsesdroits».E. Bautier et P. Rayou, Les inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques etmalentendusscolaire,PUF,Coll.Educationetsociété,2009(p.146)Document24:«L’introductionsansétayagesparticuliers,demodèlesd’éducationcentréssur l’élève,voiresurl’enfant, est très pénalisante pour ceux qui manquent des informations et des prérequisnécessaires à la prise en charge de soi, de ses études et de ses apprentissages. L’appel à desremédiationsparentalesetplusgénéralementextrascolairespoursoutenirlesélèvesendifficultéestunesortederenonciationàlaconvictionqu’ondoitpouvoirapprendreàl’école.Ildésarmelesenseignants,attiselesconcurrencespourlamaîtrisedesapprentissages,culpabiliselesfamillesetlesélèvesquinepeuventtirerleurépingledujeu.Ceseffetsdeleurrenesauraientseconfondreavec les conséquences parfois néfastes en termes d’apprentissage de pratiques enseignantesinsuffisamment informées et critiques. Une des causes de ce que l’on appelle aujourd’hui lasouffrancedesenseignantsvientprécisémentdelafréquenteinadéquationentreleursintentionsdefaireréussirtouslesélèvesetleconstatsouventamerdeleuréchec».E. Bautier et P. Rayou, Les inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques etmalentendusscolaire,PUF,Coll.Educationetsociété,2009(p.158)Document25:«[Comme le montre Basil Bernstein] les curriculums évoluent vers des «classifications» desavoirsplusfloues:lesfrontièresentrelesdiscipliness’atténuent,lepointdevuesurlesobjetsdumonde (l’habitat, par exemple) construit en objet d’étude par les disciplines (la «densité» engéographie,etc.)cohabiteaveclasollicitationdesperceptionsindividuellesdel’élève(donnersonavis, son ressenti…) et des formes de savoirs sociaux («éducation à…» la citoyenneté, etc.),censés permettre de penser les questions sociales contemporaines. Le centre de l’activitéd’enseignementestdemoinsenmoinslesavoirobjectivé(c’est-à-diredonnéàvoircommeobjetd’apprentissage), au profit de la démarche de l’élève pour déplacer ses conceptions ets’approprierlescontenusetnonplusseulementretenir.Encohérenceavecces«classifications»moinsstrictesdesavoirs,les«cadrages»del’activitédel’élève(cequirégule,orientecelle-ci)parl’enseignantchangent.Leprofesseurestdemoinsenmoinsun«fournisseur»deréponsesetdeplus en plus «quelqu’un qui pose des questions»: le cadrage est moins contraignant. Cetteorientation dans l’activité des élèves va souvent de pair avec un caractère plus invisible de lapédagogie: visibilitémoinsgrandedes savoirsqui sontmoinsprésentésprêtsàêtre retenusetplutôtàdécouvriretàinterroger,visibilitémoindreducadrage.Les recherches françaises récentes (…)montrentque lesanalysesdeBernstein sontpertinentespour décrire une part des évolutions curriculaires qui ont eu lieu depuis cinq décennies enFrance»S.Bonnéry,«Introduction»inS.Bonnéry(dir.),Supportspédagogiquesetinégalitésscolaires,LaDispute,Coll.L’enjeuscolaire,2015,pp.15-16

Document26:«L’éducationscolaireauneparticularité:onyapprendpar«l’étude»,c’est-à-direenprenantdurecul avec la pratique, en étant dégagé des enjeux immédiats de la production, de la pratique.Apprendreàl’école,c’estsemettreenretraitdumondepourmieuxl’étudier,àpartirdesavoirs

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théoriquesdont l’appropriationchange le regardsur l’expérience.Parexemple,unepromenadedansuncadrescolaire,au-delàduplaisirqu’elleapporte,exerceàporterunautreregardsur lepaysage,àl’envisagersousl’angledessavoirsgrâceauxsciencesdelanature,àla littératureoutouteautreformedecréationartistique.C’est lamissionde l’écolequedepermettreàtous lesélèves de déplacer leurs façons de penser lemonde par lamédiation des savoirs que l’histoirehumaineaaccumulés.Enyrenonçant,elledeviendraitinutilepourlamajoritédesenfantsscolarisés.

