Science et art de la matière Toute une histoire La lumière Pacte contre le cancer Du...

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Courrier LE DE L’UNESCO Janvier-Mars 2011 La chimie et la vie Science et art de la matière JeanMarie Lehn Toute une histoire Michal Meyer La lumière Tebello Nyokong Pacte contre le cancer Anlong Xu Du noir au vert Jens Lubbadeh Arbres synthétiques Klaus Lackner Lettre à un jeune chimiste Akira Suzuki Dans nos rubriques : Atomes crochus RolfDieter Heuer La seconde vie de Touki Bouki Souleymane Cissé Organisation des Nations Unies pour l’éducation la science et la culture , ISSN 2220-2269

Transcript of Science et art de la matière Toute une histoire La lumière Pacte contre le cancer Du...

CourrierLE

DE L’UNESCO

Janvier-Mars 2011

La chimie et la vie

Science et art de la matière

JeanMarie Lehn

Toute une histoire

Michal Meyer

La lumière

Tebello Nyokong

Pacte contre le cancer

Anlong Xu

Du noir au vert

Jens Lubbadeh

Arbres synthétiques

Klaus Lackner

Lettre à un jeune chimiste

Akira Suzuki

Dans nos rubriques :

Atomes crochus

RolfDieter Heuer

La seconde vie de Touki Bouki

Souleymane Cissé

Organisation des Nations Unies

pour l’éducation la science et la culture

,

ISSN 2220-2269

AIC 2011L'Année internationale de la chimie 2011 (AIC 2011),proclamée par l’Assemblée générale des NationsUnies sur une proposition de l’Éthiopie, vise àcélébrer les contributions de la chimie au bien-êtrede l'humanité. Sous la devise « La chimie : notre vie,notre avenir », l’Année mettra en relief le rôle quecette science est appelée à jouer dans desdomaines aussi variés que la santé, l’alimentation,l’environnement, l'énergie ou les transports. L’AIC2011 s'adresse tout particulièrement aux jeunes et

aux non-spécialistes, en leur proposant de s’associerà un éventail d'activités interactives, divertissanteset éducatives à travers le monde(www.chemistry2011.org/).

L’année 2011 marque le centenaire del’attribution du prix Nobel de chimie à MarieSklodowska-Curie et celui de la création, à Paris, del’Association internationale des sociétés de chimie,devenue, en 1919, l’Union internationale de chimiepure et appliquée (UICPA).

L’UICPA, dont le siège est à Zurich (Suisse), a étéfondée par des chimistes issus des milieuxacadémique et industriel dans le desseind’encourager la coopération internationale dans ledomaine de la chimie et de jeter des passerellesentre la recherche scientifique, les applicationsindustrielles et le secteur public. C’est grâce àl’UICPA que les chimistes du monde entierdisposent d’une « langue commune » : nomenclature, symboles, terminologie, poidsatomiques standard, etc. Cinquante-quatre sociétéset organisations nationales sont membres del’Union, qui compte également trois membresassociés.

L’UNESCO et l’UICPA organisent l’AIC 2011 enpartenariat avec des sociétés privées. L'Annéeinternationale est lancée le 27 janvier 2011 au siègede l’UNESCO, à Paris, avec la participation denombreux chercheurs et ingénieurs de renom.

Jean-Marie Lehn(France)

Klaus LacknerStephen Humphreys

(États-Unis)

Vanderlan da Silva Bolzani (Brésil)

Fatemeh Farjadian (Iran)

Marko Viskić(Croatie)

Vicki Gardiner (Australie)

Ole John NielsenJes Andersen(Danemark)

Jens LubbadehRolf-Dieter Heuer(Allemagne)

Michal Meyer(Israël)

Tayra Lanuza-Navarro(Espagne)

Souleymane Cissé (Mali)

Bhagwan Singh Chandravanshi Shimalis Admassie

(Éthiopie)

Anlong Xu (Chine)

Gabrielle Lorne(Martinique - France)

Sunil ManiShiraz SidhvaSomnath Das (Inde)

Tebello Nyokong(Afrique du Sud)

Akira SuzukiNoriyuki Yoshida(Japon)

Philip W. Boyd(Nouvelle-Zélande)

NOS AUTEURS

Ana Alejandra Apaseo Alaniz (Mexique)

Kufre Ite (Nigéria)

© DR

Éditorial – Irina Bokova, Directrice générale de l'UNESCO 5

DOSSIER : LA CHIMIE ET LA VIE

La chimie : science et art de la matière Jean-Marie Lehn 7

La chimie, c’est toute une histoire 10Les ancêtres de la chimie Michal Meyer 11

Les malheurs d’un alchimiste trop matérialiste

Tayra M.C. Lanuza-Navarro 13

La chimie sur le terrain 17Le fil rouge de ma carrière, c’est la lumière

Entretien avec Tebello Nyokong par Cathy Nolan 18

Veiller sur la santé du pays Bhagwan Singh Chandravanshi 21

Le métal et le végétal : un pacte contre le cancer Anlong Xu 22

De la primauté de la nature Vanderlan da Silva Bolzani 24

Le boom pharmaceutique indien

Entretien avec Sunil Mani par Shiraz Sidhva 25

Les bienfaits des algues Vicki Gardiner 28

La chimie fait peau neuve 29Comment désamorcer les bombes aérosols

Jes Andersen rencontre Ole John Nielsen 30

Réchauffement climatique : le Plan B

Le fer contre l’anémie de la mer Philip W. Boyd 32Arbres synthétiques Katerina Markelova rencontre Klaus Lackner 33Vénus à la rescousse Jasmina Šopova 34

Du noir au vert Jens Lubbadeh 35

Lettre à un jeune chimiste

Entretien avec Akira Suzuki par Noriyuki Yoshida 39

Chimistes en herbe autour du globe 42

Étudier la chimie en Éthiopie Shimalis Admassie 44

POSTSCRIPTUM

Sciences sans frontières Susan Schneegans 46

L’UNESCO et le CERN : une histoire d’atomes crochus

Jasmina Šopova rencontre Rolf-Dieter Heuer 48

Passeurs de cultures Stephen Humphreys 51

La seconde vie de Touki Bouki

Entretien avec Souleymane Cissé par Gabrielle Lorne 53

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 3

CourrierLE

DE L’UNESCO

Janvier-Mars 2011

Organisation des Nations Unies

pour l’éducation la science et la culture

,

Le Courrier de l’UNESCO est publié par l’Organisation des

Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture.

7, place de Fontenoy 75352, Paris 07 SP, France

www.unesco.org/courier

Directeur de la publication : Eric Falt

Rédactrice en chef : Jasmina Šopova

[email protected]

Secrétaire de rédaction : Katerina Markelova

[email protected]

Rédacteurs :

Anglais : Peter Coles

Arabe : Bassam Mansour assisté par Zaina Dufour

Chinois : Weiny Cauhape

Espagnol : Francisco Vicente-Sandoval

Français : Françoise Demir

Portugais : Ana Lúcia Guimarães

Russe : Irina Krivova

Photos : Eric Bouttier

Maquette : Baseline Arts Ltd, Oxford

Impression : UNESCO – CLD

Renseignements et droits de reproduction :

+ 33 (0)1 45 68 15 64 . [email protected]

Plateforme web : Fabienne Kouadio, Chakir Piro et

Van Dung Pham

Remerciements à : Danica Bijeljac, Fabienne Dumur, Cathy

Nolan, Michel Ravassard, Marie Renault, Susan Schneegans

et Fan Xiao

Les articles peuvent être reproduits à condition d’être

accompagnés du nom de l’auteur et de la mention

« Reproduit du Courrier de l’UNESCO », en précisant la date.

Les articles expriment l’opinion de leurs auteurs et pas

nécessairement celle de l’UNESCO.

Les photos appartenant à l’ UNESCO peuvent être

reproduites avec la mention © Unesco suivie du nom du

photographe. Pour obtenir les hautes définitions, s’adresser

à la photobanque : [email protected]

Les frontières sur les cartes n’impliquent pas la

reconnaissance officielle par l’UNESCO ou les Nations

Unies, de même que les dénominations de pays ou de

territoires mentionnés.

L Fibres de cristaux de baryte. La baryte est principalement utiliséedans l’industrie pétrolière, mais aussi dans la médecine(radiographies du tube digestif) et dans le bâtiment (béton lourdanti-radiations). © SPL

4 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

Dans ce numéroEn 1932, le médecin allemand Gerhard Domagkconfirma les effets anti-bactériens d’un nouveaucolorant mis au point par la société IG Farben. Sept anplus tard, le Prontosil lui valut le prix Nobel, mais lerégime nazi l’obligea de le refuser. Aujourd’hui, la Sud-Africaine Tebello Nyokong conçoit de nouveauxremèdes contre le cancer avec des moléculeshabituellement utilisées comme teintures pour lesblue-jeans. Loin d’être anecdotiques, ces découvertesfont date dans l’évolution d’une science haute encouleurs : la chimie. Les articles proposés dans cettenouvelle livraison du Courrier de l’UNESCO

permettront à chacun de se faire une idée pluscomplète de ses avancées.

La chimie est si présente dans notre vie qu’ellepasse souvent inaperçue, rappelle Jean-Marie Lehn,lauréat français du prix Nobel de chimie 1987.« Un monde privé de chimie », note-t-il dans sonarticle introductif, « serait un monde sans matériauxde synthèse, donc sans téléphone, sans ordinateur,sans cinéma [...] sans aspirine, sans savon, sansshampoing, sans dentifrice, sans cosmétiques, sanspilules contraceptives, sans papier donc sansjournaux ni livres, sans colles, sans peintures » (p. 8).

Après avoir retracé l’histoire de la chimie « née lejour où nos ancêtres sont sortis de l'animalité »(pp. 11-16), nous nous intéressons à ses applications,notamment sur le terrain médical. Une occasion des’interroger sur les interactions entre nature,

recherche et industrie, aussi bien en Afrique du Sudqu’en Australie, en passant par le Brésil, la Chine,l’Éthiopie et l’Inde (pp. 17-28).

Il faut le reconnaître, la chimie est une science àtête de Janus : une face incarne les bienfaitsprodigués à l'humanité ; l’autre, les méfaits de lapollution. La catastrophe qui a frappé la Hongrie enoctobre dernier a tiré une fois de plus la sonnetted’alarme (p. 35). Raison de plus pour se pencher surles solutions que la chimie apporte à la pollutionqu’elle provoque. Là encore, nous traversons la Chine,l’Europe, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande, pourdécouvrir, notamment avec Philip W. Boyd et KlausLackner, les tentatives de combattre le réchauffementclimatique (pp. 32-33).

Signe encourageant, les industries « agissentmaintenant de façon beaucoup plus responsable »(p. 31), comme le souligne le Danois Ole John Nielsen,membre du GIEC. La chimie est en train de devenircette science nouvelle qu’Akira Suzuki, prix Nobeljaponais de chimie 2010, appelle de ses vœux(pp. 39-41). Les jeunes générations de chimistessauront sans doute la conduire à bon port (pp. 42-43).

En complément au dossier, ce numéro du Courrier

donne un aperçu du Rapport de l’UNESCO sur lascience 2010, commémore l’anniversaire de lanaissance du CERN et se tourne vers la culture, àl’occasion de la clôture de l’Année internationale durapprochement des cultures 2010. – Jasmina Šopova

L Tuyauterie sous vide,

autrefois utilisée pour la

synthèse en phase gazeuse.

Pièce de la collection

historique de l’Université de

Copenhague (Danemark).

© Mikal Schlosser

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 5

Notre compréhension du monde matériel dépendde notre connaissance de la chimie, et de notrecapacité à en maîtriser les découvertes. Leséléments chimiques sont au cœur de toutematière connue. Ils interviennent dans tous lesprocessus vivants. Nous devons à la chimiemoderne la plupart des avancées thérapeutiques,des progrès alimentaires et technologiquesréalisés au 20e siècle. Cette science a révolutionnéla fabrication des médicaments, des vêtements,des cosmétiques, mais aussi la diffusion del’énergie et la production d’appareilstechnologiques. Omniprésente dans notre viequotidienne, il est essentiel de mieux la connaître,pour mieux l’utiliser.

À l’initiative de l’Éthiopie, les Nations Uniesont déclaré 2011 Année internationale de lachimie (AIC 2011) et confié son organisation àl’UNESCO. C’est un moment privilégié pourmieux faire connaître cette science et sacontribution dans la compréhension, le contrôleet la transformation de la matière. C’est aussi uneoccasion pour l’UNESCO de redoubler d’effortsdans les domaines qui sont les siens : lacoopération et la diplomatie scientifiques, lerenforcement des capacités de recherche desÉtats, l’éducation scientifique de qualité pour

tous, dont la chimie est un aspect essentiel.Célébrant l’année du centenaire de l’attributiondu prix Nobel de chimie à Marie Curie, l’AIC 2011nous offre également un cadre idéal pour rendrehommage et promouvoir la contribution desfemmes à la science. Hommage que nousrendons dès le jour du lancement de l’Année,avec la venue au Siège de l’UNESCO de lascientifique Hélène Langevin-Joliot, petite-fillede Marie Curie et fille d’Irène Joliot-Curie, pourune conférence sur le rôle des femmes enChimie.

Le dernier Rapport mondial sur la science,publié par l’UNESCO en novembre 2010, amontré l’importance de la science et de ladiplomatie scientifique au service de la paix etdu développement. La recherche fondamentalesur les composants de la matière requiert desmoyens colossaux et la participation de trèsnombreux chercheurs à travers le monde. Elleappelle nécessairement au renforcement de lacoopération internationale et à une meilleurerépartition des moyens de recherche à l’échelledu globe. L’UNESCO s’y emploie grâce à desinitiatives comme le centre de recherche SESAMEau Moyen-Orient, dont la chimie est unecomposante majeure.

ÉditorialIrina Bokova

I Irina Bokova, Directrice

générale de l'UNESCO, et

l'astrophysicien canadien

Hubert Reeves, lors de sa

conférence sur le déclin de la

biodiversité, au siège de

l’Organisation, le 3 novembre

2009.

© UNESCO/M. Ravassard

C’est un momentprivilégié pourmieux faireconnaître cettescience et sacontributiondans lacompréhension,le contrôle et latransformationde la matière.

6 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

La chimie de demain doit d’abord être unescience responsable. Il est certain qu’elle joueraun rôle de premier plan dans le développementdes énergies de substitution et d’alimentationpour une population mondiale croissante. Lesdécouvertes de la chimie peuvent aider à releverles défis du changement climatique mondial :sans chimie, pas de panneaux solaires, pas debiocarburants… Elles peuvent aussi faciliterl’accès à des sources d’eau non polluée. Lancéedans le prolongement de l’Année internationalede la biodiversité (2010), l’Année internationalede la chimie prend tout son sens dans le cadre dela Décennie des Nations Unies pour l’éducationen vue du développement durable (2005-2014).

La chimie de demain doit aussi être unescience partagée. La quasi absence d’une «culture générale chimique », comparée à laculture astronomique ou mathématique, bloquel’accès des individus à des réalités qui nousaffectent au quotidien et freine notre capacitécollective à en être partie prenante. Cetteméconnaissance encourage aussi sa relativediabolisation auprès du grand public qui laconsidère souvent comme polluante ou nocive.Il faut améliorer et accélérer son enseignement,former aujourd’hui les chimistes de demain et

donner à tous, partout dans le monde, lapossibilité de comprendre les processuschimiques et d’en mesurer l’impact. L’intérêt pourcette science passionnante est une ressourcepour le développement. À nous tous d’en fairebon usage.

Afin d’attiser la curiosité des jeunes,l’UNESCO et l’Union internationale de la chimiepure et appliquée – son partenaire principal dansl’organisation de l’AIC 2011, qui célèbre cetteannée son 100e anniversaire – lancent uneexpérience d’envergure mondiale, unique en songenre, pour aider les élèves à mieux connaîtrenotre ressource la plus précieuse : l’eau. Partoutdans le monde, des écoles réaliseront des testsde qualité et de purification de l’eau et pourrontpartager leurs résultats.

La meilleure compréhension des découvertesde la science en général et de la chimie enparticulier est une priorité des années à venir.En qualité d’Agence spécialisée des NationsUnies dans le domaine de l’éducation, dessciences et de la culture, l’UNESCO mettra touten œuvre pour y parvenir. Il y va de notrecapacité collective à prendre des décisionspleinement informées, pour agir sur le monde defaçon responsable. �

PRIX NOBEL DE CHIMIE AU FÉMININ : UN BIEN MAIGRE BILAN

La première femme récompensée par le prix Nobel de chimie a été Marie

Curie. C’était il y a cent ans. Depuis, la liste des lauréates chimistes ne

s’est guère enrichie. Seuls trois autres noms s’y sont ajoutés : Irène

Joliot-Curie, Dorothy Mary Crowfoot Hodgkin et Ada Yonath.

Depuis sa création en 1901, le prix Nobel a été décerné, tous domainesconfondus, à 40 femmes1, dont deux fois à Marie Curie. Née à Varsovie(Pologne) en 1867, Maria Skłodowska, épouse Curie, obtient en 1903 le prixNobel de physique (également décerné à Pierre Curie et Henri Becquerelle),avant d’être récompensée en 1911 « pour les services rendus à l'avancementde la chimie par sa découverte des éléments radium et polonium ».

En 1935, ce c’est au tour de sa fille Irène de partager ce prestigieux prixavec son époux Frédéric Joliot-Curie, , « en reconnaissance de leurssynthèses de nouveaux éléments radioactifs ».

Il faudra attendre quasiment trois décennies pour qu’une autre femmeattire l’attention de l’Académie royale des sciences de Suède : en 1964,Dorothy Mary Crowfoot Hodgkin, du Royaume-Uni, est récompensée « pourla détermination par les techniques des rayons X de la structured'importantes substances biologiques ».

Enfin, 45 ans plus tard, l’Israélienne Ada Yonath partage le prix Nobel dechimie avec l’Indien Venkaterman Ramakrishnan et l’Américain Thomas Steitz, « pour leurs études de lastructure et de la fonction du ribosome ». Un an plus tôt, Ada Yonath recevait le Prix L’Oréal-UNESCOpour les femmes et la science 2008.

Lancé par L’ORÉAL et l’UNESCO en 1998, le Programme pour les femmes et la science soutient lesfemmes qui se sont engagées dans la recherche scientifique, désignant chaque année une lauréatepar continent. Par ailleurs, 15 bourses internationales sont allouées chaque année, depuis 2000, à dejeunes chercheuses dont les projets ont été acceptés par des laboratoires de renom, en dehors de leurpays d’origine. J.Š.

1. Chimie, 4 ; physique, 2 ;

médecine, 10 ; littérature, 12 ;

paix, 12.

L En 1967, Le Courrier de

l’UNESCO a consacré un

numéro à Marie Curie.

© UNESCO

La quasi absence

d’une « culture

générale

chimique »,

comparée à

la culture

astronomique ou

mathématique,

bloque l’accès

des individus à

des réalités qui

nous affectent au

quotidien et freine

notre capacité

collective à en être

partie prenante.

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 7

E D I T O R I A L

La chimie joue un rôle central dans notre viequotidienne, tant par sa place au sein dessciences de la nature et de la connaissance, quepar son importance économique et sonomniprésence. À force d’être présente partout,on l’oublie souvent, et elle risque de n’êtresignalée nulle part. Elle ne se donne pas enspectacle mais, sans elle, les réalisations que l’on

s’accorde à trouver spectaculaires ne pourraientvoir le jour : exploits thérapeutiques, prouessesspatiales, merveilles de la technique, etc. Ellecontribue de façon déterminante aux besoins del’humanité en nourriture et médicaments,vêtements et habitations, énergie et matièrespremières, transports et communications. Ellefournit des matériaux à la physique et à

La chimie :science et art de la matière Jean-Marie Lehn

La chimie est une science dont le but n'est pas seulement la découverte, mais aussi et surtout la

création. En cela, elle est un art de la complexification de la matière. Pour saisir la logique des

dernières évolutions de la chimie, il faut faire un saut en arrière dans le temps de quelque

quatre milliards d’années.

« Rêver tout haut

sa recherche »

Roland Barthes

L La chimie est à l’origine

de la vie.

Dessin original de Sejung

Kim, République de Corée.

© Sejung Kim

8 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

l’industrie, des modèles et des substrats à labiologie et à la pharmacologie, des propriétés etdes procédés aux sciences et aux techniques.

Un monde privé de chimie serait un mondesans matériaux synthétiques, donc sanstéléphone, sans ordinateur, sans cinéma, sanstissus synthétiques. Ce serait aussi un monde sansaspirine, sans savon, sans shampoing, sansdentifrice, sans cosmétiques, sans pilulescontraceptives, sans papier donc sans journaux nilivres, sans colles, sans peintures.

Ayons garde de ne pas oublier que la chimieaide les historiens de l’art à percer certains dessecrets de fabrication des tableaux et dessculptures que l’on admire dans les musées,qu’elle permet aux limiers de la police scientifiqued’analyser les prélèvements effectués sur lesscènes de crime et de remonter plus rapidementjusqu’aux coupables, et qu’elle dévoile lessubtilités moléculaires des plats qui ensorcellentnos papilles.

Aux côtés de la physique qui déchiffre les loisde l’Univers et de la biologie qui décode les règlesdu vivant, la chimie est la science de la matière etde ses transformations. La vie est son expression laplus haute. Elle joue un rôle primordial dans notrecompréhension des phénomènes matériels, dansnotre capacité d’agir sur eux, de les modifier, deles contrôler.

Depuis bientôt deux siècles, la chimiemoléculaire a édifié un vaste ensemble demolécules et de matériaux de plus en plussophistiqués. De la synthèse de l’urée en 1828 (quiprovoqua une véritable révolution, en apportantla preuve qu’il était possible d’obtenir unemolécule « organique » en utilisant un composéminéral) à l’achèvement, dans les années 1970, dela synthèse de la vitamine B12, cette discipline n’acessé d’affirmer son pouvoir sur la structure et latransformation de la matière.

La molécule vue comme un cheval de Troie

Par-delà la chimie moléculaire s’étend l’immensedomaine de la chimie dite supramoléculaire, quis’intéresse non pas à ce qui se passe dans lesmolécules, mais à ce qui se trame entre elles. Sonobjectif est de comprendre et de contrôler lafaçon dont les molécules interagissent les unesavec les autres, se transforment, s’accrochent,ignorant d’autres partenaires. Emil Fischer [prixNobel allemand de chimie 1902] utilisait l’imagede la clé et de la serrure. Aujourd’hui, nous parlonsde « reconnaissance moléculaire ».

C’est dans le domaine biologique que le rôlede ces interactions moléculaires est le plusfrappant : des unités protéiniques s’assemblentpour former l’hémoglobine ; les globules blancsreconnaissent et détruisent les corps étrangers ;le virus du sida trouve sa cible pour l’investir ; lecode génétique se transmet par l’écriture et lalecture de l’alphabet des bases protéiniques, etc.

