Rapport AMF Ne Bis in Idem Dans La Répression Des Abus de Marché

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Rapport du groupe de travail de l’Autorité des marchés financiers 19 mai 2015 L’APPLICATION DU PRINCIPE NE BIS IN IDEM DANS LA RÉPRESSION DES ABUS DE MARCHÉ Proposition de réforme

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Rapport Autorité des marchés financiersL'application du principe ne bis in idem dans la répression des abus de marché - Proposition de réformeA la suite de l’évolution récente de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme et de celle du Conseil constitutionnel, une réforme de la législation française est désormais impérative afin de restaurer le régime applicable à l’ensemble des abus de marché. Le groupe de travail constitué par l’AMF publie, aujourd’hui, le fruit de ses réflexions et propose une solution qui devrait permettre de préserver les acquis d’un système administratif qui s’est révélé très performant et adapté à la matière financière, tout en améliorant la répression pénale dans les cas qui le justifient.

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  • Rapport du groupe de travail de lAutorit des marchs financiers

    19 mai 2015

    LAPPLICATION DU PRINCIPE NE BIS IN IDEM DANS LA RPRESSION DES ABUS DE MARCH Proposition de rforme

  • LAPPLICATION DU PRINCIPE NE BIS IN IDEM DANS LA RPRESSION DES ABUS DE MARCH

    PROPOSITION DE RFORME

    RAPPORT DU GROUPE DE TRAVAIL DE LAMF

    MAI 2015

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    AVANT-PROPOS DES PRSIDENTS _______________________________

    La rpression des abus de march manquement diniti, manipulation de cours et diffusion dinformations fausses ou trompeuses qui constituent aussi des dlits pnaux a t assure pour lessentiel par la voie administrative. Cette rpression sest avre efficace et place la France parmi les pays au monde les plus rpressifs dans ce domaine, faisant de Paris une place financire reconnue comme particulirement sre. Cette efficacit sest fonde sur la ncessit de rpondre deux impratifs majeurs : faire face la grande complexit de ces infractions grce une professionnalisation de loutil rpressif, dune part, et assurer une rponse rapide, en phase avec le temps des marchs financiers et ses incessantes innovations, dautre part. Pour ce faire, lAMF a progressivement construit un outil de surveillance des marchs en continu sappuyant sur des outils informatiques sophistiqus, une quipe denquteurs trs spcialiss a t mise en place et la filire rpressive sest organise de faon rigoureuse pour distinguer la poursuite et la dcision de sanctionner ou non dans le cadre dune collgialit associant des juristes et des personnalits issues du monde professionnel.. A cela sest ajoute une coopration internationale de plus en plus efficiente grce des accords de coopration conclus entre plus de 100 pays, laquelle il est ncessaire de recourir aujourdhui dans prs de 80 % des dossiers. La procdure de sanction devant la Commission des sanctions respecte aujourdhui pleinement les exigences poses par la Convention europenne des droits de lHomme et sexerce sous le contrle du juge. La rpression pnale de son ct sest rvle jusqu prsent moins prgnante : ainsi au cours des dix dernires annes aucune peine de prison ferme na t inflige, les amendes dont le plafond est trs infrieur celui des sanctions administratives (1,5 million contre 100 millions ) ont t sans commune mesure avec les sanctions administratives (2,2 millions contre 117 millions ) et dans 80 % des cas imputes sur celles-ci. Surtout, les dlais de jugement ont t beaucoup plus longs : plus de 10 ans, voire 12 ou 14 ans dans certains cas contre 2 ans et demi en moyenne dans la voie administrative. Les cas rels de cumuls de sanctions pnales et administratives ont en outre t extrmement rares en pratique, peine plus dun cas par an. La cration rcente du Parquet national financier et les rformes entreprises au TGI de Paris devraient permettre de rendre la rpression pnale plus ferme et plus rapide. Nanmoins, la procdure pnale restera toujours plus lourde en raison de lintervention dun ou plusieurs juges dinstruction, de la pratique de ritration des actes dinvestigation dj raliss par lAMF et des nombreuses voies de recours ouvertes par le code de procdure pnale et autres incidents de procdure.

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    La rforme de ce systme rpressif dual qui doit aujourdhui tre propose pour tenir compte des volutions jurisprudentielles de la CEDH et du Conseil constitutionnel ne doit donc pas ignorer ce constat et aboutir rendre la rpression des abus de march moins efficace. Cest pourquoi, il est propos dinterdire par la loi le cumul de poursuites tout en donnant chaque voie rpressive sa juste place ainsi que nous y invitent tant le Conseil constitutionnel que les textes europens : la voie pnale doit tre rserve aux infractions les plus graves et sanctionner plus svrement des intentions frauduleuses qui heurtent les valeurs de la socit. De son ct, la rpression administrative doit, grce une dfinition des manquements large et plus objective, sanctionner des comportements portant atteinte au bon fonctionnement des marchs. Un tel partage de la rpression, fond sur la finalit de celle-ci doit tre traduit dans une nouvelle rdaction de lincrimination des dlits boursiers : la mise en place de critres objectifs dans la loi permettrait de distinguer les faits trs graves relevant de ceux-ci de lensemble des faits constituant des manquements, dans la logique de la Directive sur les abus de march qui doit tre transpose avant le 3 juillet 2016. Une concertation entre lAMF et le Parquet national financier qui dtient une comptence nationale et spcialise serait dveloppe afin dassurer un partage des dossiers adapt et de permettre lAMF, lorsque la poursuite pnale nest pas ncessaire, dintervenir sur la base des manquements plus largement dfinis, comme lexige le Rglement europen MAR sur les abus de march qui sappliquera compter du 3 juillet 2016. Cette solution, conforme aux exigences poses par le Conseil constitutionnel et qui nimplique pas de modification radicale de nos institutions, devrait permettre de prserver les acquis dun systme qui sest rvl trs performant et adapt la matire financire tout en amliorant la rpression pnale dans les cas qui le justifient.

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    COMPOSITION DU GROUPE DE TRAVAIL

    Prsidents M. Grard Rameix, Prsident du Collge de lAMF M. Michel Pinault, Prsident de la Commission des sanctions de lAMF Membres du groupe de travail M. Jean-Claude Hassan, membre du Collge de lAMF Mme Martine Ract-Madoux, membre du Collge de lAMF M. Christian Schricke, membre du Collge de lAMF Mme Marie-Hlne Tric, Prsidente de la 2me section de la Commission des sanctions de lAMF M. Bernard Field, membre de la Commission des sanctions de lAMF M. Guillaume Goulard, membre de la Commission des sanctions de lAMF M. Christophe Soulard, membre de la Commission des sanctions de lAMF M. Benot de Juvigny, Secrtaire gnral de lAMF Personnes auditionnes dans le cadre des travaux du groupe M. Jean-Claude Marin, Procureur gnral prs la Cour de cassation Mme Pauline Caby, Avocat gnral rfrendaire Mme Pauline Petit, Assistante de justice au cabinet du Procureur gnral Mme Eliane Houlette, Procureur de la Rpublique financier M. Jean-Marc Toublanc, Vice-procureur financier M. Jean-Michel Hayat, Prsident du tribunal de grande instance de Paris M. Jean-Baptiste Parlos, Premier vice-prsident du tribunal de grande instance de Paris, en charge de linstruction M. Thierry Bonneau, professeur de droit lUniversit Panthon-Assas M. Berthon, Prsident de la FAIDER M. Henri Leroy, Prsident de Proxinvest Rapporteur Anne Marchal, Directrice des Affaires juridiques de lAMF Reprsentants du gouvernement (observateurs) M. Hubert Gasztowtt, Conseiller juridique du directeur gnral du Trsor et de la politique conomique, M. Charles Moynot, Chef du bureau du droit conomique et financier, Direction des affaires criminelles et des grces au ministre de la justice

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    Reprsentants des services de lAMF Bertrand Legris, Direction des affaires juridiques Quentin Durand, Direction des affaires juridiques Anne-Sophie Texier, Direction de linstruction et du contentieux des sanctions Laurent Berlioz, Direction de linstruction et du contentieux des sanctions Guillaume Bocobza-Berlaud, Direction de linstruction et du contentieux des sanctions Guillaume Eliet, Direction de la rgulation et des affaires internationales Philippe Emin, Direction de la rgulation et des affaires internationales Philippe Guillot, Direction des marchs Sophie Baranger, Direction des enqutes et des contrles Laurent Combourieu, Direction des enqutes et des contrles Maxime Galland, Direction des enqutes et des contrles Christelle Le Calvez, Direction des enqutes et des contrles

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    PLAN DU RAPPORT

    SYNTHESE ...................................................................... VIII

    PARTIE I : LA REMISE EN CAUSE DU SYSTME RPRESSIF DES ABUS DE MARCH ................................................................. 1 I. LE SYSTME REPRESSIF FRANAIS DABUS DE MARCH .................. 1

    I.1 UN SYSTME DUAL REPOSANT SUR UN CUMUL DINCRIMINATIONS PENALES ET ADMINISTRATIVES ............................................................................................................ 1

    I.2 UN CUMUL DE SANCTIONS TRS RARE EN PRATIQUE .......................................................... 4

    I.3 UNE ASYMTRIE DANS LA POLITIQUE RPRESSIVE RENDANT LA VOIE ADMINISTRATIVE PLUS

    EFFICACE DANS LA RPRESSION DES ABUS DE MARCH ...................................................... 5

    II. LA REMISE EN CAUSE DU SYSTME REPRESSIF ACTUEL ................... 6

    II.1 LAPPLICATION DU PRINCIPE NE BIS IN IDEM EN DROIT BOURSIER ......................................... 7

    II.2 LARRT DE LA COUR EUROPENNE DES DROITS DE LHOMME GRANDE STEVENS .......... 8

    II.3 LA DCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL DU 18 MARS 2015 ......................................... 9

    PARTIE II : LES PISTES DE RFORME A ECARTER ................. 14

    I. LA SUPPRESSION DUNE DES VOIES DE SANCTION ........................ 14

    I.1 LA DPNALISATION DES SANCTIONS BOURSIRES ........................................................... 14

    I.2 LA SUPPRESSION DES SANCTIONS ADMINISTRATIVES EN MATIRE DABUS DE MARCH POUR LES PERSONNES NON RGULES .................................................................................... 15

    II. L CRATION DUN TRIBUNAL DES MARCHS FINANCIERS ....... 16

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    PARTIE III : PRCONISATIONS DU GROUPE DE TRAVAIL ........ 19

    I. LINTERDICTION LGISLATIVE DU CUMUL DES POURSUITES ET LORGANISATION DUNE CONCERTATION PREALABLE A LA DECISION DE POURSUITE ...................................................................................... 19