Cette formescolaired’éducationa imprégné lespratiques familialesdesclassesdites favoriséespour lesquelles peut être diminué le temps scolaire, comme était envisagée la disparition del’école maternelle au profit des jardins d’enfants, au motif que l’école bousculerait trop leshabitudesdesenfantsparrapportaurythmefamilial.Maispourgrandir,pouracquérirlepouvoirdecomprendre lemondeetagir sur lui, ilestnécessaired’êtrebousculédansseshabitudesdepensée.C’est lepropredusavoirthéoriquequedenousconduireàundéplacementduregard:notre«expériencepremière»,c’estdevoirquelesoleiltourneautourdelaTerre,etpourtant…cette«évidence»doitêtrebousculée. Lesdécideursde ces réformesveulentnous faire croireque c’est protéger les enfants du peuple que de respecter leurs besoins, ou leurs rythmesprétendumentnaturels.Est-ceàdirequ’ilnefaudraitpastroplesinstruire?Faudrait–ildonclesmaintenir dans une ignorance relative ? Pendant ce temps, ceux qui ont été habitués, dans lafamille,àuneéducationdetypescolairepourrontsecontenterd’uneécoleauxhorairesréduites,puisqu’ils auront un complément d’éducation scolaire au sein de la famille, comme dans lesactivitésqu’ellevapouvoirfinancer:«école»d’art,etc.Laquestiondusavoirreposed’abordsurunequestiondepouvoir:àpartager,ouàréserveràuneminoritéenlaissantpenserauxautresquec’estennuyeuxet fatigant?Oui, c’est fatigantqued’apprendreà raisonnerautrement. Lesenfants qui auraient plus de « facilité » sont en fait déjà entraînés à la maison à manierintellectuellementlessavoirsscolaires.C’estpourcelaquecetentraînement,laconcentration,quipermettentàchacunderepousserleslimitesdelafatigue,doiventêtrepermisàtous,àl’école.Lesdiscoursrécurrentssur les rythmesserventavant toutà faireaccepter le renoncementd’unmêmeenseignementpourtous».StéphaneBonnery,LettreduRéseauEcoleduPCF,Décembre2013http://reseau-ecole.pcf.fr/sites/default/files/ecole-la_lettre_decembre_2013.pdfStéphaneBonneryestmaîtredeconférencesàl’universitédeParis8.IlestaussiundesanimateursduRéseauEcoleduPCF.

Document27:«L’autre grand aspect de la question est sans doute le poids écrasant des conceptionspédagogiquesquiprivilégient,dansl’éducationdesenfantsquiontl’âgedespremièresannéesduprimaire, lerôledessensationsaudétrimentdeceluidel’intellection.Onpeutenfaireremonterl’influenceaumoinsàl’EmiledeRousseau.L’ouvragetirelesconséquencesdelaconception(àlafoisphylogénétiqueetontogénétique)poséedansl’Essaisurl’originedeslangues,selonlaquellel’aptitudeauraisonnementlogiquen’apparaîtqu’autermed’unlongdéveloppementpréalable.«De toutes les facultés de l’homme, s’indigne-t-il dans l’Emile (Livre Second), la raison qui n’est,pourainsidire,qu’uncomposédetouteslesautres,estcellequisedéveloppeleplusdifficilementet leplustard;etc’estdecelle- làqu’onveutseservirpourdévelopperlespremières!».C’estoublierque« l’enfanceest le sommeilde la raison», etqu’«avant l’âgede raison l’enfantnereçoit pas des idées mais des images ». Et encore : « tout [le savoir des enfants] est dans lasensation,rienn’apassédansl’entendement».Pressentantpeut-êtretoutefoisqu’ilseraitdifficiled’enseigner sans employer quelque chose qui ait à voir avec la raison, Rousseau s’empresse

