Responsabilité d’un agent des services hospitaliers pour maltraitance

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Droit, déontologie et soin Juin 2005, vol. 5, n° 2 250 C AS PRATIQUE Responsabilité d’un agent des services hospitaliers pour maltraitance Simulation d’expertise judiciaire en soins infirmiers Jérôme EGGERS Directeur des soins, Centre hospitalier de Laval. Le cas pratique présenté ici est une simulation d’expertise judiciaire. Cet exercice d’analyse est demandé aux professionnels infirmiers se préparant au DU Droit, expertise et soins. Basé sur du vécu, il témoigne de l’aptitude de l’étudiant à rédiger un rapport d’expertise et permet plus largement à la profession infirmière d’affirmer une compétence autonome par sa capacité d’auto-évaluation, apportant ainsi aux tribunaux un éclairage circonstancié sur les pratiques soignantes. Le diplôme universitaire « Droit, expertise et soins » permet la validation d’un contenu universitaire tourné vers l’expertise judiciaire et l’évaluation en soin. Il vise notamment les publics paramédicaux qui n’ont, à l’heure actuelle, pas pu accéder à la reconnaissance par les cours d’appel du titre d’expert agréé et ne figurent pas sur une liste d’experts à la disposition des juridictions en vue d’éclair- cir des questions techniques. Pourtant, le titre d’expert agréé n’est pas une fin en soi : posséder ce titre permet l’exercice de missions temporaires comme auxiliaire de justice, mais au delà d’une nouvelle compétence acquise, les professions paramédicales font valoir une expertise soignante, indépendante et différente à la fois de celle des médecins, dont la justice a également besoin pour circonscrire les faits des affai- res liées à la santé et au soin. Le titre du diplôme l’explicite bien : l’expertise couvre le soin et non le droit. Il s’agit bien de donner aux paramédicaux les moyens de faire valoir le soin par des moyens de droit ; le cheminement est alors tracé : expertise en soin, puis méthodologie et apports juridiques enfin, expertise judiciaire.

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C A S P R A T I Q U E

Responsabilité d’un agent des services hospitaliers pour maltraitanceSimulation d’expertise judiciaire en soins infirmiers

Jérôme EGGERS

Directeur des soins, Centre hospitalier de Laval.

Le cas pratique présenté ici est une simulation d’expertise judiciaire. Cetexercice d’analyse est demandé aux professionnels infirmiers se préparantau DU Droit, expertise et soins. Basé sur du vécu, il témoigne de l’aptitudede l’étudiant à rédiger un rapport d’expertise et permet plus largement àla profession infirmière d’affirmer une compétence autonome par sacapacité d’auto-évaluation, apportant ainsi aux tribunaux un éclairagecirconstancié sur les pratiques soignantes.

Le diplôme universitaire « Droit, expertise et soins » permet la validationd’un contenu universitaire tourné vers l’expertise judiciaire et l’évaluation en soin.Il vise notamment les publics paramédicaux qui n’ont, à l’heure actuelle, pas puaccéder à la reconnaissance par les cours d’appel du titre d’expert agréé et nefigurent pas sur une liste d’experts à la disposition des juridictions en vue d’éclair-cir des questions techniques.

Pourtant, le titre d’expert agréé n’est pas une fin en soi : posséder ce titrepermet l’exercice de missions temporaires comme auxiliaire de justice, mais audelà d’une nouvelle compétence acquise, les professions paramédicales fontvaloir une expertise soignante, indépendante et différente à la fois de celle desmédecins, dont la justice a également besoin pour circonscrire les faits des affai-res liées à la santé et au soin.

Le titre du diplôme l’explicite bien : l’expertise couvre le soin et non ledroit. Il s’agit bien de donner aux paramédicaux les moyens de faire valoir lesoin par des moyens de droit ; le cheminement est alors tracé : expertise en soin,puis méthodologie et apports juridiques enfin, expertise judiciaire.

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La fin du cursus du diplôme universitaire « Droit, expertise et soin »1 estmarquée par la production d’un mémoire de fin d’études prenant en partie laforme d’un rapport d’expertise. Il s’agit, au travers d’une situation plus ou moinsréelle, de montrer la capacité à exposer des faits et des témoignages sans analyseni commentaire (I), puis d’expliciter la responsabilité juridique vue au planindemnitaire (civil et administratif), au plan pénal ainsi qu’au plan disciplinaire(II), puis enfin, reprenant alors le déroulement du plan d’un rapport d’expertise,d’analyser les faits et de dire le point de vue de l’expert (III).

I – Exposé des faits

A – Le contexte2

1 – Données générales et environnementales

Le centre hospitalier de M. est un établissement public de santé, tête desecteur d’un département de moyenne importance (400 000 habitants), quicomprend 1 500 lits environ, dont 585 relèvent du secteur médico-social c’està dire d’un établissement d’hospitalisation de personnes âgées dépendantes(EHPAD) et de quatre maisons de retraite qui lui sont annexées, et qui sontréparties en ville et dans la proche banlieue. Sur le plan juridique, il s’agit d’unmême et unique établissement public à la tête duquel est placé un directeurnommé par le ministre chargé de la santé.

2 – Le médico-social au sein du sanitaire

Le secteur médico-social constitue une direction fonctionnelle au sein del’entité juridique du centre hospitalier de M. avec un directeur d’établissementsanitaire et social, directeur adjoint au centre hospitalier. Pour l’exécution desmissions d’accueil, de soins et d’hébergement des personnes âgées, le secteurmédico-social fait appel aux autres directions fonctionnelles du centre hospita-lier : services économiques, finances, direction des ressources humaines et direc-tion des soins, principalement.

