Ranciere Esthetique de Deleuze

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  • Existe-t-il une esthtique deleuzienne ?Jacques Rancire

    .

    Il ne s'agira p.as.pour moi de situer une esthtique deleuziennedans un cadre gnral qui serair la pende de Deluze.reraisonen est r-r--pl. : la pense de Deleuze, ie ne sais pas trs bien encorece qu'elle est, j9 le cherche. Et les textes dits esthtiques de Deleuzesont pour moi un moyen de I'approcher. Approcher, au demeu-rant, est un terme impropre. Comprendre un penseur, ce n'estpas venir concider avec son centre. C'est, au cotraire, le dpor-ter, I'emporter sur une trajectoire o ses articulations se desserientet laissent-un jeu. Il est alors possible de d-figurer cene pen#epour la refigurer aurremenr, de sortir de la contrainte de s motspour l'loncer.dpr gerjg langue trangre dont Deleuze, aprsProust, fait la tche de l'crivain. L'estlitique sera ici le moyende desserrer cer cheveau deleuzien qui laisse si peu de plae l'irnrption d'une eurre langue, pour ltmpon.t rut la trajectoired'une question.

    Il ne s'agira pas, en effet, de situer le discours deleuzien surl'art dans le cadre de I'esthtique, conue comme une disciplineeyent ses.objets, ses mthodes et ses coles. Le nom d'esthtque,p9yr. moi, 1e {$igne-pas une discipline. Il ne dsigne par rredivision de la philosoptrie mais une ide de la pense. L'.rthtiq.r.qtT p{

    -un savoir des uvres mais un mode de pense q.ti r.

    dploie leur propos et les p-r.eld tmoins d'une question r uneqrrestion qui porte zur le sensible er sur la puissance e pense quiI'habite evant la pense, l'insu de la p.ol.. J'essaierai donc emontrer comment- les obje* er les modes de description et deconceptualisation de Deleuze nous conduisenr vers li centre de

  • s26 Gilles Deleuze. [Jne ztie pbilosopbQue Gilles Deleuze. (Jne vie pbilosophQue 527

    en mme temps, c'est la restitution d'un esPce haptique :- unespace de connexion du voir et du toucher sur un--!P" plan.Ctest cet espace qui caractrise, selon Riegl, le bas-relief gyptien.Seulement, dans cet esPace, le contour a Pour fonction d'essen-tialiser la figure.qu'il g""9I.1.: Le.problme est.alors de dfinirun espace qur aif la planit haptique, mais qui soit dlivr decette fonction essentialisante.

    Ce problme est rsolu formellement Par une opration quiporte sur le contour. Sa ligne vient s'identifier, chez Bacon, uneotre ligne, appartenant la logique d'une eutre forme : la lignegothiqul septentrionde de Wrringer, cette ligne qui s'incurrre,Je brise, se brouille, change de direction. Cette ligne inorganiquedsorganise la fonction du contour essentialisant Elle- le plo-ngedans [e monde de I'accidentel Pour en faire un lieu de tension,d'affrontement, de dformation des autres lments. La surfacebaconienne se dfinira alors comme une combinaison spcifiquede formes : I'espace haptique. gyptien r de Riegl dsorganis parI'identification de sorlcontour la ligne septentrionale de'Tflr-ringer.

    -On peut ainsi dfinir une formule de tableau dans une gram-maire gnrale des formes. Mais comment comPrendre-alors quecet agencement de plans et de lignes, dfini Per

    -d-es critres sty-listiques prenne le nom d'une maladie mentale : fhyst1ie. Je dis. maladii mentele

    '. Mais il y a toute une tradition de pende

    pour laquelle I'hystrie n'est Pes une maladie quetgogqge- Ellest, specifiquement, la maladie qui s'oppose au travail de l'uvre,qui ltempche d'exister comme chose autonome, en retenant pri-sonnires dans le corps de I'artiste les puissances qui devaientobjectiver et autonomiser l'uvre. ie pense ici ce qrre Flaubertdit de son Saint Antoine : la puissance qui devait faire consisterle bloc de marbre de l'uvre a inver# sa direction. Elle est allevers l'intrieur au lieu d'dler vers I'extrieur. Et, en allant versI'intrieur, elle s'est liqufie. Elle a coul en Flaubert commemaladie nerveuse. Ainsi I'hystrie est ProPrement I'anti-auvre.Elle est la passion ou I'effusion neneuse qui s'oppose la puis-sance athltique et sculpturde des muscles.

