Pigé Magazine n°9

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Numéro 9 Décembre 2009 / www.pigemag. com PIGÉenquêté Nouvelle carte électorale pour 2012 Pages 18/20 PIGÉtesté Quand la chimie amuse nos papilles Page 29 PIGÉeurope Pourvu que ça Mur ! Pages 6/7 Perspective architecturale, selon un projet du groupe Descartes : Le parc de Vincennes à Paris réaménagé. Pages 8 à 17 Villes de demain, villes durables ? Villes de demain, villes durables ? É Le journal de l'IEPG PIG magazine

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Découvrez le neuvième numéro de "Pigé Magazine", le magazine semestriel des étudiants du Master en journalisme de Sciences Po Grenoble ! Au sommaire de ce numéro, à l'occasion du sommet de Copenhague, une réflexion sur la ville de demain... Découvrez aussi la cuisine moléculaire, et tellement d'autres choses !

Transcript of Pigé Magazine n°9

Page 1: Pigé Magazine n°9

Numéro 9 D é c e m b r e 2 0 0 9 / w w w . p i g e m a g . c o m

PIGÉenquêté • Nouvelle carte électorale pour 2012 Pages 18/20

PIGÉtesté • Quand la chimie amuse nos papilles Page 29

PIGÉeurope • Pourvu que ça Mur ! Pages 6/7

Perspective architecturale, selon un projet du groupe Descartes : Le parc de Vincennes à Paris réaménagé.

Pages 8 à 17

Villes de demain,villes durables ?

Villes de demain,villes durables ?

É Le journal de l'IEPGPIGmagazine

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Grenoble-MontagneLes passionnés de la montagne vont êtrecontents. Un site plein d’informations pratiques et d’actualités sur la montagne,c'est bien utile quand on vit dans la région.Une idée de sortie ou une randonnée ?Direction le site Internet. Toutes les infos sontrépertoriées : la météo, les gîtes, les baladeset même une base de données de la « Bibliothèque montagne », pour trouver l'ouvrage qui correspond à nos désirs.

www.grenoble-montagne.fr

On the rail to CopenhagenLe sommet de Copenhague en décembre 2009, un moyen de faire changer les choses et de trouver de vraies solutionspour lutter contre le réchauffement climatique ? En tout cas, certains jeunes Européens y croient. De Grenoble à Bruxelles,Adrien Labaeye, auteur de ce blog a interrogé plusieurs jeunes, acteurs dans la thématique du développement durable.Vidéos, sons, en anglais et en français, le site est interactif et très agréable. Tout au long de ce voyage en train, ce documentairenous permet de prendre conscience qu'il y a des choses à faire pour lutter contre ce problème qui nous concerne tous.www.ontherailtocopenhagen.blogspot.com

Breathing Earth Le site propose une simulation étonnante. Sur un planisphèredu monde, partout où apparaissent des petits points, ce sont despersonnes qui naissent et d'autres qui meurent. Plus marquantencore, la simulation instantanée de la consommation de gaz à effet de serre par les différents pays.www.breathingearth.net

Gays et lesbiennes de Grenoble et d'IsèreUn site destiné à la communauté gay et lesbienne de la région. Une partie du site est un guide de l'agglomération grenobloise et de la région iséroise,très fourni en informations pratiques de tous types.Cinq onglets : établissements gays, informations administratives, histoire des LGBT (Lesbienne, gay, bi,trans), vie quotidienne, arts. On nous donne des renseignements sur les sorties, festivals culturels,bars, boîtes de nuits destinés à la communauté gay, lesformalités administratives pour le pacs, mais aussi desadresses utiles d'associations. L'autre volet est unforum qui permet aux internautes d'échanger sur toustypes de sujets, et aussi pourquoi pas, de faire des rencontres.www.grenoble.lgbth.com

Alterna TVTout nouveau, tout coco ! Le parti communiste français vient de lancer sapropre web TV. Pas vraiment un organede transmission du discours institutionneldu PCF. Le but est plutôt de faire unetélé participative, où le « peuple degauche » peut s'exprimer et proposerdes reportages sur plusieurs thèmes.Et c'est plutôt bien fait. Le site estagréable, les sujets diversifiés. Ontrouve, par exemple, des reportagessur les sans-papiers, le chômage, labaisse des salaires... La web TV permetau Parti communiste d'aborder desthèmes qui lui sont chers, mais de façonplus originale que de longs discours.www.alternatv.fr

Sites sélectionnés par Camille Dubruelh

PIGÉweb Sur la toile...

Musée de GrenoblePour les férus de culture et de peinture, le site du musée de Grenoble est incontournable. On trouve, bien sûr, des informations pratiques sur les horairesd'ouverture, les tarifs et les visites proposées par le musée. Mais le principal intérêtdu site réside dans les renseignements donnés sur les expositions temporaires.Ingénieux, des visuels de ces expositions sont proposés, comme un avant-goût à la visite. Les futures expositions sont déjà annoncées, de Gaston Chaissac à l'impressionnisme, le programme culturel est prévu jusqu'en septembre 2010 ! www.museedegrenoble.fr

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Pigéweb Sur la toile... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .2

PigépolitiqueLes présidentielles au Chilli . . . . . . . . . . . . . . . . .4/5

PigéeuropePourvu que ça Mur ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .6/7

DOSSIERVilles de demain, villes durables ? . . . . . . . .8 à 17Paris utopiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .8/9Et les villes du sud ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .10Raisonner les transports en ville . . . . . . . . . . . . . .11Stockholm et le vélo, une longue histoire d’amour . .12De BONNE expérience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .13L'ombre d'Europole plane sur Bouchayer-Viallet . .14/15Villeneuve de Grenoble, le défi de la mixité . . . .16Décider la ville de demain . . . . . . . . . . . . . . . . . .17

PigéenquêtéUne nouvelle carte électorale pour les législatives de 2012 . . . . . . . . . . .18/19/20

PigééconomieAuto-entrepreneuriat : une mode passagère ? . .21

PigéreportagePôle emploi, mariage de raison ? . . . . . . . . . .22/23

PigéopposéLa Poste doit-elle changer de statut ? . . . . . .24/25

PigécultureJean-Claude Gallotta et le fantôme de Bashung . . .26Lyon, capitale d’art lyrique . . . . . . . . . . . . . . . . .27Remue-ménage dans les salles alternatives . . . .28

PigétestéQuand la chimie amuse nos papilles . . . . . . . . . .29

PigésportFree ride baby ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .30

PigédécaléDélire champêtre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .31

A lire aussi sur Pigemag.com . . . . . . . . . . . . . . . . . .32Fête le mur, pas la guerre“ Radis joli “ vend ses légumes sur le campusNauru, la descente aux enfers d’un paradis sur terre

L’agenda pour sortir et pour réfléchir . . . . . . . . . . . . . .32

Sommaire

PIGÉ Magazine, journal d’information édité par Sciences Po Grenoble (IEPG).

Directeur de la publication : Olivier Ihl, directeur de l’IEPG.

Rédaction en chef : Laurent Rivet.

Comité éditorial : Yvan Avril, Gilles Bastin, Aurélie Billebault, Olivier Ihl, Séverine Perrier,

Laurent Rivet, Emmanuel Taïeb.

Coordination : Emilie Brouze.

Secrétariat de rédaction : Emilie Brouze, Camille Dubruelh, Clémence Glon-Villeneuve,

Raphaël Lizambard, Gwendal Perrin.

Rédaction et photos : Emilie Brouze, Camille Dubruelh, Orlando Fernandes, Blandine Guignier,

Clémence Glon-Villeneuve, Lucie de la Héronnière, Ariane Lavrilleux, Raphaël Lizambard,

Gwendal Perrin, Anne-Sophie Pierson.

Relecture : Annie Rouyard.

Graphisme/mise en page : GAILLARD Infographie 06 09 87 66 69.

Tirage : 3000 exemplaires.

Impression : Imprimerie du Pont-de-Claix.

N° ISSN 1777-71-6 X

IEP de Grenoble, BP 48 • 38040 Grenoble cedex 9 - www.iep-grenoble.fr

Prix de vente : 1€

Tel. 04 76 82 60 00 / Fax. 04 76 82 60 70 / [email protected]

Retrouvez Pigé Magazine sur www.pigemag.com, le site d’information du master

journalisme de l’IEP.

Edito

Les médias Ecole du master journalisme sont réalisés

avec le soutien du Conseil régional Rhône-Alpes.

Qui a la curiosité de se plonger dans latoile de Claude Monet, Rue Saint-Denis,fête du 30 juin 1878 trouvera peut-être laclef d’un de nos bruyants débats publics.A l’heure où se multiplient les incantationsà « l’identité nationale », cette huile sur toilecampe une rue parisienne submergéepar les drapeaux tricolores. Orgueil d’une fête nationale célébrant la fin del’Exposition Universelle de 1878, cettevue plongeante échelonne l’enthousiasmepar des aplats de couleurs vives. Et tandisqu’une banderole cache, en bas à gauche,un « VIVE LA FRANCE » aux alluresd’Ordre moral, une inscription, face àelle, s’élance rageusement contre lasignification obséquieuse d’un tel geste :« VIVE LA REP[ublique] ».Prétexte au déploiement de la couleurcomme au travail sur la lumière, la scèneest chez Monet un acte militant. Associéeà la force d’entrainement du patriotismedont elle peuple les fictions, elle participed’une aspiration dont notre époque s’étonnede se savoir encore prisonnière : celled’une rue emportée par le déferlementtricolore des drapeaux.Lors de la dernière élection présidentielle,c’était la candidate socialiste qui invitaitles militants du PS à chanter La Marseillaise.Elle les y encourageait en formant unvœu : que chaque foyer français pavoiseses fenêtres le jour de la fête nationale.

C’est, il y a quelques semaines, des députésUMP qui déposaient une proposition de loi.Leur idée ? Rendre obligatoire la présencedu drapeau tricolore sur les édificespublics. L’évidence est pourtant devenueénigme. Pourquoi, de nos jours, arborerun drapeau à sa fenêtre ? Sur les toiles des impressionnistes,l’explosion du bleu, du blanc et du rougevenait saluer l’avènement d’un nouvelespace public, enfin démocratique, laïqueet populaire. En somme, elle était unemanière de faire oublier le drapeau blancdu légitimisme ou l’aigle dynastique dubonapartisme. Mais aujourd’hui, on s’interroge : quelles sont les convictionssusceptibles de former la trame d’unetelle présence ? C’est tout l’enjeu d’unesacralisation tricolore de l’autorité politique.Si l’entraînement festif était le motif de latoile de Monet, son mobile n’en était pasmoins clair : opposer le cri de ralliementrépublicain au trop gouvernemental « Vivela France », une revendication en lettres d’orsur fond immaculé « VIVE LA REP… ».Esquissée, et comme bâillonnée dans uncoin de la toile, elle attend son avènement.Les trois couleurs de Claude Monet ? Une œuvre à voir et à revoir.

Olivier IHL,directeur de l’IEPG

Vive la Rép…

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PIGÉpolitique Et si le Chili virait à droite ?

