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CHAPITRE I La règle de droit Diversité et spécificité Le singulier ne doit pas faire illusion: la règle juridique est en réalité éminemment variable et fluctuante et bon nombre de précisions et de distinctions seront nécessaires pour rendre compte de cette diversité. Le singulier est néanmoins justifié car la règle juridique présente certaines constantes et certains caractères qui en assurent l’unité et surtout la spécificité. Section I – La diversité de la règle de droit. Section II – La spécificité de la règle de droit. SECTION I LA DIVERSITÉ DE LA RÈGLE DE DROIT Triple diversité On présentera successivement: d’abord les divisions qu’il est nécessaire d’opérer au sein même du droit français contem- porain (§1) ; puis un aperçu historique résumant les variations de la règle juridique dans le temps (§2) ; enfin un aperçu de droit comparé témoignant de sa diversité dans l’es- pace (§3). 4/ 5/

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  • CHAPITRE I

    La rgle de droit

    Diversit et spcificit

    Le singulier ne doit pas faire illusion: la rgle juridique est enralit minemment variable et fluctuante et bon nombre deprcisions et de distinctions seront ncessaires pour rendrecompte de cette diversit. Le singulier est nanmoins justificar la rgle juridique prsente certaines constantes et certainscaractres qui en assurent lunit et surtout la spcificit.

    Section I La diversit de la rgle de droit.Section II La spcificit de la rgle de droit.

    SECTION ILA DIVERSIT DE LA RGLE DE DROIT

    Triple diversit

    On prsentera successivement: dabord les divisions quil estncessaire doprer au sein mme du droit franais contem-porain (1) ; puis un aperu historique rsumant lesvariations de la rgle juridique dans le temps (2) ; enfin unaperu de droit compar tmoignant de sa diversit dans les-pace (3).

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  • 1 LES DIVISIONS DU DROIT FRANAIS CONTEMPORAIN

    A. Droit public et droit priv

    Une distinction fondamentale

    Hrite du droit romain, la distinction entre droit public etdroit priv reste aujourdhui, malgr les nuances et lescritiques, un indispensable outil de classification.

    Le droit public se dfinit comme la branche du droit qui rgitlorganisation des pouvoirs publics (droit constitutionnel)ainsi que les rapports entre les pouvoirs publics et les parti-culiers (droit administratif). Ses rgles, orientes vers lasatisfaction dintrts collectifs, sont le plus souvent impra-tives: elles simposent de manire absolue (cf. infra, n 38).Ces rgles sont sanctionnes par les tribunaux de lordreadministratif, la tte duquel se trouve le Conseil dtat.

    Le droit priv se dfinit comme la branche du droit qui rgitles rapports des particuliers entre eux. Ses rgles, davantageorientes vers la satisfaction dintrts individuels, sont enprincipe suppltives: elles sont proposes et non imposes(cf. infra, n 39). Ces rgles sont sanctionnes par les tribu-naux de lordre judiciaire, la tte duquel se trouve la Courde cassation.

    Une distinction malaise

    Non seulement la distinction na pas toujours la nettet quelui prte une prsentation schmatique (par exemple, le droitpriv connat un nombre croissant de rgles impratives),mais surtout des incertitudes affectent le trac exact de lafrontire sparant les deux branches du droit.

    La frontire est dabord rendue mouvante par un doublephnomne de sens contraire. Il sagit principalement dunmouvement de pntration du droit public dans le domaine dudroit priv, qui se prsente lui-mme sous deux aspects. Lepremier, dsormais classique, affecte certains secteurs: il est

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  • li linterventionnisme conomique des pouvoirs publics etse traduit par les nationalisations, par lexistence dtablisse-ments publics caractre industriel ou commercial ou encorepar le dveloppement des activits conomiques des collecti-vits locales. Le second, plus rcent, concerne de manireplus gnrale les principes juridiques applicables en toutematire : ce phnomne, li lavnement des droits delhomme et au rle croissant jou par le Conseil constitution-nel, rside dans la constitutionnalisation et donc dans lapublicisation de la plupart des principes directeurs du droitpriv (cf. infra, n 16). Mais il sagit aussi, linverse, dunmouvement de pntration du droit priv dans le domaine dudroit public . Il faut ici mentionner le phnomne plus rcentdes privatisations (TF1, BNP, Socit gnrale), et aussi signa-ler par exemple que la gestion de certains services publics estconfie des organismes privs (les caisses de Scuritsociale notamment).

    La frontire est ensuite rendue incertaine par deux sortesdhsitations. La premire est relative certains organismes :ceux qui rsultent dune collaboration entre pouvoirs publicset particuliers (socits dconomie mixte) mais aussi ceuxqui associent une structure de droit priv des prrogativesde puissance publique (par exemple les SAFER: Socitsdamnagement foncier et dtablissement rural) ou lin-verse un statut de droit public une activit de droit priv(EDF, SNCF, La Poste). Ces organismes et leurs activits sesituent vrai dire dans une zone intermdiaire obissant unrgime hybride. Quant la seconde hsitation, elle toucheplus largement certaines matires. Tel est spcialement le casdu droit pnal: domin par lide de dfense de la collectivitcontre les comportements socialement dangereux, il paratressortir au droit public; il reste cependant que le droit pnalrprime principalement des atteintes aux droits des particu-liers et, surtout, que sa technique emprunte au droit privbeaucoup plus quau droit public. Le droit pnal apparatdonc comme une matire hybride, un droit mixte. Il est, encela, semblable aux autres droits sanctionnateurs.

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  • B. Droits substantiels et droits sanctionnateurs

    La rgle et sa mise en uvre

    Les droits substantiels ou matriels fournissent lasubstance la matire de la rgle juridique: droit civil, droitcommercial, droit du travail, etc.

    Les droits sanctionnateurs ou rgulateurs pourvoient lamise en uvre des droits substantiels. Assurant la sanction etla coordination des rgles formules par les autres branchesdu droit, ils apparaissent en quelque sorte comme le droit dudroit. Les principales matires rgulatrices sont: le droit pnalqui dfinit les infractions et les peines qui leur sont appli-cables; la procdure civile (ou droit judiciaire priv) qui pose lesrgles relatives la comptence et au fonctionnement destribunaux judiciaires; le droit international priv dont lobjetprincipal est de rgler les conflits de lois dans lespace (parexemple quelle est la loi applicable au divorce de deuxAlgriens rsidant en France? voir infra, n 64). Rappelonsque ces diffrentes disciplines se voient gnralement recon-natre une nature mixte, la frontire du droit public et dudroit priv.