    Commeni comprendre alors que le < se tenir en soi ' del'uvre puisse s'idntifier I'hystrie ? Retournons, pour cela,aux premires lignes de Loglqrc de h selrsation. Le rond, I'ovale,le paralllpipd formels oni en fait une fonction bien prcise:

    ce qu'il y a penser sous ce nom, di bi-centenaire et encore siobscur, d'esthtique.

    Je partirai de eux formulations deleuziennes, dont l'cart mesembl fixer exemplairement les ples, aPParemmen! antago-nistes, entre lesquels s'inscrit la pense deleuzienne de l'uvre.Le premire s trouve dans Qu'est'ce-que la pbihsopbie.?:o L'uvre d'art est un tre de sensation et rien d'autre : elle existeen soi (...) L'tniste cre des blocs de percepts et d'affects, mais laseule loi e la cration, c'est que le compo# doit tenir tout seul '

    I

    La seconde figure dans Loglqrcs fu k sensation ;. Avec la.peinture,l'hystrie devient art. Ou plitt, avec le peintre,l'hystrie devientpeinture r2.

    La premire formule, premire vue, nonce ce -qui semble

    tre le iquisit de toute esthtique entendue comme discours surl'art : il

    'j e un mode d'tre spcifique, celui de l'uvre d'art-L'uvre-d'art est telle en tent qu'elle tient toute seule, Elle estI'objet qui est en face de nous, qui n'a pas besoin de nous maisp.rjirt. itt

    ".rt,t de sa propre li d'unit d'une forme et d'une

    matire, de parties et deleur assemblage. Ce Peu! tre la tragdie,comme Aristote la dfinit; la calme idalit de la statue grecquechez Hegel; le roman sur rien de Flauben qui tient qar la seuleforce du sryle ; la surface de taches colores Par laquelle MauriceDenis dfinit la peinture; etc... C'est bien ainsi que Deleuze sem-ble nous mettre Ln face de l'uvre sous la forme d'un : . voil cequ'il y e r. Ainsi commence exemPlairement dans LogQue d ht**iion la description de ce que nous prsente un tableau deBacon: . {Jn rond dlimite souvent le lieu o est assis le Person-nage, c'est-dire la Figure

    '3. [Jn rond, un oyale, des cercles, de!ptocdntes plastiques, un espace bien dlimit et caractri#, ainsibeleuze nos dciit-il ( ce qu'il y

    ^, en face de nous, sur la surface

    plane et autonome de l'uvre. Et . ce qu'il y a\Peut se dcrire*r les termes d'une sorte de grammaire des formes. Ainsi lasurface du tableau de Bacon peut-elle se dcrire comme la strictecombinaison de deux formes identifies par les historiens et tho-riciens de l'art.Tout d'abord, la coexistence sur le tableau de lafigure, de I'aplat qui fait fond et du rond qui les unit et les spare

    1. G. Deleuze et F. Guattari : Qt'at-ce qte h plilosophic l, Editions de Minuit,o. 155.' 2. G. Deleuze, Lqq* de h sensation, Editions de La diffrence' t. l, p.37-

    t.IM., p.9.

