Piron -- La Pauvreté Dans l'Expérience Et La Réflexion Franciscaines

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    La pauvreté dans l’expérience et la réflexion

    franciscaines

    Sylvain Piron

    To cite this version:

    Sylvain Piron. La pauvreté dans l’expérience et la réflexion franciscaines. Alain Leroux, PierreLivet. La pauvreté dans les pays riches. Leçons de philosophie économique, Economica, pp.36-52, 2009.  

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     La pauvreté dans l’expérience et la réflexion franciscaines

    Sylvain Piron, EHESS

    (paru in La pauvreté dans les pays riches. Leçons de philosophie économique, 4,

    Alain Leroux, Pierre Livet (dir.), Paris, Economica, 2!, p. "#$%2)

    A partir du &e si'cle, intervalles plus ou moins r*uliers, le c+ristianisme latin a t travers

     par de puissants mouvements de renouvellement interne dans lesuels la poursuite d-expriences

    reli*ieuses neuves ou rnoves doit tre compris simultanment comme un rvlateur et un moteur

    des trans/ormations sociales, conomiues et politiues en cours. La dynamiue reli*ieuse du

    c+ristianisme est partie prenante de la dynamiue occidentale 0 mme lorsu-elle parat /onctionnersur le mode du reet, elle en appro/ondit en ralit les tendances pro/ondes. L-e//ondrement des

    structures de pouvoir carolin*iennes dans la partie occidentale de l-empire s-est accompa*n d-une

    di//usion du monac+isme 3ndictin dont luny a constitu l-picentre, mais non l-uniue /oyer.

    ette pousse est elle$mme inspara3le de la r/orme dite 5r*orienne ui peut se dcrire comme

    une prise de pouvoir par les moines dans l-6*lise et une trans/ormation des structures ecclsiales

    sur le mod'le monastiue 7 l-imposition du cli3at des prtres tant l-un de ses traits les plus nets.

    8's la /in du &9e si'cle, de nouvelles aspirations se /ont our, ui se traduisent notamment par une

    multiplication d-expriences rmitiues. La /ormule cistercienne est celle ui a le mieux russi

    capter cette tendance, avec plus de % maisons a//ilies l-ordre en moins d-un si'cle, souvent par

    incorporation de /ondations prexistantes. :arement la /uite +ors du monde aura t aussi nettement

    l-occasion d-une action sur le monde. En adoptant comme traits distincti/s l-installation l-cart des

    ;ones +a3ites, l-austrit litur*iue et monumentale et l-insistance sur le travail manuel, avec

    toute/ois le maintien d-une /orte division sociale entre les moines d-ori*ine no3le et les convers non

    no3les, les a33s de teaux, lairvaux et de leurs multiples /iliales sont rapidement devenus

    d-+a3iles < entrepreneurs sacrs =, pour reprendre l-expression /or*e par onstance >ouc+ard 1. A

     partir de la /in du &99e si'cle, la croissance ur3aine et l-mer*ence d-une 3our*eoisie marc+ande

    sont l-ori*ine de courants reli*ieux ui tout la /ois pousent et contestent les traits les plus neu/s

    de leur temps. :eet par les autorits ecclsiastiues dans le cas des pauvres de Lyon de ?ald's, le

     proet d-une vie van*liue et pnitentielle incarn par @ranois d-Assise a t non seulement

    accept par la papaut, mais s-est trouv tre le courant reli*ieux le plus puissant du &999'me si'cle,

    et aussi le plus tumultueux.

    Les /r'res mineurs et plus *nralement les ordres mendiants ui apparaissent au d3ut de ce1 onstance >. >ouc+ard,  Holy Entrepreneurs: Cisterians, ni!hts and Economic Exchan!e in "#elfth$Century

     %ur!undy, 9t+aca (BC), 1!!1.

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    si'cle prsentent des caract'res indits ui sem3lent par/ois monstrueux aux yeux de leurs

    contemporains 0 pour ces raisons, leur expansion a souvent t conteste et com3attue par le cler*

    sculier et ses partisans. 9ls sont, en t+orie du moins, ouverts sans distinction tous les *roupes

    sociaux. Plus scandaleux encore, ces reli*ieux ne vivent pas en/erms dans des clotres mais

    circulent li3rement dans les villes oD ils prc+ent, attirent les /oules ui viennent, en nom3re

    croissant au /il du si'cle, se /aire con/esser dans leurs *lises et enterrer dans leurs cimeti'res.

    omme l-avait 3ien senti acues Le 5o//, la carte de leurs implantations est un 3on marueur du

    dveloppement ur3ain2,  uoiue la pratiue rmitiue soit demeure vive, notamment en 9talie

    centrale, dans les r*ions d-oD est parti le mouvement /ranciscain. 8pourvus de possessions

    /onci'res, ces reli*ieux sans monast'res vivent pour l-essentiel de la mendicit, alors mme u-ils

    seraient en tat de travailler 0 c-est ce scandale ui alimente la polmiue sur les < mendiantsvalides = l-universit de Paris dans les annes 12%. 8ans ce cadre, la marue distinctive des

    /ranciscains est de lo*er au cFur de la < per/ection van*liue = u-ils revendiuent le re/us de

    toute /orme de possession, individuelle ou collective. e re/us de la proprit est une des

     principales cls de leur succ's /oudroyant aupr's d-un monde ur3ain ui prcisment s-en*a*e dans

    la voie de l-accumulation. Pour parap+raser Pierre lastres, on peut dcrire cette /ocalisation sur la

     pauvret du +rist au &999e  si'cle comme < le son*e veill de la ville mdivale, inui'te de

    re/user une ric+esse ui la /ascine ="

    .Si la pauvret van*liue a 3ien t la valeur centrale ui a /ait la /ortune des /r'res mineurs, les

    modalits par lesuelles ils l-ont exploite tmoi*nent d-un 3asculement rapide entre deux mod'les.

    Le proet de @ranois d-Assise tait d-aller vers les pauvres et de se ran*er parmi eux, pour les

    secourir mais plus encore pour se /aire, volontairement, le dernier des +umains. En l-espace de

    uelues dcennies, les disciples de @ranois ont privil*i le seul aspect volontaire de leur

    a3dication de toute possession, en /aisant passer dans l-om3re la uestion du souci des pauvres

    involontaires. e /aisant, ils n-ont pas tra+i l-intention du /ondateur 0 ils ont seulement tir toutes lesconsuences de la situation u-il avait cre. Pour rsumer ce traet d-une /ormule, les /ranciscains

    ont prtendu capter leur pro/it le presti*e reli*ieux de la pauvret en n*li*eant sa ralit sociale.

