RGPP Quatre lettres et un projet

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RGPP…quatre lettres et un projet I. Origines et fondements Aux origines de la RGPP…Toyota Aux fondements de la RGPP il y a la révolution managériale qui a radicalement transformé le visage et le mode de gestion des grandes entreprises dans les années 70. Fondé sur le « coast-killing » comme seule boussole de la politique d’investissement pointant l’horizon stratégique et unique de l’économie des coûts, le « Lean », que l’on peut traduire littéralement par « penser maigre » s’est peu à peu imposé comme la pierre angulaire de toute réorganisation pour les grandes entreprises. Imaginé et conceptualisé au travers du « Toyota Production System » puis développé au sein des fameux cabinets de conseil anglo-saxons et appliqué pour la première fois et à grande échelle par Toyota au Japon, le « Lean » connut un succès fulgurant dans les années qui suivirent. Les objectifs stratégiques surent d’ailleurs s’adapter au nouveau capitalisme financier et d’actionnaire en évoluant de la recherche des « gaspillages » sans aucune prise en compte des conséquences sociales, économiques et industrielles pour évoluer toujours avec le même souci de responsabilité vers une stratégie de profitabilité maximum et non plus seulement d’économie. Cette parenté, les initiateurs de la RGPP ne s’en cachent pas, ils la revendiquent et l’affichent fièrement. À leurs yeux, transposer le management privé au mangement public, lorsque l’on connaît les ravages sociaux et environnementaux de tels procédés ne souffre d’aucune critique. Le cynisme dispute alors au libéralisme la justification prétendue de cette soit disant politique publique et ne ménage pas son souffle afin d’annoncer en fanfare cette filiation moderne, avant-gardiste et dans l’air du temps. C’est dans cet état d’esprit qu’il faut savoir appréhender la huitième lettre d’information de la RGPP, disponible sur le site dédié du Ministère1 : « Alsthom, L’Oréal, Toyota, Valeo, Rhodia, Faurecia... toutes ces entreprises ont un point commun : elles ont expérimenté, à une période donnée de leur histoire un système d’amélioration continue de gestion et de management (...). Dans un contexte de ressources budgétaires et humaines contraintes, l’administration s’apprête aujourd’hui à appliquer ce mode d’organisation, reposant sur l’optimisation continuelle des processus. Une méthode qui devrait lui permettre d’augmenter à la fois la performance publique, la satisfaction des usagers mais aussi la confiance des agents ». Il est utile de rappeler que les cinq règles d’or du « Lean » que l’on retrouve dans les manuels de management sont « débarrasser, ranger, nettoyer, standardiser, progresser »2, elles imposent évidemment la logique du chiffre comme seul grille d’évaluation, l’économie par seul soucis comptable et la performance normée au détriment de toute qualité adaptée au besoin. Les « 5S » comme on les surnomme dans le jargon du consulting mondialisé remplaceront-elles bientôt les trois valeurs cardinales de liberté, d’égalité et de fraternité que toute politique publique hexagonale devrait poursuivre, y compris dans le cadre de sa propre réorganisation ? De la sphère publique à la sphère privée, il n’y a qu’un pas : la contre révolution néoconservatrice du début des années 80 et l’émergence du NPM. La transposition à la politique publique des préceptes de gestion organisationnelle de la firme privée n’est pas le fruit d’un mouvement spontané mais bel et bien celui d’une conquête sciemment pensée, mûrement théorisée et finalement brutalement imposée. Elle est en fait l’aboutissement d’un double mouvement théorique, à la jointure du « nouveau management » de la profitabilité maximum et de l’idéologie de l’abaissement de l’État. 1/7

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Article de Razzy Hammadi paru dans la revue raison présente dans le numéro d'avril consacré à l'enjeu des services publics.

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RGPP…quatre lettres et un projetI. Origines et fondements

Aux origines de la RGPP…Toyota

Aux fondements de la RGPP il y a la révolution managériale qui a radicalement transformé le visage et le mode de gestion des grandes entreprises dans les années 70. Fondé sur le « coast-killing » comme seule boussole de la politique d’investissement pointant l’horizon stratégique et unique de l’économie des coûts, le « Lean », que l’on peut traduire littéralement par « penser maigre » s’est peu à peu imposé comme la pierre angulaire de toute réorganisation pour les grandes entreprises.

Imaginé et conceptualisé au travers du « Toyota Production System » puis développé au sein des fameux cabinets de conseil anglo-saxons et appliqué pour la première fois et à grande échelle par Toyota au Japon, le « Lean » connut un succès fulgurant dans les années qui suivirent.

