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    Sinthome ou supplance comme rponses au videFrancesca Biagi-Chai

    Nous utilisons* bien souvent indiffremment dans notre clinique les termes de supplance et

    de sinthome pour rendre compte de la solution psychotique. Je propose de distinguer les

    deux, en prenant en considration le versant du signifiant ou de la jouissance, dans un

    parcours travers les cas ou rfrences princeps du Sminaire de Lacan.

    Supplance et Signifiant

    Lacan fait valoir dans son Sminaire plusieurs modalits de supplance, selon quil sagissede la nvrose ou de la psychose. Dans tous les cas, Lacan aborde la question de la supplance partir de lAutre pralable, du signifiant du manque dans lAutre ou de sa forclusion.

    Le signifiant est constitutif de la ralit humaine. Lacan nous enseigne combien la jouissancenest pas hors-signifiant, mais prise dans les mailles du signifiant. Lacan, dans son retour Freud, crit ce nouage dans Le Sminaire Les formations de linconscient, en articulant lestrois temps de lOedipe avec le fantasme un enfant est battu .Dans la structure du signifiant lobjet cause du dsir centre la pulsion. Cest ce qui revient

    toujours la mme place : ce qui nous pousse essayer, aller voir, faire, etc Lesignifiant permet une condensation de la jouissance. Lacan formule ainsi ce point de bute quiindique le dsir : quest-ce que, dire, a veut. En quelque sorte : quest-ce qui nous pousse dire, quest-ce qui nous fait dire, selon ce qui de la pulsion ou du dsir est mis en jeu.Dans le Sminaire XI, avec le concept alination-sparation , Lacan va substituer linconscient freudien, conu comme un rservoir ; un inconscient vide, une faille, une bvue,impliquant la considration de lAutre comme incomplet. Aucun signifiant ne peut se signifierlui-mme. Cela permet dattraper le signifiant de deux faons : par le sens, ou par le trou dansla signification.Dans la perspective de larticulation alination/sparation, il y a deux manires de saliner lAutre : soit dans ce quil dit, soit dans ce qui lui manque.

    Le fantasme comme supplance dans la nvrose

    Avec la sparation, lalination en passe par lobjet, au lieu de la superposition du vide delAutre celui du sujet. Ce lieu est celui de la mise en forme du fantasme. Le sujet interprtele manque de signifiant, soit le dsir de lAutre. Il va se saisir comme objet de fantasme dansce dsir, et, dans le cas de la nvrose, rester arrim cette position. Lacan nous donne lire lanvrose comme un arrt sur le deuxime temps de ldipe. Cest le temps de linterdiction dupre : temps de la constitution du fantasme, un enfant est battu . Le fantasme est unesupplance par rapport au vide nigmatique, sur le versant masochiste de la pulsion de mort,nanmoins, il ordonne la vie du sujet, avec une mise en forme de la jouissance localise dans

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    lobjet a. Cest ce que J.-A. Miller appelle lenforme de lobjet 1. Ce nest quau troisimetemps de lOedipe quun sujet a chance dadvenir au dsir, lequel va alors supplanter lefantasme. Cest le temps o le pre donne, en acte, la possibilit lenfant de se dtacher dufantasme en tant que pulsion de mort, en indiquant suffisamment lenfant son lien libidinal la mre. Cest le moment o la signification phallique bat son plein.

    La phobie

    Le terme de supplance dans la nvrose vient ensuite dans le discours de Lacan propos dupetit Hans. Le cas de cet enfant illustre bien la position de phallus imaginaire emprunte par lesujet quand la signification phallique nest pas encore advenue. Le sujet sidentifie au dsir dela mre, au phallus quil a repr comme tel au temps 2 de ldipe. Hans y est totalementassujetti, jusquau moment o son pnis va lui provoquer une sensation. Le refus maternelden jouir permet Hans de se dtacher de la mre tandis que lorgane de sa jouissance sedtache de lui. Cela na pas pour consquence la mise en jeu dun fantasme, si ce nest celuide la dvoration. Il peut tre dvor par la mre, mais une partie de lui nest pas menace, lamre ne peut pas le castrer. Sa mre prcisment lui interdisait rgulirement la masturbation,

    sans que cela ait leffet dune opration signifiante propre introduire un manque. Se faisant,elle le dtache delle, certes ; mais elle le laisse en plan avec un organe dont il ne sait quefaire. Comment la phobie se dclenche-t-elle ? Dans cette conjoncture, elle se dclenche aumoment o le cheval tombe : la puissance comme telle chute. En tombant, le cheval conjointla puissance et la chute et prend la valeur dune supplance du Nom-du-Pre, sous la formedun signifiant. Lobjet phobique est homogne au totem, ce qui vient faire arrt la