    Goutes les uerelles concernant la pauvret /ranciscaine, u-elles aient t internes l-ordre ou

    u-elles aient mis les /r'res aux prises avec leurs contradicteurs, ont tourn autour de ce paradoxe.

    Pour a3order @ranois d-Assise, il est ncessaire de commencer par dire un mot des sources ui2 acues Le 5o//, < rdres mendiants et ur3anisation dans la @rance mdivale. Etat de l-enute =, &nnales E'C ,

    2%, 1!I, p. !24$!4#." n peut rappeler la citation exacte J < ultures indiennes, cultures inui'tes de re/user un pouvoir ui les /ascine J

    l-opulence du c+e/ est le son*e veill du *roupe =, Pierre lastres,

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    le concernent4. La pro/usion des rcits, produits rapidement apr's son dc's ou plus tardivement par

    des tmoins directs, donne l-impression trompeuse d-une existence tr's 3ien documente. En ralit,

    c+acun de ces crits de style +a*io*rap+iue c+erc+e imposer une certaine vision du saint et

    correspond une prise de position dans la situation politiue de l-ordre au moment de sa rdaction.

    @ace ces tmoi*na*es ui doivent tre utiliss avec prcaution, il convient d-accorder une

    importance primordiale aux crits de @ranois et tout particuli'rement son "estament , dict peu de

    temps avant sa mort, en 122#. -est en partant de ce texte ue e voudrais montrer par uel

    c+eminement s-est impos le c+oix de la pauvret comme axe maeur de sa vocation reli*ieuse, puis

    comme d/inition de l-identit de l-ordre u-il a /ond.

    e 3re/ et intense rcit auto3io*rap+iue d3ute par un pisode ui marue le premier moment

    de la conversion. Avant de tourner d/initivement le dos la carri're ui lui tait promise, le /ilsd-un ric+e marc+and d-Assise, aux aspirations no3iliaires et c+evaleresues, se mit au service des

    lpreux% J

    Le Sei*neur me donna moi, /r're @ranois, de commencer /aire ainsi pnitence J comme -tais dans les pc+s,

    il me sem3lait extrmement amer de voir des lpreux. Et le Sei*neur lui$mme me conduisit parmi eux et e leur /is

    misricorde. Et en m-en allant de c+e; eux, ce ui me sem3lait amer /ut c+an* pour moi en douceur de l-Kme et du

    corps 0 et apr's cela, e ne restai ue peu de temps et e sortis du si'cle#.

    8ans la Lé!ende des trois compa!nons, rdi*e en 1244$124# par un *roupe des plus anciens

    /r'res, cet pisode est dcompos en deux moments J la suite d-un 3aiser de paix c+an* avec un

    lpreux rencontr sur la route pr's d-Assise, @ranois aurait seulement apport des aumnes la

    lproserieI. 8-autres indices /ra*mentaires su**'rent ue cet en*a*ement initial aupr's des lpreux

    /ut plus dura3le, l-expression < e leur /is misricorde = devant plutt tre comprise au sens de J < e

    me mis uelue temps leur service =. 9l est en tout cas certain ue, dans les premiers temps de la

    4 omme introduction au pro3l'me des sources /ranciscaines, voir acues 8alarun,  La )alaventure de *rançoisd(&ssise. +our un usa!e historique des lé!endes franciscaines, Paris, er/, 22, et en dernier lieu, 9d., < Plaidoyer

     pour l-+istoire des textes. M propos de uelues sources /ranciscaines =, ournal des 'avants, uillet$dcem3re 2I, p. "1!$"%N. Oon interprtation s-appuie lar*ement sur les travaux de 5iovanni Oiccoli,  *rancesco d’&ssisi. -ealte memoria di un’esperien/a cristiana, Gorino, 1!!1, ainsi ue sur les discussions menes avec acues 8alarun et@ranois 8elmas$5oyon dans le cadre d-un sminaire li la prparation d-une nouvelle traduction /ranaise des

     principales sources /ranciscaines, paratre en 2!. La derni're 3io*rap+ie < scienti/iue =, :aoul Oanselli, *rançois d’&ssise, Paris, 24, rdi*e en 1!I!, n-est pas exempte de reproc+es, mais elle o//re du moins un 3on /ilconducteur de la succession des pisodes.

    % Sur la situation des lpreux, voir @ranois$livier Gouati,  )aladie et société au )oyen 0!e : la l1pre, les lépreux etles léproseries dans la province ecclésiastique de 'ens 2usqu(au milieu du 345e si1cle, >ruxelles, 1!!N.

    # @ranois d-Assise,  +remi1re -1!le  (1221), c+. !, in 9d.,  Ecrits, trad. ean$@ranois 5odet, Paris, 1!N1, p. 141(l*'rement modi/ie).

    I 'aint *rançois d’&ssise. 6ocuments. Ecrits et premi1res 7io!raphies, G+op+ile 8es3onnets, 8amien ?orreux ed.,Paris, 1!N1, p. N1"$N14. omme tous les autres rcits ui traitent de la rencontre des lpreux, la  Lé!ende des troiscompa!nons ne /ait ue mettre de la c+air autour du rcit /ait par le "estament propos d-un pisode u-aucun des< compa*nons = n-a connu.

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    vie collective, telle /ut l-une des principales activits des /r'res mineurs, 3ien ue les l*endes

    +a*io*rap+iues tendent minorer ce /aitN.

    8ans les li*nes suivantes du "estament,  la p+ase de conversion personnelle avant la /ondation

    d-une communaut reli*ieuse n-est pas prsente l-aide d-un rcit mais plutt par une exposition

    de la /oi sin*uli're ue @ranois eut alors envers les *lises et les prtres. 8-un point de vue

     3io*rap+iue, ces considrations correspondent la priode oD il s-attela rnover l-*lise en ruine

    de Saint$8amien. Pris comme un tout, ce premier para*rap+e prsente les dispositions prala3les du

     pnitent, avant u-il n-attire lui d-autres /r'res sou+aitant parta*er son existence et ue s-impose la

    dcision de vivre, la lettre, con/ormment l-Evan*ile.

