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    DELEUZE - 28/05/73

    Marx

    dsir/besoin Faye la monnaie sur Baudrillard

    La dernire fois, on a cherch, des niveaux trs insignifiants, comment pouvait se constituer destypes de corps sans organes et ce qui pouvait se passer sur un corps sans organes, une fois dit quele corps sans organes c'est quelque chose qui est faire. On a vu que ce qui se passait sur un corpssans organes, c'tait toutes sortes de choses : des multiplicits, des flux, et des figures de contenu,des figures d'expression, et tout a entrait dans des rapports qui formaient des agencements

    machiniques; or tout a, c'tait directement notre problme, savoir : qu'est-ce qui produit desnoncs. Et dans les exemples insignifiants qu'on avait trouvs la dernire fois, les noncs dont iltait question, a pouvait tre, par exemple, des noncs d'alcooliques, ou bien des noncs deperversion, ou bien des noncs schizo; et j'avais bien dit qu' ce stade de recherche, il n'y avaitaucune raison de faire de diffrence de nature entre un grand nonc de type schizo, un noncmilitaire par exemple, un nonc imprial, ou bien un nonc alcoolique. C'tait le problme desnoncs qui impliquait que les noncs soient considrs dans le mcanisme de leur production,indpendamment de leur contenu et de l'importance de ce contenu.

    Il y a eu une prsupposition qui a t celle de toute cette anne, savoir : ce qui produit les noncs,ce n'est jamais un sujet, ce sont les agents collectifs d'nonciation, ce sont des agencementsmachiniques, en appelant, encore une fois, non pas du tout des facteurs sociaux, mais en appelantagents collectifs ou agencements collectifs des multiplicits qui nous traversent, qui ne sont ni

    intrieures ni extrieures nous, mais qui sont bien productrices des noncs que nous formons.

    Je voudrais commencer par une premire remarque. Notre tentative ne se rattache ni au marxisme niau freudo-marxisme. Quant au marxisme, je ne cherche mme pas le dtail, je dirais que, il y a troisgrandes diffrences. La premire diffrence, c'est que le marxisme pose les problmes en termes deBESOIN; au contraire, notre problme se posait en termes de dsirs. Il y a une trs grande diffrencepratique : ds que les problmes sont poss en termes de besoin, ce qui est invoqu, c'est finalementune instance suppose tre juge, et de la nature de ces besoins, et de leur rpartition, et de la mesurede leur satisfaction. Poser les problmes en termes de besoins, c'est dj faire appel, je crois, ce quise rvlera tre une organisation de parti. Au contraire, parler en termes de dsirs, c'est dire que, nonpas le sujet, parce qu'il n'y a peut-tre pas de sujet du dsir, mais que l'instance de dsir est seulejuge des dsirs dont elle est porteuse, que ce soit un individu ou un groupe; et en ce sens tout leproblme est dplac : non pas qu'il n'y ait pas lieu de penser une centralisation ou une connexionentre appareils de dsir, mais coup sr, la connexion o l'appareil de dsir ne pourra pas se fairesous la forme d'un appareil de parti qui jouerait un rle dcisif.

    Je crois que la position d'un problme en termes de besoins et en termes de dsir est tout faitdiffrente. La seconde diffrence c'est que le marxisme soutient une certaine opposition entrel'infrastructure conomique et l'idologique, entre l'infrastructure comme instance de production etl'idologie. Pour nous, aucun moment le problme de l'idologie ne s'est pos, parce que on a uneide simple : ce n'est pas tellement que l'idologie soit en elle-mme dformation de quelque choseou transformation de quelque chose, pas du tout que l'idologie soit par exemple une fausseconscience, mais que, la lettre, il n'y a pas d'idologie. a n'existe pas.

    Il n'y a pas d'idologie. Il n'y a que des organisations de pouvoir; et ce qu'on appelle idologies, ce

    sont des noncs d'organisations de pouvoir - par exemple, il n'y a pas d'idologie chrtienne, il y aen revanche, et le christianisme est fondamentalement, dans toute son histoire, non pas uneorganisation de pouvoir d'un certain type, mais son histoire a t traverse par l'invention d'une

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    Nous, au contraire, notre point de dpart est trs simple : il n'y a et il n'y a jamais eu que une seuleconomie et c'est la mme conomie qui est fondamentalement, ds le dbut, la fois dsirante oulibidinale et politique.

    Nous considrons comme peu prs synonymes les trois termes suivants : position de dsir,production d'inconscient, production d'noncs. a implique videmment tant vis vis du marxisme

    que de la psychanalyse, un certain point de vue tranger l'un et l'autre. Quoi qu'on fasse, lapsychanalyse considre toujours l'inconscient comme dj produit, et comme quelque chose rduirepar une machine d'exprimentation; et une exprimentation pas seulement individuelle, mais uneexprimentation qui, srement peut tre collective, au sens o les rvolutions sont des lchsd'inconscient, sont des productions d'inconscient, et en ce sens, elles sont peut-tre la cl du domainede ce qu'on appelait prcdemment l'exprimentation.

    Tout systme fait pour empcher la production d'inconscient est du mme coup un systme fait pourempcher la production de nouveaux noncs, ou un systme fait pour empcher la position de dsirdans un lieu et dans un temps comme elle se produit. La production d'noncs doit appartenirfondamentalement, non plus un clivage qui mettrait la production du ct d'une infrastructureconomique, les noncs du point de vue d'une science ou d'une idologie, mais vraiment laproduction d'noncs fait partie de la sphre mme de l production. Qu'est-ce qui rend possible une

    position de dsir ou qu'est-ce qui rend possible la production de nouveaux noncs. Je dirais aussibien, car c'est le mme problme : comment faire pour empcher qu'un nonc essaime, commentfaire pour empcher qu'on ne puisse pas en finir avec un nonc, a revient au mme que de dire :comment faire pour produire de nouveaux noncs ? Comment faire pour qu'un nonc ne cristallise,pour qu'un nonc n'entre pas dans un systme imprialiste qui est le systme imprialiste du signesous le signifiant. Tout a c'est un bloc de problmes. Cela revient galement dire : comment poserun dsir dans un groupe ou dans un individu, comment produire de l'inconscient.

    On a vu en quel sens le corps sans organes tait objet d'une production et comment, partir de lui,toutes sortes de choses se produisaient. L'ide que l'on avait et qui tait sous-jacente, c'tait que cequi se produisait sur le corps sans organes, c'tait l'agencement, un type d'agencement propre poser le dsir, lcher des charges d'inconscient, produire un inconscient qui n'est jamais dj l,

    ou produire de nouveaux noncs. Et aprs tout, une coupure historique, a se dfinit par toutessortes de choses, mais entre autres, par une production d'noncs.

    Est-ce qu'il y a des questions ou des remarques avant de continuer ?

    Gobard : Je voudrais savoir si tu as envisag le problme du passage de l'oral l'criture, et tedemander si, en effet, la condition de l'imprialisme n'tait pas lie la transcription, l'crituremme, car dans un monde oral, ce serait beaucoup plus difficile.

    Gilles : Ouais, ouais, ouais. Oui. Oui. D'une certaine manire, j'ai envie de rpondre oui et non. Le rlede l'criture dans un systme imprial, on l'a vu l'anne dernire; ce qui m'intresse plus, c'est uneide qui apparat dans Hemslev : il y a un point de vue o a importe assez peu, c'est dire o il y aune indiffrence de la substance; il dit finalement que la substance soit phonique, qu'elle soit orale,qu'elle soit crite, qu'elle soit autre, qu'elle soit code sous forme par exemple de langage smaphore,langage morse, a importe assez peu. Il y a un point o tu as compltement raison, c'est dansl'histoire des formations sociales; et puis, il y a un point o finalement presque le mme agencementmachinique peut porter sur des substances compltement indiffrentes. La diffrence interviendrait auniveau des flux qualifis : il est vident que le flux oral et le flux d'criture, ce n'est pas la mme chose.Mais au niveau de l'agencement machinique qui, d'une certaine manire, - alors a n'est videmmentpas le mme niveau : si l'on suppose un agencement machinique une poque donne, qui porte surdes flux quelconques, ce sera le mme, des diffrences d'intensits, ce sera le mme quis'attaquera la substance phonique orale, la substance littrale, et tout autre sorte de substance.On pourra revenir l-dessus.

    L'idologie, c'est la lettre, le systme des noncs qui correspondent, pas du tout qui cachent,

    telle organisation de pouvoir. L'idologie, a ne consiste absolument pas tromper les gens,l'idologie, c'est uniquement le systme des noncs qui dcoulent d'une organisation de pouvoir tellequ'elle est : par exemple, entre la rforme et le catholicisme, le problme, c'est des organisations de

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    pouvoir et non seulement il faut tenir compte de la lutte rforme/catholicisme, mais il faut tenir comptedu rglement de comptes l'intrieur de la rforme entre les noncs de type populaire et laliquidation de la gauche rformiste, la conciliation avec les princes des rforms, c'est dire ce qui aproduit un type d'organisation de pouvoir nouveau, et du ct du catholicisme, galement, il faut tenircompte de tout le systme des hrsies qui impliquent de toute vidence ces discussions sur laTrinit, mettent en jeu trs directement et trs profondment des problmes d'organisation de pouvoir

    concernant l'glise; et a ne masque mme pas : a ne pouvait s'noncer que comme a.

    L'idologie, a ne me parat absolument pas du tout quelque chose de trompeur : les plus bellesdiscussions au Moyen-Age dans la scolastique, dans la Trinit, a dit trs clairement et a met en jeutrs clairement ce que va tre l'organisation de l'glise, ce que va tre le rle du prtre, a ne cacherien.

    Gobard : Je suis trs content que tu dises que a ne cache rien, parce que a corrobore mesrecherches, savoir que ce qui est vrai, ce n'est pas le fond, mais c'est la surface; il faut se fier auxapparences.

    Gilles : Un nonc c'est ce qui se dit. A notre niveau, il n'y a jamais rien interprter.

    Question : Sur le besoin.

    Gilles : Tu me demandes de justifier thoriquement en quoi besoin et instance, juge des besoins, estlie, je pourrais le faire. Je crois que dans l'ide de besoin, il y a fondamentalement l'ide de manquede quelque chose, et que, ds qu'il y manque de quelque chose, il y a forcment un juge qui vavaluer, et le manque et le rapport de ce qui manque avec le manque lui-mme, c'est dire avec lebesoin; ds lors il y a tout un systme d'organisation de pouvoir, donc, le sujet du besoin va tredessaisi, et c'est pour a que les systmes socialistes ont le plus souvent parl en termes de besoinet non pas en termes de dsir. Le besoin c'est quelque chose dans lequel le manque est inscrit. Et sile dsir est un processus, alors il est vident que seul le groupe porteur du dsir, ou que seul l'individuporteur du dsir est juge de son propre dsir.