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d’ajouter:«Jesuiscependantbienéloignédepenserquelesenfantsn’aientaucuneespècederaisonnement.Aucontraire, jevoisqu’ils raisonnent trèsbiendans toutcequ’ils connaissentetqui se rapporteà leur intérêtprésentet sensible.Mais c’est sur leurs connaissancesque l’on setrompeen leurprêtant cellesqu’ilsn’ontpas, et les faisant raisonner sur cequ’ilsne sauraientcomprendre.Onsetrompeencoreenvoulantlesrendreattentifsàdesconsidérationsquinelestouchentenaucunemanière(…)»(ibid.Soulignéparmoi,JPT.).L’éducateurselonRousseaudevradoncemployernondesidées,maisdesimages–etmêmesipossiblesepasserdereprésentation:ainsi pour lui enseigner la géographie,plusencorequed’utiliser«des globes,des sphères, descartes», il amènera sonélèveau contactdirectde lanature. Pour s’adresser à sa sensibilité, ilconvientdepartirdecequ’ilconnaîtet letouche,deses« intérêtsprésents»,aubesoinenlessuscitant:ainsinel’introduira-t-onàlalecturequ’aprèsavoir,parquelqueartifice,provoquéchezluilafrustrationdenepouvoirdécrypterlesmessagesécrits.L’essentielest«qu’ilcroietoujoursêtrelemaître»,et«qu’ilnesacherienparcequevousleluiavezdit,maisparcequ’ill’acomprislui-même;qu’iln’apprennepaslascience,qu’ill’invente»(ibid.,LivreTroisième).Cespréceptesrésonnentfamilièrementauxoreillescontemporaines.Cesontceuxde«l’éducationnouvelle»etdel’«auto-constructiondessavoirs»,quiconjuguentméthodesactivesetsouciomniprésentde«contextualisation» des connaissances. Ils avaient acquis depuis la fin du 19ème siècle, unelégitimité savante conférée tant par les travaux des biologistes, médecins puis psychologues(d’ItardàPiaget),queparl’anthropologienaissanteetlesthèsesdeLévy-Bruhl.Leurimpactsurlespolitiques et les pratiques scolaires est d’ailleurs bien antérieur à l’explosion des années 1960.Avantmêmel’émergencedel’«éducationnouvelle»,leDictionnairedepédagogieetd’instructionprimairedirigéparF.Buisson leur faiten1887uneassez largepart.Pour lapériodede l’entre-deux-guerres,etcommeleremarqueJ.Chobaux(1968),laconceptiondel’enfantsurlaquellecespréceptes s’appuient imprègne les instructions officielles pour l’enseignement élémentaire dufrançaisde1923:ledéveloppementdel’enfantva«duconnuàl’inconnu»,du«facileaudifficile»,du«concretà l’abstrait»,des«faitssensiblesà l’idéeabstraite»,enprocédantuniquementpar raisonnement inductif. Dans l’enseignement primaire, dès lors, « à aucun moment on n’arecours au raisonnement déductif, abordable seulement par des adolescents » (cette consignes’accompagnant contradictoirement par ailleurs de la recommandation, qui prête à l’élève unminimum de capacité déductive, de faire « découvrir les conséquences d’un principe, lesapplicationsd’une règle»). Le recoursdes institutricesde J.Prévertàcettepédagogien’adoncrien de bien personnel : elle l’ont héritée de leurs aîné(e)s, les manuels qu’elles utilisent enimposentlesconceptionsetlesprocéduresleçonaprèsleçon,ettouteunetraditionhistoriqueluiconfèrelepoidsdel’évidence,dubonsensprofessionnelleplusélémentaire».J.P.Terrail:Peut-oncontribueràenrayerledécrochagecognitifprécoceenZEP?,inE.Bautier,J.P.Terrailetalii:Décrochagescolaire:genèseetlogiquedesparcours,RapportderechercheDPD,novembre2002(p.116)https://hal.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/808806/filename/rapport.PDF

Document28:«L’irrésistible séduction des recours incontrôlés, et donc potentiellement dévastateurs, àl’illustration et à la figuration dans l’action scolaire, tient également à l’insuffisantemaîtrise deleurdisciplineparlesenseignants:quin’apasl’expériencedecessituations,encontextescolaireounon,danslesquelles,fautedepouvoirs’expliquer«aufond»,onsecontentepourconvaincrede donner des exemples ? S. Baruk rapporte à cet égard qu’ayant interrogé une diversité

