Savoirs et saveurs des Pyrénées catalanes - Les produits sauvages

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Loubatières Parc naturel régional des Pyrénées catalanes Savoirs et saveurs des Pyrénées catalanes les produits sauvages les produits sauvages

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Dans le Parc naturel régional des Pyrénéescatalanes, quiconque chasse, pêche, cueilleou extrait les substances bénéfiques des végétaux, le fait autant pour s’en approprier lepaysage que pour lui appartenir. À ceux quiles pratiquent, la quête vertigineuse du coscoll, la poursuite haletante de l’isard, la traque interminable de la truite fario ou la transformation de plantes offrent mille occasions de faire corps avec le sauvage, ses fruits, sa faune et sa flore, dont aucune production domestique ne peut égaler les saveurs et les parfums. Avec le panorama de cette part de territoire maîtrisée sinon domptée, le Parc naturel achève le triptyque de la collection Savoirs et saveurs desPyrénées catalanes, qui rassemble désormais dans ses volumes un panimportant de la mémoire orale, des aspirations, des visages, des souvenirs,du savoir et du caractère des gens d’ici.C’est sans doute la raison pour laquelle ces chasseurs, pêcheurs et cueilleursd’ordinaire laconiques et jaloux de leur

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LoubatièresParc naturel régional des Pyrénées catalanes

Savoirs et saveurs des Pyrénées catalanes

les produits sauvagesles produits sauvages

l ’automne

Àvec les dernières feuilles et les premières neiges, le grand boum de la chasse.Pendant que les forêts vibrent au son du brame et que les truffes se peaufinent

sous la surface du sol, les chasseurs vivent leur période la plus enthousiasmante de l’an-née. Sur le territoire du Parc naturel régional, dans la lumière d’un soleil pâle, on fête lapomme à Sahorre et Fuilla et la patate à Matemale. Dans les foyers on a rangé dans lesplacards les produits des beaux jours conditionnés pour l’hiver : liqueur de coscoll, mo-rilles séchées, truites et barquettes de fruits des bois congelées, etc. Une fois la montagnemise en réserve dans les caves et sous les escaliers, on part profiter des dernières odeursvégétales, des ultimes balades en veste légère à la recherche de champignon déjà tropvieux, et on lève le nez vers les pentes boueuses des pistes de skis alpins, qu’un vent froidchargé de neige transformera bientôt en terrain de jeu.

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Je ne cueille les escargots petit-grisqu’au mois de juin. Au-delà ils entrent

en période de ponte et le goût s’en ressent. Jeme rends autour des villages et des jardinsentourés de murs en pierre sèche. C’est là quese cachent les escargots. Les blancs et noirssont plus souvent sur les talus en terre tandisque les petits-gris préfèrent creuser les jointsdes murs pour s’y réfugier. Il s’agit souvent demurs exposés au sud et fréquentés par les vi-pères… Je les ramasse quand la coquille estdure. S’ils sont jeunes et que la coquille estmolle, je les laisse sur place. J’en ramassemoins qu’avant à cause des constructionsnouvelles qui ont abîmé certains coins.

« J’y vais de nuit et de préférence sousla pluie, pour les surprendre quand ils sortent.J’enfile un imperméable et une paire debottes, je prends une bourriche, comme lespêcheurs, pour que les escargots respirent,une lampe et un petit bâton pour écarter lesorties. Souvent, je coupe des brins d’herbepour les attirer. J’ai remarqué que l’herbe tail-lée les rend fous ! L’odeur peut-être.

« Je commence vers 20 h et il m’arrivede rentrer à la maison à minuit. Une fois chezmoi, je les dépose au garage, dans une caisseen bois de ma fabrication recouverte d’ungrillage pour chasser les mouches. Dedans,j’ai préparé un lit de thym frais coupé, cueilliici ou bien dans la montagne. Puis je leur dis-tribue cinq ou six morceaux de pain dur, duriz ou des pâtes, et je les laisse vivre là-dedanspendant deux mois et demi en changeant lethym et le pain tous les cinq jours. C’est cequi les purge et leur donne ce bon goût. Çaenlève l’amertume de la chair due au faitqu’ils mangent essentiellement des herbes etdes orties. Et puis de temps en temps je lesarrose avec de l’eau de source – il y a trop desaletés dans celle du robinet – parce que sansça ils stagnent et ne sortent pas. Avant la car-golade, on peut les laver, les rincer plusieurs

fois dans des seaux d’eau, avec un peu de vinaigre et du sel, faire ça plusieurs fois. Et sion respecte bien cette façon de faire, ils sont excellents à manger ! »

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Des murs de pierre jusqu’au purgatoirePar José Palacios. «

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Pour une bonne cargoladeEscargots petits-gris désoperculés ettrempés dans un mélange sel-poivre(2/3 – 1/3 selon votre goût). Vider lesurplus, seul le sel et le poivre colléssuffisent.Les disposer un à un sur le gril puis leposer sur la braise légère. Parsemerrégulièrement de thym trempé dans dugras fondu. Attention, ne jamais lessaisir mais juste les laisser chanter surla braise.