    Goute la vie de @ranois d-Assise peut se dcrire comme une mditation en acte sur la uestion

    de l-9ncarnation 0 celle$ci me sem3le tre d au centre de ses proccupations initiales. Lasoumission et l-o3issance aux prtres leur sont en e//et dues < parce ue dans ce si'cle, e ne vois

    rien corporellement du tr's +aut @ils de 8ieu, sinon son tr's saint corps et son tr's saint san*

    u-eux$mmes reoivent et u-eux seuls administrent aux autres =!. L-importance accorde la

    concentration du sacr dans les *lises et la mdiation sacerdotale tient essentiellement ce

     privil'*e de la communication sacramentelle du corps du +rist. La rencontre des lpreux peut

    *alement tre lue dans la mme lumi're, comme un e//et de sa compr+ension instinctive de

    l-9ncarnation. L-amour du +rist pour l-+umanit s-tend tous, mais il s-atteste au mieux c+e; les/ai3les et les ds+rits dont sus a tenu la place en reetant les +onneurs terrestres et en allant la

    d/aite et au supplice 0 par l-acte d-em3rasser les plus mpriss et meurtris des +umains, @ranois a

    non seulement trouv en eux l-ima*e du +rist, mais plus encore, un moyen d-acc's sa vie sur

    terre. 8ans l-pure du c+eminement spirituel ue prsente le "estament , il n-y a pas lieu de rappeler

    des sc'nes ui, l-inverse, sont dramatises loisir par les rcits +a*io*rap+iues, tels ue le reet

    de l-+rita*e paternel, la renonciation aux ric+esses et la dnudation dans le palais de l-vue

    d-Assise

    1

     0 ce ne sont ue les pripties d-une < sortie du monde = ui peut toute enti're trersume dans l-acte initial d-inversion des valeurs sociales ue constitue la rencontre des lpreux.

    n peut aller plus loin encore et rapporter ce mme /oyer l-une des /acettes de @ranois ui

    s-est le plus /ortement imprime dans l-ima*inaire collecti/. En donnant son /ils uniue pour sauver

    le monde, 8ieu a montr ue sa cration avait une di*nit propre et pouvait tre aime pour elle$

    mme. ette implication souterraine de l-9ncarnation, lon*temps contenue dans le c+ristianisme

    N ?oir Compilatio &ssisiensis, da!li scritti di fra Leone e Compa!ni su '. *rancesco d’&ssisi, Oarino >i*aroni d.,Assisi, 1!!2, !, p. 24 (Q Lé!ende de +érouse,  12, in 6ocuments, p. !N#) J dans les premiers temps de l-ordre,

    l-anne de noviciat se passait au service des lpreux.! "estament , 1, in Ecrits, p. 2I.1 Sur ce point, voir en dernier lieu 8amien >ouet, < 6crire et reprsenter la dnudation de @ranois d-Assise au &999e

    si'cle =, paratre in -ives nord$méditerranéennes, ", 2N, p. 2!$#".

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    antiue et oriental, se dploie en ce d3ut de deuxi'me millnaire c+rtien. -est elle ui conduit

    la revalorisation de l-action dans le monde mentionne plus +aut 11. >ien u-elle produise des e//ets

    considra3les, elle est davanta*e traduite en actes u-explicitement t+matise. Le coup de *nie de

    @ranois d-Assise a t de donner une /i*ure tan*i3le cette nouvelle compr+ension du +rist et

    la si*ni/ication de son passa*e terrestre. -est cela ue tient le retentissement extraordinaire de ses

    *estes dans la socit mdivale. La dcision de se mettre dans les pas du +rist ne conduit pas

    seulement < sortir du monde =, selon une /ormule monastiue traditionnelle, mais aussi l-aimer,

    depuis une position ui n-est pas tant caractrise par l-extriorit ue par l-in/riorit radicale.

    ette dmarc+e impliue des tapes +a3ituelles de l-asc'se reli*ieuse telles ue l-+umiliation et la

    morti/ication 0 mais au lieu d-un reet du monde, elle se prolon*e dans un amour de toutes les

    cratures de 8ieu, y compris les animaux, les plantes et les lments. e trait, dont tmoi*nent leCantique de fr1re soleil 12  et de nom3reux pisodes l*endaires, s-exprime de /aon plus

    am3ivalente /ace aux +umains ui sont tour tour, ou simultanment, maudits et aims, pour et

    mal*r leurs pc+s.

    Pour 3ien saisir ce ue cette traectoire a d-exceptionnel, il /aut insister sur une autre tension

    interne. L-o3issance est un matre mot des crits de @ranois, mais sa dtermination suivre une

    voie dont lui seul connat la direction est tout aussi maruante. Les p+rases ui suivent dans le

    "estament en o//rent l-une des expressions les plus /ortes J

    Et apr's ue le Sei*neur m-eut donn des /r'res, personne ne me montrait ce ue e devais /aire, mais le Gr's$Haut

    lui$mme me rvla ue e devais vivre selon la /orme du saint 6van*ile. Et moi e le /is crire en peu de mots et

    simplement, et le sei*neur pape me con/irma.

    Le propositum dont il est ici uestion, prsent 9nnocent 999 en 121, ne constitue ue le noyau

    initial d-un texte ui a ensuite t retravaill par @ranois et les /r'res, usu- son appro3ation

    d/initive en 122". La di//icult /ormaliser le mode de vie de la /raternit primitive peut tre

    exempli/ie par une sc'ne cl'3re, rapporte par plusieurs l*endes, ui doit pro3a3lement tre

    situe lors du c+apitre *nral de 1222. Rne rdaction soumise l-anne prcdente ayant t reete

     par la papaut, un *roupe de /r'res ui proposaient de s-inspirer de r'*les monastiues existantes

    demand'rent au cardinal Hu*olin (/utur pape 5r*oire &9) d-intercder aupr's de @ranois. elui$

    ci, ayant entendu les conseils du prlat, l-entrana devant l-assem3le des /r'res et parla ainsi J

    11 Oarcel 5auc+et voit en ce point l-axe maeur du tournant occidental du &9e si'cle, c/.  Le désenchantement dumonde. Une histoire politique de la religion, Paris, 1985, p. 115-117.

    12  Ecrits, p. "42$"44.

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    Oes /r'res, mes /r'res, 8ieu m-a appel par la voie de la simplicit et m-a montr la voie de la simplicit. e ne

    veux pas ue vous me parlie; de uelue :'*le ue ce soit, ni de saint Au*ustin, ni de saint >ernard, ni de saint >enot.