    C. Droit civil et matires spcialises

    Le droit commun et ses dmembrements

    Le droit civil rgit les rapports entre particuliers indpen-damment de leur appartenance un groupe social ouprofessionnel. lorigine identifi lensemble du droitpriv, il a vu peu peu son domaine se restreindre par lap-parition et laccession lautonomie de matires spcialises.Le droit civil na donc plus la mme importance quantitativequautrefois. Il conserve cependant un rle primordial, et cela deux gards: sur le plan pratique, le droit civil reste le droitpriv commun, en principe applicable tous, sauf drogationexpresse; sur le plan thorique, cest du droit civil que sontissues la quasi-totalit des notions et des techniques juri-diques.

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  • Les matires spcialises apparaissent par consquentcomme des dmembrements du droit civil. Le droit commer -cial rgit les oprations commerciales et les rapports entrecommerants. Issu du droit des marchands, il a acquis trs ttune autonomie consacre par les ordonnances de Colbert surle commerce de terre (1673) et le commerce de mer (1681).Cette autonomie se trouve cependant remise en cause aujour-dhui, le droit commercial tendant se fondre soit dans ledroit des affaires (o il ctoie notamment le droit fiscal et ledroit comptable) soit dans le droit des professionnels(commerants ou non). Le droit commercial est en outresubdivis en matires plus spcialises, qui font dans lesfacults lobjet denseignements spcifiques: droit des trans-ports, droit bancaire, droit de la proprit industrielle, etc. Ledroit social, dapparition beaucoup plus rcente, na acquis sapleine autonomie quau xxe sicle. Lui aussi se subdivise: audroit du travail, qui rgit les relations individuelles et collec-tives de travail, il convient en effet dajouter le droit de laScurit sociale. Enfin, dautres matires encore peuventprtendre une autonomie partielle ou naissante: ainsi ledroit rural, le droit de la consommation ou le droit de la concur -rence.

    2 LA DIVERSIT DE LA RGLE DANS LE TEMPS :APERU HISTORIQUE

    A. Avant le Code civil

    LAncien Droit

    On dsigne par cette expression le corps de rgles qui tait envigueur en France sous lAncien Rgime, cest--direjusquen 1789. LAncien Droit peut tre schmatiquementdcrit en deux mots: diversit et hirarchie.

    La diversit repose principalement sur la distinction entre lespays de droit crit (approximativement la moiti sud de laFrance), o continuait sappliquer le droit romain, et les

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  • pays de coutumes (approximativement la moiti nord), osappliquaient les coutumes orales importes par les envahis-seurs germaniques. Celles-ci taient en outre dune extrmediversit: on dnombrait environ soixante coutumes princi-pales et au moins trois cents coutumes locales. Au fil dessicles, cependant, lvolution stait faite dans le sens duneunification progressive. Plusieurs facteurs y avaientconcouru, parmi lesquels on peut citer: dabord la renais-sance du droit romain, dont le rayonnement stend en paysde coutume ds le XIIe sicle; ensuite linfluence du droitcanonique, videmment identique sur tout le territoire, quirgit directement certaines matires comme le mariage etmoralise indirectement certaines autres comme les contrats;enfin lintervention des ordonnances royales applicables lensemble du pays: spcialement les ordonnances deColbert (1673 et 1681) et du chancelier Daguesseau (1731,1735, 1747).

    La hirarchie se manifeste sur tous les plans. Hirarchie desordres: noblesse et clerg constituent des classes privilgies.Hirarchie des terres: la proprit nest pas entire et lex-ploitant, qui na que le domaine utile, reste soumis auseigneur ou au roi titulaire du domaine minent. Hirarchiefamiliale: les enfants sont soumis la puissance paternelle,parfois mme aprs leur majorit; la femme marie, inca-pable, est place sous la tutelle de son mari. Hirarchieprofessionnelle enfin: les corporations contrlent laccs auxprofessions et en rglementent lexercice.

    Le Droit Intermdiaire

    Lexpression dsigne le droit en vigueur entre le dbut de laRvolution (1789) et la promulgation du Code civil (1804). Lapriode est brve mais intense.

    Les rformes, multiples, sont organises autour de deuxides matresses. Le dsir de libert, gnrateur dhostilitenvers les corps intermdiaires, inspire la suppression descorporations mais aussi la prohibition des associations.

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  • Dans lordre conomique, la libert contractuelle et la libertdu commerce et de lindustrie sont proclames. Dans lordrefamilial, la puissance paternelle et maritale est limite, lemariage est lacis, le divorce est instaur. Le dsir dgalitconduit labolition des privilges (nuit du 4 aot) maisaussi, notamment, la ralisation de lgalit successorale.

    Des tentatives de codification sont, dans le mme temps,menes. Ces tentatives sont domines par une doublemfiance: envers les juristes, suspects de conservatisme, etenvers les juges, suspects darbitraire. Elles reposent enrevanche sur la croyance en la supriorit de la loi, impartialeet porteuse de progrs, expression de la volont gnrale. Cesefforts, cependant, resteront vains: quatre projets sontsuccessivement prsents (dont trois par Cambacrs) ;aucun nest finalement retenu.

    B. partir du Code civil

    I. LA CODIFICATION NAPOLONIENNE

    Le Code civil

    Llaboration du code est due une commission de quatremembres, nomme en lan VIII (1800) par Bonaparte etcomprenant deux juristes de droit crit (Portalis et Maleville)et deux juristes de droit coutumier (Tronchet et Bigot dePrameneu). Cette commission mit au point un projet rdigen quatre mois. Bonaparte lui-mme joua essentiellement unrle dimpulsion, notamment lors de la discussion devant leConseil dtat puis, surtout, lors du vote par le Tribunat et leCorps lgislatif: il assura le succs du projet en purant leTribunat des membres qui lui taient hostiles. Sur le fond, enrevanche, son influence fut beaucoup plus discrte, sauf dansles matires lui tenant personnellement cur (famille etplus spcialement, pour des raisons dynastiques, divorce etadoption). Le Code civil, dabord vot en trente-six loissuccessives, fut promulgu en un seul code par la loi du 30

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    ventse an XII (21 mars 1804). Cette loi proclamait en outrelabrogation, dans le domaine du code, de toutes les disposi-tions de lancien droit.

    Le contenu du Code civil est rarement original. Il sagit duneuvre de transaction, trs en retrait des projets antrieurs etlargement inspire des juristes de lancien droit: Domat(1625-1696) et surtout Pothier (1699-1772). En la forme, le codeconstitue nanmoins un chef-duvre de lart lgislatif: ses2281 articles, ni trop philosophiques, ni trop techniques, sontrdigs dans un style clair, prcis et lgant qui lui assureraun rayonnement durable, en France et dans le monde. Aufond, le Code civil consacre le triomphe de lindividualismelibral. Cest le code des valeurs bourgeoises, dun homo juri -dicus mle et propritaire. Cest ainsi notamment que le code,trs prolixe sur la proprit, le contrat et les successions, esten revanche muet sur les associations et les droits de lapersonnalit. De mme, il ne consacre au contrat de travailque deux articles dont lun dispose que le matre est cru surson affirmation (art. 1781, abrog en 1868). De mmeencore, lorganisation familiale est fonde sur la puissancepaternelle et sur lautorit maritale, la femme marie restantincapable.