Accompagner la cargolade de tartinesde pain à l’aïoli.

Le fruit de l ’églantier : la source de vitamine C de l ’automnePar Bruno Cagny, maraîcher à Estavar.

Autour de chez moi, entre Bajande et Estavar, tous les prés de fauche sont entourésde haies plantées principalement d’églantiers. La récolte se fait à la Toussaint, dès

les premières gelées, et s’achève un peu avant Noël. Le froid ramollit le fruit et rend lespoils moins astringents, mais une exposition trop prolongée aux basses températuresprovoque le dessèchement de la pulpe. C’est donc en novembre et décembre que lescueillettes sont les plus intéressantes… Le fruit de l’églantier est très bon cru. C’est pleinde vitamine C et très pulpeux. Quand je pars en cueillir, je me régale toujours d’en man-ger sur place. C’est une cueillette agréable et reposante. Ça ne me prend jamais plusd’une heure et demie pour remplir mon seau. Je cueille et je transforme tout de suite.J’ai longtemps travaillé avec le moulin à légumes. J’enlevais le petit chapeau, c’est le petitbout de fleur noir, et je moulinais le reste. Aujourd’hui, pour éviter d’enlever ces petitesbarbes qui restent de la fleur, je les mets dans de l’eau froide, je les malaxe tout douce-ment et je les rince à plusieurs reprises. Par la suite je remplis une bassine avec les fruits,je couvre d’eau et je porte à ébullition avant de presser. »

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Page de gauche.Cynorhodon ou églantier,ou encore gratte-cul.

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Une culture du sauvageDepuis qu’il dirige la pisciculture de Sahorre, Nicolas Procacci réalise un rêved’enfant. Cet Angoustrinois qui ne se voyait pas enfiler un autre costume que celui de garde-pêche ou de pisciculteur assure aujourd’hui la pérennité de la truite autochtone du Parc naturel régional, entretenant et avec elle un symbole pyrénéen de la vie sauvage.

À 8 ans je savais déjà ce que je voulais faire de ma vie. Je désirais être garde-pêcheou pisciculteur et rien d’autre. Sept ans plus tard j’ai donc rejoint le lycée agricole

de La Canourgue, en Lozère, pour me spécialiser dans l’aquaculture. J’en suis rentré ti-tulaire d’un BEP agricole option aquaculture et d’un BTA option aquaculture. Sans at-tendre j’ai postulé à la fédération de pêche et au centre piscicole de Sahorre où une placevenait de se libérer. J’étais le plus jeune des candidats, le plus motivé et le plus diplômé.J’ai décroché ce travail et je ne l’ai pas quitté depuis. C’était il y a dix ans. »

LE STRESS DANS LES GÈNES« La pisciculture de Sahorre est une association loi 1901 dirigée par la Fédération

de pêche. Nous ne faisons aucun bénéfice et nos opérations de repeuplement sont me-nées gratuitement. J’ai avec moi un garde-pêche animateur, Nicolas Périaut, et un aidepisciculteur, Bastien Périno. On dit aussi qu’ils sont agents de développement. Notremétier consiste à produire des œufs, des alevins et des truitelles destinés à repeupler lesmilieux dégradés. En la matière, Sahorre a une vocation unique en France : la productionde la souche indigène du département, la fario Carança méditerranéenne pyrénéenne,dernière truite à n’avoir subi aucune pollution génétique. Notre travail commence parla recherche de géniteurs à Carança. On fait pondre cette génération, on en fait une po-pulation de géniteurs qu’on fait reproduire et ainsi de suite. On crée donc des générationsen pisciculture, mais avec des gènes Carança. La chose n’est pas aisée car les poissonssauvages ont tendance à stresser. Il suffit d’un oiseau qui le survole pour que tout le bas-sin s’emballe. Et quand un poisson stresse, les 10000 autres qui l’entourent stressent àleur tour ! »

1000 ŒUFS POUR 10 TRUITES« Nous ne sommes pas des producteurs de chair à poisson. À la différence de la

nursery de Fontrabiouse qui reçoit les œufs directement, nous élevons les géniteurs etnous les faisons grandir. Nous les anesthésions un par un, nous faisons pondre les fe-melles une par une, et nous fécondons l’ensemble. C’est un véritable rituel dont la pre-mière étape se situe de la mi-novembre à la mi-décembre. C’est le temps du contrôle dematurité, de la vérification femelle après femelle de la présence d’ovocyte. Cela repré-sente 10000 poissons triés en une journée !

