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comptes rendus 322 Nicéphore Blemmydès. Œuvres théologiques. Tome II. Introduction, texte critique, traduction et notes par Michel Stavrou. (Sources chrétiennes, 558). Paris, Cerf, 2013. 19,5 × 12,5 cm, 420 p. € 42. ISBN 978-2-204-09687-4.

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    comptes rendus322

    N i c p h o r e B l e m m y d s. uvres thologiques. Tome II.

    Introduction, texte critique, traduction et notes par MichelStavrou. (Sources chrtiennes, 558). Paris, Cerf, 2013.19,5 12,5 cm, 420 p. 42. ISBN 978-2-204-09687-4.

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    323blemmyds. uvres thologiques

    Moine, savant, philosophe et thologien, Nicphore Blemmyds(1197 ou 1198 - ca 1269) fut une grande figure intellectuelle du 13e

    s. byzantin qui produisit, dans le cadre du dialogue thologique entreles Byzantins et les Latins sur la question du Filioque, plusieurs critsthologiques dont ce volume et celui qui la prcd (SC n 517) nousoffrent ldition critique et la traduction.

    Ce second tome nous donne la Lettre Jacques de Bulgarie, le traitDe theologia (Sur la thologie), les Autres syllogismes sur la processiondu Saint-Esprit, le compte rendu du dialogue avec les Latins de 1234,le compte rendu du dialogue avec les Latins de 1250 (qui sont res-pectivement les paragraphes 25 40 et 50 60 de la seconde partiede lAutobiogaphie, qui ont t isols par M. S. pour la raison quilsabordent le thme du Filioque), et le trait De fide (Sur la foi). Cha-

    cune de ces uvres est donne dans son dition critique, ralise parM. S., traduite et annote, et fait lobjet dune prsentation soigneconcernant sa structure, son genre littraire, les circonstances de sacomposition, son objet, son destinataire, sa datation, son authenticit,sa tradition manuscrite et ses ditions antrieures.

    Ldition critique des textes et leur prsentation littraire et his-torique sont exemplaires, et la traduction est claire et prcise (mmesi lon peut en discuter certains points, comme par exemple le fait derendre par substance plutt que par essence ).

    Lvaluation thologique de la pense de Blemmyds, que lon

    trouve dans ce volume et dans le prcdent, appellent en revanchequelques remarques critiques.Dans la recension que nous avons faite du premier tome (RHE, 103

    [2008], p. 999-1002), nous avons not que les spcialistes ont toujourst diviss quant la position relle de Blemmyds sur la question duFilioque (qui occupe la plus grande partie de son uvre thologique),certains voyant en lui un auteur exprimant des positions orthodoxes,dautres, six fois plus nombreux, voyant en revanche dans son uvredes lments proches des positions latines voire identiques elles, et leconsidrant donc comme un thologien latinophrone (selon lexpres-sion de lpoque qui signifie : qui pense la manire latine) ; la plupart

    des thologiens de la gnration qui suivit la sienne virent galementen Blemmyds un latinophrone . La tradition manuscrite confirme sa manire lambigut de la pense de Blemmyds : ses uvres prin-cipales (la Lettre pneumatologique Thodore II et la Lettre Jacquesde Bulgarie) figurent tantt aux cts duvres pro-latines (ayant trecopies dans des milieux latins ou latinophrones), tantt aux ctsduvres antilatines.

    Ces deux uvres majeures qui marquent une nette volution parrapport ses premiers traits o il dfendait strictement la positiontraditionnelle ont t produites par Blemmyds alors quil taitengag dans le dialogue officiel entre lglise byzantine et lgliselatine. Il y cherche et propose des solutions nouvelles au problmedu Filioque. Lune de ces solutions est en accord avec la thologieorthodoxe et sera reprise et dveloppe par des auteurs ultrieurs,