    Les autres codes

    Il sagit du Code de procdure civile (1807), du Code decommerce (1808), du Code dinstruction criminelle (1809) etdu Code pnal (1810). Ces textes viennent complter luvrelgislative napolonienne. Ils sont cependant trs infrieursau Code civil en qualit et en rayonnement et, lexceptiondu Code pnal, ils ont t rapidement dpasss.

    II. LVOLUTION POSTRIEURE

    De 1804 1884

    Cette priode est celle de la stabilit et du culte de la loi.

    La stabilit juridique contraste avec les perturbations poli-tiques. En dpit de celles-ci, la socit franaise reste pour

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  • lessentiel semblable elle-mme, de sorte que la codificationnapolonienne demeure relativement bien adapte et subitpeu de modifications. Les plus spectaculaires sont sans doutecelles qui affectent le divorce, supprim en 1816 puis rtablien 1884. Il faut mentionner galement la loi du 24 juillet 1867,relative aux socits commerciales, qui autorise la libreconstitution de la socit anonyme, ce merveilleux instru-ment du capitalisme moderne, selon lexpression du doyenRipert (1880-1958).

    Le culte de la loi est li lcole de lexgse (voir infra,n 66). Lide est que le droit est tout entier dans la loi crite,de sorte que le juriste na dautre rle que de servir et din-terprter les codes, au besoin en sinterrogeant sur lintentionde leurs auteurs. Il nexiste pas, lpoque, de cours de droitcivil mais seulement un cours de Code civil, simple commen-taire du code, article par article.

    De 1884 1958

    Cest lre des grands bouleversements. Bouleversementsmatriels: la rvolution industrielle et les deux guerresmondiales transforment lconomie et les rapports sociaux.Bouleversements intellectuels: de nouvelles idologies appa-raissent, inspirant un dsir dgalit de fait et non plusseulement de droit qui pousse combattre les excs de lin-dividualisme libral.

    Sur le fond les rformes sont par consquent innombrables :la loi autorise les syndicats ouvriers (1884) et proclame lalibert dassociation (1901); la libert contractuelle estrestreinte par des rglementations impratives (par exemplecelle du contrat dassurance: 1930); les droits des propri-taires sont limits par les prrogatives reconnues auxlocataires, commerant dabord (1926), puis fermier (1945); lafemme marie est mancipe (1938 : abolition de la puissancemaritale; 1942 : disparition de lincapacit); enfin, on assisteau dclin de la responsabilit individuelle et une collectivi-sation des risques marque notamment par la loi sur les

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  • accidents du travail (1898) et par linstauration de la Scuritsociale (1946).

    En la forme, la nouveaut rside dans la dsaffection pour lescodes, trop rigides et peu propices aux rformes. Denombreuses lois nouvelles restent en dehors des codes, dontcertains tendent devenir des enveloppes vides (spciale-ment le Code de commerce). Plus gnralement, lephnomne est celui du dclin de la loi. Celle-ci, descendue deson pidestal, cesse dtre tenue pour parfaite et ternelle.Corrlativement, on assiste la monte dautres autoritscratrices de droit, et spcialement de la jurisprudence (voirinfra, n 76 et s.), plus souple et plus concrte.

    Depuis 1958

    La constitution de 1958 marque un tournant, ne serait-cequen raison de laccroissement du rle du pouvoir rgle-mentaire au dtriment de celui du Parlement: dsormais laloi (au sens large) nest plus seulement la loi parlementaire(voir infra, n 49).

    Sur le fond, cette priode est, elle aussi, marque par uneintense activit lgislative, dont les tendances sont pour les-sentiel identiques celle des rformes prcdentes. Larecherche de lgalit est surtout sensible en droit de lafamille avec, notamment, la rforme des rgimes matrimo-niaux (1965 et 1985), de lautorit parentale (1970 et 1993), dela filiation (1972) et du divorce (1975), ainsi que linstitutiondu PACS (1999). Mais il faut galement citer, dans le domainecontractuel, les lois de protection du consommateur (1978 et1979 principalement), ainsi que les textes relatifs au suren-dettement des particuliers (1989 et 1995) et la lutte contrelexclusion (1998). On retrouve aussi le mouvement de limi-tation du droit de proprit avec les textes renforant lesdroits du locataire (1982, 1986, 1989), et la tendance la socia-lisation des risques avec la loi sur les accidents de lacirculation (1985). Lactivit conomique nest pas oublie etil faut mentionner les textes fondamentaux que sont, en droit

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  • commercial, la loi du 24 juillet 1966 sur les socits commer-ciales, les lois de 1967 et 1985 relatives aux entreprises endifficult ou encore les lois instituant les socits uniperson-nelles (EURL, 1985; SAS, 1999). Plus nouvelle en revanche estla volont de rpondre certaines questions poses par leprogrs scientifique (lois dites biothiques, 1994) ou techno-logique (loi sur la preuve lectronique, 2000). Enfin, le droitet la procdure pnale connaissent de multiples rformesdont le point commun est de tendre au renforcement de laprsomption dinnocence mais aussi des droits des victimesdinfractions (avec, en dernier lieu, la loi du 15 juin 2000).

    Quant la mthode, deux particularits peuvent tre signa-les. Dune part, la rdaction des projets de textes estfrquemment confie non une commission mais unhomme, et cest ainsi en particulier que la plupart desrformes du droit de la famille sont dues la plume dudoyen Carbonnier. Dautre part, la tendance la dcodifica-tion sest, lpoque rcente, inverse et les codesconnaissent un regain de faveur qui se manifeste sous deuxaspects. Tantt le lgislateur choisit de remplacer un codevieilli par un nouveau code, mieux adapt aux besoins dumoment: on a ainsi vu apparatre le Code de procdurepnale (remplaant le Code dinstruction criminelle: 1958), leCode du travail (1973), le nouveau Code de procdure civile(1976), le nouveau Code pnal (1992, entr en vigueur le 1er

    mars 1994). Tantt il se borne, plus modestement, rassem-bler dans un code unique des rgles jusque-l parses: cestla codification dite droit constant qui a prsid, notam-ment, llaboration du Code de la proprit intellectuelle(1992), du Code de la consommation (1993) ou du nouveauCode commerce (2000).