    jouissance. Un signifiant imaginaire peut prendre la consistance de lobjet, celui qui angoisseet qui arrte. Cela fonctionnera pour Hans jusqu sa rencontre avec Freud, o seffectua unremplacement de la supplance.Lacan voquera le remplacement de ce qui est rel par quelque chose de plus grand, de plus

    beau linstallateur qui va lui installer un nouveau pnis dans le rve la fin de la cure,et dont la consquence sera de donner un terme la phobie. Une signification de jouissancepossible est alors donne au vide.La vie de Hans nen gardera pas moins la marque de limaginaire, de la brillance du phallusimaginaire. Lobjet pour lui reste peu cessible, difficilement dtachable. Il passa lasublimation par lcriture et la mise en scne, et un mode de satisfaction vis vis de lAutresexe sans grand engagement, semble t-il.

    La supplance dans la psychose

    Dans la psychose, le dsir de lAutre nest pas interprt. Le sujet peut dire jai un pre ,mais il ne sait pas quoi a sert. Lorsque linterprtation nadvient pas, le sujet est face au

    possible rel : ce nest plus lAutre qui le regarde mtaphoriquement grce la mdiation dufantasme, cest lAutre qui le traque rellement. Le regard, surgi don ne sait o, le perscute.Limaginaire se dissout : faute dun fantasme qui le retienne, le corps se dtache. Le sujetperd la consistance de la ralit.Lacan prsentera ainsi dans le Sminaire Les psychoses la solution psychotique : Il faudraque le sujet porte la charge de cette dpossession du signifiant et en assume la compensationlonguement dans sa vie par une srie didentifications purement conformistes despersonnages qui lui donneront le sentiment de ce quil faut faire pour tre un homme. 2

    *Ce texte reprend des morceaux choisis dune confrence donne par Francesca Biagi-Chai la Section cliniquede Clermont Ferrand, en juin 2010.1 Miller J.-A., L'orientation lacanienne, Illuminations profanes , enseignement prononc dans le cadre du

    dpartement de psychanalyse de Paris VIII, Leon du 23 Novembre 2005, indit.2 Lacan J.,Le Sminaire, livre III, les psychoses , Paris, Le Seuil, 1981, p. 231.

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    On est l dans le registre du miroir pur. Le sujet nen passe pas par linterprtation phalliquedu non -rapport sexuel entre les parents. Le vide fondamental, cest cela. Le sujet na pasrecours la signification phallique, ni au fantasme comme appareillage de la jouissance.Il se soutient alors de bquilles imaginaires : une image idale vient se superposer au vide ;laquelle, contrairement au fantasme, nest pas cheville au corps. Le discours de lAutre peut

    soutenir cet accrochage imaginaire, condition quil ne soit pas demand au sujet davoir enrendre compte.Dans ce Sminaire, pour introduire le concept de supplance, Lacan voque un cas dhystriemasculine par le terme de coloration . Nous dirions aujourdhui avec Lacan que ce casdu psychologue Joseph Hessler pourrait tre lu ct psychose ; comme un cas de psychoseordinaire. La proccupation de Lacan ce moment du Sminaire est de montrer ce qui peutvaloir comme symptme dans la psychose. Voici la remarque quil fait propos de ce cas deJ. Hessler :La manifestation symptomatique du sujet est domine par ses lmentsrelationnels qui "colorent" ses relations aux objets 3. La jouissance du sujet a donc une coloration .Ce sujet fait des rves de transfert en rapport avec la castration. Le problme, cest quil ne

    peut rien en dire. Il y a alors ce que Lacan repre quand il ny a pas la supplance du fantasme: la personnalit. Cet homme a une curieuse personnalit. Une image idale domine le tableau: celle du grand-pre qui levait des poules et des canards en grande quantit. Le champsmantique de luf, de la couvade et de la naissance envahit le champ du rel. Le sujet estdans un monde signifiant dans lequel on ne retrouve pas la trace dun fantasme. Certes,enfant, il avait assist aux nombreux accouchements de sa mre, ainsi qu lextraction dunenfant in utero de la voisine. Ces moments laissent une empreinte mais ne le divisent pas, ilsne viennent pas faire nigme pour lui.Lpisode de la chute du tramway, quil rapporte lanalyste, pourrait se rapporter latraduction dans le corps du signifiant-matre de sa vie : la procration . Mais uneprocration auto-rfre, qui nen passe pas par la question du sexe. Cest une pathologie delUn.Quest-ce qui fait tenir son corps ? Cest la coloration fminine. Cest une hypothse. Lesavoir sur le sexe est gel et pris dans le S1 de la couvaison, de la procration. Il y a un dfautdu processus de sparation dont lholophrase vient rendre compte et dont le sujet incarne leseffets signifiants. Mais ce qui fait supplance, cest la coloration du corps femmeenfantant qui permet dviter la dissolution imaginaire et leffraction du rel dans lesymbolique. Cet homme a ainsi une couleur sexue, et cest sans doute ce qui fait supplance. propos de la coloration Lacan prcise dans son Sminaire Le sinthome : dans le sexe, ilny a rien de plus que ltre de couleur, ce qui suggre quil peut y avoir femme couleurdhomme ou homme couleur de femme. 4