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    dont le patriarche Grgoire II de Chypre : elle consiste accepter uneprocession du St-Esprit par le Fils ( ) dans le sens non

    dune production ltre, mais dune manifestation ou dun resplen-dissement ternel de lnergie divine par le Fils. La seconde solution,qui, elle, sapparente un compromis, consiste considrer la dona-tion de lEsprit, considr comme reposant dans le Fils, par ce dernierdans un sens o lhypostase, la nature et lnergie ne sont plus biendistingues. Ces deux points sont traits en particulier dans la Lettrepneumatologique Thodore II, publie dans le tome I, et la Lettre Jacques de Bulgarie, publie dans ce tome 2.Dans ces deux uvres (un degr moindre dans plusieurs des passages cits de la seconde par-tie de lAutobiographie), la pense de Blemmyds comporte de nom-breux points ambigus que M. S., dans son analyse thologique, parat

    avoir contourns.Des commentateurs des deux bords ont remarqu en particulier

    que Blemmyds tend concevoir le par le Fils comme signifiant, indivinis, une mdiation au moins passive du Fils dans la procession duSt-Esprit qui semble aller dans le sens du Filioque latin (V. Grumel,Nicphore Blemmyde et la procession du Saint-Esprit, dans Revue dessciences philosophiques et thologiques, 18 [1929], p. 636-656 ; G. Patacsi,Palamism before Palamas, dans Eastern Churches Review, 9 [1977],p. 64-71). Blemmyds considre en particulier que le fait que le - (acte de projeter, dmettre ou de faire procder lEsprit) soit

    une proprit du Pre nimplique pas que le Fils y soit tranger. Plusencore, il semble considrer que le Pre ne pourrait, indpendammentdu Fils, faire procder lEsprit, cette conception selon laquelle laprocession de lEsprit est tributaire de (et a ncessairement commeintermdiaire, et donc comme condition) lengendrement du Fils tantsans doute la plus caractristique de la triadologie de Blemmyds(voir V. Grumel, op. cit., p. 651-652).

    cet gard, pour Blemmyds, lordre () de la manifestationet du don de lEsprit (du Pre, par le Fils) semble intimement li lordre de la production des hypostases et le reflte, ide qui est deve-nue un argument courant de la thologie filioquiste. Un autre indice

    de cette solidarit apparat dans largument donn par Blemmyds mais qui est aussi, a-t-on fait remarquer (M. Jugie, Theologia dog-matica christianorum orientalium, II, Paris, 1933, p. 335), un argumenttypique des Latins dfenseurs du Filioque que si lEsprit procdaitdu Pre sans que ce soit par le Fils (autrement dit directement etsans mdiation), puisque le Fils est engendr par le Pre, on auraitune division au sein de la Divinit (car il y aurait la dichotomie : Pre Fils, Pre Esprit), le Fils et lEsprit ne se distingueraient pluset donc il ny aurait plus proprement parler de Trinit (Lettre pneu-matologique Thodore II Laskaris, 10, SC 517, p. 346-348).

    Blemmyds peut sembler dautre part situer la mdiation du Filsdans la procession du St-Esprit sur le plan de lessence, notammentlorsquil affirme que lEsprit est produit par le Pre comme apparte-nant essentiellement au Fils et que lEsprit procde par le Fils parce

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    que le Fils possde tout ce qua le Pre (Lettre Jacques de Bulgarie,14, p. 126 ; 18, p. 138), cette affirmation tant comprise par les tho-

    logiens latins comme autorisant entendre que le Fils a reu aussidu Pre la capacit de faire procder lEsprit (voir M. Jugie, Theolo-gia dogmatica christianorum orientalium, t. II, Paris, 1933, p. 337-338 ;V. Grumel, op. cit., p. 652). Blemmyds semble admettre que lEspritprocde bien (au sens premier de ce terme) par le Fils (allant mmejusqu admettre une quivalence du et du ), lessentiel tantpour lui que lon ne considre pas que le Fils soit le principe premierde cette procession, le par excluant justement une telle interprta-tion (voir Lettre Jacques de Bulgarie, 5, p. 85-88) ; mais cela peut pa-ratre proche du principaliteraugustinien, les thologiens augustinienset thomistes admettant par ailleurs que lon affirme, pour cette rai-