Les objectifs stratégiques surent d’ailleurs s’adapter au nouveau capitalisme financier et d’actionnaire en évoluant de la recherche des « gaspillages » sans aucune prise en compte des conséquences sociales, économiques et industrielles pour évoluer toujours avec le même souci de responsabilité vers une stratégie de profitabilité maximum et non plus seulement d’économie.

Cette parenté, les initiateurs de la RGPP ne s’en cachent pas, ils la revendiquent et l’affichent fièrement. À leurs yeux, transposer le management privé au mangement public, lorsque l’on connaît les ravages sociaux et environnementaux de tels procédés ne souffre d’aucune critique. Le cynisme dispute alors au libéralisme la justification prétendue de cette soit disant politique publique et ne ménage pas son souffle afin d’annoncer en fanfare cette filiation moderne, avant-gardiste et dans l’air du temps. C’est dans cet état d’esprit qu’il faut savoir appréhender la huitième lettre d’information de la RGPP, disponible sur le site dédié du Ministère1 : « Alsthom, L’Oréal, Toyota, Valeo, Rhodia, Faurecia... toutes ces entreprises ont un point commun : elles ont expérimenté, à une période donnée de leur histoire un système d’amélioration continue de gestion et de management (...). Dans un contexte de ressources budgétaires et humaines contraintes, l’administration s’apprête aujourd’hui à appliquer ce mode d’organisation, reposant sur l’optimisation continuelle des processus. Une méthode qui devrait lui permettre d’augmenter à la fois la performance publique, la satisfaction des usagers mais aussi la confiance des agents ».

Il est utile de rappeler que les cinq règles d’or du « Lean » que l’on retrouve dans les manuels de management sont « débarrasser, ranger, nettoyer, standardiser, progresser »2, elles imposent évidemment la logique du chiffre comme seul grille d’évaluation, l’économie par seul soucis comptable et la performance normée au détriment de toute qualité adaptée au besoin. Les « 5S » comme on les surnomme dans le jargon du consulting mondialisé remplaceront-elles bientôt les trois valeurs cardinales de liberté, d’égalité et de fraternité que toute politique publique hexagonale devrait poursuivre, y compris dans le cadre de sa propre réorganisation ?

De la sphère publique à la sphère privée, il n’y a qu’un pas : la contre révolution néoconservatrice du début des années 80 et l’émergence du NPM.

La transposition à la politique publique des préceptes de gestion organisationnelle de la firme privée n’est pas le fruit d’un mouvement spontané mais bel et bien celui d’une conquête sciemment pensée, mûrement théorisée et finalement brutalement imposée. Elle est en fait l’aboutissement d’un double mouvement théorique, à la jointure du « nouveau management » de la profitabilité maximum et de l’idéologie de l’abaissement de l’État.

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Aussi, lorsque Reagan et Thatcher parviennent au pouvoir il leur faut légitimer la destruction de l’État wébérien, en saper les fondements et en rendre justifiable la remise en cause.

Les valets de l’ « école du public choice » se mettront alors à leur service. Pour ces libéraux ce n’est pas parce que le marché échoue qu’il doit être disqualifier, encore faut-il renverser la charge de la preuve et démontrer que sur les mêmes critères et à droits équivalents l’État peut faire mieux. Ceux-là mêmes qui déclarent, « Ce que nous voulons, c'est appliquer à l'Etat et à tous les rouages de l'économie publique exactement les mêmes techniques qui ont été utilisées depuis vingtcinq ans pour recenser les défauts et les défaillances de l'économie de marché3. », deviennent alors les nouveaux oracles de la réorganisation de l’État. Ils parviennent dans le même élan à offrir un socle idéologique à ce qui sera baptisé par la suite le « New Public Management4 (NPM)» ou « Nouvelle Gestion Publique (NGP) » (dont la RGPP est la version appliquée à la France) pour ceux qui auraient eu la faiblesse de croire que la barrière de la langue et de la culture constituait quelques protections à la « marchandisation » de l’État.

L’Etat est en fin de compte un opérateur économique comme les autres et le citoyen réduit exclusivement à la mystification que constitue l’homo economicus, et c’est à partir de là que plus rien ne s’oppose à l’application du « Lean » comme modèle de réorganisation des politiques publiques.