  • 528 Gilles Deleuze. Une vie philosophQue Gilles Deleuze. (Jne vie pbilosophQue 529signification des analyses de \Urringer-..Chez celui-ci, la ligneCtiit ia"[t, puiss*rl d'otdre. Mme la ligne gothique avait unedouble fotr.iiott. Elle traduisait une angoisse et un dsordre- maisaussi elle les corriqeait en manifestant une puissance vitale idale.Ch.; Deleuze, liinverse, la ligne devient la puissance du chaos

    '

    di .;r"e toute forme, la puiiance du devenir-animal qui dfait 'iigrr. humaine, la mise .tt .ttttttophe de I'espace {iguratif' Lerottio,tt dessine alors un champ clos au centre,d'une-double pous-se : autour de lui, I'aplat fait monter vers la figure les- puissancesdu chaos, les forces non-humaines, non-org13iques, la vie non-organiqu d.. choses, qui viennenj qifl9r la figure. En son int-.,ieir, la fig.tr. elle-mme cherche - stchapper, se dsorganiser,t r. tid.t"p* se tte Pour devenir corpl-sans organes .et aller,.ioittdt .,r. vie nonrganique. Ainsi . se tenir en soi ' apol-linien de l'uvre est bien pluit une hystrie-dionysiaque: nonf", l,.o,tlement des puissances d'uvre dans le corps de I'artistemais l'coulement dans l'uvre des donnes figuratives quel'uvre a pour travail de dfaire.

    L'. hvitrie r de l'uvre dfinit le travail de dfiguration Pro''pr. l'*our. dans une double opposition.I'lle s'oppose explici-i.*.ttt une esthtique organique du beau. Mais ce n'est-pT Pg.uTi" i.*pl.ter par une esthiique

    .ngative du.sublime,. de l'in galit",.""iUle i'Ide. Q.* ce cmbaiengage, travers ladescriptionde l'uvre, le stetut de la pense en gnral, c'est c9 gue mo.tttTef:"*t.-tto. donn par Dleuz.e

    ^tt ombat

    ' hystrique-.de la

    aJfij"t.,ion : il l'appelle iuqice.-E1 la iustice elle-mme, il dolneun nouyeau nom t it t'"pp.lle dsen. C'est ainsi que le chapitre5 de Logiqrc dc td xnv{ion dcrit le terme du mouvement PTlequel li figot s'chappe vers la structure molculaire de lamitire , .Ii faudra ailiiusque-t afin que rgne une iustice qui".

    ,"r" plus que Couleur ou Lumire, un gspa:e qlli ne. sera plusque Sahara D 1. L'Guvre rend iustice et la iustice s'origine.en unr,"i" lieu. Mme si I'association de la iustice et du dsert voque,abord l'Antigone de Hlderlin, Il me semble impossible de nepas enrendre ii l'cho d'un aurre discours sur la j_loj.: el:oniieu. fe veux parler bien sr de Platon et du livre Yu {.. la RQa'UtrL . A qoi s'agit-il, chcz.Deleuze comme chez Platon, de,.ridr. justicl ? On f..tt rpondre : au sensible comme tel.Il s'agit

    l.Ibid-, p.23.

    isoler la figure: I'isoler non Pas Pour l'essentialiser, comme lecontour gyptien, non pas Pour la spiritualiser comme la man-dorle byzantine, mais pour I'empcher d'entrer en contact avecd'autrei figures, de devenir l'lment d'une histoire. Et il y a deuxmanires de devenir lment d'une histoire: il y a le rapportexterne de ressemblance, le rapport du personnege figur cequ'il reprsente. Et il y a les liens que, sur

    -la surface mme deltuvrg une figure entretient avec d'autres figures.Ces deux manires dfinissent en fait les deux faces d'un mme

    modle: le modle reprsentatif aristotlicien, tel que le fixe laPotQue. Reprsenter veut en effet dire deux choses. Premire-mend l'uvie est imitation d'une action. Elle fait reconnaitre Persa ressemblance quelque chose qui existe endehors d'elle. Deuximement, l'uvr esi I'action de reprsenter. Elle est enchane-ment ou sy$me d'actions, agencement de parties quislordonnentselon un modle bien dfini : l'agencement fonctionnel des partiesd'un organisme. L'uvre est vivante en tant qu'elle-est un o-rql-nisme. ela veut dire que la telehn de l'uvre est l'image de lanature, de la puissance qui trouve dans I'organisme vivant engnrd, et dans l'organisme humain en Particulier, son accom-plissement-