Prenons l’exemple très parlant de l’« auto-organisation » du virus de la mosaïque du tabac :pas moins de 2 130 protéines simpless’assemblent pour former une tour hélicoïdale.

L’efficacité et l’élégance de ces phénomènesnaturels sont si fascinantes pour un chimiste, qu’ilest tenté de les reproduire ou d’inventer desprocessus nouveaux permettant de créer desarchitectures moléculaires nouvelles auxapplications multiples. Pourquoi ne pas imaginerdes molécules capables de transporter au cœurd’une cible choisie un fragment d’ADN destiné à lathérapie génique, par exemple ? Ces moléculesseraient des « chevaux de Troie » qui feraientfranchir à leur passager des barrières réputéesinfranchissables, comme les membranes cellulaires.

De très nombreux chercheurs à travers lemonde construisent, patiemment, « sur mesure »,des structures supramoléculaires. Ils observentcomment les molécules, mélangées sans ordreapparent, se retrouvent d’elles-mêmes, sereconnaissent puis, progressivements’assemblent, pour conduire de façon spontanéemais parfaitement contrôlée à l’édificesupramoléculaire final.

Ainsi, inspirée par les phénomènes que lanature nous présente, l’idée a germé de susciter etde piloter l’apparition d’assemblagessupramoléculaires, autrement dit de faire de la« programmation moléculaire ». Le chimisteconçoit des briques de base (des moléculesdouées de certaines propriétés structurales etinteractionnelles), puis met en oeuvre le« ciment » (le code d’assemblage) chargé de leslier. Il obtient ainsi une superstructure par auto-organisation. La synthèse des briquesmoléculaires capables de s’auto-organiser estbeaucoup plus simple que ne le serait la synthèsede l’édifice final. Cette piste de recherche ouvre devastes perspectives en particulier dans le domainedes nanotechnologies : au lieu de fabriquer desnanostructures, on laisse les nanostructures sefabriquer elles-mêmes par auto-organisation,passant ainsi de la fabrication à l’auto-fabrication.

Plus récemment encore a émergé une chimiedite adaptative où le système, pour se construire,effectue lui-même une sélection parmi les briquesdisponibles, et devient capable d’adapter laconstitution de ses objets en réponse auxsollicitations du milieu. Cette chimie, que j’appelle« chimie constitutionnelle dynamique », afficheainsi une coloration darwinienne !

« Là où la nature cesse de produire ses

propres espèces, l’homme commence,

en utilisant les choses naturelles et avec

l’aide de cette nature même, à créer une

infinité d’espèces… » – Léonard de Vinci

Satis utilitas catelli

corrumperet lascivius

apparatus bellis. Utilitas

syrtes insectat chirographi,

utcunque plane verecundus

umbraculi praemuniet

pessimus quinquennalis

agricolae.

De la matière à la vie

Au commencement fut l’explosion originelle, le BigBang, et la physique régna. Puis vint la chimie, auxtempératures plus clémentes. Les particulesformèrent des atomes, lesquels s’unirent pourproduire des molécules de plus en plus complexesqui, à leur tour, s’associèrent en agrégats et enmembranes, donnant ainsi naissance auxpremières cellules d’où émergea la vie sur notreplanète, voilà quelque 3,8 milliards d’années.

De la matière divisée à la matière condenséepuis organisée, vivante et pensante, ledéploiement de l’Univers nourrit l’évolution de lamatière vers un accroissement de complexité parauto-organisation sous la pression del’information. La tâche de la chimie est de révélerles voies de l’auto-organisation et de tracer leschemins menant de la matière inerte, par uneévolution prébiotique purement chimique, à lacésure de la vie, et par-delà à la matière vivantepuis pensante. Elle fournit ainsi des moyensd’interroger le passé, d’explorer le présent et dejeter des ponts vers le futur.

Par son objet (la molécule et le matériau), lachimie exprime sa puissance créatrice, son pouvoirde produire des molécules et des matériauxnouveaux – nouveaux car n’ayant pas existé avantd’être créés par recomposition des agencementsdes atomes en combinaisons et structures inéditeset infiniment variées. Par la plasticité des formes etdes fonctions de l’objet chimique, la chimie n’estpas sans analogie avec l’art. Comme l’artiste, lechimiste imprime dans la matière les produits deson imagination. La pierre, les sons et les mots necontiennent pas l’œuvre que le sculpteur, lecompositeur et l’écrivain en modèlent. De la mêmemanière, le chimiste crée des molécules originales,des matériaux nouveaux et des propriétés inéditesà partir des éléments qui composent la matière.

Le propre de la chimie n’est pas de découvrirseulement, mais d’inventer et, surtout, de créer. LeLivre de la chimie n’est pas seulement à lire, il est àécrire. La partition de la chimie n’est pas seulementà jouer, mais à composer. �

J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 9

Jean-Marie Lehn, spécialiste en chimie

supramoléculaire, est lauréat du prix Nobel de

chimie en 1987, avec Donald Cram et Charles

Pedersen. Professeur émérite à l’Université de

Strasbourg, professeur honoraire au Collège de

France et membre de l’Académie des sciences,

Jean-Marie Lehn a créé l’Institut de Science et

d’Ingénierie Supramoléculaires (ISIS) de

Strasbourg. www-isis.u-strasbg.fr/

J Withérite en cristaux. Le cristal permet d’élucider les relations

entre les propriétés, la composition chimique et l’arrangement

des atomes dans les matériaux. Les chimistes « cultivent » des

cristaux, pour les étudier, les visualiser et en imaginer de

nouveaux. Cela leur permet de découvrir de nouveaux matériaux

aux applications multiples. © SPL

1 0 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

La chimie,c’est touteunehistoire

Un peu comme Monsieur Jourdain faisait de la

prose sans le savoir, nous faisons de la chimie sans

en être obligatoirement conscients. Depuis l’aube

des temps, tous les êtres vivants, y compris les

animaux et les plantes, fabriquent par le biais de

réactions chimiques les composés organiques

nécessaires à la vie. Puis, l’intuition aidant, nos

ancêtres ont inventé des décoctions, des colorants,

des alliages. Ils ont extrait de la nature des élixirs,

des arômes, des médicaments. Le fer au Niger, le

tapirage chez les Amérindiens, le papier en Chine

sont autant de preuves des transformations,

parfois drastiques, que l’homme a fait subir à la

matière avant de connaître les lois de la chimie. Il a

employé des méthodes de plus en plus

sophistiquées, certes parfois abracadabrantes,

mais toujours inspirées par la nature, jusqu’à ce

qu’au 18e siècle naisse la chimie moderne.

Gravure représentant la pompe à air de Boyle, tirée de

New Experiments Physico-Mechanicall, Touching the Spring

of the Air, and Its Effects, 1660.

© Avec l’aimable autorisation de Roy G. Neville Historical

Chemical Library (Chemical Heritage Foundation)

Les ancêtres dela chimie Michal Meyer

À l’orée du 18e siècle, Auguste le Fort, électeur deSaxe et roi de Pologne, enferma Johann FriedrichBöttger dans son laboratoire, lui ordonnant defabriquer de l’or. Le jeune alchimiste échoua dans lacommande royale, mais contribua à la créationd’une substance bien plus belle et plus utile : laporcelaine. Et comme dans les contes qui finissentbien, cela plut au roi. Car le monde n’était plusféodal, on entrait dans la société de consommation,et c’était à grands frais qu’on devait alors importerla précieuse denrée depuis la Chine, plus avancéetechniquement, pour nourrir en Europe un appétitcroissant de beauté et de luxe. On s’arracha bientôtla nouvelle porcelaine de Meissen, le roi s’enrichit etéleva Böttger, en signe de reconnaissance, desimple préparateur en pharmacie au rang de baron.

Autre anecdote, moins élégante. Noussommes à Hambourg, aux alentours de 1669 :Hennig Brandt pense avoir enfin découvert lafameuse pierre philosophale, celle qui change leplomb en or et révèle les secrets du cosmos.Ancien soldat, Brandt sait fabriquer le verre. Il a prisun peu d’urine, l’a mise à bouillir et a fait chaufferles résidus jusqu’à ce que des vapeurs lumineuses– le phosphore blanc réagissant au contact del’oxygène – emplissent sa cornue. Quelquesannées plus tard, Brandt ayant vendu son secret, lephosphore était assez connu pour qu’IsaacNewton, qui s’adonnait à l’alchimie en cachette,puisse en livrer la recette en commençant par cestermes : « Procurez-vous un tonneau d’urine ».Ingrédient difficile à trouver, comme chacun sait.

L Eau forte de James Gillary,

représentant une vision

satirique d’une conférence

publique donnée à l’Institut

royal de Londres, au début du

19e siècle.

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La chimie est née

le jour où nos

ancêtres sont

sortis de

l'animalité. Être

homme, c'est

transformer la

matière.

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 1 1

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LE CRAPAUD ET LE PERROQUET

« Les Achagua du haut Meta connaissentdes procédés qui leur permettent de fairepousser sur leurs perroquets des plumesde diverses couleurs, augmentant ainsileur valeur et leur prix, soit pour lesvendre, soit pour les utiliser dans leursfêtes. Ils obtiennent ce résultat de la façonsuivante : ‘ils attrapent un crapaud vivantqu’ils piquent à plusieurs reprises avecune épine jusqu’à ce que le sang lui sorte.Ils le mettent ensuite dans un pot etcouvrent ses blessures avec du poivre etdu piment moulu. L’animal, qu’une sicruelle médecine rend enragé, distille peuà peu ce qu’il y a de plus actif dans seshumeurs qui se mêlent au poison et ausang. Ils ajoutent à cela certaine poussièrerouge qu’ils appellent chica et, enmélangeant ces ingrédientsextraordinaires, ils font un vernis. Ilsarrachent ensuite les plumes duperroquet et l’oignent de ce vernis en l’introduisant avec la pointe d’un bâton

dans les trous que les plumes laissentdans la peau. Le perroquet ne laisse pasd’en souffrir, car il reste pendantplusieurs jours comme une poule mal enpoint, tout chiffonné et triste. Aprèsquelque temps, il reprend ses plumes.Elles sont devenues alors si splendideset si belles que c’est un sujetd’admiration que de voir la beauté etl’élégance avec lesquelles ellesont poussé. On remarquealors sur elles des tachesrouges sur fond jaune quise détachent avec uneadmirable variété parmi lesplumes vertes’. »

Nous devons cettedescription pittoresque dutapirage pratiqué par unpeuple indigène de laColombie au jésuite espagnolJuan Rivero (Historia de lasmisiones de los llanos deCasanare y los Ríos Orinoco y

Meta, rédigée en 1728 et publiée en1883). Elle est citée par Alfred Métraux,anthropologue américain d’originesuisse et ancien fonctionnaire del’UNESCO, dans son article « Unedécouverte biologique des Indiens del’Amérique du Sud : la décolorationartificielle des plumes sur les oiseauxvivants. » (Journal de la Société desAméricanistes. Tome 20, 1928. pp. 181-192.)

« En prélevant sur [les oiseaux] qu’ilsélèvent les plumes dont ils ont besoin,

les Indiens s’épargnent les fatigues dela chasse et le risque de les

endommager en les tuant à coupsde flèches », affirme

l’anthropologue, quiattribue la diffusion dutapirage en Amazonieaux peuples arawak, dontla migration aurait

commencé voiciquelque trois

millénaires. – J.Š.

De l’urine à l’art… autre transformation : à la fin du18e siècle, voici l’illumination de Brandtimmortalisée dans un tableau de Joseph Wright ofDerby, puis de nouveau sur une gravure de WilliamPether de 1775 sous ce titre retentissant : « Ladécouverte du phosphore ». On y voit l’alchimisteen extase devant l‘éblouissante merveille. Bien desannées plus tard, en 1943, la ville natale de Brandtsera la proie des flammes, frappée par descentaines de kilos de phosphore sous forme debombes : nouvelle transformation.

Le cru et le cuit

L’argile en porcelaine, l’urine en phosphore, lephosphore en bombes, la farine en pain, le raisin

en vin, les minéraux en pigments... Pour ce quiest de transformer la matière, nos possibilitéssont à peu près illimitées. Le primatologuebritannique Richard Wrangham pense mêmeque c’est la cuisine qui a fait de nous deshommes, en fournissant le surcroît d’énergienécessaire à la croissance de nos cerveaux. Onpourrait donc dire que la chimie est née le jouroù nos ancêtres sont sortis de l’animalité. Homochemicus : être homme, c’est transformer lamatière. Mais comme nous sommes humains, cestransformations révèlent aussi ce qu’il y a demeilleur en nous – et ce qu’il y a de pire.

S’il nous est impossible de remonter à cepremier instant de la chimie où le cru se

L Un alchimiste présente de

l’or liquide à la cour,

provoquant la stupéfaction.

Transformer le plomb en or est

un rêve qui a persisté jusqu’au

18e siècle.

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L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 1 3

transforma en cuit, nous sommes mieuxrenseignés sur les hommes préhistoriques et leuraspiration au beau. Au Centre de recherche et derestauration des musées de France, PhilippeWalter se passionne pour les procédés et lessubstances chimiques de l’Antiquité et de lapréhistoire. Selon lui, nos ancêtres ne savaientpas pourquoi ni comment leur chimie opérait,mais n’en étaient pas moins capables de marierles ingrédients naturels pour produire despigments, que ce soit pour se parer eux-mêmesou décorer les parois des grottes. Il y a 4 000 ans,nous dit Walter, les Égyptiens ont synthétisé denouvelles substances pour soigner les maladiesde l’œil. Stimulateurs du système immunitaire,leurs cosmétiques à base de plomb – souvenez-vous de Cléopâtre et de son kohl [voir p.15] – ontété parmi les premiers produits de santé et debeauté du monde.

Al-kimiya

L’Égypte hellénistique nomma chemia leraffinage des métaux. Dès l’avènement de l’Islam,les érudits musulmans s’attelèrent à la traductiondes textes grecs, dont des ouvrages de chemia,qu’ils appelèrent al-kimiya. Commenttransformer la matière, purifier les substances,colorer les métaux, tout cela était al-kimiya. Cettefascination conduisit aussi au perfectionnementdes techniques, comme la distillation ou lacristallisation, toujours essentielles à noslaboratoires du 21e siècle. Sur un plan plusthéorique, les savants musulmans enrichirent lesconceptions grecques de la matière – les quatre

Les malheursd’un alchimistetrop matérialisteEn 1603, cela faisait 33 ans que GiraldoParis vivait à Madrid où il occupait lafonction de conseiller de Philippe IIpour les affaires flamandes. Il avaitgrandi à Anvers et fait fortune dans lecommerce des épices. Il accueillait à satable tous les Flamands de la courespagnole, s’entourant d’ambassadeurset de dignitaires, mais aussi de pharmaciens, médecins et savants. Depuis qu’il s’était retiré du commerce avec une immense fortune, Paris entretenait unepassion pour l’alchimie. Il s’intéressait aux connaissances des lapidaires,des apothicaires, des distillateurs et des herboristes.

Cette année-là, des ennemis déclarés de Paris le dénoncèrent àl’Inquisition au prétexte d’hérésie. Lors du procès qui eut lieu en août,on déclara que le Flamand « extrayait des quintessences, des fleurs demétal et des sels d’herbes ». Par ailleurs on affirma qu’il était un grandphilosophe de la nature, s’intéressant aux « secrets de l’art chimique ».Paris fut condamné à un an de réclusion dans un monastère et à payerune forte amende.

Racontée ainsi, son histoire paraît être celle d’un homme poursuivipar l’Inquisition espagnole en raison de ses activités d’alchimiste. Or, laréalité est plus complexe. Les distillations, les expériences avec lesmétaux, les extractions de substances végétales n’étaient pas ce quipréoccupait réellement les inquisiteurs qui l’ont jugé. Le motif de cettecondamnation résidait dans les explications de certaines questionsreligieuses auxquelles se livrait notre alchimiste. Giraldo Paris avait, parexemple, expliqué la virginité de Sainte Marie en la comparant auprocédé alchimique qui consiste à mélanger une matière pure à uneautre, puis à retrouver, à la fin de l’opération, la première matière intacte« sans qu’elle n’ait perdu aucune vertu […] immaculée comme ellel’était au départ ».

L’Inquisition s’en prit donc à Giraldo Paris non pour ses activitésoccultes mais pour ses « thèses erronées ». À cette époque Madridabritait de nombreux alchimistes qui n’étaient pas persécutés pourleurs pratiques, mais il n’en reste pas moins que bon nombre de leursouvrages se retrouvaient sur les Index de livres interdits. Parmi cesderniers figurait aussi le Theatrum Chemicum, la compilation de savoirsalchimiques la plus complète du 17e siècle en Europe. L’ouvrage était siimportant que l’Inquisition dut lever l’interdiction sur lui, mais nemanqua pas de l’expurger.

Jusqu’à preuve du contraire, l’Inquisition ne persécutait donc pas lesalchimistes pour leurs actes mais pour leurs convictions sur les chosesde la matière, qui étaient contraires au dogme.

Tayra M.C. Lanuza-Navarro est une historienne des sciences

espagnole. Elle travaille actuellement à un projet sur les œuvres

d’alchimie du début de l’ère moderne.

Tayra M.C. Lanuza-Navarro

l « La Pharmacie Rustique », 1775. Le fameux

guérisseur suisse Michel Schuppach examine

l’urine d’un patient dans sa pharmacie.

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J Dans les laboratoires des alchimistes, on

voyait fréquemment des alligators qui

pendaient au plafond.

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éléments que sont l’air, la terre, le feu et l’eau –et de son comportement, comme latransmutation d’un métal en un autre. Au 12e

siècle, l’al-kimiya gagna l’Europe, assortie denotions sur al-iksir (l’élixir ou la « pierrephilosophale »).

Comme il se doit, l’ alchimie se heurta à desécueils comparables à ceux qui empoisonnentencore la médecine : bonimenteurs de remèdesmiracles, charlatans, etc. Et bien entendu, ellecapta l’attention des gouvernants et deslégislateurs, mais pas pour les mêmes raisons.En Angleterre, on finit par décréter qu’il étaitillégal de réussir à changer le plomb en or, carcela en dépréciait la valeur !

Certains ont prétendu que puisque lesmanipulations humaines de la matière étaientpar essence inférieures à ce que faitnaturellement la nature (prémisse du débat quise poursuit entre nature et artifice – mise à jourprévue au siècle prochain), toute tentativehumaine de transmuer les métaux était vouée àl’échec. Malgré ces critiques, certains onttoujours cru que l’art humain était assezpuissant pour transformer le monde. Mais cen’étaient là que querelles de lettrés. Car lamatière et ses avatars s’étaient faufilés dansl’intervalle à travers toutes les strates de lasociété. Nul ne sait qui créa le kohl ou façonna lepremier pot d’argile, qui le premier tanna le cuir

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L « Un alchimiste au travail »,

du peintre flamand Mattheus

van Helmont, 17e siècle.

Figure de l'alchimiste

incarnant la folie.

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I Portrait de Robert Boyle,

peint par Johann Kerseboom,

1689 (Royaume-Uni).

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Chaque fois que

nous faisons cuire

un œuf, tous

autant que nous

sommes, nous

modifions la

nature même de

la matière, à

savoir la forme des

protéines de l’œuf.

ou brassa la bière, ni même qui, des artisans duMoyen-Âge, mêla le sable, la cendre de bois etles sels métalliques pour créer les merveilleuxvitraux des cathédrales. Tous ont pourtanttransformé la matière, et nos vies avec elle.

Avec les Temps modernes, les peintres et lesorfèvres, et tous les artisans de la matière,virent grandir leur prestige. La science, qui avaitlongtemps servi à comprendre plus qu’à faire,et au profit des élites plus qu’à celui ducommun des mortels, se tournait vers lesfabricants en quête de connaissances et depouvoir. Cette démarche, dont la matière restaitl’enjeu, trouva son expression dans l’ œuvre deFrancis Bacon (Novum Organum, 1620) etl’émergence de la science moderne. La pratique– exploration tâtonnante et transformation dumonde matériel – s’unissait à lacompréhension, et notre univers artistique,scientifique ou quotidien, ne serait plus jamaisle même. Le physicien et chimiste irlandaisRobert Boyle, auteur de la célèbre loi reliant lapression, le volume et la température d’un gaz,est la parfaite illustration de cette nouvelleapproche expérimentale. Héritier de la traditionalchimiste (par définition, ou presque, lesalchimistes étaient hommes de l’expérience etde la mesure précise) et alchimiste en herbe,Boyle est considéré comme une figurefondatrice de la chimie moderne, au 17e siècle.

Une science haute en couleur

On pense souvent chez les chimistes que c’est au18e siècle que la chimie est devenue une scienceau plein sens du terme. Les recherches sur l’aird’Antoine Lavoisier (France), Joseph Priestley(Royaume-Uni) et sa découverte de l’oxygène, lacréation d’un langage scientifique de la chimie :tout cela y contribua. Mais la chimie, ou du moinsses résultats, ne pouvait rester cantonnée dans lasphère purement scientifique. En témoignentl’engouement pour le ballon à air chaud et àhydrogène à la fin du 18e siècle et son influence surle vêtement, les cartes à jouer et la céramique.Lorsque Priestley inventa l’eau gazeuse pour que lepauvre puisse lui aussi prendre les eaux pendantque le riche malade accédait aux onéreusesstations thermales, il ravivait le lien entre chimie etsanté, né avec l’alchimie. Par contre, la modevictorienne du papier peint vert, arsenic oblige, futsans doute le premier cas de risqueenvironnemental reconnu et rapporté comme tel.

En 1856, un Anglais de dix-huit ans, WilliamHenry Perkin, s’efforçait de transformer le coaltaren quinine pour prévenir la malaria (transmutationmatérielle digne d’un alchimiste). Comme Böttger,il échoua et, en échouant, lança une révolution dela couleur, qui bien malgré lui contribua aulancement de l’industrie allemande de la teintureet des produits pharmaceutiques. À partir del’aniline, Perkin créa le mauve, premier colorantsynthétique qui allait égayer le monde dès lesannées 1860. Avant sa période noire, la reineVictoria porta cette nouvelle « chimie » et lança lamode de cette nuance de violet. L’Allemagne quis’industrialisait à tout va s’empara aussitôt desanilines colorées, nouant incidemment le premierlien solide entre la chimie (en tant que sciencemoderne) et l’industrie. En 1932, le médecinallemand Gerhard Domagk travaillant pour IGFarben découvrit qu’une teinture rouge modifiéetuait les bactéries, et c’est ainsi qu’entrèrent enusage les sulfamides, premiers antibiotiques.Encore une histoire de mode et de médecine,

L La montgolfière française

« Le tricolore », représentée au

moment de son décollage, le

6 juin 1874, à Paris.