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d’institutrices et d’instituteurs, aucun n’a pu lui donner une définition correcte (i. e.mathématique)decequ’estun«nombre»ouun«chiffre».Onréalisevite,à réfléchirsur lesdifficultés intellectuelles inhérentes aux apprentissages élémentaires, quand les chosesapparaissent encore particulièrement « simples », le degré d’information et de réflexionconcernant l’histoire et l’épistémologie des savoirs enseignés qui est nécessaire pour éviter leserreurs les plus grossières. Les pas à franchir par les élèves ont demandé des millénaires àl’humanité : ceux qui ont la charge de les guider devraient avoir bénéficié d’une sérieuseformationdisciplinaire».J.P.Terrail:Peut-oncontribueràenrayer ledécrochagecognitifprécoceenZEP?, inE.Bautier,J.P. Terrail et alii:Décrochage scolaire: genèseet logiquedesparcours, Rapport de rechercheDPD,novembre2002(p.116)https://hal.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/808806/filename/rapport.PDF

Document29:«On pourrait dire que, massivement, les élèves en difficulté se situent dans une logiqued'effectuationdetâches,demiseenrègleouenconformitéavecdescomportements.Ilspeuventainsi décrire une journée de classe comme la caméra vidéo l'enregistrerait, en termes desuccession d'actions successives vues d'un point de vue totalement extérieur à l'activitéd'apprentissage qui est censée être la spécificité de l'institution scolaire, du type : « onmontel’escalier,onenlèvelesmanteaux,ons’assoit,lamaîtresseelleparleetpuisonécrit,etc.»,sansque l'on sache jamais ni ce que la maîtresse dit, ni ce qu'eux-mêmes écrivent. A la limite, lajournéedeclassesembleseréduireàunesimplegestuelle.Danslesmêmesclasseslesélèvesquisesituent,eux,dansunelogiqued'apprentissage,décriventlamêmejournéedeclasseenutilisantdes termes qui renvoient peu ou prou à une activité intellectuelle : « on apprend, on fait desproblèmes, lamaîtresse nous pose des questions, on réfléchit, on cherche les réponses, etc.».Donc, pour certains élèves, faire son « métier d'élève », c'est se mettre en règle avec desexigencesdecomportementetavecdestâches,avecl’idéesous-jacenteselonlaquelle,quandonest en règle, on a fait son devoir mais au sens quasiment moral voire mêmemoralisateur duterme,etquandonestenrègle,onestquitte.J'ail'habitudededirequecesélèvess'acquittentdeleurs obligations scolaires comme nombre d'entre nous se sont acquittés de leurs obligationsmilitaires, c'est-à-dire en s'y prêtant lemoins possible, en ne s'y engageant qu'aminima et enattendant d'en être libéré pour passer à des choses et des activités plus intéressantes et plussérieuses (la«vraievie»quedenombreuxélèvesendifficultéopposentà l'universscolaire).Acontrario,danslesmêmesclassesetparfoisdanslesmêmesfamilles,ceuxquisesituentdansunelogique d'apprentissage peuvent reconnaître qu'il existe des activités intellectuelles au-delà descomportements,au-delàdestâches,etquecesactivitésontunobjetpropre,unespécificité.Cesélèvesreconnaissentlanécessitéetl’intérêt,nonpasdesemettreenrèglemaisdesemettreendébat avec des domaines de savoir (...) parce qu'un savoir, un concept, un type de techniqueintellectuelle se propose comme réponse à un certain nombre de questionsmais ouvre par làmêmeàd’autresquestions».Jean-YvesRochex,Accompagnementscolaireetrapportausavoir,ConférencedonnéeauCefisemdeParis,http://ww2.ac-poitiers.fr/accompagnement-educatif/IMG/pdf/Accompagnement_scolaire_et_rapport_au_savoir.pdf