    I.1 PRINCIPES DE LA PROPOSITION ...................................................................................... 20

    I.2 LES CRITRES LGISLATIFS DE PARTAGE ENTRE LES DLITS ET LES MANQUEMENTS .......... 22

    I.3 LES PARTIES CIVILES ...................................................................................................... 26

    II. PROPOSITIONS DAMNAGEMENTS DE PROCDURE ..................... 27

    II.1 INCITER LA REPRISE DES ACTES DINVESTIGATION DJ RALISS PAR LAMF ................ 27

    II.2 RAPPROCHER LES MONTANTS DES SANCTIONS PNALES ET DES SANCTIONS ADMINISTRATIVES ET CRER UN DLIT DINITI EN BANDE ORGANISE ............................... 28

    II.3 FAIRE USAGE DE LA FACULTE POUR LAMF DE SE CONSTITUER PARTIE CIVILE .................... 29

    II.4 FAVORISER LA CITATION DIRECTE ET LA COMPARUTION SUR RECONNAISSANCE PRALABLE DE

    CULPABILIT .................................................................................................................. 29

    II.5 SAPPUYER SUR LES REFORMES EN COURS DE LORGANISATION DE LA JUSTICE ................. 30

    II.6 UNIFIER LES VOIES DE RECOURS DEVANT LE MME ORDRE DE JURIDICTION ....................... 31

    *****

    ANNEXE I PROPOSITIONS DE TEXTES ................................................................................... 34

    ANNEXE II ANALYSE DE LA DCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL DU 18 MARS 2015 ......... 38

    ANNEXE III LARRT GRANDE STEVENS DU 4 MARS 2014 DE LA COUR EUROPENNE DES DROITS DE LHOMME ............................................................................................................ 42

    ANNEXE IV ELMENTS STATISTIQUES ................................................................................... 45

    ANNEXE V ELMENTS DE COMPARAISONS INTERNATIONALES ................................................. 48

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    SYNTHESE

    Sur le fondement du principe ne bis in idem, la Cour europenne des droits de lHomme a dans son arrt Grande Stevens c/ Italie du 4 mars 2014, remis en cause le double systme de rpression existant en droit boursier italien, trs proche du systme franais. Elle a jug quune sanction devenue dfinitive au plan pnal comme au plan administratif entraine linterruption automatique des poursuites dans lautre voie rpressive pour les mmes faits.

    Dans sa dcision du 18 mars 2015, le Conseil constitutionnel a dclar inconstitutionnelles les dispositions du code montaire et financier rendant possibles le cumul de poursuites et de sanctions par les juridictions pnales et par la Commission des sanctions de lAMF.

    Une rforme de la lgislation franaise est dsormais imprative afin de restaurer le rgime applicable lensemble des abus de march pour tenir compte tant de la jurisprudence de la Cour europenne des droits de lHomme que de celle du Conseil constitutionnel.

    Si le cumul des poursuites et des sanctions pour les mmes faits, trs rare en pratique, doit dsormais tre interdit, la coexistence des deux voies rpressives a permis une rpression efficace des infractions et manquements en matire boursire. Il parat donc indispensable de maintenir les grands quilibres actuels de cette politique rpressive duale qui correspond aux exigences de lUnion europenne.

    Si la procdure de sanction administrative est rapide, efficace et bien adapte la matire financire, la procdure pnale savre souvent trop longue et aboutit des sanctions trop faibles pour tre considres comme suffisamment dissuasives malgr la possibilit, trs rarement utilise, de prononcer des peines privatives de libert.

    Sur la base de ces constats, le Groupe de travail constitu par lAMF et compos de membres du Collge et de la Commission des sanctions a examin les pistes de rforme possibles qui pourraient tre proposes au Gouvernement et au Parlement.

    Dans ce cadre, les pistes de rforme suivantes ont t examines et cartes par le Groupe de travail :

    o La suppression dune des voies de sanction o La cration dun tribunal des marchs financiers ddi aux infractions

    boursires

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    Le groupe de travail a formul une proposition de rforme dont les principes sont les suivants : La mise en place dune interdiction lgislative du cumul des poursuites

    o Le principe de linterdiction du cumul de poursuites et de sanctions

    pnales et administratives serait inscrit dans la loi. Seraient prciss les actes de poursuite qui emportent laffectation exclusive du dossier dans une des voies de rpression.

    Une distinction claire des incriminations rservant la voie pnale aux faits les

    plus graves

    o Des critres objectifs seraient fixs dans la loi afin de rserver la voie pnale aux faits les plus graves. Les textes prvoyant les dlits boursiers seraient rcrits cette fin, en ligne avec la Directive sur les abus de marchs.

    Une concertation entre le Parquet national financier et lAMF pralable lengagement des poursuites

    o Une concertation obligatoire dune dure de deux mois entre le Parquet

    national financier et lAMF serait mise en place pour favoriser lallocation optimale des dossiers pouvant relever du juge pnal et de lAMF.

    Un amnagement des constitutions de parties civiles en amont de la

    concertation entre lAMF et le Parquet

    Des amnagements de la procdure afin de rduire les dlais de la procdure pnale et daccrotre lefficacit des procdures de sanctions :

    o Mettre en place une coordination entre le Parquet national financier et

    lAMF pour favoriser lchange dinformations dans le cadre des enqutes.

    o Inciter la reprise des actes dinvestigation raliss par lAMF dans le

    cadre de la procdure pnale.

    o Rapprocher les montants des sanctions pnales et des sanctions administratives et crer un dlit diniti en bande organise.

    o User de la facult pour lAMF de se constituer partie civile dans la

    procdure pnale.

    o Exprimenter la citation directe et la comparution sur reconnaissance pralable de culpabilit dans les dossiers qui sy prtent.

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    PARTIE I : LA REMISE EN CAUSE DU SYSTME RPRESSIF DES ABUS DE MARCH

    Le principe en droit interne depuis la loi n 89-531 du 2 aot 1989 est celui de la possibilit de cumul des sanctions pnales et administratives dans la rpression des abus de march. Ce systme dual reposant sur une comptence parallle du juge pnal et de lAMF a permis une rpression satisfaisante des abus de march grce, pour lessentiel, lefficience et la rapidit de la voie administrative, trs adapte ce type dinfractions financires complexes, tout en limitant en pratique les cas rels de cumuls de sanctions quelques cas en plus de 10 ans (I). Nanmoins, la rcente dcision de la Cour europenne des droits de lhomme du 4 mars 2014 et surtout la dcision du conseil constitutionnel du 18 mars 2015, obligent repenser ce systme rpressif (II).

    I. LE SYSTME RPRESSIF FRANAIS DABUS DE MARCH I.1 UN SYSTME DUAL REPOSANT SUR UN CUMUL DINCRIMINATIONS

    PENALES ET ADMINISTRATIVES Des voies rpressives autonomes malgr la proximit des incriminations Les mmes faits peuvent faire lobjet, de manire cumulative, dune sanction pnale conformment aux articles L. 465-1 et suivants du code montaire et financier, et dune sanction administrative ou disciplinaire conformment aux articles L. 621-15 du code montaire et financier et du livre 6 du rglement gnral de lAMF. Ce cumul ne concerne que les abus de march, soit trois dlits boursiers ayant leur pendant en manquements administratifs. Il sagit :

    - du dlit diniti de larticle L. 465-1 du code montaire et financier et du manquement diniti (article 622-1 du rglement gnral de lAMF)

    - du dlit de diffusion de fausse information de larticle L. 465-2 alina 2 du code

    montaire et financier et du manquement la bonne information du public (article 632-1 du rglement gnral de lAMF)

    - du dlit de manipulation de cours de larticle L. 465-2 alina 1 du code montaire et financier et du manquement de manipulation de cours (article 631-1 du rglement gnral de lAMF1)

    1 A noter galement que les manipulations dindices sont rprimes depuis la loi de sparation et de rgulation des activits bancaires du 26 juillet 2013 tant pnalement (article L. 465-2-1 du code montaire et financier) quadministrativement (article 631-1 du rglement gnral de lAMF).

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    Ces textes sont trs proches dans leur rdaction de sorte que les qualifications de dlit ou de manquement sont en pratique souvent difficiles distinguer. Les textes europens ont galement fait converger les deux incriminations, ne les distinguant plus, pour lessentiel, que par leur degr de gravit2. Les manquements sont dfinis par le rglement gnral de lAMF et rprims par la Commission des sanctions de lAutorit. Celle-ci connat par ailleurs plus gnralement des manquements aux obligations professionnelles des personnes que lAMF rgule dans une logique disciplinaire. Elle peut infliger des sanctions pcuniaires dont le montant a t significativement relev au cours des dernires annes la demande du Parlement en particulier, pour atteindre un plafond de 100 millions deuros ou le dcuple du montant des profits ventuellement raliss ainsi que des sanctions professionnelles comme lavertissement, le blme, le retrait temporaire ou dfinitif de la carte professionnelle, linterdiction dexercer titre temporaire ou dfinitif. Les dlits relvent exclusivement de la procdure et des juridictions pnales. Les peines encourues sont paradoxalement moins svres puisque les amendes infliges sont limites 1,5 million deuros dans les cas o un profit ralis du fait de linfraction ne peut tre constat. Une peine demprisonnement est en revanche encourue (jusqu deux ans pour les cas les plus graves). Les enqutes peuvent tre menes paralllement dans les deux voies. Elles sont ralises au sein de lAMF par des enquteurs spcialiss, le plus souvent la suite du travail de dtection des abus de marchs ralis par les services de lAMF, notamment le service de la surveillance des marchs qui scrute en permanence les ventuelles anomalies pouvant tre le signe de manquements grce un systme informatique reli aux donnes de march. Les enqutes sont menes au pnal par les services de police, gnralement la brigade financire de la Prfecture de police de Paris, sous la direction du Parquet, aujourdhui du Parquet national financier cr par la loi du 6 dcembre 2013, et, le cas chant, sous celle dun juge dinstruction. Les deux procdures peuvent donc coexister en pratique, indpendantes lune de lautre. Il est ainsi possible daboutir dans une mme affaire une condamnation devant lAMF et un non-lieu ou une relaxe devant les juridictions pnales ou vice-versa. Cela est cependant exceptionnel en pratique. On ne compte notamment quune seule mise hors de cause par la Commission des sanctions de lAMF dans une procdure poursuivie au plan pnal (affaire EADS qui a donn lieu aux questions prioritaires de constitutionnalit lorigine de la dcision du Conseil constitutionnel ; voir supra). Dans le dossier Vivendi, lun des dirigeants, non poursuivi par lAMF, a t condamn une sanction pcuniaire par le juge pnal.