« Une fois les femelles prêtes, on anesthésie un lot pour éviter tout stress, on lesort, on le sèche entièrement et on l’enveloppe dans des serviettes avant de provoquerla ponte des ovocytes dans une passoire. Une dizaine de mâles sont ensuite réunis de lamême façon pour en extraire la laitance. Ensuite les spermatozoïdes font leur boulotpendant une vingtaine de minutes. L’incubation dure environ deux mois.

« À l’automne, les œufs sont enfermés dans des boîtes carrées percées de trousalvéolés, et immergés dans la rivière sous du gravier, un peu comme le ferait une truite.Sur 1 000 œufs de cette boîte, 10 seulement donneront un poisson susceptible de gran-dir et de retourner plus tard dans ce même ruisseau pour entamer un nouveau cycle 137

« Nous ne sommes pas des producteursde chair à poisson. »

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de reproduction. C’est un procédé intéressant car les truites restent sauvages, naissentdans le ruisseau et y reviennent à l’instinct pour s’y reproduire. Nous l’avons pourtantabandonné depuis parce qu’il est trop aléatoire. On sort à peu près 300 000 alevinschaque année. Les œufs, on les met en janvier, les alevins, entre février et juin. Lestruitelles mesurent entre 5 et 10 centimètres, elles sont de l’année, on les lâche à l’au-tomne. Les poissons qui restent deviennent alors géniteurs à leur tour et la boucle estbouclée. »

FARIO DE SOUCHE« Par le passé, chaque rivière du territoire avait sa souche (le Sègre, l’Angoustrine,

la Têt), souches qui ont toutes été dégradées par l’homme qui, toujours plus avide depoisson, a introduit des souches issues de piscicultures extérieures et notamment de Lo-zère. Si l’on y regarde de plus près, on découvre qu’il existe deux souches de truite fario :celle qui provient du versant méditerranéen et celle qui provient du versant atlantique.La première est plus difficile à élever et sa croissance est moins régulière. Il y a 50 ans,certains ont donc décidé par commodité de produire ces poissons de souche atlantiquequi n’ont rien à voir avec nos rivières. Ces truites se sont hybridées avec les nôtres, lessouches locales ont donc été polluées. Or il se trouve qu’au cours de l’été 2003 une crueéclair gigantesque a tout emporté sur la Rotja. Il n’y avait plus aucun poisson, plus rien.Pendant un an personne n’est intervenu sur la rivière et l’on a fermé la pêche. Et puispeu à peu, les preuves de renouvellement ont été de plus en plus nombreuses et que lapopulation de truites se refaisait, uniquement avec des souches locales. »138

ISBN 978-2-86266-656-3

9 782862 66656329€ ww

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Le Parc, ce sont 64 communes associées au Conseil Général et à la Région.

Dans le Parc naturel régional des Pyrénéescatalanes, quiconque chasse, pêche, cueilleou extrait les substances bénéfiques des vé-gétaux, le fait autant pour s’en approprier lepaysage que pour lui appartenir.À ceux quiles pratiquent, la quête vertigineuse du cos-coll, la poursuite haletante de l’isard, la traque interminable de la truitefario ou la transformation de plantes offrent mille occasions de fairecorps avec le sauvage, ses fruits, sa faune et sa flore, dont aucune produc-tion domestique ne peut égaler les saveurs et les parfums. Avec le panorama de cette part de territoire maîtrisée sinon domptée, le Parc naturel achève le triptyque de la collection Savoirs et saveurs des Pyrénées catalanes, qui rassemble désormais dans ses volumes un pan important de la mémoire orale, des aspirations, des visages, des souvenirs,du savoir et du caractère des gens d’ici.C’est sans doute la raison pour laquelle ces chasseurs, pêcheurs et cueil-leurs d’ordinaire laconiques et jaloux de leur science parlent ici avec autant de générosité, qu’ils parviennent à force d’ellipses et de phraseslaissées en suspens, à dévoiler l’intimité de leur pays sans jamais en déflorer les mystères.

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