    En ce qui concerne, enfin, linspiration des textes nouveaux,linfluence de la doctrine des droits de lhomme se fait deplus en plus nette et emprunte techniquement deux voies. Lapremire est celle de la constitutionnalisation du doit: locca-sion du contrle quil exerce a priori sur les textes lgislatifs,

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  • le Conseil constitutionnel impose au lgislateur le respect desdroits et liberts fondamentaux directement ou indirectementconsacrs par la Constitution ou par linterprtation quendonne le Conseil (cf. infra, n 46). La seconde voie est celle deleuropanisation du droit: outre lincidence des directives ourglements communautaires (v. infra, n 53), le lgislateurdoit en effet tenir compte, en particulier, des principes consa-crs par la Convention europenne de sauvegarde des droitsde lhomme et des liberts fondamentales (cf. infra, n 52),ainsi que de linterprtation qui en est donne par la Coureuropenne des droits de lhomme sigeant Strasbourg.

    3 LA DIVERSIT DE LA RGLE DANS LESPACE: APERU DE DROITCOMPAR

    Vrit en de des Pyrnes, erreur au-del

    Montaigne et Pascal ont depuis bien longtemps raill cetteplaisante justice quune rivire borne, et lobservation asouvent t utilise pour combattre lide dun droit natureluniversel. De fait, les rgles juridiques sont, dun pays lautre, extrmement variables, en dpit des efforts parfoisdploys pour parvenir une unification internationale.

    Lunification, en effet, est toujours limite soit certainesmatires dans lesquelles elle apparat particulirement nces-saire (par exemple, le droit des transports internationaux oude la proprit industrielle), soit certains secteurs gogra-phiques. Sagissant en particulier de lUnion europenne, lesdirectives europennes tendent raliser, sinon une vritableunification, du moins une harmonisation des lgislationsinternes des tats membres (voir infra, n 53). La tche nestdailleurs pas aise, les droits des diffrents tats napparte-nant pas tous la mme famille.

    On distingue en effet en sen tenant aux droits lacs aumoins trois grands systmes juridiques.

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  • Le systme romano-germanique

    Cest celui dont relvent, outre la France, la plupart des paysdEurope occidentale lexception des les britanniques ainsi que lAmrique latine et certains pays africains.

    Les droits de cette famille prsentent deux principaux traitscommuns. Le premier tient leur origine : il sagit desystmes issus pour partie du droit romain (globalement reuen Allemagne partir du XIVe sicle) et pour partie descoutumes germaniques. Le second tient leur technique: lasource premire du droit se trouve dans la lgislation crite,et spcialement dans des codes, ce qui confre la rgle juri-dique une gnralit et une abstraction particulires.

    De trs importantes divergences existent nanmoins au seindu systme romano-germanique. Spcialement, il estpossible de dceler schmatiquement deux tendances: dunepart la tendance franaise (ou latine) qui regroupe les droitsinspirs, de prs ou de loin, par le Code civil franais(Belgique, Luxembourg, Espagne, Portugal, Italie); dautrepart la tendance allemande qui regroupe les droits rgis ouinspirs par le Code civil allemand de 1900 (Allemagne,Autriche, Suisse, Grce). Ce dernier (le brgerlicherGesetzbuch : BGB), plus rcent et donc plus moderne que leCode franais, est aussi la fois plus casuistique et plusabstrait et parfois moins clair.

    Le systme anglo-amricain

    Cest, de manire gnrale, celui qui rgit les pays anglo-phones: les britanniques et anciennes possessions colonialesanglaises (Amrique du nord, certains pays africains,Australie, Nouvelle-Zlande). On peut schmatiquementopposer cette famille la prcdente sur deux points.

    Dabord, linfluence du droit romain tant ici inexistante, lesconcepts, classifications et institutions juridiques sont trsdiffrents de ceux quutilisent les juristes continentaux :mme si les solutions de fond sont gnralement compa-rables (car les deux systmes reposent sur les mmes

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    principes philosophiques et conomiques), les outils tech-niques sont trs dissemblables.

    Ensuite et surtout, la source premire du droit nest pas dansla loi crite mais dans les dcisions des juges. Ceux-ci, lis parla rgle du prcdent qui oblige reproduire la solutionprcdemment donne dans un cas identique, raisonnent soitau regard du common law, ensemble coutumier originaire, soitau regard de lequity, corps de rgles inspires de lquit(venant partir du XIVe sicle corriger et amnager le commonlaw). Face cet ensemble jurisprudentiel (case law), la loicrite (statute law) joue un rle traditionnellement secondairemais que lvolution contemporaine a considrablementdvelopp.

    Le systme socialiste sovitique

    Fond sur le marxisme lninisme, il englobait, depuisquelques dizaines dannes, les droits des Rpubliques socia-listes sovitiques et des dmocraties populaires des pays delEurope de lEst. Les bouleversements politiques et idolo-giques survenus dans cette rgion obligent cependant parler de ce systme au pass.

    Quant son inspiration, le droit sovitique tait caractrispar une volont de rupture avec les droits bourgeois repr-sents par les systmes prcdents: le droit tait conucomme un instrument politique provisoirement ncessaire linstauration de la socit communiste, socit sans classequi devait connatre le dprissement du droit.

    Sur le fond, lappropriation collective du sol et des moyens deproduction conduisait une hypertrophie du secteur publicet de la rglementation tatique. Un secteur priv subsistaitnanmoins, qui obissait des rgles beaucoup plus prochesde celles des droits bourgeois.

    En la forme, galement, un rapprochement pouvait tre faitavec le systme romano-germanique: la premire place taiten effet attribue la loi crite et un important travail decodification a t ralis dans les diffrents pays.

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  • SECTION IILA SPCIFICIT DE LA RGLE DE DROIT

    La rgle de droit, rgle de conduite sociale

    La vie en socit conditionne le phnomne juridique defaon la fois ncessaire (Robinson na que faire du droit) etsuffisante (ubi societas, ibi jus). La rgle juridique nest pas,cependant, le seul rgulateur du comportement humain. Dslors, laffirmation de sa spcificit passe par deux tapes :dune part, ngativement, dire ce quelle nest pas en ladistinguant des autres rgles de conduite (1) ; dautre part,positivement cette fois, dire ce quelle est en indiquant sescaractres (2).

    1 RGLE JURIDIQUE ET AUTRES RGLES

    Droit et religion

    Dans les socits archaques ou trs religieuses, les deuxcorps de rgles ne se distinguent pas: le prcepte religieuxtient lieu de loi civile. Ce phnomne didentification peutspcialement sobserver aujourdhui dans certains paysmusulmans. Quant au droit franais contemporain, il est lafois distinct de la religion et inspir par elle.