Cette élection a un parfum de renouveau.Pour la première fois depuis la chutede la dictature d'Augusto Pinochet, en1990, la coalition de droite sembleavoir pris le pas sur ses adversairesdémocrates-chrétiens de gauche.D’un côté, la Concertation de partispour la démocratie (CPD), coalition decentre gauche, au pouvoir depuis lachute d’Augusto Pinochet en 1990,est menée par Eduardo Frei, déjà président entre 1994 et 2000.Composée de trois principaux partis,elle s’est opposée à la tentative del’ancien dictateur de briguer le pouvoir,lors des élections législatives de 1988.De l’autre, le milliardaire conservateurSebastian Piñera, dont la fortune estestimée à 1,2 milliard de dollars, necache pas son objectif de devenir lepremier homme politique de droite àbriguer la présidence depuis ce mêmePinochet. Son frère, José Piñera, étaitministre de l’économie du didacteur.Un handicap ? Pas sûr. Sa formule faitrecette, puisque le candidat de droitea viré en tête dans les sondages rythmant la campagne électorale.

Une course à cinq ?Et Michelle Bachelet ? Constitution--nellement, la présidente sortante nepeut se représenter. Elle n’a pourtantpas tardé à jouer les premiers rôlesdurant la campagne. Dès septembre,la socialiste décide l’abrogation de laloi sur le cuivre, héritée de la dictaturemilitaire. Cette loi réservait systémati-quement 10 % de bénéfices sur lesventes de minerai aux militaires.Michelle Bachelet avait déjà manifestéson intention de modifier cette loi en2006, mais elle attendait le momentpropice pour soumettre sa propositionaux parlementaires.Ce privilège détenu par l’armée devenaitde moins en moins acceptable pour lapopulation, dans un contexte de crise.Une manière aussi, pour la gauche, dese défaire du passé et de renoueravec les jeunes. Ces « jovenes » préfèrent se laisser séduire par lecandidat indépendant trentenaireMarco Enriquez-Ominami, ou encorepar Jorge Arrate, leader du « Front degauche » chilien. Un appui suffisantpour gagner ?

Orlando Fernandes

Le mode de scrutin

Au Chili, l’élection repose sur un scrutin présidentiel à deux tours. Comme en France,plusieurs candidats peuvent se présenter au premier tour du scrutin, au second, seulsles deux candidats arrivés en tête restent en lice. La Constitution chilienne, qui estcelle rédigée par Pinochet en 1980 (bien que largement amendée depuis), stipule quele président sortant, après son mandat de quatre ans, ne peut en exécuter un secondconsécutivement. Dans cette optique, Michelle Bachelet ne peut pas prétendre à laprésidence du Chili en 2009.

Les forces en présence :

• Sebastian Piñera : En2005, le candidat de la coalition de droite étaitarrivé derrière MichelleBachelet, avec 25 % dessuffrages. Celui qui a fêtéson soixantième anniversairele 1er décembre pourraitbien décrocher la victoirecette année, à en croire lamajorité des sondages pré-électoraux.Mais la possible collusion entre ses activités d'homme d'affaires et ses responsabilités politiques lui vaut descritiques de toutes parts.

• Eduardo Frei : Lors d’undiscours, le sénateur chiliende 67 ans a tenu à rappelerque, dans les prochainesannées, le Chili auraitbesoin d’un « président etnon pas d’un gérant »,visant à demi-mots sonprincipal rival, Piñera. Maisla tâche est rude pour cetingénieur civil de profession : il tente à lafois de tirer profit du bilan de MichelleBachelet tout en se présentant commele candidat du changement.

• Marco Enriquez-Ominami : A 36 ans àpeine, cet homme degauche, cinéaste et diplôméde philosophie, n’hésite pasà jouer la carte du charmeet du renouveau pour séduire les électeurs jeuneset diplômés. En mai 2009,le quotidien espagnol ElPais le désignait comme « le nouveauvisage de la politique chilienne pour succéder à Bachelet ». Il est le fils duleader historique du Mouvement de lagauche révolutionnaire (MIR), MiguelEnriquez.

EEt de 10 ! Le Chili est le dixième pays d’Amérique

latine à organiser un scrutin électoral cette année.

Le 13 décembre 2009, les Chiliens désignent leur

nouveau président, avec un éventuel second tour

le 17 janvier 2010. Qui succédera au gouvernement

socialiste de Michelle Bachelet ?

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MJacques Chonchol, témoin de l’histoire chilienne

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Ministre de l’Agriculture d’Allende, Jacques Chonchol s’est exilé en France de

1974 à 1994 où il a été le directeur de l’Institut des Hautes Etudes de l’Amérique

Latine à la Sorbonne. Il vit aujourd’hui à Santiago et reste un intellectuel critique

et un observateur engagé de son pays.

PIGÉpolitique

En 1970, l'Unité Populaire remporte les élections,menant Salvador Allende au pouvoir. Quelleétait l'ambiance à ce moment là ?Très tendue. Un groupe d´extrême-droite, en assassinant le Commandant en Chef de l´Armée deTerre, le Général Schneider, avait essayé d´empêcherla proclamation de Salvador Allende commePrésident de la République. Le pays était divisé entrois: l´Unité Populaire qui appuyait Allende, la Droitequi s´y opposait avec force, et la DémocratieChrétienne dont la position était plus nuancée.

En 1973, le Général Pinochet renverseSalvador Allende par un coup d'Etat. Commebeaucoup de Chiliens, vous avez dû partir...Comment avez-vous observé les annéesPinochet depuis la France ?Jusqu’en 1989, nous les exilés nous étions organiséspour maintenir une mobilisation constante contre lerégime dictatorial. Les principaux groupes étaientnormalement dépendants de chaque parti politiquechilien de l´ancienne Unité Populaire. Mais il y avaitaussi plusieurs organisations avec des françaiscomme Les Amitiés franco-chiliennes, Le Groupedes Juristes pour le Chili, Le Groupe contre la Torture,au sein de la Cimade (Comité inter-mouvementsauprès des évacués). Beaucoup de communes françaises ont mobilisé Français et Chiliens pour lesoutien à la cause chilienne. Une des conséquences :une quantité d´avenues, de lycées et de placespubliques qui ont reçu le nom de Salvador Allende…Cette solidarité nous a permis d´impulser le travailen exil et de le mener avec succès.

Comment jugez-vous la situation politiquedepuis le départ de Pinochet du pouvoir, en1990 ?Depuis 1990, le pays est gouverné par une coalitionde centre gauche, la Concertation, qui petit à petit apu rétablir les libertés démocratiques. Ella a aussidiminué la pauvreté dans laquelle vivait une grandepartie du peuple chilien. Michelle Bachelet a beaucoup fait dans le domaine de la protectionsociale des secteurs populaires et finira son mandaten mars 2010 avec un très fort appui populaire.

A votre avis, quelle est la place de l'héritagede Salvador Allende et de son gouvernementdans la société chilienne actuelle ?L´expérience de la l´Unité populaire avec SalvadorAllende a signifié un énorme effort pour avancervers une société socialiste en sauvegardant leslibertés démocratiques. Sa mort est un symbole dela lutte pour la défense de la démocratie.

Quel est votre point de vue sur l'actuelle campagne électorale pour l'élection présidentielle ?Les enquêtes actuelles montrent une certaine préférence pour le candidat de l’" Alianza por elCambio ", coalition des partis de droite. Mais audeuxième tour, une nouvelle recomposition desforces politiques peut définir un scénario favorable àun candidat de gauche. Le grand appui populaire àMichelle Bachelet pourra être un élément essentieldans les choix, ainsi que le surgissement d´un candidattrès jeune, Marco Enríquez, porteur d´un nouveaudiscours politique. Cette nouvelle voix sortie plutôtdes mouvements de gauche s’oppose au candidatofficiel du gouvernement, tout en gardant un discours capable de recueillir les avantages de lapolitique de Michelle Bachelet.

Lucie de la Héronnière

Point de vue d’un exilé chilien grenoblois…

Etudiant engagé dans le MIR (Mouvement degauche révolutionnaire) au moment du coupd’Etat, Miguel Henriquez est jugé, condamné,et s’exile alors en France.« En 2006, on a vécu l’élection de MichelleBachelet comme un fait historique. Forcéepar la crise, elle a fait face, donnant beaucoupaux petites entreprises, créant des projetssociaux, des primes… Mais je reste déçu parl’absence d’action sur le projet du droit devote des exilés. En ce qui concerne la campagneactuelle, Piñera me semble dangereux,démagogue, candidat des patrons et patronlui-même, sans politique sociale. Frei etMarco Enriquez ne parlent jamais de changerles structures, qui fonctionnent avec laConstitution de Pinochet. Arrate me toucheplus et semble prêt à solutionner les problèmesplus graves. Dans tous les cas, le prochainprésident sera face à des défis essentiels.D’ici, je suis la campagne par la presse,les amis et la famille, mais je suis privé dudroit de vote et donc limité dans mon engagement. »

Jacques Chonchol, en 1976. Crédits : J. Chonchol.

Miguel Henriquez. Crédits : Pigé

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Pourvu que ça Mur !PIGÉeurope

LLe 9 novembre 1989, la RDA annonce à ses citoyens qu’ils peuvent voyager à

l'étranger « sans aucune condition particulière ». Ce soir-là à Berlin, ils sont des

milliers à entamer le démantèlement du Mur. Pigémagazine revient sur cet événement

avec Alfred Grosser, grand spécialiste de l’histoire franco-allemande, les témoignages

de deux étudiantes françaises à Berlin et celui de Juana qui, du haut de ses neuf

ans à l’époque de la chute du mur, nous livre ses souvenirs.

Le Point de vu de l’expert…« Dix fois supérieures aux relations qui existent entre la France et n’importe quel autre pays, les relationsentre la France et l’Allemagne sont toujours vives » explique Alfred Grosser, politologue et historien.« La chute du mur a été accueillie en France avec une grande joie ». Le professeur émérite rappelleque les sondages de l’époque montraient une France favorable à la réunification allemande en grandemajorité, bien qu’aient persisté, chez certains intellectuels ou dans une tranche plus âgée de la population,des réticences et la crainte d’une Allemagne réunifiée. Pour lui, les modes de relations franco-allemandes n’ont pas vraiment changé après la chute du mur : jumelages et partenariats continuent.Du côté des figures politiques, le grand trio créateur de la réconciliation et de la coopération Delors-Mitterrand-Kohl a continué à œuvrer de la même manière après l’intégration de la RDA à la RFA enoctobre 1990. Alfred Grosser est plus sceptique sur le duo Schröder-Chirac, dont les rapports pouvaient être parfois tendus. Quant à l’actuel couple Sarkozy-Merkel, il y a des désaccords qu’ilimpute en grande partie à l’attitude française, à la posture du : « Nous sommes les meilleurs ! »,agaçante pour les Allemands. Mais le lien fort entre les deux pays persiste. Alfred Grosser a relevé

l’effort de la presse française au moment des électionsallemandes, cet automne, qui ont été selon lui davantagetraitées.

Ce 20ème anniversaire a fait la Une de tous les grandsmédias nationaux. Et peu importe, si TF1 la premièrechaîne européenne en terme d’audience (47,5% en

Regards d’expatriées à Berlin Elles sont deux. Deux jeunes étudiantes à Grenoble partiesen séjour Erasmus à Berlin questionner l’histoire allemande,du haut de leurs 20 ans et quelques. 20 ans, c’est précisément la date à laquelle le mur de Berlin tomba enruines. Cécile et Élise livrent leurs impressions sur lescommémorations qui ont entouré cet anniversaire.