    J.-A. Miller, dans son Sminaire De la nature des semblants , propose le terme decoloration pour parler des psychoses compenses , quand le rel ne sort pas dusymbolique. Il emploie le terme de compensation pour mettre en valeur un type de rature

    particulier, qui empche que se manifeste Phi 0. La compensation va prendre la valeur dunnom propre, du ct de lUn. Le sujet, grce ce S1 va devenir un le quelconque (lartiste,la mre de famille...). Ltre va rpondre larticle qui le dfinit, reprsent par le S1 quinomme, qui colore sa jouissance, lobjet pris dans la fibre se caractrise de ne pouvoir treextrait. Pour que ce soit une vritable supplance, il faut que a puisse tenir sans faille, safragilit est dans cette raideur.

    Sinthome et jouissance

    3ibid., p. 191.4 Lacan J.Le Sminaire, livre XXIII,Le sinthome , Paris, Le Seuil, 2005, p. 116.

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    Dans la solution du sinthome comme rponse au vide, la tenue ne va plus se faire partirde la considration du signifiant mais de celle de lobjet a. Le sinthome sous-entend unsavoir-faire, un talent, quelque chose que le sujet a et propose.Ce qui intresse Lacan dans le cas de Joyce le sinthome, cest cette dimension crative qui

    va suppler exactement au Nom-du-Pre. Lacan montre que la supplance de Joyce ralisedes caractristiques particulires, celles dun mixte de jouissance et de symptme. La solutiondu sujet va tre de rcuprer les chutes symptomatiques pour en faire une possibilit Autre,une possibilit de jouissance reconnue, assume. Lcriture de Joyce est cette cration qui varaliser le quatrime nud. On nest plus ici dans lclairage, dans la coloration, mais dans lacorde. Lego et limaginaire, ce nest pas la mme chose. Ce quatrime nud vient la placede lobjet a condensateur de jouissance. Cest une corde, un rond autour dun vide, le vide delobjet a issu comme tel du fantasme. De ce point de vue, le sinthome de Joyce est uneexacte compensation la carence paternelle.Lalangue pour Joyce na pas trouv sordonnerdans le rgime du pre dont cest pourtant la mission, celle de dlivrer un sens la jouissancephallique la langue. Mais elle a t recre, lesprit incr de ma race, sur un mode

    transmissible.Une caractristique de la solution sinthomatique est sa solidit : le nud, une fois fait, nepourra plus se dfaire. Ce qui nest pas le cas concernant les supplances.

    Joyce : au pied de la lettre, quelques reprages

    Il y a la scne de la racle. Elle consacre la disjonction du signifiant et du corps, il ny a pasde morsure du signifiant sur le corps. Son corps est Joyce indiffrent, au point quil sedfile, quil ste comme un gant. Il ne peut faire lobjet dun imaginaire o logerait laffect.Joyce ne parvient pas en vouloir ses agresseurs. Son corps choit avec la racle. Il entmoignera. Il ne peut que constater. Cest de lordre de la certitude dun ressenti, mme silest peru comme ngativ.Il y a ensuite la survenue des piphanies. Lpiphanie est un phnomne de frange pour Joyce.Cest un bruissement de la langue : cest une ambiance signifiante, mais o ne se dtache pasde voix hallucine. On se trouve dans une dimension de semi-extriorit.Exemple de lpiphanie la Villanelle qui se trouve dans Stephen le hros : un couple parledans la rue. Stephen entend des fragments de discussion, desquels, dit-il, il reoit uneimpression . Le signifiant lextrieur, produit un effet dans le corps. Un effet sans cho.Une impression si aigu quil en est frapp. Les mots entendus sont : o, j, , t, a, u, v, gli,mouin, ouf, m, vou, z, tr, m, chan. Cette petite scne banale lui donne lide de recueillirces piphanies dans un livre, la manire, dit-il, dun enregistrement.Joyce, homme de lettres, lest au pied de la lettre , il est dabord un enregistreur de lettres.