    La distinction du droit et de la religion trouve son expressiondans la loi du 9 dcembre 1905, portant sparation desglises et de ltat. De l dcoule une dualit de rgles, parfoissuperposes (par exemple le mariage religieux vient sajouterau mariage civil), parfois contradictoires. Ainsi, le mariagechrtien est indissoluble, tandis que le mariage civil peutprendre fin par le divorce. De mme, le droit ne rprime pasle pch en tant que tel: ni la luxure ni le mensonge, notam-ment, ne lintressent du moins tant quils ne troublent paslordre social en prenant la forme du viol ou de lescroquerie.La diffrence, en effet, tient essentiellement au but poursuivi :tandis que la rgle religieuse vise le salut de lindividu (dans

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  • lau-del), la rgle juridique se proccupe plus modestementdassurer (ici-bas) lordre et la cohsion de la socit. Parsuite, alors que la religion prtend rgir les penses au mmetitre que les actes, le droit en revanche ne sintresse quauxcomportements extrieurs.

    Linspiration du droit par la religion est nanmoinsflagrante. Le droit franais actuel est imprgn de moralejudo-chrtienne et il suffit pour sen convaincre de constaterque la plupart des prescriptions du Dcalogue sont consa-cres par le droit positif (voir spcialement lart. 371 c. civ.:Lenfant, tout ge, doit honneur et respect ses pre etmre).

    Droit et morale

    La morale, rcemment redcouverte sous le nom dthique,occupe lheure actuelle une place grandissante dans lesproccupations du lgislateur et des juges.

    Les deux corps de rgles font pourtant lobjet dune distinc-tion classique fonde sur leur nature mme: le droit, rgle decomportement essentiellement sociale, ne se confond pasavec la morale, rgle de comportement essentiellement indi-viduelle. Par suite, leurs finalits sopposent: la morale,comme la religion, se propose dassurer la perfection de lin-dividu; le droit vise avant tout faire respecter un certainordre collectif. De mme, leurs sanctions diffrent: la moralenest sanctionne que par le tribunal de la conscience (le forintrieur); le respect du droit relve de la mission des autori-ts publiques. Enfin et surtout, leurs domaines, sils serecoupent, ne concident pas. Dun ct, il est des rglesmorales non sanctionnes par le droit qui, par exemple, nesintresse ni aux mauvaises penses ni mme aux mauvaisesintentions, tant que celles-ci ne se matrialisent pas dans desconditions troublant lordre social. Dun autre ct, il est linverse des rgles de droit dpourvues de fondementmoral. Et si certaines sont moralement neutres (par exempleles rgles de forme ou celles du Code de la route), dautres

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  • sont moralement critiquables (par exemple la possibilitofferte au voleur de devenir propritaire par la prescriptiontrentenaire).

    Dimportantes attnuations doivent cependant tre appor-tes cette opposition traditionnelle. Dune part, il fautsouligner que la plupart des rgles de droit peuvent se voirassigner un fondement moral, mme au sens le plus troit delexpression: le droit, depuis toujours, sanctionne la fraude etla mauvaise foi. Dautre part, on assiste aujourdhui lmer-gence dune morale nouvelle, sociale ou collective, qui fondeun nombre croissant de rgles juridiques (par exemple lesdispositions relatives au surendettement ou la lutte contrelexclusion). Enfin, certaines normes se situent aux confins dudroit et de la morale: il en est spcialement ainsi des rgles dedontologie que connaissent notamment les avocats ou lesmdecins et qui tendent lheure actuelle rgir toutes sortesde professions et dactivits.

    Droit et justice

    La notion de justice nest ni simple ni mme unique. Faireuvre de justice, cest attribuer chacun son d. Encore faut-il, cependant, dterminer ce d, et cest sur ce pointquapparat une distinction fondamentale, dveloppe parAristote. La justice commutative, fonde sur lgalit math-matique, tend, dans les rapports entre particuliers etspcialement dans les changes, maintenir ou rtablirlquilibre antrieur: chacun doit recevoir lquivalent de cequil donne. La justice distributive tend faire assurer par lacollectivit la meilleure rpartition possible des richesses etdes charges. Les deux notions ne se situent pas sur le mmeplan: la premire est individuelle et strictement juridique, laseconde collective et politique; elles ne reposent pas non plussur la mme inspiration: lune est statique et conservatrice,lautre dynamique et correctrice. En outre, il est, au titre de lajustice distributive, plusieurs manires de concevoir la rpar-tition optimale: celle-ci doit-elle sidentifier lgalitabsolue ou bien faut-il distinguer selon les mrites dechacun ?

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  • En dpit de ces incertitudes, le rle de la justice est de fournirun but vers lequel doit tendre la rgle juridique: le droit estlart du bon et du juste (ars boni et aequi). De fait, nombre dergles de droit sont fondes sur la justice, commutative (parexemple, le principe jurisprudentiel interdisant de senrichirinjustement au dtriment dautrui) ou distributive (parexemple, la progressivit de limpt sur le revenu ou la redis-tribution des richesses opre par les prlvements sociaux).La place de la justice connat cependant une double limite.Dune part, la notion, quelle quelle soit, est trop floue pourpouvoir constituer autre chose quun idal, quil appartientau droit de traduire en rgles techniques: elle est une fin, nonun moyen. Dautre part, les impratifs dordre et de scuritpeuvent conduire consacrer non seulement des rglestrangres toute ide de justice (par exemple celles du Codede la route) mais aussi, loccasion, des rgles contraires lajustice (par exemple, le refus de principe dannuler uncontrat sur la seule constatation du dsquilibre des presta-tions): entre linjustice et le dsordre, le choix nest pastoujours ais.

    Droit et quit

    La notion dquit se ddouble. Lquit objective (ou norma-tive) apparat comme un corps de rgles fondes sur lidalde justice et venant corriger les imperfections du droit, voireconcurrencer celui-ci. Cest ainsi quen Angleterre lequity estintervenue pour attnuer les excs du common law (voir supra,n 19). Lquit subjective (ou judiciaire), en revanche, seprsente comme linspiratrice de solutions concrtes affran-chies des rgles de droit. En ce sens, lquit, qui sexprimedans les dcisions des juges, apparat comme un tempra-ment la rigidit du droit: il sagit, pour parvenir lasolution juste, de modrer lapplication de la rgle en tenantcompte des circonstances particulires de lespce.