Cécile Ventola : « Les préparatifs de lacommémoration sont là, partout, danstous les domaines. Mais on ne fête passeulement la réunification ; les Allemandsont le 3 octobre pour ça. Certaines partiesde la ville ont été investies par les grands

capitalistes, mais d’autres, comme Mauerpark, ont étélaissées à l’initiative des citoyens. Je crois que l’on aimes’intéresser à ce qui n’existe plus. Mais les choses quisont exprimées cette année ne sont pas nouvelles. Unmatin, je parlais avec mon colocataire, né à l'est et âgéde 4 ans quand le Mur est tombé. On regardait une vidéosur le 9 novembre et il a pleuré. Il me disait que tous lesvoyages qu'ils avaient pu faire après ont été marqués parla même phrase de son père : "Aurais-tu imaginé qu'onpuisse un jour aller si loin?" ».

Elise Laversin : « Malgré le dispositif(expositions, célébrations), il me sembleque ce 20ème anniversaire ne provoquepas une effervescence particulière ausein de la population berlinoise d’origine.Tandis que certains se remémorent

avoir participé à la déconstruction du Mur, d’autres gar-dent le souvenir amer de ne pas avoir pu être acteurs dece moment historique, parce que trop jeunes, maladesou absents. La chute du Mur symbolise la fin du com-munisme et l’unité retrouvée. Mais pour certains, ellemarque une rupture brutale et le début des difficultéséconomiques. Le 9 novembre 2009 a constitué uneimmense célébration de ce que la ville est devenue : unecapitale cosmopolite, ouverte et tolérante. Probablementle résultat de l’Histoire et de son histoire ».

Propos recueillis par Orlando Fernandes

Alfred Grosser, est revenu sur l’évènement devant les étudiants de l’IEP le 5 novembre dernier.

Scène de fraternité sur le mur.Crédits : DR

2008), ne dispose pas de bureau à Berlin ! L’événementa dépassé les frontières, qu’elles soient géopolitiques oumédiatiques. Les 27 chefs d’État européens étaient présents, quelques jours après que le dernier d’entre eux(Vaclav Klaus, président de la République tchèque) aitdonné son feu vert pour la ratification du Traité deLisbonne. Deux jours plus tard, Angela Merkel, chancelièreallemande, était accueillie en grande pompe sur lesChamps-Élysées pour célébrer l’armistice franco-allemand et la fin de la Grande Guerre. L’engouement est impressionnant, presque étonnant de ce côté du Rhin. Unemballement ? « On en a plus fait à Paris qu’à Berlin »,reconnaît Alfred Grosser. « Il aurait mieux valu parlerd’Obama et d’Israël, dossier bien plus urgent ». D’ailleurs,le président américain a préféré rencontrer BenjaminNétanyahou, premier ministre israélien, plutôt que serendre à Berlin, le 9 novembre, déléguant cette responsabilité à sa secrétaire d’État, Hillary Clinton.

Podcast de la conférence sur : www.iep-grenoble.fr

Blandine Guignier et Orlando Fernandes

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PIGÉeurope

Le Parlement européen à Strasbourg.

« J’avais neuf ans quand le mur est tombé »

L’école où ma mère travaillait était accolée au mur. Plusieurs fois j’avais demandéce que fichait ce mur immense ici. Mais en général mes parents et ceux de mesamis ne nous racontaient rien sur tout ce qui concernait la RDA et le Mur. Ilsavaient peur. « La vérité sort de la bouche des enfants »: c’était impossible dedonner une explication aux enfants sans leur transmettre une opinion, qu'ils colporteraient, et elle pourrait arriver aux oreilles de la Stasi, les services secretsde la RDA, que nous craignions tous. Je devais donc rester extraordinairementcalme et silencieuse lorsque nous allions chercher ma mère au travail. Une desportes du Mur se trouvait près de l’école. Un jour, dévorée de curiosité, je me suisun peu éloignée et j’ai regardé furtivement à travers la porte. Sur la bande deterre, je vis des lièvres qui se cachaient dans l’herbe ou gambadaient. J’avaisenfin mon explication : c’était un élevage de lièvres ! Le mur immense, les soldats et le calme dans cet endroit avaient maintenant un sens.

Quand le mur est tombéLe 9 Novembre était un jeudi. Ce jour-là, lorsque je suis rentrée à la maison, j'aitrouvé mon père et mon frère dans un tel état d'excitation : " Il n'y a plus de mur !Nous pouvons aller à l'Ouest ! ". Je n'ai alors rien compris du tout. Mais j’ai suque c’était quelque chose de bien car j’avais rarement vu mon père aussi heureuxet excité. Il nous installa mon frère et moi dans la voiture, direction le mur ! Nousnous tenions avec notre Wartburg dans une longue file d'autos, mais aucunconducteur n'était assis à son poste. Ils étaient tous dehors, riaient et discutaientensemble même s'ils ne s'étaient jamais vus auparavant. C'était incroyable !Tard dans la nuit, étant encore loin de la frontière et ayant tout à coup réalisé quema mère devait se faire un sang d'encre à la maison, nous avons rebroussé chemin. Le jour suivant nous sommes repartis à la frontière, cette fois au

Checkpoint Charlie et avec ma mère. Nous avions traversé la frontière seulementd'un mètre environ, quand une masse de personnes, poussant des cris de joie,se mit à frapper sur les fenêtres de la voiture et lança au travers du toit-ouvrantdes sucreries. " Quel paradis un pays où chocolats et bonbons pleuvent ! Je veuxaussi vivre ici ! " Nous avons roulé encore quelques mètres. Des cameramenanglais nous ont arrêtés et demandé s'ils pouvaient nous accompagner pournotre premier jour à l'Ouest - c'était une aubaine pour eux, la plupart des autresfamilles ne parlaient qu'allemand et russe - ils nous ont proposé une importantesomme d'argent : 1000 D-Mark. Mes parents ont refusé. Ils voulaient profiter dece moment unique seuls, avec nous et sans caméras! Nous avons parcouruBerlin-Ouest. C'était tellement grand et propre ! Et les publicités tout autour de nous en lettres énormes et multicolores! Tout paraissait si lumineux, siaccueillant. Nous orienter dans cette "ville étrangère" n'était pas facile, nousavons dû nous arrêter pour regarder un plan. Enfin nous avons rejoint unebanque pour récupérer les 100 D-Mark auxquels chaque citoyen de la RDA avaitdroit comme cadeau de bienvenue.

Aujourd'hui, j'ai 29 ans et je vis au Mexique. Je n'étais pas à Berlin le 9 novembredernier, mais c'est un jour important pour moi. Je pense qu'il doit être fêté ou aumoins honoré. Après tout, c'est la fin d'une dictature ! Elle a complètement changéma vie et celle de ma famille. Je suis très reconnaissante que l'histoire ait apportéun tel tournant, sinon je n'aurais pas pu être aujourd'hui à Mexico, je n'auraiscertainement pas pu étudier ce que j'ai étudié et je n'aurais absolument pas puparler de ma liberté !

Propos recueillis par Blandine Guignier

Juana a grandi à Berlin-Est, elle vivait en RDA comme 16 millions d’Allemands.

Souvenirs d’enfance. Cré

dits

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Paris utopiques

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Une cité sale, enfumée, où les travailleurs grouillent vers les usines dont les cheminées se détachent

sur un ciel gris. Une vaste fourmilière : telle était l’image de la ville du 19ème siècle.

Si aujourd’hui la plupart des gens semblent convertis aux principes du développement durable,

ils restent souvent dans une vision bucolique de l’écologie. Alors que le sommet de Copenhague de

décembre 2009 repose la question du réchauffement climatique global, c’est à l’échelle urbaine que

se trouvent les principaux éléments de réponse. Transports, habitat, mixité sociale ou gouvernance

sont à repenser pour entrer dans une logique soutenable. Facile à dire. Mais quels processus pour

y parvenir ? De la création d’éco-quartiers aux villes du Sud, d’un nouveau concept d’aménagement

urbain à une refonte des systèmes de transports, autant de pistes qui permettent de dessiner une

esquisse de la ville de demain.

Ambitieux. Le projet du Grand Paris se donne pour objectif de transformer la région capitale en

modèle de développement durable. Les propositions présentées par les différents groupes

d'urbanistes n'ont pourtant pas exclu une part de rêve. La ville durable n'existe-t-elle que

dans l'esprit d'écologistes trop optimistes ? Petit exercice de prospective.

Dossier

Villes de demain, villes durables ?

2050. Neuf milliards d'hommes habitent sur Terre, dont 6,5 en ville. La question du réchauffement climatique reste épineuse mais sous contrôle. Fini les embouteillages interminables sur le périphérique et la cohue effrayante des heuresde pointe dans les transports parisiens. Le projet du Grand Paris, lancé il y a maintenant plus de trente ans, a permis demodifier l'image de la région. La capitale est au cœur d'un réseau d'une vingtaine de villes moyennes reliées entre ellespar un métro automatique. Le pire a été évité. L'amélioration du cadre de vie et la diminution des loyers dans la ville intramuros ont stoppé l'exode qui avait cours au début du siècle. Les parcs de Vincennes et de la Courneuve favorisent lacapture du CO2. Les prévisions des météorologues, qui annonçaient un climat semblable à celui de la ville de Cordoue pour2100, ne sont plus qu'un mauvais souvenir.Le rapport au temps des habitants a évolué. Le télétravail s'est considérablement développé et il est maintenant difficiled'imaginer qu'en 2009, un Francilien pouvait passer 2h40 par jour dans le RER B. Des voitures circulent encore dans lesrues. Elles sont pourtant perçues comme un luxe et une marque de désintérêt pour l'espace public. La participation a étéintégrée, depuis peu, aux valeurs de la République. Le droit et le devoir de donner du temps à la collectivité tombent sous le sens.

Evry et la nationale 7. (Crédits : DR) Evry aujourd’huiEvry aujourd’hui

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Perspective architecturale, selon un projet du groupe Descartes.

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Dossier

Contours d'un nouveau conceptLa ville ne plonge pas ses racinesdans une volonté quelconque de vivreentouré de ses semblables. Elle est lefruit de l'intensification des échangesde matières premières et de biensmanufacturés. L'urbain s'est doncconstruit en fonction d'un systèmeéconomique qui pose maintenant problème. Le grignotage de l'espaceet la périubanisation engendrent unesurconsommation des ressourcesnaturelles. L'obligation d'entrer dansun développement soutenable faitémerger, au début des années 90, leconcept de ville durable. Les villes, quin'occupent que 2% de la surface duglobe, génèrent 80% des émissionsde CO2 et consomment 75% del'énergie mondiale (source : rapportdu forum urbain mondial de l'ONU-Habitat, 2006).Trois règles fondamentales définissentla ville durable. Son empreinte écologique tend vers zéro en restreignantla consommation d'énergies fossiles.Elle offre à l'ensemble de ses habitantsun cadre de vie agréable tout en limitantl'amplitude des inégalités. Enfin, c'estun projet politique qui replace le collectifau centre de la société. « Il ne suffitpas de faire un bouquet avec les troispiliers du développement durable quesont l'écologie, le social et l'économie.