Les principes et outils de la NGP renvoient au rang des scolies tout principe d’intérêt général et développe, tel un lemme une logique implacable qui fonde le théorème néolibéral du moins d’État. Il n’est plus qu’à inférer qu’il n’existe nulle autre alternative et que tous ceux qui s’y opposent, demeurent de dangereux protecteurs du statu quo vociférant leur catilinaire pour plus d’État et une puissance publique plus efficace dans l’indifférence générale. Sauf à démêler l’écheveau d’une logique qui s’impose à tous afin de mesurer l’étendue des ce qui se réalise – ou se déconstruit - sous nos propres yeux.

Ainsi les éléments constitutifs de la NGP5 procèdent tant à la fois du dogme que d’un « scientifisme » en carton pâte.

« Il faut séparer la prise de décision stratégique, qui relève du pouvoir politique, de la gestion opérationnelle, qui est sous la responsabilité de l’État à l’aide de négociations de contrat de prestations ». Le fonctionnaire n’est donc plus un serviteur l’État garant d’un certain nombre de principes fondateurs que sont l’indépendance ou bien encore l’intérêt général, mais un simple opérateur, prestataire de service, et par conséquent interchangeable avec n’importe quel autre opérateur de nature privée.

« Il faut orienter les activités administratives en fonction des produits à fournir, en attribuant des budgets globaux aux gestionnaires publics qui disposent d’une large marge de manœuvre pour satisfaire à leur critère de rendement ». C’est là la fameuse exclusion de l’évaluation dynamique des besoins qui renvoie les « gestionnaires » à la répartition de la pénurie plutôt qu’à celle de véritables budgets, comme on le constate à l’université ou à l’hôpital « autonomisés ».

« Il faut réduire la hiérarchie, amincir les bureaucraties, décentraliser certaines tâches administratives par la création d’agences exécutives et de structures plus flexibles ainsi que par la déréglementation de certains statuts de la fonction publique ». On mesure ici à quel point la discipline d’application du gouvernement Fillon est parfaite, dans le cadre de la RGPP.

« Il faut introduire des mécanismes de type marché dans la production de biens et services d’intérêt général par la mise au concours pour la fourniture de certaines prestations, et par la déréglementation des monopoles publics ». S’il fallait pour s’en convaincre quelque élément permettant d’évoquer les services sociaux d’intérêt général et la transposition régressive de la directive européenne idoine dans le droit français réalisée en ce moment même par le gouvernement Fillon, il nous est ici livré sur un manuel de management. Leur mise en danger par leur soumission aux règles du marché laisse craindre pour l’avenir des crèches ou de l’insertion

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professionnelle par exemple, une remise en cause d’ampleur telle, que c’est des fondements du modèle de société dans son ensemble dont il s’agit dorénavant.

À cette étape, une conclusion s’impose et permet d’éclaircir tant les visées que le dessein d’un tel outillage jargonneux et misérablement pauvre de toute valeur universelle et émancipatrice même si en apparence il ne s’affiche qu’à travers son visage exclusivement managériale et de bon sens : « Les changements sont opérés non pas par rapport à des problèmes à résoudre, mais plutôt aux idées qui les sous tendent6 ».

Les expériences des autres pays

Au sein des grandes institutions telles que le FMI, la Banque Mondiale ou l’OCDE, la NGP est devenue mère de toute les vertus quant à la réforme des états, ses préceptes se sont répandus comme une traînée de poudre sans pour autant que les prêtres de l’évaluation constante et du « juste à temps » opérationnel nous aient livré, de façon assez paradoxale sans doute, quelques évaluations sérieuses de leur propre action.

Cependant un rapide passage en revue des expériences passées suffit pour mesurer l’effet de telles recettes si savamment pensées.

En Nouvelle-Zélande, les réformes structurelles, transformant la NGP furent surnommées de « Rogernomics » et « Ruthanasia » d'après les ministres de l'économie de l'époque, Roger Douglas et Ruth Richardson. La récession induite par le krach d'octobre 1987 couplée au choc des réformes entraîne une hausse du chômage dans le pays, qui atteint 10 % de la population active au début des années 1990 et d’une explosion des inégalités sans précédents que la baisse du chômage à partir de la seconde moitié des années 90 ne suffira pas à résorber. Un grand nombre de services publics auront été privatisées avec les conséquences que l’on sait.