    Le rle de lquit a vari dans le temps. Si les Parlements delancien rgime se reconnaissaient le droit de statuer en

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  • quit, cette facult tait surtout gnratrice darbitraire(Dieu nous garde de lquit des Parlements). Aussi laRvolution cantonna-t-elle les magistrats dans un rle deserviteurs de la loi, et le principe reste aujourdhui que lejuge tranche le litige conformment aux rgles de droit quilui sont applicables (art. 12 n.c. proc. civ.). Lquit occupenanmoins une place non ngligeable. Elle joue dabord, etde plus en plus, un rle officiel. Dune part il est de plus enplus frquent que la loi, plus modeste que par le pass, assor-tisse elle-mme la rgle de droit de son correctif dquit. Parexemple, si en principe lpoux aux torts exclusifs duquel ledivorce est prononc na droit aucune prestation compen-satoire, le juge peut nanmoins en dcider autrement lorsquece refusapparat manifestement contraire lquit (art.280-1 c. civ.). Dautre part larticle 12, alina 4, du nouveauCode de procdure civile permet aux parties, sous certainesconditions, de confrer au juge la mission de statuer commeamiable compositeur, cest--dire en quit et la mmefacult peut tre utilise lorsque le litige est soumis unarbitre priv (art. 1474 n.c. proc. civ.). Mais lquit jouesurtout, depuis toujours, un rle occulte. Le juge, trssouvent, statue en quit sans le dire, en choisissant dabordla solution qui lui parat la plus quitable et en lui donnantaprs coup lhabillage juridique ncessaire. La solution nestpas alors dduite de la rgle mais cest au contraire la rglequi est choisie en fonction de la solution obtenir: le jugeopre un renversement du syllogisme judiciaire (sur lequelv. infra, n 32).

    2 LES CARACTRES DE LA RGLE JURIDIQUE

    Plan

    Outre sa permanence, dailleurs relative, la rgle de droitprsente trois caractres principaux: elle est gnrale (A),abstraite (B) et obligatoire (C).

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  • A. Caractre gnral

    Caractre ncessaire mais non spcifique

    La gnralit est inhrente la notion mme de rgle, quisoppose celle de dcision individuelle. Par suite, cepremier caractre nest pas vritablement distinctif: la rglejuridique le partage, notamment, avec la rgle morale ou reli-gieuse. Il reste cependant quune loi visant une personneunique et dnomme ndicterait pas une rgle de droit :celle-ci ne peut sentendre que dune prescription adresse tous en des termes identiques, ce qui implique une doublegnralit, la fois quant au contenu de la rgle et quant son application.

    Gnralit quant au contenu

    Elle est rendue ncessaire par le double impratif dgalit etde scurit.

    Lgalit explique que le contenu de la rgle soit indpendantde la condition sociale et professionnelle. On sait que tel na pastoujours t le cas et que notamment, sous lAncien Rgime,le droit applicable variait dun ordre lautre. Aujourdhui,en revanche, la loi est la mme pour tous: la gnralit de largle est la base de lgalit politique, cest--dire de lgalitde droit, ne pas confondre avec lgalit sociale, cest--direlgalit de fait. Ce principe duniformit connat cependantun certain nombre dexceptions, que justifie prcisment larecherche de lgalit sociale: il sagit en effet de corriger lesdsquilibres de fait par des dsquilibres de droit de senscontraire. On voit alors apparatre des lgislations droga-toires dont le but avou est de protger les catgoriessocio-conomiques auxquelles elles sappliquent. Il en estainsi, par exemple, des rgles protectrices du salari, du loca-taire ou du consommateur.

    La scurit explique que le contenu de la rgle soit indpen-dant des particularits individuelles. Linscurit serait grande,

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  • en effet, si les tiers pouvaient avoir la mauvaise surprise devoir la rgle fluctuer selon les aptitudes ou les insuffisancesde celui qui ils ont affaire. Cest pourquoi, par exemple,lge de la majorit est uniformment fix dix-huit ans, sansgard au plus ou moins grand dveloppement intellectuel delintress. De mme, la faute gnratrice de responsabilitest toujours dfinie comme un comportement draisonnable,sans que son auteur puisse invoquer le fait que sa sottise ousa distraction ne lui permettait pas de se comporter autre-ment.

    Gnralit quant lapplication

    La ncessit de lapplication effective de la rgle explique quecelle-ci soit indpendante de la connaissance que lon en a.Tel est le sens de ladage nul nest cens ignorer la loi (nemo censetur ignorare legem) : lignorance de la rgle nest pasun obstacle son application.

    Le fondement du principe doit tre prcis. Il ne sagit pas,en effet, dune prsomption de connaissance effective, qui seraittotalement irraliste. La masse des rgles est telle que mmeles meilleurs spcialistes ne peuvent tout savoir; on ne peut afortiori ni prsumer ni imposer une telle science chez lecitoyen non juriste. Il sagit donc dune fiction juridique desti-ne assurer lautorit de la rgle en interdisant dchapper son application sous prtexte dignorance.

    Le principe comporte dailleurs certaines limites. Une excep -tion, franche mais de porte trs limite, rsulte de larticle 4du dcret du 5 novembre 1870: selon ce texte, la contraven-tion commise dans les trois jours de la publication du textedincrimination peut ne pas tre sanctionne si le contreve-nant tablit son ignorance. Une attnuation rsulte galementde la prise en considration de lerreur de droit. Dune part ila toujours t admis, en droit civil, quune telle erreur peuttre invoque en tant que cause dannulation dun acte juri-dique: si par exemple une personne sest trompe surltendue des droits successoraux quelle a cds, elle peut

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  • invoquer cette circonstance sans que lui soit object ladagenemo censetur. Dautre part le nouveau Code pnal faitaujourdhui de lerreur de droit invitable une cause dirres-ponsabilit pnale (art. 122-3).

    B. Caractre abstrait

    Caractre ncessaire mais non spcifique

    Pas plus que la gnralit, labstraction nest la caractris-tique exclusive de la rgle de droit. Le plus souvent runis,voire confondus, ces deux caractres sont en effet communs toutes les rgles, juridiques ou non. Il reste cependant quelabstraction revt, en droit, un aspect particulier dont il fautprciser le sens et les limites.

    I. SIGNIFICATION

    Rgle abstraite et donnes concrtes

    Ngativement, rgle abstraite ne signifie pas rgle dtachedes ralits: le droit est une science sociale; il est fait pourtre appliqu et ne peut ignorer la matire quil rgit. Dolintrt de la sociologie juridique, source dinformationsprcieuses sur lapplication du droit et les rformes ventuel-lement ncessaires. Il convient cependant de mettre en gardecontre deux ides reues.

    Il faut dabord se mfier de lide selon laquelle le droit doitsadapter au fait. Il est vrai que parfois le changement juri-dique est impos par lvolution des murs. Cest ainsi quela rforme du divorce, ralise en 1975, a d mettre la loi enharmonie avec la pratique, jusque-l hypocritement dissimu-le, du divorce par consentement mutuel. Mais le droit nedoit pas se borner reflter passivement les murs: sa fonc-tion normative, voire ducative, lui impose parfois de rsister lvolution (par exemple la multiplication des viols nedevrait certainement pas conduire lgaliser le viol), ou aucontraire de prcder lvolution: cest ainsi que la loi de

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  • 1985, sur les accidents de la circulation, est en avance sur lesesprits lorsquelle indemnise la victime mme fautive.