3 – L’organisation des soins en unité médico-sociale

Dans chaque structure géographiquement indépendante, l’équipe de soinsest composée d’infirmières, d’aides-soignants et d’agents des services hospita-liers. Elle est complétée par un aide médico-psychologique pour l’animationet par d’autres personnels intervenant de manière plus ponctuelle (secrétariat,

1. Institut de formation et de recherche sur les organisations sanitaires et sociales et leurs réseaux (IFROSS),Faculté de droit, Université Jean Moulin, Lyon 3.2. Les faits, les lieux et les personnes ont été modifiés par rapport à la réalité, réalité dont certaines partiesn’ont pas été reprises, ou ont été arrangées.

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kinésithérapeute, coiffeuse, aumônier, lingère, pédicure…). Un cadre de santéest placé dans chaque structure ; il est responsable du personnel et de l’organi-sation de l’accueil, des soins et de l’hébergement.

Un cadre supérieur de santé coordonne l’ensemble des cadres de santé etrelève du directeur des soins, bien que placé en position fonctionnelle auprès dudirecteur adjoint du secteur médico-social.

Le roulement des équipes est établi par le cadre de santé de l’unité en fonc-tion d’une dotation en personnels fixe au long de l’année. La direction des soinspourvoit au remplacement des personnels malades ou absents afin, dans lamesure du possible, de maintenir un niveau constant de personnels auprès despersonnes âgées.

L’unité de soins Saint-André qui nous intéresse est située à 5 km du centreville et comprend 95 lits de résidents âgés. L’équipe d’une trentaine de personnesest dirigée par Mme J., cadre de santé, depuis 3 ans dans cette unité.

B – Rappel des faits

1 – Suite chronologique

Le 21 mars 2004, une violente dispute éclate dans la salle de soins de Saint-André entre les membres de l’équipe du soir. Mmes G. et S., aides-soignantes(AS), reprochent à Mlle M., agent des services hospitaliers (ASH) son compor-tement auprès d’une résidente Mme C. La transmission écrite rapporte les faitssuivants :

Lors de la réfection du lit de Mme C. (assise dans son fauteuil), Mlle M.s’apprêtant à mettre un change bleu pour la nuit sous l’oreiller découvre qu’ily en a un. « Déjà un, tu t’es servie sur le chariot, tu ne peux pas t’empêcher devoler et d’en mettre partout ».

Mlle M. estime avoir fait son travail.

Le 24 mars 2004, la transmission écrite est raturée : les initiales écrites enpremier sont MM (correspondant à Mlle M.) et celles écrites au-dessus en clairsont MG (pour Mme G., AS).

Le 2 avril 2004, nouvelle altercation entre les membres de l’équipe (matin)qui font les reproches suivants : « Mlle M. s’en prend toujours à Mme C. et luireproche son incontinence. Au moment de la toilette, Mme C. explique quequand elle sera vieille, elle comprendra. Mlle M. dit : “Je ne serai jamais vieillecomme toi, ferme ta gueule, si tu n’es pas contente change de maison deretraite” ».

Mlle M. nie, à la transmission, avoir tenu de tels propos.

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Le 6 avril 2004, le cadre de santé du service convoque pour un entretienMlle M. Un rapport est envoyé au cadre supérieur de santé le 7. Ce rapportmentionne les faits du cahier de transmission, mais Mlle M. évoque des soucisde famille : elle est seule avec un enfant jeune à élever, et ne donne aucune expli-cation quant à son attitude envers l’équipe et les résidents.

Le 12 avril 2004, Mlle M. est à nouveau convoquée par le cadre de santéen présence du cadre supérieur, pour de nouveaux faits envers les résidents.Mlle M. prétexte qu’ils ne figurent pas dans les transmissions et que ce sontdes ragots. Le cadre évoque les pauses cigarettes et les coups de téléphone àrépétition. Mlle M. soutient à nouveau être seule et avoir besoin d’amis. Lesdeux rapports sont transmis au directeur des soins, le 16 avril 2004, à sademande. L’existence de problèmes avec Mlle M. figure, en effet, dans lecompte rendu de la réunion des cadres supérieurs avec le directeur des soins,du 15 avril 2004.

Le 16 avril 2004 une réunion de service est provoquée par le cadre supé-rieur de santé où sont dits les problèmes de relation et de travail avec Mlle M.Le compte rendu de la réunion reprend les divers éléments cités plus haut sansrien apporter de nouveau.

Ce même jour, le cadre de santé s’entretient avec les divers résidents citéspour connaître leur version des faits. Le compte rendu évoque des reprochessur les changes, l’alimentation (une soupe à laquelle Mlle M. a intégré tous lesaliments du repas y compris le fromage, le refus de donner du pain pour desraisons d’incontinence fécale) et sur le comportement de l’agent : propos vul-gaires et insultes.

Le soir, Mlle M. change Mme C. Elle lui reproche d’avoir tout divulgué,et ses propos sont tenus devant sa collègue de travail, Mme G., et rapportésdans la transmission écrite. Mme G. sort pour s’occuper d’une sonnette (il est20 h 05 sur la carte électronique). Au moment où elle revient aider à la fin duchange, elle trouve Mme C. par terre, au bas du lit, dans l’impossibilité de bou-ger et Mlle M. en pleurs à côté.