© Library of congress

(Tissandier collection)

CLÉOPÂTRE AUX YEUX DE PLOMB

Qui ne connaît pas l’eye-liner de Cléopâtre et le fard bleu de sespaupières ! Mais qui sait que ce maquillage était appliqué à des finsmédicales, détail manquant dans les péplums ?

Une étude publiée dans la revue scientifique Analytical Chemistry(15 janvier 2010) montre que le maquillage des anciens Égyptienscontenait des sels de plomb qui produisaient du monoxyde d’azote.Ce composé chimique dilate les vaisseaux et ouvre ainsi la voie auxmacrophages, autrement dit les cellules qui mangent des particules degrande taille. Bref, il renforce le système immunitaire de l’homme.

L’équipe française qui a travaillé sur le sujet a analysé des résidustrouvés dans les « trousses à maquillage » de la collection égyptienne duLouvre. La nanochimie aidant, elle a constaté que le contact du plomb,contenu en très faibles doses dans les cosmétiques antiques, et du liquidelacrymal créait un milieu offensif contre les micro-organismes. – J.Š.

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 1 5

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puisqu’on voyait parfois rougir l’épiderme despatients, signe de l’efficacité du remède.

Elle eut beau plonger ses racines dans la mode,cette même industrie allemande de la chimie,après avoir repeint le monde de couleurséclatantes, n’hésita pas à produire le zyklon, le gazmortel des plans d’extermination nazis. À cause dela bombe, la Seconde Guerre mondiale est perçuecomme la guerre des physiciens, mais chaqueguerre est une guerre de chimistes depuis que leshommes savent fondre le métal. À la veille de laSeconde Guerre mondiale, la physicienne austro-suédoise Lise Meitner a donné raison auxalchimistes : nous pouvons transmuer un métal enun autre, ce qu’elle fit grâce à la réaction nucléaire.Avant la fin des hostilités, l’uranium 238 avaitaccouché du plutonium.

L’empreinte des alchimistes d’antan, leursprojets grandioses, leur mystère occasionnel,survivent aujourd’hui dans nos quêtes chimiques :création d’une vie synthétique, remède contre levieillissement... Et dans le même temps, chaquefois que nous faisons cuire un œuf, tous autantque nous sommes, nous modifions la naturemême de la matière, à savoir la forme desprotéines de l’œuf.

L’essor de la science moderne, le prestigecolossal dont elle jouit aujourd’hui – qui provientsurtout de sa professionnalisation au 19e siècle –ont mis les non-spécialistes à l’écart. Nous avonsperdu ce sens de la chimie en tant qu’art et sciencedu quotidien et des gens ordinaires. Il ne tientpourtant qu’à nous de le retrouver. Il y a peu, dansle cadre du programme muséographique de laChemical Heritage Foundation, j’ai invité une artisteverrière à venir présenter son travail. D’abordinquiète, elle protesta qu’elle n’avait jamais étudiéla chimie et ignorait tout de la question. Puis elles’est mise à parler de ce qu’elle faisait : de ses outils,du four, de la manière dont elle maniait le verre enfusion, des métaux qu’elle ajoutait, ducomportement du verre aux différentestempératures, pour finalement se tourner vers moi,surprise : « Mais c’est de la chimie, ce que je fais ! »,s’exclama-t-elle.

Vers le début de cet article, j’ai écrit qu’êtrehomme, c’était transformer la matière. J’aimeraisconclure en variant un peu : transformer la matière,c’est être humain. Nous sommes tous des chimistes. �

Le tableau de Mendeleïev « Le premier metteur en scène des éléments de la nature ». C’estainsi que Le Courrier de l’UNESCO de juin 1971 titrait un articleconsacré à Dmitri Mendeleïev, l’homme qui permit à « l’étude de lachimie [de] passer d’un stade quasi médiéval de tâtonnements àl’état d’une science moderne ».

Comment s’y prit-il ? « En bref», poursuit l’article, « le Russeproposait de disposer les éléments [chimiques] en lignes et encolonnes, aussi appelées périodes et groupes, à l'intérieur d'unrectangle, les poids atomiques croissant de gauche à droite le longd'une même ligne en commençant par celle du haut. Dans lescolonnes verticales se retrouvaient les éléments possédant despropriétés analogues – la même façon de former un oxyde, parexemple. »

Qu’y a-t-il de si révolutionnaire dans ce tableau ? La théorie de laclassification périodique des éléments selon leur poids atomique,que le Sibérien âgé de 35 ans avait présentée à la Société chimiquede Russie, en mars 1869, représentait en fait la découverte d’une loinaturelle. Son procédé permettait non seulement de corriger bonnombre d’erreurs de calculs, mais aussi de prédire l’existenced’éléments jusqu’alors inconnus, comme le gallium, le scandium oule germanium (appelés ainsi ultérieurement, en l’honneur des paysd’origine de leurs découvreurs).

Les grands découvreurs titillent l’imagination des gens. Commeon dit de Newton qu’il aurait découvert la loi de la gravitation enrecevant une pomme sur la tête ou de James Watt qu’une marmited’eau bouillante lui aurait inspiré l’idée de la machine à vapeur,certains prétendent que Mendeleïev aurait trouvé la classificationpériodique à la suite d’un rêve !

« On a tendance à oublier une chose », résume l’article : « s’ilarrive que la vérité scientifique illumine l’esprit d’un homme defaçon soudaine, comme un éclair, il se peut aussi que le mêmechercheur ait peiné pendant des années sur ce sujet. Pasteur l’a dit :‘La chance n’aide que les esprits déjà préparés’. Si l’on jette un œilsur les activités de Mendeleïev avant 1869, il apparaît évident quel’élaboration de la classification périodique n’a pas été un puraccident ».

Outre le tableau périodique, une phrase de Mendeleïev à proposdu pétrole restera gravée dans la mémoire de l’humanité : « Cematériel est trop précieux pour être brûlé ; quand nous brûlons dupétrole, nous brûlons de l’argent ; il faut l’utiliser comme matièrepremière de la synthèse chimique ». – K.M.

Née en Israël, Michal Meyer a travaillé

comme météorologue en Nouvelle-Zélande

et aux Fidji, puis comme journaliste dans son

pays natal. Titulaire d’un Ph.D. en histoire des

sciences, elle est employée depuis septembre

2009 à la Chemical Heritage Foundation, dont

elle dirige la revue, Chemical Heritage –

www.chemheritage.org/discover/ magazine/

index.aspx

© DR

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 1 7

La chimiesur le

terrain

Bien longue serait la liste exhaustive des services

que la chimie moderne a rendus à l’humanité

depuis sa naissance au 18e siècle. Et tout aussi

impressionnante celle des solutions qu’elle

promet d’apporter aux problèmes qui se posent

à notre planète en ce début de 21e siècle,

notamment dans le domaine de la santé. La

chimie analytique repousse toujours plus loin les

limites de détectabilité des substances toxiques.

La nanochimie naissante fait des miracles, bien

que les dangers qu’elle comporte ne soient pas

encore surmontés. De nouvelles générations de

médicaments offrent des traitements du cancer

de plus en plus efficaces.

Nous vivons à l’ère de la chimie combinatoire, du

criblage à haut débit et de l'ingénierie

moléculaire et pourtant la nature demeure notre

plus grand réservoir moléculaire. Quant aux

savoirs ancestraux, ils sont loin d’être oubliés.

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Le fil rouge dema carrière,

c’est la lumière

1 8 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

Quel lien y a-t-il entre les blue-jeans, le cancer et les

pesticides ? A priori aucun. Et pourtant, à en croire le récit

de Tebello Nyokong, ce serait la lumière. Cette spécialiste

sud-africaine en nanochimie est une passionnée du laser.

Elle lui trouve toutes sortes d’applications qui peuvent

s’avérer révolutionnaires pour la médecine et

l’environnement. Elle n’est pas loin du but.

Vous êtes actuellement impliquée dans larecherche d’une nouvelle méthodologie dediagnostic et de traitement du cancer appeléeà offrir une alternative à la chimiothérapie.Pouvez-vous nous expliquer en quoi consistevotre travail ?

Nous les chimistes, nous sommes des créateurs.Mes recherches portent sur la création demolécules à usage pharmaceutique. Jedéveloppe des médicaments que nous appelons« teintures », car leurs molécules sont similaires àcelles des teintures pour les jeans : lesphtalocyanines. Ces médicaments sont utilisésdans la photochimiothérapie, traitement ducancer qui requiert une approchemultidisciplinaire, associant chimistes,biologistes et spécialistes des biotechnologies.En tant que chimiste, je me trouve au cœur decette entreprise, car je suis celle qui crée lesmolécules. Je travaille avec une grande équiped’environ 30 personnes, sans compter tous ceuxet toutes celles qui assurent les testsprécliniques, un peu partout dans le monde.

Comment des molécules utilisées pour colorerles jeans peuvent-elle traiter le cancer ?

Examinez une plante : ses feuilles sont vertes àcause de la chlorophylle. Quant au sang, il doit sacouleur rouge à l’hémoglobine. En réalité, cesdeux molécules sont quasiment identiques, àceci près que la première est construite autourd’un atome de magnésium, alors que la secondel’est autour d’un atome de fer. Une différenceaussi minime suffit également à distinguer unmédicament de ce qui n’en est pas un. Lamolécule qui teint les jeans est identique à lamienne, à une petite différence près : les métauxqu’elle contient ne sont pas les mêmes et ce sonteux qui permettent de réaliser l’une ou l’autreaction.

La photochimiothérapie constitue-t-elle untraitement nouveau ?

Non, ce sont nos médicaments qui sontnouveaux. Aux États-Unis, en Europe et enRussie, la photochimiothérapie est déjàdisponible pour certains cancers. Elle fonctionneavec de la lumière. Le médicament est introduitdans l’organisme puis activé par la lumière. Leproblème est qu’à l’heure actuelle, les effetssecondaires sont très importants. Le médicamentdoit être introduit dans l’organisme et rejoindreles tissus cancéreux. S’il se fixe sur des tissussains, ce qui est le cas avec les médicamentsactuellement disponibles, le patient estcondamné à ne pas sortir de chez lui, car lerayonnement solaire détruirait les tissus sains, àl’instar de ce qui se produit en chimiothérapie.

Vos molécules sont-elles plus sûres ?

C’est là tout le but. Nous sommes en train deconstruire des molécules dont la spécificité estde cibler directement la tumeur. Cesmédicaments présentent l’avantage d’absorberfacilement la lumière. Il suffit donc d’administrerde très petites quantités. Mais je suis en train defaire un pas en avant, car j’associe à monmédicament un « système de livraison » inédit.C’est là que les nanotechnologies entrent en jeu.Les molécules contiennent des nanoparticules,appelées « points quantiques », qui pénètrenttrès facilement dans n’importe quelle partie ducorps. Ces nanoparticules livrent trèsefficacement le médicament à la bonne adresseet en plus elles émettent de la lumière, ce quifacilite la localisation des cellules cancéreuses.Bref, c’est une merveille !

Ce traitement peut-il être utilisé contre toutesles formes de cancer ?

La lumière, utilisée pour activer le médicament,est produite par le laser et transportée par desfibres optiques. Si le cancer est généralisé, celane peut pas fonctionner. Le laser doit être dirigéprécisément sur la zone cancéreuse. Il s’agit doncd’un traitement localisé, qui ne peut pasremplacer la chirurgie.

Comment avez-vous choisi ce domaine derecherche?

De façon fortuite. C’est toute la beauté de lachimie ! Une fois pris au jeu des molécules, on sedemande toujours : quel bénéfice pourrais-jeencore en tirer ? Mais le fil rouge de ma carrière,c’est la lumière. Je me suis découvert une passionpour les lasers. Ils sont lumineux, colorés et ilsvont droit au but ! Dès que j’ai eu affaire à eux, jeleur ai trouvé de nouvelles applications. C’étaitextraordinaire. Ce qui m’intéressait au départ,c’était le laser, pas le cancer.

La nanochimie est-elle dangereuse?

J’ai bien peur que oui. Et d’un, parce qu’unproduit qui pénètre facilement dans n’importequelle partie de l’organisme est par définitiondangereux. Et de deux, parce qu’au centre desnanoparticules que nous avons pu fabriquerjusqu’ici se trouvent des métaux lourds. En cas de« fuite », ces nanoparticules peuvent se fixer àl’hémoglobine ou à d’autres parties del’organisme, ce qui constitue une menacepotentielle. Avec l’aide de biologistes, nousprocédons à des tests de toxicité des moléculeset nous efforçons de développer celles quis’avèrent les moins toxiques. Nous étudionssimultanément leurs applications et leur toxicité.

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 1 9

TEBELLO NYOKONG

répond aux

questions de Cathy

Nolan, UNESCO

© Micheline Pelletier

pour L'Oréal Corporate

Foundation

2 0 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

Dans combien de temps vos médicamentspourront-ils se généraliser ?

Plusieurs variables sont à prendre en comptelorsque l’on envisage l’utilisation de cesmédicaments sur l’homme. Les cancérologuestrouvent que les lasers sont chers et difficiles àentretenir. Je ne peux rien faire toute seule. En tant que chimiste, je peux développer desproduits nouveaux, mais, s’agissant de vérifierleur fonctionnement, la collaboration avecd’autres spécialistes est indispensable. En Afriquedu Sud, le Centre pour la recherche scientifiqueet industrielle est en train de faire des testsprécliniques de mes médicaments. En Suisse, uneéquipe a développé un test très intéressant surdes œufs embryonnaires : on injecte la teinturedans les veines autour de l’embryon et on évalueson activité.

Vos recherches ont également des applicationspour l’environnement ?

Ces molécules sont vraiment magiques dans lamesure où elles sont susceptibles d’accomplirdes choses très différentes les unes des autres. Laméthode peut également être utilisée dans lapurification de l’eau polluée, en particulier pardes pesticides. Dans nos pays, les gens n’ont pasd’autre choix que d’aller chercher l’eau dans lanature. L’eau que l’on boit chez soi vient deschamps. Il faut faire avec. De tout temps, lalumière a été utilisée pour purifier l’eau. On saitque la lumière détruit les bactéries, mais si l’on

met ces molécules dans l’eau, le processuss’accélère. De plus, les résultats qu’on obtientsont moins toxiques. Si on laisse faire la nature,c’est-à-dire le soleil, des molécules dangereusespour l’organisme peuvent se former. Encombinant ce produit chimique et la lumière,nous allons réussir à obtenir des produits qui nesont plus du tout toxiques pour l’homme. Noussommes très près du résultat et venons de fairebreveter le procédé.

Votre but est-il de développer un produitindustriel ?

C’est ma mission. Nous y arriverons plusrapidement du côté de la recherche contre lapollution, car pour les applications médicales,tout est plus compliqué et plus long, tant lesrègles à suivre sont nombreuses. Je veux réussirpour une autre raison aussi : montrer aux jeunesSud-Africains qu’ils peuvent, eux aussi, faire de lascience et développer des produits. Pourl’instant, ils ne se l’imaginent même pas ; ilspensent que tout vient de l’étranger.

Pensiez-vous dans votre enfance consacrervotre vie à la chimie ?

Même pas en rêve ! Il n’y avait aucune femmepour me servir de modèle. Mais j’étais trèsambitieuse, j’ai toujours pensé que je pourraisdevenir médecin ou dentiste. Et puis, lesprofesseurs ont joué un rôle très important. J’airencontré un assistant lors de ma première

I Les lasers ont des

applications multiples dans

le domaine des sciences. Ici,

« Reflets et gouttes d'eau »,

une illustration de l’expérience

« La fontaine laser géante » du

LPL (CNRS/Paris 13). Elle

permet de comprendre le

fonctionnement des fibres

optiques tout en apportant

une démonstration des

principes fondamentaux de

l’optique.

Voir www.fontainelaser.fr

© K. Penalba/INP-CNRS

En tant quechimiste, je peuxdévelopper desproduitsnouveaux, mais,s’agissant devérifier leurfonctionnement,la collaborationavec d’autresspécialistes estindispensable.

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 2 1

Bhagwan Singh Chandravanshi

année d’université [au Lesotho], il était dans lesPeace Corps américains. Il savait rendre la chimieextrêmement passionnante. Il m’a montré la voieà suivre et je suis devenue mordue de chimie. J’aieu de la chance, aussi. Je suis originaire duLesotho et l’université m’a donné une boursepour me former au Canada où j’ai passé desmasters et soutenu ma thèse de doctorat. Je suisl’exemple de mes professeurs à présent : j’ai desdoctorants qui viennent de toute l’Afrique etd’ailleurs.

En tant que première femme travaillant au département à l’université de Rhodes, vous avez dit que votre motivation était d’ « accomplir l’impossible » ?

C’est la réalité, cela a été très difficile pour moi deprogresser avec très peu de soutien. Denombreuses femmes baissent les bras à cause decela. Il faut être un peu « folle » pour faire ce quej’ai fait. Mais je me suis juré que j’aiderai d’autresfemmes autant que je le pourrai. Elles n’ont pasconfiance en elles. Alors que, pour une raison quim’échappe, les hommes sont, à l’inverse, sûrsd’eux-mêmes, même lorsque ce qu’ils disent n’apas grand sens !

Notre époque, est-elle favorable aux femmesscientifiques en Afrique du Sud ?

Oui, c’est une bonne période, j’ai beaucoupd’étudiantes. Je les attire même si je suis un peusévère ! Pour être honnête, je pense que les gensne saisissent pas assez les occasions qui seprésentent à eux. Nous sommes dans un pays quia de la chance. L’Afrique du Sud est à la fois unpays émergent et un pays du tiers monde. Il y ades gens très pauvres qui trouvent leurnourriture dans les poubelles et d’autres qui sonttrès riches. Pourtant, l’infrastructure est là et legouvernement a pris la décision qu’il n’allait passeulement combattre la pauvreté mais aussidévelopper les sciences et les technologies. Lesgens devraient en tirer parti et travailler dur…Mais on dirait que travailler dur n’est pas trèspopulaire. Des crédits existent pour nous équiperet former davantage d’étudiants. Pour ma part, jene perds aucune occasion de me mettre sur lesrangs. �

Tebello Nyokong, 59 ans, est professeur depharmacologie et de nanotechnologies àl'Université de Rhodes (Afrique du Sud) où elledirige le Centre d'innovationnanotechnologique des senseurs (Mintek).Elle est l'une des cinq lauréates du PrixL’ORÉAL-UNESCO pour les femmes et lascience 2009.

Veiller sur lasanté du paysParce qu’elle est à même de fournir des

informations sur l’épineuse question de la

contamination de l’environnement par des

métaux lourds, la chimie tient une place

importante dans la chaîne décisionnelle de

l’Éthiopie, pays qui est à l’origine de l’idée de

célébrer l’Année internationale de la chimie 2011.

La contamination des produits alimentaires par des métaux lourds estdevenue un problème incontournable partout dans le monde. Lapollution de l’eau, de l’air et de la terre contribue à la présenced’éléments nocifs – cadmium, plomb, mercure, arsenic – dans lesdenrées alimentaires. Le développement rapide du secteur industriel, lerecours accru aux produits chimiques dans l’agriculture et l’essor del’activité urbaine sont à l’origine de cette contamination des aliments.

Les métaux lourds sont présents dans la nature sous forme de traces,souvent infimes. Du coup, pour les détecter, il faut employer desméthodes analytiques sophistiquées, comportant trois étapes :échantillonnage, prétraitement des échantillons et analyse. Le choixd’une méthode particulière repose sur plusieurs critères tels que le coût,la sensibilité (limite de détection), la vitesse ou la disponibilité desappareils. Les échantillons analysés peuvent provenir de l’eau, de la terre,des poissons, des plantes (en particulier le khat, le thé et le café), deslégumes et des fruits.

Bien que les métaux lourds ne soient naturellement présents qu’enfaibles quantités dans les terres agricoles, ils deviennent toxiques enraison de leur capacité à s’accumuler dans les organismes. En lesdétectant, nous identifions leurs effets potentiellement néfastes nonseulement sur le développement des plantes, mais également sur lasanté humaine.

Les études que nous menons en Éthiopie nous permettent d’évaluerles taux de présence de ces métaux lourds et d’informer legouvernement et la population sur les risques éventuels. Nos analysesmontrent que pour l’instant le taux de métaux lourds est encorerelativement faible en Éthiopie, mais qu’en relation avec l’activitéhumaine, il croît de temps à autre au-delà du taux de présence naturelle.

C’est ainsi que la chimie nous aide à veiller sur la santé de notre pays. �

Bhagwan Singh Chandravanshi est professeur au Département de

chimie de la Faculté des sciences, de l’Université d’Addis-Abeba, Éthiopie.

© D

R

Anlong Xu

2 2 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

Malgré les avancées significatives en matière deprévention, diagnostic et traitement, le cancerdemeure une des principales causes de décès àl’échelle mondiale. Jusqu’aux années 1960, lecancer était traité par voie chirurgicale et parradiothérapie, mais au cours des dernièrescinquante années, la chimiothérapie s’est avéréeêtre l’une des plus puissantes armes contre lecancer.

Le premier médicament anti-tumoralmoderne, la moutarde azotée, a été découvert parhasard durant la Seconde Guerre mondiale. Deschercheurs remarquent accidentellement que legaz moutarde (composé chimique qui doit sonnom à sa couleur jaune et qui a, par ailleurs, étéutilisé comme arme chimique lors de la PremièreGuerre mondiale) peut réduire le taux de globulesblancs dans le sang. En 1942, Louis Goodman,Alfred Gilman et d’autres pharmacologistes de Yale(États-Unis) l’utilisent pour traiter des lymphomesavancés et trouvent qu’il peut induire la régressiond’une tumeur. En 1949, la moutarde azotéeobtiendra l’autorisation de mise sur le marché parla Food and Drug Administration (États-Unis), ce quidonnera un coup de pouce au développement de

Cibler la cellule malade sans endommager au passage les cellules

saines, tel est l’objectif des nouvelles chimiothérapies du cancer. Facile

à dire, mais difficile à faire. Les chercheurs se lancent sur différentes

pistes y compris celles de la sagesse des anciens. Une plante utilisée

dans la médecine traditionnelle chinoise pour combattre les tumeurs du

tube digestif ouvre de nouvelles perspectives à la médecine moderne.

nombreux médicaments chimiothérapeutiquespour traiter différents types de cancers.

Mais ces médicaments provoquent, comme onle sait, de sérieux effets secondaires et il faudraattendre le début du troisième millénaire pour ques’ouvre une nouvelle ère dans la thérapie contre lecancer, fondée sur le ciblage moléculaire. Il s’agitd’une nouvelle génération de médicaments qui nesont plus diffusés dans tout l’organisme(endommageant au passage les cellules saines),mais qui ciblent précisément l’endroit où setrouvent les cellules cancéreuses.