Il faut imbriquer ensemble ces domainesafin de construire un système decoproduction. La ville durable doitruser. Elle prend en considération lesressources naturelles, l'urbain, lasécurité et l'éducation » expliqueClaude Jacquier, spécialiste du développement soutenable dans lesterritoires urbains. Pour Françoise-Hélène Jourda, architecte engagéedans le développement durable depuis1981, « il n'existe pas de ville durabletype. Les solutions d'aménagement etd'architecture doivent être adaptées àla culture des habitants ». Dans lemême sens, Anne-Marie Maür,directrice d'études à l’Agence d'urbanisme de la région grenobloise,explique que « la ville durable ne doitpas être un modèle en soi » mais « un processus de transformation ».

Prospective scientifique ou douce illusion ?Le défi serait d'organiser le territoire,la répartition des services et despopulations de façon à conserver unmode de vie de qualité tout en diminuantsensiblement les kilomètres parcouruspar habitant. « Nous n’avons pas lechoix. Il faut sortir des chemins dedépendance établis avec la révolutionindustrielle » continue Claude Jacquier.Si la densification de l'habitat limite les

déplacements, la qualité des propositionsalternatives entre également en compte,comme l’offre de transports encommun. Selon Anne-Marie Maür, laville durable « intègre un mouvementlarge qui la dépasse ». Elle nécessitela mise en place de « nouveaux servicesqui faciliteront une reconversion économique » tout en misant « sur dessynergies locales et sur l'innovation ».La mode, de plus en plus répandue,de construire des écoquartiers marqueun engouement certain pour le développement soutenable. Pourtant,les écoquartiers ne sont pas la ville de demain. Ils correspondent plutôt à des espaces de recherche, à des laboratoires. La ville durable ne seconstruira pas ex nihilo. Le projet,plus complexe, fait entrer en jeu unepopulation présente et un bâti « passoire à énergie ». « La forme dela ville ne va guère changer en trenteans. Les modifications se ferontessentiellement au sein du systèmepolitico-institutionnel » affirme ClaudeJacquier. Une chose est sûre : lechangement des habitudes est unprocessus lent qui s'oppose à l'urgenceclimatique.

Clémence Glon-Villeneuve

De l'écologie urbaine à la villedurable

L'écologie urbaine est née à Chicago,dans les années 60. Les chercheursde cette école américaine reconnaissentde véritables « écosystèmes urbains »et replacent l'individu au centre deleurs études. Bien qu'établissant desspécificités écologiques à la ville, cettevision systémique reste très théorique.Au début des années 90, sous l'effetconjugué de la conférence de Rio(1992) et de la mise en place del'ICLEI, conseil international pour lesinitiatives locales en environnement(1991), le terme de « ville écologique »est remplacé peu à peu par celui de « ville durable ». Une ville durable, c'estune ville écologique. Mais pas seulement.Calquée sur la notion de développementdurable, elle imbrique des probléma-tiques environnementales, sociales et économiques.Le 27 mai 1994, la première conférencedes villes durables européennes setient à Aalborg, au Danemark. La chartedu même nom engage les communessignataires à modifier leur plan d'urbanisme en faveur du développementdurable.

Evry demainEvry demain

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DossierVilles de demain, villes durables ?

AAu Sud, l’explosion urbaine est massive. En cause

notamment, l’exode rural et la croissance interne.

Un défi : la gérer en fournissant, d’abord, à la population

biens et services de première nécessité, tout en

préservant l’environnement.

Le concept de ville durable est-il universel ?

Voyage dans les métropoles du sud.

Et les villes du sud ?

Quel sens à la ville durable ?

« Les contraintes sont différentes suivant les zones, le développementdiffère suivant la taille… Le modèlethéorique de la ville durable peut êtrecommun mais chaque zone doit gérersa propre évolution vers cette référence », affirme Jacques Véron,chercheur à l’Institut national desétudes démographiques. La villedurable, au Sud comme au Nord setraduit alors par la recherche debonnes pratiques. « Ce concept a unsens s’il permet de s’orienter vers unepolitique plus respectueuse de l’environnement et de l’humain : éviterl’étalement, innover dans la gestiondes eaux… Avec l’objectif de villesplus sobres », complète Mehdi Abbas,maître de conférences en économie à Grenoble. Des objectifs que certaines régions du Nord n’ont pasencore atteints. A l’exemple dePalerme, en Sicile, où le ramassagedes ordures est déficient et le réseauroutier quasi-anarchique.

n’est pas perfectionné : il y a desinondations. La pollution est aussi unproblème majeur à cause des voitureset des usines. Dakar est la capitaleindustrielle. Tout est concentré : l’Etatessaie de décentraliser. »

Curitiba, ville modèleLes plus riches, comme au Nord,disposent de leurs villes modèles. AuBrésil, Curitiba, métropole de deuxmillions d’habitants, a lancé depuis unetrentaine d’années une politique dedéveloppement innovante. Aujourd’hui,70% des ménages recyclent leursdéchets. Côté transports, le réseau debus se déploie en toile d’araignée surcinq axes de 80 kilomètres avec, àchaque terminal, commerces et services. Encore loin de ce cas d’école,plusieurs métropoles intègrent progressivement la durabilité dansleur politique. Le maire de Mexico (20 millions d’habitants) a lancé unplan vert avec trois objectifs : le développement durable, la viabilitéécologique et la qualité de vie. Ainsi,depuis 2009, le tri sélectif est obligatoireet des vélos sont mis à dispositiongratuitement. Rabat, capitale duMaroc, a établi un nouveau plan d’urbanisme. « Un bus ultra moderne

a été mis en place, moins polluant. Letracé du tramway va être achevé enjuillet 2010 pour diminuer le nombrede véhicules de 20%. La bibliothèquenationale a été édifiée cet été. Sur leplan social, le plan « Ville sans bidon-villes » lancé en 2004 dans 83 citésmarocaines, a pour objectif de fournirun logement décent à chacun. Celafera de Rabat une ville durable »,affirme Khalid Ouaya, architecte enchef de la capitale. Un défi quand onsait que ce plan pour éradiquer lesbidonvilles, reporté à 2012, avait enjuillet 2009 relogé 600 000 citoyenssur les 1, 5 million prévus.Sans afficher clairement une politiquedurable, certains pays font desefforts. Santiago, Equatorien, parle deQuito, sa capitale : « Depuis dix ans, letransport s’est amélioré, on a créé desvoies de bus. Même s’il y a encorebeaucoup de voitures : aux heures depointe, on peut être bloqué troisheures. La ville est donc polluée. Maisdes politiques se mettent en place.Avant, les échoppes étaient à mêmela rue. Puis, on a construit des commerces… La ville est plus ordonnéequ’avant. »

Emilie Brouze

Le boom des villes au Sud

• 3, 5 milliards d’urbains aujourd’hui,• 5 milliards d’ici 2025.• 1 milliard vivent dans des bidonvilles.• 6 des 10 plus grandes villes sont

dans l’hémisphère Sud. (ONU, 2007)

Le Nord songe à la ville durable. LeSud doit d’abord satisfaire sesbesoins vitaux. Lutte contre la grandepauvreté ou l’insalubrité, les autoritéspubliques sont débordées ou parfoisinexistantes. Mais le Sud cache différents visages : les pays émergentsaux économies dynamiques, ceux endéveloppement et les moins avancés.En Inde, comme dans beaucoup depays d’Afrique, les moyens manquentpour développer les agglomérations.« Les villes sont peu entretenues.Dans les rues, il y a de superbes maisonscomme des taudis. La plupart sontdes sortes de huttes en bois avec untoit en paille. Il y a aussi beaucoup deproblèmes d’hygiène, il faut faireattention à ce que l’on boit ou mange »,raconte Jean-Baptiste Bienfait qui vità Mamallapuram, en Inde. AmadouSarr, Sénégalais originaire de Dakar,décrit sa ville : « Les infrastructurespubliques sont en place mais ilmanque des moyens pour les fairefonctionner. Au moment de la mousson,on voit que le système d’assainissement

« Les routes sont pleines de bosses, il n’y a pas d’égout pour évacuer l’eau en casde pluie. C’est très sale : Il y a plein de déchets et d’animaux dans les rues »,

raconte Jean-Baptiste Bienfait. Crédits : DR

Mamallapuram, en Inde.

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LLes lieux de vie, de travail et d’activité, répartis sur

le territoire, engendrent des trajets. Dans une ville

durable, l’ensemble de la population doit pouvoir se

déplacer tout en respectant l’environnement. Maya

Vitorge, directrice d’études territoires et déplacements

à l’agence d’urbanisme de Grenoble (AURG), donne

des pistes pour penser les politiques de transport et

défend le concept de chronoaménagement.

Raisonner les transports en ville

Sauf pour les sportifs ou les promeneurs, se déplacer n’estpas un but en soi. « Je fais un trajet pour faire quelque chose,quelque part et peut-être avec quelqu’un. Le déplacementest un indicateur de mode de vie. Quand je travaille sur unepolitique de transports, je ne travaille pas donc juste surl’offre de moyens de déplacement », explique Maya Vitorge,de l’AURG. Avant d’ajouter : « Ces politiques ne se pensentqu’avec l’urbanisme et la société ». Ainsi, la répartition deshabitations et des services sur un territoire engendre plusou moins de trajets. « Si j’autorise à construire des logementssans services à proximité, je génère des déplacements versla ville, où tout est concentré. » Le travail doit être réaliséavec les citoyens car une décision politique doit être acceptéepour être efficace. Et pour que la ville soit durable pourtous, Maya Vitorge entend « privilégier la vie des hommessur l’économie ». La construction d’une pharmacie, parexemple, ne doit pas n’être liée qu’à des quotas ou à la loidu marché. Mais aussi à l’accessibilité du service pourtoute la population. De l’économique, du social, de l’environ-nemental : tout s’imbrique. L’enjeu, pour tendre vers uneville durable, est clair : « Peut-on organiser le territoire, larépartition des services et des populations sans faire autantde déplacements et de kilomètres mais tout en conservantle même mode de vie ? »

Aménager en fonction du temps« Pour avoir une ville vivante sans trop émettre de gaz àeffet de serre, il faut trouver des alternatives à la voiture.C’est le niveau 1. Le niveau 2, c’est installer des transportscollectifs. » Plusieurs stratégies dissuadent l’utilisation desmodes polluants : taxes à l’achat des véhicules, stationnementpayant… Ainsi, le péage urbain à l’entrée de Londres aaugmenté la fréquentation des bus de 30%. Sans oublierde proposer des alternatives avec un réseau de transportscollectifs fort, tout en insistant sur les modes écologiquescomme le vélo ou le tramway. L’agence d’urbanisme de

Grenoble a travaillé sur le concept du chronoaménagement.En partant d’un constat : « On installe des transports toujoursplus rapides, les routes sont remplacées par des autoroutes…Chacun peut habiter où il veut, il pourra y aller vite. Si jesuis plus loin, je fais plus de kilomètres et il faut plus deroute. On ne se pose plus la question de la vitesse. » L’idéeest d’inverser ce cercle vicieux pour des trajets moins longsavec moins de voitures. En ville, on évalue les distances entemps et non en kilomètres. La vitesse serait donc le levierd’aménagement du territoire avec une hiérarchie des distances-temps entre les pôles. Tout en réduisant lesvitesses sur les routes. « Si demain je fais une autorouteultra rapide entre Lyon et Grenoble, un certain nombre defonctions vitales seront déplacées du pôle secondaire aupôle principal. Je ferai donc des kilomètres pour aller leschercher. » Les villes et les services ne doivent pas êtreconcentrés mais multiples afin de diminuer les trajets.Avec une juste distance temps entre eux pour garantirl’équilibre du territoire.