Appel immédiat de l’infirmière qui arrive aussitôt (20 h 15 sur la transmis-sion, horaire confirmé par le rapport de Mme G.) et alerte le Samu et l’admi-nistrateur de garde. Le directeur des soins de garde arrive en premier (il habitesur place) et constate une déformation importante de la hanche droite.Mme C. respire mais dit qu’elle a mal à la jambe et qu’elle ne peut pas bouger,elle a 92 ans. Le médecin du Smur arrive à cet instant (20 h 31) et diagnostique,à première vue, une fracture du col du fémur droit, sans autre problème.Mme C. est mise en condition et évacuée sur le centre hospitalier. Elle est opéréedans la nuit du 16 au 17 avril (prothèse de hanche) et placée en chirurgie ortho-pédique après le réveil.

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Elle rentre dans sa chambre à Saint-André le 26 avril et bénéficie de larééducation sur place.

2 – Audition des personnes

Mme G, aide-soignante

Elle se trouve d’horaire « soir » ce vendredi, en équipe avec Mlle M. qu’elleconnaît depuis son arrivée à Saint-André, il y a 6 mois environ. Elle reconnaîtqu’il y a des problèmes de comportement depuis plusieurs semaines mais qu’ellen’en a parlé que depuis fin mars, parce qu’elle sait les problèmes personnels deMlle M.

Sur le soir en question, Mme G. dit ne pas avoir eu de souci dans le travail,jusqu’à son retour dans la chambre de Mme C. Une sonnette a retenti à 20 h 05dans une chambre de l’autre couloir : une résidente demandait de l’eau ; le tempsde remplir la carafe et de l’installer pour la personne, elle reprend le cheminde la chambre de Mme C. Elle n’a pas entendu de bruit ni de cri. À l’arrivée,Mme C. est à terre et se plaint de douleurs, et Mlle M. à côté, le visage dans lesmains et en pleurs.

Mme G. dit s’être précipité vers Mme C. qui semblait choquée, et appelleimmédiatement l’infirmière sur le portable. L’infirmière arrive presque aussitôtet appelle le Samu de son portable.

Mme G. a demandé à Mlle M. ce qui s’était passé mais elle pleurait tropet n’a pas pu répondre.

Mme B., infirmière

A été appelée vers 20 h 15 par Mme G. pour une chute dans la chambrede Mme C. (n° 308). Le premier examen de Mme C. ne met pas en cause unedétresse vitale, mais l’inquiétude vient du fait qu’elle ne puisse bouger. Elledécide d’appeler le Samu qui dépêche un Smur sur place. Dans l’intervalle, elleessaie de parler avec Mlle M. qui pleure avec des hoquets, mais ne dit rien. Ledirecteur de garde arrive un peu avant le Smur.

Dr Z., médecin du Smur

Mme C. souffrait d’une fracture à la suite d’une chute de la hauteur de sonlit, semble-t-il. La patiente était choquée mais rien au niveau vital. Elle a connudes suites « classiques » pour ce type de fracture et compte tenu de son âge.

M. T., directeur de garde (directeur des soins)

A été appelé comme directeur de garde, pour une chute dans des circonstancesmal éclaircies. Comme il habite sur place (logement de fonction), il a rapidementpu être sur les lieux. A constaté que la résidente, Mme C., était à terre, consciente

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mais choquée et qu’elle avait mal à la jambe. Le médecin du Smur arrive rapide-ment après lui et procède à l’examen médical.

Il décide d’éloigner Mlle M. du lieu de l’accident et l’emmène dans lebureau du cadre de santé au rez-de-chaussée. Là, Mlle M. explique qu’elle étaiten train de faire le change et qu’elle était en colère parce qu’on lui faisait diredes choses injustes. Mme C. a été agressive avec elle et ne voulait plus qu’ons’occupe d’elle. Mlle M. a alors dit que Mme C. lui a échappé des mains etqu’elle est tombée du lit. À ce moment, Mme G. est arrivée et a pleuré sous lechoc, dit-elle.

Mlle M., agent des services hospitaliers qualifié

A passé sa journée (horaires du soir) comme d’habitude : arrivée à 13 h 35,transmissions avec l’équipe du matin, débarrassage du repas et vaisselle, ménage,goûter des résidents, puis préparation du repas du soir. Après le repas qui estdonné tôt (18 h 15), retour dans les chambres des résidents, puis préparationdu coucher.

Avec Mme C. les choses sont toujours compliquées : il faut faire les chosescomme elle veut et pas comme moi je veux. Le change du soir est nécessaireparce qu’elle ne « garde » pas.

« Elle parle trop. Je le lui ai dit. » Mlle M. raconte qu’elle avait envie delui dire « ses quatre vérités » ce soir-là. Elle s’est peut-être un peu énervée maisne voulait pas lui faire de mal. Mme C. a mal compris ses intentions au momentdu change et au lieu de se raccrocher à elle pour tourner, elle a voulu attraperune chaise. Elle a perdu l’équilibre et Mme C. est tombée du lit. Sa collègue estarrivée à cet instant et elle a pleuré parce qu’elle était choquée et qu’elle necomprenait pas comment cela était arrivé.

À la fin de l’entretien, Mlle M. précise qu’elle a reçu, au courrier du matin,une convocation de la DRH pour s’expliquer sur les faits racontés par ses col-lègues, et les plaintes des résidents.

M. D., directeur des ressources humaines

Confirme avoir reçu les rapports adressés au directeur des soins concernantMlle M. et avoir décidé de la convoquer en entretien le 20 avril 2004.