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Document30:«Demanderauxélèvesdeconstruireeux-mêmeslesavoir(leredécouvrir, l’identifier,cernerseszonesdevaliditéetmaîtrisersontransfertd’unesituationàl’autre),afindevoirlesélèvesnepasse contenter de retenir mais de comprendre ce qui est demandé, c’est certes vouloir «démocratiser », mais c’est aussi rendre les choses objectivement plus difficiles. Les curriculamontrentplusgénéralementdesexigences littératiées (mobilisant les spécificitésde l’écrit), à«mettreenlien»desélémentshétérogènes,exercices intermédiairesàréaliserdont lesrésultatssont à comparer pour endéduiredes règles générales, textes de savoir, documents à analyser,expression d’expériences personnelles, etc. Ces formes littératiées sollicitent des dispositionscognitives, sémiotiques, langagières et culturelles très élaborées, alorsmêmeque la populationest moins « connivente ». Or, les recherches montrent que ces exigences supposent desdispositions très spécifiques, qui sont en fait des pré-requis et ne font pas l’objet d’unenseignement rationnel. Pour éviter l’énonciation d’un savoir qui ne serait qu’à retenir,l’enseignantvoitsaplacechanger,iln’estplusceluiqui«dit»,maisceluiquiposedesquestionspour guider, qui crée des séances dans lesquelles les élèves sont censés découvrir des balises(exercices, résultats...) pour le « cheminement intellectuel » qu’ils doivent découvrir seuls : lecadrage de l’activité (au sens de guidage) de l’élève est doncmoins étroit, notamment par lesmanuelset lessupportsécrits,cequiaccroîtconsidérablement laresponsabilitéquipèsesur lesépaulesdesenseignants.Lerisqued’uncadragetropétroitestpeut-êtred’empêcherlaréflexion,mais un cadrage trop flou ne guide pas assez et peut faire appel à des pré-requis construitssocialement».S.Bonnéry,D’hieràaujourd’hui, lesenjeuxd’unesociologiede lapédagogie,Savoir/Agir,n°17,2011(pp.14-15)

Document31:«Lestravauxdesociologiedesapprentissagesetdes inégalités(ceuxdeBernstein,d’ESCOL,deBonnéry,Bautier,Rochex,enparticulier)ontcependantmontréquel’affaiblissementdisciplinaireet la transversalité des savoirs et compétences à mobiliser dans des tâches scolaires, quicorrespondentàuneclassificationetàuncadragesouventfaiblesdessavoirsetdessituationsdetravail cognitif, pénalisent les élèves des milieux populaires peu familiers de ces mobilisationsimplicites,decettecirculationdansdesuniversdeconnaissancesetdepenséehétérogènesetquisupposentunefamiliaritéavecdesusageslittéraciésdulangagequilessecondarisent».E.Bautier,Changementscurriculaires:desexigencescontradictoires,inCh.BenAyed(dir),L’écoledémocratique.Versunrenoncementpolitique?,ArmandColin,2010,(pp.85-86)

Document32:«Bernstein identifiedeux formestypiquesdemodèlespédagogiques : lespédagogiesvisiblesetlespédagogies invisibles.Cettedistinctiondoitêtrecomprisedupointdevuedel’élève:c’estàpartir de son point de vue que lemodèle pédagogique est visible ou invisible. Dans lemodèleinvisible,lestâchesàeffectuersontdestâchesglobales(lescodesdesavoirsnesontpassériés);leséquençageestlâche;l’élèvepeutdifficilementsavoirquellessontlesfinalitésdelatâche;seull’enseignant connaît les objectifs spécifiques qu’il poursuit ; ces objectifs sont eux-mêmesfortementintégrés(ils’agitparexempledetravaillerà lafoisdansunemêmeactivitéla langue,l’orthographe, laconjugaison, l’observation, l’espritcritique, la lectureet lacapacitédetrierdesinformations et de les synthétiser). La pédagogie visible se caractérise par un découpage et unséquençageexplicitesdesapprentissages;ellemetmoinsl’accentsurlacréativitéindividuelle;lesévaluationsysontexplicites.LesdéveloppementsdeBernsteinàproposdecesmodèlessonttrès