Eduquer et dialoguerLes politiques de transports ne doivent pas négliger le poidsdes comportements individuels. « Dans les changementsclimatiques, on agit sur le "hard" avec les transports collectifs.Sur le "soft", par exemple avec le stationnement payant.Il y a aussi une part d’éducation à l’environnement. » Au Polygone, à Grenoble, presque toutes les entreprises ontélaboré des plans de déplacements. Certains salariés pouvaient, mais ne prenaient pas les transports en commun.« Comment je fais si l’école m’appelle pour récupérer monenfant en urgence ? » s’interrogeait une mère de famille.Suite aux discussions, les salariés qui viennent en tram ouen vélo bénéficient d’un bon de taxi mensuel. « La participationcitoyenne, c’est parfois aussi simple que ça. »

Emilie Brouze

Dossier

« Il ne faut pas, à cause du climat, rendre les choses invivables,commente Maya Vitorge. Dans la ville durable, on fera ce que l’on shouaiteen parcourant moins de kilomètres. » Crédits : Pigé

En France60% des déplacements en ville

se font en voiture 27% à pied9% en transports en commun2% en vélo2% en deux-roues motorisés

35% des émissions de dioxyde decarbone (CO2) sont causées par les transports

19% par l’habitat

(Source de 2005, www.ademe.fr)

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LStockholm et le vélo, une longue histoire d’amour

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La capitale suédoise fait partie des métropoles qui comptent le

plus d’utilisateurs réguliers du vélo au monde : 40% de la

population se déplace principalement sur deux roues.

Au-delà de la dimension culturelle, comment peut-on expliquer

un tel engouement ?

« Tout le monde y fait du vélo ! ». Telle est lapremière chose que dit Alice, étudiante française ayant passé un semestre Erasmusen Suède, à propos de Stockholm. Cette villede 770 000 habitants (1,2 million pour l’agglomération) se révèle l’une des plusfavorables aux cyclistes. Le climat est pourtantrude : froid, neige, verglas… Ce n’est pasce genre d’obstacles qui freinent les habitants.« Rien ne les arrête ! » poursuit Alice. Et celaconcerne toute la population, jeunes, moinsjeunes, étudiants, ouvriers… « Nos corpssont habitués » s’amuse Anna, qui vit là-basdepuis 6 ans.

Le vélo est un moyen de transport économiqueet écologique. D’autant que la vie n’est pasfacile pour les voitures, soumises à un péageurbain depuis 2006. Les transports en communsont également très chers. La municipalitéfait donc tout pour encourager la pratique dela bicyclette : les pistes cyclables sontquasi-systématiques sur les trottoirs. Lescyclistes cohabitent donc avec les piétons etpas avec les voitures, « ce qui est beaucoupmoins dangereux » note Alice. Les possibilitésde circuits sont presque infinies : la piste laplus importante, la Nackrosleden, fait 700kilomètres de long !La proche banlieue n’est pas en reste : lequartier écologique d’Hammarby s’estconstruit en fonction des modes de transportdoux. Et à Uppsala, à 70 km au nord, ce sontmaintenant les automobilistes qui se plaignentde ne plus avoir voix au chapitre…

Gwendal PERRIN

DossierVilles de demain, villes durables ?

Ville Pourcentage d’utilisateurs réguliers* du vélo (Année de publication des données)

Stockholm 34% (2008)

Copenhague 30% (2008) (objectif 50% en 2015)

Amsterdam 28% (2006)

Vancouver 18% (2006)

Strasbourg 17% (2006)

Berlin 5% (2006)

Bogota 4% (2006)

Paris 3% (2007)

Lyon 3% (2008)

Détroit 1% (2008)

* On entend par utilisateur régulier celui qui sedéplace à vélo au moins 5 fois par semaine.Sources : Site internet des municipalités).

Quelle est la place du vélo à Lyon ?Un chiffre : seules 3% des 650 personnes interrogées durantmon étude utilisaient le vélo pour leurs déplacements quotidiens hors loisirs. Aux Pays-Bas, ce sont les voitureset les bus qui se déplacent en fonction du vélo… Alorsqu’en France, c’est le contraire : les piétons et cyclistesattendent que les voitures passent avant de s’engager. Lesvoitures sont prioritaires.

Comment faire pour que les gens délaissent leurvoiture pour les transports en commun ?Il faut que ces transports aient des avantages par rapportà la voiture. Le tramway en a : il est certes moins rapide,mais il évite les bouchons. Le vélo a deux désavantages :les dangers et les intempéries. Pour le premier, la mise enplace de pistes cyclables sécurisées est une solution. Pourle deuxième, c’est plus difficile. En fait, c’est le poids del’habitude qui joue. On évitera ainsi de faire du vélo enhiver, mais quand le printemps arrive il faut modifier soncomportement. Ce que les gens ne veulent pas faire.Briser les routines est difficile, cela demande beaucoup detravail sur soi.

Le vélo se développe surtout dans des villes moyennes.Comment faire dans les grandes métropoles ?Intégrer les réseaux, combiner les transports ! Mais il y ades bugs : par exemple, c’est souvent interdit de porterson vélo dans le tram à Grenoble à certaines heures… Les trams doivent être conçus pour accueillir les vélos,sinon les gens ne les prendront pas et se retourneront versla voiture. Il faut faciliter les choses pour les usagers duvélo. Cette question de la multi-modalité est la clé dudéveloppement des transports alternatifs… mais cela nese fera pas du jour au lendemain.

* a réalisé en 2008 une étude sur les freins à l’utilisation destransports en commun et du vélo dans la ville de Lyon."

Propos recueillis par Gwendal Perrin

« En France,

les voitures

sont prioritaires »Stéphane Labranche*,

chercheur au PACTE-CNRS

(IEP de Grenoble).

Crédits : Pigé

Page 13: Pigé Magazine n°9

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LLa ville de Grenoble lance

en 2000 un projet de

rénovation du quartier de

Bonne et de ses anciennes

casernes militaires qui

occupaient 8,5 hectares

en plein cœur de la cité :

ce sera un éco-quartier.

Toujours en travaux

aujourd’hui, le site a reçu

le prix Ecoquartier 2009

le 4 novembre dernier,

remis par le ministère de

l’Ecologie. Les premiers

habitants sont là. Parmi

eux, les occupants de la

résidence Henri IV, installés

il y a presqu’un an.

Eclairage sur leurs

premiers pas d’habitants

durables.

De BONNE expérience

Une terrasse, du confort, une facture énergétique moins coûteuse, voilà ce qui apoussé les propriétaires à acheter un appartement à Bonne. Ils ont aussi étéemballés par le projet global. C’est le cas de Sylvie: « L’éco-quartier nous a séduitsdès le début. Quand ce sera fini, ce sera vraiment génial. » L’aspect développementdurable du quartier a joué. Pour Xavier, infirmier, propriétaire d’un local à des finsprofessionnelles depuis mai 2009, le fait que les bâtiments soient en HQE (HauteQualité Environnementale) est un critère de choix. Lui et d’autres occupants duquartier ont des convictions écologiques fortes. Au quotidien, elles se traduisentpar des gestes concrets. Xavier se rend au travail et effectue ses tournées à vélo.Pour Alain c’est : « faire attention à nos consommations d’eau, ne pas laisser lespièces éclairées, maîtriser notre chauffage, enfin des choses basiques ! ».Bonne, pour ces habitants, c’est aussi une information et un échange plus fortsque dans un quartier classique, grâce entre autres aux réunions de quartier.Sylvie et son mari vont à ces rendez-vous mensuels et à d’autres rassemblementsplus ponctuels avec les personnes de la mairie, architectes et promoteurs. Alainapprécie l’information qu’il trouve à cette occasion : « La mairie de Grenoble aorganisé des réunions sur les systèmes de chauffage qui étaient mis en placedans les logements. J’y ai participé. Je pense que c’est intéressant et puis sichacun y met un petit peu de bonne volonté, on peut très facilement gagner enénergie et en coûts. »Tout n’est pas non plus parfait. Les habitants se plaignent du retard des travaux,Bertrand par exemple : « Si on mesure à la quantité de poussière sur nos balcons,on n’est pas encore au bout de nos peines. C’est un peu énervant d’avoir un petitbout de trottoir par-ci, un petit bout par-là. » Xavier voit aussi des points négatifs :« Les loyers sont relativement chers, il y a beaucoup de béton aussi, ce ne sontpas des petits immeubles en bois. » Les habitants ne désespèrent pas pourautant et ne doutent pas qu’il y aura à terme une vraie qualité de vie. Alain :« C’est vrai qu’on est encore un peu dans le chantier. Mais je pense que quand onpourra circuler de façon sympathique avec les jardins etc., on pourra en tirer uneréelle plus-value par rapport à d’autres quartiers. » Sylvie aussi est confiante enl’avenir : « Il faut que ça continue ! On a parlé de diminuer le nombre de voitures.Beaucoup trop de gens se garent. Ce n’est pas très grand, on peut carrémentles interdire. Ce serait l’idéal !»

Blandine GUIGNIER

Dossier

Un bâti très dense

Les immeubles du quartier de Bonne,d’une hauteur de sept étages, ne sontséparés que de quelques mètres lesuns des autres. Une densité plus fortepar rapport à d'autres quartiers écologiques. A Fribourg, une limite dequatre étages a été fixée pour lesimmeubles et les maisons sontmitoyennes. A Grenoble, la pressionfoncière est importante surtout dansun quartier aussi proche du centre deville. De plus, le modèle éco-quartierlutte contre l'étalement des villes. Iln'est pas donc pas question deconstruire de petites maisons en bois.

Des quartiers durables exemplaires en Europe

En Europe du Nord voilà plus de dixans que des villes précurseurs ontconstruit des écoquartiers, entreautres Beddington (Bedzed) auRoyaume Uni, Copenhague (Vesterbro)au Danemark, Hanovre (Kronsberg) etFribourg-en-Brisgau (Vauban) enAllemagne, Malmö (B001) etStockholm (Hammarby Sjöstad) enSuède. La réussite de ces quartiersfait quasiment l’unanimité et ainfluencé le développement enFrance. Des critiques demeurent surla diffusion du modèle à l’échelle de laville entière. On les accuse de n’êtreque des vitrines dans un ensemblenon durable et de s’inscrire dans unelogique d’exception. Mais à Stockholmou Fribourg par exemple, la logique dedéveloppement durable est bel et bienprésente dans toutes les politiques dela ville, au-delà des limites des écoquartiers.