Mme C., résidente

Mme C. est visiblement choquée par les événements récents. Elle précisequ’elle fait l’objet de maltraitance de la part de Mlle M., alors qu’avec ses col-lègues tout se passe plutôt bien. Ce soir-là, le change s’est mal passé. Mlle M.lui faisait reproche d’avoir dit tout ce qui se passait dans la chambre avec elle.Elle l’a insultée, mais ne se rappelle pas bien les mots utilisés. Au moment de se

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tourner vers Mlle M. pour le change au lit, elle n’a pas voulu la tenir, elle a eupeur. Elle voulait attraper la chaise, mais ne se souvient pas bien, et elle esttombée.

II – Analyse du droit de la responsabilité

A – La responsabilité indemnitaire administrative

1 – Le contentieux administratif est distinct du contentieux civil

Les lois des 16 et 24 août 1790 (article 13) confirmées par le décret du 16Fructidor an III (2 septembre 1795), ont institué la règle que les tribunaux nesauraient connaître des actes d’administration ni d’aucunes procédure et juge-ment intervenus à cet égard.

La responsabilité administrative a elle-même évolué dans ce contexte précisde séparation des juridictions administratives, partant d’une irresponsabilitétotale puis, au fur et à mesure de l’évolution jurisprudentielle, vers une respon-sabilité pour risque.

2 – La position du centre hospitalier à l’égard du droit

Le centre hospitalier de M. est un établissement public de santé au sens del’article L. 6141-1 du code de la santé publique (CSP). Il est communal au sensde l’article L. 6143-5 du même code, puisque le président du conseil d’adminis-tration est le maire de la commune, siège du CH. Le personnel de l’établissementrelève de la fonction publique hospitalière au sens du titre IV du statut généraldes fonctionnaires (loi n° 86-33 du 9 janvier 1986).

Ces éléments nous permettent de confirmer que le centre hospitalier de M.est un établissement public qui exerce des missions de service public, et, à cetitre, relève bien du droit administratif en matière de contentieux.

3 – Le recours en indemnisation

La victime, ou ses ayants droit, peuvent demander à la juridiction admi-nistrative réparation du préjudice subi par Mme C. Auparavant, il s’agit d’éta-blir la faute de l’établissement, le dommage et le lien de causalité entre les deux.

La faute

Il s’agit d’établir si le soin donné par Mlle M. à Mme C. est fautif parmanquement à une obligation, ou abstention dans le comportement de Mlle M.à l’égard de Mme C. Le défaut de sécurité au moment du retournement deMme C. par Mlle M. est à l’évidence une faute. Si la sécurité n’était pas présente

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au moment du retournement, Mlle M. aurait dû attendre le retour de sa collèguepour assurer un soin dans les règles de l’art.

On peut cependant s’interroger sur deux autres éléments.

D’une part, l’établissement public de santé a laissé perdurer une situationde conflit entre Mlle M. et Mme C. sans mettre un terme à la relation problé-matique. Il s’est en effet écoulé une durée de 3 semaines entre le 21 mars 2004et le 16 avril 2004 sans décision de l’administration, même si les rapports ontbien été transmis.

D’autre part, le fait qu’un ASH assure auprès de résidents des soins cor-porels est en contradiction avec la définition contenue dans le décret n° 89-241du 18 avril 1989 modifié, qui précise en son article 11 :

« Les agents des services hospitaliers qualifiés sont chargés de l’entretienet de l’hygiène des locaux de soins et participent aux tâches permettant d’assurerle confort des malades. Ils ne participent pas aux soins aux malades et aux per-sonnes hospitalisées ou hébergées ».

Il s’avère que Mlle M. est agent des services hospitaliers qualifié titulaire.

Ces deux éléments sont de nature à engager la responsabilité du servicepublic hospitalier pour faute de service. Dès lors, la faute est constituée au moinsd’une faute de service suffisante pour un recours en indemnisation.

Néanmoins, il y a lieu de s’interroger sur la faute commise dans l’exécutiondu soin par Mlle M., en particulier sur le fait que la faute puisse être détachéede tout lien avec le service. Cette notion posée par l’arrêt Pelletier (TC 30 juillet1873) permet l’immixtion du judiciaire pour une faute clairement identifiéecomme n’appartenant pas à l’administration. En clair, la faute « détachable »peut être la volonté de nuire ou l’incurie, totalement hors des fonctions habi-tuelles. Il ne s’agit pas, comme ici, apparemment, de l’impéritie de Mlle M. dansl’exercice de fonctions qu’elle a déjà l’habitude de pratiquer, même en dehorsdu contexte réglementaire, nous l’avons vu. Cette faute, que nous considérons« non détachable », peut être qualifiée pénalement mais resterait, dans cettehypothèse, prise en charge par l’employeur ou son assureur.

Le dommage

Le dommage peut être regardé comme double : il est lié au préjudice subipar Mme C. du fait de Mlle M., dont le comportement ne semble pas être celuiqu’on est en droit d’attendre dans la relation soignant/soigné. D’un autre côté,le soin mal exécuté (manquement à une obligation de sécurité) a les conséquen-ces d’une fracture opérée et des suites chirurgicales chez une personne de92 ans.

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Le lien de causalité

Le lien de causalité est établi de manière certaine entre l’action de soin malréalisée et la fracture du col du fémur. On peut également se poser la questiond’un lien entre l’attitude de Mlle M. envers Mme C. et la fracture de Mme C.En effet, la colère de Mlle M., générée par la relation perturbée entre les deuxpersonnes peut aussi être à l’origine de l’impatience manifestée lors du soin parMlle M. Cet élément circonstanciel pourra être apprécié aussi au pénal, dans unsecond temps.