    Que la socit fasse la rpression du dsir, c'est toujours au nom de : les gens ont des besoins, etnous, nous nous chargeons de les satisfaire. La rpression du dsir n'est jamais faite au nom de : il ya des dsirs, il faut en tenir compte, mais soyez raisonnables, elle se fait toujours au nom du besoin.Lorsqu'il se fait du dsir une conception selon laquelle le dsir serait manque de quelque chose, on abeau tablir entre le besoin et le dsir les plus svres distinction de nature, ces distinctions de naturene sont que des mots. On verra une certaine thorie de l'tayage o le dsir commence parce qu'il estmanque d'un manque, parce qu'il est manque au second degr par opposition au besoin. De toutesmanires, a aura dj t rabattu sur le domaine du besoin, et ce moment l, il y aura un juge dudsir, ne serait-ce que le psychanalyste.

    Aujourd'hui, on oublie tout ce qu'on a fait avant, mais tout ce qu'on a fait prcdemment sur le corpssans organes va nous tre essentiel. Simplement, bizarrement, va s'oprer un glissement parce que,dans les plans qui prcdaient, nous n'avions aucune raison de mettre sur des plans diffrents, unnonc pervers, un nonc alcoolique, un nonc schizo, un nonc social, un nonc politique; ilfallait, au contraire, les traiter tous comme quivalents, c'est dire se produisant tous sur des corpssans organes d'un type diffrent. A partir de maintenant, il va y avoir tout un systme faisant intervenirles types diffrents de CSO, les types diffrents d'noncs, et les rapports entre ces noncs. L, il vafalloir tablir tout un systme diffrentiel.

    Qu'est-ce que c'est que cette question de la production des noncs. C'est un problme relativementrcent : trois livres en France posent ou bien ne posent pas, tournent autour de cette question :comment des noncs sont produits, ou ce qui revient au mme plus concrtement : comment est-cequ'on en finit avec de vieux noncs, comment on produit de nouveaux noncs. Les trois livres sontceux de Baudrillard, de Faye et de Foucault. Pour Baudrillard, les exemples de production d'noncssont emprunts l'esthtique et notamment une esthtique trs concrte qui met en jeu l'enchre, la

    vente aux enchres des tableaux. Dans le cas de Foucault, les grands exemples qu'il donne deproduction d'noncs concernent avant tout la folie.

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    Au 19me sicle, la production de nouveaux noncs concernant la folie, telle qu'elle se fait au 19mesicle, et d'autre part, les noncs constitutifs de la clinique mdicale au 19me sicle aussi. ChezFaye, la matire mme de sa rflexion sur la production de nouveaux noncs, c'est le nazisme : enquel sens le nazisme fut-il producteur d'noncs d'un sens nouveau. Il faut voir aussi le livre deGuattari et notamment le passage concernant la coupure lniniste qui demande explicitementcomment rendre compte de la production de nouveaux noncs au moment de la rvolution

    bolchvique.

    Il me semble que ces thories ont un arrire fond de commun qui consiste en plusieurs points :d'abord, elles se distinguent des tudes linguistiques dont on a t submergs. Pourquoi . Parce queles tudes linguistiques ont consist avant tout analyser le langage dans ses lments formels dediffrentes teneurs, tandis que l, il s'agit de tout fait autre chose : une espce de dcouverte etd'insistance que la linguistique avait oubli concernant le pouvoir crateur de la langue, et l, on peutsituer d'o a vient. a renvoie videmment Chomsky. Voil le premier aspect commun toutes lestudes. Il y a un deuxime aspect, c'est que le problme de la production des noncs, en fonctionds lors d'un pouvoir crateur de la langue, nous force sortir d'une conception trop simple de laproduction, pour la raison que les noncs font partie eux-mmes du domaine de la production. Dslors, ce qui est bris c'est la dualit production/idologie. a implique donc une transformation duconcept de production, savoir une transformation qui va dans le sens non marxiste traditionnel o la

    production est avant tout envisage comme production matrielle. Donc, remaniement du concept deproduction et suppression de la dualit production/idologie, au profit de quoi ? L aussi, c'est un despoints communs chez les trois auteurs, au profit du problme du pouvoir et de l'organisation de cepouvoir, parce que prcisment faire sauter la dualit ordinaire production/idologie va sans douteintroduire le problme de l'organisation de pouvoir, comme faisant dj partie d'une structureindissolublement conomico-politique.

    Troisime point commun, c'est la tentative tantt russie, tantt pas russie, pour rompre prcismentavec la catgorie linguistique du signifiant et du signifi. Quatrime point commun : c'est renouveler leproblme de l'inconscient en le posant au niveau des noncs. Ne plus rfrer l'inconscient unemachine d'interprtation. Peut-tre que ce que je dis ne vaut pas galement chez les trois auteurs, avaut minemment pour Foucault.

    Cela revient une tentative pour dcouvrir la manire dont le dsir investit les formes conomiqueselles-mmes.

    Voil, il me semble, tous les points communs entre ces trois auteurs.

    On va commencer par le livre de Baudrillard et voir en quel sens il s'inscrit, et en quel sens il nes'inscrit pas dans la tentative. Je demande ceux qui connaissent ce livre de dire leur avis.

    La premire thse, dans "La critique de l'conomie politique du signe" - j'ouvre une parenthse :comme c'est vraiment l, aujourd'hui, de l'tude du texte, il parat aller de soi comme a va tre trsennuyeux, que je serais pour que ceux, que a n'intresse pas, s'en aillent, a ne les empchera pasde comprendre quoi que ce soit ...

    La premire proposition de Baudrillard est une vritable limination et subordination de la catgorie deproduction, et en tous cas, la catgorie de production comme production de ***********. Et l, c'est unevritable rupture avec le marxisme, et pourquoi est-ce que la catgorie de production matrielle estcomme l'nonc ? L, les arguments de Baudrillard sont trs clairs : parce que la productionmatrielle renvoie la valeur d'usage, et que la valeur d'usage elle-mme prsuppose des notionscompltement artificielles, comme celles de besoin et d'idologie. En d'autres termes, il ne faut paspartir de la valeur d'usage; ds lors, il ne faut pas partir de la production matrielle, parce que laproduction matrielle est dj tout entire quadrille par un systme d'une autre nature : ce n'est pasla valeur d'usage qui est premire, et il y a dans Baudrillard toute une critique de la valeur d'usage quiest ds le commencement de son livre. Ce qui revient dire, seconde proposition, que ce qui estpremier, c'est l'change, d'une certaine manire, a revient dire une chose que Marx avait dite

    aussi, savoir, que la production dans le capitalisme, c'est la reproduction du capital, mais au dbutdu "Capital", il y a bien le chemin valeur d'change, valeur d'usage. Baudrillard propose une espcede renversement de rapport : la valeur d'change est premire, l'change est premier. Pourquoi ?

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    Parce que la production mme, comme production matrielle, prsuppose une matire d'changediffrentielle : "le grand tort c'est de faire de la diffrenciation une variable surajoute, une variabledonne de situation, alors que c'est une variable relationnelle de structure. Comme l'a vu Verblen, - ilest trs disciple de Verblen -, toute la socit se rgle sur la production de matriels distinctifs", or,prcisment selon lui, la production est production dj diffrentielle, production de matrielsdistinctifs, et c'est dans la mesure o elle prsuppose tout un systme de l'change; en d'autres

    termes, la valeur d'change est premire, c'est elle qui va quadriller la production, et ds lors, c'estelle qui va tre premire par rapport la valeur d'usage.

    A partir de l, a se complique, car la troisime proposition de Baudrillard, c'est ceci : partir de lavaleur d'change, se produit une transmutation. Donc, l, on est dans une situation simple; quelqu'unvous dit que la valeur d'change est premire par rapport la valeur d'usage, ce qui peut vouloir direaussi : les exigences de la consommation sont premires par rapport la production, et en effet, auniveau des exigences de la consommation, il y a dj maniement d'un matriel distinctif, d'un matrieldiffrentiel. Bon. a implique une ide qu'il faut retenir pour plus tard, savoir que la base, je ne dispas la forme, la base du capitalisme c'est la valeur d'change ... (fin de la bande).

    ... La troisime thse de Baudrillard concerne, d'une certaine manire, une vritable transmutation dela valeur d'change, et pour lui, comme pour nous, a va tre l'essentiel, savoir la manire dont la

    valeur d'change va se transformer en ce qu'il appelle valeur d'change signe, ou ce qu'il appellevaleur-signe, ou ce qu'il appelle forme-signe. a va tre a le fond de son problme, et je me dis quea va tre le ntre aussi, car comment la valeur d'change - je ne sais pas si c'est bien pos, partir dela valeur d'change, car encore une fois, comment la valeur d'change se transmue-t-elle en valeur-signe, ou forme-signe, c'est une manire de dire : comment des noncs sont-ils produits dans unsystme d'change ? Comment se fait la production des noncs ?

    La rponse consiste dire, si je comprends bien, qu'il y a une destruction de la valeur d'change :dans le circuit de l'change, il y a une destruction de la valeur d'change, et la destruction de la valeurd'change, elle se fait dans la dpense - je n'insiste pas, on sent poindre Bataille -, et c'est dans ladpense que l'objet achet prend valeur de signe, et c'est l qu'il y a une production de signes. C'estdonc dans l'acte de la dpense que la valeur d'change devient valeur-signe, c'est l que se fait une

    production de signes qui n'est pas de la superstructure, et qui n'est pas de l'idologie, qui appartientvraiment au systme conomique.

    Que a appartienne vraiment au systme conomique, a fait bien partie de notre souci, sinon onn'aurait pas parl de Baudrillard, savoir introduire les noncs et introduire le dsir dansl'infrastructure conomique. Quelle diffrence avec la valeur d'change ?

    C'est que, ce moment l, le matriel diffrentiel qui tait dj compris dans la valeur d'changecesse d'tre une pure matire et devient forme. Forme-signe, et c'est l, dans cette transformation dela valeur d'change, qui, elle-mme tait porteuse de plus-value matrielle, dans la transformation dela valeur d'change en valeur-signe, que apparat une plus-value spcifique de domination. Et c'est lque se fait l'organisation du pouvoir, ce sont les pages 130 et suivantes. Page 259, on trouve laformule : "la valeur d'change s'accomplit - s'accomplit au moment mme o elle s'anantit comme

    valeur d'change - s'accomplit dans la valeur-signe." Encore une fois, cette production de valeur-signes'accomplit elle-mme dans la dpense.

    D'o l'ide qu'une vritable psychanalyse, i.e. une vritable conomie dsirante doit se faire au niveaude la consommation et de la dpense. Quatrime thse : avec l'apparition de la valeur-signe ou de laforme-signe, surgit - l a me parat bizarre -, le couple signifiant-signifi, parce que le signe c'estl'ensemble des deux. Et se produit une assignation termes termes, signifiant-signifi, dont il donneau moins un exemple dans le cas de l'oeuvre d'art, le signifiant tant la forme, le signifi tant lafonction, et l'ensemble des deux constituant le signe ou la valeur-signe. Or, ce signifiant-significonstitutif, ou lments mmes du signe, sont comme traverss par quelque chose de fameux, savoir la barre. La barre c'est trs important : c'est elle qui assigne un systme de relations entre lesignifiant et le signifi; c'est la barre qui spare le signifiant et le signifi. Si je comprends bien, lesigne c'est donc cette barre elle-mme qui rpartit signifiant et signifi termes termes, et il consacreune longue note Lacan en disant : oui, Lacan ne fait pas signifiant-signifi termes termes, mais arevient au mme, il y a un domaine du signifiant, un domaine du signifi, et il y a la barre.