    Et le Sei*neur m-a dit u-il voulait ue e sois, moi, un nouveau /ou dans le monde ( quod e!o essem unus novellus

     pa//us in mundo)1".

    ette derni're expression doit s-entendre en c+o la /ormule de saint Paul parlant de la /olie de

    la croix (9 orint+iens 1,1N$"1), oppose la sa*esse mondaine des /r'res lettrs 7 dans un

    dplacement si*ni/icati/ ui s-oppose, non pas un savoir pro/ane, mais l-usa*e de textes

    canoniues les plus respecta3les ui soient. L-pisode permet ainsi de saisir un point essentiel. 8ans

    la tradition monastiue, l-o3issance est avant tout conue comme renoncement sa volont propre.

    Goute/ois, ici, cette drliction de la volont ne conduit pas s-en remettre un suprieur +umain,

    mais 8ieu lui$mme. @ranois a*it selon la conscience u-il a de ce ue le Sei*neur attend de lui,

    avec un enttement aussi /ort ue sa volont d-o3ir est *rande. ertes, on ne trouve dans ses

     propos et ses actes aucune remise en cause des structures ecclsiales. Son proet van*liue

    s-inscrit l-intrieur de l-E*lise romaine, dans le respect des prtres et des *lises, ui o//rent

    l-uniue acc's sacramentel au +rist. Goute/ois, la si*ni/ication de ses actes est intrins'uement

     porteuse d-une critiue, puisu-ils dmontrent u-aucune /orme de vie institue ne permettait de

    vivre int*ralement selon l-Evan*ile. La voie c+oisie est celle d-une < sortie du monde =, au sens

    d-un re/us des valeurs terrestres 0 pourtant, elle ne conduit pas uitter le monde social pour entrer

    dans le clotre. n pourrait rsumer cette dmarc+e en parlant d-un c+oix d-+a3iter le monde sans

     amais s-y installer, en menant parmi les +ommes une vie itinrante et mendiante. Pour revenir la

    suite du "estament , on peut y entendre ce proet exprim avec la simplicit voulue J

    Et ceux ui venaient pour recevoir cette vie, tout ce u-ils pouvaient avoir, ils le donnaient aux pauvres 0 et ils se

    contentaient d-une seule tuniue, rapice au dedans et au de+ors, avec une ceinture et des 3raies. Et nous ne voulions

     pas avoir plus.

    Le re/us de possder uoi ue ce soit, commencer par des 3Ktiments propres et des terres, a

    donc t le principal marueur de la vie des /r'res mineurs J pauvres parmi les pauvres, ils occupent

    au dernier ran* de la socit et de l-E*lise, dont ils ne veulent tre ue des +tes de passa*e.

    Les l*endes +a*io*rap+iues sur @ranois d-Assise rapportent de nom3reux pisodes de sa

    compassion l-*ard des indi*ents. Le texte prsent connu sous le titre de Compilation d’&ssise

    correspond pour l-essentiel aux souvenirs de /r're Lon, secrtaire de @ranois et tmoin privil*i

    de ses derni'res annes. :di*s tardivement, en 1244$124#, ces souvenirs mettent en avant les

    1" Compilatio &ssisiensis, 1N, p. %#. Les italianismes de cette derni're expression o//rent un indice /ort d-aut+enticit.

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     pratiues asctiues du /ondateur, dans une critiue implicite de l-volution suivie par l-ordre entre

    temps. ette insistance conduit Lon multiplier les rcits de sc'nes dans lesuelles @ranois donne

    ses +a3its des pauvres, dans un potlatc+ de la dpossession. Le mme *este recouvre plusieurs

    si*ni/ications J outre l-accomplissement d-un devoir de c+arit c+rtienne ui ne connat pas de

    limites, on peut y lire une /orme d-or*ueil du dnuement volontaire. Rn pisode remarua3le le

    montre ainsi +onteux de rencontrer sur la route un +omme plus pauvre ue lui, ce u-il expliue en

    ces termes au /r're ui l-accompa*ne J

    < -est pour moi une *rande +onte de rencontrer uelu-un ui soit plus pauvre ue moi, alors ue -ai c+oisi la

    sainte pauvret comme dame, pour u-en elle soient mes dlices et mes ric+esses spirituels et corporels 0 et cette parole

    a retenti dans le monde entier, ue e pro/esse la pauvret aupr's de 8ieu et des +ommes. -est pouruoi e dois me

    sentir +onteux de rencontrer un +omme ui soit plus pauvre ue moi =14.

    L-eneu maeur de l-institutionnalisation de l-exprience collective a t de trans/ormer des

    exi*ences aussi intenses en r'*le de vie pour une communaut dont les mem3res se sont rapidement

    compts par milliers. 8ans la plus ancienne rdaction conserve de la  -1!le (1221), le c+apitre

    concernant les aumnes o//re une 3onne vision de ce u-impliuait alors la pratiue de la pauvret.

    n y remarue encore des traces de la proximit des lpreux, dans une p+rase ui est en revanc+e

    supprime de la rdaction d/initive J

    ue tous les /r'res s-appliuent suivre l-+umilit et la pauvret de notre Sei*neur sus$+rist et u-ils se

    rappellent ue du monde entier, nous ne devons rien avoir d-autre ue ce ue dit l-Aptre J < Si nous avons des aliments

    et de uoi nous couvrir, nous en sommes contents = (9 Gim #,N). Et ils doivent se rouir uand ils vivent parmi des

     personnes viles et mprises, parmi des pauvres et des in/irmes et des malades et des lpreux et des mendiants le lon*

    du c+emin. Et uand cela sera ncessaire, u-ils aillent l-aumne. Et u-ils n-aient point +onte et u-ils se rappellent

     plutt ue notre Sei*neur sus$+rist, le @ils du 8ieu vivant et tout$puissant, rendit sa /ace comme une pierre tr's dure

    et n-a pas eu +onte. Et il /ut un pauvre et un +te, et il vcut d-aumnes, lui et la 3ien+eureuse ?ier*e et ses disciples.1%

    L-un des points les plus nota3les de ce para*rap+e concerne la di//icult parta*er l-tat des

    mendiants et e//acer la +onte ressentie lorsu-il /aut s-a3aisser demander l-aumne. omme leur

    appellation populaire le souli*ne, la mendicit est le caract're distincti/ des nouveaux ordres

    reli*ieux. Son exercice, impos tous les mem3res des communauts, ne va pourtant pas sans

    em3arras, notamment pour des /r'res ui occupent les /onctions diri*eantes au sein de l-ordre, et

    ui ont /ruemment une ori*ine sociale leve. En *uise de correction de suprieurs ou3lieux de14 Compilatio &ssisiensis,  11", p. "I".1% @ranois d-Assise, +remi1re -1!le (1221), c+. !, in 9d., Ecrits, p. 141.