La procédure administrative contentieuseDevant le tribunal administratif, deux voies peuvent être choisies par

Mme C. : la requête (article R. 411-1 du Code de justice administrative) ou leréféré (article R. 531-1 du même code).

– Requête introductive d’instance

Dans ce cas, il s’agit de former un recours contre une décision du centrehospitalier. La famille adresse une demande d’indemnisation qui est soit refuséepar le directeur, soit restée sans réponse durant 4 mois. Mme C. a alors deuxmois pour exercer son recours.

Cette procédure est plus longue que le référé puisqu’elle suppose une déci-sion négative ou une absence de décision du centre hospitalier. Elle peut cepen-dant se révéler intéressante dans le cadre d’un recours « négocié » avec lecentre hospitalier. Cependant, les hôpitaux étant aujourd’hui presque tousassurés, la réponse de l’assureur sera pratiquement toujours négative et lerecours inévitable.

– Référé administratif

Cette voie est rapide et ne nécessite pas une décision administrative préa-lable. Elle permet, en outre, la décision d’un expert judiciaire par le présidentdu tribunal administratif (ou le magistrat désigné). Le référé administratifprend la forme d’une simple requête (article R. 531-1 du code de justice admi-nistrative).

La suite de la procédure d’indemnisation est une procédure essentiellementécrite, par échange de mémoires entre les parties. Intervient ensuite un jugementdu tribunal administratif qui précise les indemnisations. Ce jugement est sus-ceptible d’appel, voire de pourvoi en cassation (Conseil d’État).

Enfin, si l’hypothèse de la faute détachable est retenue, l’employeur – etnon son assureur – peut envisager une action récursoire. Elle est exceptionnelle,car elle suppose la solvabilité de l’agent public et l’intentionnalité de la faute,ce qui ne semble pas présent en l’espèce. L’employeur a cependant la possibilitéd’une action disciplinaire, nous le verrons.

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4 – De l’opportunité, en l’espèce

Mme C. aura intérêt à former un référé administratif par l’intermédiairede son conseil. Elle devra alors consigner une constitution de garantie pour ladésignation d’un expert qui procédera aux diligences nécessaires sur lesquellesnous reviendrons.

Se pose ensuite l’opportunité d’une plainte devant la juridiction répressive.

B – La responsabilité pénale

L’action publique vise à statuer sur une infraction pour faire prononcerune peine à l’encontre de l’auteur. Il est donc nécessaire de se référer à uneinfraction écrite dans la loi pénale et, d’autre part, de trouver un auteur des faits(personne physique ou personne morale).

1 – L’infraction pénale

De la même manière qu’en droit administratif, il est nécessaire de trouverl’infraction caractérisant la faute pénale, puis le préjudice et, enfin, le lien decausalité.

Le code pénal répertorie deux types d’infraction : volontaire ou involontaire.L’analyse des faits ne permet pas d’apporter la preuve que la faute ait pu êtreprovoquée intentionnellement par Mlle M. : pas de témoins oculaires, mémoiredéfaillante de Mme C., absence de déclaration de Mlle M. L’analyse des faitsrelève plutôt une mauvaise évaluation de la situation, un manque de diligence ;dans ce contexte, nous ne retiendrons donc que les infractions involontaires.

L’infraction relève de l’article 121-3 du Code pénal car Mlle M. a provo-qué des blessures involontaires à Mme C. :

« Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Tou-tefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas d’imprudence, de négligenceou de mise en danger délibéré de la personne d’autrui.

Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’impru-dence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou desécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’apas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la naturede ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir etdes moyens dont il disposait.

Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques quin’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créerla situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris lesmesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi

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qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation parti-culière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commisune faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravitéqu’elles ne pouvaient ignorer ».

L’analyse du geste fautif de Mlle M. nous a porté à en éliminer le caractèrevolontaire. Cependant, la lecture de l’article 121-3 du code pénal cité ci-dessuspose deux questions : le caractère manifestement délibéré de violation d’uneobligation particulière de sécurité ou de prudence ; la loi ou le règlement.

Le caractère manifestement délibéré de violation d’une obligation

On peut supposer que Mlle M. avait dû avoir conscience de la mise en dan-ger et aurait décidé de passer outre dans l’exécution du soin, en n’assurant passon geste avec les précautions nécessaires pour une réalisation sans danger et sansfaute. La présence de deux personnes assurant les soins aux résidents est sansaucun doute un gage dans l’organisation des soins. Si la faute n’est pas intention-nelle, la mise en danger d’autrui ne l’est pas non plus ; il reste l’infraction liée àl’imprudence.

La loi ou le règlement

La réglementation applicable aux agents des services hospitaliers, nousl’avons vu, exclut les soins aux malades, hospitalisés ou hébergés. Sur un planjuridique, le change est un soin (article R. 4311-5 du CSP).

Enfin, la colère de Mlle M. envers Mme C. est un élément d’ordre cir-constanciel qui n’intervient pas dans la qualification pénale des faits, maispeut avoir une incidence indirecte dans une éventuelle atténuation de la peinecorrectionnelle.

2 – Le préjudice et lien de causalité

Le préjudice est établi, nous l’avons vu. Au regard de l’article 223-1 ducode pénal, il y a une blessure qui entraîne une infirmité (pose d’une prothèse).En ce qui concerne le lien de causalité, il est établi également, et de manièredirecte, puisqu’il s’agit d’une fracture directement causée par la maladresse.