    Le modle classique de I'autonomie de l'uvre consiste dis-socier le modle aristotlicien, faire iouer la consistance organi-que de l'uvre contre sa dpendan99 ryiTtique, la,n_ature PYt:-ro.. d'uvre contre la nature modle de figuration. Un vritableaffranchissement de l'uvre suPPose alors la destnrction de cetteorganicit qui est la seconde ressource de la reprsentation-.Tyotr-iser l'uvre, ou faire cuvre de l'hystrie, voudra dire dfairecette organicit latente dans la dfinition mme de l'. autonomie 'de l'uvre. Cela voudra dire rendre malade cette nature qui al'autonomie organique comme telos. L'uvre picturale devraalors tre pense comme une maladie de la nature organique etde la figurition qui imite sa puissance. Ce que les lments de lagrammre formlle voque constituent, c'est en fait une misen crise, la maladie d'une nature. Ils dessinent la scne d'uncombat ou d'une crise. Le contouq baconien est ainsi une piste,un ring, un tapis de gymnastique. Il est le lieu d'un combat: lecombai de la pintureiontre la iiguration. Aussi bien les lmentsdu . code formel > ont-ils t soigneusement tordus par Deleuzepour organiser ce ring. Tmoin la manire dont il change la

  • s30 Gilles Deleuze. [Jne aie philosopbQue

    de dire quelle est sa vraie mesure. Chez Platon la mesure vraies'appelle-Ide et I'ide a un ennemi : les doxa - La doxa, c'est lajustii. que le sensible se rend lui-mme dans I'ordre courant deschoses. ll faut donc sortir de la caverne, de la doxa, du sensiblepour atteindre le lieu d'o le sensible reoit sa mesure, quitte ,i. qu'il s'y vanouisse. Or chez Deleuze [a iustice a mme'ennmi r li doxa, I'opinion, la figuration. Pas plus que I'espritchez Platon, la toile u peintre n'est blanche, en attente de ce qlidoit la remplir. la toile est surPeuple, recouverte Par les donnesfiguratives,-c'e$-dire pas simplement les codes figuratifs pictu-tru* mais les clichs, la doxa, le monde des ombres sur le mur.Les . donnes figuratives ) ou la doxa, qu'est-cenue c'est ? C_'estle dcoupage settsori-moteur et signifiant drg monde perceptif telque I'organise l'animd humain lorsqu'il se fait centre du monde;lrsqu'il transforme sa position d'image parmi les images 9ncogin, en centre panir e quoi il dcoupe les images du mondg.leJ. donnes figuratives r, ctest aussi le dcoupage du visible ; dusignifiant, du croyable tel que l'organisent les empires, en tantqu'actualisations collectives de cet imprialisme du sui9t.- Le tra-vail de l'aft est de dfaire ce monde de la figuration ou de la doxa,de dpeupler ce monde, de nettoyer ce qui est Pr avance surtoute toile, sur tout cran, de fendre la tte de ces images Pour ymettre un Sahara.

    Aller vers la justice, c'est dler vers ce qui donne la vraiemesure du sensible, le monde de .l'Ide '. Et, bien sr, chezDeleuze, la vrit n'est pas I'ide derrire ou au dessus du sensible.La vrit est le sensible pur, le sensible inconditionn qui s'opposeaux ( ides, de la doxa. le sensible inconditionn est ce quis'appelle justice ou dsert. L'uvre est marche au dsert. Seule-m.ttl le dsen justicier atteint, le terme de l'uvre, c'est I'absenced'Guvre, la folie.

    " Il faudra aller iusque l, dit Deleuze. Mais,

    la vrit, l o le dsert justicier, le terme de l'uvre, est atteint,ce qui se prsente en fait, c'est l'absence d'uvre, la folie- .Ilfaudra allei jusque l r. Mais l'uvre n'irait iusque l qu' s'annu-ler. Le thtre de l'uvre est alors celui d'un mouvement retenusur place, d'une tension et d'une station - au sens aussi o I'onparl des stations d'un chemin de croix. L'uvre est le chemine croix de la figuration que manifeste la figure gifle comme unchrist aux outrages. Mais justement elle retient sur place la figuregifle et qui veui s'enfuir. L'uvre est une station sur le chemin