    2 Considrants 11 et 12 de la directive 2014/57/UE sur les abus de march : (11) Aux fins de la prsente directive, les oprations dinitis et la divulgation illicite dinformations privilgies devraient tre rputes graves lorsque lincidence sur lintgrit du march, le bnfice rel ou potentiel engrang ou la perte vite, limportance du prjudice caus au march ou la valeur globale des instruments financiers ngocis sont levs. Les autres circonstances dont il peut tre tenu compte sont, par exemple, lorsquune infraction a t commise dans le cadre dune organisation criminelle ou lorsque la personne a commis une infraction similaire dans le pass . (12) Aux fins de la prsente directive, les manipulations de march devraient tre rputes graves lorsque lincidence sur lintgrit du march, le bnfice rel ou potentiel engrang ou la perte vite, limportance du prjudice caus au march ou de la modification apporte la valeur de linstrument financier ou au contrat au comptant sur matires premires ou au montant des fonds utiliss lorigine sont levs ou que la manipulation est effectue par une personne employe ou travaillant dans le secteur financier ou au sein dune autorit de surveillance ou de rglementation .

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    Il a t jug que les nullits affectant une procdure sont sans incidence sur la validit de lautre. Dans le cadre des recours, les dcisions de la Commission des sanctions de lAMF bien que de nature administrative ne relvent pas exclusivement du Conseil dEtat. Elles relvent de la voie judiciaire lorsque les dcisions de la Commission concernent des personnes non rgules par lAMF. Le Conseil constitutionnel saisi de la question de la validit de ce corpus de dispositions avait eu loccasion de valider le systme de cumul dans son principe en 19893 tout en y apportant une limite. Le Conseil avait en effet prvu que la lgalit du cumul des sanctions tait subordonne au respect du principe de proportionnalit, le montant global des sanctions ventuellement prononces ne devant pas dpasser le montant le plus lev de lune des sanctions encourues. Ce principe a t repris dans la loi puisque larticle L. 621-16 du code montaire et financier prvoit que le juge pnal peut ordonner limputation de la sanction pcuniaire prononce, le cas chant, par la Commission des sanctions de lAMF sur lamende quil prononce. Sur la base de cette dcision du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation avait galement eu loccasion daffirmer son approbation du cumul dune sanction prononce par la Commission des sanctions de lAMF et dune sanction prononce par le juge pnal4. Cette solution, antrieure larrt Grande Stevens, avait t reprise postrieurement celui-ci par le tribunal correctionnel de Paris par un jugement du 26 septembre 2014 dans laffaire Pechiney 5. Des passerelles ont toutefois t organises entre les deux voies rpressives Si les manquements et les dlits font lobjet de deux corpus de normes distincts et parfois de deux enqutes diligentes par des personnes distinctes, des changes dinformations entre lAMF et lautorit judiciaire ont t prvus dans les deux sens par le code montaire et financier et renforcs au fil du temps.

    Ainsi, lAMF est tenue de transmettre ses rapports denqute au Parquet national financier pour les dossiers qui donnent lieu louverture dune procdure de sanction et pour lesquels des dlits boursiers sont suspects, puisque un ou plusieurs griefs notifis sont susceptibles de constituer lun des dlits mentionns aux articles L. 465-1, L. 465-2 et L. 465-2-1 du code montaire et financier (article L. 621-15-1 du code montaire et financier).

    Par ailleurs, si, dans le cadre de ses attributions, lAMF acquiert la connaissance d'un

    crime ou d'un dlit, elle est tenue d'en informer sans dlai le Procureur de la Rpublique et de lui transmettre tous les renseignements, procs-verbaux et actes qui y sont relatifs (article L. 621-20-1 du code montaire et financier).

    Paralllement, larticle L. 621-15-1 prvoit que le Parquet doit informer sans dlai lAMF

    en cas de mise en mouvement de laction publique sur les dossiers qui lui ont t transmis par lAMF.

    En pratique, lAMF et Parquet National Financier (PNF) sont donc en contact trs rgulier afin dchanger, le plus en amont possible, sur les dossiers quils ont connatre. 3 Cons. Constit., 28 juillet 1989, n 89-260 DC. Voir aussi Cons. Const. 30 dc. 1997, n 97-395 DC ; Cons. Const. 20 juillet 2012, n 2012-266 QPC ; Cons. Const. 17 janvier 2013, n 2012-289 QPC. 4 Voir notamment pour le dernier arrt en date : Cass. Crim. 22 janv. 2014, n 12-83.579. 5 Tribunal Correctionnel de Paris 26 septembre 2014.

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    Outre ces changes dinformations, le lgislateur a galement prvu une coopration entre lAMF et les autorits judiciaires.

    Ainsi, aux termes de larticle L. 466-1, lavis de lAMF peut tre demand par les autorits judiciaires comptentes saisies de poursuites concernant des socits cotes. Cette facult devient une obligation en cas de poursuite relative au dlit diniti.

    A travers les dispositions de L. 621-20 du code montaire et financier, les juridictions

    civiles, pnales ou administratives peuvent appeler le Prsident de lAMF dposer des conclusions en cas de poursuites entrant dans le champ de comptence de lAutorit.

    Larticle L. 621-20-4 du code montaire et financier cr en 2013, prvoit galement

    une facult de communication par le Parquet national financier lAMF des procs-verbaux ou rapports d'enqute ou de toute autre pice de la procdure pnale ayant un lien direct avec des faits susceptibles d'tre soumis l'apprciation de la Commission des sanctions de lAMF.

    Enfin, lorsque des poursuites concernent lun des dlits boursiers prcits, larticle

    L. 621-16-1 prvoit que lAMF peut exercer les droits de la partie civile6. Certaines de ces dispositions, juges insparables des incriminations elles-mmes viennent dtre juges inconstitutionnelles par le Conseil constitutionnel (voir supra).

    I.2 UN CUMUL DE SANCTIONS TRS RARE EN PRATIQUE Un nombre trs limit de cumuls de sanctions Si le cumul de poursuites et de sanctions pnales et administratives est prvu par les textes et appliqu en certaines occasions par les juridictions, lanalyse statistique des affaires traites tant par la Commission des sanctions de lAMF que par les juridictions pnales dmontre quen pratique ce cumul est trs rare. On ne compte que quelques cas rels de cumul de sanctions depuis la cration de lAMF en 2003 : 17 dossiers seulement ont fait lobjet dune condamnation par le juge pnal et lAMF au cours des dix dernires annes. Depuis la cration de lAMF, 182 dossiers denqute7 ont t transmis au Parquet sur le fondement des articles L. 621-15-1 et L. 621-20-1. Sur les 182 dossiers transmis, 1508 ont fait lobjet de dcisions de la Commission des sanctions de lAMF (soit 82 % des rapports denqute transmis au parquet) dont :

    6 Toutefois, elle ne peut l'gard d'une mme personne et s'agissant des mmes faits concurremment exercer les pouvoirs de sanction qu'elle dtient et les droits de la partie civile. 7 Soit sur une priode de presque 11 ans arrte en aot 2014, en moyenne 17 dossiers denqute chaque anne. 8 Lcart entre les 182 dossiers transmis au Parquet et les 150 dossiers ayant fait lobjet de dcisions de la Commission des sanctions correspond 8 dossiers non encore jugs par la CDS et 24 dossiers non transmis la CDS car ne correspondant pas des manquements boursiers (ils ont t transmis au parquet pour des faits descroquerie, de fourniture de services dinvestissements sans agrment ou dabus de biens sociaux).

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    - 117 ont conduit des sanctions pcuniaires et/ou disciplinaires (soit 64 % des rapports denqute envoys au parquet et 78% des dossiers transmis la Commission des sanctions) ;

    - 3 ont donn lieu au prononc dun blme ; - 1 a t jug prescrit ; - 1 a donn lieu une dclaration dincomptence par la Commission des sanctions ; - 28 se sont conclus par des mises hors de cause.

    Pour 25 dentre eux, les voies de recours ne sont pas puises. Au total, 86,2 % des dossiers ont abouti la saisine de la Commission des sanctions et 20 % ont conduit la saisine dun tribunal correctionnel. Cet cart en termes de poursuites sexplique principalement par le fait que le parquet procde au classement dans un nombre significatif de dossiers au motif prcisment quils ont dj donn lieu des poursuites et des sanctions sur le plan administratif. La poursuite pnale savre en effet inutile ds lors quune sanction pcuniaire a dj t inflige par lAMF sous le contrle de la Cour dappel de Paris et quune peine privative de libert semble disproportionne. Sur les 182 dossiers transmis au parquet, seuls 22 ont fait lobjet de peines damendes correctionnelles et/ou de peines demprisonnement avec sursis (soit 12%) et 109 nont donn lieu aucune condamnation (soit 60%). Au total, au cours des dix dernires annes, des peines demprisonnement avec sursis ont t infliges dans 13 dossiers seulement. Aucune peine demprisonnement ferme na t prononce. Sur les 109 dossiers nayant pas dbouch sur une condamnation, 95 ont fait lobjet dun classement sans suite, 8 dune ordonnance de non-lieu, 4 dun jugement de relaxe et 2 une transmission des autorits trangres par le Parquet de Paris sans engagement de poursuite en droit franais. I.3 UNE ASYMTRIE DANS LA POLITIQUE RPRESSIVE RENDANT LA VOIE

    ADMINISTRATIVE PLUS EFFICACE DANS LA RPRESSION DES ABUS DE MARCH

    Bien que les textes fondant les poursuites administratives et pnales soient proches, il existe depuis lattribution de pouvoirs de sanctions la Commission des oprations de bourse et surtout depuis la cration de lAMF, une diffrence considrable dans la politique rpressive qui est beaucoup plus efficiente aujourdhui dans la voie administrative (voir annexe 4 lments statistiques). Cela sexplique notamment par :

    - le dveloppement de moyens ambitieux et sophistiqus de surveillance des marchs et de dtection des infractions boursires en continu au sein de lAMF;

    - lexistence dun corps denquteurs trs spcialiss au sein de lAMF qui na pas son quivalent dans la police ;

    - une coopration internationale trs efficace grce des accords conclus entre plus de 100 pays laquelle il est recouru aujourdhui dans plus de 80% des dossiers ;

    - la composition du Collge et de la Commission des sanctions qui comprend des magistrats et des professionnels de marchs expriments.