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    Et, dernire proposition : cette barre du signifiant et du signifi, cette barre constitutive du signe et dela forme-signe, et, bien loin de rvler quelque chose, elle cache et occulte. Qu'est-ce qu'elle cache etocculte, on ne sait pas encore. Ce qui est important ce niveau, c'est que c'est l que je vois aussi,remplie ou non remplie, peu importe, une partie du programme de la thorie de la production desnoncs, savoir tenter de situer le problme de l'inconscient et renouveler le problme del'inconscient en fonction de cette question de la production des noncs.

    Alors, enfin, dernire thse : qu'est-ce qu'elle cache, cette barre du signifiant et du signifi, constitutivedu signe ? On apprend qu'elle cache la castration. Selon lui, tout le capitalisme moderne est unemanire d'occulter une vrit sublime qui est celle de la castration. a cache la castration parce que... Je prsente a trs mal, c'est parce que, comme vous le sentez, je n'y comprends rien ... a occultela castration parce que, dit-il en toutes lettres dans l'article sur le corps : la castration est seulementsignifie, et a, c'est pas bon. Quand la castration est seulement signifie, elle est occulte parce queelle est seulement signifie, a va pas bien. Pourquoi ? La castration est la fois signifie et occulteen tant que signifie. a va pas bien parce qu'il semble, d'aprs l'article, qu'elle est mconnue, enquel sens ? Parce que ce qui est mconnu alors, c'est l'essence du dsir, et l'essence du dsir, c'estsa propre *********, savoir, c'est le manque. (voir page 259) ma rfrence est fausse.

    Richard : Je crois avoir ta rfrence.

    Gilles :

    Richard : "Le manque c'est toujours ce par quoi on manque aux autres et par quoi les autres vousmanquent", page 263.

    Gilles : En voil une pense. J'ai la page 68-69 : "Le discours totalement latent du manquesymbolique du sujet lui-mme et l'autre dans l'objet - oui oui oui oui oui - le dsir est dsir dequelque chose de perdu, il est manque, absence sur laquelle viennent s'inscrire les objets qui lasignifient; que peut bien vouloir dire prendre les objets pour ce qu'ils sont ..."

    Alors, cette mconnaissance de la castration parce que la castration est seulement signifie, a

    rpond quelle tape ? Il dit : vous comprenez, c'est bien forc, et il prend des exemples : le strip-tease : il parle de la barre des bas sur la cuisse, qui renvoie la barre signifiant-signifi. La castrationn'est que signifie, si je comprends bien. "Et la barre peut tre n'importe quoi : les vtements quitombent signalant l'mergence du corps comme phallus. Tout cela est dni de castration. L'idal c'estl'ide d'un corps nu, plein", o donc, la castration est occulte. a nous intresse parce que a faitjouer au corps sans organes un rle trs dtermin. Le corps sans organes c'est prcisment uncorps qui opre le dni de la castration. "La diffrence des sexes est ignore. Plus nue que le nu, lafemme peinte en or ..." et il dit, je ne me souviens plus trs bien, mais l'esprit y est : corps plein, nonporeux, sans exsudation ni expression, sans grain ni asprit, vitrifi.

    La diffrence avec Lacan, c'est que la barre signifiant-signifi, loin d'indiquer la castration, est, aucontraire, le signe qu'elle est occulte, la marque d'une occultation, la marque d'une mconnaissancede la castration.

    Dernire thse de Baudrillard : ds lors, puisque vous voyez que ce n'est pas bien cettemconnaissance de la castration, vous voyez que, au fond, il y a toute la thse qui revient de lacastration comme appartenant fondamentalement l'essence du dsir, la dernire thse apparatcomme : quelle est le vritable ordre du dsir, y compris dans une conomie, ordre du dsir quiinvestirait l'conomie en fonction d'une castration non mconnue, en fonction d'une castrationreconnue. Sa rponse est celle-ci : a doit tre autre chose que la valeur-signe.

    On a jou pour le moment sur valeur d'change, valeur-signe, et la valeur d'change devenait valeur-signe dans une espce de transmutation; la valeur-signe nous a donn la barre signifiant-signifi; c'est dire la castration occulte. Comment se tirer d'une situation aussi catastrophique o le dsirmconnat la castration, c'est dire mconnat son propre tre ? Baudrillard dit qu'il y a eu un temps

    o cela allait mieux. Le temps o cela allait mieux, il faut le dfinir par un troisime terme, c'est lavaleur symbolique. La valeur symbolique est au-del du signifiant et du signifi. Elle implique une

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    espce de non apparition; elle s'oppose donc la valeur-signe. Elle se distingue de la valeur-signe ettout le livre de Baudrillard va jouer sur les trois termes valeur d'change, valeur-signe et valeursymbolique, et la valeur symbolique est au-del ou en de du signifiant et du signifi, pourquoi ?Parce qu'elle est vcue sous le rgne de l'ambivalence.

    C'est par l'ambivalence qu'on se dbarrasse du signifiant et du signifi, parce que, chez lui, si je

    comprends bien, l'ambivalence ce n'est pas simplement l'ambivalence des sentiments au sensamour/haine, c'est l'ambivalence des signifiants et des signifis eux-mmes. On ne sait plus ce qui estsignifiant et ce qui est signifi, et c'est dans cette ambivalence que la valeur-signe est dpasse versla valeur symbolique, et on a vu que la valeur-signe est renvoye la consommation et l'oubli et audni de la castration, tandis que la valeur truc, la valeur symbolique renvoie la reconnaissance de lacastration et non plus la consommation, mais la consummation. On se retrouve en plein dansl'conomie du don/contre-don. Voil.

    Je reprends rapidement ces propositions :

    La valeur d'usage n'est pas premire, c'est la valeur d'change qui est premire. La valeur d'changeproduit un matriel distinctif ou diffrentiel. Elle doit se transmuer en valeur-signe qui, elle, lve laforme le matriel diffrentiel ou distinctif. La valeur-signe opre dans la dpense et dans laconsommation. Le signe est constitu par la barre du signifiant et du signifi et il occulte la vrit dudsir qu'est la castration, au profit d'un corps plein qui est le corps de la femme peinte en or. Enfin, au-del de tout a, il y a quelque chose qui est la valeur symbolique faite de don et de contre-don,d'ambivalence, de reconnaissance de la castration et qui implique la dissolution mme du signifiant etdu signifi.

    Je voudrais que ceux qui connaissent un peu Baudrillard, disent si mon rsum est exact. Qui est-cequi a bien lu Baudrillard ?

    Richard : Il y a un truc qui me parat bizarre dans la dmarche de Baudrillard, et c'est la seule choseque je n'arrive pas m'expliquer par rapport sa mthodologie elle-mme : il part d'un truc trsmarxiste, trs traditionnel, qui est le problme de la diffrence et de l'indiffrence, le rapport du

    producteur aux objets qu'il produit, et ses moyens de production, et la thse classique de Marx estqu'avec le capitalisme, on a faire une formation sociale qui fonctionne avec des producteursspars des moyens de production, dans un rapport d'indiffrence aux objets qu'ils produisent, choseabsolument diffrente de toutes les autres formations sociales, et l'exemple qu'il donne est celui del'artisan qui fabrique lui-mme son objet, c'est dire un rapport non mdiatis avec l'objet. Et, de cetteindiffrence, ce que Baudrillard va chercher avec les termes freudiens de diffrence de sexes et dedni de cette diffrence, il va dire que, avec le capitalisme, comme il y a indiffrence aux objetsproduits, aux objets vendus, que finalement le seul universel, c'est l'universel abstrait de la valeur, il vadire que l'indiffrence vis vis des objets est recouverte par une indiffrence, un dni de ce clivageentre les sexes. Et a, je crois que a se tient, enfin, on voit comment a fonctionne le recouvrementdu champ freudien sur un champ marxiste...

    Gilles : Si tu veux dire que c'est typiquement du freudo-marxisme, je suis entirement d'accord.

    Richard : Et cette dmarche va donner une rconciliation dans l'change symbolique commersultante. Je ne comprends absolument pas comment il amne cet change symbolique.

    Gilles : Oui, oui, oui, oui, oui. En somme, tu comprends encore moins que moi. Je cherchais quelqu'unqui comprenait mieux ...

    Puisque vous ne voulez pas parler, je vais vous dire ce qui me parat bizarre. A la question : qu'est-cequi produit les noncs ? Qu'est-ce qui produit les noncs dans une formation capitaliste ou dansune autre, puisque, aprs tout, quel est le choix qui nous est laiss ? De toutes manires, le dsir estmanque, manque de soi-mme, perte de soi-mme, il est castration; c'est bien par la castration quel'on accde au dsir. Ce qui produit les noncs en rgime capitaliste, c'est ce qui occulte la

    castration, savoir la barre. Mais je ne comprends pas pourquoi la barre occulte la castration, donc on

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    suppose ... j'ai l'impression qu'une strip-teaseuse rigolerait en entendant a, et alors, par opposition,les danses primitives exhiberaient la castration ... a laisse songeur ces trucs l.

    Gobard : C'est qu'il doit utiliser la castration avec deux significations diffrentes; la premire, la vieilleide infantile et freudienne que la femme est un homme priv de sexe, et la deuxime o la castrationest la terminologie utilise pour parler de la diffrence des sexes.

    Gilles : Oui; il dit mme que la castration symbolique est au-del de la diffrence des sexes.

    De toutes manires, ce qui est producteur d'noncs, c'est la castration. Alors a nous intresse et ane nous intresse pas. a nous intresse puisque la castration tant, selon Baudrillard, au coeurmme du dsir, c'est bien une manire de lier le problme de la production des noncs au problmede la position de dsir, et la formule : "ce qui produit les noncs c'est la castration", alors en effet,une danseuse de strip-tease tient un systme d'noncs non verbaux qui tient un code, le code dustrip-tease, une danse africaine c'est un autre code; il y a des noncs non verbaux. La castrationserait donc productrice de tous les noncs, sur deux modes possibles : soit une castration occulte,soit comme une castration exhibe, ce qui revient dire que ce qui produit les noncs, de toutesmanires, c'est le clivage du sujet. Ou bien le sujet peut tre cliv par la barre du signifiant et dusignifi, soit il peut tre cliv autrement - pour quoi il doit tre cliv, je ne sais pas -, je retiens dansl'article sur le corps propos de la valeur symbolique ; quelle est la diffrence entre ce qui exhibe etce qui cache la castration, demande Baudrillard ?

    La diffrence c'est que, dans le cas de ce qui exhibe la castration, on voit la diffrence radicale - jecite exactement -, qui traverse le sujet dans son irrductible ambivalence.

    Alors, c'est bizarre, parce que l'ambivalence c'tait ce qui sortait de la castration, mais il se trouve quele rgime de l'ambivalence, c'est srement une autre diffrence irrductible. De toutes manires, c'estun clivage du sujet qui produit l'nonc.