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riches. Il souligne par exemple que les pédagogies invisibles rendent particulièrement visibles,pour l’enseignant, certaines caractéristiques de l’élève, et en particulier celles liées à sapersonnalité, à son intériorité (inner). Par ailleurs, d’après Bernstein, le modèle invisible, qu’ilidentifiedèslesannées70auniveaudesécolesmaternellesetdesécolesprivéesanglaises,apusedéveloppernotammentparcequ’ildonnaitàcroirequ’ilconstituaitunmoyendeluttercontrelesphénomènesde reproductiondes inégalités scolaireset sociales.Contrecepointdevuequifaitdecemodèlepédagogiqueunvecteurd’émancipationsocialeetculturelle,Bernsteinsuggèreque le passage de la pédagogie visible vers la pédagogie invisible participe plutôt à unetransformationdesmodalitésdeproductiondesinégalités,quiseréalisesousl’impulsiondeetauprofit d’une fraction de la classe moyenne à fort capital culturel et en trajectoire ascendante.Cette nouvelle classe moyenne est le produit d’une transformation du monde du travail quidemande davantage de flexibilité, de polyvalence, d’imagination, de créativité, etc. et quieuphémiselesrelationsdepouvoir.Elleconstituesesmembresenagentsdecontrôlesymboliqueets’opposeàuneanciennefractiondelaclassemoyenneinscritedansunmondedutravaildontlefonctionnements’appuiedavantagesurdesdispositifsextérieursauxpersonnes(Mangez,2001)que sur la manipulation de ressources symboliques. Là où dans l’ancienne classe moyenne, lecontrôle social se réalise aumoyen de règles impersonnelles, le contrôle social de la nouvelleclassemoyennepassepardesprocessusdecommunicationinterpersonnellevalorisantlerespectmutuel, la persuasion, l’écoute et la singularité de chacun. On peut par ailleurs penser que lemodèle invisible de la nouvelle classe moyenne induit des procédures de contrôle nouvelles,centréessurl’auto-évaluationetl’évaluationparlespairs,conduisantàunecompétitionimplicitequifaitpeserdavantagederesponsabilitéssurlapersonnedechaqueélève,dansunelogiquede«contrat»oudeprojetpersonnel.Lapédagogieinvisibledelanouvelleclassemoyenneparticipeàla reconstitution des inégalités en ce qu’elle nécessite de nouvelles compétences de décodagespécifiques».ÉricMangez,Laproductiondesprogrammesdecoursparlesagentsintermédiaires:transfertdesavoirsetrelationsdepouvoir,Revuefrançaisedepédagogie,n°146, janvier-février-mars2004,(pp.67-68)Document33:Unexempledepédagogieinvisibleàl’écoleprimaire«Il s’agit d’un dispositif dans lequel on va essayer de faire colorier aux élèves une carte degéographie à partir de la signification du code (de quelle couleur on colorie chaque palierd’altitudedurelief?)etl’idéequipiloteledispositif,lescenario,c’estqued’abord,onvamettrelesélèvesdansunephaseditederecherche,ditedeconstructiondesavoirs.«Dite»car,s’ilyaquelque chose à apprendre pour l’enseignant et lesmodèles d’apprentissage qui influencent ledispositif,onvavoirquepourdesélèves,c’estloind’êtrel’occasiond’uneconstructiondesavoir,ilsn’apprennentrien.Carcettepremièrephasepeutêtrerésoluesansrecoursà lanotion.Danscetexemple,undesélèvesquej’aisuivisarrivaità«morcelerlatâche»(Butlen,Peltier,Pézard,2003)decoloriagedelacarteenunesériedemicro-tâches(commentcolorierisolémentchacunedes zones de la carte) de telle sorte que l’on contourne l’enjeu de savoir du dispositif. Quandl’enseignante dit «cette zone-là, vous allez la colorier en marron foncé parce que la légendesymbolise un palier d’altitude…» les informations sur le code sont ignorées par une part desélèvesquineperçoiventlàquelesindicationssurlemarronpourcoloriertellezoneprécisément.Pour les colorierde façonconforme, il n’yapasbesoind’en savoirdavantage, tout le resteestévacué. Ce type de dispositif est à interroger car s’il peut apparaitre pertinent de conduire lesélèves à comparer les raisons pour lesquelles on colorie des zones de couleur identique oudifférente,carilyalàuneactivitéintellectuellepotentielleàfaireconduire,ilrestequelecadragedelatâchedecoloriageproposéparledispositifnepermetpasd’attirerl’attentiondel’élèvesur

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l’objetdesavoir.Onalàunedisjonctionentrel’objectifd’enseignementetceversquoi latâcheconduit.»S.Bonnery:«L’individualisationdanslaclasse,dansl’école,danslasociété»,4novembre2009,http://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article59