    Il faut ensuite se mfier de lide selon laquelle une rglenon applique doit tre abroge. cela deux raisons. Dunepart le droit ne fait souvent que proposer un modle, dont lanon-utilisation peut ntre que provisoire. Par exemple, lasocit en commandite par actions, que lon croyait mori-bonde et qui faillit tre supprime en 1966, connataujourdhui un regain de vitalit. Dautre part la non applica-tion de la rgle est parfois souhaitable, ou tout au moinsambigu. Il en est ainsi sagissant des rgles qui formulentdes sanctions: labsence de sanction peut en effet tre le signesoit de linefficacit de la rgle (par exemple les vols,nombreux, ne sont pas rprims), soit au contraire de saparfaite efficacit (par exemple aucun vol nest commis).

    Le syllogisme juridique

    Positivement, rgle abstraite signifie rgle formule demanire abstraite. Il faut, pour sen convaincre, observer quele raisonnement juridique est un syllogisme. En tant que tel,il sappuie sur deux prmisses la majeure et la mineure do se dduit la conclusion. On peut en donner lexemplesuivant. Majeure : selon larticle 1382 du Code civil, tout faitquelconque de lhomme, qui cause autrui un dommage,oblige celui par la faute duquel il est arriv, le rparer.Mineure: or Primus a bless Secundus dun coup de poing auvisage. Conclusion : donc Primus doit verser des dommagesintrts Secundus. On constate que, dans ce raisonnement,les aspects concrets sont contenus dans la mineure et dans laconclusion. Quant la rgle de droit, elle constitue lamajeure, proposition parfaitement abstraite (tout fait quel-conque de lhomme un dommage). Cetteformulation abstraite prsente dindniables avantages.Dune part il est ainsi possible denglober une infinie varitde situations concrtes dans une seule formule, brve etsynthtique. Dautre part labstraction permet dans bien des

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  • cas lintress de dcider lui-mme de lapplication de largle. Il lui suffit pour cela de se placer (ou non) dans la situa-tion abstraitement prdfinie par le droit: souhaite-t-il tresoumis aux obligations nes du mariage et en bnficier?Quil se marie. Ne le souhaite-t-il pas? Quil ne se marie pas !Limpratif juridique nest pas catgorique mais condition-nel: la rgle ne sapplique quautant que se rencontre, en fait,le prsuppos qui la dclenche.

    Labstraction nest pas, cependant, dpourvue dinconv-nients. Le principal tient une invitable rigidit. La rgleabstraite ne peut en effet ni entrer dans toutes les nuances dufait (par exemple la faute lgre oblige en principe au mmetitre que la faute lourde) ni mme intgrer lensemble desdonnes concrtes (par exemple le responsable, mmepauvre, doit indemniser la victime, mme riche). De l uncertain schmatisme, voire une excessive brutalit.

    II. LIMITES

    Summum jus, summa injuria

    Ladage, emprunt au droit romain, vise lhypothse o, parsuite de circonstances particulires, lapplication exacte de largle de droit conduit une solution de fait contraire lajustice. La mise en uvre de la rgle abstraite peut alors parfois tre tempre ou corrige par la prise en considra-tion dlments concrets propres la situation considre. Telest le cas lorsque la loi ou le juge fait appel lquit (voirsupra, n 25). Tel est le cas, galement, lorsque trouve sap-pliquer la thorie de lapparence ou la thorie de la fraude (etaussi lorsque lon sanctionne labus dun droit subjectif: voirinfra, n 143).

    La thorie de lapparence

    Elle consiste accorder lapparence les effets de la ralit, etpermet ainsi de valider les actes accomplis sur le fondementdune croyance errone dans la ralit de la situation appa-rente : error communis facit jus. Par exemple, la vente consentie

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  • par un non-propritaire peut tre nanmoins tenue pourvalable si le vendeur passait aux yeux de tous pour le vri-table propritaire.

    Lapplication de la thorie est soumise deux conditions. Lapremire est objective : il faut quait exist une situation denature induire en erreur (par exemple, le propritaire appa-rent est celui qui, semblant tenir son droit dun hritage oudun contrat, se comporte en propritaire). La seconde estsubjective : il faut quune erreur ait t effectivement commisepar celui qui se prvaut de lapparence (par exemple, lache-teur doit avoir effectivement cru quil avait affaire auvritable propritaire). Selon les hypothses, les tribunaux oubien exigent une erreur commune (cest--dire invincible),ou bien se satisfont dune erreur seulement lgitime (cest--dire excusable).

    Le domaine de la thorie est gnral. Deux exemples atteste-ront de la diversit de ses applications. Le premier est celuidu mandat apparent : le contrat conclu avec un mandataireapparent (dont le pouvoir aurait par exemple t rvoqu)sera nanmoins valable et obligera le mandant apparent. Lesecond est celui du domicile apparent: lassignation dlivre audomicile apparent (alors quelle doit ltre au domicile rel)sera nanmoins valable, et le tribunal de ce lieu rgulire-ment saisi.

    La thorie de la fraude

    Elle permet de sanctionner le fait dutiliser dlibrment unergle de droit pour faire chec une autre rgle de droit. Lasanction consiste, de manire gnrale, dans linefficacit ducomportement frauduleux: la fraude fait exception toutesles rgles (fraus omnia corrumpit). Par exemple, si une partie,mcontente de lexpert nomm par le tribunal, intente celui-ci un procs sous un prtexte futile et dans le seuldessein de pouvoir le rcuser (comme le lui permet alorslart. 234 n.c. proc. civ.), cette rcusation frauduleuse serasans effet.

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  • Lapplication de la thorie suppose remplies trois conditions.La premire est relative la rgle mise en chec: la fraudesuppose que celle-ci prsente un caractre obligatoire. Ladeuxime est relative ltat desprit du fraudeur: celui-cidoit avoir lintention dluder lapplication de la rgle. Latroisime, enfin, est relative au moyen employ pour parve-nir ce rsultat: il faut que le procd soit en lui-mme liciteet efficace car sinon il ne serait pas ncessaire den corrigerles effets.

    La thorie a un domaine gnral et inspire tant le lgislateurque les tribunaux. La loi sanctionne spcialement la fraudepaulienne, qui consiste faire chec aux droits de ses cran-ciers en alinant les lments dactif de son patrimoine: lesactes dalination sont, sous certaines conditions, inoppo-sables aux cranciers qui pourront donc saisir les biens endpit de lalination (art. 1167 c. civ.). Quant aux tribunaux, ilsdjouent la fraude dans les domaines les plus divers. Parexemple, en droit de la famille, est frauduleux et nul lemariage contract ltranger par de jeunes franais neremplissant pas la condition dge exige par la loi franaise.De mme, en droit du travail, est frauduleuse et inefficace lamanuvre consistant luder les rgles du licenciement parla conclusion dune succession de contrats de travail duredtermine.