L’école Lucie Aubrac. Crédits : Pigé

La résidence Henri IV, terminée en janvier 2009. Crédits : Pigé

Du retard dans les travaux

Les habitants de la résidence Henri IVont obtenu leurs appartements en janvier 2009. D'autres ont été moinschanceux. 121 logements de l'immeuble« Le Connétable », un des plus grandsdu quartier, attendent depuis un an etdemi la fin des travaux. Huit propriétairesont fait une demande d'assignationdevant le juge des promoteurs Nexityet Vinci. La livraison prévue pour septembre 2008 aura certainementlieu en janvier 2010.

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DossierVilles de demain, villes durables ?

AA l’entrée ouest de Grenoble, impossible de manquer

l’autre grand chantier de réaménagement en cours :

le site Bouchayet-Viallet, ancienne friche industrielle.

Deux immeubles verts, flambant neufs plantés au bord

de l’A480 cachent un chantier de 14 hectares qui

devrait durer jusqu’en 2011.

L'ombre d'Europole plane sur

Pour réaménager le terrain de cetteancienne friche industrielle, la ville deGrenoble a investi près de 49 millionsd’euros. Si les habitants, associations,élus et architectes ne partagent pastoujours la même vision du futur quartierBouchayer-Viallet, ils ont tous en têtel’exemple du quartier Europole.D’après Olivier Bertrand, conseillermunicipal Vert, l’histoire du projetBouchayer-Viallet commence avecFrançois Hollande, en 2001. Alorsqu’il se rendait à un meeting àGrenoble, le secrétaire national duParti Socialiste découvre, par la vitrede sa voiture, ce qui ressemble à unterrain vague d’entrepôts décrépis.L’entrée dans la « capitale des Alpes »fait mauvaise impression. C’est ledéclic pour Michel Destot. L’idée deréaménager l’ancienne zone industrielledésaffectée était déjà dans les cartonsà la fin des années 1990, mais en2001 elle prend un nouveau départ.Le dossier est confié à l’adjointe àl’économie, Geneviève Fioraso, quirelance le projet mais aussi les hostilités.

Une friche délaissée mais pasinhabitée Symbole de déclin économique et perçues comme des « cancers urbains »,selon l’expression de l’urbaniste Jean-Pierre Lacaze, les friches industriellesavaient vocation à être rasées, pourles pouvoirs publics. Détruire pourreconstruire. L’objectif est aussi defaire revenir les entreprises dans laville et les recettes fiscales qui vontavec. Ce fut le cas d’Europole,quartier de l’ancienne brasserie LaFrise remplacée par des banques et leWorld Trade Center.Contrairement à l’image extérieured’une friche industrielle désertée, lequartier Bouchayer-Viallet abrite unepépinière d’associations et d’initiativesculturelles depuis les années 1980.Progressivement désindustrialisé, lesite conserve ses bâtiments industrielscomme ceux de l’usine de chocolatCémoi, ou encore les halles du fabricantde turbines et conduites forcées qui adonné son nom au site.

En attente de requalification, cesentrepôts et immeubles vacants sontalors investis par des entreprises(ceux donnant sur la rue Ampèrenotamment), des squats et résidencesartistiques (le collectif Utopia, le Brise-glace et le 102) ou encore desassociations de soutiens à projets(Cap’Berriat et Entr’arts). Soit beaucoup

Vue aérienne de la partie ouest du chantier avantl’achèvement des « Reflets du Drac et du Vercors ».Crédits : photec -innovia

L'immeuble de bureaux “ Les reflets du Drac ” vu du chantier.

Bouchayer-Viallet abritait le Centre dramatique national des Alpes,avant son déménagement à la MC2. Crédits : Ariane Lavrilleux

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Perspective architecturale, la façade de verre de la SMAG. Crédits : DR

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Bouchayer-VialletDossier

de petites structures qui formaient unlaboratoire d’expérimentations et deréflexions sur un ancien quartierouvrier laissé à l’abandon.

L’accueil a donc été plutôt froidquand, en 2002, la Mairie propose detransformer Bouchayer-Viallet en « ZAC à vocation de développementéconomique et d’innovation ». Oubliésdu projet, l’union de quartier Chorier-Berriat, les associations culturelles etcollectifs de squat ont multiplié lesactions pour infléchir la décisionmunicipale. « On avait en mémoire leprécédent Europole qui date de l’èreCarignon et symbolise le libéralismeoutrancier », se souvient OlivierBertrand.

Une zone économique plus culturelleet plus écolo qu’Europole Aujourd’hui le plan de réaménagementurbain en cours de réalisation, donneplus de place à la culture avec notamment la construction à l’horizon2011 d’une salle de concert dédiéeaux musiques amplifiées (SMAG).L’objectif est désormais de faire « unquartier Europole, version vivant »,selon les mots de Frédéric Cacciali,chargé d’opération adjoint à la SEMInnovia, l’aménageur des 14 hectaresde Bouchayer-Viallet. Avec 65 000 m2

d’entreprises et commerces, l’activitéprincipale du quartier restera économique. Á Europole, la tour vitréede Novotel et le World Trade Centers’étaient installés. Á Bouchayer-Viallet,il y aura un hôtel Mariott 3 étoiles etla Chambre de métiers.

Julien Joanny, membre du Conseild’Administration de l’associationCap’Berriat, ne voit pas d’un bon œilce qui « ressemble beaucoup à unEuropole bis ». L’immeuble Mandrakoccupé par le collectif Utopia a étédétruit, le collectif Brise-Glace s’estdispersé dans Grenoble, dont une

partie près de la Porte de France. Enattendant la fin des travaux, Cap’Berriata été relogé dans un local provisoire,proche de l’emplacement de la futuresalle de concert. « On se sent un peuà l’étroit dans ces bureaux, mais surtout on ne peut pas fonctionnernormalement car on a plus qu’uneseule salle d’activité au lieu de quatreavant les travaux », précise JulienJoanny. Deux des locaux qu’ils occupaient ont été détruits et le troisièmea été cédé au collectif Utopia.Côté respect de l’environnement, laZAC de Bouchayer-Viallet prendexemple sur le nouveau quartier deBonne. Point de grandes baiesvitrées, ni de parkings complètementsouterrains comme à Europole mais,entre autres, des immeubles avecpanneaux solaires pour la productiond’eau chaude et des parkings semi-enterrés « pour ne pas taper dans lanappe phréatique », justifie AntoineFélix-Faure, l’architecte du projet. Lamixité sociale n’a pas non plus étéécartée du projet, puisqu’il y aura35% de logements sociaux

Un patrimoine en partie conservé Alors que tous les bâtiments industriels« historiques » d’Europole ont disparu,à Bouchayer-Viallet, les habitants ontinsisté pour en conserver le maximum.La petite halle, en face du muséed’art contemporain (CNAC), a été restaurée mais la grande halle n’a paspu être sauvée. « Construite en aciertrès cassant, elle était très dégradéeet le coût aurait été beaucoup tropimportant pour la remettre en état »,selon l’architecte. Un désaccorddemeure sur le monument aux mortsconstruit à l’endroit où des Résistantsgrenoblois sont tombés en 1944. LaSEM Innovia veut le déplacer pourfaire passer une allée. L’union dequartier Chorier-Berriat y est fermementopposée, mais la SEM est prête àmodifier ses plans.

Pour l’heure difficile de juger si l’objectif de faire de Bouchayer-Vialletun « véritable quartier de ville » seraréalité. Rendez-vous, une fois l’anciennefriche finalisée et habitée. Au plus tôt,fin 2011.

Ariane Lavrilleux

Le monument aux morts du Squaredes fusillés, sujet de désaccord.

Le local actuel de Cap’Berriat.

Vue nord-est du chantier Bouchayer-Viallet, des bureaux serontconstruits sur ce terrain vague.

Page 16: Pigé Magazine n°9

« La diminution des

inégalités passe par

l'accessibilité et la

mobilité »Christine Lelévrier,

sociologue et maître de

conférence à l'Institut

d'urbanisme de Paris.

Pourquoi faut-il de la mixitésociale dans la ville ?Derrière la notion de mixité, le problèmeposé est celui de la ségrégation spatialequi génère des inégalités. Mais lamixité est une valeur. S'il faut l'avoiren perspective dans les actionspubliques, elle n'est pas une fin ensoi. Un territoire peut être mixte à uninstant donné mais il ne le restera paséternellement. Il y a une mobilité permanente des populations et lacapacité de régulation de l'actionpublique a des limites.

Alors, comment diminuer lesinégalités ?À mon avis, la question de l'accessibilitéest plus importante que celle de lamixité. Prenons par exemple le cas dela Seine-Saint-Denis. Cela fait près de30 ans que l'on essaie de faire venirdes classes moyennes. La réhabilitationde logements, les réaménagements,la création d'une zone franche urbainen'ont en rien favorisé la mixité. Lasolution se trouve donc au niveau dela population présente. En réalité, ladurabilité d'un quartier passe par l'accessibilité qu'ont les habitants auxlogements, aux transports et demanière plus générale à leur insertion.La mixité ne règle pas les inégalités.Il faut ajuster l'action publique auxprocessus sociaux.

Propos recueillis par Clémence Glon-Villeneuve

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UVilleneuve de Grenoble :le défi de la mixité

Un parc, un aménagement pensé pour le piéton, une offre

d'habitat diversifiée, des services délocalisés, des équipements

destinés à la culture, aux sports et aux associations... Le projet

d'urbanisme de la Villeneuve semblait rassembler tous les

éléments d'un quartier durable. Pourtant, après 40 ans de

brassage social, la population s'est homogénéisée par le bas.

Vue de l'extérieur, la Villeneuve estsouvent assimilée à ces grandsensembles qui ont poussé pardizaines au cours des années1960. Cependant, le quartier a étéconstruit sur un projet social novateurselon deux lignes directrices. Avec50% de logements sociaux, la ville,dirigée à l'époque par HubertDubedout, affirmait sa volonté defavoriser le brassage social. Et puisl'enseignement dispensé dans lesécoles misait sur le bénéfice del'hétérogénéité. Jean-Philippe Motte,conseiller municipal délégué à lapolitique de la ville, parle d'une « éducation citoyenne, ouverte surl'autre ». Mais l'aspect expérimental« chahutait les repères habituels »et de nombreuses dérogations scolaires ont été accordées dès lespremières années. Au cours desdécennies 80 et 90, la classemoyenne vieillissante a été remplacéepar une classe populaire qui s'estappauvrie. A l'échelle de l'Arlequin,le pourcentage de locatif social estaujourd'hui de 70%.

Plus de cigarettes que de journauxMourad tient le bureau de tabacsitué place du Marché. Il est arrivéà la Villeneuve en 1974, soit deuxans après les premiers habitants dela galerie de l'Arlequin. Pour lui, lescommerces qui ferment les unsaprès les autres illustrent bien lapaupérisation du quartier. S'il réussit

à conserver son magasin c'estgrâce aux cigarettes car, depuisquelques années, les journaux nefont plus recette. Les gens quivivent dans le quartier ont d'autrespréoccupations. La classe moyenne,chanceuse de « pouvoir faire unchoix », aurait déménagé par lassitude. Au lieu de régler ce que Mourad appelle les « petits désagréments », tels que desjeunes qui squattent dans les alléesou les bruits de scooters en soirée,les plus riches ont préféré partir.