    Gilles Deleuze. [Jne rie pbilosophi4ue 531

    d'une conversion. Son hystrie est schizophrnie maintenue dans..Jr. o elle fait encore uvre et allgorie du travail de l'uvre---

    r, un sens, le livre sur Bacon n'ei qrre cela: une vaste all-nor[-d' tra*raii de l'uvre. Le privilge de Bacon, le privilge de ii';il;;;"i;;; au sens.lat datts festhtique picturalg deleu-,i.no. est de montrer et d'allZgoriser le moment de la mtamor-ohose. de montrer I'ar[ .o ttait de se faire - hystriquement -il;;;;;b* tt.. l.t donnes figuratives. L'uvre est d'abordii* Deleuze allgorie de l'uvre-. Elle montre son telos, sonmouvement et ,, .".a.rrrre. La figure chez lui est en mme temPsli formolrd'une transformation et son allgorie. Et son irlge.ment;1 ftgtr; ; li sa capacit de deveniiformule et effigig e3i;;; .l Afei"iit ." *-. remps le mouvement de la fuiteretenue.

    On peut penser ici la manire dont, dans le livre sur le.irrrn", ia limit. de l'image-mouYement

    -et -la gense de I'image

    .-

    i"t"ot 'r;emblmatisent i.trr deux effigies,- deux visages ,a:;;il*, ;-;i"i;t ' : le visage de la femme dy FoY .co'4P?blee;Hir.h;ock, interprte p"t.t" Miles et celui d'Irne dansE;r"p" ti J. n"s.tlini, inerprte par {ng:rid Bergman- L'un ett';;;;

    "it"g. tmoignent de i..p1"1g:

    '.lt f9mn1e lY t"* ?"P1'bh quirotribt dans-la schizophrnie la suite de l'iniuste_ rncul-patin de son mari et la goa. bourgeois_9 tEyrope 5I, quiil;t*, f"ft.

    ' "u* yeux "do tnottde

    -qu-'elle dserte. pour leso,r*rriar.t et les prostiiues' se retirent di l'univers de la doxa et;;i;Fi... gff vont

    ".., l'.wre iustice, celle du dsen, d'An1i-

    ;;;;l de la ptrifi."tion et de I'eniermement- Seulement Hitch-:;, l,;i6,iicien, se drobe ce passege de l'auge- J{ g"iilt. iltdifice de l'irnage-mouvem:ni et de la fable bienconstnrit.. n"rt tiini, lui, francit le pas, fait le cinma qu'appellece visage.

    Mais comment est{e que Deleuz marque le pass"t.?. F}faisant d'Irne une effigie allgorique. Toute la puissance de l'ettt-;h* e; les mots que pronottce lrne, revenant de l'usine ::i,;i ; voi,. d.".ondr-ns '. Par l elle devient l'dlgorie del';;it u : celui qrri .tt all au dsert, qui a vu la vision itoP fort!, iinsoutenable etiui n sera, ds lors, pus iamais accord au monde 'J. i, ..ftCr.ot"tiorr. Deleuze ne nous montre pas l-'imge-.timP:'if-i""r'asigne un visage qui allgolise qu'elfg.signifie: le""n."ra,"t. dsaccortti.ot deJ

    donnes sensibles. Tout se

  • 532 Gilles Deleuze. [Jne oie pbilosopbique Gilles Deleuze. Une aie pbilosophique 533

    sensible d'une puissance qui excde son rgime normal, qui est etn'est pas de la pense, qui est de la pense devenue autre qu'elle-mme : du produit qui s'gale du non-produit, du conscient quis'gale de I'inconscient. L'esthtique fait de l'uvre la manifes-tation ponctuelle d'une puissance d'esprit contradictoire. La tho-rie kantienne du gnie la dfinit comme une puissance qui ne peutrendre compte de ce qu'elle fait. Le Systme & I'i.dalisme truns'cmdanul de Schelling fixe le paradigme du produit qui rendquivalents le conscient et l'inconscient. Hegel fait de l'uvre lastation de l'esprit hors de soi: I'esprit y est prsent comme ani-mation de la toile ou sourire du dieu de pierre. L'uvre est unsensible spar des connexions ordinaires du sensible qui vautdsormais comme manifestation de I'esprit, mais de l'esprit entant qu'il ne se connalt pas lui-mme. L'esthtique nat commemode de pense lorsque l'uvre est subsume sous la catgoried'un sensible htrogne, I'ide qu'il y a une zrlne du sensible quise #pare des lois ordinaires de l'univers sensible et tmoigne dela prsence d'une autre puissance. C'est cette autre puissance