    C'est de nouveau la vieille thse que nous avions vue il y a longtemps, savoir : la production desnoncs par un sujet entrane par l'effet de l'nonc mme, le clivage du sujet en sujet de

    l'nonciation et sujet de l'nonc.

    Si, la question : qu'est-ce qui produit les noncs, on nous rpond que c'est le clivage du sujet, nosanalyses prcdentes tendaient vers un rsultat contraire, savoir que le clivage du sujet tait uneffet trs prcis obtenu pour empcher toute production d'noncs. Il est facile de montrer que, dsqu'un sujet est cliv en sujet de l'nonc, et sujet de l'nonciation, loin que a engendre le moindrenonc, c'est la condition sous laquelle aucun nonc ne peut tre produit. C'est la mme condition,et ce n'est pas par hasard, que la machine psychanalytique, quand je demandais pourquoi, etcomment est-ce que la machine psychanalytique fait pour empcher toute production d'noncs aumoment mme o elle fait semblant de dire au pauvre patient : vas y, tu peux les produire tesnoncs. Il suffisait de la machine d'interprtation. Toute psychanalyse en ceci : dans tes rapportsavec tes amis, avec ton travail, avec tes enfants, etc. tu es sujet de l'nonc; dans tes rapports avecmoi, psychanalyste, et par rapport moi, psychanalyste, tu est sujet d'nonciation. D'o le coup deLacan formidable, d'avoir appel l'analys : analysant. a consiste dire au bonhomme : vienst'asseoir sur le divan, tu seras producteur d'noncs, tu seras sujet de l'nonciation. Avant, lespsychanalystes taient bien plus modestes parce qu'ils disaient quelque chose comme: si tu es sur ledivan, et si tu parles, tu seras, par l'intermdiaire de mon interprtation, tu accderas au statut desujet de l'nonciation. C'est pour a qu'avec le changement lacanien, le psychanalyste a de moins enmoins besoin de parler, il fait de plus en plus silence. Le clivage est toujours assur de la mmemanire : dans toute votre vie relle, vous serez sujet de l'nonc, vous accdez au sujet del'nonciation par rapport l'analyste qui interprte ce que vous faites dans votre vie relle, si bien quesujet de l'nonciation, vous ne l'tes que dans le cabinet de l'analyste.

    Or, c'est prcisment cette machine l qui supprime toutes les conditions de l'nonciation; si bien quesi la thse de Baudrillard consiste nous dire : ce qui produit les noncs c'est un sujet cliv, que ce

    soit cliv suivant le systme de la valeur-signe, ou bien cliv dans le systme de la valeur symbolique,a revient strictement au mme : il confond la production des noncs avec son contraire mme,

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    savoir ce qui empche et ce qui supprime toutes les conditions de production des noncs. Voil lepremier point.

    Le second point c'est que c'est trs bien de mettre en question la valeur d'usage; il a srement raison.Mais mettre en question la valeur d'usage pour s'appuyer sur la valeur d'change, a ne me parat passuffisant parce que, tant qu'on y est ... si on garde la valeur d'change, on rintroduit la valeur

    d'usage. Baudrillard est devenu un problme intressant, mais qui me semble perdu d'avance :comment engendrer la valeur-signe, c'est dire la forme signe comme il le dit souvent lui-mme, c'est dire comment produire les noncs, comment engendrer a partir de la valeur d'change ? Or, ilme semble que sa rponse invoque soit un miracle, soit un paralllisme. Le miracle, ce serait l'acte dela dpense qui transformerait dans l'change, la valeur d'change en valeur-signe. Dans ce cas, je nevois pas d'analyse trs prcise sauf bizarrement, le cas de la vente aux enchres des tableaux - etc'est quand mme bizarre de concevoir le systme capitaliste sur le mode de la vente aux enchresdes tableaux -, cause de son limination de la catgorie de production, la subordination de laproduction la consommation, ce qu'il retient comme modle de l'objet capitaliste, ce n'est pas lamachine, c'est le gadget; c'tait dj visible dans son premier livre "Le systme des objets", ce qu'ilavait dans la tte, c'tait une psychanalyse de l'objet, et il faut donc qu'il conoive les machinescomme de supers-gadgets au lieu de concevoir les gadgets comme des rsidus de machines oucomme des machines miniaturises. Le modle du gadget ... il est bien forc de prendre un tel

    modle, c'est dire d'ignorer tout de la puissance machinique et du dsir, et du capitalisme, il est bienforc d'occulter compltement la puissance de la machine et la nature de la machine pour engendrer, partir de la valeur d'change, pour engendrer crapuleusement partir de la valeur d'change, lavaleur-signe, ou la forme signe, par une opration simple de la dpense.

    Quand on a supprim la valeur d'usage, tout en conservant la valeur d'change, on ne se donneaucune condition pour rendre compte d'une transmutation quelconque, sauf dans un cas : le systmeparalllisme. Autant dans le livre sur la critique de l'co.po. du signe, il me semble qu'il s'agit d'uneopration qui reste compltement miraculeuse, cette transformation de la valeur d'change en valeur-signe, autant dans l'article sur le corps apparat nettement un point de vue parallliste entre argent etphallus.

    Ce paralllisme argent-phallus qui va assurer le passage de la valeur d'change qui se fait avec del'argent matriel, la valeur-signe qui se fait avec du phallus formel, passage de la matire argent, del'change matriel au signe formel phallique - c'est a qui lui permet, au nom simplement d'unemtaphore ou d'un paralllisme, et il s'en tire d'une manire trs gracieuse en disant : c'est pas gnantd'tablir une mtaphore entre l'argent et le phallus parce que le phallus est lui-mme une mtaphore...

    On retombe dans un systme parallliste; il s'agissait de savoir comment le dsir investit l'conomie eton retombe sur un simple paralllisme entre deux conomies, savoir la transformation valeurd'change - valeur-signe, ne peut se faire qu' travers un paralllisme entre l'argent saisi commematrialit distinctive et le phallus saisi comme formalit diffrentielle, c'est l que se joue un systmede paralllisme entre les deux, et ds lors, il ne tient plus du tout sa promesse implicite, savoir :montrer comment le dsir investit l'conomie; il fait une jonction par symbolisation, par mtaphore ou

    par paralllisme entre deux conomies, une conomie politique et une conomie de dsir.

    Enfin, troisime point, parce qu'il est temps qu'on se repose : pourquoi est-ce que la valeur d'change,ce n'est pas plus srieux que la valeur d'usage, pourquoi est-ce que a ne marche pas ?

    Il me semble que c'est pour la raison suivante : premier point : d'abord, il me semble que change,dans le marxisme, c'est une notion extraordinairement ambigu et confuse parce que le termechange trane avec soi, comme concept, le thme d'une certaine galit entre choses changes ouchoses changeables. Marx le dit trs bien, en droit; et, en fait, le problme de l'change, c'est que cequi est chang, ce ne sont pas des choses gales : savoir il y a conomiquement un caractrefondamentalement ingal de l'change conomique. Sur les conditions de l'ingalit de l'change, jevous cite deux textes importants et actuels : "L'change ingal" chez Maspro et le livre de SamirAmin aux ditions de Minuit, o il reprend et il corrige la thorie sur l'change ingal, et le livre deSamir Amin est tout fait bon. Il reprend la thorie de l'change ingal, mais il la reprend pas du toutcomme appartenant fondamentalement l'change, mais il la reprend au niveau du Tiers Monde,

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    c'est dire dans quelles conditions, la priphrie du capitalisme, dans quelles conditions et pourquoil'change Tiers-Monde - pays dvelopps est fondamentalement un change ingal.

    Cette notion d'change charrie en droit un principe d'galit et meut en fait une ingalit essentielle; ettout le problme marxiste de la plus-value vient de l : comment rendre compte de l'ingalit del'change, et la rponse de Marx, c'est prcisment une rponse arithmtique, et vous comprenez

    pourquoi a ne peut tre qu'une rponse arithmtique qui rende compte de l'ingalisme et del'change quand on a pos le problme qu'en termes d'change.

    Quand on a pos le problme en termes d'change, il ne peut y avoir de rponse la question :pourquoi l'ingalit de l'change, il ne peut y avoir de rponse que arithmtique, que prcismentparce que l'change drainait en droit cette espce de postulat de l'galit et qu'il s'agit de rendrecompte partir d'une galit prsuppose en droit, une ingalit affirme en fait; ds lors, a ne peutse faire que sous forme d'un plus et d'un moins, et un aspect de la thorie marxiste de la plus-value,c'est prcisment expliquer comment l'ingalit de l'change se situe au niveau de la vente et del'achat de la force de travail, c'est dire comment l, se fait une plus-value lie au salariat ou l'achatde la force de travail, plus-value traductible en termes de plus et de moins, qui va rendre compte del'ingalit de l'change.

    Or, qu'est-ce qui ne va pas l-dedans ? Encore une fois, c'est que, d'une certaine manire, a ne peutpas tenir les promesses donnes. La promesse donne, c'tait montrer comment, dans une formationsociale, la production sociale tait code par quelque chose plus profond, c'est dire commentfinalement la production n'tait pas premire; or, pour montrer comment la production n'est paspremire au niveau de l'conomie, on se trouve ****************

    Une espce de circuit d'change serait d'abord abstrait, et il y a l'endroit, et par rapport auquel ilfaudrait engendrer l'immdiatet de fait, ce qui ne pourrait se faire, encore une fois, que par unprocessus arithmtique. Lorsque Marx parle de l'change, il en parle bien comme une forme abstraite,il n'y a aucune socit qui fonctionne comme a. Aussi, je disais l'anne dernire qu'il fallait ysubstituer un tout autre mcanisme.

    Ce qui traverse une socit, ce n'est pas un circuit d'change; c'est un circuit compltement diffrentqui ne nous renvoie pas l'arithmtique, mais qui nous renvoie un appareil diffrentiel. Et, c'est trscurieux que Baudrillard mme, prouve le besoin d'invoquer une matire diffrentielle, une matiredistinctive et une forme diffrentielle, mais partir d'une structure changiste qui, il me semble, ne lasupporte pas. Ce qui dfinit, au contraire, un champ social, l qu'il soit capitaliste ou autre, ce n'estpas du tout des quantits ingales ou gales qui entreraient dans un rapport d'change, ce sont desquantits de puissances diffrentes, des quantits de puissances au sens mathmatique du motpuissance, ce sont des potentialits diffrentes. la question ce n'est pas quantits gales ou quantitsingales, parce que a, c'est le problme de l'change, mais jamais a a fonctionn sur ce truc l.