    Lensemble des acteurs saccorde aujourdhui considrer que le fonctionnement de la Commission des sanctions de lAMF est performant et adapt la matire financire. Celle-ci allie rapidit et technicit tout en assurant une rationalisation des moyens daction de lAMF au service de sa mission dassurer le bon fonctionnement des marchs et la protection des pargnants. Une srie de rformes prises la suite de la crise financire en 2010/2011 y a

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    dailleurs encore contribu. A linverse, la rpression pnale souffre de plusieurs limites :

    - Les dlais de traitement sont beaucoup plus levs dans la voie pnale en raison notamment des dlais lis aux incidents de procdure et aux lourdeurs de linstruction alors que la matire financire ncessite une grande rapidit de raction afin dtre dissuasive. Ainsi, les dlais de jugement de grandes affaires mdiatiques ont t largement suprieurs 10 ans contre un dlai moyen de traitement de 2 ans et demi devant la Commission des sanctions. Ainsi, sur les 10 dossiers boursiers les plus importants depuis 20049 pour lesquels des suites ont t donnes ou prvues au pnal, le dlai moyen de la procdure pnale a t de plus de 78 mois contre 39 mois pour la procdure administrative devant lAMF (dlai calcul entre la date douverture de lenqute et la date de la dcision de sanction), sachant que sur ces 10 dossiers, 6 font encore lobjet dune information judiciaire en cours et 1 dune enqute prliminaire. On ne compte donc que 3 dossiers ayant fait lobjet de condamnations pnales effectives.

    - Le juge pnal sanctionne moins frquemment et beaucoup moins lourdement que la Commission des sanctions

    Au cours des dix dernires annes, il apparat que sur les 182 dossiers transmis la justice par lAMF, 22 seulement ont fait lobjet de peines damendes correctionnelles et/ ou de peines privatives de libert (avec sursis), soit 12 % seulement, prs de 2/3 des dossiers tant classs et prs d1/4 des dossiers tant toujours en cours, alors que la Commission des sanctions de lAMF a sanctionn dans environ 80 % des cas les dossiers qui lui ont t transmis. A linverse, cest 83% des dossiers (131 sur 182) qui nont t suivis daucune condamnation pnale. La comparaison entre les sanctions prononces dans la mme affaire rvle que dans la trs grande majorit des cas le montant des sanctions administratives prononces est nettement plus lev que celui des amendes prononces par les juridictions pnales. Le montant des sanctions imposes par lAMF sur lchantillon prcit a ainsi dpass 117 M alors que celui des sanctions pnales a t de 2,9 M seulement dans la mme priode, sachant que les juridictions pnales ordonnent gnralement la confusion de lamende pnale avec la sanction administrative prononce (2,2 millions ont t imputs sur 2,9 millions, soit 700 000 de sanction effective ) correspondant 0,6 % des sanctions AMF.

    II. LA REMISE EN CAUSE DU SYSTME REPRESSIF ACTUEL Sil avait t jug que le principe ne bis in idem10 sappliquait la matire boursire, il tait considr comme ninterdisant pas le cumul des sanctions administratives et pnales sous

    9 Il sagit en matire diniti des dossiers Pchiney (82 mois), Afflelou (80 mois), EADS (84 mois), GFI Informatique (61 mois), Oberthur, en matire dinformation financire de Altran (122 mois), Marionnaud (34 mois), Rhodia (113 mois) et Prologue (93 mois) et en matire de manipulation de cours du dossier Zhang. (dlais entre la transmission du dossier au parquet et le jugement) 10 Lexpression ne bis in idem sera prfre dans le cadre de ce rapport celle de non bis in idem galement utilise en pratique.

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    certaines conditions (II.1) Ce principe vient dtre remis en en cause par la Cour europenne des droits de LHomme (ci-aprs CEDH ) (II.2) et le Conseil constitutionnel (II .3). II.1 LAPPLICATION DU PRINCIPE NE BIS IN IDEM EN DROIT BOURSIER Le principe ne bis in idem, dj connu du droit romain rpond une double exigence d'quit et de scurit juridique. Il est aujourdhui consacr par les articles de plusieurs conventions internationales auxquelles la France est partie parmi lesquels larticle 4 du Protocole n 7 additionnel la Convention de sauvegarde des droits de LHomme et des liberts fondamentales (ci-aprs Conv.EDH ), larticle 50 de la Charte des droits fondamentaux de lUnion europenne et larticle 14 7 du Pacte international de New-York relatif aux droits civils et politiques. Il est exprim ainsi par larticle 4 du protocole n 7 la Conv.EDH du 22 novembre 198411 : Nul ne peut tre poursuivi ou puni pnalement par les juridictions du mme Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a dj t acquitt ou condamn par un jugement dfinitif conformment la loi et la procdure pnale de cet Etat . Les textes europens les plus rcents en matire de rpression boursire prvoient galement lobligation pour les Etats membres de respecter les dispositions de la Charte des droits fondamentaux de lUnion europenne, et notamment le principe ne bis in idem12. Pour autant, seule la question du cumul de sanctions pnales ou de nature pnale est vise par ces nouvelles lgislations europennes qui ninterdisent pas aux tats membres de lUnion dinfliger des sanctions administratives et pnales pour les mmes infractions et les mmes faits13, et prvoient ce titre, paralllement la mise en place dun socle de sanctions pnales au moins pour les infractions les plus graves, des mesures et sanctions administratives pour les autres cas. En droit interne, le principe ne bis in idem figure larticle 368 du code de procdure pnale. Si le Conseil Constitutionnel ne sest pas prononc sur sa valeur constitutionnelle, le Conseil dEtat le reconnat comme un principe gnral du droit dont le respect simpose aux autorits administratives mme en labsence dun texte exprs 14. Le cumul de poursuites et de sanctions pnales pour les mmes faits est donc explicitement prohib en France en vertu du principe ne bis in idem. En revanche, lapplication du principe aux cas de poursuites de nature diffrentes, i.e civiles, administratives ou pnales, tait jusqu prsent carte. En matire boursire, le principe dun cumul de poursuites et de sanctions administratives prononces par la Commission des sanctions de lAMF et de poursuites et de sanctions pnales prononces par les juridictions qui tait expressment prvu par le code montaire et

    11 Entre en vigueur le 1er novembre 1988. 12 Considrant 18 Directive 2014/57/UE Abus de march , considrant 166 Directive 2014/65/UE concernant les marchs dinstruments financiers MIF 2 , considrant 41 Directive 2014/91/UE OPCVM V . 13 Considrant 72 du rglement europen n 596/2014 relatif aux abus de march : Mme si rien n'empche les tats membres d'tablir des rgles concernant les sanctions administratives et pnales pour les mmes infractions, il ne devrait pas tre exig d'eux d'tablir des rgles concernant les sanctions administratives relatives aux infractions au prsent rglement qui sont dj passibles de sanctions en vertu du droit pnal national () , les tats membres ne sont pas tenus d'infliger la fois des sanctions administratives et pnales pour la mme infraction, mais ils en ont le loisir si leur droit interne les y autorise 13. 14 CE, 23 avril 1958, Commune de Petit-Quevilly.

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    financier15 tait valid par les juridictions internes jusqu sa remise en cause rcente par le Conseil constitutionnel16 car mconnaissant le principe de ncessit des dlits et des peines (voir ci-aprs). Sur la base des textes de droit interne mais galement des nouvelles normes europennes, le principe de la coexistence dun double systme rpressif administratif et pnal nest donc pas, en lui-mme, contraire aux conventions internationales prcites. En revanche, la possibilit de cumuler les poursuites et les sanctions est dsormais remise en cause par les dcisions rcentes de la CEDH et du Conseil constitutionnel. II.2 LARRT DE LA COUR EUROPENNE DES DROITS DE LHOMME

    GRANDE STEVENS La CEDH a eu loccasion de se prononcer de nombreuses reprises sur la compatibilit des lgislations internes avec les dispositions de larticle 4 du Protocole n 7 de la CSDH et a ainsi apport des prcisions sur le champ de la protection de cet article 4. Elle a adopt une interprtation de plus en plus restrictive du cumul possible tout en interprtant de faon de plus en plus stricte les rserves apportes par les Etats signataires de la CSDH sur ce point (annexe 3). Par un arrt du 4 mars 2014, la CEDH a constat la violation par lItalie de larticle 4 du Protocole n7 nonant le principe ne bis in idem en raison du prononc successif de sanctions pour des faits similaires dans une affaire de fausse information du march, dabord par la CONSOB (homologue italien de lAMF), puis par le juge pnal italien (annexe 3). Cette dcision est la premire de la CEDH faisant application du principe ne bis in idem en matire dabus de march. La Cour a affirm que les sanctions prononces par la CONSOB, autorit administrative indpendante, susceptibles dtre assimiles des sanctions de nature pnale, interdisaient de ce fait une juridiction pnale de sanctionner, pour les mmes faits, les comportements incrimins. Ds lors, lEtat italien devait veiller ce que les nouvelles poursuites pnales ouvertes contre les requrants en violation [du principe ne bis in idem] et encore pendantes () soient cltures dans les plus brefs dlais17. Il ressort de cet arrt que si le cumul des sanctions est interdit, le cumul des poursuites ne lest pas, du moins tant quaucune dcision dfinitive nest intervenue dans une voie. Inversement, si une dcision dfinitive est intervenue, les poursuites doivent tre immdiatement stoppes dans lautre voie. La Cour considre que la question trancher nest pas de dterminer si les lments constitutifs des infractions prvues par les articles sur le fondement desquels les requrants ont t condamns devant la CONSOB et par le juge pnal italien sont ou non identiques, mais celle de dterminer si les faits reprochs aux requrants devant la CONSOB et devant les juridictions pnales se rfraient la mme conduite.

    15 Articles L. 465-1 et suivants et L. 621-15. 16 Dcision Conseil Constitutionnel, 18 mars 2015, n 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC. 17 La CEDH sestime comptente ds lors que les voies de recours concernant une procdure, et non pas deux, ont t puises. En lespce, ctait le cas de la procdure administrative. La procdure pnale en tait lexamen de pourvois en cassation sur un arrt lui-mme prononc sur renvoi aprs cassation.