Éviter les dégâts collatéraux

Si la plupart des médicaments utilisés dans letraitement du cancer sont des composésorganiques, il existe également des médicamentsà base de complexes métalliques. L’utilisation demétaux pour soigner des maladies remonte àl’antiquité. Il y a 2 500 ans, les Chinois savaientdéjà que l’or pouvait être utilisé à des finsmédicinales. Plus près de nous, c’est le platine,autre métal précieux, qui sera à la base de l’un desmédicaments anticancéreux les plus vendus aumonde encore aujourd’hui : le cisplatine. Nous le

Le métal et le végétal : un pacte contre le cancer

L Fragments de cellules

cancéreuses.

© INSERM/J. Valladeau

devons au chimiste américain Barnett Rosenberget à ses collègues qui ont découvert par unheureux hasard, en 1965, qu’il empêchait laprolifération des cellules cancéreuses.

Mais, là aussi, les effets secondaires se sontrévélés néfastes, ce qui a incité les chercheurs àdévelopper des médicaments à base d’autresmétaux comme, par exemple, le ruthénium. Grâceau travail pionnier de chimistes comme MichaelJ. Clarke (États-Unis), Bernhard K. Keppler(Autriche) et Peter J. Sadler (Royaume-Uni), leruthénium apparaît comme une alternativeparticulièrement attractive au platine. À l’instar dufer, il est capable de se lier à la transferrine, cetteprotéine du sang qui transporte le fer vers lesorganes. Au lieu de se répandre dans l’organisme,il va s’accumuler dans les régions tumorales, attirépar les cellules cancéreuses qui possèdent ensurface cinq à 15 fois plus de récepteurs detransferrine que les cellules normales. Ainsi, il cibledirectement la cellule malade et la détruit. Outrecette grande précision, certains complexes deruthénium ont la capacité de paralyser lesmétastases, c’est-à-dire d’empêcher lapropagation du cancer à d’autres parties du corps.

Une nouvelle stratégie

Élargissant le champ de la recherche sur lescomplexes de ruthénium, notre groupe derecherche a démontré récemment que lacombinaison du ruthénium et d’un ingrédientactif de l’harmel (Peganum harmala) peut fournirune nouvelle stratégie pour développer desmédicaments anticancéreux. Dans la médecinechinoise traditionnelle, les graines de cette plante,sous forme de poudre, servaient de remèdecontre les tumeurs du tube digestif. Aujourd’hui,certains des complexes chimiques obtenus parcette alliance du métal et du végétal parviennentà empêcher la prolifération des cellules maladesde manière bien plus efficace que le cisplatine. Desurcroît, nous avons constaté que ces complexeschimiques pouvaient induire simultanément uneapoptose et une autophagie cytoprotective dansdes cellules cancéreuses humaines. À notreconnaissance, c’est la première fois que cettedouble action a été démontrée.

L’apoptose, parfois appelée « suicideprogrammé des cellules », est un processusnormal qui aboutit, à un certain moment, à lamort de certaines cellules « usées ». Or, chez lescellules cancéreuses, la fonction d’apoptose estdéréglée, ce qui explique leur proliférationcontinue. Les nouvelles recherches en oncologiese concentrent donc en grande partie sur lesmolécules provoquant le suicide des cellulescancéreuses.

Quant à l’autophagie (littéralement « action dese manger soi-même »), elle constitue unmécanisme permettant à la cellule de digérer enpartie son contenu, pour assurer sa survie. C’est

une arme à double tranchant, car elle peutpermettre soit la survie des cellules saines audétriment des malades (protégeant lecytoplasme), soit, inversement, la survie descellules malades au détriment des saines.

Les molécules sur lesquelles nous travaillonsvisent à activer l’autophagie en vue de détruire descellules cancéreuses qui résistent à l’apoptose. Celaconstitue une nouvelle approche dans letraitement du cancer qui devrait renforcer notrelutte contre ce fléau.

Selon les statistiques fournies par le NationalCancer Institute (États-Unis), le taux de survie àcertains cancers a considérablement augmentédans les dernières décennies. Pourtant, les taux deguérison pour d’autres types cancers restent trèsbas. Par exemple, le taux global de survie au-delàde cinq années pour les malades du cancer du foieest inférieur à 10 %. Le Centre international derecherche sur le cancer (CIRC) des Nations Uniesestime qu’environ 760 millions de personnes sontmortes du cancer en 2008 et que ce nombrepourrait atteindre 1 320 millions en 2030. La guerren’est pas terminée. �

Les molécules sur

lesquelles nous

travaillons visent

à activer

l’autophagie en

vue de détruire des

cellules

cancéreuses qui

résistent à

l’apoptose. Cela

constitue une

nouvelle approche

dans le traitement

du cancer qui

devrait renforcer

notre lutte contre

ce fléau.

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 2 3

L Culture de cellules :

neurone dopaminergique en

apoptose.

© INSERM/P. Michel

Anlong Xu est vice-président Recherche et

Développement et professeur d’immunologie

et de biologie moléculaires à l’Université de

Sun Yat-sen, Chine. Il est le Directeur de la

State Key Laboratory of Biocontrol, membre de

la commission d’experts en charge des

nouveaux médicaments de l’Administration

d’État pour les aliments et les médicaments et

également membre de la Pharmacopoeia

Commission of China.

génétiques. Ce protocole régira, à partir de 2012,les relations commerciales et scientifiques entreles pays qui détiennent non seulement la plupartdes matériaux biologiques mais aussi les savoirsconnexes, souvent séculaires, et les pays qui enfont un usage industriel. Nous avons tourné unenouvelle page dans l’histoire de l’exploitation del’extraordinaire chimiodiversité des pays ditsmégadivers (les plus riches en biodiversité).

La chimiodiversité est une composante dela biodiversité. En effet, les métabolites secondaires– tanins, latex, résines et des milliers d’autresmolécules identifiées à ce jour – qui assumentdes fonctions très variées dans la vie desvégétaux, jouent un rôle crucial dans ledéveloppement de nouveaux médicaments.

Bien que nous vivions à l’ère de la chimiecombinatoire, du criblage à haut débit et del’ingénierie moléculaire, nous continuons depuiser dans la nature la matière première pournombre de nouvelles thérapies qui rencontrentun franc succès dans les laboratoires et sur lemarché. La nature a fourni plus de la moitié desentités chimiques qui ont été approuvées par lesagences de régulation à travers le monde, aucours de ces 40 dernières années. �

Vanderlan da Silva Bolzani, professeur de

chimie à l’Institut de Chimie de l’Université de

l’État de Sao Paulo - UNESP (Araraquara, Brésil),

a présidé la Société brésilienne de chimie de

2008 à 2010.

2 4 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

La question du lien entre l’exploitation desressources naturelles et les bénéfices socio-économiques de la bioprospection s’est poséeavec de plus en plus d’acuité depuis le Sommet dela Terre (Rio de Janeiro, Brésil, 1992). La Conventionsur la diversité biologique, adoptée à cetteoccasion, a pour objectifs principaux « laconservation de la diversité biologique, l’utilisationdurable de ses éléments et le partage juste etéquitable des avantages découlant del’exploitation des ressources génétiques ». Or, la bioprospection, consistant à inventorier leséléments constitutifs de la biodiversité en vued’assurer sa conservation et son exploitationdurable, n’a pas cessé pour autant d’êtredétournée au profit de sociétés qui brevetaient dessubstances recensées.

La 10e Conférence des parties à laConvention, qui s’est tenue en octobre dernier àNagoya (Japon), changera la donne, car il aabouti à un accord juridiquement contraignantsur le partage juste et équitable des ressources

La nature a fourni

plus de la moitié

des entités

chimiques qui ont

été approuvées

par les agences de

régulation à

travers le monde,

au cours de ces 40

dernières années.

De la primauté dela nature

Vanderlan da Silva Bolzani

L Les Kallawaya constituent

une communauté

d’herboristes et de guérisseurs

des Andes boliviennes. La

cosmovision andine des

Kallawaya a été inscrite sur la

Liste représentative du

patrimoine culturel immatériel

de l’humanité, en 2008.

© UNESCO/J. Tubiana

Comment expliquez-vous la croissancephénoménale de l’industrie pharmaceutiqueindienne, devenue en quelques dizainesd’années synonyme de production à bas coûtde médicaments génériques d’excellentequalité ?

L’industrie pharmaceutique est aujourd’hui aupremier rang des industries scientifiquesindiennes, avec un vaste savoir-faire dans lesdomaines complexes de la fabrication et de latechnologie des médicaments. Elle est passéed’un chiffre d’affaires modeste de 300 millions dedollars en 1980 à près de 19 milliards en 2008.L’Inde est aujourd’hui au troisième rang mondialen volume produit, avec 10 % de part de marché,derrière les États-Unis et le Japon. Mais elle n’estque quatorzième en valeur de production, soit1,5 % du marché.

Plusieurs facteurs ont contribué à cette croissance extraordinaire. En 1970, le gouvernement aadopté une loi sur les brevets réduisant l’emprisedes multinationales étrangères qui dominaient le

marché indien depuis l’indépendance du paysen 1947. Cette politique favorable aux droits

de propriété intellectuelle, mais nereconnaissant pas les brevets internationaux

sur les produits pharmaceutiques, a lancéles fabricants indiens sur la piste des

produits génériques à des prix défianttoute concurrence.

En trois décennies, l’Inde est parvenue à la troisième

place mondiale de la production pharmaceutique.

Quasiment autosuffisante en médicaments, elle

occupe la première place mondiale en nombre

d’usines approuvées par la Food and DrugAdministration (États-

Unis). Son industrie

pharmaceutique,

spécialisée dans les

produits génériques à

des prix défiant toute

concurrence, compte

quelque 5 000 fabricants

et emploie 340 000

personnes. Quelle est la

clé de ce succès ? Et

quels en sont les

revers ?

Entretien avec SUNIL MANI, conduit par Shiraz Sidhva,

correspondante indienne du Courrier de l’UNESCO

Le boompharmaceutique indien

2 6 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

Les industriels indiens ont ainsi bénéficié d’unelongue période d’apprentissage, qui leur apermis de passer maîtres dans l’« ingénierieinverse » (c’est-à-dire la copie de médicamentsbrevetés à l’étranger) et le développement localdes technologies avec un excellent rapport coût-efficacité.

Un autre facteur stimulant la croissance del’industrie a été la formation massive descientifiques. L’enseignement supérieur indienest plus porté sur les sciences de la vie que sur legénie ou la technologie. Dans les années 1970 et1980, et même jusque dans les années 1990,pour huit diplômés en sciences, il n’y avait qu’uningénieur. D’où l’avantage comparatif de l’Indedans des secteurs scientifiques commel’industrie pharmaceutique.

L’État indien a aussi accordé des bourses etproposé des réductions d’impôts pour encouragerla création d’infrastructures de recherche.

Comment l’industrie a-t-elle franchi le cap de2005, lorsque l’Inde est revenue sur sa politiqueprotectionniste en modifiant la loi sur les brevets,conformément à l’Accord sur la propriétéintellectuelle (ADPIC) de l’Organisation mondialedu commerce ? L‘industrie mise-t-elle toujours surles exportations, alors que le marché intérieur adoublé en dix ans ?

Une bonne part de la croissance de l’industriepharmaceutique indienne repose sur les

exportations, qui ont progressé de près de 22 %,entre 2003 et 2008. Actuellement, l’Inde exportedes médicaments intermédiaires, en vrac ou finis,des principes actifs, des produits biopharma -ceutiques et des services cliniques. En 2008, sescinq principaux clients étaient, par ordredécroissant, les États-Unis, l’Allemagne, la Russie,le Royaume-Uni et la Chine.

L’industrie compte quelque 5 000 fabricantsindiens et étrangers sous licence, employantdirectement 340 000 personnes. Elle est dominéepar les formulations pharmaceutiques et lesprincipes pharmaceutiques actifs(respectivement mélanges des différentessubstances chimiques et produits chimiquesactifs, nécessaires pour fabriquer unmédicament).

L’Inde est quasiment autosuffisante enmédicaments, comme en témoigne sa balancecommerciale de plus en plus positive. L’industriepharmaceutique est l’une des plus innovantes del’Inde pour sa recherche-développement (R&D)et pour le nombre de brevets décernés, aussibien en Inde qu’à l’étranger. Elle estparticulièrement active sur le marché dugénérique, y compris à destination des paysdéveloppés.

En 2007 et 2008, une demande d’ANDA surquatre (processus d’approbation rapide demédicaments génériques pour le marchéaméricain) provenait de l’industrie

Les industriels

indiens ont ainsi

bénéficié d’une

longue période

d’apprentissage,

qui leur a permis

de passer maîtres

dans l’« ingénierie

inverse ».

Sunil Mani est

président de la

Commission de

planification de

l’économie du

développement au

Centre d’études de

développement à

Trivandrum, Inde. Il est

l’un des auteurs du

Rapport mondial de

l’UNESCO sur la science

2010.© UNESCO/M. Ravassard

J Fabrication de

médicaments avec des

vêtements de protection, en

Inde, l’un des leaders

mondiaux dans le domaine

pharmaceutique.

© Sinopictures/dinodia/

Specialist Stock

pharmaceutique indienne. Il en est de mêmepour près du quart des dossiers decommercialisation de la Food and DrugAdministration (FDA) des États-Unis. L’Indecompte aussi le plus grand nombre d’usinesapprouvées par la FDA au monde.

Certains fabricants indiens, hier champions descopies génériques, lorgnent aujourd’hui sur laproduction de nouveaux médicaments.L’industrie serait-elle prête à lancer un produitentièrement développé en Inde ?

Ce sera difficile. Les coûts de lancement d’unnouveau produit se chiffrent parfois en milliardsde dollars. L’Inde possède une réglementation,sans doute moins draconienne que la FDAaméricaine, mais tout aussi complexe. Car il s’agittout de même de produits destinés à l’usagehumain. Les essais cliniques atteignent des coûtsprohibitifs, avec des taux d’échec extrêmementélevés. Il faut facilement neuf à dix ans pourdévelopper un médicament. Des découvertesont déjà eu lieu à petite échelle, mais pour quel’Inde puisse innover au niveau mondial, il faudradu temps. Et il y a peu de chances que cela sefasse à très grande échelle : cela exige desinvestissements massifs dans la R&D, ce que laplupart des sociétés indiennes ne peuvent sepermettre.

L’Inde se profile depuis peu comme plaquetournante de la R&D pharmaceutique et voit affluer les sociétés étrangères en demande d’essais cliniques. Qu’en est-ilexactement ?

C’est une des retombées de la capacitéd’innovation de l’Inde dans le domainepharmaceutique : elle est devenue unedestination prisée pour les essais cliniques, lafabrication sous contrat et la R&D externalisée.Ces débouchés sont très prometteurs pourl‘industrie pharmaceutique indienne. Selon lesestimations, 103 milliards de dollars de produitsaméricains devraient perdre leurs brevets d’ici2012. Le marché mondial de la fabrication souscontrat de médicaments prescrits devrait parailleurs progresser, d’ici environ 2015, de 26 à 44milliards de dollars.

Les essais cliniques coûtent bien moins cher enInde que dans les pays occidentaux. Maissurtout, le pays regorge de patients « naïfs »,c’est-à-dire n’ayant jamais subi aucun traitement,et les essais donnent de bien meilleurs résultatssur les primo-utilisateurs. Le troisième facteur estla présence de médecins anglophoneshautement qualifiés pour mener ces essais (enInde la langue principale utilisée dans l’éducationsupérieure est l’anglais). Aussi, la durée du

développement clinique est bien plus courte,parce qu'il est plus facile d'obtenir l'assentimentdes patients.

L’Inde reste l’un des principaux fournisseursd’antibiotiques et de traitements du cancer etdu sida à des prix relativement abordables pourles pays en développement. Quel est l’impactdes génériques de fabrication indienne sur lessoins de santé en Inde ? Et dans le monde ?

C’est difficile à évaluer avec précision, parce quel’industrie pharmaceutique indienne est surtoutaxée sur les exportations, que ce soit versd’autres pays en développement ou l’Occident.Les sociétés indiennes ont joué un rôle moteurdans la baisse spectaculaire des prix desantirétroviraux, assurant aux malades du sida unmeilleur accès aux traitements. C’est l’une desprincipales contributions de l’industriepharmaceutique indienne à la santé, en Indecomme dans le reste du monde, ces dernièresannées.

Malheureusement, en gardant l’œil rivé sur lesexportations, les industriels indiens laissent decôté les maladies dites « négligées », comme lamalaria ou la tuberculose, dont les fabricantsoccidentaux n’ont que faire, parce que lesmarchés sont exigus et les patientsgénéralement pauvres et donc incapables definancer leurs traitements. Ce ne sont pas desmédicaments qui permettent de faire de grosbénéfices. Les sociétés indiennes sont sur lamême ligne idéologique, si bien qu’aucune nepropose de projets de R&D crédibles dans cedomaine. �

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 2 7

Les essais cliniques

coûtent bien

moins cher en Inde

que dans les pays

occidentaux. Mais

surtout, le pays

regorge de

patients « naïfs »,

c’est-à-dire n’ayant

jamais subi aucun

traitement, et les

essais donnent de

bien meilleurs

résultats sur les

primo-utilisateurs.

2 8 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

pour la culture en microbiologie, en vued'identifier des agents infectieux. Quant aux selsd’alginates, ils forment des gels que l’on introduitdans les patches, par exemple, car la substancemédicamenteuse peut être encapsulée pourpermettre une lente diffusion dans le corps.

Les extraits d’algues marines, comme lefucoïdane, présentent un potentiel considérablepour le développement de nouveaux produits surle marché des alicaments (aliments avec des vertusmédicinales) et de la pharmacie. Néanmoins, undes plus grands défis à relever dans ce domainereste la qualité des algues. Avec la baisse de laqualité de l'eau, conséquence de l'industrialisationrapide, il est de plus en plus difficile de trouver desalgues qui ont une faible concentration de toxines,comme les métaux lourds par exemple. L'autregrand défi consiste à utiliser cette ressource touten respectant l’environnement, afin de conserverla biodiversité de l'écosystème marin. �

Membre de l'académie des sciences en

Australie et Secrétaire générale honoraire de

l'Institut royal australien de chimie (RACI),

Vicki Gardiner est directrice de l'innovation

et du développement produit chez Marinova

Pty Ltd. Elle est responsable de l’Année

internationale de la chimie auprès de RACI.

Peu après la découverte, en 1977, du sitearchéologique de Monte Verde au Chili, on trouvades échantillons de neuf algues dans la hutte d’unguérisseur, qui avait vécu sur ces lieux quelque 14mille ans auparavant. À 17 mille kilomètres de là,les Japonais de l’archipel Okinawa sont connus,depuis l’antiquité, comme de grandsconsommateurs d’algues brunes, qui contiennentdu fucoïdane, substance très riche enpolysaccharides sulfatés (sucres naturels).

Ces trente dernières années, la recherche sur lefucoïdane et d’autres polysaccharides marins aconfirmé, à travers quelque 800 articlesscientifiques, ce que les Japonais savaient depuistoujours : le fucoïdane est un anti-inflammatoire etun anticoagulant puissant, il inhibe certains virus, ilaméliore le système immunitaire. Les études lesplus récentes sur un nouveau produit à base defucoïdane ont prouvé une de ses facultésinconnues jusqu’ici : réduire les symptômesd'arthrose du genou.

Aujourd’hui, nombre de préparationsmédicales et suppléments nutritionnelscontiennent des algues ou des extraits d’algues.Les algues brunes géantes, séchées et broyées,sont utilisées pour leurs teneurs en iode ; les agar-agars, pour leurs propriétés gélifiantes ; lesalginates, pour leur capacité d’arrêter les refluxacides. Par ailleurs, les agar-agars servent de milieu

Les bienfaits des algues Vicki Gardiner

Les études les plus

récentes sur un

nouveau produit

à base de

fucoïdane ont

prouvé une de ses

facultés inconnues

jusqu’ici : réduire

les symptômes

d'arthrose du

genou.

K Le wakame, ou fougère de

mer, est une algue comestible

très populaire au Japon.

© Ian Wallace

La chimiefait peau

neuve

Elle a beau être à l’origine de la plupart des

innovations qui ont contribué au mieux-être de

l’humanité, la chimie fait souvent figure

d’épouvantail dans le grand public. Beaucoup

l’associent aux fumées noires des cheminées

d’usine. De fait, entre les scandales de la chimie

pharmaceutique, les effets délétères des

pesticides et les catastrophes industrielles, la

chimie a accumulé par le passé nombre de

mauvais points qui ont terni son blason au

point, parfois, d’occulter ses bienfaits.

Mais, à pollution chimique, solutions chimiques :

ces 20 dernières années, chercheurs et chimistes

du secteur industriel rivalisent en ingéniosité

pour combattre notamment le changement

climatique et la dégradation de

l’environnement. La chimie « verte » a le vent en

poupe aussi bien en Occident que dans les pays

émergents ou en développement. En témoigne

l’enthousiasme des étudiants qui nous ont écrit.

Ils ne représentent qu’une infime partie des

jeunes qui, après s’être désintéressés de la

chimie, reviennent vers elle pour la réinventer.

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 2 9

© Mikal Schlosser

La chimie des gaz industriels s’est successivement heurtée aux

problèmes du trou d’ozone et du réchauffement climatique. La

recherche s’est consacrée à la mise au point de composés de moins en

moins dangereux. Ces dix dernières années, elle a diminué de 350 fois le

potentiel de réchauffement global des gaz utilisés dans les aérosols,

réfrigérateurs et climatiseurs.

Tous ceux qui utilisaient un vaporisateur en 1973tuaient la planète à petites doses… sans le savoir.Un an plus tard, tout devint clair : les chimistesMario Molina et F. Sherwood Roland [lauréats1995 du prix Nobel de chimie] avaient découvertque le gaz Fréon utilisé dans les aérosolsdétruisait la couche d'ozone.

Dès lors, prédire le sort des produitschimiques dans l'atmosphère devint la passiond'un jeune étudiant, Ole John Nielsen, futurprofesseur à l'Université de Copenhague,membre du Groupe intergouvernementald'experts sur l'évolution du Climat (GIEC), et

« diseur de bonne aventure chimique ».« Ils annonçaient que les chloro -

fluorocarbones (CFC) allaient détruire la couched'ozone qui protège la planète des rayonne -ments ultraviolets, que l'augmentation desradiations allait causer des cancers… à lesentendre, la fin du monde était proche. L’étudiantjeune et naïf que j’étais a naturellement ressentile besoin de s'intéresser à ces composés et àleurs effets sur l'atmosphère », raconte Nielsen.

L'idée que les activités humaines pouvaientendommager l'atmosphère terrestre était peut-être nouvelle en 1974, mais au milieu des années

Comment désamorcerles bombes aérosols

Jes Andersenjournaliste danois,

rencontre

Ole John Nielsen

3 0 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

L Ce n’est que dans les

années 1970 que l’on a

découvert l’effet nocif

du gaz Fréon utilisé dans les

bombes aérosols.

© iStockphoto.com/Franck

Boston

1980, il n'y avait plus l'ombre d'un doute : les CFCcommençaient à ronger la couche d'ozone au-dessus de l'Antarctique.