3 – Les conséquences pécuniaires de l’infraction pénale

Selon l’article 121-1 du code pénal : « Nul n’est responsable pénalementque de son propre fait ».

Si la faute pénale est retenue, Mlle M. en supporte directement les consé-quences notamment en matière d’amende ou de prison. Cependant, la faute déta-chable n’étant pas retenue a priori, l’assureur devra supporter les conséquencesfinancières en dommages et intérêts versés à la victime ou à ses ayants-droit.

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4 – De l’opportunité d’une action devant la juridiction répressive

Le choix d’une action au pénal dépend des objectifs que se sont fixésMme C. et ses ayants-droit. S’il s’agit de faire reconnaître l’infraction pénale etpar conséquent la faute d’imprudence dans la réalisation du soin de Mlle M.,alors, Mme C. peut déposer une plainte auprès du procureur de la Républiquece dernier ayant l’opportunité des poursuites (article 40 – 1 du code de procé-dure pénale). Elle peut lier cette plainte à une constitution de partie civile quilui permettra d’obtenir une indemnisation pour les préjudices subis (dommageset intérêts). Enfin, elle peut déposer un recours auprès du tribunal administratifseulement.

C – La responsabilité disciplinaire

Si l’agent public est coupable d’une faute dans l’exercice de ses fonctions,il peut encourir une sanction disciplinaire : il sera alors sanctionné par la hié-rarchie de son administration en application de la loi à laquelle il est soumis.Cette responsabilité est personnelle (comme au pénal) et la sanction ne peutporter que sur la carrière de l’intéressé.

On peut dire que la loi permet, dans certains cas, à une autorité adminis-trative – dans le cas présent, le directeur du centre hospitalier – d’infliger dessanctions qui, tout en étant différentes des sanctions pénales, leur ressemblentpar leur caractère punitif. Ce pouvoir particulier, étranger à l’ordre des juri-dictions, est exorbitant et constitue une forme extrême des prérogatives sus-ceptibles d’être reconnues à une administration (ou un employeur privé, le caséchéant).

1 – La légalité de la sanction disciplinaire

La loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonc-tionnaires a prévu à l’article 29 que : « toute faute commise par un fonctionnairedans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanc-tion disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loipénale ».

Cette loi forme le titre 1er du statut général des fonctionnaires et s’appliqueà tous les fonctionnaires y compris ceux de la fonction publique hospitalière(article 2 de la loi).

La loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 concernant les fonctionnaires hospita-liers précise à l’article 82 que : « l’autorité investie du pouvoir de nominationexerce le pouvoir disciplinaire après avis de la commission administrative pari-taire siégeant en conseil de discipline et dans les conditions prévues à l’article 19du titre 1er du statut général ».

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Dans le cas des hôpitaux, il s’agit du chef d’établissement nommé par leministre chargé de la santé.

Enfin, les sanctions disciplinaires applicables sont répertoriées à l’article 81de la même loi :

« Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes :

• Premier groupe : l’avertissement, le blâme ;• Deuxième groupe : la radiation du tableau d’avancement, l’abaissement

d’échelon, l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale dequinze jours ;

• Troisième groupe : la rétrogradation, l’exclusion temporaire de fonc-tions pour une durée de trois mois à deux ans ;

• Quatrième groupe : la mise à la retraite d’office, la révocation ».

2 – La procédure disciplinaire

Sans entrer dans le détail de la procédure disciplinaire qui fait l’objet d’undécret d’application (n° 88-981 du 13 octobre 1988), il y a lieu de mentionnerque la convocation de la personne doit être faite par écrit et qu’elle peut se faireaccompagner par le conseil de son choix.

Dans le cas de l’étude, le directeur des ressources humaines a envoyé uneconvocation à Mlle M. avec une date de rendez-vous. L’objet est celui d’unentretien pour connaître les explications de Mlle M. Ensuite, le chef d’établis-sement peut décider la réunion du conseil de discipline (article 83 du titre IV dela loi) qui émet un avis, que le chef d’établissement peut choisir de suivre ounon. Il existe des voies de recours (conseil supérieur de la fonction publiquehospitalière et juridiction administrative).

3 – De l’opportunité d’une sanction disciplinaire

Il est tout à fait certain que l’opportunité d’une sanction disciplinaire àl’encontre de Mlle M. est posée : d’une part, pour les faits qui ont précédé lachute de Mme C., et, d’autre part, pour l’imprudence dans la réalisation du soinayant causé la chute.

Dans la pratique, si la chute n’avait pas existé, puisque l’on sait que laconvocation du DRH est antérieure à la chute de Mme C., il est permis de sup-poser qu’une sanction du premier groupe associée à un recadrage ferme descadres de santé pouvait convenir, sans préjuger de l’exercice de l’autorité admi-nistrative. Avec la chute, l’opportunité est confirmée, mais le choix d’une sanc-tion est plus délicat, compte tenu qu’on ne peut faire abstraction de la situationpersonnelle de l’agent (seule avec un enfant à élever) et du défaut d’organisationdes soins où un agent des services hospitaliers qualifié exerce des fonctionsd’aide-soignant.