    Ce qui fonctionne dans une formation conomique, c'est les puissances diffrentes des quantits,c'est dire des flux qui traversent un champ social; ce ne sont pas des quantits de mme puissance,et ds lors, l'appareil pseudo-mathmatique qui peut rendre compte de a, ce n'est videmment pasl'arithmtique, c'est forcment le calcul diffrentiel puisque le calcul diffrentiel, je vous le rappelle, estfait pour traiter des quantits qui ne sont pas de mme puissance. Le rapport diffrentiel c'estprcisment un rapport qui permet de confronter et de comparer des quantits qui ne sont pas demme puissance. Le calcul diffrentiel serait dnu de sens si vous songiez l'appliquer desquantits de puissance gale. Donc, il ne me semble pas du tout qu'il faille partir d'un circuitd'change o l'on jouerait d'une galit prsuppose et d'une ingalit engendrer, ce qui est peuprs le rapport valeur d'change - forme-signe dans la fausse gense qu'en propose Baudrillard, il fautpartir de ce qui est donn immdiatement dans un champ politique conomique, savoir desquantits qui sont diffrentes.

    L'argent, dans le systme capitaliste, l'anne dernire, nous avait paru un systme de ces quantitsde puissances diffrentes. Lorsque l'argent intervenait comme structure de financement, quantit que

    j'appellerais de puissance X, et l'argent pris comme moyen de paiement, mettons l'argent pris commequantit de puissance I. Ce n'est pas le mme argent qui est dou d'un pouvoir d'achat et quiconstitue le capital d'une socit. ce n'est pas le mme argent qui est monnaie et qui est capital. Tous

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    capitaliste, savoir avec ton salaire, tu vas t'acheter ta petite maison, tu vas t'acheter ton frigidaire. Jene fais pas d'ironie l, je dfinis les processus de territorialit et de reterritorialisation que nousconnaissons bien. Et la revendication de salaire, c'est la reterritorialisation dans le cadre du syndicat, ily a tout un enchanement de territorialits : la famille, le pouvoir d'achat, le parti, le syndicat, qui jouentsur ce flux d'argent la puissance I, savoir ce qui rentre et ce qui sort du porte-monnaie d'untravailleur ou d'un pas travailleur, ce qui est dfini comme richesse ou comme pauvret, et qui est

    donc un flux d'une certaine nature, et c'est lui qui assume l'change et qui comprend dj l'ingalit.L'autre, le flux structure de financement, objet de cration et de destruction qui est le capital paropposition, si vous voulez, la monnaie pouvoir d'achat, parce que enfin, un capital ce n'est pasralisable. a n'est ralisable que dans un cas, celui de la faillite, quand il cesse d'tre du capital. Uneentreprise ne ralise pas son capital. Je ne dis pas que le capital puise la structure de financement,je dis que le capital fait partie de l'argent structure de financement, il y a d'autres choses qui en fontpartie : par exemple les subventions de l'tat, par exemple les investissements, mais ces choses nesont jamais ralisables ici et maintenant, et c'est leur niveau que se font les crations-destructionsde monnaies, qui font intervenir, par des mcanismes concrets, les banques, les missions demonnaie.

    Si bien qu'une masse montaire peut rester constante, a n'empche pas qu'elle a t constammentet plusieurs fois renouvele, plusieurs fois cre et plusieurs fois dtruite. Or, il est vident que a,

    c'est de l'argent dterritorialis parce qu'il repose fondamentalement sur un jeu d'critures multiples,sur un jeu d'escompte et de re-escompte, et que mme, il est tellement dterritorialis qu'il peutintervenir plusieurs fois. Il faudrait faire venir un spcialiste pour nous expliquer le rapport entrel'conomie actuelle, l'conomie amricaine, et l'conomie nazie, parce qu'il y a au moins quelquechose de commun: c'est que dans un temps dtermin, la mme somme sert plusieurs fois; c'estcomme a qu'on peut faire du capital avec trs peu de monnaie. La mme somme sert plusieurs foispar le jeu des escomptes et des re-escomptes sur une priode de temps o la mme sommeintervient plusieurs niveaux. Or, dans le mcanisme de l'conomie actuelle, dans une chose aussimystrieuse que les euro-dollars, c'est trs net aussi : c'est prcisment un systme o une mmesomme va intervenir travers un jeu d'critures plusieurs fois, et va faire de l'auto-accumulation. L,vous avez l'exemple de une forme d'argent, la limite dterritorialise - a s'appelle euro-dollars, cequi implique quand mme qu'il y a, au sein mme du mouvement de dterritorialisation, comme despoints d'ancrage territoriaux, comme des points de reterritorialisation qui vont prparer d'autres flux :

    le flux territorial de la monnaie pouvoir d'achat. Or, je dis que c'est a le flux dterritorialis, cration-destruction, de puissance X et l'autre flux, le flux territorial de pouvoir d'achat, c'est a qui fait tout lesystme conomique de base, et pas du tout l'change.

    Intervention : inaudible.

    Gilles : Qu'est-ce que vous faites avec des sous ? Vous les changez; ce n'est pas l'argent qui lui-mme est plus territorialis, c'est que dans son usage mme, il est moyen d'change, et que ce contrequoi vous l'changez, c'est par nature territorialisant. Ou bien vous thsaurisez votre argent et vous enfaites un usage territorial, ou bien vous l'changez contre des objets, et ces objets forment votreenvironnement, votre territoire. Tandis que du capital structure de financement, la rigueur il estterritorialis dans la mesure o il est attach telle entreprise, mais le jour o a ne marche plus, a

    ne marche plus dans l'Est, on s'en va dans le Midi. La mobilit du capital est la mesure de sadterritorialisation; bien qu'il ne faille pas exagrer, il y a dans les structures de financement desindices de territorialit : par exemple tel territoire fera des appels. Et ils font des appels territoriaux aucapital sous quelle forme : ils diront par exemple : voyez comme notre main d'oeuvre est peu chre,alors c'est par l, les caractres territoriaux de la monnaie moyens de paiement que s'tablissent lesindices de territorialit dans le capital structure de financement, qui par lui-mme est dterritorialis; etsi a ne marche pas tel endroit, il y a ce phnomne bien connu : la fuite du capital. Il ne faut pass'tonner qu'il y ait des mouvements de fuite des capitaux, c'est la nature mme du capital. Ce dont ilfaut s'tonner, c'est que le capital reste, mais il ne reste qu'en apparence puisque, encore une fois,lorsque une masse montaire demeure constante, c'est seulement en apparence qu'il y a constancede la masse; en fait, il y a une srie de crations et de destructions l'issue de laquelle vous trouvezla mme quantit abstraite. Mais en fait, il n'a pas cess de bouger.

    Je veux juste conclure l-dessus : il n'est pas question de faire la gense de quoi que ce soit, commencer par les noncs, partir du circuit de l'change. Bien plus, partir du circuit de l'change,ce n'est pas tonnant que Baudrillard trouve la castration : partir du circuit de l'change vous

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    n'engendrerez jamais que des noncs du type poujadiste. Jamais vous n'engendrerez le moindrenonc matre, le moindre nonc dominant d'une formation sociale, vous n'engendrerez que lesnoncs de la platitude de la vie quotidienne. Ce qui est gnrateur des noncs c'est le rapportdiffrentiel entre des flux ou quantits de puissances irrductibles, et c'est dans l'cart et dans le jeude ces flux l que des noncs vont tre produits. Et j'annonce, pour la suite, que a me parat uneclef pour la question que Faye se pose, savoir comment les noncs nazis ont-ils t produits telle

    poque ? On verra que ce n'est pas suivant cette formule gnrale, mais que c'est suivant unevariante de cette formule gnrale que a a t produit.

    Je rsume ; la gense des noncs que propose Baudrillard se ramne ceci : ce qui seraitproducteur d'noncs, c'est un sujet, c'est le sujet. Or ds qu'on dit a, le tour est dj jou, il n'y aplus rien rattraper, ds qu'on dit a, a veut dire un sujet cliv en sujet d'nonc et sujetd'nonciation; or ce clivage, autrement nomm castration, est non pas ce qui produit les noncs,mais ce qui empche la production des noncs.

    Deuximement, il nous promettait de montrer comment le dsir investissait le champ conomiquesocial, et cela il nous le promettait en nous annonant une gense de la valeur-signe partir de lavaleur d'change. Or cette tentative aboutit restaurer un simple paralllisme argent-phallus, et qui,d'autre part, est en droit impossible, parce que la valeur d'change n'est absolument pas plus

    premire que la valeur d'usage. Et, enfin, ce n'est pas par hasard que, dans le cadre de son systme,le vrai modle de l'objet capitaliste pour lui, ce soit le gadget; c'est li aux deux trucs qui prcdent. Laseule chose positive que nous avons retenue, c'est l'ide que les noncs prsupposent toujours unchamp de flux condition que ces flux ne prsupposent pas encore une fois un circuit changiste,mais prsupposent des flux condition que ces flux soient considrs comme des quantits affectesde puissances diffrentes, de telle manire que l'un de ces flux puisse toujours tre assign commedterritorialisant, et l'autre comme territorial.

    C'est peut-tre dans cette voie que nous verrons plus concrtement comment se fait la production desnoncs.

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    DELEUZE - VINCENNES 27/02/79

    mtal

    metallurgie musique Husserl Simondon

    Richard Pinhas: J'ai deux questions formuler sur le cours de la dernire fois, bien que ce que jeveuille dire soit trs confus. C'est en rapport cette petite phrase concernant la synthse mtalliqueou synthse de mtallisation. On avait vu, l'anne dernire, au sujet de ce que tu disais de lamusique, qu'une synthse tait une synthse de disparates qui dfinit un certain degr de consistancepour rendre discernables des htrognes - on avait revu des textes "clbres" de Duprel sur la

    consolidation -, et en ce qui concerne le processus de mtallisation, je me demandais si il n'y avaitpas un rapport synthtique de mtallisation ou une synthse proprement mtallique qui mettrait, entreautres, en rapport, d'un ct (et ce ne sont pas des oppositions strictes, il faudrait voir a bien plusprcisment), un espace lisse ou un espace stri, une matire flux ou matire mouvement, et peut-tre une matire plus ou moins du type fig, mais elle resterait dterminer, un certain type de durequi se rapporterait une dure territoriale, et un certain type de dure diffrent qui se rapporteraitpeut-tre un ple itinrant, et j'aimerais savoir si cette synthse, pour toi, pourrait dgager quelquechose comme un ple proprement qualitatif qui nous ferait apprhender les affacts, qu'on pourraitappeler affects de mtal ou affects mtalliques. Au niveau de la musique, j'ai l'impression que cesaffects ont leur sens propre, tout se passe comme si ils fabriquaient leurs propres lignes, et commes'ils fabriquaient leurs propres contenus, c'est dire leurs propres lignes d'efficience ou leurs propreslignes d'effectuation. J'ai aussi l'impression qu'ils se prsenteraient sous une forme spcifique, savoir par exemple une puissance singulire, une force spcifique et probablement certains types de