    - la

    puissance de ce qui, mme le sensible, sait sans savoir -

    laquelleon peut donner le nom d'esprit ou, comme Deleuze, de . spiri-tuel

    '. il tt'y a pes lui donner de dtermination plus prcise que

    celle-ci : l'ide d'une zone du sensible qualifie par I'action d'unepuissance htrogne qui en change le rgime, qui fait que lesensible est plus que du sensible, qu'il est de la pense, mais de lapense dans un rgime singulier: de la pense utre qu'elle-mme,du pathos qui est du logos, de la conscience qui s'gale del'inconscient, du produit qui s'gale du non-produit. L'esthti'que est la pense qui soumet la considration des uvres l'idede cete puissance htrogne, puissance de I'esprit comme flammequi illumine ou brtle tout aussi bien.

    A panir de l, cette puissance dans le sensible de la pense quine pense pas peut tre conue selon deux schmas alternatifs. Lepremier souligne I'immanence du logos dans le pathos, de la pen-se dans ce qui ne pense pas. La pende s'incarne, se laisse liredans le sensible. C'est le modle romantique de la pense qui vade la pierre et du dsen l'esprit, de la pense dj prsente dansla texture mme des choses, inscrite dans les stries du rocher oudu coquillage et s'levant vers des formes toujours plus explicitesde manifestation. Le second l'inverse saisit I'esprit ce pointd'arrt o I'image se ptrifie et renvoie l'esprit son dsen. Il

    p:rsse c9mf9 si plus l'art s'approchait de sa vrit, plus il devenaitallgorie de lui-mme et plui la lecture en devenait allgorique.Tout s: passe.comTg si le propre de I'art tait d'allgrir.i Ittraverse vers le vrai du sensible,.vers le spirituel pur: l paysageg:i voir, le paysage d'avanr I'homme, ce qr. prcirmeitI'homme ne peur dcrire..

    A. pfir de. li il -.T possible de situer la pense de Deleuzedans le destin de l'esthtique comm-e figure de pen#e. Il est pos-

    sible dq.nqpgrrer sa critique de la figuiation .i d. I'organiciig icj qug l'esthtique veur diie en soi. Que veut dire e esttique r,{"or.le surgissemenr de cette notion, tel qu'il s'effedue .nit. Itfin du xvm sicle et le dbut du xrx. ? cela veut dire d,abord,ngativement, la ruine de la potique. La poetique, c'tait le modede vrit rgissant les uvreJ dani I'univers de la-reprsentation.L'univers de la reprsentation esr gouvern par le duble ressorrdu principe mimtiqu9 que Tgus avons t"ppte : l'uvre produitune ressemblance. Mais aussi l'uvre est lie-mme une resssem-blance, en_tant gy'.-llu- constitue un organisme, un logos, un. beauvivant

    '. La tehlm de l'uvre prolonge la tt"tuti le pbasis, le

    mouvement qui accomplit la vie .tt orgat isme. E[ est'u". ;;duction norme par cette lurre produciiog gu'est la pbasis,fuis-,:anc-e.commune de vie, d'organisme et d'uvre. .i l'.tt.oittru,l'esthtique rpel en son centre non plus l'uvre, mais I'aisthAon',le ressenti. D'o le paradoje gli semble