Comme ils étaient utilisés également dans lerefroidissement des climatiseurs et desréfrigérateurs, des millions de tonnes de CFCétaient relâchés dans l'atmosphère. « On ne seposait pas la question de savoir ce que cescomposés allaient devenir, ni quels pouvaientêtre leur effets », se souvient Ole John Nielsen.

De son côté, le Programme des Nations Uniespour l'environnement (PNUE) s’était inquiété etse préparait à museler tout aérosol suspect.« Le protocole de Montréal relatif à dessubstances qui appauvrissent la couche d'ozone» fut donc ouvert à la signature le 16 septembre1987. Il est aujourd'hui ratifié par 196 États. Pourl'essentiel, ce traité international déclaraitillégaux tous les composés dangereux pour lacouche l'ozone. La fin des CFC avait sonné.

Entre temps, Ole John Nielsen s'était forgéune réputation dans la chimie de l'atmosphère etse préparait à affronter « les tueurs d'ozone ». Enun an, il avait publié avec son équipe pas moinsde 25 articles sur le sujet. Il ne fut donc passurpris lorsque des industriels l’approchèrentpour tester un nouveau composé susceptible deremplacer les CFC. « Nous étions les bonnespersonnes, nous avions les bonnes compétences,et c’était le bon moment », raconte-t-il .

Il s’agissait d’un hydrofluorocarbone connusous l'appellation de « HFC 134a ». Il étaitréellement moins dangereux pour la couched'ozone, et semblait même carrément inoffensif.À partir de 1994, le HFC 134a remplaça donc lesCFC dans la plupart des applications, et leprofesseur Nielsen se dit qu'il ferait mieux de setrouver un autre champ de recherche.

Mais le scientifique danois ne put raccrocherses « gants atmosphériques », car le produit qu'il

avait certifié sans danger pour l'ozone étaitautrement dangereux pour la planète... Ondécouvrit que le HFC 134a piégeait les rayonsinfrarouges, provoquant un effet de serre : aucomposé sans dommages pour l'ozone, onattribua par contre un potentiel deréchauffement global (PRG) 1 400 fois supérieurà celui du CO2 !

Heureusement, l'industrie se montra ouverteà l’idée de tester et d’adopter un meilleurréfrigérant. « Au cours de ma vie, je dois dire quej’ai été témoin d’un changement d’attituderadical », confirme Nielsen. « Aujourd'hui,lorsqu’on veut produire un composé en grandequantité, on demande aux spécialistes leur avissur les effets éventuels de son émission. Cela n’apas toujours été le cas. Bien sûr, il y a aussi lalégislation qui veille sur l’environnement, mais ilest évident que les industries, en particulier lesgrandes sociétés, agissent maintenant de façonbeaucoup plus responsable ».

À partir de 2011, les systèmes de climatisationautomobile européens devront utiliser unréfrigérant dont le PRG est inférieur à 150. Celuidu HFC 134a affichant un PRG de 1 400, Nielsen etson équipe ont testé un nouveau composé. Avecun PRG de seulement 4, ce HFO-1234yf mettra lesconstructeurs automobiles en conformité avec lesnormes européennes.

Prochaine étape, selon Nielsen : lesbiocarburants ! Il se peut que l'éthanol et lebutanol n’aient pas d’effets sur le réchauffementclimatique, mais, dans l'atmosphère, ilspourraient générer des produits nocifs pour lasanté de l'homme. « Si les biocarburants enviennent à remplacer le diesel et l'essence, nousavons intérêt à bien connaître leur impact surl'atmosphère avant de les utiliser. C’est valablepour tous les composés émis dans la nature »,conclut le scientifique. �

Ole John Nielsen,

professeur à l’Université

de Copenhague, est

membre du Groupe

intergouvernemental

d'experts sur

l'évolution du climat

(GIEC), prix Nobel de la

paix 2007. Il est

spécialiste en chimie

atmosphérique.

© Jes Andersen

L’idée que les

activités humaines

pouvaient faire du

mal à

endommager

l’atmosphère

terrestre était peut-

être nouvelle en

1974, mais au

milieu des années

1980, il n'y avait

plus l'ombre d'un

doute.

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 3 1

La géo-ingénierie a le vent en poupe au sein de la communauté scientifique.

Limiter l’impact du réchauffement climatique en manipulant l’environnement

est une idée aux ramifications nombreuses que développe un nombre croissant

de chimistes et physiciens, et non des moindres : l’Américain Klaus Lackner,

l’Australien Ian Jones, le Britannique James Lovelock, le Hollandais Paul

Crutzen, pour ne citer que ceux-là.

Certes, ils espèrent que la recherche nous apportera de nouvelles sources

d’énergies permettant le ralentissement du réchauffement climatique. Mais en

attendant, ils travaillent sur ce qu’on appelle désormais « le Plan B ». Deux

approches sont privilégiées parmi ces alternatives de sauvetage de la planète :

l’une consistant à capturer le CO2 en vue de diminuer la concentration de gaz à

effet de serre (dopage des arbres au nitrogène, arbres synthétiques,

fertilisation des océans ou tapissage de leur sol avec du calcaire), l’autre visant

à dévier une partie du rayonnement solaire (pare-soleil géant constitué de

milliards de petits disques de verre, couche protectrice de particules de sel

provenant des océans ou de particules de sulfate).

Si la première approche comporte moins de risques, on estime qu’elle est

trop lente par rapport à la seconde, que l’on considère comme trop risquée.

Dans les deux cas, les coûts sont élevés et l’efficacité limitée.

Le fer contre l’anémie de la merPhilip W. Boyd

Le fer est l’un des principaux élémentsdont se nourrissent les organismesmicroscopiques vivant à la surface deseaux connus sous le nom dephytoplancton. Le fer favorise laprolifération de ces micro-algues qui sedéveloppent en assimilant, parphotosynthèse, du gaz carbonique(CO2) dissous dans l’eau et qui, enmourant, font disparaître ce gaz au fonddes océans. Ce processus naturel estappelé « pompe biologique » à carbone.

Pour piéger durablement une partiedu CO2 que l’homme rejette dansl’atmosphère depuis le début de l’èreindustrielle, et limiter ainsi leréchauffement de la Terre, les partisansde la fertilisation préconisent dedéverser dans les océans des quantitésmassives de fer dissous dans unesolution acide.

Pourquoi ? Parce que lephytoplancton est anémique. Bien quele fer soit le quatrième élément le plusabondant de la croûte terrestre, il esttrès rare au milieu des océans, dans deszones trop éloignées des côtes pourêtre alimentées en fer par les fleuves.

Réchauffementclimatique : le Plan B

3 2 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

Tout comme chez l’homme, lescellules fonctionnent mal quand ellessont malades. Ces algues ont beau êtremicroscopiques, elles occupent de trèsvastes étendues d’océans et leur anémiecollective a des conséquencesplanétaires, notamment sur le climat.D’autant que le phytoplancton marin,quand il est en bonne santé, produitplus d’oxygène que toutes les forêts dela Terre réunies.

De là est venue l’idée de « fertiliser »de main d’homme certaines régionsmarines avec des particules ferreuses,afin d’y favoriser la production végétale.Mais de la coupe aux lèvres…

Aujourd’hui, un nombre grandissantd’experts scientifiques doutent du bien-fondé d’un ajout en fer aux mers duglobe pour éponger les émissions deCO2, et pointent du doigt les possibleseffets secondaires d’une telle stratégie.Loin de ne faire qu’imiter la nature,l’ensemencement pourrait notammentconduire au développement de vasteszones sous-marines à la fois acidifiées etdémunies d’oxygène (les algues coulentau fond de l’océan et se décomposentsous l’effet des microbes marins), sansoublier qu’il favoriserait la proliférationd’algues toxiques dans les eaux desurface.

Fertiliser artificiellement les océansdans l’espoir de remédier àl’augmentation du CO2 atmosphériquea tout d’une entreprise à haut risque etsemble coûter aussi cher que bonnombre d’autres propositions émanantde sociétés de géo-ingénierie dont leseffets secondaires seraient moinsconsidérables. Par exemple, d’aucunspréconisent la mise en place d’« arbressynthétiques » composés d’un pilier etd’une structure équivalente auxbranches qui capterait le CO2. �

Philip W. Boyd est professeur de

biogéochimie marine au National Institute

of Water & Atmospheric Research et au

Centre for Chemical and Physical

Oceanography de l’Université d’Otago

située à Dunedin (Nouvelle-Zélande).

Arbres synthétiquesRencontre avec Klaus LacknerKaterina Markelova

Au chapitre des solutions permettant decapturer le CO2 et diminuer ainsi laconcentration de gaz à effet de serre, lafavorite semble être celle des arbressynthétiques, conçue par Klaus Lackner,géophysicien et professeur à l’universitéde Columbia (États-Unis). Encore austade de prototype, cet épurateur deCO2 devrait filtrer l’air à la manière d’unarbre naturel, mais avec une capacitébien plus importante. « Un épurateur deCO2 de la même taille qu’un moulin àvent peut retirer de l’air beaucoup plusde CO2 qu’un moulin ne peut éviterd’en produire », explique l’inventeur dela méthode.

L’idée lui a été inspiré par sa fille :« C’était en 1998. Clare avait travaillé àun projet qui lui a permis de démontrerqu’on pouvait retirer le dioxyde decarbone de l’atmosphère ». En effet, aucours d’une nuit, elle a réussi àrécupérer la moitié du CO2 contenudans l’air.

En prolongeant cette expérience,Klaus Lackner a construit un« aspirateur » qui, placé dans des zonesde vent, absorbe l’air chargé en CO2 etle filtre, avant de le relâcher purifié. Lasoude caustique est la clé du succès decette méthode. C’est à son contact quele dioxyde de carbone se transforme ensolution liquide de bicarbonate desodium. Ce liquide est ensuitecomprimé jusqu’à se transformer en gaztrès concentré pouvant être stocké dansla roche poreuse des fonds marins. Sadensité étant plus importante que cellede l’eau, le gaz ne peut pas s’enéchapper et y demeure séquestrédurant des millions d’années.

Selon le professeur Lackner, ilfaudrait, dans un premier temps,« commencer par retirer une certainequantité de CO2 de l’air. Si le procédés’avère économiquement rentable, ilpourrait contrebalancer les émissions deCO2 provenant des voitures et desavions. Par la suite, si l’on démontre quela méthode, combinée à d’autrestechnologies semblables, réussit àarrêter l’augmentation des taux de CO2dans l’atmosphère, on pourra se lancerdans la capture de l’air en quantités plusimportantes et commencer à réduire leniveau de CO2 ».

Les arbres synthétiques apportentune pièce au puzzle des négociationsinternationales concernant les émissionsde dioxyde de carbone, car ils rendentpossible la collecte de CO2 pour lecompte d’un autre pays. « La capture del’air est capable de séparer les sources depollution des puits de carbone », affirmeKlaus Lackner. « Elle nous permetégalement d’imaginer un monde danslequel toutes les émissions de CO2seront traitées. Sans oublier les voitureset les avions », insiste-t-il.

À l’heure actuelle, cette technologieest chère « comme l’aurait été unevoiture faite à la main », pour reprendrel’expression Klaus Lackner, qui semontre optimiste quant aux possibilitésde réduire les coûts. Néanmoins, lesarbres artificiels ne sont pas unesolution miracle. Comme le reconnaît lescientifique, « l’étape de la compressionest celle qui consomme les plus grandesquantités d’énergie : 20 % du volume deCO2 qu’un arbre synthétique peutcapturer sont relâchés dans l’air par laproduction de l’électricité nécessaire àce processus ».

La technologie de Klaus Lackner faitpartie des solutions de longue haleine.« Elle exige du temps et un engagementcertain », affirme-t-il, préconisant lerecours aux énergies alternatives :« Ce n’est pas parce qu’un épurateur deCO2 existe que nous devons continuer àpolluer ». �

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 3 3

J Observation d’un développement du phyto -

plancton au large des côtes du golfe d'Alaska (océan

Pacifique) induit par un approvisionnement en fer au

cours de l’été 2002. Image satellite du programme

Ocean Color. Le bleu dénote les bas niveaux de

phytoplancton et les couleurs de plus en plus chaudes,

du vert au rouge, indiquent des quantités croissantes.

© Reproduit avec l’aimable autorisation de Jim

Gower (IOS, Canada)/NASA/Orbimage

L La capacité d’absorption de CO2 des végétaux a

servi de modèle aux arbres synthétiques de Klaus

Lackner.

© UNESCO/Linda Shen

haut degré de similitude entre la couchesupérieure de brume de Vénus et lacouche de sulfate dans la stratosphèreterrestre (couche de Junge) qui constitueun régulateur important du climat de laTerre et de l’abondance de l’ozone, [nos]expériences et modélisations peuvents’avérer pertinentes pour la chimie desaérosols stratosphériques et sesapplications de la géo-ingénierie duclimat de la Terre ».

Nous sommes encore au stade deshypothèses. Le SO2 est un gaz qui, àconcentration élevée, peut provoquerdes maladies pulmonaires et cardio-vasculaires, endommager la végétation,entraîner l’acidification des eaux et lacorrosion des métaux, etc. Lesscientifiques s’accordent à reconnaîtrequ’il reste un long chemin à parcouriravant de songer à appliquer pareil« écran solaire » sur la Terre. �

Vénus à la rescousseJasmina Šopova

Vénus nous livre-t-elle une clé pour luttercontre le réchauffement climatique ?Dans un communiqué du 5 novembre2010, le Centre national de la recherchescientifique en France (CNRS) annonçaitqu’une équipe internationale dechercheurs venait de localiser unecouche de dioxyde de soufre (SO2) dansla haute atmosphère de Vénus. « Le SO2les intéresse particulièrement », expliquele communiqué, « car ce gaz pourraitservir à refroidir la Terre, selon unprocessus de geo-engineering proposépar Paul Crutzen, prix Nobel de chimie[1995] ».

En effet, il y a cinq ans, le célèbrechimiste hollandais avait préconisé unesolution d’urgence, en cas deréchauffement accéléré du climat,consistant à déployer dans lastratosphère un million de tonnes desoufre qui, au terme d’un processus

chimique naturel, se transformerait endioxyde de soufre, puis en particules desulfate. En réfléchissant les rayons dusoleil, ces dernières permettraient deréduire la température moyenne de laTerre. Cette idée lui avait été inspirée parles recherches, dans les années 1970, duclimatologue russe Mikhaïl Budyko, ainsique par le volcan Pinatubo (Philippines)qui avait craché 10 millions de tonnes desoufre, en 1991, provoquant l’annéesuivante une baisse de la températuremoyenne du globe d’un demi degré.

Xi Zhang, qui a conduit lessimulations informatiques ayantconfirmé la présence de SO2 dans lahaute atmosphère de Vénus, affirme queles applications de cette découverte dansla manipulation du climat ne relèvent pasde son domaine de compétences.Néanmoins, l’article que ce chercheur del’Institut californien de technologie signeavec son équipe dans Nature Geoscience,le 31 octobre 2010, n’écarte pas cettepossibilité. Il conclut : « Étant donné le

K Vue d’une face de Vénus prise par la sonde Magellan.

© NASA/avec l'aimable autorisation de nasaimages.org

3 4 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 3 5

Le 4 octobre 2010, une catastrophe frappe laHongrie. Dans l’usine d’aluminium exploitée parl’entreprise MAL, près de la ville de Kolontár, à160 kilomètres de Budapest, les murs d’unréservoir cèdent. Un torrent de boue rougetoxique, de deux mètres de haut, se déverse ensubmergeant des maisons et leurs habitants.Neuf personnes meurent, 150 sont blessées.Plusieurs centaines de milliers de tonnes de bouetoxique contaminent 40 kilomètres carrés deterre. Cette boue est un déchet issu du processusde production d’aluminium. Elle est dangereuseparce qu’elle contient de l’hydroxyde de sodiumhautement caustique et des métaux lourdstoxiques, comme le mercure, l’arsenic et lechrome.

Au cours des dernières décennies, desaccidents chimiques ont à maintes reprises été lacause de scènes d’horreur et de désarroi – et lesimages apocalyptiques qui en ont été tirées onteu un effet négatif durable sur l’industriechimique. En 1976, un gaz de dioxine s’échapped’une usine appartenant à l’entreprise Icmesa,filiale de la société Hoffmann-La Roche, à Seveso,ville du nord de l’Italie, près de Milan. Le nuagede gaz, plusieurs milliers de fois plus toxique quedu cyanure de potassium, sème la mort et ladestruction sur son passage : les plantesdépérissent, les arbres perdent leurs feuilles, desmilliers d’animaux meurent. Les images d’enfantsdéfigurés et de travailleurs portant des masquesà gaz et des habits blancs de protection font le

L’industrie chimique est l’une des plus importantes dans le monde. Sa

production mondiale annuelle vaut un époustouflant 3 600 milliards de

dollars américains. Pendant des décennies, elle ne s’est pas préoccupée

de développement durable et de protection de l’environnement. Mais

après des catastrophes majeures, comme Bhopal et Seveso, les

attitudes ont commencé à changer. À la place de la chimie noire, la

chimie verte a maintenant le vent en poupe partout dans le monde.

Jens Lubbadehcorrespondant

allemand du Courrier

de l’UNESCO et

journaliste au

Greenpeace Magazine

L Éviter de créer des déchets,

baisser la consommation

d’énergie, améliorer l’efficacité

de la production, explorer les

ressources renouvelables, tels

sont les principes fondamen -

taux de la chimie verte, née à

la fin des années 1980.

©123rf.com/Michal Rozewski

tour du monde. Huit ans plus tard, un accidentencore plus horrible se produit en Inde. Quarantetonnes d’un gaz d’isocyanate de méthyle,hautement toxique, s’échappent d’une usineappartenant au géant de l’industrie chimiqueaméricaine Union Carbide (maintenant une filialede Dow Chemical) dans la ville de Bhopal, aucentre de l’Inde. Plusieurs milliers de personnessont tuées ; jusqu’à un demi million souffrentencore aujourd’hui des séquelles de lacatastrophe. Bhopal est considéré à ce jourcomme l’accident chimique le plus grave s’étantjamais produit. Deux ans plus tard, l’Europe est denouveau la victime d’un accident, lorsque près deBâle un entrepôt appartenant au géant del’industrie chimique Sandoz (maintenant Novartis)part en fumée. Des pesticides toxiques sedéversent dans le Rhin, dont l’eau devient rougesur des centaines de kilomètres ; et des masses depoissons morts dérivent le long du fleuve.

Le pollueur numéro un

Kolontár, Bhopal, Seveso, Bâle. Les raisons de cescatastrophes sont presque toujours les mêmes :imprudence, négligence, erreur humaine. Etpresque toujours les entreprises essayent dedissimuler et de minimiser les causes etconséquences des accidents. Les résultats, euxaussi, se ressemblent : campagne dévastée,végétation détruite, animaux morts, et au milieude tout cela des travailleurs ressemblant à desextraterrestres dans leur tenue de protection. Lapopulation s’inquiète de plus en plus au sujet decette mort invisible qui menace non seulement

avec les radiations, mais aussi avec les produitschimiques. C’est ce qui a provoqué la naissancedu mouvement écologique dans les années 1970et 1980. De plus en plus souvent, les pratiquesdes industries chimiques, comme ledéversement des déchets toxiques dans lanature ou leur envoi dans des pays pauvres, sontrendues publiques. Dans les yeux d’unepopulation de plus en plus sensibilisée àl’écologie, l’industrie chimique est devenue lepollueur numéro un. Le mot « chimique » estdevenu synonyme de toxique. Aujourd’hui, lesmarchandises utilisent le label « sans produitchimique » comme un argument de vente. Enjuste quelques décennies, un changementdramatique d’image s’est produit. Dans lesannées 1950, le nylon, le plastique et la lessive« Persil » étaient vus comme des signes duprogrès ; dans les années 1970 et 1980, l’imagede l’industrie chimique était devenue aussi noireque ses origines.

Le mot kemi en égyptien ancien faisait àl’origine référence à la terre noire de la vallée duNil, mais aussi au khol [voir p. 15]. En arabe, kemiest devenu al-kimiya, ou alchimie [voir p. 13]. Cepasse-temps obscure et occulte est devenu unevéritable science au 18e siècle et, à partir du 19e,une des industries les plus importantes aumonde. C’est à ce stade que les actuels acteursmondiaux de l’industrie sont nés : BASF, Bayer,DuPont et La Roche. Que ce soit le plastique, lesengrais, les détergents ou la médecine, l’industriechimique fabrique plus de 70 000 produitsdifférents. Sa production mondiale annuelle vaut

3 6 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

L En mars 2010, une centaine

de tonnes de poissons morts a

envahi la lagune Rodrigo de

Freitas, à Rio de Janeiro, au

Brésil. Parmi les raisons

évoquées : le déversement des

eaux usées, transportant des

déchets toxiques de

provenance domestique et

industrielle. La prolifération

d’une algue due à l’excès de

nitrate et de phosphore aurait

causé la mort des poissons par

asphyxie.

© M.Flores – UNEP/Specialist

Stock

Dans les années

1950, le nylon, le

plastique et la

lessive « Persil »

étaient vus

comme des signes

du progrès ; dans

les années 1970 et

1980, l’image de

l’industrie

chimique était

devenue aussi

noire que ses

origines.

un époustouflant 3 600 milliards de dollarsaméricains, selon le Conseil américain de chimie(ACC). Elle a considérablement changé etamélioré nos conditions de vie. Sans elle, lacivilisation moderne serait impensable.

Mais après un siècle de réussites, l’industriechimique, gonflée par une production de massemécanisée, a causé un nombre croissant deproblèmes écologiques. Ses besoins en matièrespremières et en énergie sont considérables ; laplupart des solvants et des catalyseurs sonttoxiques ; les méthodes d’élimination desdéchets sont compliquées et coûteuses ; dessubstances toxiques et cancérigènes sontrelâchées dans l’air et dans l’eau. Selon leProgramme des Nations unies pourl’environnement (PNUE), l’Europe de l’Ouest aproduit un total de 42 millions de tonnes dedéchets toxiques dans la seule année 2000, dontcinq millions ont été exportés en 2001.