    C. Caractre obligatoire

    Caractre ncessaire et spcifique

    Si toute rgle est, en tant que telle, obligatoire, la rgle dedroit occupe cet gard une place part en ce que lobliga-tion quelle impose est sanctionne par lautorit publique.Cest cette circonstance qui, de lavis gnral, fournit lecritre dcisif de la juridicit: la rgle de droit est celle qui estassortie dune contrainte tatique. Sa spcificit tient doncmoins lexistence de lobligation, dailleurs susceptible dedegrs (I) qu la sanction de lobligation (II).

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  • I. LE DEGR DE LOBLIGATION

    Les deux fonctions du droit

    Si toutes les rgles juridiques sont obligatoires, toutes ne lesont pas au mme degr. Une distinction essentielle doit trefaite, qui correspond deux fonctions distinctes de la rglejuridique. La premire est dimposer un ordre public, cest--dire un ensemble de rgles considres comme essentielles lorganisation politique, conomique et sociale voulue par lelgislateur. La seconde est de proposer certains modles dorga-nisation des rapports conomiques, familiaux, sociaux Ledroit nest plus alors linstrument dune politique mais unoutil mis la disposition de ses utilisateurs qui peuvent choi-sir la rgle applicable. Selon la fonction considre, les rglesde droit simposent de manire absolue ou seulement rela-tive: elles sont impratives ou suppltives.

    Les rgles impratives (ou dordre public)

    Elles simposent de manire absolue en ce sens quil nest paspossible aux intresss de se soustraire leur application,mme par un accord exprs. Il en est ainsi, par exemple, delobligation de fidlit impose aux poux par lart. 212 ducode civil: les conjoints, mme daccord, ne peuvent senaffranchir; sils prtendaient nanmoins le faire, leur conven-tion serait nulle et ninterdirait pas de tirer les consquencesjuridiques de ladultre. De manire plus gnrale, sont desrgles impratives non seulement celles qui sont sanction-nes par la loi pnale mais aussi toutes celles qui sontrelatives lordre public et aux bonnes murs. Larticle 6 duCode civil dispose en effet, en termes gnraux: On ne peutdroger par des conventions particulires aux lois qui int-ressent lordre public et les bonnes murs.

    Les rgles impratives sont traditionnellement rares en droitprive, o domine lide de libert (cf. supra, n 6). Unevolution sest cependant produite, marque par unemultiplication des lois impratives reposant elle-mme sur une

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  • double extension de la notion dordre public. Dune part lordre public traditionnel, essentiellement politique (au senslarge) et moral, sest ajout un ordre public conomique etsocial exprimant le dirigisme tatique. Dautre part lordrepublic de direction, fond sur lintrt gnral, sest ajout unordre public de protection, orient vers la correction desingalits et donc vers la satisfaction des intrts de certainescatgories socio-professionnelles. Cest cet ordre publicconomique et social de protection quappartiennent,notamment, les multiples rgles impratives qui ont, lpoque contemporaine, envahi le droit des contrats :rglementation protectrice du salari, de lassur, dulocataire, du consommateur, etc.

    Les rgles suppltives (ou interprtatives) de volont

    Elles ne sappliquent que sous la condition que les intresssne se soient pas mis daccord pour en dcider autrement. Cesrgles ont en effet pour rle de traduire la volont vraisem-blable des parties ou, plus exactement peut-tre, de supplercette volont lorsque celle-ci ne sexprime pas. Si donc lesintresss ont manifest expressment une volont diffrente,celle-ci doit tre suivie. Cest ainsi que les poux ne serontsoumis au rgime matrimonial lgal (de communaut dac-quts) que sils nont pas fait de contrat de mariage. Si cergime ne leur convient pas, ils sont libres dadopter parcontrat un rgime conventionnel diffrent (de sparation, decommunaut universelle, etc.). Plus gnralement, sontnotamment des rgles suppltives la plupart des rgles quele Code civil consacre aux contrats. Il en est ainsi, parmibeaucoup dautres, de celle qui, dans la vente, attache letransfert de proprit au seul change des consentements(art. 1583, c. civ.): les parties sont libres de convenir que cetransfert sera retard, par exemple jusquau paiement de lin-tgralit du prix. On sait cependant que le dveloppementcontemporain de lordre public contractuel a, dans cettematire, rduit le domaine de la libert (cf. supra, n 38).

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  • Les rgles suppltives ne sont pas pour autant des rglesfacultatives. Elles simposent en effet ds lors quelles nontpas t cartes expressment et en temps utile. Ainsi, fautede contrat antrieur la clbration du mariage, cest lergime matrimonial lgal qui sapplique, de manire cettefois-ci obligatoire (cependant, le changement de rgime estaujourdhui autoris, mais soumis homologation judiciaire:art. 1397 c. civ.).

    II. LA SANCTION DE LOBLIGATION

    Caractre tatique

    La sanction est le fait de lautorit publique. On sait, en effet,que la rgle de droit se caractrise par la menace dune sanc-tion prononce et mise en uvre par les organes de ltat :tribunaux et administrations. Plus prcisment, on peutdistinguer deux sortes de sanctions.

    Les sanctions civiles ou administratives rpondent pour laplupart lune ou lautre de deux finalits. Certaines sontorientes vers lexcution force et sexpriment par unecontrainte qui peut tre directe (excution doffice par lad-ministration, saisie par un particulier) ou indirecte :contrainte par corps (ancienne prison pour dettes, aujour-dhui rserve au recouvrement de certaines crances duTrsor public), astreinte (condamnation pcuniaire propor-tionnelle lampleur de linexcution: par exemple, millefrancs par jour de retard). Dautres sont orientes vers larparation et consistent soit en lannulation des actes irrgu-liers (mariage ou contrat par exemple), soit en lallocation dedommages-intrts venant compenser le prjudice matrielou moral subi par la victime.

    Quant aux sanctions pnales, elles tendent principalement la punition des infractions dj commises et, du mme coup, la prvention des infractions futures: rclusion, dtention,emprisonnement, amende (au bnfice du Trsor public etnon de la victime), travail dintrt gnral, confiscation,suspension ou annulation du permis de conduire ou de chas-ser, etc.

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  • Caractre exclusivement tatique

    La sanction est le monopole de lautorit publique. Cest cequexprime ladage nul ne peut se faire justice lui-mme.Cette rgle, ncessaire dans une socit organise, traduit letriomphe de la justice publique sur la justice prive queconnaissent les socits archaques. Non seulement elleprohibe le recours la vengeance mais elle interdit aussi, parexemple, un propritaire de procder lui-mme et sansautorisation la dmolition dune construction empitant surson terrain.

    On relve cependant, ici et l, quelques traces de mcanismesde justice prive. Ainsi, larticle 673 du Code civil permet aupropritaire de couper lui-mme les racines qui avancent surson fonds. De mme, lexpulsion dun perturbateur est, encas durgence, possible sans autorisation pralable.

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