    son, que le Pre reste la seule cause. Laffirmation frquente, parBlemmyds, que le Pre est pour lEsprit le principe premier (voirLettre Jacques de Bulgarie, 5, p. 86 ; 14, p. 126 ; 15, p. 130) ou lacause premire (voir Autobiographie, II, 59, p. 270 ; Lettre Jacquesde Bulgarie, 5, p. 86 et 88 ; 6, p. 92 ; 11, p. 110 ; 15, p. 132) ou lecausateur principiel (Lettre Jacques de Bulgarie, 18, p. 136) se prte tre interprte la lumire de la distinction thomiste, comme lais-sant entendre que le Fils est pour lEsprit le principe second oula cause seconde , ou en tout cas un principe non premier (voirV. Grumel, op. cit., p. 652). Certains interprtes latins (voir M. Jugie,

    op. cit., p. 334, 336-337) nont pas manqu de suggrer dans la mmeperspective que, lorsque Blemmyds affirme, par plusieurs expressionsde sa Lettre pneumatologique Thodore II Laskaris et de sa Lettre Jacques de Bulgarie, que le Pre est lunique principe sans principe (ou proprement principe ou principe essentiel ), il laisse entendre quele Fils est lui aussi principe (de lEsprit), avec seulement la restric-tion quil a reu du Pre dtre principe et ne lest pas par lui-mme.Blemmyds, par laffirmation, au long de ses deux traits majeurs,que lEsprit procde du Pre par le Fils, pourrait vouloir signifierquil procde mdiatement du Pre et immdiatement du Fils, lesprcautions quil prend en soulignant quil ne procde pas du Fils, ni

    du Pre et du Fils ensemble, ayant pour but dviter que lon com-prenne que le Fils constitue par lui-mme un principe, ou constitueun principe indpendant du Pre (voir M. Jugie, op. cit., p. 341).

    La conception de Blemmyds se prte aussi tre interprte dansle sens (mis en valeur ultrieurement par les dfenseurs latins duFilioque et les Byzantins latinophrones cherchant un compromis)dune procession du St-Esprit par le Fils selon lessence (ou dunecommunication par le Fils, lEsprit, de la consubstantialit quIl areue du Pre), tandis que Sa procession selon lhypostase relveraitdu Pre seul (laffirmation que toute connaturalit [] [] asa source du Pre et passe en bon ordre au Fils et lEsprit [Auto-biographie, II, 54, p. 262], pouvant tre comprise dans ce sens puisqueBlemmyds voque lnergie paralllement). La notion mme de ma-nifestation ternelle utilise par Blemmyds peut paratre ambigu

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    et tre interprte dans cette dernire perspective, dautant plus queBlemmyds, ct de la comparaison soleil rayon clat, utilise

    dautres comparaisons de caractre plus essentialiste, comme racine rameau fruit (Lettre Jacques de Bulgarie, 11, p. 114).Parmi les autres ambiguts lexicales, on peut noter que lutilisa-

    tion large du mot procession () pour dsigner la manifes-tation ou la dispensation ternelle de lEsprit ( partir) du Pre parle Fils aussi bien que sa production ltre par le Pre contribue parailleurs favoriser la confusion entre deux plans thologiques (ner-gtique et hypostatique) que Grgoire de Chypre et surtout GrgoirePalamas prendront soin de bien distinguer.

    La distinction de lessence et des nergies divines offre sans aucundoute une cl pour une interprtation cohrente de la triadologie de

    Blemmyds dans un sens orthodoxe dont ne disposaient pas la plupartde ses commentateurs et qui ntait pas familire ses contemporainseux-mmes, bien quelle appartnt depuis longtemps la triadologiepatristique. Lide selon laquelle ce nest pas lhypostase mme delEsprit qui procde du Pre par le Fils, mais son nergie, apparatdans plusieurs passages de ses uvres (Lettre pneumatologique Tho-dore II Laskaris, SC 517, p. 314 ; Lettre Jacques de Bulgarie, 6, p. 90et 92 ; Autobiographie, II, 54, p. 262 ).