Document34:

«Lamiseencirculationpeurigoureusedeconceptions,scientifiquesà l’originemaisdénaturéesparleurusage,donneainsidesvulgatesquiquipeuventelles-mêmessetrouverrenforcéespardepuresopinions,desdoxas. Ilenestainsiactuellementdesthéoriessocioconstructivistesetde laréférence à Vygotski qui transforment les classes en jeux langagiers d’exploration infinie ou enactivismepermanent.C’estnotammentlecas,lorsquelesintérêtsdeplusieursgroupesd’acteursentrentenphaseaveccesraccourcisintellectuelspourscellerunaccordautourdel’école.Ilenvaainsi par exemple de l’attrait pour l’expressivité des nouvelles classesmoyennes très aisémentajustableàdesphilosophiespédagogiesvulgariséesqui,centréessur lerelationnel,contournentlesdifficultésdesapprentissages».E. Bautier et P. Rayou, Les inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques etmalentendus scolaire,PUF,Coll.Educationetsociété,2009(p.146)Document35:«L’appel à l’expérience des élèves, nous l’avons largement développéprécédemment, est ainsiaujourd’huiunimpératifpédagogiquetrèsfortementintériorisé.Lesvulgatesquilessous-tendentsontsansdoutenombreusesetconvergentes.(…)D’autantquedesdoxassocialessurlecaractère«tropthéorique»del’écolesontprêtesàprendrelerelais.Sil’universderéférencedesenfantsetdesjeunesestéloignédeceluidel’école,n’est-ilpassouhaitabledelesrapprocherdusecondenpartantdeceque leuradéjàappris leurexpérience?Nousavonsdéjàévoquébeaucoupdetravaux qui montrent pourtant que les exigences de l’école supposent précisément quel’expériencepremière soit dépassée. Travaillant surdesobjetsduquotidien, les élèvespeuventaussisesentirdansunetellefamiliaritéqu’ilsenperdentdevuel’impératifdedistanciationd’uneformescolairequi,tôtoutard,reprendssesdroits».E. Bautier et P. Rayou, Les inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques etmalentendus scolaire,PUF,Coll.Educationetsociété,2009(p.146).Document36:«… une des pistes que l’on peut ouvrir ici réside justement dans l’abandon des pratiquesadaptatives qui masquent les lacunes, les apprentissages disciplinaires manqués, les usageslangagiers et les opérations cognitives non acquis; parmi celles-ci, l’évitement de l’écritd’élaboration au profit du soulignement, du prélèvement de réponses justifiées au profit de lasaisie au vol demots ou de bribes de phrases. Le sous-ajustement, l’aide facilitatrice,a fortioril’affaiblissement des exigences cognitives au profit des exigences comportementales dumétierd’élèvesontautantélémentsquiaccroissentlesinégalitésd’apprentissage.Abandonnercesquasi-réflexes adaptatifs peut se faire au profit de démarches permettant une progression dans lesapprentissagesetlaprisedeconsciencepourlesélèveseux-mêmesdesvéritablesenjeuxcognitifsdestâches».E. Bautier et P. Rayou, Les inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques etmalentendusscolaire,PUF,Coll.Educationetsociété,2009(p.160)