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    9/15

    N

    leur devoir d-+umilit, la pnitence la plus e//icace consiste leur rappeler l-o3li*ation d-aller

    uter de porte en porte (ostiatim) deux /ois par an, comme l-impose par exemple au d3ut du &9?e

    si'cle un ministre *nral de l-ordre aux responsa3les des couvents de Goscane ui sem3lent avoir

    dl*u cette tKc+e +onteuse leurs su3ordonns1#.

    La mendicit n-est pas u-un exercice spirituel 0 elle met concr'tement les /r'res mineurs en

    concurrence avec les pauvres ui en tirent leur su3sistance. @ranois d-Assise en avait conscience,

    comme le rappelle un autre souvenir de /r're Lon J

    Le 3ien+eureux @ranois rptait /ruemment ces paroles aux /r'res J < e n-ai amais t un voleur, pour ce ui est

    des aumnes, ui sont l-+rita*e des pauvres 0 -en ai touours accept moins u-il ne me /allait, a/in ue les autres

     pauvres ne soient pas /rustrs de leur part, car a*ir autrement serait un vol. =1I

    n peut *alement entendre cette remarue comme l-expression d-un respect *lo3al leur *ard,

    compara3le toutes proportions *ardes celui dT aux prtres, en raison de l-occasion de salut u-ils

    /ournissent aux c+rtiens ui leur /ont l-aumne. Oais on doit aussi tenir compte des possi3les

    sous$entendus polmiues de ce souvenir, rdi* un moment oD les ordres mendiants sont accuss

    de prendre la part ui revient aux indi*ents.

    En e//et, la uestion de l-aumne est alors un t+'me dont la pertinence exc'de lar*ement la seule

    situation /ranciscaine. n peut prendre tmoin 5uillaume d-Auver*ne, matre en t+olo*ie acti/

    Paris dans les annes 122, auteur de la premi're *rande somme de t+olo*ie. Le trait de l-aumne

    insr dans sa 'umma aurea a l-intrt d-o//rir une /erme mise en perspective. La conclusion d-une

    discussion sur les 3n/iciaires de l-aumne donne l-occasion de rappeler le sens et la vertu de cette

     pratiue J elle est due < aux pauvres en ui est l-ima*e de 8ieu et la ntre, et ce ue nous leur

    donnons, d-une certaine mani're, nous le donnons 8ieu, car ils sont l-ima*e de 8ieu et nous leur

    donnons en tant u-ils sont tels =1N. ette d/inition a notamment le mrite de /aire ressortir ue les

    < pauvres =dont il est uestion ne sont pas tant conus par les t+olo*iens comme une classe sociale

    ue comme une cat*orie reli*ieuse.

    omparant l-utilit respective du eTne et de l-aumne, considrs comme les deux principaux

    moyens de rmission des pc+s o//erts aux c+rtiens, 5uillaume met en avant un 3ien/ait

    1# 5eroldus @ussene*er, < 5un;alvus Hispanus, Oinister *eneralis, visitat Provinciam G+usciae =,  &rchivum *ranciscanum Historicum, 4%, 1!%2, p. 2". La t+matiue de la +onte tient une place importante dans l-+istoire dela pauvret 0 partir de la /in du Ooyen A*e, les pratiues d-assistance distin*uent les < pauvres +onteux =,mem3res de /amilles no3les ou 3our*eoises destitues ui sont secourus sans avoir mendier eux$mmes, des< personnes misra3les =.

    1I Compilatio  &ssisiensis, 1%, p. %.1N 5uillelmus Altissiodorensis, 'umma aurea, ean :i3aillier d., Paris$5rotta/errata, 1!N#, t. 999$1, p. 44# J  Ex

     predictis patet qui7us danda est elemosina, scilicet pauperi7us in qui7us est yma!o 6ei et nostra, et quod eisdamus, quodam modo 6eo damus, cum ipsi sint yma!o 6ei et eis demus, in quantum tales sunt .

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    !

    supplmentaire inclus dans la seconde J < dans l-o//rande de l-aumne, il y a une oie de l-esprit ui

    /avorise la dvotion et contri3ue au*menter la c+arit alors ue, au contraire, les +ommes sont

    +a3ituellement plus tristes les ours de eTne =1!. Rne ualit ue l-on aurait pu penser typiuement

    /ranciscaine se rv'le tre une valeur plus lar*ement parta*e. En revanc+e, sur la uestion de

    l-a3andon de la totalit de ses 3iens, 5uillaume laisse apparatre des rserves l-*ard d-un

    mouvement dont il a d pu rencontrer des adeptes J donner tous ses 3iens aux pauvres sans avoir

    l-espoir d-o3tenir par ailleurs les ressources ncessaires la vie uotidienne serait un pc+ mortel,

    moins d-avoir le proet d-entrer dans une institution monastiue ( propositum intrandi claustrum)

    ui assurera la su3sistance du pnitent 0 on peut alors considrer ue ce dernier retient tout ce ui

    est ncessaire sa survie et ne distri3ue pas ses 3iens de /aon excessive. A3andonner sans rserve

    la totalit de son avoir pour ne se con/ier u- la seule providence uotidienne, comme la  -1!le/ranciscaine le rclame, serait donc tout sau/ recommanda3le2.

    5uillaume d-Auxerre est *alement un auteur important sur un autre t+'me connexe ui nous

    intresse directement. 9l est en e//et le premier matre parisien ui ait /ait sienne une doctrine

    la3ore par les canonistes de >olo*ne la /in du &99 e  si'cle, visant usti/ier le vol en cas

    d-extrme ncessit21. 5uillaume rassem3le les deux principales li*nes ar*umentatives invoues en

    ce sens. Le droit naturel ui r*issait les rapports entre les +umains avant la c+ute ne connaissait pas

    la division des proprits 0 celle$ci est un e//et du pc+ ori*inel ui a rendu les +umains inuiets,*oUstes et m/iants. 8ans les situations de ncessit extrme, lorsu-il y a risue pour la survie

    individuelle, il est possi3le d-invouer cette norme suprieure, condition u-il ne s-a*isse ue

    d-o3tenir le strict ncessaire. ette position a t lar*ement reprise au cours du &999 e  si'cle,

    notamment par les t+olo*iens /ranciscains.