Une conception de base erronéeJean-Philippe Motte estime quel'homogénéisation sociale de laVilleneuve reflète la tendancequ'ont les ménages à « rester entresoi ». Cette « donnée fondamentale »a été trop laissée de côté. De plus,au-delà du simple quartier, le projetconsistait à faire naître « un véritablemorceau de ville ». La Villeneuve,avec sa configuration orientée versl'intérieur, devait être une « entitéauto-centrée ». Depuis juillet 2008,un grand plan de rénovation urbainea été engagé afin de désenclaver lesecteur. Une leçon à retenir pour lesécoquartiers. Pour ne pas être vouésà l'échec et à un « déséquilibreassuré », ils devront s'ouvrir aureste de la ville et s'intégrer à une « écocité ».

Clémence Glon-Villeneuve

DossierVilles de demain, villes durables ?

Mourad se souvient que la Villeneuve est avant tout un « beau projet » que la

pauvreté a fait lentement dériver.

Comme l'école du Lac, les services de laVilleneuve se situent entre les habitations

et le parc Jean Verlhac. Crédits : Pigé

Page 17: Pigé Magazine n°9

LLa gouvernance est considérée comme le quatrième pilier du

développement durable avec l’économie, l’environnement et le

social. Elle joue donc un rôle fondamental dans le développement

des politiques urbaines de demain.

Panorama de ses différents niveaux.

17

Décider la ville de demain Dossier

La gouvernance mondiale se manifeste par de grands sommets fixant des enjeux globaux et les grandes lignes d’action :

• Le sommet de Rio (1992), avec l’instauration des Agendas 21 et l’énumération des grands principes du développement durable ;• La Convention sur le Climat de Kyoto (1997) avec la signature du protocole, continuée par le sommet de Copenhague

(décembre 2009)• Le sommet de Johannesburg (2002), qui place le développement durable comme le principal objectif politique à atteindre à l’aube

du 21ème siècle.Plusieurs institutions proposent leur vision, à titre consultatif ou réglementaire: les sommets de type G (G8,G20…), l’OMC…

Substitution progressive des compétences étatiques à l’échelon européen sur les problématiques de développement durable.

• 1987 : Acte Unique Européen, reconnaissance de ce transfert de compétences dans des domaines tels que les transports,l’environnement… Rapport Brundtland définissant le développement durable comme « un développement qui réponde auxbesoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».

• 2001 : L’Europe demande à chacun de ses Etats membres de fixer une stratégie nationale de développement durable(Göteborg, 2001), incluant une refonte des politiques urbaines.

L’Etat est un échelon réglementaire qui encadre les politiques locales de développement durable :

• Lois Voynet (1999) sur l’aménagement durable des territoires• Loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain) : création des PDU (Plans de Déplacement Urbain) et PLD (Plans Locaux de

Déplacement).• Stratégie nationale de développement durable française mise en place le 3 juin 2003, qui a pour principal objectif d’influencer

les politiques publiques en fonction de leur impact environnemental.• 2007 : Lancement du Grenelle de l’Environnement, ensemble de réunions politiques ayant pour but de construire des mesures

éco-compatibles de long terme.

Le niveau local, principal levier de mise en oeuvre des politiques de développement durable :

• Agendas 21 locaux, créés par le sommet de Rio ;• Engagements d’Aalborg (2004), 327 villes européennes s’inscrivent dans une démarche commune de développement durable ;• Déclinaison locale des instruments nationaux : Plan Climat local, Plan local d’urbanisme, Plans de Déplacements Urbains…

Un exemple concret de l’imbrication des niveaux de gouvernance… Pour qu’une politique de développement durable soit efficace, elle doitintégrer les considérations des différents décideurs politiques. L’efficacité énergétique des bâtiments, un enjeu qui mêle urbanisme et écologie,permet d’illustrer ces liens.

Niveau mondial le protocole de Kyoto (1997) propose un calendrier de réductions des gaz à effet de serre.Niveau européen le Parlement a voté en décembre 2008 le « Paquet Climat », proposé par la Commission Européenne, fixant des objectifs continentaux deréduction des émissions.Niveau national la France a mis en place le protocole de Kyoto en 2005. Les lois Grenelle Environnement 1 et 2, votées en 2008 et 2009 (projet de loi) fixentdes objectifs nationaux de réduction des gaz à effet de serre.Plan climat local de l’agglomération grenobloise propose des mesures incitatives pour limiter la production des gaz à effet de serre dans les transports et lesbâtiments. En 2010, la Métro lancera un plan de réhabilitation à l’échelle de l’agglomération pour les copropriétés construites entre 1945 et 1975, de vraies « passoires thermiques ». Plusieurs villes en Isère ont lancé des Opérations Programmées d’Améliorations Thermiques et énergétiques des Bâtiments (OPATB).

Page 18: Pigé Magazine n°9

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Une nouvelle carte électorale PIGÉenquêté

NNeutre politiquement pour la majorité UMP-Nouveau Centre, elle est dénoncée comme

« manipulation politique » par la gauche. La nouvelle carte électorale, qui doit

mettre fin aux inégalités de représentation entre les circonscriptions et mieux

représenter les Français de l’étranger, a fait l’objet de nombreux débats.

Le redécoupage électoral, confié à Alain Marleix, secrétaire d’Etat aux collectivités

territoriales, a été adopté par 302 voix contre 215 à l’Assemblée Nationale début

novembre. L’occasion de revenir sur une réforme mouvementée.

S’il est un débat qui suscite la vervedes parlementaires dans l’hémicycle,c’est bien celui de la réforme des collectivités territoriales. Dossier cléde la rentrée gouvernementale inscrità l’agenda du secrétaire d’Etat auxcollectivités territoriales, il provoque la fronde des députés socialistes.Nicolas Sarkozy l’avait promis, laréforme des collectivités serait unepriorité de son quinquennat. Démêlerl’enchevêtrement de pouvoirs de décision locaux, redécouper la carteélectorale, autant de travaux d’Herculeauxquels s’attèlent Alain Marleix. Cars’il est un virtuose en la matière, c’estlui. Une fonction taillée sur mesurepour cet ancien RPR et journaliste parlementaire, qui a réalisé le précédentredécoupage de 1986 aux côtés deCharles Pasqua.

Les modalités de la nouvelle carteélectorale Réclamé par le Conseil Constitutionnel,le redécoupage de la carte électorale,qui sert de base à l’élection des députés,permet de prendre en compte l’évolutiondémographique. Avec une populationpassée de 54 millions en 1986 à 63 millions en 2009, les inégalités dereprésentation se sont accrues entreles départements et les cantons. Alorsque le député de la 2ème circonscriptionde la Lozère représente 34 374 habitants selon le recensement de1999, son homologue de la 2ème

circonscription du Val d’Oise défendles intérêts de 188 200 citoyens. Deuxhabitants de Lozère pèsent doncautant que onze habitants du Val d’Oise.En 2007, les élections législativess’organisaient encore dans les circonscriptions dessinées en 1986 par

Bien qu'Alain Marleix ait souhaité un redécoupage à minima, la réforme est d'envergure : 67 départements sont concernés. Infographie Le Figaro.

Des députés pour représenter les Français de l’étranger

Nicolas Sarkozy en avait fait la promesse durant sa campagne électorale. Ce sera chose faite en 2012. Ils sont plus dedeux millions de Français à vivre à l’étranger mais seuls 820000 d’entre eux sont inscrits sur les listes électorales. PourJacques Rémiller, l’explication est simple : « Peut-être ne votent-ils pas parce qu’ils ne sont pas suffisamment représentés.Par ailleurs, le système électoral français fait qu’on ne peut pas voter par correspondance comme en Allemagne »Jusque là, 12 sénateurs, élus au suffrage universel indirect par le collège électoral de l’Assemblée des Français del’étranger (AFE), étaient chargés de les représenter. L’AFE exprime depuis plusieurs années son souhait d’être égalementprésente à l’Assemblée Nationale. Une légitimité qui vient enfin de lui être reconnue et que salue le député UMP :« Pourquoi les Français de l’étranger ne seraient-ils pas représentés ? Il leur faut des députés à même de traiter lesproblèmes de l’expatriation. » Une réforme phare qui ne convainc pas tout le monde : « Il y a une tendance générale ycompris dans les autres pays à vouloir représenter les citoyens vivant à l’étranger. Mais il y a une limite à cette mesure :les Français de l’étranger s’abstiennent beaucoup plus que les résidents. Cela peut les inciter à aller aux urnes maisj’en doute. Certains ont quitté la France il y a des décennies » explique Pierre Bréchon, professeur en science politiqueà l’IEP de Grenoble. Des Français de l’étranger qui avaient largement plébiscité le candidat UMP lors des élections présidentielles (54%), le score obtenu par Nicolas Sarkozy allant jusqu’à 90% des voix en Israël. Avec 12 nouvelles circonscriptions transnationales, la droite pourrait voir son nombre de sièges augmenter aux prochaines élections législatives. Les socialistes dénoncent en effet ce qu’ils considèrent comme une prime à la droite : selon Jean-Jacques Urvoas,député PS : « Sur onze circonscriptions créées, neuf auraient un député UMP ».

Départements......Gagnant des circonscriptions (14 départements)...Perdant des circonscriptions (27 départements)...Remodelés (22 départements)...Sans changement

Page 19: Pigé Magazine n°9

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PIGÉenquêtépour les législatives de 2012

Charles Pasqua sur la base du recensementde 1982. Des inégalités jugées inacceptablespar le Conseil Constitutionnel, qui a rappeléle caractère « impératif » du redécoupageface aux disparités de représentation, souspeine d’annuler le résultat des prochaineséchéances électorales.

Il aura fallu sept mois de réflexion et deconsultation pour dessiner la nouvellecarte. La réforme fixe un nombre de 577 députés, dont 11 hors métropole, enaccord avec la révision constitutionnelle de 2008. Les trois règles utilisées en 1986 président également au nouveau découpage : il s’opère selon le critèredémographique qui s’appuie sur l’article 3de la Constitution stipulant que « le suffrageest toujours égal ». Est également sollicitéela méthode de calcul Adam, qui prévoitune répartition par tranche avec un députépour 125 000 habitants. Autre élémentpris en compte, la continuité territoriale entreles cantons. Quant à la tradition républicainede deux députés par département, souhaitéepar le gouvernement, elle a été contreditepar le Conseil Constitutionnel.

Pour André Vallini, député socialiste de l’Isère et présidentdu Conseil général du département, la carte électorale faitpartie intégrante du jeu politique : « Comme le disent lesCorses : chacun son tour dans les bras de maman.On s’en accommode quand on est dans l’opposition et quand on est au pouvoir on essaie d’en changer. »Crédit : cabinet A. Vallini.