Chimie verte

L’élimination inconsidérée des déchets toxiquesfut pendant longtemps tolérée ou dissimuléepar les politiciens ; l’industrie chimique était tropimportante pour l’économie. Mais, à la suite deBhopal et Seveso, les décideurs politiques sesont vu obligés de réagir : au cours des années1980 et 1990, les entreprises chimiques ont dûsatisfaire des exigences environnementales deplus en plus strictes. Aux États-Unis, parexemple, l’Agence pour la protection del’environnement (EPA) a adopté en 1990 lePollution Prevention Act qui marque une rupture

dans la politique environnementale. Lesprocédés de fabrication et les produits devaientêtre rendus durables, la pollution devait êtreévitée – la chimie noire commençait toutdoucement à devenir verte. « Lorsquel’expression chimie verte est née en 1991, on acompris qu’un cadre commun serait souhaitablepour ceux qui désiraient transformer sesprincipes en réalisations pratiques », dit PaulAnastas, considéré comme le « père de la chimieverte ». Directeur du Centre pour la chimie verteà l’Université de Yale, il travaille aussi pour l’EPA.En 1988, il a publié les Douze principes de lachimie verte (Twelve Principles of Green Chemistry)avec son collègue Jack Warner. Le premier de cesprincipes stipule qu’« il est préférable d’éviter decréer des déchets que d’avoir à les traiter ou àles éliminer a posteriori ». Un autre principe estqu’il faut trouver des produits inoffensifs pourremplacer les produits chimiques (et lessolvants) toxiques. Le dernier jalon sur le cheminmenant à la chimie verte a été la directive del’Union européenne REACH (Registration,Evaluation, Authorisation and Restriction ofChemicals), en 2006. Désormais, ce n’est plus auxautorités de démontrer aux fabricants que lessubstances qu’ils utilisent sont potentiellementdangereuses. Les rôles sont inversés. Grâce àREACH, quelque 40 000 produits chimiquesdoivent maintenant être testés.

D’autres objectifs de la chimie verte sont debaisser la consommation d’énergie, d’améliorerl’efficacité des processus de production et de setourner vers des ressources renouvelables. Après

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 3 7

L Scène de la catastrophe

écologique qui s’est produite

en Hongrie, en octobre 2010,

tuant neuf personnes. La boue

rouge toxique est un déchet

issu du processus de

production d’aluminium.

© Waltraud Holzfeind/

Greenpeace

tout, l’industrie chimique, elle aussi, dépend dupétrole, puisqu’elle consomme 10 % de laproduction mondiale de pétrole dans laréalisation de 80 à 90 % de ses produits. Etl’industrie chimique a de grands besoinsénergétiques : en 2008, par exemple, elle aconsommé en Allemagne quelque 12,5 % de latotalité de la demande nationale d’énergie.Depuis les années 1990, l’industrie se convertitau développement durable – améliorant dumême coup son image. BASF, qui, avec desventes annuelles de 50 milliards d’euros et plusde 100 000 employés, est la plus grande sociétéchimique au monde, mais aussi d’autres géantsdu secteur, comme DuPont et Dow Chemical, ouencore Bayer, tous veulent devenir plus vert.« À BASF, nous organisons toutes nos activitéssuivant le principe directeur du développementdurable », dit le PDG de BASF, Jürgen Hambrecht.Et il ajoute : « Nous sommes en train dedévelopper des produits qui aident nos clients àéconomiser l’énergie et les ressources naturelles,tout en améliorant leur qualité de vie ». Ce sontessentiellement des matériaux isolants quipermettent aux propriétaires de maison debaisser les coûts du chauffage et de réduire lesémissions de carbone.

BASF publie ses émissions de carbone, passeulement pour ses propres installations deproduction, mais également pour tout le cyclede vie de ses produits – ce qui va de l’extractiondes matières premières jusqu’au traitement desdéchets. Le site web de l’entreprise révèle ainsique la fabrication des produits BASF a généré en2010 une émission de quelque 90 millions detonnes de CO2 dans l’atmosphère – ce quicorrespond à 10 % des émissions totales de CO2en Allemagne. D’ici l’année 2020, BASF veutréduire les émissions de gaz à effet de serre, liéesà son activité de production, de 25 % (parrapport à 2002). Mais comme le processus deproduction n’est responsable que d’une partiedu volume total des émissions, cet objectif deréduction ne représente que 7,5 % des émissionstotales de BASF.

Néanmoins, Jürgen Hambrecht souligne queles produits de BASF eux-mêmes réduisent lesémissions de carbone – ce qui représente autotal 287 millions de tonnes de CO2 par an, soittrois fois ce qui est émis durant leur fabrication,comme l’annonce fièrement le site web del’entreprise. BASF a aussi promis d’appliquer ladirective REACH d’ici à 2015, et de réduire d’ici à2020 de 70 % la quantité de composésorganiques, de composés d’azote et de métauxlourds relâchés dans l’air et dans l’eau. Sur sonsite Web, BASF prétend avoir déjà atteint cesobjectifs. Et l’entreprise est à l’affût de ressourcesrenouvelables : par exemple l’huile de ricinnaturelle pour la fabrication de matelas, leplastique biodégradable Ecovio, qui est en

grande partie constitué d’acide polylactiqueprovenant du maïs, etc.

La chimie verte ne se développe pasuniquement en Occident. « Depuis peu, il y a unintérêt croissant pour la chimie verte dans lespays en voie de développement », dit PaulAnastas, qui a participé récemment au Premiercongrès panafricain de chimie verte, qui s’esttenu en Éthiopie en novembre dernier [voirencadré]. Selon lui « dans des pays émergents,comme l’Inde et la Chine, la chimie verte a étémise en œuvre dans le monde universitaire, dansles institutions de recherche et dans l’industriesans doute plus rapidement que n’importe oùailleurs dans le monde ». Il semble que ces paysn’ont pas l’intention de commettre les mêmeserreurs que l’Occident. �

3 8 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

LA CHIMIE :

un dénominateur commun en Afrique

Le Premier congrès panafricain de chimie vertes’est tenu du 15 au 17 novembre 2010 à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne. Il fait partied’une longue série de séminaires, conférenceset ateliers à l’échelle du continent, réunissantdes experts africains et internationaux sur desthèmes aussi variés que la biodiversité, ledéveloppement durable, l’enseignement oul’eau, ayant pour dénominateur commun : lachimie.

Ce congrès a été organisé par le Réseaupanafricain pour la chimie (PACN), lancé ennovembre 2007, à l’initiative de la Royal Societyof Chemistry (RSC) et de Syngeta, société suissespécialisée dans la chimie et l’agroalimentaire.Un an plus tôt, la RSC avait lancé l’initiativeArchive for Africa, qui donne à un grand nombred’universités africaines un accès gratuit auxpériodiques spécialisés en chimie.

Le PACN est appelé à faciliter lacommunication entre les chimistes africains et àfavoriser ainsi l’innovation et le développementscientifique à travers le continent. Il travaille enpartenariat avec la Fédération des sociétésafricaines de chimie (FASC), fondée en 2006avec le soutien de l’UNESCO. Trois centres duréseau ont été mis en place à ce jour : au Kenya,en Éthiopie et en Afrique du Sud. D’autrescentres devraient naître au Nigeria et en Égypte.

En octroyant des bourses ou en participantaux frais de déplacement, le réseau facilite lamobilité des chimistes africains, leur permettantd’approfondir leur recherche à l’étranger ou departiciper à des congrès internationaux. Ses domaines de prédilection : sécuritéalimentaire, biodiversité et prévention desmaladies. – J. Š.

www.rsc.org/Membership/Networking/InternationalActivities/PanAfrica/

Depuis les années

1990, l’industrie

chimique se

convertit au

développement

durable –

améliorant du

même coup son

image.

J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 3 9

Lettre à unjeune chimisteLe prix Nobel de chimie 2010 a été décerné à

l’Américain Richard Heck et aux Japonais Ei-ichi

Negishi et Akira Suzuki pour leurs travaux sur la

synthèse organique, qui ont permis d’inventer l’un

des outils les plus sophistiqués de la chimie, le

« couplage croisé ». L’une des pierres angulaires de

cet immense édifice scientifique est le « couplage

Suzuki », du nom du lauréat que nous avons

interviewé. Dans cet entretien Akira Suzuki parle de

ses recherches en s’adressant avant tout aux jeunes,

qui ont tendance à déserter les champs scientifiques.

Il les encourage à se tourner vers la chimie, pour en

faire une science nouvelle.

AKIRA SUZUKI répond aux questions de NoriyukiYoshida, journaliste au Yomiuri Shimbun, Tokyo

À quoi peut servir le couplage croisé ?

Je vais vous donner un exemple que vous allezcomprendre tout de suite. Après l’annonce duprix Nobel, j’ai eu une telle demanded’interviews que ma tension artérielle asensiblement augmenté ! Mon médecin m’aprescrit un hypotenseur et le pharmacien m’aexpliqué que ce médicament avait étésynthétisé par « couplage Suzuki ». Le procédéest également utilisé pour la fabrication decertains antibiotiques, ainsi que demédicaments de traitement du cancer et dusida.

Dans le domaine des systèmesinformatiques et de communication, on se sertde ce procédé pour la synthèse des cristauxliquides nécessaires aux écrans de télévisionsou d’ordinateurs, ou aux afficheurs àélectroluminescence organique fréquemmentprésents dans les petits appareils comme lestéléphones portables, par exemple.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour

mettre au point cette méthode ?

La découverte de la réaction de couplage n’apris que deux ou trois ans, à la fin des années1970. Mais j’ai travaillé sur la chimie du bore,métalloïde se rapprochant du carbone, depuis1965, date de mon retour des États-Unis, aprèsmes études à l’Université de Purdue. C’est doncle résultat de plus de 10 ans de recherches.

Quelle a été la réaction de votre entourage,

lorsque vous avez commencé à travailler

dans ce domaine ?

Dans l’ensemble, on considérait que les chancesde succès étaient nulles. C’est aussi pour celaqu’il y avait très peu de chercheurs dans cedomaine, à l’échelle mondiale. Mais moi, je suisde nature optimiste et j’ai pensé que lesinconvénients pourraient devenir desavantages. Je me suis dit qu’en surmontant lesdifficultés, il serait possible de mettre au pointun procédé de synthèse stable et facile à utiliser.

Akira Suzuki, à Tokyo, en

novembre 2010.

© Yomiuri Shimbun

On dit souvent que la chance joue un grand rôle

dans la recherche. Qu’en pensez-vous ?

Quand on commence une recherche, il ne faut pascompter sur le hasard. Elle doit être avant toutrationnelle. Il est important de bien analyser lessuccès et les échecs des expériences et d’en tenircompte dans la phase suivante. C’est ensuite que lachance peut intervenir. Tout le monde peut avoir dela chance. Mais pour la faire venir, il faut êtreattentif, faire des efforts et rester modeste devanttoute chose.

Enfant, étiez-vous passionné par la science ?

Je suis né dans la petite ville de Mukawa, au sud deSapporo (Hokkaïdo). Cette ville s’appelleaujourd’hui Shishamo. Du temps de l’écoleprimaire, j’étais un enfant tout à fait comme lesautres – j’aimais aller pêcher avec les copains oujouer au baseball. À l’époque, les juku [écolesprivées proposant des cours le soir] n’existaient pas.Les enfants étaient libres et pleins d’entrain. Jen’étais pas spécialement intéressé par la science,mais au collège, j’aimais bien les mathématiques.Avec le recul, je pense que j’aimais bien les chosesclaires.

Qu’est-ce qui vous a fait choisir la chimie à

l’université ?

Je suis entré à l’Université de Hokkaïdo pour yétudier les mathématiques. Mais à un cours dechimie, je suis tombé sur un manuel que j’ai lu etqui m’a fait grand effet. L’auteur était un professeurde chimie organique de l’Université de Harvard. J’aieu un mal fou à le lire en anglais, mais je l’ai trouvétrès intéressant. Et, j’ai fini par oublier lesmathématiques.

Au cours de mes études de chimie, j’ai été trèsinfluencé par le professeur Harusada Sugino, qui

m’a appris pourquoi la chimie était importante et àquoi elle servait. Il faut dire que le professeurSugino ne s’intéressait pas seulement à la chimie. Ilétait recteur de l’Université de Hokkaïdo, mais aussiprésident de la Commission nationale du Japonpour l’UNESCO !

Entre 1963 et 1965, vous avez étudié aux États-

Unis. À l’Université de Purdue, vous avez suivi

les cours de Herbert Charles Brown, prix Nobel

de chimie 1979, dont Ei-ichi Negishi a

également été l’élève.

Lorsque j’avais la trentaine, j’étais professeurassistant à l’Université de Hokkaïdo, et il fallait metrouver un domaine de recherche. Je suis entrédans une librairie de Sapporo et j’ai regardé leslivres qui parlaient de chimie. Mon regard esttombé sur un ouvrage avec une couverture noire etrouge – on aurait dit un livre de littérature – et je l’aipris dans mes mains. C’était un livre du professeurBrown. Il était si intéressant que j’ai passé des nuitsentières à le lire. J’ai écrit une lettre au professeur enlui disant que je voulais étudier avec lui et c’est ainsique je suis parti aux États-Unis.

Aux États-Unis, j’étais un post-doc, mais monsalaire était quatre fois supérieur à celui d’unprofesseur assistant au Japon. Et puis la viande etl’essence étaient très bon marché... J’ai vraimentressenti la différence entre les deux pays. Il y avaitde nombreux chercheurs étrangers et j’ai pu mefaire beaucoup d’amis. Ces échanges que j’ai eusavec eux m’ont donné accès à des mondes que jene connaissais pas. Lorsqu’on est entre Japonais, onpeut se comprendre sans se parler, mais j’ai apprisque, lorsqu’on est plongé dans une autre culture, ilfaut parler beaucoup pour pouvoir se comprendre.J’ai aussi appris l’anglais. Je recommande auxjeunes d’aller à l’étranger, sans hésiter. On yapprend beaucoup de choses, et pas seulement surle plan professionnel et dans sa spécialité.

4 0 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

L Les découvertes d’Akira

Suzuki permettent d’optimiser

la lumière bleue dans les

diodes électroluminescentes

organiques présentes dans les

écrans plats. Ici, un écran

produit par Sharp.

© Yomiuri Shimbun

« Je ne puis que

formuler une fois

de plus le vœu que

vous trouviez

assez de patience

en vous-même

pour supporter, et

assez de simplicité

pour croire. »

– Lettres à un jeune

poète, Rainer Maria Rilke

Qu’avez-vous appris du professeur Brown en

dehors de vos recherches ?

Le professeur Brown disait souvent : « Faites untravail qui soit digne d’un cours ». Cela voulait direquelque chose de nouveau, qui puisse être publiédans un cours. Et qui puisse être utile, aussi. Ce n’estpas facile. Mais j’ai fini, moi aussi, par dire à mesétudiants de ne pas « nettoyer la boîte à repas avecun cure-dents », expression japonaise qui signifie :ne pas s’attacher aux détails inutiles. Je leur dis, aucontraire, de la remplir avec leurs propres produits.

Existe-t-il une méthode de travail qui garantit le

succès ?

Même si elle existait, on ne pourrait pas demanderà quelqu’un de l’adopter. Chacun a ses qualités ettout ce qu’il peut faire, c’est de les mettre à profit.Dans mon cas, je crois que c’était l’optimisme.Lorsque les expériences ne marchaient pas bien,j’allais boire un coup et me détendre avec lesétudiants et, le lendemain, je pouvais reprendremes expériences avec un esprit neuf.

D’après vous, que faut-il faire pour accroître

l’intérêt des nouvelles générations pour la

chimie ?

Les jeunes s’éloignent de la science et c’est un graveproblème. Ce phénomène est particulièrement netau Japon. La seule chose qu’on puisse faire dans unpays dépourvu de ressources naturelles comme lenôtre, c’est de créer de nouvelles choses à forced’ingéniosité.

C’est aux jeunes et à eux seuls qu’il revient detrouver leur espoir et leur idéal dans la science. Maisje souhaite apporter mon soutien en tantqu’« ancien ». Grâce à ce prix Nobel, le mot« couplage croisé » commence à être connu mêmedes enfants. La diffusion et la vulgarisation de lascience sont pour moi une grande source demotivation.

D’après vous, quels liens aurons-nous avec la

chimie dans le futur ?

La chimie n’a pas beaucoup la cote en ce moment.Elle est identifiée aux mauvaises odeurs, à la saleté,elle peut inspirer de l’aversion. Il en était déjà ainsilorsque nous étions jeunes, mais à cette époque, lapétrochimie était en plein essor et de nombreuxétudiants avaient choisi cette voie.

Aujourd’hui, certains voient la chimieexclusivement comme une industrie polluante,mais c’est une erreur. Sans elle, la productivitébaisserait et nous ne pourrions pas avoir la vie quenous connaissons aujourd’hui. S’il y a pollution,c’est parce qu’on rejette à l’extérieur des produitsnocifs. Il faut, bien entendu, adapter les traitementset la gestion, travailler au développement de

substances chimiques et de procédés de synthèsequi respectent l’environnement.

La chimie est indispensable au développementdu Japon, comme à celui du monde. Je souhaiteque les jeunes étudient la chimie, avec l’idée decréer une nouvelle science. De nombreusesdécouvertes et de nombreux développements onteu lieu jusqu’à présent, et un nombre incalculablede substances ont été fabriquées. La chimie resteratoujours aussi importante dans les années à venir.

Dans quels domaines les développements de la

chimie organique seront-ils nécessaires à

l’avenir ?

Comme le dit aussi le professeur Negishi, je pensequ’il faudra s’orienter vers l’industrialisation de laphotochimie, basée sur le dioxyde de carbonecomme l’est la photosynthèse des plantes. Lerendement énergétique obtenu dans ce secteur estencore faible. La nature produit des composésorganiques complexes à partir du dioxyde decarbone, en utilisant la lumière solaire commesource d’énergie. En plus, ces réactions seproduisent dans le domaine de température oùnous vivons, dans un environnement où l’eauexiste. J’espère que nous parviendrons à éluciderces mécanismes et à les appliquer.

2011 a été proclamée Année internationale de la

chimie. Avez-vous un message à adresser à cette

occasion aux lecteurs du Courrier de l’UNESCOqui vivent aux quatre coins du monde ?

La chimie joue un rôle très important dans notrevie. La plupart des spécialités et des technologieschimiques sont destinées à la fabrication deproduits qui visent le bien-être de l’humanité. Lenombre de substances fabriquées dans le mondeest considérable et personne ne le connaîtexactement, mais la quasi-totalité de cessubstances sont des composés organiques. C’estpourquoi la chimie organique est une des branchesles plus importantes de cette science qui méritequ’un nombre croissant de personnes s’yintéressent et contribuent à son développement. �

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 4 1

L L’affichage électro -

luminescent organique

(OLED) constitue l’une des

nombreuses applications

du « couplage Suzuki ».

© Yomiuri Shimbun

Je recommande

aux jeunes d’aller

à l’étranger, sans

hésiter.

On y apprend

beaucoup de

choses, et pas

seulement sur le

plan professionnel

et dans sa

spécialité.

Vive le recyclage !Mon nom est Ana Alejandra Apaseo Alaniz. J’ai19 ans et je suis étudiante à l’Université deGuanajuato à Mexico. Je dois dire que j’ai voulufaire une licence de chimie pour comprendre unpeu mieux le monde qui m’entoure. Ce qui meplaît, c’est que la chimie peut s’appliquer à tousles domaines. Quand j’étais petite, j’adorais fairebouillir des plantes et voir quel goût ellesavaient... je me suis démoli l’estomac plus d’unefois ! Mais c’est ça qui m’amusait : chercher.

Je m’intéresse surtout à la chimie organiqueet à ses applications. Un projet que j’aimeraisbeaucoup réaliser pendant l’Annéeinternationale de la chimie, c’est ledéveloppement d’un procédé qui nouspermettrait de recycler les produits fabriquésavec du polystyrène.

Côté professionnel, je compte lancer unprojet axé sur la création de composésorganiques d’usage courant dans leslaboratoires et l’industrie chimique, à partir dematériaux recyclés. Ana Alejandra Apaseo Alaniz (Mexique)

J’ai choisi lachimie sanshésitationJe m’appelle SomnathDas, j’ai 21 ans. Je suis enmaster 2 de sciences àl’Institut indien detechnologie de Kanpur,dans l’Uttar Pradesh.

Après l’examen de fin d’études secondaires,à l’entrée à l’université, on nous a demandé dechoisir notre spécialité entre trois matières pourla licence : physique, chimie, maths. J’ai choisisans hésitation la chimie. Je me demandaiscomment on pouvait manipuler les molécules,alors qu’elles sont invisibles à l’œil nu. Je voulaisconnaître leur comportement, leurs réactions...J’ai donc choisi la chimie pour mieux connaîtrele monde moléculaire.

Tout me plaît dans la chimie, sauf quand il n’ya pas d’explication théorique à une réaction. Parexemple, dans la plupart des réactions utilisantdes environnements chiraux, un des deuxénantiomères est prépondérant. La plupart dutemps, on n’arrive pas à expliquer cettesélectivité, sauf dans quelques rares cas où ondispose d’un modèle. Parmi trois grandesdisciplines, c’est de loin la chimie organique queje préfère, et c’est dans ce domaine que jevoudrais faire de la recherche. Somnath Das (Inde)

4 2 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

Chimistes en herbeautour du globeÀ l’occasion de l’Année internationale de la chimie

(AIC 2011), Le Courrier de l’UNESCO s’est intéressé aux

jeunes qui ont décidé de faire des études de chimie.

Nous avons lancé une enquête auprès des étudiants

inscrits dans le réseau de l’AIC 2011. Pour la grande

majorité d’entre eux, la chimie est bien plus qu’une

vocation professionnelle : elle est une passion.

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La sagessede lavigilanceJe suis née en 1981à Chiraz, la capitaleculturelle de l’Iran. J’aigrandi dans une familleadorable et très unie.J’étais déjà curieuse àl’école élémentaire, j’ai donc choisi les sciencesexpérimentales au collège, et là, j’ai pudévelopper mon talent pour la chimie. J’ai ététrès triste d’apprendre qu’il n’existait pasvraiment de traitement pour le cancer, lesblessures causées par les armes chimiques etbeaucoup d’autres maladies graves. C’est ce quim’a poussée à choisir la chimie pour mes étudesuniversitaires. Je souhaiterais synthétiser denouvelles molécules. En 1999, j’ai été acceptéeen licence de chimie pure à l’Université de Yasuj.Là, j’ai compris que la chimie était partout dansnotre environnement. En 2006, j’ai entamé undoctorat de chimie des polymères à l’Universitéde Chiraz.

La chimie m’apporte la sagesse de lavigilance, qui imprègne tous les aspects de mavie. Ce que je trouve vraiment insupportable,c’est que les gouvernements et les gens engénéral se préoccupent si peu des effetssecondaires de la chimie industrielle : lapollution, le réchauffement de la Terre, lesmaladies, etc... Tout ça devrait être passé aucrible par les scientifiques.