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III – L’avis de l’expert

A – Généralités

L’expert est un technicien qui remplit une mission temporaire. Il convient,pour la clarté du propos, de distinguer l’expert judiciaire de l’expert salarié oude l’expert amiable. L’expert salarié exerce dans une compagnie d’assurance oudans un cabinet privé ; il est chargé des expertises liées à des sinistres (évaluationdes dommages) ou liées à des dommages corporels (évaluation du handicap, parexemple). L’expert amiable est désigné par des parties ayant un différend ; lesparties s’engagent à mettre en œuvre les solutions proposées par l’expert ou yrenoncent pour porter le différend auprès d’une juridiction.

1 – L’expert judiciaire

La qualification d’expert judiciaire ne tient pas à la possession d’un diplômead hoc, mais à la reconnaissance par l’institution judiciaire, grâce à une inscrip-tion sur une liste dressée par chaque cour d’appel, et sur une liste nationale dres-sée par la Cour de cassation.

Cette inscription doit être demandée auprès du procureur de la Républiqueprès le tribunal de grande instance de la résidence professionnelle ou personnelle.Elle est transmise au procureur général près la cour d’appel, après instructionet avis. L’assemblée générale de la cour d’appel statue après avoir entendu lesavis requis.

2 – Au pénal

La désignation de l’expert est faite par toute juridiction d’instruction oude jugement, soit d’office, soit à la demande du ministère public (article 156 ducode de procédure pénale). La désignation peut cependant être faite hors liste,à titre exceptionnel (article 157 ibidem). La mission de l’expert est définie dansune décision de la juridiction qui l’ordonne.

À l’instruction, le principe est le secret. Le caractère contradictoire n’appa-raît qu’en fin d’instruction et au moment du jugement, puisque toutes les partiesdoivent être saisies de tous les éléments à charge ou à décharge.

L’aboutissement de l’expertise au pénal est l’audience publique de jugement.

3 – Au civil

L’expert peut rendre trois niveaux d’avis (article 232 du nouveau code deprocédure civile) : les constations, la consultation et l’expertise proprement dite.Les constatations (article 249 ibidem) sont un simple avis d’expert (constatd’adultère par exemple). La consultation (article 256 ibidem) est la réponse à

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une simple question technique, présentée oralement, mais qui peut être consi-gnée à la demande du juge. Enfin, l’expertise (article 263 ibidem) est ordonnéedans le cas où les deux autres niveaux ne seraient pas suffisants pour éclairerle juge.

L’expertise est ordonnée par une décision du juge, couramment en référé.C’est une procédure simple rapide et peu coûteuse.

À l’envers du pénal, le principe est le contradictoire : toute pièce doit êtrecommuniquée aux parties en cause.

4 – Devant la juridiction administrative

La procédure devant la juridiction administrative est assez semblable àcelle qui prévaut au civil (article R. 621-1 du code de justice administrative) :le contradictoire est le principe de base qui veut que les parties s’échangentsous forme de mémoires écrits toutes les pièces ou tous les moyens soulevéspar l’affaire. La nomination de l’expert a lieu souvent par voie de référé. Unedécision est faite et fixe l’objet de la mission (article R. 621-3 ibidem).

B – La mission d’expertise in concreto

Dans le cadre de cette étude, le rapport de l’expert se place face à la juri-diction administrative. À cette fin, il a reçu du greffier en chef du tribunal admi-nistratif la décision qui le commet expert dans cette affaire avec l’objet de lamission. La formule de serment est jointe et sera déposée par écrit au greffe.

Les parties sont averties par l’expert du jour de l’heure de l’expertise. Lorsde la réunion d’expertise, l’expert pose des questions aux parties et consignetoutes les réponses et toutes les observations formulées par les parties. En vuede la rédaction de son rapport, l’expert aura consulté tous les documents échan-gés par les parties, en veillant au respect du contradictoire. Il peut en outre con-sulter tous les documents liés à l’affaire : transmissions écrites soignantes,rapports administratifs, et visiter les lieux.

Sans dire le droit, ce qui n’est pas dans sa mission, l’expert doit émettreun avis de technicien sur l’ensemble des pièces qui lui sont soumises et dire siles conduites sont conformes à ce qu’on est en droit d’attendre, compte tenu del’état actuel des données scientifiques : les soins doivent être consciencieux, res-pectueux de la personne humaine, dignes et conformes aux règles de l’art.

C – Les questions posées à l’expert

La simulation de trois questions posées à l’expert doit permettre dans cettepartie de l’étude de se rapprocher de la réalité de la décision juridictionnelledésignant l’expert et lui fixant un objet précis.

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1 – Les questions

Première question

Rechercher si Mme C. a bénéficié de soins dans les règles de l’art.

Deuxième question

Qualifier la prise en charge au regard de la réglementation.

Troisième question

Rechercher si la chaîne d’alerte est conforme à la pratique, en particuliersi Mme C. n’a pas subi une perte de chance dans les soins prodigués alors quele Samu n’a été prévenu qu’après l’arrivée de l’infirmière.

2 – Les réponses

Réponse à la première questionLe change est un soin extrêmement courant dans les institutions pour per-

sonnes âgées : c’est un soin de base.

La pratique du change au lit, dans le cas qui nous est soumis, peut revêtirplusieurs méthodes : celle dite du « pont » qui s’adresse à une personne validealitée (par exemple une parturiente récente) et celle dite du « retournement »pour une personne alitée mais dont la mobilité est restreinte voire nulle. C’estcette dernière méthode qui a été utilisée puisque Mme C. se retrouve retenuesur le côté. Cette méthode est généralement pratiquée par deux soignants, cha-cun ayant un côté du lit, puisque les ridelles du lit sont baissées (le lit estd’ailleurs surélevé, lorsque c’est possible, pour mettre la personne soignée à hau-teur des soignants ; la distance avec le sol se trouve donc augmentée). Elle peut,cependant, être pratiquée par une personne seule, mais qui ne doit pas changerde côté (la fatigue du soignant est alors notablement plus importante).