    -.tq.r.t originaire-.rril'esthtique. Alors que l'effondrement des ttoirn., dea reprsen-tation ouvre en droit la royaut de l'uvre er de la po'irt*..d'uvre, l'esthtique, de par son nom mme, noie l'uvre dansune pense du sensible, privilgie l'affect, er un affect qui est celuid.u rcepteur ou du spetateur. on sait comment Hegel rgle lachose au dbut des Leorc sur l'tbtet.Il dclare ti rnoi gri-demment_impropre, porrant 11 marque'd'une poque rvolue : let:mps de Burke et de Hume o I'on xpliquait s uuro panird'une psychologie empirique de la sentation. Mais le mot'tantentr dansl'usage, peu-iryporte- son origine er on peur I'employersans problmes pour dsigner la thorie du bel art..

    ol ce n'est pas. de cela qu'il s'agit. Le mot n'est pas un ana-chronisme ou une improprit. Esttitique dsigne bin un chan-gement de perspective: quand la pense de l'uvre ne renvoieplus une ide des rgles de sa production, elle est subsume sousautre chose: l'ide d'un sensiSle particulier, la prsence dans le

  • 534 Gilles Deleuze. (Jne aie pbilosopheuesouligne. l'immanence du parhos au logos, l'immanence dans lapense de ce qui ne,p:5..g1s: la o chJse en soi

    " ,.fr"p.J.u._

    rienne, le sans-fond, I'indiffrenci ou l,obsc", d. i; "i.'pre-individuelle.

    , L'esthtique.hglienne a beau marquer sa distance avec lagologie romantique de l'esprit, elle n'.tt illrrtrre pas moins exem_plairement Ie premier mouvement: l'uvre y est la, station deI'esprit horsde*oi : l'esprit qui se manqu. i.ril-,n. ar", i.**-

    riorit Tais, en se qr"qurt" r"it la russit. d. i*,rrril;"i, i"pyramide qui cherche vainement le conteni, jurqu;ru i;;.qui F poTe. -la limite de toute.prsentat-ion r."iiu, ;fi;;;,ylr l'.aon de l'an -grec o il se dnne sa figure ,.nribi.

    "di;;L'esthtiqu9 esr l'histoire des formes d.'la coincidence fo,i.I'espace 49 l. rep$yntatlon artistique ut l'.sp".. a;"r. pre;;;;-tion de l'esprit lui-mme dans ie sensibtl- ra

    -o* de I'an:natqu.^ le mom,ent o l'esprit n,a plus bercin pourue prr.nte, lui-mme des formes extrieur.r d'. l" t ptcruntation. cera veut1i:: :::,I'espace d: b reprsentTig-" If; ;il ;;-.# j.prsentation. Que devient-il alors ? Il devieot i-.g. d. ',no"d.,dox4 platonicienne ou btise flaobenie;;:-L. question de la

    , modernit esthtiq., celle d'un art d,apr, l. *o* de I'an se. .formule dors dani les termes suivanr, , '.nii.u. ;rir"";;; ;;la prsgng-ation artistiqrre. conrre la doxa ..p*rurrrarive, la puis-ru: j: l'esprit qui s'gale. son aurre - la natu;;;L;;;.i;;,le mutisme

    - dans les conditions d'une course de vitesse .r.. .L,

    machines de doxa, ces machines- -im.g* i" -"ra. q"il;;;d'Apollo3, dj.ag remps d,Hlderlin, l d J;;-,,,;'t;

    :lt T1hines qui s'appefient iournal ou tlvisio". L. progi.-rnuesthtrque de l'art voudra dire alors : inverser la directio"?'.roriiqui va de I'art la doxa, faire de l'uvre h r..""q"i. ilil;iil;ipeldu dans ce mou*'ement, faire du . spirituei , I'in"e .i;puissance classique d'incarnation et d'ind'ividuJir.tiorr. Le destinde l'uvre se tiouve d"rl suspendu i;"r." iig";;-. rd:tuel ': I'immanence dans la pnse de ce qui oe Dense oas- le

    sans-fond de la vie indifft nli., non-indi"io;li.:i, [*iar.des atomes ou des grains de sabre.; tu p.rtriqu;;, i. liq*', i;pathique . son point de repos, d'a-pathi.. 'c'esr alors sous forme e tche u de combat que se prsente

    l:.f"j::1:,s1,.tJ. p.uissance de l'uvre ..11. J;uit r."riUr. prr,d'un sensible a-signifiant. Le processus de d-figuration .;jtJ