Au Canada la NGP fut baptisée « revue des programmes » sous l’impulsion de Jean Chrétien en début des années 90. Entre 1995 et 1998, chaque Ministère s’est vu amputé de 5% à 40% de son budget, un poste sur six de fonctionnaire a été supprimé et une privatisation en masse touchant les domaines des transports, de l’énergie ou bien encore de la santé fût mené à son terme sacrifiant le bien commun sur l’autel des reformes structurelles. Dès le début des années, un vaste plan de réembauche de fonctionnaires était lancé… Contrairement à l’absence de services publics, le ridicule ne tue pas.

Certes à chaque fois de substantielles « économies ont été réalisées », une part conséquente des déficits comblés mais nous pouvons légitimement nous interroger sur le coût de tels sacrifices, évidemment d’un point de vu social et humain mais aussi en terme comptable d’autant qu’à la faveur de la crise il est apparu que les champions des réductions budgétaires et les premiers de la classe des dictées du FMI, de la Banque Mondiale ou de l’OCDE à l’instar des Royaume-Unis pouvaient ressortir à la faveur d’une crise en pire état que des pays qui avaient décidé de préserver une fonction publique forte et protégée, des services publiques financés et non mis en concurrence, des budgets sociaux et d’avenir.

En un mot, les économies aveugles de structures d’aujourd’hui sont les passifs en infrastructures sociales et de cohésion que nous léguerons à nos enfants demain.

II. La RGPP, concrètement

Une bombe à fragmentation

« La révision générale des politiques publiques constitue une réforme de l’État sans précédent. 374 décisions, organisées autour de 6 axes de modernisation, ont été adoptées, lors de trois conseils de modernisation des politiques publiques qui ont eu lieu entre décembre 2007 et juin 2008. Ces décisions font aujourd’hui l’objet d’un dispositif de suivi rigoureux, piloté au plus haut niveau de l’État, afin de garantir leur mise en œuvre dans

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les délais fixés et en toute transparence. Le deuxième rapport d’étape, rendant compte mesure par mesure de l’état d’avancement de la réforme, a été présenté en Conseil des ministres par Éric Woerth, le rapporteur général de la RGPP, le 13 mai 2009 »7. Voilà donc pour le discours officiel, la communication officielle du 9 décembre en Conseil des Ministres d’Eric Worth, annonçant la seconde étape de la RGPP n’ayant pas modifié l’édito du site officiel…

Dans les faits, la RGPP agit comme une bombe à déflagration, aucun secteur de nos politiques publiques ne semble en échapper. Après le rapport d’étape de mai 2009, pas moins de 374 mesures touchant à l’ensemble des aspects de la vie quotidienne des français devront être appliquées avant 2011. En cela, la RGPP cheval de Troie du démantèlement de l’emploi public par le non remplacement d’un départ en retraite sur deux est bien plus qu’une réforme de l’État, elle est un projet de société à elle seule. Celui de la droite au pouvoir.

D’aucuns apprendront juste qu’elle existe au détour de communiqués syndicaux ou politiques lorsqu’ils ont la chance d’être repris par les media, à la suite tantôt de la suppression d’une direction administrative départementale tantôt de sa fusion, avec dans les deux cas bien entendu, leur corolaire : des suppressions de poste.

D’autres fois les décisions de la RGPP prennent le véhicule de la loi afin d’atteindre leurs objectifs à l’instar des visées revendiquées par la réforme de la carte judiciaire ou bien encore de la loi Bachelot sur l’hôpital public inscrites au bilan de la RGPP8. Enfin quelques fois c’est par décret ou arrêté que la décision s’impose lorsque ce n’est pas à l’aune de la transposition d’une directive européenne que la RGPP saisit l’opportunité de la régression.

On notera dans le bilan de la RGPP organisé par ministère et cela, sans aucune cohérence d’ensemble mais qui n’est qu’apparente, toute une série de mesures présentées avec aménité et vernis du verbiage qui fait le bon sens du consulting standardisé.

Ainsi le Ministère de l’emploi revendiquera-t-il, parmi d’autres mesures et au titre de sa contribution à la RGPP, les procédures de passation des marchés publics qui ont été simplifiées sur la base des propositions du rapport sur « la qualité et la simplification du droit » du député Jean-Luc Warsmann (suppression de la saisine obligatoire de la Commission des marchés publics de l’Etat pour les marchés de plus de 6 millions d’euros par exemple), la suppression de l'Inspection générale du tourisme ou bien encore la création d'une Autorité de la concurrence issue de « la clarification » des compétences entre le conseil de la concurrence et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes… Le Ministère de l’Éducation avancera quant à lui, la semaine scolaire « aménagée », ainsi que l'organisation de la semaine scolaire revue et d'une durée de 4 jours ou 9 demi-journées.