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    Pour sa dfense, le Gouvernement italien se prvalait de sa rserve larticle 4 du Protocole n 7 selon laquelle cet article ne sapplique quaux infractions, aux procdures et aux dcisions qualifies de pnales par la loi italienne. La CEDH a cependant cart la recevabilit de cette dfense considrant que la rserve ne satisfaisait pas aux conditions fixes par la Convention, notamment parce quelle tait trop gnrale. Larrt Grande Stevens a fait lobjet dune demande de renvoi de laffaire devant la Grande Chambre de la CEDH par lItalie qui na pas abouti, celle-ci tant carte par son collge de juges en charge de lexamen de la recevabilit des demandes de renvoi18.En consquence, la dcision de la CEDH lgard de lItalie est dfinitive. La France ayant un systme rpressif proche du systme italien et une rserve trs similaire, il parat trs probable que la position de la CEDH sur une affaire franaise serait identique. Il semble ds lors indispensable den tenir compte en rendant le cumul de sanctions pnales et administratives impossible pour les mmes faits. II.3 LA DCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL DU 18 MARS 2015 Par dcision du 18 mars 201519, le Conseil constitutionnel semble aller plus loin que la CEDH en prohibant, sous certaines conditions, le cumul de sanctions administratives et pnales mais galement le cumul des poursuites dans les voies pnale et administrative. Linterdiction du cumul des poursuites et des sanctions pour les mmes faits Partant du constat selon lequel les sanctions du dlit diniti et du manquement diniti ne pouvaient tre regardes comme de nature diffrente, le Conseil constitutionnel en a dduit que les articles L. 465-1 et L. 621-15 du code montaire et financier mconnaissent le principe de ncessit des dlits et des peines garanti par larticle 8 de la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789 et a dclar ces dispositions contraires la Constitution, ainsi que les dispositions contestes des articles L. 466-1, L. 621-15-1, L. 621-16 et L. 621-16-1 du code montaire et financier qui en sont insparables (annexe II). Aprs avoir rappel que le principe de ncessit des dlits et des peines ne fait pas obstacle ce que les mmes faits commis par une mme personne puissent faire lobjet de poursuites diffrentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pnale en application de corps de rgles distincts devant leur propre ordre de juridiction , le Conseil constitutionnel a indiqu :

    que les articles L. 465-1 et L. 621-15 du code montaire et financier tendent rprimer les mmes faits et que les dispositions contestes dfinissent et qualifient de la mme manire le manquement diniti et le dlit diniti ;

    que ces deux incriminations protgent les mmes intrts sociaux ; que ces deux incriminations aboutissent au prononc de sanctions qui ne sont pas de

    nature diffrente ; que les poursuites et sanctions prononces relvent toutes deux des juridictions de

    lordre judiciaire.

    18 CEDH, La pratique suivie par le collge de la Grande Chambre pour statuer sur les demandes de renvoi formules au titre de larticle 43 de la Convention, Octobre 2011. 19 Dcision CC, 18 mars 2015, n 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC prcite (annexe II).

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    Dans son commentaire de la dcision, le Conseil constitutionnel a prcis que pour que de mmes faits puissent faire lobjet de poursuites diffrentes, il fallait quau moins lune de ces conditions de diffrenciation soit remplie. Cest donc parce que les quatre critres sont remplis cumulativement ici que le conseil juge ces dispositions inconstitutionnelles. Cest bien le cumul possible des poursuites et des sanctions sur le fondement de ces deux textes et non leur simple coexistence qui justifie linconstitutionnalit20, car un amnagement lgislatif permettant dexclure ce cumul serait de nature rsoudre cette difficult. Cela ressort clairement du considrant 28 de la dcision : que les sanctions du dlit diniti et du manquement diniti ne peuvent, pour les personnes autres que celles mentionnes au paragraphe II de larticle L. 621-9 du code montaire et financier, tre regardes comme de nature diffrente en application de corps de rgles distincts devant leur propre ordre de juridiction ; que, ni les articles L. 465-1 et L. 621-15 du code montaire et financier, ni aucune autre disposition lgislative, nexcluent quune personne autre que celles mentionnes au paragraphe II de larticle L. 621-9 puisse faire lobjet, pour les mmes faits, de poursuites devant la Commission des sanctions de lAutorit des marchs financiers sur le fondement de larticle L. 621-15 et devant lautorit judiciaire sur le fondement de larticle L. 465-1 ; que, par suite, les articles L. 465-1 et L. 621-15 mconnaissent le principe de ncessit des dlits et des peines ; Le Conseil a ensuite invit le lgislateur intervenir en rappelant quil ne dispose pas dun pouvoir gnral dapprciation de mme nature que celui du Parlement et quil ne lui appartient pas dindiquer les modifications qui doivent tre retenues pour quil soit remdi linconstitutionnalit constate . Les personnes concernes par linterdiction du cumul Le Conseil constitutionnel a considr que le manquement et le dlit diniti ne pouvaient tre regards comme de nature diffrente en application de corps de rgles distincts devant leur propre ordre de juridiction pour les personnes autres que celles mentionnes au paragraphe II de larticle L. 621-9 du code montaire et financier , cest--dire les personnes non rgules par lAMF. Il en rsulte quune double poursuite, devant le juge pnal et la Commission des sanctions, parat possible lencontre des professionnels rguls par lAMF. Dans ce cas de figure, les recours contre les dcisions de la Commission des sanctions tant ports devant le Conseil dEtat, les poursuites peuvent, selon le raisonnement suivi par le Conseil constitutionnel, tre regardes comme diffrentes puisque relevant de deux ordres de juridictions diffrents, lun judiciaire et lautre administratif. Toutefois, le groupe de travail estime quune telle solution pourrait tre contraire au principe ne bis in idem tel quinterprt par la CEDH. En effet, par exemple, si une banque fait lobjet de poursuites pour manquement diniti, le recours contre la dcision de la Commission des sanctions devra, en raison de la qualit de prestataire de services dinvestissement de la banque, tre form devant le Conseil dEtat, alors mme que le manquement en cause peut 20 En effet, dans une lecture trs extensive, la dcision du Conseil constitutionnel pourrait tre comprise comme jugeant inconstitutionnelle la coexistence mme des dispositions de larticle L. 621-15 du code montaire et financier sur le manquement diniti et de celles de larticle L. 465-1 du code montaire et financier sur le dlit diniti en ce quelle mconnat le principe de ncessit des dlits et des peines. Cette lecture sappuierait sur le fait que le Conseil constitutionnel na pas choisi de faire une rserve dinterprtation sur les dispositions en cause les conditionnant une absence de cumul, mais dcid dune abrogation pure et simple de ces articles. Une telle interprtation serait particulirement extensive en ce qui concerne les modifications qui pourraient tre prconises puisque la seule absence de cumul des textes serait insuffisante pour rpondre la censure du Conseil.

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    tre sans lien avec cette qualit. La banque pourra donc tre galement poursuivie devant les juridictions pnales, et faire lobjet dune double sanction, dans le respect du principe de proportionnalit, tandis quun autre metteur qui commettrait les mmes faits sans avoir la qualit de prestataire de services dinvestissement (et qui relverait ds lors de la comptence des tribunaux judiciaires) ne pourrait faire lobjet que dune seule poursuite. Il semble donc prfrable de ne pas faire de distinction entre les personnes et de proposer un dispositif permettant dviter tout cumul de poursuites et de sanctions dans tous les cas dabus de marchs (voir infra). Les sanctions concernes : lensemble des abus de march La dcision ne concerne que les manquements et dlits dinitis, seuls soumis lexamen du Conseil constitutionnel. Toutefois, lanalyse quelle dveloppe parat transposable aux deux autres abus de march. En effet, la lumire des quatre critres retenus par le Conseil constitutionnel, les poursuites du dlit et du manquement de manipulation de cours et celles du dlit et du manquement de diffusion de fausse information ne devraient pas tre regardes comme de nature diffrente en application de corps de rgles distincts devant leur propre ordre de juridiction pour les personnes autres que celles mentionnes au paragraphe II de larticle L. 621-9 du code montaire et financier :

    ces dlits et manquements tendent rprimer des faits similaires qualifis de manire identique. En effet, en substance (i) le dlit et le manquement de manipulation de cours rpriment le fait dexercer ou tenter dexercer des manuvres ayant pour objet dentraver le fonctionnement rgulier dun march rglement ou dun systme multilatral de ngociation et, (ii) le dlit et le manquement de diffusion de fausse information rpriment le fait de rpandre ou de tenter de rpandre dans le public par des voies et moyens quelconques des informations fausses ou trompeuses sur les perspectives ou la situation dun metteur ou de ses titres admis aux ngociations sur un march rglement ou sur un systme multilatral de ngociation ;

    les rpressions de ces dlits et manquements, comme celles du dlit et du manquement diniti, poursuivent une seule et mme finalit de protection du bon fonctionnement et de lintgrit des marchs financiers. Ces rpressions datteintes portes lordre public conomique sexercent dans les deux cas non seulement lgard des professionnels, mais galement lgard de toute personne ayant manipul ou tent de manipuler le cours ou ayant diffus ou tent de diffuser une information fausse ou trompeuse. En consquence, selon linterprtation retenue par le Conseil constitutionnel, ces rpressions protgent les mmes intrts sociaux ;

    les sanctions de ces dlits et manquements sont identiques celles des oprations dinitis propos desquelles le Conseil constitutionnel a considr quelles doivent tre regardes comme susceptibles de faire lobjet de sanctions qui ne sont pas de nature diffrente ;

    la sanction encourue par lauteur de ces manquements autre quune personne ou entit mentionne au paragraphe II de larticle L. 621-9 du code montaire et financier et la sanction encourue par lauteur de ces dlits relvent toutes deux des juridictions de lordre judiciaire.

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    Linconstitutionnalit des dispositions insparables Le Conseil constitutionnel a galement jug que certaines dispositions quil estime insparables des articles incriminant le dlit et le manquement dinitis (articles L. 465-1 et L. 621-15 du code montaire et financier) sont inconstitutionnelles pour cette raison. Il a donc abrog en tout ou partie les dispositions suivantes :

    Larticle L. 466-1, qui prvoit que lavis de lAMF peut tre demand par les autorits judiciaires comptentes saisies de poursuites concernant des socits cotes, cette facult devenant une obligation en cas de poursuite relative au dlit diniti.

    Larticle L. 621-15-1 du code montaire et financier qui prvoit que lAMF est tenue de

    transmettre ses rapports denqute au Parquet national financier pour les dossiers qui donnent lieu louverture dune procdure de sanction et pour lesquels des dlits boursiers sont suspects. Paralllement, larticle L. 621-15-1 prvoit que le Parquet doit informer sans dlai lAMF en cas de mise en mouvement de laction publique sur les dossiers qui lui ont t transmis par lAMF.

    Larticle L.621-16 du code montaire et financier qui prvoit que lorsque la

    Commission des sanctions a prononc une sanction pcuniaire devenue dfinitive avant que le juge pnal ait statu dfinitivement sur les mmes faits ou des faits connexes, celui-ci peut ordonner que la sanction pcuniaire simpute sur lamende quil prononce.