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Document37:«…ilestsansdoutenécessairequel’enseignantnommelesactivités, lesobjetsdansunelanguescolaire,celledelagénéricitédesnotions,celledesdisciplinesetnoncelledelaviequotidiennequi, certes dans un premier temps facilite les échanges avec les élèves, mais produit,simultanément,deseffetsd’incompréhensionsurlesensdessituationsetdessavoirs».E. Bautier et P. Rayou, Les inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques etmalentendus scolaire,PUF,Coll.Educationetsociété,2009(p.162)Document38:Unedéfensedelapédagogieinvisible«Lesensdelajustice,larecherchedel’intégrationpourtousreçoiventleursmeilleureschanceslorsquelamargedemanœuvres’élargit,lorsquelebonsenscommunn’estpascontrecarréparuncarcandedispositionsqui,mêmebienintentionnées,n’enconstituentpasmoinsunétouffoir.Carl’adoptiond’unmodèlede«pédagogievisible»–quidécoupeetorganiseenséquencesnetteslesapprentissages – rend, en quelque sorte l’enfant tel qu’en lui-même « invisible » : ce qui enémerge n’est pas la particularité de chaque enfant, mais sa position dans un classement.L’initiative de l’enseignant qui voudrait s’adapter à l’enfant, au lieu de le laisser aller vers uneéventuelleexclusion,enesttoutàfaitréduite.Préférerla«pédagogieinvisible»,quiprivilégielestâches intégrées, c’est ouvrir à l’enseignant un champ d’action où il pourra tenir compte biendavantagedesqualitéspersonnellesuniquesdeteloutelélève».François-XavierDruet:Uneécolepourinclure,Enquestion(revueduCentreAvec),n°92demars2010,p.15-18.L’auteurestenseignantauCollègeetauxFacultésNotre-DamedelaPaix,CentreInterfaces(Namur)Document39:LapédagogieinvisiblerevendiquéeenSES«Cependant de 1969 à 1980 l’importance du dossier va s’accroître en nombre et volume dedocuments. Essentiellement statistiques les premières années (70% des documents en 1969 et1970), l’importance des textes se développe ensuite pour représenter 70% des documents en1979 et 1980. Du fait de l’ampleur du dossier, il se met à jouer un rôle déterminant dansl’épreuve.Sous l’impulsiond’HenriLanta,qui faisaitalors fonctiond’IG,onrenforce lecaractèreoriginald’undesdeuxsujets,originalausensoùlethèmedusujetpeutnepasêtrestrictementmentionné dans le programme, tels la crise de l’automobile, les transformations de la presseécrite et l’information des français, la condition féminine. L’élève peut ne pas avoir étudié cesthèmesenclasseetnedisposerd’aucune informationhormis cellesqui sont contenuesdans ledossier. L’épreuve devient alors une synthèse de documents, le travail en classe étant supposéfournirlesoutilsintellectuelsetlesméthodesnécessairesàl’épreuve».ElisabethChatel,Lesépreuvesdubaccalauréatenscienceséconomiquesetsociales,Colloquedel’ACIREPH,octobre2008(H.Lanta,citédansletexte,afaitfonctiond’InspecteurGénéralde1970à1978)http://www.acireph.org/Files/Other/Pedagogie/dissertation/CHATEL%20dissert%20sc%20eco.pdf

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Document40:LesSES:«projetfondateur»etpédagogieinvisible«Leprojetde1966étaitceluid’unenseignementpluridisciplinaire,ouvertsurlemonde,refusantd’enseigner des modèles trop théoriques, faisant travailler les élèves sur des dossiers dedocuments, développant leur autonomie, avec des programmes construits autour d’objets-problèmes, selon laméthodesdesAnnales.Cetteesquissemontredes traitsqui campent,pourBernstein,lemodèled’unepédagogieinvisibleauxcodesintégrés».Elisabeth Chatel, Extrait de la note de synthèse présentée pour l’Habilitation à diriger desrecherches,«L’évaluationdel’éducationetl’enjeudessavoirs»,décembre2005,UniversitéParis8Disponiblesurlesitedel’associationCORPUShttps://refonderprogrammesscolairesdotcom.files.wordpress.com/2013/11/chatel_hdr_chap_4_extraits.pdf

Document41:«J'aidécouvertquenotreenseignements'adressaitenquelquesorteàuneminorité,mêmesionacontribuéà ladémocratisation,avec lafilièreetc.,maisaprèsquandonavuarriver lesautresélèves,çaamispeut-êtrecettepédagogieenporte-à-faux,parcequesionadesélèvesquin'ontpasdecapitalculturel,quin'ontrienlu,quiontdesdifficultésàs'exprimer,etquej'arrive,quejedistribuequelquesdocumentssur lamonnaieetquehopjedisonvaparlerde lamonnaie,boncettepédagogiedevientcatastrophique».PascalCombemale,Extraitdel’entretiendu23mai2013.Cettedéclarationsetrouvedanslemémoiredemaster2deCloéGaubert,enlignesurlesitedel'APSES.http://www.apses.org/debats-enjeux/analyses-reflexions/article/la-separation-disciplinaire-dans#.VhjG_Xrtmko