Enfin pour parachever la description qui caractérise l’hétéroclite ensemble de mesures qui n’altère en rien la cohérence de l’ensemble, il faut aussi citer9 : la loi de mobilité des fonctionnaires, la loi Boutin sur le logement qui relève les plafond de ressources permettant d’accéder à un logement social, les ponctions réalisées sur « le 1% logement » (qui rappelons-le n’est rien d’autre que l’argent des salariés), la carte militaire, les dispositifs de visioconférences, la loi pénitentiaire… toute revendiquée comme des acquis de la RGPP. Comme le disait Pierre Dac « tout est dans tout »…

Le « tout » justement, nonobstant les suppressions de postes de fonctionnaires et les réorganisations arbitraires qui systématiquement replacent sous l’œil vigilant et la main zélé des préfets les administrations locales réorganisées, pourrait prêter à sourire s’il ne soulevaient pas les deux objections suivantes : Qui de la RGPP ou de la loi, (en d’autres mots la démocratie) commande l’autre ? Et dans le cas où la RGPP commanderait la loi, qui commande la RGPP ? Qui l’évalue et la contrôle ?

Opacité et privatisation de la décision publique

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Pour certains, à l’instar de Terra Nova10, la RGPP revendique par « pur affichage » certaines mesures ou transpositions de directives qui l’auraient été avec ou sans la RGPP, et par conséquent laissent sous-entendre qu’elle se donne bien plus d’importance que d’apparence. La maladresse suppose ici une certaine candeur pour ne pas parler de naïveté face au pouvoir en place.

Tout d’abord, les arrêtés et décrets sont allègrement et massivement utilisés par ce pouvoir lorsque par la petite fenêtre de l’application les décisions s’imposent plus facilement que par la grande porte médiatique de la loi (à l’instar de loi sur la mobilité des fonctionnaires).

Ensuite, il faut véritablement que le conformisme vermoulu l’ait emporté sur tout sens critique dans la tête de nos chers experts pour croire après des années de pratique que la transposition d’une directive européenne est neutre en soi11 et déconnectée de toute visée idéologique dans sa mise en œuvre.

Enfin lorsque la vénérable Cour des Comptes déclare12 qu’elle « avait mis en évidence, dans son rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de 2007, l’absence de lien entre les audits de modernisation et le budget de l’Etat », en se demandant, « si la RGPP avait constitué le creuset de la programmation triennale »…Tout est dit. L’obscure processus de décision inquiète au-delà des critiques d’escarmouches tant il apparaît comme décisif sur le budget même de la nation.

Dans les faits aucune des décisions revendiquées par la RGPP ne semble lui être étrangère, aucune ne semble échapper à sa logique. Cette unicité tient à deux éléments, le premier est que c’est à la tête de l’État que se décide la RGPP, le second au fait que ce sont des opérateurs privés qui en assurent le principal conseil.

C’est autour de Claude Guéant, le secrétaire général de l’Élysée qu’un comité restreint et de suivi préside aux destinées de la RGPP et donc de notre quotidien. De ce point de vu, nul ne pourrait raisonnablement croire que c’est en faisant abstraction du déroulé et du contenu législatif prévu, ou plutôt à prévoir, que ce dernier apporte sa contribution à la RGPP. Jean-Marc Canon, secrétaire général du syndicat des fonctionnaires déclarait récemment, « tout se fait dans le secret. La règle c’est aucune consultation ». Or c’est bien sur l’ensemble des 1000 milliards de dépenses publiques que se penchent la RGPP, soit un ordre de grandeur qui modifié dans sa structure et son volume ne laisse pas indifférentes et inchangées les structures à même d’assurer notre pacte social et républicain. C’est à la représentation nationale que reviennent le droit et le devoir de discuter de telles unités de mesures.

Au quotidien, c’est à l’extrême opposé de cette revendication légitime qu’opère ce char d’assaut de l’austérité qu’est la RGPP. Si le secrétaire général de l’Elysée est à la commande, ce sont des cabinets de conseils privés qui assurent la mesure et les cibles, l’avancement et l’évaluation. Ces éléments demeurent dans le détail indisponibles pour le plus grand nombre et non débattus par la représentation sociale et nationale.

Ernst & Young, Mc Kinsey, Capgemini, Boston consulting group… sont les principaux cabinets de conseils et d’audits auxquels a fait appel la Direction générale de la modernisation de l’État (DGME), pour évaluer les administrations et les politiques publiques françaises. Il revient donc à des cabinets privés d’évaluer quelle doit être l’organisation et le périmètre de l’État.