    processus. Je voulais savoir si l'on pouvait dire simplement qu'il y a des affects mtal, qu'on peut lesdfinir d'une certaine manire, et je pense qu'en musique, si je fais abstraction de toute une traditionorientale et occidentale, dans la musique moderne, on a commenc parler de musique mtalliquetrs rcemment avec les "nouveaux" compositeurs amricains, et certains anglais, mais dj on acommenc parler d'orchestration cuivre partir de Stravinsky et de Varse. C'est dire qu'il y adeux compositeurs qui sont supposs avoir apport quelque chose de nouveau qui faisait ressortir ceque j'appellerai pour le moment, trs rapidement, un affect mtal. Je voulais savoir si tu tais d'accordpour dfinir plus prcisment quelque choe qui serait une synthse mtallique ou une synthse demtallisation, avec son caractre proprement spcifique.Le deuxime point c'est de savoir si on ne pourrait pas dire qu'il existe au moins deux lignestechnologiques - il y en a probablement plus -, et qui aboutiraient deux types qu'on a dj pu cerner.L'un serait le type cristal, et tu en as parl l'anne dernire, on avait fait des allusions la musique deMozart, certains usages de certains instruments, et peut-tre un type mtal dfinissant une musique

    mtal. Je le rapporte la musique, mais a pourrait se rapporter tout autre domaine. On aurait doncune ligne d'effectuation aboutissant, ou plutt un aboutissant d'une ligne technologique qui serait enrapport avec un type mtal, et un autre en rapport avec un type cristal, chacun ayant ses puissancessingulires, ses dfinitions spcifiques, son mode d'affection singulier, ses affects spcifiques.Techniquement, je dirais qu'il y a des zones d'efficience htrognes, par exemple, en musique, pouravoir des rapports cristallins ou des rapports mtalliques, on fait appel des rapports dynamiques,des rapports de timbres, des slections de chaud et de froid, de pesanteur, des coupures defrquences, enfin des filtrages dans les harmoniques trs diffrents dans les cas de ce qu'on dsireproduire. Il va de soi qu'il n'est pas forc que l'on veuille produire quelque chose pour que le rsultatsoit du type affect mtallique ou affect cristal. Mais je vois comme deux lignes d'effectuationdiffrentes appelant deux types diffrents et les deux seraient principalement le mtal et le cristal. Jevois galement une filiation directe entre ce qu'on appelle musique mtallique aujourd'hui, ouorchestration cuivre, et l'affect mtal du forgeron : les dfinitions de ce type d'affection seraient

    vraisemblablement les mmes, mais il reste les trouver. Parler de chaud et de froid, je prends acomme exemple qualitatif, c'est peut-tre un peu trop simple, on voit tout de suite dans des exemples

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    d'analyses de pices musicales, on voit tout de suite que a met en cause des critres bien plusspcifiques, toute une palette de gammes de couleurs, de timbres, de formes d'ondes dans le cas desmusiques synthtiques, il y aurait encore les frquences de coupures, des rapports dynamiquesappropris, des vitesses spcifiques, etc.Les lignes d'effectuation mtallique et cristalline, diffrencies videmment, comme aboutissement,mais non finaliste, de deux lignes technologiques, diffrencies galement, a rentrerait dans une

    autre synthse qu'il faudrait produire, comme deux lments cosmiques. C'est dire que ce sont deuxmodes de captation, des captations d'lments cosmiques au sens o est cosmique la matiremolcularise, dans ce cas du matriau musical, et je pensais aussi cosmique, de la manire dontNietzsche le dfinit : il y a un aphorisme dans les fragments posthumes de l'poque du gai savoir o ilraconte toute une histoire, et il finit son aphorisme en crivant : "prouver d'une manire cosmique!"Je voudrais savoir si tu es d'accord pour concevoir ainsi ces affects de mtal et de cristal.

    Gilles Deleuze : C'est une belle intervention parce que, je ne sais pas si vous tes comme moi, et am'arrive aussi pour mon compte, a parat presque trop beau. On se dit que a marche trop bien. Eneffet, c'est un danger. Ce n'est pas une mtaphore : si on met deux noms sous ce que vient de direRichard, sous sa ligne cristal en musique et sous sa ligne cuivre, ce n'est pas par mtaphore que lecristal est quelque chose qui hante Mozart. a rejoint des choses trs techniques en musique. Nonseulement le cristal est une obsession que Mozart prouve en rapport avec sa vie, mais il l'prouve

    aussi en rapport avec son oeuvre, et ce n'est pas seulement une obsession, c'est un facteur, c'est unlment actif de cette musique. Quand Richard signale le rle - je n'aime pas bien les trucs demythologie, tous les mythes nous rappelent quelque chose et nous disent quelque chose, au point ...mais ce qui est important, c'est le lien musicien-forgeron, il y a un rapport intime. Je ne me sens pastrs capable de faire de l'analyse mythologique, mais il faudrait voir. Est-ce que le mythe, samanire, saisit quelque chose qui serait un rapport intime entre une certaine direction musicale, pas lamusique en gnral, et une direction mtallurgique, la direction du forgeron et la direction d'unecertaine musique. Si on sort du mythe, dans la musique occidentale - et bien sr il y a eu des cuivresde tous temps, mais en gros, la grande entre des cuivres, a se fait dans le 19me sicle avec deuxgrands noms, et je gnralise grandement, l o les cuivres font leur irruption royale dans la musique,c'est avec Berlioz et avec Wagner. C'est des moments fondamentaux. Et c'est une des raisons pourlesquelles, tant Wagner que Berlioz, seront traits de barbares. Une musique barbare.Qu'est-ce que a veut dire ce lien ? Les cuivres entrent dans la musique! Qu'est-ce que a entrane

    dans la musique ? Si on arrive ben poser le problme - c'est pour a que je dois juste, dans destermes trs voisins, reprendre ce qu'a dit Richard -, si on voit bien ce problme, alors peut-tre que arejaillira sur des mythes trs anciens qui n'ont aucun rapport avec Berlioz ni Wagner, mais peut-trequ'on comprendra mieux, est fond un lien forgeron-musique. Qu'est-ce qui se passe lorsque lescuivres font irruption dans la musique ? On repre tout d'un coup un type de sonorit, mais ce type desonorit, si j'essaie de situer les choses, aprs Wagner et Berlioz, on se met parler de sonoritmtallique. Varse fait une thorie des sonorits mtalliques. Mais ce qui est bizarre, c'est que Varseest cheval entre la grande tradition des cuivres Berlioz-Wagner, et la musique lectronique dont ilest un des premiers fonder, et dj effectuer. Il y a srement un rapport. La musique n'a trendue possible que par une espce de courant d'une musique mtallique. Il faudrait chercherpourquoi. Est-ce qu'on ne pourrait pas parler d'une espce de mtallisation, qui bien sr n'puise pasdu tout toute l'histoire de la musique occidentale partir du 19me sicle, mais est-ce qu'il n'y a pasune espce de processus de m"tallisation marqu pour nous de manire norme, visible, vidente par

    cette ruption des cuivres. Mais a, c'est au niveau instrumental. Est-ce que ce n'est pas a qui, entreautres - je ne dis pas "dtermin", ce n'est videmment pas l'entre des cuivres dan sla musique quiaurait dtermin a -, je dis qu'il y a une srie de choses qui se font d'une manire concomittante, enmme temps : l'irruption des cuivres, un problme tout nouveau de l'orchestration, l'orchestrationcomme dimension cratrice, comme faisant partie de la composition musicale elle-mme, o lemusicien, le crateur en musique devient un orchestrateur. Le piano, partir d'un certain moment, ilse mtallise. Il y a formation du cadre mtallique, et les cordes sont mtalliques. Est-ce que lamtallisation du piano ne concide pas avec un changement dans le style, dans la manire de jouer.Est-ce qu'on ne pourrait pas mettre en corrlation, mme trs vague, l'irruption des cuivres dans lamusique, c'est dire l'avnement d'une espce de synthse mtallique, l'importance cratrice quiprend l'orchestration, l'volution d'autres instruments du type piano, avnement de nouveaux styles, laprparation de la musique lectronique ... Et sur quelle base est-ce qu'on pourrait dire qu'il y a bienune espce de ligne mtallique et de ligne musicale qui s'pousent, qui s'enchevtrent, quitte sesparer nouveau; il ne s'agit pas d'en rester l puisque, mon avis, a prparera fondamentalementl'avnement d'une musique lectronique. Mais peut-tre qu'il fallait passer par l. Mais, ce moment

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    l, pas question de dire que le cristal c'est fini, la ligne cristalline en musique continue. A aucunmoment, Mozart n'est dpass par les cuivres, a va trop de soi, mais elle va rapparatre sous unetout fait autre forme. Varse est tellement un carrefour : il invoque la fois des notions commecelles de prismes, de sonorits mtalliques, et qui dbouche sur la musique lectronique. Tout commela ligne cristalline passe par toute une conception assez complexe des prismes, la ligne mtallique vapasser par toute une conception assez complexe de la "ionisation", et tout a va s'enchevtrer et a

    va tre comme des lignes gnalogiques d'une musique lectronique. Donc, c'est trs compliqu, ettout a n'a d'intrt que si vous comprenez que ce ne sont pas des mtaphores. Il ne s'agit pas dedire que la musique de Mozart est comme du cristal, a n'aurait que peu d'intrt, il s'agit de dire quele cristal est un oprateur actif, aussi bien dans les techniques de Mozart, que dans la conception queMozart se fait de la musique, de mme que le mtal est un oprateur actif dans la conception que desmusiciens comme Wagner, comme Berlioz, comme Varse, comme les "lectroniciens" se font de lamusique.

    Richard Pinhas : Je voudrais juste ajouter que, dans cette synthse, ou dans cette synthtisationd'lments - et il s'agit de bien diffrencier mais d'affirmer en tant que telles les lignes mtal et cristal,elles ne se remplacent jamais, tout ce qu'on peut avoir entre les deux, c'est des phnomnes dersonance et de percussions, soit des rencontres des lignes cristal et des lignes mtal, mais aucunmoment, il n'y a d'ascendance ou de descendance de l'une l'autre ... mais ce qui me parat trs

    important, c'est qu'il n'y a pas seulement des lments mtalliques et des lments de type cristal,mais il y a effectivement, en outre, un processus de cristallisation et un processus de mtallisation, etce processus passe effectivement par de nombreux critres, de nombreux oprateurs, il y a vraimentune fabrication. Ce processus est une fabrication, et il va s'agir de capter ou de prendre des blocs decristal ou des blocs de mtal, l ce sont des blocs abstraits que l'on retrouve concrtiss dans desmachines concrtes, par exemple des machines mtal dans notre illustration musicale (lesynthtiseur, l'usage de percussions, etc.), mais a doit valoir pour beaucoup d'autres choses, aussibien pour la ligne cristal que pour la ligne mtal.

    Gilles Deleuze : Et a ragit. C'est vident qu'il n'y a pas que deux lignes. Dans le cas de la musique,il y a aussi une ligne vocale qui a sa propre autonomie, il y a une ligne du bois qui ne cessera jamais.

    Richard Pinhas : Dans ces processus de mtallisation et de cristallisation, il y a formation de blocsd'espace-temps, et c'est par des vibrations, des transformations, des compositions, des projections,des mouvements d'change, des mouvements de vitesse pure, des mouvements de vitessediffrentielle, que se produit la fabrication de temps spcifiques, de blocs d'espace-temps spcifiques,et c'est peut-tre a qui va former les synthses mtalliques ou les synthses cristallines.