En 2011, je vais prendre une annéesabbatique en Allemagne, à l’Université deDuisburg, et travailler sur un projet demembranes de synthèse, très employées, parexemple, pour l’élimination sélective desimpuretés dans différents milieux. Ce quej’espère, c’est qu’à la fin de mon doctorat, jepourrai travailler au sein d’une société de chimiesur des projets qui aident à lutter contre lapollution. Fatemeh Farjadian (Iran)

La chimieest la« sciencemère »Je m’appelle Kufre Ite.J’ai 28 ans. À la fin decette année, je doisterminer mon master dechimie analytique à l’Université d’Uyo. Aucollège, nous avions un cours d’« introductionaux technologies », c’est ce qui a attisé ma

curiosité pour les sciences. Par la suite, je me suisorienté vers la chimie parce que les principes decette science sont à la base de toutes les sciencesnaturelles et appliquées. Elle est « la sciencemère ». La chimie est attentive à la nature, ellerecrée la nature. J’ai été très inspiré par cettedevise de la Société nigériane de chimie : « Y a-t-il quoi que ce soit autour de nous qui ne soit pasde la chimie ? ». Parce que tout le monde profiteau quotidien de ses applications pratiques, àcommencer par le savon dont nous nous servonspour nous laver et laver nos vêtements. J’aimeaussi beaucoup la méticulosité et la précision deschimistes.

Pour l’AIC 2011, j’ai choisi comme sujet « leschimistes dans la société modernisée ». Jevoudrais sensibiliser des entreprises locales etmoyennes sur les problèmes de sécurité autravail et de manipulation, de stockage et detransport des produits chimiques et des réactifs.Cela permettra au public de mieux comprendrele rôle de la chimie dans les secteurs public etprivé de notre économie. Kufre Ite (Nigéria)

N’oublionspas leséprouvettes !J’ai 21 ans et je prépareun diplôme d’ingénieuren chimie appliquée à laFaculté de génie et detechnologie chimiquesde l’Université deZagreb, en Croatie. Chez moi, c’est clair quel’étude de la chimie découle de mon histoired’amour avec la nature depuis que je suis toutpetit. J’aime le caractère pluridisciplinaire de mescours, mais beaucoup moins l’énorme influencedes ordinateurs, qui nous éloigne de l’approcheexpérimentale traditionnelle. Bien sûr, je suisconscient qu’ils ont aussi de nombreuxavantages. Quand j’aurai mon diplôme, j’espèrepoursuivre en doctorat, en Croatie ou àl’étranger, et me perfectionner dans lespolymères. Pour célébrer l’AIC, j’aimeraisvulgariser la chimie à travers des expériences à lafois simples et passionnantes qui expliquent lesphénomènes que nous avons autour de nous. Marko Viskic (Croatie)

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 4 3

« Tout le monde

peut avoir de la

chance. Mais

pour la faire venir,

il faut être attentif,

faire des efforts et

rester modeste

devant toute

chose…

C’est aux jeunes

et à eux seuls

qu’il revient

de trouver

leur espoir

et leur idéal

dans la science. »

– Akira Suzuki

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Aujourd’hui, le département de chimieemploie 27 universitaires et huittechniciens. Cette année, 1 121étudiants sont inscrits en licence, 81 enmaster et 45 en doctorat. Ledépartement se consacre à l’analyse et ladétection de traces de métaux lourds[voir page 21], à l’étude des biosenseurs,à la chimie des produits naturels, à lachimie verte, à l’électrochimie, à lachimie numérique et à bien d’autresdomaines de cette science complexe.

Sur une surface de quelque 2 800m2, les bâtiments du département sontéquipés de 25 laboratoires et de 13salles annexes. Les produits chimiques etle matériel sont stockés dans desespaces occupant plus de 700 m2

supplémentaires. Parmi les instrumentsles plus sophistiqués qui servent autantà la recherche qu’à la formation, citons

un spectromètre RMN 400 MHz, unchromatographe en phase liquide àhaute performance, un spectromètreinfrarouge à transformée de Fourier, unspectroscope ultraviolet-visible et unchromatographe en phase gazeusecouplé à un spectromètre de masse.

L’image globale du département estplutôt positive, mais il reste néanmoinsun bon nombre de défis à relever :mesures de sécurité inadéquates,nombre d’étudiants trop important,laboratoires inadaptés à la formation dupremier cycle, manque de personneladministratif, prix prohibitifs desproduits chimiques et des équipementsscientifiques. La plupart des travaux derecherche s’effectuent grâce aufinancement très limité que ledépartement reçoit de l’Université. Seulsquelques programmes sont financés par

des organismes étrangers : l’Agencesuédoise de coopération internationalepour le développement (SIDA/SAREC), leProgramme international pour lessciences chimiques (IPICS), lesPartenariats pour le développementdans l’enseignement supérieur (DelPHE)du British Council et la Fondationinternationale pour la science (IFS).

L’absence de centre d’analyse desdonnées dans nos locaux est une autresource de problèmes. Très souvent, noussommes obligés d’envoyer deséchantillons à l’étranger pour analyse, cequi génère des retards importants pourles étudiants dont les recherches doiventêtre réalisées en un temps limité. �

Shimalis Admassie est directeur du

département de chimie à l’Université

d’Addis-Abeba, en Éthiopie.

4 4 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

Étudierla chimieenÉthiopie

Depuis 1950 l’enseignement universitaire éthiopien s’efforce de répondre aux besoins du

pays en chimistes de haut niveau. En 17 ans, d’une simple unité du University College ofAddis-Abeba il est devenu un département à part entière de l’Université Hailé Sélassié Ier,

délivrant une licence de chimie. En 1978 le département a créé un programme de master en

science dans quatre domaines de la chimie : analytique, inorganique, organique et physique.

Enfin, un programme de doctorat a été mis sur pied en 1985.

© DRShimalis Admassie

Sciences sans frontièresLe Rapport sur la science 2010, lancé par l’UNESCO en novembre dernier, faitétat des nouvelles tendances de la recherche et de la coopération scientifiquesà l’échelle mondiale. Il met notamment en relief le développement accru departenariats, qui forgent des alliances non seulement dans le domainescientifique, mais aussi dans la sphère diplomatique. – p. 46

L’UNESCO et le CERN : une histoire d’atomes crochusL’idée de créer un Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire (CERN) à étéentérinée à la cinquième session de la Conférence générale de l’UNESCO, en1950. Depuis 60 ans, ces deux organisation d’efforcent de faciliter l’accès ausavoir scientifique et de promouvoir la coopération scientifique. Rencontre avecRolf-Dieter Heuer, Directeur général du CERN. – p. 48

Passeurs de cultures Depuis toujours, les cultures s’entremêlent et interagissent, donnant naissanceà de nouvelles cultures hybrides. Pourtant, elles ont aussi tendance à rejeter lescultures voisines. En s’appuyant sur le cas des cultures nord-américaine etarabo-musulmane, Stephen Humphreys met en relief le rôle de la littérature etdes arts comme moyens privilégiés de rapprochement. – p. 51

La seconde vie de Touki BoukiPromouvoir les films africains, soutenir les réalisateurs, sauvegarder le

patrimoine cinématographique de son continent – telles sont les objectifs duréalisateur malien Souleymane Cissé, un grand défenseur des languesnationales. Il a fondé en 1997 l’Union des créateurs et entrepreneurs du cinémaet de l’audiovisuel de l’Afrique de l’Ouest (UCECAO). – p. 53

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 4 5

Po

stscriptu

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K « Le Globe Symbolique »

d'Erik Reitzel (Danemark),

au siège de l'UNESCO.

© UNESCO/Michel

Ravassard

4 6 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

En 2012, les stations au sol d’Afrique duSud, des îles Canaries (Espagne),d’Égypte et du Gabon recevront lesdonnées transmises par le satellited’observation terrestre CBERS, mis surorbite par la Chine et le Brésil : ce serale troisième lancé par le partenariatsino-brésilien depuis 1999. Jusqu‘ici,l’accès aux images d’une Terre enévolution était réservé aux seulsusagers chinois et latino-américains,soit, depuis 2004, un bon million etdemi de personnes. Grâce à l’initiativeafricaine du CBERS, un nouveau

continent s’ajoute à la liste desbénéficiaires. Un satellite gravitantautour du globe ignorant les frontières, ilsemblait logique que les pays setrouvant sur sa trajectoire puissent enprofiter, grâce aux partenariats. Après laguerre des étoiles du siècle passé, voicila « diplomatie des étoiles ».

Cet exemple tiré du Rapport del’UNESCO sur la science 2010 illustre unetendance montante : celle de lacollaboration internationale dansl’application des technologiesspatiales à la gestion de

Sciences sans frontièresS’il est un domaine où la mondialisation semble faire du

bien, c’est celui de la recherche. Des partenariats se

développent partout, forgeant des alliances scientifiques,

voire diplomatiques, entre des pays souvent très éloignés

et disposant de potentiels inégaux. Travailler ensemble,

c’est mieux exploiter les compétences de chacun, gagner

du temps et économiser de l’argent. Quelques exemples du

Rapport de l’UNESCO sur la science 2010.

Par Susan Schneegans, rédactrice en chef du Rapport de l’UNESCO sur la science 2010

« De plus en plus, dans lesannées à venir, la diplomatieinternationale prendra la formed’une diplomatie scientifique ».Irina Bokova

Post-scriptum

K 5 juin 1999. Le satellite Student Tracked

Atmospheric Research Satellite for Heuristic

International Networking Experiment (STARSHINE)

quitte la soute de la navette spatiale Discovery au bout

de 10 jours de mission STS-96. Ce satellite, recouvert de

centaines de miroirs qui réfléchissent la lumière solaire,

a pour mission d‚aider les élèves à étudier les effets de

l'activité solaire sur l'atmosphère terrestre.

© NASA/courtesy of nasaimages.org

L Image prise par le satellite CBERS-2, le 10 avril 2005,

montrant Florianópolis, la capitale de l‚État de Santa

Catarina au sud du Brésil.

La version complètede cet article estpubliée dans la revuePlanète Science,Janvier-Mars, 2011.

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 4 7L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 4 7

l’environnement. Elle naît de l’inquiétudecroissante devant la dégradation del’environnement et le changementclimatique. En reconnaissant que la terre,l’eau et l’atmosphère ne font qu’un, on aenfin compris que le partage de donnéesentre pays et continents était crucial pourcomprendre et gérer la planète. La« diplomatie des étoiles » est doncmotivée, entre autres, par ce besoincommun.

Mais elle n’est qu’un sous-ensembled’un plus vaste phénomène : le nouvelessor de la diplomatie scientifique. Lesperspectives sont nombreuses : santé,technologies de l’information et de lacommunication, énergies propres... LeSoudan a ainsi inauguré en juin 2009 sapremière usine de biocarburants,construite en coopération avec la sociétébrésilienne Dedini. Un second projetsoudanais, fruit d’une collaboration avecl’Egypte pesant 150 millions de dollars,produit, selon le Rapport, « desbiocarburants de deuxième génération àpartir de cultures non alimentaires, dontdes déchets agricoles comme la paille deriz, les tiges et les feuilles de rebut ».

En 2003, le Pakistan et les États-Unisont signé un accord pour le « financementd’un fonds commun géré conjointementpar la National Academy of Science, auxÉtats-Unis, et la Commission del’enseignement supérieur, ainsi que leministère des Sciences et desTechnologies, au Pakistan », note TanveerNair, qui, en tant que présidente duConseil pakistanais des sciences et destechnologies, a joué un rôle clé dans lasignature de l’accord. « Chaque année,nous encourageons les projets decollaboration scientifique, à condition quefigurent au moins un Américain et unPakistanais parmi les principauxpostulants », explique-t-elle. « Un examencollégial dans les deux pays permet desélectionner les meilleurs. Cela a renforcéles capacités des laboratoirespakistanais », dit-elle, « et même dedécouvrir, ensemble, un vaccin contre unemaladie mortelle causée par les tiques,qui décimait les bergers du Sind, dans lesud du pays ».

Partager les coûts

Partout dans le monde, les pays nouentdes partenariats scientifiques,technologiques et d’innovation destinés àforger des alliances politiques et renforcerleur présence sur la scène internationale.Mais ces unions sont aussi dictées par le

désir plus terre-à-terre de partager lesressources, face aux coûts exponentiels del’infrastructure scientifique : un récentprojet international de création d’unesource d’énergie propre à partir de lafusion nucléaire affiche une factureprévue de 10 milliards d’euros. C’est « leprojet de collaboration scientifique le plusambitieux jamais conçu », note leconsultant Peter Tindemans, anciencoordonnateur des politiquesscientifiques et de recherche des Pays-Bas.Ce Réacteur expérimentalthermonucléaire international (ITER)sortira de terre à Cadarache (France) d’ici2018.

L’entrée dans ce partenariat, aux côtésdes pouvoirs scientifiques traditionnels(Japon, Etats-Unis, Fédération de Russie,Union européenne), de la Chine, de l’Indeet de la République de Corée témoigne dela montée en puissance économique ettechnologique de ces pays. La Chinedevrait « supporter 9,09 % des coûts deconstruction, un investissement de plusd’un milliard de dollars », écrit dans leRapport Mu Rongping, directeur duCentre d’innovation et de développementde l’Académie des sciences chinoise. « Unmillier de scientifiques chinoisparticiperont au projet ITER, la Chine étantchargée de développer, installer et tester12 de ses composants », précise-t-il.

De nouveaux marchés en perspective

Le secteur commercial n’a pas tardé àmesurer les avantages de cescollaborations. Outre le partage descoûts, les consortia internationauxoffrent une occasion tentante deconquérir de nouveaux marchés. Lesuccès écrasant du consortium Airbusprovient de la fusion des constructeursaéronautiques de quatre pays –Allemagne, Espagne, France etRoyaume-Uni – un brillant exemple decoopération paneuropéenne.

Deux décennies après la disparitiondu Rideau de fer, la Fédération de Russievoit gonfler le volume de contratscommerciaux et de partenariatsscientifiques et technologiques avec dessociétés étrangères. En 2010, le françaisAlcatel-Lucent RT et l’entreprise d’ÉtatRostechnologii ont investiconjointement dans le développement,la production et la commercialisationd’équipements télécoms pour le marchérusse et les pays de la Communautéd’États indépendants, tandis que lasociété américano-russe IsomedAlpha

se lançait dans la production d’appareilsmédicaux dernier cri comme lestomographes informatiques.

Partenariats d’écriture

Mais il n’y a pas que la géopolitique ou lesconsidérations financières. L’essor de lacollaboration scientifique internationaledoit aussi beaucoup, ces derniers temps,au développement des nouvellestechnologies de la communication : de2002 à 2008, la proportion d’utilisateursd’Internet est passée de 11 % à 24 % de lapopulation mondiale,. Dans les pays endéveloppement, elle a progressé de 5 % à17 %.

Si ces dernières années ont vu undéferlement des publications conjointes,on assiste aussi à la diversificationgéographique des cosignatures derecherche. Entre 1998 et 2008, la Chine estdevenue le troisième grand partenaire del’Australie dans les publicationsscientifiques, après ses collaborateurstraditionnels, les États-Unis et leRoyaume-Uni. Aux Philippines, les États-Unis et le Japon gardent la tête, talonnéspar la Chine. Cette dernière est lepartenaire numéro un des chercheursmalais, devant le Royaume-Uni et l’Inde. Ilsemble que le rôle croissant de la Chine etde l’Inde dans les publicationsscientifiques conjointes, corollaire de leurmontée en puissance sur la scènemondiale, redessine déjà le paysagescientifique de l’Asie du sud-est.

Les proches voisins ne font pastoujours les meilleurs partenaires. L’Inde,l’Iran et le Pakistan publient 20 % à 30 %de leurs articles scientifiques encollaboration, mais d’abord avec deschercheurs occidentaux : 3 % seulementsont domiciliés en Asie du Sud. Au Brésil,où la collaboration scientifiqueinternationale se maintient depuis cinqans autour de 30 % du total, « leschercheurs américains sont nosprincipaux interlocuteurs », constatentCarlos Henrique de Brito Cruz et HernanChaimovich, respectivement directeurscientifique à la Fondation pour larecherche de São Paulo et PDG de laFondation Butantan (Brésil). Ils pointentune étude de 2009 selon laquelle « entre2003 et 2007, 11 % des articlesscientifiques brésiliens étaient cosignés aumoins par un scientifique américain et3,5 % par un britannique. Argentins,Mexicains et Chiliens confondusreprésentaient à peine 3,2 % descosignataires d’articles brésiliens ». �

4 8 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

acronyme historique, abritent dans leursous-sol le plus grand accélérateur departicules du monde. D’unecirconférence de quelque 27 kilomètres,le Grand collisionneur de hadrons (LHC)est un gigantesque instrument quicontient un total de 9 300 aimants.

Le 30 mars 2010, une nouvelle duCERN avait défrayé la chronique dans lemonde entier : LHC a réussi la premièreexpérience de collision de faisceaux à unevitesse proche de celle de la lumière.« Avec cette expérience, nous noussommes rapprochés à une fraction deseconde du Big Bang ! », explique Rolf-Dieter Heuer, Directeur général du CERN.« C’est une nouvelle étape qui ouvre desperspectives insoupçonnées à larecherche sur la création de l’Univers ».

La découverte historique du 30 marsa été rendue possible notamment grâceau projet « Collaboration Atlas » qui réunitquelque 3 000 physiciens (dont un millierd’étudiants) venant d’une quarantaine depays et appartenant à plus de 170universités et laboratoires. Toute une« nation virtuelle », pour reprendrel’expression couramment employée au

Peu de gens se souviennent que l’idée decréer un Conseil Européen pour laRecherche Nucléaire (CERN) à étéentérinée à la cinquième session de laConférence générale de l’UNESCO, en1950, à Florence (Italie). À cette époque, lemonde se rétablissait des blessures encorerécentes de la Seconde guerre mondiale.Les intellectuels, hommes de culture etscientifiques européens l’avaient compris :la coopération était un outil-clé pour lareconstruction de la paix. Il fallait réunirautour d’un même projet des chercheurseuropéens venant à la fois de pays alliés etde ceux ayant appartenu à l’Axe.

Le projet de Florence allait entrer envigueur trois ans plus tard, avec lasignature de la convention finale portantcréation du CERN (le « Conseil » s’étantmétamorphosé en « Centre »). Laconvention allait être ratifiée par 12 paysen 1954 et la première pierre du bâtiment,posée en 1955, près de Genève (Suisse).

Aujourd’hui, les bâtiments del’Organisation européenne pour larecherche nucléaire, qui a gardé son

Post-scriptum

Promouvoir la coopération scientifique, rendre

l’enseignement des sciences plus attrayant, faciliter l’accès

au savoir scientifique en vue de construire un monde plus

juste, tels sont les objectifs communs poursuivis par

l’UNESCO et l’Organisation européenne pour la recherche

nucléaire, qui a gardé son acronyme historique : le CERN. Les

deux organisations sont étroitement liées depuis 60 ans.

Jasmina Šopova rencontre ROLFDIETER HEUER, Directeur général du CERN

L’UNESCO et le CERN : unehistoire d’atomes crochus

1. Allemagne, Belgique, Danemark, France, Grèce,Italie, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède,Suisse, Yougoslavie.

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 4 9

CERN. « La motivation et elle seule peutexpliquer la réussite de cette gigantesqueentreprise. Venus de différentes régionsdu monde, nous marchons tous dans lamême direction : vers le savoir », affirmele Directeur général. Si l’on découvre unjour le fameux boson de Higgs – particulehypothétique surnommée le Graal desphysiciens, parce qu’ils la cherchentdepuis plus d’un demi-siècle – ce seragrâce à l’Atlas. « Nous savons tout de cetteparticule, excepté une chose : si elleexiste », dit-il en souriant.

Le CERN n’est pas seul à poursuivrecette quête. Il y a aussi Fermilab, àproximité de Chicago (États-Unis).« Aujourd’hui, c’est le CERN qui possèdel’accélérateur le plus puissant au monde,mais jusqu’à récemment, c’était Fermilab,et ils ont accumulé une masseextraordinaire d’informations en 25 ans,alors que nous, nous venons seulementde commencer. Le LHC n’a été lancé qu’enseptembre 2008. Cela dit, je crois quegrâce à lui, nous avons des chances de lesdevancer dans la découverte du bosonde Higgs », espère Rolf-Dieter Heuer. Lesdeux organismes collaborent-ils ?« J’appelle cela une collaborationcompétitive ou une compétitioncollaborative. Fermilab nous a beaucoupaidés, notamment lorsque LHC est tombéen panne [peu après son lancement] ».Échangent-ils des données ? « Pas pourl’instant. Je vous invite à me reposer lamême question dans quelques années ».

« Sans compétition, il n’y a pas deprogrès », déclare Rolf-Dieter Heuer. Sanscoopération non plus. Elle a été à l’originede la naissance du CERN et elle demeuresa force motrice, mais aussi un des idéauxpermanents de l’UNESCO. Parmi lesprojets récents, l’UNESCO soutientnotamment le Centre international derayonnement synchrotron pour lessciences expérimentales et appliquées auMoyen-Orient (SESAME), situé à Allan(Jordanie). Sur le plan de la coopérationscientifique internationale, SESAME estl’équivalent du CERN pour le Moyen-Orient. Il réunit Bahreïn, Chypre, l’Égypte,l’Iran, Israël, la Jordanie, le Pakistan,

l’Autorité palestinienne et la Turquie.« Nous n’avons pas le même domaine decompétences », explique le Directeurgénéral du CERN, « mais l’idée de lascience pour la paix est sous-jacente auxdeux projets. Et le CERN ne ménage passes efforts pour aider à la construction deSESAME, en particulier sur le plan del’expertise. »

Si, dans le cadre des initiativescommunes (SESAME, bibliothèquesvirtuelles dans les universités africaines,formation des enseignants, etc.), le CERNmet son expertise scientifique à ladisposition de l’UNESCO, le Programmeinternational de l’UNESCO relatif auxsciences fondamentales (PISF) offre àl’Organisation européenne un cadre decoopération avec des chercheurs venantde pays qui ne sont pas ses membres. Eneffet, le CERN compte 20 États membres,mais ses projets associent quelque10 000 experts de 85 nationalitésdifférentes.

Le CERN compte également surl’UNESCO pour l’aider à promouvoirl’idée d’une nouvelle approche del’enseignement de la physique et desmathématiques à l’échelle internationale.« On ne peut pas continuer d’enseigner laphysique en commençant par desthéories élaborées au 18e siècle ! »,s’indigne Rolf-Dieter Heuer. « Lesrecherches actuelles sur l’Univers, parexemple, ont de quoi passionner lesjeunes. L’école doit éveiller leur curiositéet les mener doucement vers les bases.Le CERN ne peut pas élaborer uneméthode valable pour tous les pays de laTerre, mais peut néanmoins sensibiliseret former des enseignants à travers lemonde. Quant à l’UNESCO, elle peutconvaincre les décideurs politiques qu’ilfaut impérativement rendre ces matièresplus attractives pour les élèves dusecondaire, afin que les jeunes nes’éloignent pas des sciences exactes. » Labataille risque d’être longue. Le Directeurdu CERN en est conscient, mais il sait que« qui ne tente rien n’a rien ! »,

La science fondamentale est un autredomaine où les objectifs des deuxorganisations se rejoignent. Force est deconstater que les décideurs perçoivent

Rolf-Dieter Heuer, physicien allemand,a pris ses fonctions de Directeurgénéral du CERN le 1er janvier 2009. Ledébut de son mandat coïncide avec ledébut de l’exploitation du Grandcollisionneur de hadrons (LHC).