    Larticle L. 621-16-1 qui prvoit que lorsque des poursuites concernent lun des dlits

    boursiers prcits, lAMF peut exercer les droits de la partie civile21. La mise en place dun rgime transitoire Enfin, considrant que labrogation immdiate de ces dispositions entranerait des consquences excessives, le Conseil constitutionnel a dcid de reporter labrogation des dispositions juges inconstitutionnelles au 1er septembre 2016 (considrant 35) et a prvu un dispositif transitoire applicable immdiatement et jusqu la date dabrogation22. Ce dispositif prvoit que ds lors que des premires poursuites auront t engages dans une voie, des poursuites pour les mmes faits et lencontre de la mme personne ne pourront plus tre engages ou continues. Il en rsulte en pratique que si des enqutes pourront se dvelopper en parallle, louverture de poursuites dans une voie mettra fin toute poursuite dans lautre.

    21 Toutefois, elle ne peut l'gard d'une mme personne et s'agissant des mmes faits concurremment exercer les pouvoirs de sanction qu'elle tient du prsent code et les droits de la partie civile. 22 Afin de faire cesser linconstitutionnalit constate compter de la publication de la prsente dcision, des poursuites ne pourront tre engages ou continues sur le fondement de larticle L. 621-15 du code montaire et financier lencontre dune personne autre que celles mentionnes au paragraphe II de larticle L. 621-9 du mme code ds lors que des premires poursuites auront dj t engages pour les mmes faits et lencontre de la mme personne devant le juge judiciaire statuant en matire pnale sur le fondement de larticle L. 465-1 du mme code ou que celui-ci aura dj statu de manire dfinitive sur des poursuites pour les mmes faits et lencontre de la mme personne ; que, de la mme manire, des poursuites ne pourront tre engages ou continues sur le fondement de larticle L. 465-1 du code montaire et financier ds lors que des premires poursuites auront dj t engages pour les mmes faits et lencontre de la mme personne devant la Commission des sanctions de lAutorit des marchs financiers sur le fondement des dispositions contestes de larticle L. 621-15 du mme code ou que celle-ci aura dj statu de manire dfinitive sur des poursuites pour les mmes faits lencontre de la mme personne (considrant 36).

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    * Il ressort de ces analyses que larrt Grande Stevens et la dcision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015, rendent impratif un ramnagement du dispositif franais de double rpression des abus de marchs.

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    PARTIE II : LES PISTES DE RFORME A ECARTER Le Groupe de travail considre que toute rforme propose devrait rpondre tant aux exigences poses par la CEDH qu celles du Conseil constitutionnel et quil convient de proposer une rponse fonde sur linterdiction de tout cumul des poursuites et des sanctions pour les mmes faits, englobant lensemble des abus de marchs. Le Groupe de travail a donc examin lensemble des pistes de rforme qui pouvaient sembler pertinentes afin de rpondre aux questions souleves par ces volutions jurisprudentielles tout en gardant lesprit quune rforme ne devrait pas avoir pour consquence de remettre en cause les grands quilibres actuels qui permettent de traiter la grande majorit des dossiers boursiers dans la voie administrative de faon trs efficace grce lintervention rapide et spcialise de la Commission des sanctions. Les rflexions du Groupe de travail, ainsi que les auditions quil a conduites, lont amen examiner un certain nombre de solutions de nature rpondre aux exigences poses par les dcisions de la CEDH et du Conseil constitutionnel. Aprs un examen approfondi, ces solutions semblent toutefois devoir tre cartes pour les motifs invoqus ci-aprs. I. LA SUPPRESSION DUNE DES VOIES DE SANCTION La suppression de tout cumul entre les deux voies de sanctions pourrait passer soit par une dpnalisation totale soit par la suppression des sanctions administratives pour les abus de marchs non commis par des professionnels rguls par lAMF. I.1 LA DPNALISATION DES SANCTIONS BOURSIRES La dpnalisation des abus de marchs au profit de la seule voie administrative pourrait sappuyer sur le constat qui fait assez largement consensus de la plus grande efficacit actuelle de la procdure devant la Commission des sanctions par rapport la procdure pnale. Lvolution rcente des rgles europennes exclut cependant cette solution. En effet, la directive sur les abus de march a rendu obligatoire pour les Etats membres de lUnion de disposer de sanctions pnales pour les trois abus de march, peu importe quils aient par ailleurs, ou non, des sanctions administratives au moins dans les cas graves et lorsque ces actes sont commis intentionnellement 23. Ainsi, aux termes des considrants n 5 et 6 de la Directive 2014/57/UE du 16 avril 2014 relative aux sanctions pnales applicables aux abus de march : (5) Ladoption de sanctions administratives par les tats membres sest rvle jusquici insuffisante pour assurer le respect des rgles relatives la prvention et la lutte contre les abus de march . (6) Il est essentiel que le respect des rgles relatives aux abus de march soit renforc par la

    23 Articles 3, 4 et 5 de la directive 2014/57/UE sur les abus de march.

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    disponibilit de sanctions pnales marquant une dsapprobation sociale plus forte que les sanctions administratives. Ltablissement dinfractions pnales au moins pour les formes graves dabus de march tablit des frontires claires pour certains types de comportements qui sont considrs comme particulirement inacceptables et adresse au public et aux auteurs potentiels le message que les autorits comptentes prennent trs au srieux ces comportements . Au demeurant, le groupe de travail considre quune dpnalisation de la matire serait en tout tat de cause inopportune compte tenu de la force et des spcificits des sanctions pnales pour les infractions boursires les plus graves. I.2 LA SUPPRESSION DES SANCTIONS ADMINISTRATIVES EN MATIRE

    DABUS DE MARCH POUR LES PERSONNES NON RGULES Cette piste a t examine par le Groupe de travail au vu dune interprtation de la dcision du Conseil constitutionnel consistant considrer quindpendamment de la question du cumul de poursuites et de sanctions, la coexistence mme des dispositions prvues larticle L. 621-15 du code montaire et financier sur le manquement diniti et de celles prvues larticle L. 465-1 du code montaire et financier sur le dlit diniti serait inconstitutionnelle. Dans ce cadre, une rponse approprie pourrait consister proposer la suppression des poursuites administratives pour les abus de march commis par toute personne, lexception des professionnels rguls par lAMF, suivant en cela lanalyse du Conseil constitutionnel. Limiter la comptence de lAMF aux professionnels rguls Il reviendrait donc au lgislateur, non seulement dinterdire le cumul de poursuites et de sanctions mais galement de procder une rcriture des dispositions prcites afin quelles ne soient plus identiques au regard dau moins un des critres retenus par le Conseil, savoir (i) lidentit de faits et des lments constitutifs des infractions, (ii) lidentit des intrts sociaux protgs, (iii) lidentit des natures de sanctions et (iv) lidentit dordre de juridiction. Selon la ligne de dmarcation qui semble avoir t retenue par le Conseil constitutionnel, le critre de rpartition permettant de dterminer quels manquements pourraient alors encore tre jugs par la Commission des sanctions rside dans la qualit de lauteur de linfraction :

    - en cas de manquement commis par une personne ou entit mentionne au paragraphe II de larticle L. 621-9 (professionnels rguls par lAMF), selon les termes de la dcision du Conseil, la Commission des sanctions serait ainsi comptente pour connatre de laffaire ;

    - linverse, en cas de manquement commis par une personne ou entit autre que celles

    vises au paragraphe II de larticle L. 621-9 (personnes non-rgules par lAMF), seules les juridictions pnales seraient comptentes.

    A dfaut de pouvoir rduire la comptence des juridictions pnales du fait des nouveaux textes europens, la comptence de la Commission des sanctions serait donc rduite en matire dabus de march une simple comptence disciplinaire conduisant sanctionner les personnes relevant du champ de comptence de lAMF et non plus les personnes non-rgules par elle.

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    Une telle solution ncessiterait donc une rcriture de larticle L. 621-15 du code montaire et financier afin dexclure de son champ dapplication les personnes non rgules par lAMF. Ceci devrait tre de nature rendre les textes conformes la position du Conseil constitutionnel puisque lordre de juridiction en cause24 serait diffrent. Une lecture trop restrictive de la dcision du Conseil constitutionnel qui ne rgle pas totalement la question du cumul Le Groupe de travail estime quune telle solution prsente toutefois trop dinconvnients tant juridiques que pratiques. Dun point de vue juridique tout dabord, elle ne rgle pas la question lie au principe ne bis in idem souleve par la CEDH puisque les personnes ou entits mentionnes au paragraphe II de larticle L. 621-9 pourraient toujours tre sanctionnes dans un premier temps par la Commission des sanctions sur le terrain du manquement diniti, puis dans un second temps par les juridictions pnales sur le terrain du dlit diniti, dans la mesure o les deux dispositions continueraient coexister mme si elles viseraient pour la premire une population distincte de celle prvue lheure actuelle. Ensuite, cette solution reviendrait faire de la Commission des sanctions de lAMF un simple organe disciplinaire et non plus une instance susceptible de se prononcer sur lensemble des problmatiques lies au bon fonctionnement et lintgrit des marchs. En particulier, sa comptence se limiterait aux professionnels des marchs et de la gestion et ne concernerait plus que marginalement les dirigeants des socits cotes. Enfin et surtout, le renvoi au pnal de la grande majorit des abus de march comporterait un risque lev, li aux contraintes de la voie pnale, de voir reculer la rpression dans les faits des grandes infractions boursires.

    * Le Groupe de travail a ainsi estim que la dcision du Conseil constitutionnel autorise dautres rponses dans la mesure o il semble clair que la coexistence du manquement et du dlit diniti ne pose problme que parce que le cumul des poursuites est possible. Il semble donc prfrable de respecter cette dcision en interdisant purement et simplement le cumul des poursuites pnales et administratives.

    II. L CRATION DUN TRIBUNAL DES MARCHS FINANCIERS

    Cette proposition porte notamment par les professeurs Schmidt et Le Fur25 vise riger la Commission des sanctions en un tribunal des marchs financiers .

    24 Les recours contre les sanctions pour manquements professionnels tant ports devant le Conseil dEtat et non les juridictions de lordre judiciaire. 25 Voir A-V Le Fur, D. Schmidt, Il faut un tribunal des marchs financiers, Recueil Dalloz 2014 p.551. Voir galement J.J Daigre, Faut-il scinder lAMF ?, Bull. Joly Bourse, 01 juillet 2011, A-V Le Fur, Faut-il faire de la Commission des sanctions de lAutorit des marchs financiers un tribunal des marchs financiers ?, Mlanges AEDBF VI, RB, Paris, 2013, p. 335, D. Kling et N. Huet, Juridiction ad hoc. Pourquoi ne pas traiter tout le contentieux boursier devant une seule juridiction ?, JCP G n 16, 21 avr. 2014.