    Gilles Deleuze: a c'est ce que j'appelais, la dernire fois, des agencements. C'est des agencementsmusicaux. Ces lignes ont chacune leurs combinaisons, on ne peut pas les dfinir d'une manireanalogue. Dans ce qu'on appelle vaguement une ligne cristalline, qui a toute son histoire, ladtermination d'une ligne cristalline n'est pas du tout par rapport au matriau dans la mme situationque la dtermination d'une ligne mtallique est dans son rapport son matriau elle; donc, chacunede ces lignes n'aura aucune formule gnrale. Etre une ligne cristalline, a n'implique pas que lamatire des instruments qui la tracent soit en cristal. Si je dis ligne mtallique, a implique que les

    instruments qui la tracent soient des cuivres, au moins au dpart. Donc, ces deux lignes ont desstatuts diffrents. Vraiment, elles boitent les unes par rapport aux autres. Pour le bois, ce sera aussiautre chose, on a bien le bois comme matire, mais le bois comme matire par rapport une lignemusicale du bois n'est pas du tout la mme chose que le mtal comme matire par rapport une lignemusicale du mtal.

    Richard Pinhas : Dans tous les cas, le plan de consistance dans lequel va prendre corps, dans le casde l'exemple musical, la musique cristalline ou la musique mtallique, il est indiffrent absolument aumatriau. Dans un premier temps, videmment, on pourra dire que tels ou tels instrumentsmtalliques ou cristallins rentrent en jeu, mais ce qui importe rellement, c'est le processus desynthse lui-mme, c'est le plan de consistance qui va dgager un processus d'affection de typemtallique ou de type cristallin, tel point que des instruments purement lectroniques, pourront eux-mmes dgager - alors qu'ils n'ont en eux aucune composition ni de bois, ni de mtal, ni de cristal-,

    des affects de tel ou tel type.

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    Claire Parnet : C'est la voix. A l'poque de Mozart, la musique partait de la voix et il y a eudiffrenciation. L'affect de cristal part peut-tre de la voix alors qu'au 19me sicle le processus detransformation de la voix est tout autre.

    Gilles Deleuze: ... Vous savez que Paul Klee tait le peintre qui connaissait le plus profondment, etdu dedans, la musique. Il avait, avec Mozart, un rapport dont il a beaucoup parl dans son journal, un

    trs beau rapport d'affinit. Il estimait que ce qu'il faisait et que ce que Mozart avait fait en musique,n'taient pas sans rapport. Or, le thme constant auquel Klee s'accroche, c'est videmment le thmecl du cristal quand il se compare Mozart. Evidemment, ni dans un cas, ni dans l'autre, a n'est unemtaphore. Je prends le cas de Varse. Il y a toute une ligne qui essaie d'tablir des lignes sonores,non pas du tout en comparaison avec, mais qui passerait par ou qui trouverait dans le monde sonorequelque chose d'analogue l'optique. Il pense un espace sonore nouveau qui tiendrait compte decertains phnomnes optiques, mais qui en tiendrait compte sa manire. Mais il me semble quetoute cette ligne culmine dans une trs belle oeuvre de Varse qui s'appelle "Hyper Prisme". Il y a toutun thme du cristal qui ressort chez Varse. Puis il y a une tout autre direction. Dans une autre voie,qui va tendre vers une oeuvre galement trs belle, "ionisation", qui est trs importante parce qu'elleest la naissance de la musique lectronique. Dans Hyper Prisme, il y a vraiment une cristallisationmusicale ou sonore, et Ionisation : il me semble que la musique lectronique est sortie, ou en tous caselle n'aurait pas t possible en Europe sans, prcisment, cette espce de synthse mtallique qui a

    eu lieu, qui n'a pas puis la musique du 19me sicle, mais qui s'est forme au 19me sicle, encommenant par Berlioz et Wagner. Pourquoi ? Ces grandes tapes de la musique lectronique, as'est fond sur des recherches lies au phnomne de l'ionisation. Phnomne qui met en jeu leslectrons de l'atome. Il y a l'ionisation, et puis il y a la manire de ioniser l'air. Comment est-ce qu'onionise l'air ? L'air se ionise, dit-on, au voisinage de plques de mtal chauffes au rouge. C'est trsimportant cette introduction du mtal. Qu'est-ce que a fait pour la musique ? Evidemment, il s'agit defaire des metteurs d'ondes, les ondes ********, c'est important pour la naissance de la musiquelectronique, des metteurs d'ondes qui passent par ionisation, prsence du mtal dans le processusde la ionisation, et enfin, il y aurait des raisons qui pourraient faire penser que la musique n'est pas unproduit, mais a t rendue possible par un processus mtallique qui concernait dj le monde sonoreet le monde musical.Je lis quelques passages de ce trs bon livre d'Odile Vivier sur Varse, dans la collection du Seuil, propos de ionisation : "la varit des timbres est produite par les groupements slectifs d'instruments

    membranes rverbrantes. Tambour, grosse caisse. Voil une ligne. Instruments de rsonanceligneuse : blocs chinois, claves. Instruments friction, sonorits mtalliques : triangle, cymbales,enclume, grave, cloches, etc. ... ainsi que par des instruments que l'on agite, que l'on secoue :tambours de basque, etc. ... plus les sirnes." a c'est l'ensemble ionisation. Mais, dans soncommentaire, Varse dit ceci : "A un certain moment, il y a une soudaine cassure, avec des accordssyncops retentissants, et la scne musicale change compltement. Ce ne sont maintenant que dessonorits mtalliques". C'est trs curieux car cette oeuvre est au croisement de mille choses d'unerichesse extrme, et il prouve le besoin de faire une plage de pure musique mtallique : "... ce nesont maintenant que des sonorits mtalliques : la grande cyumbale chinoise, les gongs, le tam-tam,le triangle et les enclumes. Tandis que, au-dessus d'eux planent les sirnes. Le contraste produit parcet interlude mtallique est calcul de manire marquer la division naturelle de la musique. Il estapparent que cette section mtallique est fondue dans le ryhtmique des premires pages. Ce n'estque l'instrumentation qui diffre ostensiblement." C'est trs curieux, car cette oeuvre va tre faite

    comme runissant au dbut, toutes sortes de lignes qui s'entrecroisent, et puis une espced'agencement proprement mtallique, qui sert comme interlude avant que n'clate quelque chose qui, mon avis, est comme l'annonce de la musique lectronique.Les mythes de toute antiquit, qui nous disent qu'il y a un certain lien entre le musicien et le forgeron,mais ce qui nous intresserait, ce serait de savoir, par un tout autre horizon, pourquoi est-ce que leforgeron et le musicien ont quelque chose faire ensemble, et si on obtient une rponse, onn'obtiendra que un aspect de la mtallurgie et un aspect de la musique, et on se demanderasimplement si notre rsultat peut servir pour l'analyse des mythes. On sera all dans un tout autreendroit.Je reprends o j'en tais la dernire fois.On avait fait comme si on oubliait le problme propre de la mtallurgie - et notre question c'tait :qu'est-ce que a veut dire la proposition "matrialiste", selon laquelle la matire est mouvement.Matire-mouvement ou matire-nergie. Qu'est-ce que a veut dire ? Est-ce que c'est l'tat de toutematire, est-ce que c'est un type de matire ? Il ne faut pas poser le problme abstraitement. Quand

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    est-ce que l'intuition, au sens le plus simple, apprhende la matire en mouvement, quand est-ce quel'intuition saisit la matire en tant que flux ?

    Vous voyez bien que ma question, ce n'est pas de savoir si la matire en soi est mouvement ou estnergie. Ma question est beaucoup plus simple : dans quelles conditions, l'intuition est-elle dtermine saisir la matire en mouvement, et saisir ce qui est en mouvement comme matire ? Quand je

    perois une table, le physicien a beau m'expliquer que c'est des lectrons et des atomes, oui, maisune table, je ne la saisis pas ncessairement comme matire -mouvement. On a beau me dire, ou jepeux comprendre que une table, c'est une coupure dans un flux de bois, par exemple, mais le flux debois, o est-ce qu'il est ? ... Donc, ma question est trs simple : dans quel cas sommes-nousdtermins non pas penser la matire comme mouvement, mais dans quel cas sommes-nousdtermins apprhender la matire comme matire en mouvement ? Comme matire-flux ? Si vouscomprenez le problme au niveau le plus concret o je peux le poser, peu m'importe que, parexemple, toute matire soit en mouvement en soi. Ce n'est pas a qui m'intresse. Je me dirais qu'il ya d'autres manires de saisir la matire, et sous ces autres manires, galement dtermines, ol'intuition ne saisit pas la matire comme matire-mouvement, comment est-ce qu'elle la saisit ? Ilfaudra confronter, non seulement des intuitions, mais des situations d'intuitions. D'intuitions sensibles,et d'apprhensions sensibles. Et lorsque je ne saisis pas la matire comme matire-mouvement oumatire-flux, comment est-ce que je la saisis : est-ce qu'il faudrait alors distinguer plusieurs tats de la

    matire, mais pas du tout en elle-mme, mais par rapport aux intuitions et aux modes d'apprhensiondont nous sommes capables.La dernire fois, on avait un petit peu avanc dans cette voie, et on disait que la matire-mouvement,peut-tre est-ce que c'est la matire en tant que porteuse de singularits sujettes des oprations dedformation et porteuse de qualits affectives ou de traits d'expression, sur le mode du plus et dumoins. Plus ou moins rsistant, plus ou moins lastique, plus ou moins poreux. Donc, la matire, entant que porteuse de singularits, en tant que porteuse de qualits affectives ou de traits d'expression,et ds lors, insparable des processus de dformation qui s'exercent sur elle, naturellement ouartificiellement, ce serait a la matire en mouvement. a impliquerait videmment qu'il y aurait dessituations o on ne saisirait pas la matire comme porteuse de singularits ou porteuse de traitsd'expression.La matire flux a doit tre a, en tant qu'elle porte des singularits ici et l. Itinrer, ds lors c'est toutsimple : c'est suivre la matire-mouvement. Itinrer, c'est prospecter. Le prospecteur c'est celui qui

    cherche la matire en tant qu'elle prsente telle singularit plutt que telle autre, tel affect plutt quetel autre, et qu'il fait subir cette matire des oprations pour faire converger les singularits sur tel outel trait d'expression. Exemple tout simple : les fibres du bois, les fibres du bois qui dessinent autantde singularits de ce tronc d'arbre l ou de cette espce d'arbre l, convergent sur tel traitd'expression, savoir poreux (lorsque je veux du bois poreux en tant qu'artisan) ou bien rsistant(lorsque je veux du bois rsistant). Et justement, un agencement, c'tait un ensemble de singularitsmatrielles en tant que convergeant sur un petit nombre de traits d'expression bien dtermins.Je voudrais confirmer cette ide par deux sortes de textes qui me paraissent trs importants. Premiresorte de textes : HUSSERL. L'un de ces textes se trouve dans les "Ides", paragraphe 74, et l'autre setrouve dans "l'origine de la gomtrie". Je schmatise ce qu'il dit. C'est un auteur trs svre et l,tout coup, c'est le seul texte de Husserl o il y a des choses amusantes, trs gaies.Je crois qu'il faitune dcouverte trs importante. Il dit qu'on distingue des essences fixes, intelligibles, ternelles. Etpuis on distingue aussi les choses sensibles, perues. Essences formelles, intelligibles, et choses