Dans la description faite de la manœuvre par Mlle M., il semble que legeste a été conforme jusqu’au retournement. Par contre, assurer seule le maintiende la personne et la pose d’un change est dangereux lorsque la personne estcraintive et qu’elle ne veut pas, comme ici, tenir le soignant. Il est alors nécessaired’approcher une chaise ou une table pour que la personne se tienne, ce qui n’apas été le cas ici puisque Mme C. n’a pas pu attraper la chaise.

En conclusion, la réponse à la première question est que le geste n’a pasété maîtrisé et que Mme C. s’est trouvée en danger, parce que toutes les précau-tions n’avaient pas été prises par Mlle M. pour l’assurer.

Réponse à la deuxième questionLa réponse à la deuxième question doit être faite sous deux angles : l’orga-

nisation des soins puis le rôle des ASH en secteur médico-social.

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– Organisation des soins

L’organisation des soins en secteur médico-social repose sur les trois qua-lifications suivantes : infirmière, aide-soignante et agent des services hospitaliersqualifié, sans compter des aides plus ponctuelles d’autres métiers (kinésithéra-peute, aide médico-psychologique, coiffeur etc.) Un médecin est nommé coor-donnateur par le chef d’établissement (il peut être médecin des hôpitaux oumédecin libéral). Un cadre de santé assure la cohésion de l’ensemble notammentpar l’organisation des plannings du personnel, le contrôle et l’évaluation desactions de soins.

Les dotations en personnel sont négociées par le centre hospitalier dans lecadre d’une convention tri-partite : Conseil général qui finance l’hébergementet la dépendance (cette dernière au titre de l’Aide Personne Agée), l’État repré-senté par la DDASS du département au titre des financements de la Caisse pri-maire d’assurance maladie, et l’établissement, ici représenté par le chefd’établissement du centre hospitalier.

La répartition dans chaque catégorie professionnelle est donc fixée en lienavec les tutelles et c’est à partir de cette répartition que les établissements éta-blissent les plannings de travail des personnels.

L’organisation des soins est ici conforme à ce qu’on peut rencontrer dansun maison de retraite standard.

– Rôle des ASH en secteur médico-social

Le rôle des agents des services hospitaliers qualifiés (ASHQ) est encadrépar la réglementation, en particulier celle-ci ne les autorise pas à participer auxsoins, y compris aux personnes hébergées. Les ASHQ participent aux tâchesde confort. Cela peut être l’installation dans un fauteuil, l’aide au repas, lasurveillance de l’hydratation des personnes lors de fortes chaleurs, l’aide àl’habillage etc.

Si, incontestablement, le change est un soin, il existe une ambiguïté, caril peut être pratiqué individuellement au domicile de personnes le requérant,par un membre de la famille par exemple. En outre, l’ambiguïté est renforcéepar le financement des postes d’ASHQ en secteur médico-social : ils sont finan-cés à hauteur de 70 % par le Conseil général sur l’hébergement mais aussi à30 % sur la dépendance, par le même Conseil général (respect des répartitionspar sections tarifaires). Or, la dépendance couvre la suppléance ou l’aideapportée aux personnes dépendantes (handicap, vieillissement, maladie, sénes-cence etc.)

Il est tout à fait envisageable que les ASHQ participent dans le cadre d’unbinôme aide-soignant/ASHQ aux tâches auprès des personnes, en particulier sil’ASHQ aide l’AS dans ses missions de soins.

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Dans le cas d’espèce, Mlle M. aurait dû attendre sa collègue pour assurerle soin de change à Mme C. en toute sécurité ; elle ne possédait ni la compétenceni le droit de faire seule un geste de soin, alors qu’elle pouvait aider sa collègueà garantir la sécurité de Mme C. en la tenant, pendant que l’aide-soignant assu-rait le soin proprement dit.

Réponse à la troisième question

Les trois protagonistes en secteur médico-social sont l’infirmière, l’aide-soignante et l’agent des services hospitaliers qualifié. Le médecin coordonnateurest présent quelques heures dans la semaine et gère la prise en charge entre lesmédecins traitants et les hôpitaux ou centres de rééducation. L’infirmière devientainsi le référent paramédical des personnels puisqu’elle est toujours présente surle lieu de travail (sauf la nuit, généralement) et que, de son côté, le cadre desanté peut être absent du site.

L’habitude est ainsi prise de se référer à l’infirmière pour tous les problèmesqui peuvent survenir dans les soins et la prise en charge des résidents.

Cette habitude est conforme à la pratique et à la réglementation puisquele personnel, notamment aide-soignant, travaille en collaboration avec l’infir-mière et sous sa responsabilité.

Les personnels AS et ASHQ n’ayant pas compétence pour évaluer la gravitédes problèmes rencontrés, il est normal que l’infirmière soit appelée et qu’ellepuisse régler à son niveau la plupart des questions de soins posées par les rési-dents en institution.

Dans ces conditions, l’appel à l’infirmière est conforme à la bonne pratiqueet permet d’avoir une évaluation du degré d’urgence immédiate pour donner lesbonnes informations au médecin du SAMU ou au médecin traitant, par télé-phone le cas échéant. La chaîne d’alerte, telle qu’elle a été mise en jeu, respecteles bonnes pratiques.

Bibliographie

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