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    Eriger la Commission des sanctions en un tribunal des marchs financiers Selon ses promoteurs, il ne s'agit ni de crer ex nihilo une nouvelle juridiction, ni de faire disparatre la Commission, mais fondamentalement d'tendre la comptence de celle-ci, ce qui ncessite que le lgislateur lui confre le statut d'un tribunal au regard du droit interne . Le tribunal ainsi institu serait comptent pour juger soit le manquement selon les articles L. 621-14, I, et L. 621-15, II, du code montaire et financier et selon le rglement gnral de l'AMF, soit la faute pnale selon les articles L. 465-1 et suivants du code montaire et financier et rparer, dans chacun des cas, le prjudice caus par la violation de ces textes26. Cette comptence serait exclusive, le tribunal connaissant seul des procdures relatives l'application des textes prcits. Ds lors que la Commission des sanctions ne saurait prendre en charge le volet pnal des affaires faute dtre une juridiction , les promoteurs du tribunal des marchs financiers voient galement dans cette ide le moyen de prononcer une sanction pnale dans des dlais et avec une expertise compatibles avec une rpression efficace conformment la volont affiche du lgislateur europen de pnaliser de plus en plus la matire financire avec des sanctions effectives, proportionnes et dissuasives . Le tribunal des marchs financiers prsenterait par ailleurs lavantage dunifier le contentieux au sein d'une juridiction unique et spcialise qui se prononcerait tant sur la procdure rpressive que sur la rparation civile. Ds lors, ce systme permettrait galement davoir une juridiction unique de recours. Enfin, alors que trois procdures (pnale, administrative et civile) coexistent aujourdhui pour constater une violation des rgles du droit financier, selon les partisans du tribunal des marchs financiers, aucune d'elles ne permet une rparation efficiente du prjudice civil caus par cette violation. La mise en place dune nouvelle juridiction unique permettrait donc de rpondre cet objectif et dobtenir une meilleure rparation du prjudice en matire financire. Le Groupe considre nanmoins que cette solution se heurte de trs srieuses difficults. La difficile justification de la cration dune juridiction dexception en matire financire En premier lieu, le Groupe de travail nest pas favorable la suppression de la Commission des sanctions ou du moins son dtachement de lAMF. Celle-ci avait en effet t mise en place afin doprer une sparation franche entre un collge et une Commission des sanctions et une distinction nette entre la fonction de sanction et celle de rgulation, tout en assurant une rationalisation des moyens daction de lautorit au service dune mission commune : assurer le bon fonctionnement des marchs et protger les pargnants. Consquence dune volont dunification et de rationalisation, la cration de lAMF sinscrivait galement dans une tendance europenne de renforcement du pouvoir de sanction des autorits administratives. Cette proposition qui supposerait une rforme majeure de nos institutions reviendrait crer par la loi, dans le domaine boursier, une juridiction dexception et lui transfrer totalement la sanction des infractions boursires. Un tel rgime drogatoire dans le domaine financier pourrait tre mal compris. 26 Les auteurs souhaiteraient galement ajouter cette comptence le pouvoir d'ordonner les visites domiciliaires (article L. 621-12), les squestres et consignations (article L. 621-13) et les mesures d'injonctions (article L. 621-14, II).

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    On peut aussi se demander si la cration dun tel tribunal ne se heurterait pas au principe constitutionnel de sparation des pouvoirs entre les autorits administratives et judiciaires (article 13 du titre II de la loi des 16 et 24 aout 1790) compte tenu de sa nature hybride . Les difficults souleves par la procdure applicable Les auteurs proposent quune procdure unique (celle de la Commission des sanctions) soit applique devant ce tribunal aux manquements comme aux dlits boursiers. Cette proposition soulve des interrogations importantes puisquil en rsulterait lapplication de la procdure administrative aux dlits boursiers alors que les autres dlits financiers continueraient de relever de la justice pnale et notamment de sa procdure spcifique. Il en rsulterait une ingalit de traitement des justiciables difficile justifier. A linverse, lapplication de la procdure pnale lensemble des manquements et dlits entrainerait immanquablement un allongement global des dlais de traitement des dossiers. De mme, on peut se demander si les infractions connexes aux dlits boursiers seraient juges par le tribunal des marchs financiers ou par les juridictions pnales de droit commun. En outre, la rpartition des dossiers qui serait faite au sein du tribunal entre les poursuites pnales et les poursuites pour manquement serait malaise organiser. La question des dlais de traitement des dossiers dans le cadre de ce tribunal des marchs financiers soulve galement des interrogations puisque divers incidents qui ont pour effet de suspendre linstance en procdure pnale pourraient tre invoqus du fait de la nature juridictionnelle du tribunal, alors quils ne peuvent tre aujourdhui soulevs devant la Commission des sanctions. Par ailleurs, le fait de vouloir englober dans cette juridiction les questions lies la rparation du prjudice semble galement de nature allonger les dlais de jugement et supposerait que le tribunal soit dot de moyens importants et appropris. Au travers de ces lments, il apparat que le tribunal des marchs financiers, au lieu de permettre damliorer le volet pnal des contentieux boursiers pourrait en ralit importer certaines des difficults de ce dernier dans la voie administrative et aboutir un allongement significatif des dlais de jugement. Pour cet ensemble de raisons, le groupe de travail considre que, malgr son intrt et son caractre novateur, la proposition de crer un Tribunal des marchs financiers peut difficilement permettre, dans les dlais, de rformer le dispositif rpressif des abus de march.

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    PARTIE III : PRCONISATIONS DU GROUPE DE TRAVAIL La dcision du Conseil constitutionnel ninterdit pas, en elle-mme, la coexistence de dispositions tenant rprimer les dlits dinitis, dune part, et les manquements dinitis, dautre part : cest parce quaucune disposition lgislative nexclut que des personnes puissent faire lobjet de poursuites devant la Commission des sanctions et devant le juge pnal pour les mmes faits que les deux incriminations sont dclares inconstitutionnelles. Il est par consquent indispensable que la loi interdise dornavant tout cumul possible entre les deux voies rpressives. Le cumul tant interdit, il convient de prvoir une distinction claire entre les dlits et les manquements administratifs et damnager la coexistence des deux procdures en amont des poursuites (I.). Cette rforme devrait saccompagner damnagements de la procdure pnale afin den acclrer les dlais et de la simplifier, ainsi que dune rationalisation des voies de recours (II.)

    I. LINTERDICTION LGISLATIVE DU CUMUL DES POURSUITES ET LORGANISATION DUNE CONCERTATION PREALABLE A LA DECISION DE POURSUITE

    La question dune ventuelle refonte globale du double systme de sanction franais nest pas nouvelle. Des propositions en vue de prohiber par voie lgale le cumul des poursuites et des sanctions concernant des faits identiques ou substantiellement similaires avaient dj t faites par le pass27 notamment au vu des dcisions antrieures de la CEDH qui allaient dj dans le sens dune application extensive du principe ne bis in idem28. Le rapport Coulon 29 estimait galement en 2008 que le droit boursier est probablement le principal domaine concern par le cumul ; () toute la difficult est ici de concilier impartialit dune part, clrit et comptence technique dautre part, en vitant un cumul de poursuites ; il convient donc de parvenir une synthse de ces deux impratifs, en sinspirant notamment de nos partenaires europens, qui () organisent une articulation entre sanction pnale et administrative, en vitant un cumul des sanctions30. 27 Des principes communs pour les autorits administratives dotes dattributions rpressives, Club des Juristes, Rapport Commission Europe, mai 2012. 28 Dcisions Franz Fischer c/ Autriche et Serguey Zolotoukhine c/ Russie prcites. 29 La dpnalisation de la vie des affaires , Groupe de travail prsid par Jean-Marie Coulon, Premier prsident honoraire de la Cour dappel de Paris, janvier 2008, rapport pages 61 et suivantes. 30 Le rapport proposait ainsi qu lissue de lenqute pnale le Parquet ait le choix entre un renvoi de la procdure lAMF ou une poursuite de la procdure judiciaire. Plus prcisment, le rapport prvoyait que dans lattente de la dcision finale du Parquet quant la suite judiciaire ou administrative, lAMF serait tenue de surseoir lengagement de sanctions ; Par ailleurs, lissue de lenqute pnale et aprs avis de lAMF, le Parquet aurait eu la possibilit de renvoyer la procdure lAMF pour une sanction administrative ; Au cas o celle-ci ne serait finalement pas prononce, il aurait toujours t possible pour le Parquet de poursuivre. Le rapport voquait galement la cration dquipes communes denqute afin de rpondre aux critiques formules lgard de lexistence dune double enqute par deux services distincts, qui procdent cependant aux mmes actes et auditions .

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    La proposition de rforme du groupe de travail prsente ci-aprs reprend lide de linterdiction lgale du cumul des procdures rpressives et de la mise en place dune concertation obligatoire entre lAMF et le parquet sans modification radicale de notre systme institutionnel et avec le souci pragmatique de maintenir un juste quilibre entre les deux voies afin de prserver la qualit de la voie rpressive administrative tout en conservant la voie pnale sa juste place. I.1 PRINCIPES DE LA PROPOSITION Le Groupe de travail prconise une rforme lgislative qui ne supprime pas le double rgime de rpression actuellement en vigueur mais uniquement la possibilit de cumul de poursuites31 pnales et administratives pour les mmes faits. Cette proposition qui sinspire en partie du rgime transitoire mis en place par le Conseil constitutionnel32 comporte quatre axes :

    1. Le principe de linterdiction du cumul des poursuites pnales et administratives en matire dabus de march serait pos dans la loi

    Un nouvel article L. 466-2 du code montaire et financier serait insr afin de prvoir cette interdiction de cumul dans la procdure pnale et, paralllement, larticle L. 621-15 du mme code serait modifi afin de prvoir la mme interdiction de cumul sur le plan administratif (annexe I). La loi prciserait galement les actes de poursuite qui emporteraient laffectation exclusive des dossiers dans une des voies rpressives. Aucune distinction ne serait faite entre les personnes vises au II de larticle L. 621-9 (professionnels rguls par lAMF) et les autres, afin de proposer un systme global vitant toute problmatique de cumul de poursuites et de sanctions conformment la jurisprudence de la CEDH.