    es pa*es de 5uillaume d-Auxerre sont antrieures aux premi'res polmiues ouvertes contre

    les mendiants mais elles si*nalent d des rticences accepter une /orme de vie situe entre le

    clotre et le monde des laUcs. Les premi'res salves /urent tires par le matre sculier 5uillaume deSaint$Amour dans les annes 12%, ui dnona vi*oureusement les reli*ieux mendiants comme

    des < /aux aptres = annonciateurs de la /in des temps. La pratiue de la mendicit par des +ommes

    en tat de travailler de leurs mains n-est u-un des traits scandaleux au sein d-une dnonciation plus

    vaste de l-arro*ance des mendiants ui paraissent a*ir de leur propre autorit, crant leurs propres

    traditions intellectuelles (notamment dans le domaine de l-ex*'se 3i3liue) et captant leur pro/it

    des sources de revenus du cler* sculier. La d/aite et l-exil in/li*s 5uillaume ne mirent pas /in

    1!  47id ., p. 44.2  47id ., p. 44I$44N.21 5illes ouvreur,  Les pauvres ont$ils des droits 8 -echerches sur le vol en cas d’extr9me nécessité depuis la

    Concordia de ratien ;

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    1

    une +ostilit ui re/it sur/ace avec 5rard d-A33eville la /in des annes 12#, puis au d3ut des

    annes 12N, lorsue les matres sculiers s-alli'rent une protestation d-vues /ranais ui

    dnonaient la permission accorde aux mendiants par le pape Oartin 9? d-exercer leurs activits

     pastorales sans avoir demander d-autorisation. Avant mme de devoir se usti/ier /ace de telles

    attaues, les intellectuels /ranciscains en*a*'rent une r/lexion sur leur propre situation, visant

     prciser les implications de la :'*le, ne serait$ce u-a/in de dterminer uels types de privil'*es

    taient compati3les avec leur statut. Parall'lement au travail d-la3oration normative ui culmina

    dans l-adoption de constitutions *nrales lors du c+apitre *nral de Bar3onne en 12#, les

    t+olo*iens de l-ordre /or*'rent pro*ressivement un ar*umentaire ui a t ustement t tudi

    comme la d/inition pro*ressive d-une < identit /ranciscaine =22.

    8ans le voca3ulaire des /r'res mineurs, +umilit et pauvret sont deux notions connexes ui serecoupent pour partie 0 les premiers mots du c+apitre des aumnes de la  -e!ula non 7ullata  cit

     plus +aut en donnent un 3on exemple. Au /il des traits apolo*tiues, on peut suivre une oscillation

     pour savoir lauelle des deux notions doit avoir le pas sur l-autre. 8ans son commentaire de la

     -1!le, au d3ut des annes 124, Hu*ues de 8i*ne *lose ainsi le c+oix par @ranois de se dsi*ner,

    lui et ses compa*nons, comme des < /r'res mineurs = J

    Par ce nom, le saint a exprim non seulement la pauvret mais plus encore l-+umilit dans lauelle il a voulu uevivent les /r'res, a/in ue, con/ormment ce nom, eux et leur conduite soient les plus +um3les. L-+umilit est aussi

    troitement associe l-tat de /r're mineur ue le nom, l-+a3it et le mode de vie prescrits par la r'*le, tel point u-un

    /r're ui re/userait d-tre +um3le ne serait en rien mineur .2"

    8ans la dcennie suivante, >onaventure accepte la mme primaut dans ses @uestions sur la

     perfection évan!élique, en /aisant de l-+umilit < la somme de toutes les per/ections c+rtiennes = 24 

    d-oD drivent les autres vertus. Pourtant, au cours de d3ats ultrieurs, un l've de >onaventure ui

    se voulait /id'le son matre a t conduit renverser cet ordre de priorit. 8ans ses propres@uestions sur la perfection évan!élique, rdi*es en 12I!, Pierre de ean livi /ait de la pauvret la

     pierre an*ulaire de toute la vie /ranciscaine. es textes mritent ue l-on s-y attarde, et pas

    uniuement en raison des polmiues u-ils ont suscites durant plusieurs dcennies. 9ls me

    sem3lent en e//et o//rir la conceptualisation la plus /ine et la plus ai*uV de l-exprience

    /ranciscaine2%.

    22 :o3erto Lam3ertini,  &polo!ia e crescit dell(identit francescana ;urr, Dlivi and *ranciscan +overty. "he Dri!ins of the sus +auper Controversy, P+iladelp+ia, 1!N!.

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    11

    Plusieurs raisons permettent d-expliuer u-un Lan*uedocien, n plus de vin*t ans apr's la mort

    de @ranois d-Assise, ait t dans la meilleure position pour tirer toutes les consuences

    t+olo*iues de son messa*e. Le recul, prcisment, et le point d-appui o//ert par les travaux de ses

     prdcesseurs o//rent deux explications possi3les, mais le moti/ essentiel est c+erc+er ailleurs. Les

     premi'res *nrations d-intellectuels /ranciscains taient composes d-universitaires venus l-ordre

    alors u-ils avaient d reu leur premi're /ormation 0 certains taient matres en t+olo*ie, comme

    Alexandre de Hales, d-autres, eunes tudiants comme ean de Parme ou >onaventure. En ralit, ce

    n-est ue tardivement u-accd'rent au premier plan des /r'res ayant pris l-+a3it dans leur eunesse

    et int*ralement /orms dans le rseau des centres d-tudes /ranciscains. :eu dans l-ordre vers

    12# >;iers, l-K*e de dou;e ans, duu par des /r'res de la premi're ou de la deuxi'me

    *nration, livi est l-un des premiers dont on peut dire ue son pro/il intellectuel est int*ralement/ranciscain et l-un des derniers ui ait *randi au contact de tmoins directs de l-poue +roUue.

    Le contexte et la position depuis lauelle il intervient doivent *alement tre pris en compte. A la

    /in des annes 12I, c-est pour se d/endre de critiues ui provenaient dsormais *alement de

    leurs anciens allis dominicains ue les responsa3les de l-ordre /ranciscain demand'rent au pape de

     prparer une nouvelle explication o//icielle de la  -1!le  ui les mettrait l-a3ri de leurs

    contradicteurs. Ensei*nant la t+olo*ie dans les coles de l-ordre, sans avoir encore o3tenu de

    diplmes universitaires, livi rdi*e ses quaestiones dans la crainte ue la commission institue par Bicolas 999 pour prparer la nouvelle 3ulle remette en cause des aspects du vFu de pauvret

    essentiels ses yeux. 9l ne rclame pas un retour aux pratiues de la premi're /raternit

    /ranciscaine, mais seulement le maintien des normes /ixes durant le *nralat de >onaventure,

    dans les annes 12#. es menaces lui inspirent un plaidoyer particuli'rement pntrant.