    Gilles Deleuze. Une oie pbilosopbQue 535

    par Deleuze dans la peinture de Bacon est identique, par exemple,au nettoyage opr par Flaubert, dfaisant, ligne aprs ligne, lesles conjonctions grammaticales et les infrences smantiques quifont [a consistance ordinaire d'une histoire, d'une pense, d'unsentiment. Ce nettoyage a une finalit prcise : galer la puissancede la phrase celle d'une sensibilit qui n'est plus celle de I'hommede la reprsentation, qui est celle du contemplateur devenu l'objetde sa contemplation: mousse, caillou ou grain de sable. Ce net-toyage remplace une btise ( la sursignification somme nulle dela doxa) par une autre btise: I'a-signifiance du vide, de I'infini,le grand flot indiffrent qui roule et brasse les atomes. De mmeProust lie la puissance d'uvre l'exprience d'un sensible sous-trait ses conditions, ce moment de crequement de tous lesrepres o deux mondes viennent s'accoupler. Monde du sensiblepur, du sensible senti par les pierres, les arbres, le paysage ou lemoment de la journe. On connait I'idal du livre rv par lejeune Proust: le livre fait de la substance de quelques instantsarrachs au temps, le livre fait de ( gouttes de lumire

    ', de la

    substance de nos minutes les plus belles.Le problme est qu'avec cette substance pathique on n'crit pas

    de livre. Et le livre doit se faire par construction d'une fable ando-gique, d'une fable construite pourfaire ressentir le mme affect quecelui de ce pur sensible qui pense peuttre mais, coup str, n'critpas. Le livre flaubertien est la construction intentionnelle d'uneneture identique la nature incree qui ne relve d'aucune inten-tion. Le livreproustien est laconstruction d'une intrigue organiquequi enclt les moments piphaniques: une fable de la dcouvertede la vrit

    - de la vrit pense selon le modle moderne de la

    vrit, tix une fois pour toutes par Hlderlin, la vrit commeerreur devenue. L'uvre moderne prend la figure d'un objet para-doxal. Elle est I'inclusion d'une vrit esthtique, d'une vrit dusensible pur, du sensible htrogne dans une potique aristotli-cienne : I'intrigue de savoir et de fonune qui passe par la priptieet la reconnaissance. Le livre de Proust prsente cette figure exem-plaire d'inclusion d'une affaire schopenhauerienne

    - le craquement

    du monde de la reprsentation -

    dans une intrigue aristotlico-hegelienne de la vrit comme devenir de l'erreur..

    L'analyse de Deleuze s'inscrit alors dans le destin de I'esth-tique comme mode de pense, dans le destin de l'uvre modernelie ce sensible pur, en excs per rapport eux schmes de la doxa

  • 536 Gilles Deleuze. (Jne vie philosopbeuereprsentative. Elle s'tablir dans ces znes o la piti

    - c'esr--dire

    la sympathie avec la vie in-inindividuelle, voisine avec la folie,avec la perte de tout monde. Deleuze a affaire avec l,uvremoderne comme Guvre contradictoire o l'lment pathique, lapense-arbre ou la pen#e-caillou, vient dfaire I'ordr de h dx"mais o cet lment pathique est lui-mme inclus, rachet dansune organicit er un logos de rype nouveau. Il dnonce cecompromis, il essaie de I'annulei, d. reconstruire l'uvremoderne en sorre en qu'elle suive une seule logique ou anti-logi-que- Exemplaire.erj,-icet gard, son corps ;rir .r.. r'*,rrr?lproustienne qui lui fait donner son livrl utr. sriite er une suite la suite. Comme s'il fallait sans cesse ramener proust la puretd'un modle anti-organique. * on chercherait en vain chez pro.rrtl:: ilatitudgs sur l'uvre d'art comme totalit organique, r, nousdit-il . on les chercherait peut-tre en vain mais n le^s *ou.r.i,:glp.str. Deleuze, lui, e veut rien savoir de l'insistanru otg"-nicit du schma proustien. Il ne veur rien savoir du devenir"