    2. Afin de dterminer de manire claire quelle voie doit tre suivie, le Groupe de travail prconise de rserver la voie pnale aux infractions les plus graves via des critres lgislatifs objectifs

    Bien que linterdiction de cumul des poursuites soit suffisante pour rpondre aux critiques du Conseil constitutionnel et de la CEDH, il apparat important que les abus de march ne puissent caractriser un dlit pnal que lorsquils sont particulirement graves et justifient des peines privatives de libert. La voie pnale doit en effet tre rserve aux infractions les plus graves et sanctionner plus svrement des intentions fautives ou dolosives qui heurtent les valeurs du groupe social. De son ct, la rpression administrative doit, grce des manquements larges et plus objectifs sanctionner des comportements portant atteinte au bon fonctionnement des marchs. Cette logique a t adopte dans la majorit des Etats prvoyant la coexistence des deux voies de poursuite (annexe V).

    31 Au sens dfini ci-aprs page 23. 32 Cf. Partie I, II.3.

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    3. La mise en place dune concertation obligatoire entre le Parquet national financier et lAMF

    Bien quun partage clair entre le champ dapplication du dlit et celui du manquement soit propos dans la loi, un mcanisme de concertation obligatoire entre les deux acteurs que sont le Parquet national financier et lAMF parat indispensable :

    o Pour assurer une bonne circulation de linformation entre les deux voies et viter tout risque de poursuites parallles, lengagement des poursuites dans une voie fermant ncessairement lautre voie ;

    o Pour sassurer que les critres de seuils retenus en matire pnale sont bien remplis, ce qui ncessite un travail danalyse en amont des poursuites.

    Cette procdure permettra dorganiser au mieux la concertation entre lautorit judiciaire et lAMF et de concentrer au maximum les dlais de prise de dcision. Avant laiguillage formel des dossiers, des enqutes pourront continuer dtre conduites dans les deux voies. Dans ce cas, une concertation informelle aura lieu entre le PNF et lAMF afin de permettre un change dinformations.

    4. Les mcanismes permettant une meilleure coordination des deux voies rpressives et lchange dinformations seront rintroduits

    Ainsi quil a t rappel, le Conseil constitutionnel a dclar inconstitutionnelles plusieurs dispositions insparables dans la mesure o elles craient des liens entre les deux incriminations juges inconstitutionnelles (voir supra). Paralllement linterdiction pose dans la loi du cumul des poursuites et des sanctions, il parat ncessaire de rintroduire certaines de ces dispositions dans la mesure o elles facilitent la coordination entre les deux voies rpressives. Seraient ainsi rintroduits lidentique :

    Larticle L. 466-1 du code montaire et financier, qui prvoit que lavis de lAMF peut tre demand par les autorits judiciaires comptentes saisies de poursuites concernant des socits cotes, cette facult devenant une obligation en cas de poursuite relative au dlit diniti. Cette disposition pourrait toutefois tre complte afin dtendre cette obligation lensemble des abus de march. Le fondement de la distinction entre le dlit diniti et les deux autres dlits boursiers parait en effet incertain.

    Larticle L. 621-16-1 qui prvoit que lorsque des poursuites pnales concernent lun

    des dlits boursiers prcits, lAMF peut exercer les droits de la partie civile33 (voir II.3 supra).

    En revanche, larticle L.621-16 du code montaire et financier qui prvoit que lorsque la Commission des sanctions a prononc une sanction pcuniaire devenue dfinitive avant que le

    33 Toutefois, elle ne peut l'gard d'une mme personne et s'agissant des mmes faits concurremment exercer les pouvoirs de sanction qu'elle tient du prsent code et les droits de la partie civile.

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    juge pnal ait statu dfinitivement sur les mmes faits ou des faits connexes, celui-ci peut ordonner que la sanction pcuniaire simpute sur lamende quil prononce, deviendrait inutile. De mme, larticle L. 621-15-1 du code montaire et financier serait rendu inutile par lintroduction des critres lgislatifs de partage des dossiers et du mcanisme de concertation obligatoire (cet article prvoit que lAMF est tenue de transmettre ses rapports denqute au Parquet national financier pour les dossiers qui donnent lieu louverture dune procdure de sanction et pour lesquels des dlits boursiers sont suspects, cest dire si elle notifie un ou plusieurs griefs qui sont susceptibles de constituer un des dlits mentionns aux articles L. 465-1, L. 465-2 et L. 465-2-1 du code montaire et financier). La solution propose par le groupe de travail prsente tout dabord lavantage de rpondre de manire claire aux exigences du Conseil constitutionnel et de la CEDH puisque linterdiction de cumul de poursuites qui serait pose dans la loi permettrait de nexercer des poursuites pnales ou administratives que de manire alternative de sorte que le principe ne bis in idem serait donc en tout tat de cause respect. De mme, ce mcanisme permet aux manquements et aux dlits de continuer coexister mais de faon beaucoup plus diffrencie afin de prserver au mieux lefficacit de la rpression boursire travers le maintien de sanctions administratives pour la majorit des cas et le maintien dune rponse pnale pour les infractions les plus graves. Ensuite, ce dispositif est totalement en adquation avec les nouveaux textes europens qui matrialisent la volont du lgislateur europen de sanctionner pnalement certains comportements graves en matire financire34 tout en prvoyant des sanctions administratives prises par des autorits administratives en cas de manquements35. Enfin, la mise en place dune concertation entre les diffrentes autorits de poursuite devrait permettre dapporter la rponse la plus adapte aux diffrents types de dossiers. I.2 LES CRITRES LGISLATIFS DE PARTAGE ENTRE LES DLITS ET LES

    MANQUEMENTS Des critres lgislatifs objectifs afin de rserver les poursuites pnales aux faits les plus graves Les manquements administratifs dabus de march seraient conservs avec un champ dapplication large. Les textes europens et en particulier le rglement 596/2014 relatif aux abus de marchs ( Rglement MAR ) qui est dapplication directe, noffrent dailleurs pas de marge de manuvre pour en modifier la rdaction. En revanche, ainsi que le prvoit notamment la Directive 2014/57/UE sur les abus de march ( Directive MAD ), les sanctions pnales seraient rserves aux faits les plus graves, notamment lorsquune peine privative de libert parat justifie. La Directive retient le critre de la gravit de linfraction sans toutefois proposer de critres prcis mais laisse aux Etats la possibilit de les dfinir. 34 Directive 2014/57/UE du 16 avril 2014 relative aux sanctions pnales applicables aux abus de march, notamment considrant 14 : La prsente directive devrait obliger les tats membres prvoir dans leur droit national des sanctions pnales pour les oprations dinitis, les manipulations de march et la divulgation illicite dinformations privilgies auxquelles la prsente directive sapplique. 35 Voir notamment le rglement europen n 596/2014 relatif aux abus de march, article 30.

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    Il semble important pour les membres du Groupe que le partage des dossiers dabus de march soit fait en revenant aux diffrences fondamentales entre les deux voies : la voie pnale doit tre privilgie lorsquil sagit de rprimer des intentions dolosives, mettant en cause les valeurs fondamentales de la socit. La voie administrative est celle de la rgulation en vue de garantir le bon fonctionnement des marchs. La directive MAD relative aux sanctions pnales applicables aux abus de march propose des pistes afin didentifier les infractions les plus graves. Ainsi, la directive donne les lments suivants de dfinition de la gravit : Aux fins de la prsente directive, les oprations dinitis et la divulgation illicite dinformations privilgies devraient tre rputes graves lorsque lincidence sur lintgrit du march, le bnfice rel ou potentiel engrang ou la perte vite, limportance du prjudice caus au march ou la valeur globale des instruments financiers ngocis sont levs. Les autres circonstances dont il peut tre tenu compte sont, par exemple, lorsquune infraction a t commise dans le cadre dune organisation criminelle ou lorsque la personne a commis une infraction similaire dans le pass (considrant 11). Sagissant des manipulation de cours, le considrant 12 prvoit qu Aux fins de la prsente directive, les manipulations de march devraient tre rputes graves lorsque lincidence sur lintgrit du march, le bnfice rel ou potentiel engrang ou la perte vite, limportance du prjudice caus au march ou de la modification apporte la valeur de linstrument financier ou au contrat au comptant sur matires premires ou au montant des fonds utiliss lorigine sont levs ou que la manipulation est effectue par une personne employe ou travaillant dans le secteur financier ou au sein dune autorit de surveillance ou de rglementation . Dans cette logique, il est propos de modifier la rdaction des textes pnaux fondant les trois dlits boursiers actuels : En reprenant la rdaction propose par la Directive sur les abus de march

    (qui doit tre transpose au plus tard le 3 juillet 2016) ;

    En insrant explicitement le critre de lintentionnalit ;

    En posant des critres objectifs permettant de mesurer la gravit de linfraction :

    Pour mesurer la gravit de la faute seraient introduits des seuils en valeur

    absolue de bnfice ou de perte vite 36:

    o Pour le dlit diniti : soit un seuil de X k de bnfice rel ou potentiel ou de perte vite par personne poursuivie serait propos.

    o Pour la manipulation de march : la Directive MAD regroupe sous le concept de

    manipulation de march la fois la manipulation par les transactions (actuellement la manipulation de cours de larticle L. 465-2) et la manipulation par la fausse information (actuellement la diffusion de fausses informations de larticle L. 465-2 deuxime alina).

    Sagissant de la manipulation par les cours : un seuil de bnfice rel ou

    potentiel ou une perte vite suprieure X k par personne poursuivie serait propos.

    36 Voir les projets de textes en annexe 1

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    Sagissant de la manipulation par la diffusion dinformations fausses ou trompeuses : des seuils de bnfice ou de perte vite de X k pour les personnes physiques et de 4X k pour les personnes morales seraient proposs.

    Une tude est actuellement en cours pour proposer le niveau appropri des seuils proposs sur la base des dossiers ayant fait lobjet dune condamnation pnale au cours des dix dernires annes.

    Pour mesurer la gravit de latteinte au bon fonctionnement du march : il serait exig que les faits aient eu un impact significatif sur les cours de bourse (pour la manipulation de cours).

    En rservant la sanction pnale dans deux cas :

    La rcidive : il est propos quen cas de condamnation par la Commission des sanctions de lAMF au cours des 10 annes prcdentes, tout fait nouveau susceptible dtre poursuivi par elle en matire dabus de march relve du dlit pnal quels que soient les montants concerns. Il en irait de mme sil y a dj eu une sanction pnale pour abus de march.

    Les faits dinitis en bande organise : Un dlit diniti en bande organise serait

    cr relevant de sanctions pnales quels que soient les montants concerns (sans quivalent en ma