    Cependant la conception que se fait Blemmyds des nergies di-vines parat mal assure. Ce qui peut apparatre dun ct comme

    rpondant un souci de rapporter les nergies aux hypostases commeaux sujets diffrents de lactivit commune, peut apparatre dunautre ct comme une identification des nergies aux hypostases elles-mmes et donc comme une confusion avec elles (voir Lettre Jacquesde Bulgarie, 11, p. 112 et 108-111). Trs caractristique cet gard estle commentaire que fait Blemmyds (ibid., p. 111) dune citation deCyrille dAlexandrie parlant de lEsprit qui est rpandu par nature : que signifie tre rpandu par nature ? Prcisment le fait mme deprocder, lexistence singulire et la proprit de lEsprit , rponse quirenvoie lhypostase mme de lEsprit alors que lexpression dsigneassez clairement la grce ou lnergie de celui-ci. Un autre passage

    (ibid., p. 92) indiquant que Blemmyds a en tte la distinction essence puissance nergie, laisse apparatre que, au lieu de considrer cestrois lments comme appartenant en commun aux trois hypostases

    comme le fait la thologie byzantine classique depuis les Cappado-ciens et de manire plus prcise encore depuis Maxime le Confesseuret Jean Damascne , il en fait les proprits respectives de chacunedelles. Laffirmation que cest en tant qunergie du Fils et DieuVerbe [que] lEsprit Saint resplendit ternellement dauprs de lui, cequi revient dire par lui dauprs du Pre (ibid., p. 92-94) acquiertainsi un sens particulier qui nest pas exactement celui quil prenddans le cadre de la conception classique des nergies divines.

    Dune manire gnrale, on trouve dans la thologie de Blemmy-ds un glissement incessant et subreptice du plan nergtique auplan hypostatique (dont lusage dun vocabulaire hypostatique dans

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    327testamenti di done a bergamo

    le domaine nergtique nest quun symptme caractristique) et in-versement. On peut ainsi facilement penser que Blemmyds nie la

    distinction entre la procession du Saint-Esprit partir du Pre etson resplendissement par le Fils (G. Patacsi, Palamism before Pala-mas, dans Eastern Churches Review, 9 [1977], p. 68), ou encore r-pudie lide dune distinction entre lexistence () de lEspritdune part, et sa manifestation ou son resplendissement dautre part (G. Patacsi, Le Hiromoine Hirothe, thologien du Saint-Esprit, dans, 13 [1981], p. 320).

    Blemmyds semble ainsi souvent jouer sur les mots, mais celaest sans doute moins le reflet dune intention que lexpression dunethologie encore mal labore, incertaine, qui na pas encore trouv se formuler en des termes rigoureux. Ses adversaires byzantins (tel

    quon peut les connatre travers leurs objections que rapporte Blem-myds au dbut de chacun des paragraphes de ses deux Traits) nemanquent pas de lui reprocher ces insuffisances, dun point de vue quinest pas seulement, comme laffirme M. S., celui du courant photienstrict (SC no517, p. 98-101, 118-121 et passim), puisquils ne refusentpas la thologie des nergies mais exigent un usage et une expres-sion rigoureux de celle-ci. Ils se montrent dautre part conscients durisque de rinterprter toute la triadologie la lumire de lexpression par le Fils et de vouloir en faire une expression normative de la foiorthodoxe faisant pendant au Filioque latin, alors que cette expres-sion reste, somme toute, marginale au sein de la pense trinitaire des

    Pres grecs.Comme le remarque A. Papadakis (The Christian East and the Rise

    of the Papacy. The Church 1071-1453 A. D., Crestwood, 1994, p. 231),la pense de Blemmyds apparat fondamentalement inacheve ; cestla raison pour laquelle celui-ci, quelle que ft par ailleurs la vritablenature de ses positions thologiques, est rest un thologien mineurdans le monde byzantin et post-byzantin. Inacheve et ambigu, ellese prtait tre prcise, complte et prolonge. Cest ce que fit,dans le sens du filioquisme latin, le patriarche Jean Bekkos ; cest ceque fit aussi, dans le sens oppos, le grand adversaire orthodoxe de

    Bekkos, le patriarche Grgoire II de Chypre. Jean-Claude Larchet