    sensibles formes. Par exemple, le cercle comme essence gomtrique, et puis les choses rondes,choses sensibles, formes, perues. Il dit qu'il y a quand mme un domaine qui est commeintermdiaire, et ce domaine intermdiaire, il essaie de le baptiser. Il dit qu'il y a quand mme desessences, et pourtant elles ne sont pas fixes et elles ne sont pas formelles, c'est intermdiaire; cen'est ni des essences formelles fixes, ni des choses formes sensibles et perues. Qu'est-ce que c'est? Ce sont des essences morphologiques. Ce sont des essences morphologiques par opposition auxessences fixes ou formelles. Il dit encore que ce sont des essences inexactes, ou mieux : anexactes.C'est par opposition aux essences formelles qui sont d'autant plus exactes qu'elles sont mtriques. Cesont donc des essences amtriques, anexactes, et dans une trs belle formule, il dit: leur inexactitudene vient ni du hasard, ni d'une tare, ce n'est pas une tare pour elles d'tre inexactes; elles sontinexactes par essence, bien plus, il va jusqu' dire qu'elles se dploient dans un espace et un tempseux-mmes anexactes. Donc, il y aurait un espace et un temps exacts, oui, l'espace et le tempsmtriques, et il y aurait un espace et temps anexactes, non mtriques; et il y aurait des essences quise dploieraient dans un espace-temps anexacte. Il ajoute, mot sublime, c'est des essences vagues.Il sait trs bien que vague, c'est vagus. Ce sont des essences vagabondes.

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    Il faudrait les dfinir comme une espce de corporits, et la corporit, dit Husserl, ce n'est pas lamme chose que, d'une part la chosit, et d'autre part, l'essentialit. L'essentialit, c'est la propritdes essences formelles, fixes, le cercle. La chosit, c'est la proprit des choses sensibles., perues,formes, par exemple l'assiette ou le soleil, ou la roue. Et de tout cela, il distingue la corporit, qu'ildfinit de deux faons : elle est insparable des processus de dformation dont elle est le sige, ac'est son premier caractre : ablation, suppression, augmentation, passage la limite, des

    vnements. Donc la corporit est insparable des processus de dformation du type vnementdont elle est le sige, et d'autre part, elle est insparable d'un certain types de qualits susceptibles deplus et de moins : couleur, densit, poids, etc.Dans le texte des Ides, il dit quelque chose dans ce sens : le cercle. C'est une essence formelle. Uneassiette, ou le soleil, ou la roue, ce sont des choses sensibles formes, soit naturelles, soit artificielles.Qu'est-ce que ce serait l'essence vague qui n'est ni l'une ni l'autre ? L'essence vague c'est le rond. Lerond comme quoi ? Le rond comme corporit. En quoi le rond rpond-il cette corporit et auxexigences de la corporit ? Parce qu'il est insparable des processus vnements ou des oprtionsque vous faites subir des matires diverses. En effet, le rond, c'est simplement le rsultat, ou lepassage la limite, du processus de arrondir. Et le rond, qui ne peut pas tre pens, sinon commelimite de la srie dynamique, il implique un passage la limite, il n'implique pas l'essence tranquille etfixe du cercle telle qu'elle est dfinie par Euclide, elle implique un passage la limite fondamental, parexemple : la srie des polygones dont le rond sera la limite. De mme que le rond, ainsi dfini comme

    essence-vague -, vous voyez pourquoi il est anexacte puisque je le dfinirais comme la limite verslaquelle tend la srie des polygones inscrits, dont les cts se multiplient, il y a fondamentalement unpassage la limite -, ce sera le rond tel qu'Archimde le conoit par passage la limite, paropposition au cercle tel qu'Euclide le conoit par dfinition essentielle.Il n'y a pas opposition, c'est deux mondes diffrents : le monde du rond, o vou avez perptuellementun passage la limite, et je dirais que, de mme que le rond c'est une corporit insparable dupassage la limite dfini par arrondir, arrondir tant prcisment la limite des polygones inscrits, etbien, de la mme manire, il est insparable d'affects et de qualits affectives susceptibles de plus etde moins, savoir : l'affect du rond, c'est quoi ? Je dirais que le cercle a des proprits essentielles, etles proprits essentielles ce sont les proprits qui dcoulent de l'essence formelle dans la matireo l'essence se ralise. Le rond c'est autre chose, il est insparable d'vnements, il est insparabled'affects. Qu'est-ce que c'est l'affect du rond ? C'est ni plat, ni pointu. Ce n'est pas ngatif, c'estquelque chose qui dj implique l'opration de la main, et la rectification perptuelle. La rectification

    ou plutt la circulation perptuelle.

    Vous avez comme un couple ambulant vnement-affect. Opration de dformation, affects quirendent possible ces oprations et qui dcoulent de ces oprations.Tous ces textes de Husserl sont comme une confirmation de ce que nous cherchions, savoir ce quenous appelions matire en mouvement, c'est dire porteuse de singularits et de traits d'expression.C'est exactement ce que Husserl nomme les essences vagues ou morphologiques, qui se dfinissenten effet par les processus de dformation dont elles sont capables, d'une part, et d'autre part desaffects correspondants ou des qualits susceptibles de plus et de moins.Si je signale un autre type de textes, ce sont des textes plus rcents de Gilbert Simondon, dont j'aidj parl parce qu'il est trs important dans la technologie. Simondon a fait un livre sur le moded'existence des objets techniques, mais aussi un autre livre qui s'appelle "l'individu et sa gensephysico-biologique", aux PUF, et ce livre, entre les pages 35 et 60, dveloppe une ide qui me semble

    trs proche de celles de Husserl, mais avec d'autres arguments et donc, il la reprend son compte.Tout comme Husserl tout l'heure disait qu'on a l'habitude de penser en termes d'essences formelleset de choses sensibles formes, or cette tradition oublie quelque chose; elle oublie comme un entre-deux, un intermdiaire, or c'est au niveau de cet intermdiaire que tout se fait, si bien qu'on ne peutrien comprendre aux essences formelles, rien comprendre aux choses formes, si on ne met pas jour cette rgion cache des essences vagues.Simondon dit quelque chose d'trangement semblable.Il y a une longue tradition qui consiste penser la technologie en termes de forme-matire, et cemoment-l, on pense l'opration technique comme une opration d'information, c'est dire l'acted'une forme en tant qu'informant une matire. On dirait presque que le modle technologique de cetteopration c'est : moule-argile.Le moule est comme une forme qui s'imprime une matire; et c'est, en termes savants, ce schma,c'est le modle hylmorphique, o hyl veut dire matire et morph veut dire forme. C'est le schmaforme-matire. Et il dit que c'est vident que dans cette opration technologique, ce schma il n'estpas le premier la critiquer. Ce qui est nouveau chez Simondon, c'est la manire dont il le critique. La

  • 8/14/2019 Deleuze Marx

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    manire dont il le critique, est trs intressante pour nous, parce que a consiste dire, qu'en fait, laussi, quand on privilgie le schma forme-matire, o le modle hylmorphique c'est comme si onsparait deux demi-schmes, o on ne comprend plus plus du tout comment ces deux demi-schmespeuvent bien s'adapter l'un l'autre. L'essentiel se passe entre les deux. L aussi, si on laisse cachl'entre-deux, on ne peut plus rien comprendre. Qu'est-ce que c'est cet entre-deux ? C'est tout simple.C'est qu'est-ce qu'il y a entre le moule, entre le moule qui va imposer la forme, et la matire argile.

    Ce qu'il y a d'embtant dans ce schma, c'est que l'opration du moule, a consiste induire dansl'argile, ou dterminer l'argile, prendre un tat d'quilibre, et vous dmoulez quand cet tatd'quilibre est atteint.Si bien que vous ne risquez pas de savoir ce qui s'est pass. Qu'est-ce qui s'est pass ? Qu'est-ce quise passait du ct de la matire lorsqu'elle tendait vers son tat d'quilibre ? Ce n'est plus unproblme de forme et de matire, c'est un problme nergtique. C'est un problme de la matire-mouvement : la tension de la matire vers un tat d'quilibre dtermin. Or le schma forme-matirene tient pas compte de a puisque le schma forme-matire prsuppose en quelque sorte une matireprpare; et du ct de la forme, a ne va pas mieux puisque, du ct de la forme, ce qui seraitintressant, c'est tre l'intrieur du moule, or mme l'artisan n'est pas l'intrieur du moule. . Si ontait l'intrieur du moule, ou si on imagine le moule comme intriorit prsente soi-mme, qu'est-ce qui se passe ? Ce n'est plus une opration de moulage. C'est une opration, si courte qu'elle soit etle moulage a une opration trs courte o la matire argile arrive son tat d'quilibre voulu trs

    rapidement, et si on est l'intrieur du moule, et si on s'imagine dans des conditions molculairesmicroscopiques, peu importe la dure que a prend, qu'est-ce qui se passe en fait ? Ce n'est plus uneopration de moulage, c'est comme Simondon le dit trs bien, une opration de modulation. Quelleest la diffrence entre mouler et moduler ?Simondon montre trs bien que toutes les oprations technologiques, on extrait le mode du moulage,c'est commode, au niveau le plus sommaire c'est plus facile comprendre une opration de moulage.Mais en fait, les oprations technologiques c'est toujours des combinaisons entre le modle simple dumoulage, un modle plus complexe mais non moins effectif, prsuppos par le moulage, et qui est lemodle de la modulation. Qu'est-ce que c'est que la modulation? Moduler, ce n'est pas difficile, c'estmouler de manire continue te variable. Un modulateur, c'est un moule qui change perptuellementde grille mesure qu'elle est atteinte. Si bien qu'il y a une variation continue de la matire travers lestats d'quilibre et moduler, c'est mouler de manire variable et continue, mais on dira aussi bien quemouler c'est moduler de manire constante et finie, et dtermine dans le temps. En lectronique, il

    n'y a que des modulations et des modulateurs.Simondon insiste sur cette espce de dimension qui n'est pas du tout une synthse, il ne s'agit pas dutout de dire que cet intermdiaire c'est une synthse. L'essence vague de Husserl, ce n'estvidemment pas une synthse d'essences formelles et de choses sensibles formes. De mme, ledomaine que Simondon dgage entre la forme et la matire, ce n'est pas un intermdiaire quiretiendrait un aspect de la forme et un aspect de la matire, ce n'est pas du tout une synthse. C'estrellement une terre inconnue, cache par ce quoi elle est intermdiaire. L'essence vague esttoujours cache, et c'est par l que Husserl peut, dcouvrant les essences vagues, se direphnomnologue: il fait une phnomnologie de la matire ou de la corporit, il se met dans lesconditions de dcouvrir ce qui est cach, aussi bien notre pense conceptuelle