    Il se fait docile aux signifiants, comme il fut docile la racle. Mais il en fait aussitt quelquechose, vite, dans lurgence il traite linstant de voir. Le temps pour comprendre laisserait laplace la brche. Recueillir ces manifestations spirituelles, les attraper, les crire dans uncahier, cest dj les prendre dans un discours : Lhomme de lettres, dit-il, se doitdenregistrer ces moments dlicats et vanescents.Les piphanies sont ces fragments sonores qui se dtachent de la langue, et que nous nepouvons pas entendre quand nous avons un rapport dintriorit la langue, ce qui nest pas lecas de Joyce. Le son des bruits banaux prend pour lui une valeur dextriorit, et avec le terme piphanie , Joyce barre dj la route au retour du forclos. piphanie devient une rfrence. Dans Stephen le hros, Stephen, prenant appui sur lathorie esthtique de Saint Thomas dAquin, pourra lui dcider d piphaniser le monde,

    en posant son regard sur un objet choisi. Stephen dclara Cranly que lhorloge du bureaudu lest tait susceptible dpiphanies Que de fois je passe devant, jy fais allusion, jen

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    parle, je laperois, dun coup dil, ce nest quun article dans le catalogue mobilier des ruesde Dublin, puis, un beau jour je la regarde et je vois aussitt ce que cest : piphanie 5. Leregard pare au rel et ds lors contrle, matrise, dcide de ce que lui piphanise. Dsormais illes devance. Il prend la mesure de cette exprience, la pleine responsabilitdira Lacan, cest dire quil va y rpondre ct .

    Joyce hrtique

    Joyce, nous dit Lacan, choisit de devenir hrtique, hrtique au Nom-du-Pre, hrtique de labonne faon parce que soumettant son hrsie lAutre. Il faut en effet en passer par lAutrepour quil y ait ralisation du sinthome . Lacan parle dune soumission la confirmationde lAutre.

    Il y a le souci de transmission dans la solution sinthomatique . Joyce entre dans le mondede lchange en souhaitant donner du mal aux universitaires pendant trois gnrations. Ilquitte le hic et nunc de la rparation immdiate, il va au-del : son objet est cessible endevenant objet de transmission.Ds lors que Joyce piphanise , quil en prend la responsabilit, il se produit une

    connexion immdiate entre symbolique et rel, et cela donne un quatrime nud . Il vatravailler lalangue pour quelle ne vienne plus vers lui. Il va en faire un trait desthtique, ilva travailler le corps de la langue. Ce travail va prendre la forme mthodique dune ambition :il sagit bien dune sublimation russie. Le travail de lalangue, dit Lacan, cest dinscrire, parla chute des coupures, par le vidage du sens, une nonciation. Cest le point o Joyce, par soncriture, corrige le Nom-du-Pre, et apprend parler au sens daller vers lAutre.Dans Finnegans Wake, il ny a pratiquement plus que des onomatopes. Joyce parle, il faitentendre sa voix. On est du ct de la voix, de la modulation, de la musicalit comme formedextraction de lobjet. Il peut donner lobjet voix lAutre, celle-ci prenant une valeurdchange. Cette valeur dobjet tient dans le fait que ce quil dit est parfaitementincomprhensible. Cest parce quon est dans le registre de lobjet et du travail sur lalangueque lon peut dire quil y a vraiment sinthome .

    Pour conclure

    Cest donc par lobjet voix que Joyce rejoint ce qui permet la pulsion de faire le tour duvide, den passer par lAutre avant de revenir vers le sujet qui obtient ainsi un trajet rflexif ce qui est par dfinition le trajet de la pulsion : il se fait lartiste qui se donnera du mal,etc... Reconnu, la structure comme telle disparat.Mais ce nest pas tout, une autre ncessit participe la solution de Joyce : cest Nora, safemme. Lacan prcise quelle lui va comme un gant. Pour que cela soit possible, il faut quellese moule absolument sur la jouissance de Joyce.

    Il y a aussi un chappement, cest sa fille : elle est schizophrne. Elle voulait tre danseuse.Joyce aurait pu avoir son gard lide dune supplance par lart, et pourtant il refusa quellesoit danseuse, la solution quil mt au point pour lui, il ne laccorde pas sa fille. Il ne veutpas quelle soit danseuse, malgr son talent. En quelque sorte il ne peut pas tre pre. Il restedonc que le sinthome est une invention de lUn.

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    Joyce J., Stephen le Hros, la Pliade, Tome I, Gallimard, 1982, p. 85-105.

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