    Plus u-un primat, la pauvret volontaire constitue pour lui la valeur en*lo3ante ui rsume

    l-en*a*ement van*liue. Elle exprime elle seule le sens de l-9ncarnation et le paradoxe de

    l-inversion c+ristiue J c-est en renonant radicalement tout pouvoir terrestre sur les +ommes etles c+oses ue le +rist a montr ue son royaume tait d-une autre nature. ette pa*e mrite d-tre

    lue attentivement J

    ue cette tr's +aute pauvret est la plus con/orme au +rist WXY la +auteur de son pouvoir le montre. ar cela eut

    t une *rande indi*nit pour le +rist, sei*neur (dominus) universel de toutes c+oses, de rclamer pour lui$mme une

    sei*neurie (dominium) propre sur uoi ue ce soit, et surtout sur des 3iens temporels, et plus encore de la /aon dont les

    +ommes se les approprient. ette pauvret a mieux dmontr le pouvoir universel du +rist ue ne l-aurait /ait uelue

    a3ondance de ric+esses +umaines, car le vrai matre des 3iens temporels est celui ui les mprise et les /oule aux pieds.Autrement, il n-est pas pleinement au$dessus d-eux. Si le +rist n-avait mani/est u-il mprisait et ddai*nait au plus

    +aut point les c+oses, il n-aurait pas pleinement mani/est sa sei*neurie la plus spirituelle ui transcende toute c+ose,

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    12

    mme selon son +umanit. Si le +rist avait eu uelue pouvoir et sei*neurie temporelles, ce u-il a /ait de vertueux

    dans le monde aurait davanta*e t attri3u au pouvoir des ric+esses u-au pouvoir de sa divinit et sa saintet.

    Lorsu-il a accompli des miracles, tant le plus pauvre ui soit, cela n-a pu tre attri3u aucun pouvoir temporel, mais

    au seul pouvoir divin et spirituel.2#

    La clart du propos n-appelle *u're de commentaires. 9l /aut toute/ois prciser ce u-impliue la

    /ormule < mme selon son +umanit =. Le +rist$+omme devait tre le dernier des +umains pour

     pouvoir accueillir la divinit et pointer vers elle. Sa par/aite pauvret n-est pas l-e//et d-un privil'*e

    dcoulant de son union la nature divine, mais au contraire, un dploiement de la condition

    +umaine dans ce u-elle a de plus spirituel en elle, ui lui permet de communiuer avec le divin2I.

    La per/ection van*liue a t vcue par le +rist dans son +umanit, pour tre donne en mod'le

    aux aptres, comme une /orme de vie dont @ranois a opr la rnovation et u-il a ainsi rendu

    accessi3le et compr+ensi3le ses contemporains.

    9l n-est pas exa*r d-a//irmer ue, dans ce passa*e et uelues autres, livi explicite la

    compr+ension intuitive de l-9ncarnation ue @ranois d-Assise a exprim par ses actes, mieux

    u-aucun autre t+olo*ien /ranciscain avant lui. A dire vrai, il est di//icile de se d/aire du sentiment

    u-livi pense l-+umanit du +rist au moyen de l-exemple /ourni par @ranois. 8u reste, il en a

    lui$mme la conscience +istoriue et il en /ait la t+orie, puisue cette identit par rnovation est au

    cFur de sa t+olo*ie de l-+istoire comme de son +ermneutiue 3i3liue. 8ans cette opration, la

     pauvret est ri*e en valeur t+olo*iue maeure. omprise de la sorte, c-est d-elle dont dcoulent

    toutes les autres vertus, commencer par l-+umilit.

    ette interprtation de la pauvret comme vertu s-oppose la conception d/endue par G+omas

    d-Auin et les dominicains ui ne la peroivent u-en tant u-instrument de per/ection, et non pas

    comme une per/ection en soi, et la ran*ent au plus 3as niveau des trois vFux monastiues

     puisu-elle ne concerne ue le rapport aux 3iens matriels2N. Plus important encore, livi entre ici

    en con/lit avec une tendance dominante dans l-ordre /ranciscain apr's le dc's de >onaventure

    (12I4) et dont la 3ulle /inalement mise par Bicolas 999 en aoTt 12I!, Exiit qui seminat , o//re la

    traduction. La d/inition de la pauvret /ranciscaine tend se rduire un statut uridiue particulier

    des 3iens dont les /r'res mineurs n-auraient ue le < simple usa*e de /ait = ( simplex usus facti) et

    sur lesuels la papaut exercerait pour eux le droit de proprit.

    2# Petrus 9o+annis livi, @uaestio de altissima paupertate  (@uaestio de perfectione evan!elica, N), in o+annesSc+la*eter, 6as Heil der &rmen und das 5erder7en der -eichen. +etrus ohannis Dlivi D*). 6ie *ra!e nach derhFchsten &rmut , Zerl,1!N!.

    2I Pour les mmes moti/s, livi s-oppose tr's /ortement l-ide d-une immacule conception de Oarie, ui terait toutmrite au consentement de la ?ier*e.

    2N Sur cette polmiue, voir Oarie$G+r'se d[Alverny, < Rn adversaire de saint G+omas J Petrus 9o+annis livi =, in 't"homas &quinas

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    1"

    Pour le /r're lan*uedocien, le vFu de pauvret ne saurait se limiter la seule a3dication de tout

    rapport de droit aux 3iens utiliss 0 il doit en outre inclure un < usa*e pauvre = (usus pauper ) de ces

     3iens. Le rapport ui lie ces deux notions est compar au lien entre la mati're et la /orme. M l-instar

    de la mati're premi're, le seul renoncement possder serait con/us, insta3le et vain s-il ne

    s-exerait selon une intention de vivre pauvrement. Le vFu de pauvret ne serait u-une +ypocrisie

    s-il pouvait s-accompa*ner d-un mode de vie luxueux, ui contredirait ce uoi le peuple c+rtien

    s-attend de la part des /r'res mineurs, ruinant ainsi la dimension exemplaire de la per/ection

    van*liue. 8e cet usa*e pauvre, livi ne prtend pas /ixer les limites, si ce n-est comme une