J L’exposition « Univers de particules » vise à

sensibiliser les visiteurs du CERN aux grandes questions

de la physique contemporaine. © UNESCO/J. Šopova

L Trois ans après le lancement de l’idée du CERN, la

signature de la Convention portant sa création a eu

lieu le 19 juillet 1953, à l’UNESCO.

© UNESCO

parfois la recherche fondamentalecomme une abstraction car ses résultatsne sont pas immédiatement applicables.Pour Rolf-Dieter Heuer, c’est un non-sens.

« Je définis la science fondamentalecomme une recherche ouverte, axée surles résultats, mais non sur lesapplications. Imaginez que vous ayezdemandé à Wilhelm Röntgen d’inventerun appareil qui photographie votresquelette ! Il n’aurait jamais pensé aurayonnement. Et pourtant, sans idéepréconçue, il a découvert en 1895 lesrayons X qui servent encore aujourd’huidans la radiographie moderne. » Ce nesont pas les exemples qui manquentpour illustrer la conclusion de Heuer :« On ne sait jamais ni quand ni où unrésultat issu de la recherchefondamentale sera appliqué. Mais il finittoujours par l’être, directement ouindirectement ». �

Sans compétition, il n’y a pas deprogrès. Sans coopération nonplus.

On ne sait jamais ni quand ni oùun résultat issu de la recherchefondamentale sera appliqué.Mais il finit toujours par l’être.

© C

ERN

5 0 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

Les sciences aux Éditions UNESCO

autant de preuves du déclin de labiodiversité. Ce livre s’interroge sur lesmoyens qu’il faut déployer pour enassurer la conservation et la valorisation etsur la nécessité d’aborder la question nonpas sous l’angle de la propriété mais souscelui des usages.

248 pages, cartes, encadrés, figures,graphiques, tableaux, annexes, 13,5 x 21,5cm . 24,00 € . 2007

PRÉVISION ET PRÉVENTION DES

CATASTROPHES NATURELLES ET

ENVIRONNEMENTALES : LE CAS DU

MAROC

Driss Ben Sari

Les transformations qui affectent la Terreen général et le Maroc en particulier tantdans les profondeurs qu’en surface.L’auteur analyse les différents types decatastrophes naturelles, les met enrelation avec la vie des populations etpropose des mesures de prévention.

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PATRIMOINE MONDIAL N° 56

« Patrimoine et biodiversité : synergies

et solutions », ce numéro de la revueaborde les thèmes suivants :� Synergies entre zones clés pour la

biodiversité et patrimoine mondial� Patrimoine mondial marin : le moment

est venu� Réchauffement climatique – mettre la

nature à contribution� Diversité culturelle, biodiversité et sites

du patrimoine mondial� Ghats occidentaux : biodiversité,

endémisme et conservation� Les Jardins botaniques royaux de Kew

et la conservation de la biodiversité� Financement pour la biodiversité :

implications pour les sites dupatrimoine mondial

88 pages, couleur . 7,50 € . Juin 2010

DÉVELOPPEMENT DURABLE DE LA

RÉGION ARCTIQUE FACE AU

CHANGEMENT CLIMATIQUE

Défis scientifiques, sociaux, culturels et

éducatifs

Les transformations environnementales etsociales dues au changement climatiqueque vit actuellement l’Arctique ont desrépercussions sur l’ensemble de la planète.La recherche se concentre sur l’explorationde stratégies d’adaptation au changementclimatique. Il est évident que les réponsesne peuvent être qu’interdisciplinaires etreposent sur la qualité du dialogue entrescientifiques, communautés locales etresponsables politiques.

Des pistes pour gérer le changementclimatique.

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EXPLIQUEMOI LA TERRE

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Il est publié dans la série « Raconte-moi,

Explique-moi » qui s’adresse aux enfantset peut servir d’outil pédagogique auxenseignants et aux animateurs.

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BIODIVERSITÉ ET DÉVELOPPEMENT

DURABLE

Yann Guillaud

La réduction de la variété génétique desespèces, le rythme accéléré de leurextinction, les modifications profondesdes conditions d’existence du vivant sont

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 5 1

Post-scriptum

Toute réflexion concernant des cultures enintime contact l’une avec l’autre – que cecontact se traduise par des tensions, unconflit ouvert ou une recherche derapprochement – commencenécessairement par un effort de définitionde ce qu’on entend par « culture ».J’adopterai ici la perspective développéepar l’anthropologue américain CliffordGeertz il y a près de quarante ans. Selon lui,la culture ne réside pas dans les modèlescomportementaux et les structures socialeselles-mêmes, mais dans la façon dont nouscréons du sens et l’exprimons au sein deces modèles et de ces structures. Une

culture est l’accumulation d’idées, decroyances, de gestes, de rituels et depratiques qui font qu’une société se perçoitcomme un ensemble cohérent et porteurde sens, autrement dit comme un peuple àpart possédant une identité propre.

Les cultures ne sont pas pour autanthermétiques, car il est rare qu’ellespuissent se protéger des pressions et desinfluences extérieures. En réalité, lescultures sont perméables, elles ont à la foisla capacité et la particularité d’êtretoujours engagées, jusqu’à un certainpoint, dans des processusd’interpénétration et d’hybridation. Elles

Passeurs de cultures Stephen Humphreys

Depuis toujours, les cultures s’entremêlent et interagissent,

donnant naissance à de nouvelles cultures hybrides.

Pourtant, elles ont aussi tendance à se cloisonner, à rejeter

les cultures voisines. En s’appuyant sur le cas des cultures

nord-américaine et arabo-musulmane, Stephen

Humphreys met en relief le rôle de la littérature et des arts

comme moyens privilégiés de rapprochement.

trouvent alors une manière équilibrée dese côtoyer ou de s’entremêler, entrant dansune interaction limitée et pragmatiqueavec les cultures voisines, sans toutefoiséprouver de difficultés à conserver laperception de soi et à maintenir leuridentité fondamentale.

Le conflit survient lorsque deuxsystèmes culturels en viennent à paraîtremenaçants l’un pour l’autre. Ce sentiment asouvent pour origine l’intrusion violented’un système culturel dans l’espace occupépar un autre, un « impérialisme », à petite ouà grande échelle, caractéristique constanteet omniprésente de l’histoire de l’humanité.La peur de l’autre est cependant plus forteet insidieuse lorsqu’elle est le fruit d’unesituation d’hybridation rapide, envahissanteet incontrôlable, qui crée un profondsentiment de perte de contrôle. Tous lessymboles, les règles de comportement, lescroyances, les rituels séculaires se dissolventet se mettent à paraître étrangers, donnantaux populations concernées l’impression dene plus être chez elles sur leur propreterritoire. Aujourd’hui, cette inquiétude liéeà l’hybridation contamine quasiment toutesles cultures de la planète. La question est desavoir s’il est possible de remédier à cetteinquiétude ou de l’atténuer. Si oui,comment et dans quelle mesure ?

K Rencontre au coeur de la peinture : diptyque réalisé

par l‚artiste allemande Helga Shuhr et l’artiste libyen

Youssef Fatis. © Helga Shuhr & Youssef Fatis

Photo : UNESCO/R. Fayad

5 2 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

Venir à bout des stéréotypes

Pour tenter de répondre à cette question,nous allons nous pencher sur la réactionaméricaine envers les sociétés arabes etmusulmanes. Nous ne surprendronspersonne en affirmant que cette réactionest pour le moins confuse. De manièregénérale, les Américains sont désireux decomprendre et même d’accepter lesdifférences culturelles, mais ils sontintimement convaincus de la supériorité dufameux american way of life. La réactionaméricaine se concentre plus sur descraintes (vis-à-vis notamment du« terrorisme islamique ») que sur larecherche d’une compréhension étendueet nuancée des cultures à la fois diverses etcomplexes des sociétés arabes etmusulmanes. Cette recherche decompréhension existe bel et bien aux États-Unis, mais seulement dans des cerclesrestreints (les milieux universitairesessentiellement), non dans un grand publicinfluencé par les médias et l’internet.

Inévitablement, les stéréotypes sur lesArabes et les musulmans règnent enmaître. La question est de savoir commentfaire pour qu’un très grand nombred’Américains remettent en cause cesstéréotypes, affrontent leurs craintes etcherchent réellement à comprendre lescultures arabes et musulmanes.

Inutile de se leurrer : même si nous yparvenons, il demeurera sans aucun doutedes différences culturelles trop difficiles àaccepter, car elles remettent en question etoffensent profondément les valeurs et lesmodes de vie américains. Un simpleexemple suffit : aux yeux des Américains, laburqa et le niqab symbolisent – ou plutôtincarnent – l’avilissement et ladépersonnalisation de la femme. A priori,aucun débat ou effort d’explication nepourra venir à bout de cette réaction quasiinstinctive.

Un autre problème se pose. On peuttrès bien parvenir à comprendre lesdifférences culturelles sans pour autant lesaccepter, car on ne les considère pascomme des options acceptables oupertinentes. Un tel rejet mène-t-ilnécessairement au conflit ? Je n‘ai pas deréponse toute prête à cette question, maisil convient de se la poser avec sérieux ethonnêteté.

Le miroir de la méfiance

Quand on tente de comprendre uneculture, on est nécessairement sélectif : onne peut pas savoir tout sur tout. Mais alors,quels aspects des cultures arabes et

musulmanes sont à privilégier ? Quelsgroupes allons-nous choisir pourreprésenter ces cultures auprès de notresociété ? Jusqu’à présent, les Américainsont eu tendance à s’intéresser à deuxgroupes, à l’exclusion de quasiment tousles autres : les militants religieux radicaux etles femmes. La peur et les inquiétudesqu’ils suscitent tendent à déformer lesdébats et les analyses.

En ce qui concerne le premier groupe,on peut dire que les Américains voientl’Islam à la lumière du 11 septembre et lesArabes à la lumière du conflit israélo-palestinien. Je pense que l’inverse estégalement vrai : les Arabes du Moyen-Orient et de la diaspora voient eux aussi lesÉtats-Unis à travers le prisme israélo-palestinien. Chacun est le reflet de laméfiance, de la peur et du ressentiment del’autre : un cocktail idéal pour provoquertensions et suspicions, voire un rejetculturel réciproque.

Pour ce qui est des militants américainsdes droits des femmes, certains sont bieninformés et témoignent d’une sensibilitéculturelle, d’autres non. Dans un cascomme dans l’autre, leurs interventionstouchent aux dimensions les plus intimeset les plus farouchement contestées dessociétés arabes et musulmanes. Ainsi, ilarrive parfois que les tentatives derapprochement accentuent les tensionsculturelles plus qu’elles ne les dissipent.

Le rôle des intermédiaires culturels

La littérature et les arts ouvrent des voiesoriginales à la compréhension des culturesarabes et musulmanes. Dans un article duNew Yorker, Claudia Roth Pierpont fait unconstat révélateur : « Les romans arabesapportent d’excellentes réponses auxquestions que nous ne savions pas quenous voulions nous poser. » C’estexactement cela. Malheureusement, seuleune infime partie de la littérature arabepubliée ces vingt dernières années a ététraduite en anglais.

Bien que les romanciers construisentleurs propres univers, qui ne sont pas desimples reflets de leurs cultures, et qu’ils neparlent pas au nom de leur société maisuniquement en leur nom propre, leursœuvres constituent des produits directs etauthentiques des sociétés et cultures ausein desquelles ils vivent. Il en est de mêmedes musiciens, des peintres et dessculpteurs.

En dépit de toutes les limites etréserves que l’on peut émettre, lalittérature et les arts restent le meilleur

moyen pour les étrangers de pénétrer uneautre culture. Ils nous offrent lesperspectives les plus vastes et les plusvariées sur la manière dont les culturesarabes se perçoivent et sur les mille façonsdont elles tentent de se définir. Toutefois,pour pouvoir servir de pont entre lescultures, ces arts ont besoin detraducteurs, d’artistes et d’interprètes. Onconsidère souvent ces d’intermédiairesculturels avec un brin de condescendance,comme de simples passerelles servant àtransmettre les efforts créatifs des auteursà un nouveau public. De toute évidence,cette vision ne rend pas justice à laprofondeur de la connaissance et de lacompréhension requises pour rendre lesproduits d’un système culturel intelligibles,porteurs de sens, et même utiles auxmembres d’une autre société. L’œuvre dutraducteur, tout comme celle del’interprète musical, ne constitue peut-êtrepas une création en soi, mais en tant quere-création, elle est un élément essentieldu processus de rapprochement culturel.

Pour conclure, je dirais que les États-Unis ne seront capables d’assumer lesréalités complexes des cultures arabes quelorsque qu’ils disposeront d’un corps detraducteurs et d’interprètes bien plus étofféet, surtout, lorsque ces intermédiaires neseront plus des acteurs marginaux de la vieintellectuelle et culturelle du pays mais belet bien des acteurs à part entière. Cetteévolution ne se fera pas du jour aulendemain et ne résoudra en aucun castoutes les tensions et les inimitiés quiexistent entre des cultures aussi différentes.Mais elle aurait au moins le mérite depermettre aux Américains de commencer àvoir les Arabes et les musulmans tels qu’ilssont en réalité, dans toute leur complexité.Il faut bien sûr espérer en retour que lesintellectuels et les érudits arabes feront uneffort similaire pour comprendre le modede vie et de pensée américains, ce qui, jel’admets, n’est pas chose facile. Mais c’estune tâche que nous devons entreprendre sinous voulons un jour dépasser la confusionet la méfiance mutuelles qui imprègnent siprofondément ces deux cultures. �

R. Stephen Humphreys est professeurd’histoire et d’études islamiques àl’Université de Californie, à Santa Barbara(États-Unis). Cet article est extrait de ses« Réflexions sur le problème durapprochement des cultures », présentées àl’UNESCO le 9 février 2010, lors du Forumorganisé à l’occasion de la remise du PrixUNESCO-Sharjah pour la culture arabe.

Post-scriptum

Considérez-vous le cinéma comme un

espace de dialogue entre les cultures ?

Oui, le cinéma a rendu le monde pluspetit. Il participe de la théorie du villageplanétaire. Je dirai même de l’émotionplanétaire. Quelle que soit la nationalitéde son réalisateur, quel que soit le paysoù il a été tourné, le film donne àpartager une vision. Et le spectateur a lesentiment d’être transporté dans ununivers dont les sons et les accents nelui sont pas familiers. Je crois que l’une

des vertus du cinéma est de rapprocherles humains.

Vous parlez de village planétaire.

Pourtant le repli sur soi, la méfiance

et l’incompréhension semblent

progresser.

Cette ambivalence est incontestable. Aucours de ces 30 dernières années, j’ai vules gros distributeurs se détournerprogressivement des films africains. Ondirait que les distributeurs ont peur de

la différence. En 1987, mon film Yeelenest sorti dans toutes les grandes salles deFrance et de Navarre et a conquis desspectateurs de toutes classes sociales !Cela me paraît impossible aujourd’hui. Jene crois pas pourtant que les spectateursaient changé. Ce sont les décideurs quine prennent plus de risques. Ni le risquede la différence, ni celui de la découverte.Et encore moins des risqueséconomiques. En revanche chez nous,dans les pays du Sud, nous ne regardonsque des films occidentaux.

Peut-on corriger ce déséquilibre ?

Il faut une volonté politique forte pourinverser cette tendance au repli. Carl’absence de recettes a un impact aussibien sur la qualité que sur la quantité denotre travail. Et nous, réalisateursd’Afrique, nous devons en tirer les leçons :nous tourner vers notre public naturel, parexemple, dans nos pays. Mais nosspectateurs, aussi nombreux soient-ils,n’ont pas les moyens de financer nos films.C’est pour cela qu’au Mali, la productioncinématographique est aujourd’hui pluspauvre qu’il y a 20 ou 30 ans.

Pourquoi tournez-vous toujours en

bambara, la langue nationale de

votre pays ?

On m’a beaucoup reproché de ne pastourner en français, l’unique langueofficielle du Mali. J’ai choisi de tourneren bambara, parce c’est la langueprincipale de 80 % des Maliens. Elle est comprise par plus de 20 millions de personnes en Afrique del’Ouest. C’est la langue du commerce. Ce poids linguistique n’est pas un menu détail.

D’autre part, pour avoir dirigé desdizaines de comédiens, je peux vousassurer que l’on n’obtient pas le mêmerésultat, selon que les dialogues sont enfrançais ou en bambara, la langue del’intimité... On nous a souvent dit quepersonne en dehors de l’Afrique ne nouscomprendra, que cela nous désavantage,mais je pense que c’est faux. La languese met au service de l’histoire du film.Comment aurais-je pu tourner enfrançais Yeelen, qui parle desconnaissances occultes que lesBambaras se transmettent degénération en génération !

L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1 . 5 3

Post-scriptum

La seconde viede Touki BoukiTourner en langues nationales, aider les cinéastes africains,

promouvoir leurs œuvres, soutenir la production audio-

visuelle moderne, sauvegarder le patrimoine

cinématographique de l’Afrique — voilà les objectifs que

s’est fixés le réalisateur malien Souleymane Cissé. Un

homme plein d’entrain et d’ambitions pour son continent.

Entretien avec SOULEYMANE CISSÉ conduit par Gabrielle Lorne, journalistemartiniquaise

J Souleymane Cissé à l’UNESCO, lors du lancement de

l’Année internationale du rapprochement des cultures,

le 18 février 2010. © UNESCO/A.Wheeler

5 4 . L E C O U R R I E R D E L’ U N E S C O . J A N V I E R M A R S 2 0 1 1

Vous allez plus loin : vous dites que les

États doivent renoncer aux langues

des colonisateurs en faveur des

langues nationales qui ne sont pas

reconnues comme langues officielles.

Les langues nationales rapprochent lescitoyens, elles sont indispensables pourédifier une nation. Au Mali, nous avons13 langues nationales, mais une seulelangue officielle : le français. Je le dis etle répète : les langues nationales netuent ni l’anglais, ni le français, nil’espagnol. Mais je crois que si le Mali neprend pas en charge ses langues à lui, lacivilisation qu’elles véhiculent depuis desmillénaires finira par disparaître.

Et si je puis me permettre uneobservation politique, dès lors qu’unÉtat choisit d’être indépendant, il doitaller jusqu’au bout, et ne pas avoir peurde chambouler l’administration. Il estencore temps de reprendre le travailpour codifier une écriture pour chacunedes langues et revaloriser lesidéogrammes laissés par nos ancêtres.

Vous êtes aussi très engagé dans la

promotion du cinéma africain.

Oui, après Waati, mon film sur l’Apartheiden Afrique du Sud sorti en 1995, je mesuis rendu compte que le soutienfinancier dont bénéficiait le cinémaafricain, en Europe notamment,s’amenuisait. Pour leur part, les Étatsafricains n’ont pas les moyens d’investirdans nos films, mais ils peuvent au moinsfavoriser la création et l’industriecinématographiques avec un cadrejuridique adapté.

Il fallait donc que nous,professionnels du cinéma, nous nousengagions dans la défense de nosmétiers. J’ai donc fondé en 1997 l’Uniondes créateurs et entrepreneurs ducinéma et de l’audiovisuel de l’Afrique del’Ouest (UCECAO). Notre objectif est depromouvoir le cinéma africain et d’inciterceux qui ont des moyens en Afrique, lesecteur privé par exemple, à le soutenir.

Vous avez également créé des

festivals de cinéma ?

L’UCECAO a lancé en 1998 les Rencontrescinématographiques de Bamako. Puis,nous avons initié le Festival internationalde Nyamina (FINA), en milieu rural, car laculture ne peut pas être réservéeexclusivement à la population urbaine.Le FINA accueille non seulement dejeunes réalisateurs, mais aussi desvidéastes, voire des photographes.

Aujourd’hui, vous vous préoccupez

du patrimoine cinématographique

du continent.

C’est vrai. En 2007, à Cannes, j’ai eu leplaisir de participer au lancement de laWorld Cinema Foundation (WCF) del’Américain Martin Scorsese. Quelquesmois plus tard, Scorsese est venu auMali à l’invitation de l’UCECAO et il adécidé d’investir dans la préservationde notre patrimoinecinématographique. Au Festival deCannes suivant, j’ai pu présenter laversion restaurée de Touki Bouki, deDjibril Diop Manbety, qui date de 1973.Cela faisait 20 ans que l’on ne pouvaitplus voir ce film, car il était très abîmépar le temps et les mauvaisesconditions de conservation.

Touki Bouki a été le premier filmd’Afrique subsaharienne à avoir eudroit à une seconde vie. J’étais trèsheureux de ce choix, car c’est à mon

avis un film prophétique, surl’émigration notamment, puisqu’ilraconte l’histoire d’un jeune couplefasciné par l’Occident. �

Premier cinéaste africain à être primé àCannes en 1987 pour son long métrageYeelen, Souleymane Cissé figure parmiles grands noms du cinéma mondial. À70 ans, avec une trentaine de films à sonactif, il est membre du Panel de hautniveau sur la paix et le dialogue entreles cultures, mis en place par l’UNESCOen 2010. La première réunion de cePanel, le 18 février 2010, a marqué lelancement de l’Année internationale durapprochement des cultures, quis'achève en mars 2011.

Post-scriptum

L Affiche du film Touki Bouki réalisé par Djibril Diop

Mambéty en 1973. Le film a été récemment restauré

par la WCF.

© WWW.trigon-film.org

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« Les Parachicos dans la fête traditionnellede janvier à Chiapa de Corzo » (Mexique)ont été inscrits fin 2010 sur la Listereprésentative du patrimoine culturelimmatériel de l’humanité.

Le terme « Parachicos » désigne à lafois les danseurs et la danse lors de cettegrande fête traditionnelle qui se déroulechaque année du 4 au 23 janvier.Associant musique, danse, artisanat,gastronomie, cérémonies religieuses etfestivités, la fête embrasse toutes lessphères de la vie locale, favorisant le

respect mutuel entre communautés,groupes et individus.

Les danseurs défilent dans toute laville, arborant des masques en boissurmontés d’une coiffe, une couverture,un châle brodé et des rubansmulticolores. Ils sont guidés par le patrón,qui porte un masque à l’expressionsévère, une guitare et un fouet.Accompagné par un ou deux tambours, iljoue de la flûte et entonne des louangesauxquelles les danseurs répondent pardes acclamations.

La Convention pour la sauvegarde dupatrimoine culturel immatériel, adoptéeen 2003 à l’UNESCO, est entrée en vigueurle 20 avril 2006. Elle reconnaît l’importancedu patrimoine culturel immatériel qui neréside pas tant dans la manifestationculturelle elle-même que dans la richessedes connaissances et du savoir-faire qu’iltransmet d’une génération à une autre.

© 2009 Coordinación Ejecutiva para la

conmemoración del Bicentenario de la

Independencia Nacional y del Centenario de la

Revolución Mexicana del Estado de Chiapas

Patrimoine culturel immatériel