Des corps d’inspections prestigieux, l’émergence d’une fonction publique citoyenne, plus de deux cents ans d’histoire et de construction patiente, quelque fois tumultueuse, mais toujours guidée par la poursuite de l’intérêt général pour façonner l’État républicain, et tout cela pour en arriver là. À ce point de régression que constitue la RGPP.

Est-il utile rappeler que le directeur de DGME, recruté en 2007 par Éric Woerth lui-même, n’est autre que François Daniel Migeon précédemment associé de Mc Kinsey…

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D’ailleurs l’approche par le coût de la RGPP elle-même, est loin d’être inintéressante. Si la précision des données est indisponible afin de connaître la part engagée pour financer exclusivement les cabinets de conseil privés, les ordres de grandeurs laissent imaginer le montant.

La ventilation des principales dépenses liées à la RGPP (2007-2009)13 en tentant de l’appréhender à travers les autorisations d’engagements (AE) et les crédits de paiement (CP) laisse le citoyen ordinaire pantois :

Le seul coût en conseil de la RGPP payé par les citoyens eux-mêmes afin que l’on mesure et qu’on décide de ce qu’il convient ou pas de leur supprimer en termes de services publics est depuis 2007 de plus de 200 millions d’euros.

Quelle voie pour une « autre » politique de réforme de l’Étatl’opposition ?

Malgré ses acquis et réformes, à l’instar de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) permettant de concilier démocratie et performance, principes républicains et transparence, fFace à la RGPP, la gauche semble avoir été anesthésiée par son apparente complexité, elle est apparue paralysée par la nature ubiquiste du dispositif et submergée parde ses effets.

C’est pour cette raison que c’est avant tout de manière politique que doit être abordée l’opposition et l’alternative à la RGPP. S’opposer à ce programme qui est en définitive un projet de société à lui seul n’implique en aucun cas que ses opposantnous soientyons les défenseurs du statu quo, bien au contraire.

Il y a une différence perceptible de tous dès qu’il s’agit de parler à l’intelligence de nos concitoyens, entre organiser la régression de l’État et promouvoir son développement et sa modernisation par la réforme.

Cette ligne de démarcation doit désormais réinvestir le champ du débat public. Ce champ de bataille idéologique doit permettre de mIl nous faudra mesurer par le biais d’une expertise citoyenne et exhaustivenous-mêmes, engageant syndicats, associations et partis politiques, les régressions provoquées sur l’ensemble du territoire par la RGPP, les qualifier afin de les rendre visibles et audibles, aux yeux et à l’oreille de tous. Il y a là une urgence, à la fois parce que la mobilisation le nécessite, mais aussi parce que la réforme au service du progrès l’exige.

Il faudra expliquer, et partager l’idée d’État, ce nécessaire bien commun afin de construire l’alternative à la hauteur d’un projet de société dont la grandeur d’âme doit valoir bien plus que celle de leur quatre lettres.

Notes :

1 http://www.modernisation.gouv.fr2 Production Maintenance, Christian HOHMANN, Agamus Consult, conseil en performance opérationnelle. Mars 2005

3 Gordon Tullock, The vote Motive. Institute of Economic Affairs, Hobart Papers, 1976.4 Osborn & Gaebler, Réinventer le gouvernement, 1993.5 Spanou C., Abandonner ou renforcer l’état wébérien ?, Revue française d’administration publique 2003/1-2

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6 Ezra Suleiman, Le démantèlement de l’État démocratique ; L’histoire immédiate, Seuil, mai 20057 Edito du site en ligne en février 2010, http://www.rgpp.modernisation.gouv.fr/8 http://www.rgpp.modernisation.gouv.fr/9 Deuxième rapport d’étape de la RGPP, Eric Woerth, Ministre du budget10 Réforme de l’État, revenir aux fondamentaux et arrêter l’idéologie. Note de Terra Nova. 6 janvier 2009.11 La dernière transposition en date celle la directive « service » concernant notamment les services sociaux d’intérêt général se réalise en France sans que le Parlement ne soit saisi alors que dans la plupart des pays d’Europe, elle a donné lieu à des loi cadres publiquement débattues.12 Rapport public annuel 2010 ; Cour des Comptes13 La méthode suivie par la révision générale des politiques publiques, François Lafarge, Revue française d’administration publique, ENA, 2009.

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