    < latitude = d-a*ir de /aon plus ou moins sv're, selon les circonstances et les possi3ilits de

    c+acun. En dernier ressort, cette limite tient la seule conscience ue c+aue /r're a d-tre ou non

    /id'le sa vocation.ette description du vFu de pauvret comme en*a*ement indtermin a constitu la principale

    ci3le des dtracteurs de l-usus pauper . Souli*nant le risue permanent de trans*ression ue /erait

    courir une promesse dont les contours ne seraient pas d/inis l-avance, ils mettent en avant une

    conception uridiue plus /ormaliste du vFu ui c+erc+e ramener l-idal van*liue un nom3re

    limit de prescriptions explicites. La 3ulle Exiit qui seminat  allait d en ce sens. Elle a de surcrot

    t porteuse d-e//ets secondaires considra3les, en reconnaissant ue la :'*le en*a*eait elle seule

    les /r'res sur une voie de per/ection. A l-a3ri de cette protection ponti/icale, des amna*ements avecles prescriptions de la :'*le ont t /acilits, en /acilitant la *estion par des tiers d-oprations

    interdites aux /r'res. L-exemple des /ranciscains de Goscane montre une volution saisissante dans

    les derni'res dcennies du &999e si'cle et au d3ut du &9?e2!. Le premier point maruant concerne la

    /in de l-itinrance. 8sormais, les /ranciscains ne uittent plus *u're leur ville ou leur r*ion

    natale 0 le couvent /ranciscain devient avant tout une institution locale, dans lauelle les cadets de

    /amilles puissantes trouvent exercer une /orme d-in/luence dans la socit ur3aine, en

    reproduisant l-intrieur de la maison reli*ieuse la strati/ication sociale et les con/lits politiues dumonde ui les environne. 9ls reoivent, en tant ue < pauvres du +rist =, des le*s ui leur

     permettent de 3Ktir des *lises monumentales et 3n/icient de dons titre personnel de la part de

    leurs /amilles c+arnelles. Sous ces di//rents aspects, les /ranciscains ne se distin*uent plus des

    autres reli*ieux, et c-est l tout le pro3l'me. L-exemplarit de la vie van*liue n-est plus

    accessi3le u- travers l-ima*e et la mmoire du saint /ondateur, et non plus dans le mode de vie

    uotidien de ses disciples.

    -est dans ce contexte u-il /aut comprendre l-mer*ence du mouvement des Spirituels

    2! S. Piron, < Rn couvent sous in/luence. Santa roce autour de 1" =, paratre dans Bicole >riou, acues+i//oleau (ds.), Gconomie et reli!ion. L’expérience des ordres mendiants ;3444e$35e si1cle?, Lyon, 2!.

  • 8/18/2019 Piron -- La Pauvreté Dans l'Expérience Et La Réflexion Franciscaines

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    /ranciscains, dont livi a t l-un des principaux inspirateurs". 8avanta*e u-un courant radical

    c+erc+ant revenir au mode de vie de la communaut primitive, il incarne simplement une volont

    de maintenir les pratiues d/inies du temps de >onaventure. Perscuts en 9talie centrale et en

    Lan*uedoc, de /aon plus intense partir de la premi're dcennie du &9?e si'cle, les protestations

    des Spirituels ui rclamaient de pouvoir o3server la :'*le telle u-ils la comprenaient /urent

    entendues par lment ?, l-issue de lon* d3ats (1"1$1"12) ac+evs lors du concile de ?ienne.

    Pourtant, /aute d-une dcision su//isamment ner*iue, le dc's du pape permit aux suprieurs de

    reprendre la main. Avec l-lection de son successeur, ean &&99, en 1"1#, ils o3tinrent rapidement

    la punition de *roupes u-ils dcrivaient comme re3elles. Pendant ue l-inuisition svissait contre

    les Spirituels et leur entoura*e laUc"1, le souverain ponti/e a toute/ois pris son temps avant de

     prononcer des condamnations doctrinales 7 en l-occurrence, celle du commentaire de l-Apocalypsed-livi ui /ut dclar +rtiue en 1"2#"2. Entre temps, le pape avait remis en uestion les deux

     principaux points d-appui de la pauvret /ranciscaine. A la suite d-une tr's lar*e consultation

    ouverte en 1"22, le pape dclara u-il tait /aux d-a//irmer ue le +rist et les aptres n-avaient rien

     possd en propre ou en commun et, avec un e//et plus immdiat encore, il renona au droit de

     proprit t+oriue ue le saint Si'*e exerait sur les 3iens utiliss par l-ordre"". 8e la sorte, il avait

    mis /in un privil'*e des /r'res mineurs ui, avec le temps, paraissait tre devenu exor3itant et

    inusti/i. Les diri*eants de l-ordre entr'rent apr's coup en con/lit avec le pape, la /aveur de luttes politiues en 9talie, en s-alliant avec l-empereur Louis de >avi're en 1"2N, mais leur dissidence ne

    suscita *u're de soutien populaire. Plusieurs /acteurs permettent d-expliuer le c+an*ement de

    climat, ue ce soit le retournement de la cononcture conomiue (les annes 1"1 maruent le

    d3ut d-une dpression sculaire) ou d-autres trans/ormations politiues et sociales (les monarc+ies

    et principauts territoriales se sont rapidement consolides au tournant du si'cle). La pauvret du

    +rist avait cess de /onctionner comme miroir d-une socit. La normalisation opre par ean

    &&99 a sonn le *las d-une poue

    "4

    .

    " Pour une vue d-ensem3le, c/. 8avid >urr, "he 'piritual *ranciscans.. *rom +rotest to +ersecution in the Century &fter 'aint *rancis, Rniversity Par\ (Penn.), 2".

    "1 Louisa A. >urn+am, 'o reat a Li!ht, 'o reat a 'moe: "he %e!uin Heretics of Lan!uedoc, 9t+aca (B.C.), 2N."2 S. Piron, < ensures et condamnation de Pierre de ean livi J enute dans les mar*es du ?atican =,  )élan!es de

    l’Gcole française de -ome$ )oyen 0!e, 11N$2, 2#, p. "1"$"I"."" En dernier lieu, Patric\ Bold, +ope ohn 3344 and his *ranciscan Cardinal. %ertrand de la "our and the &postolic

     +overty Controversy, x/ord, 2"."4 8idier Lett, n proc1s de canonisation au )oyen &!e. Essai d’histoire sociale. Iicolas de "olentino,