La fronde socialisteLe parti socialiste, qui s’estime lésépar la nouvelle carte électorale, entenddéposer un recours devant le Conseild’Etat pour contester le redécoupagedans plusieurs départements. Et lesaccusations n’ont pas manqué parmiles députés de l’opposition : dénonçantce qu’il appelle un « tripatouillage »,une « manipulation politique », le PSaffirme que sur les 33 circonscriptionssupprimées, 23 sont de gauche et 10sont détenues par la droite. Des calculsque conteste la majorité. Mis en accusation, le secrétaire d’Etat auxcollectivités territoriales a souhaitéplaider son projet : 18 circonscriptionsseraient de gauche et 15 sont géréespar l’UMP. Alain Marleix se défendd’avoir utilisé un critère autre quedémographique. Parmi les socialistesmontés au créneau, la députéemosellane Aurélie Filippetti, qui voit

sa circonscriptiondisparaître. Et l’éluesocialiste ne cachepas sa colère : « Augré de votre bonvouloir, vous aviezainsi créé, en 1986,la 8e circonscriptionde Moselle, alors

dessinée pour tomber dans l’escarcellede la droite. Vous la supprimez aujourd’hui car depuis 1997, elle étaità gauche. » Mais si certains crientvolontiers au scandale dans les rangssocialistes, la sagesse semble plutôt de mise chez d’autres. Ledéputé socialiste André Vallini s’enexplique : « Ce qui nous arrive, on l’apas volé. On aurait dû le faire plus tôt.J’avais demandé à Lionel Jospin en1998 la chose suivante : il faudraitque l’on pense à redécouper les cantonsen raison de la surreprésentationrurale. On venait de perdre de justesse.Cependant, si on additionne la population des cantons qui avaientvoté pour moi, elle était supérieure àcelle ayant voté pour la droite. Jereprésentais plus de population maisj’avais moins de voix. Mais Lionel

Jospin avait d’autres priorités, le chômage et encore le chômage.C’était un homme politique d’appareil,il aimait les grandes réformes,notamment sociales, pas les questionsélectorales. » Car le redécoupageélectoral demeure un exercice délicatauquel se livrent à contrecœur lesgouvernements. Un dilemme qu’anotamment connu la gauche : « Lesgrands redécoupages sont rares carc’est une opération coûteuse. En2002, la gauche plurielle était souspression de ses partenaires. LesVerts, les petits partis, radicaux,communistes souhaitaient une proportionnelle totale. Du coup, ilsn’ont rien fait » rappelle Pierre Bréchon,professeur en science politique à l’IEPde Grenoble.Principal argument avancé par l’opposition, le nouveau découpagerendrait l’alternance impossible enFrance, la gauche devant désormaisobtenir 51,3% des suffrages pour êtremajoritaire au Parlement. Des chiffreségalement contestés: « Je crois que siles Français veulent l’alternance, ellese produira. Un mandat n’est jamaisacquis. Si les Français ne sont pascontents, ils en changent et ce n’estpas une réforme qui les en empêchera »explique le député UMP JacquesRémiller. Y compris dans les rangs dela gauche : « Je partage la protestationdes socialistes mais il ne faut pasoublier que deux choses comptentautant que le découpage : la conjoncture politique et la personnalitédes candidats. Ma circonscriptionavait été créée sur mesure pour monprédécesseur. Charles Pasqua avaitaccepté de lui enlever Saint-Egrèvequi était à gauche. Et pourtant je l’aibattu. La conjoncture de 1997 m’aaidé – il y a eu la dissolution et MichelHanoun était plombé par des affaires– J’ai été réélu en 2002 grâce à untravail de terrain considérable » ajoute André Vallini.

« Les grands redécoupages

sont rares car c’estune opération

coûteuse. »

Page 20: Pigé Magazine n°9

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Une nouvelle carte électorale pour les législatives de 2012PIGÉenquêté

« Il n’y a pas de bon découpage »Présenté en Conseil des ministresfin juillet, le projet de redécoupagea été adopté par les députés à l’automne par 302 voix contre 215.Seul recours désormais pour la

gauche, le Conseil Constitutionnel. Mais les débats ont toutefois permis de souleverla question d’un découpage équitable et neutre politiquement. Et pour PierreBréchon, professeur en science politique à l’IEP de Grenoble, la réponse est sansambages : « Il n’y a pas de bon découpage. A partir du moment où l’on fait desfrontières particulières pour une élection, le problème est insoluble, et ce, encoreplus avec des politiques. Le bon découpage a minima, c’est un découpage qui n’estpas fait par les hommes politiques. Même avec des bons principes démocratiques,ils ne peuvent s’empêcher de se demander ce que cela va donner en termes de rapport de force politique. Bien sûr, il y a eu une commission indépendante maisses membres ont été nommés sur des critères politiques. Par ailleurs, elle a peséd’un poids mineur dans le découpage. C’est le même constat avec le Conseild’Etat et le Conseil Constitutionnel. Ils ont encadré le processus. Mais le principedemeure consultatif, les propositions n’ont pas été suivies, comme le fait derevoir circonscription par circonscription là où la population était mal répartiesociologiquement. Les territoires ne doivent pas être sociologiquement trop marqués,l’objectif, les représentants ne doivent pas être ceux d’une catégorie mais detoute la société. » Carte électorale ou mode de scrutin, chacun est le premier àtirer parti des instruments électoraux une fois aux rênes du pouvoir. Un jeu politiqueauquel tous participent : en 1986, François Mitterrand, alors président, décide dechanger le mode de scrutin à la veille des échéances électorales afin d’amoindrirla défaite programmée de la gauche. Une idée largement partagée par le députésocialiste, André Vallini : « Comme le disent les Corses : chacun son tour dansles bras de maman. On s’en accommode quand on est dans l’opposition, et quandon est au pouvoir on essaie d’en changer. Mais la République irréprochable deNicolas Sarkozy est entachée par la pseudo indépendance de la Commissionprésidée par Guénat, un ancien RPR. Le redécoupage est donc suspect. Il fautune commission indépendante composée de membres du Conseil d’Etat, desociologues, d’experts dont les membres sont nommés à la majorité des 3/5 parle Parlement. Mais ce n’est pas dans la culture des pays latins. »

Anne-Sophie Pierson

L’Isère gagne une circonscription

Et de dix pour l’Isère ! Le département compte, eneffet, au nombre de ceux qui gagneront une nouvellecirconscription en 2012. La petite dernière devraitprendre pied dans le Nord du département, où lapopulation a augmenté au cours des dernièresannées. Avec quelque 150 000 habitants, les troiscirconscriptions Nord, détenues par l’UMP, accusentun déficit de représentation auquel entend remédierle nouveau découpage. Après quelques incertitudessur leur tracé, les contours de la 10ème circonscriptionsont enfin scellés. Elle réunira donc les cantons de La-Tour-du-Pin et de Pont-de-Beauvoisin, empruntés àla 6ème circonscription du député UMP, Moyne-Bressantainsi que ceux de Bourgoin-Jallieu Sud, la Verpillère etl’Isle d’Abeau dont sera amputée la 7ème circonscriptionde son homologue Georges Colombier. En compensation,celui-ci se verra adjoindre les cantons de Roussillonet de Beaurepaire, pris à la 8ème circonscription deJacques Rémiller. En Isère, contrairement à d’autresdépartements, le redécoupage fait consensus chez

les élus. Pour le députéisérois André Vallini :« L’Isère gagne unedixième circonscriptionmais elle ne pose pasproblème. Il en fallaitabsolument une. Ellen’est pas taillée surmesure pour la droite, ni

pour la gauche d’ailleurs. Elle va être intéressante.Ce n’est pas un terrain de gauche mais elle ne lui estpas non plus hostile avec 5 conseillers généraux àgauche. » « C’est vrai que la 8ème nous est devenueplus favorable. On peut difficilement crier au scandale.Beaurepaire et Roussillon étaient des fiefs plutôt àgauche » renchérit Jacques Rémiller, député UMP de la 8ème. Mais si la majorité et les socialistes s’accordent sur la nécessité de créer une circonscriptionsupplémentaire, son tracé et les modalités de sa miseen œuvre ont, en revanche, fait davantage débat.« Tout redécoupage doit s’accompagner d’une fortenégociation, a priori, ce qui n’a pas été le cas » soulève Jacques Rémiller. Si le nouveau tracé confortel’assise des députés UMP dans leur circonscription, ilest aujourd’hui difficile de prédire si la 10ème

circonscription tombera dans l’escarcelle des socialistes ou de la droite. Même avec des bassins devie plutôt orientés à gauche, la victoire pourrait principalement s’avérer être la conséquence d’unimportant travail de campagne : « Créer une circonscription n’est jamais facile. Il faut penser auxréactions des gens. Beaucoup ne manifestent pasd’intérêt pour les questions électorales. Dans leurtête, leur député c’est Jacques Rémiller. Il y a de réelsenjeux de communication pour leur faire assimiler lechangement » rappelle le député maire de Vienne.

Le nouveau redécoupage en Isère. Source : France 3

Jacque Remiller, député maire UMP deVienne, voit sa circonscription renforcéepar le nouveau découpage électoral.Crédit cabinet Jacques Remiller.

« Créer une circonscriptionn’est jamais facile. Il faut penser aux

réactions des gens »

Page 21: Pigé Magazine n°9

LAuto-entrepreneuriat : une mode passagère ?

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Lancé en France le 1er janvier 2009, le régime d’auto-entrepreneur

semble trouver son public avec 200 000 créations au 1er septembre.

Mais ce chiffre cache une réalité mitigée : abandons rapides,

faibles chiffres d’affaires… Une fois l’effet de curiosité estompé,

la France va-t-elle durablement devenir un pays d’entrepreneurs

ou revenir en arrière ?

PIGÉéconomie

Créer sa boîte en France n’a pas toujoursété simple : complexité administrative,risques financiers… Le régime d’auto-entrepreneuriat cherche à rendre plusaccessible le monde de l’entreprise,notamment grâce à une fiscalitéréduite, des formalités simplifiées…Cette volonté politique n’est pas nouvelle : Raymond Barre (alorsPremier Ministre) déclara à la fin desannées 70 que « chaque chômeurdevait créer sa propre boîte ».L’entreprise individuelle était alorsperçue comme un moyen d’endiguerles bataillons de chômeurs dus à lacrise économique. Les réussites desentreprises de Bolloré, Pinault ont suscité des vocations.

La peur du risqueEt pourtant. En 1900, il y avait 9 millionsd’entrepreneurs pour 40 millionsd’habitants. Un siècle plus tard, onn’en compte plus que… 2 millionspour 65. Pourquoi ce déclin ? Il y a eud’abord, comme le rappelle CatherineDerousseaux, consultante en entre-preneuriat, l’essor du capitalismeindustriel : « On a assisté à la créationde grandes entreprises, à l’origined’un salariat de masse ». Entreprisesqui, à mesure de leur développement,ont cannibalisé certains secteurscomme le commerce, enterrant ainsiles petites affaires familiales.La fin des 30 Glorieuses a créé unerupture. Le chômage de masse estapparu, les grandes entreprises ontété affaiblies et, pour reprendre l’expression de la sociologue DominiqueMéda, s’est enclenchée la « fin dusalariat. » Pour assister à la naissanced’une société d’entrepreneurs ? Oui,s’attache à dire Catherine Derousseaux,qui parle de « lame de fond » pour

évoquer ce mouvement. « La crisedure depuis 30 ans, rappelle-t-elle, etle rôle de l’Etat est voué à diminuer. »Mais cet effet a du mal à se concrétiserdans les chiffres. Le fait que la Franceait le meilleur système de protectionsociale d’Europe, protégeant mieuxqu’ailleurs ses salariés, est une expli-cation. Et ce lien entre entrepreneuriatet protection sociale se généralise àl’international. « On sait qu’on n’a pas lamême sécurité qu’en tant que salarié »avoue Sébastien, auto-entrepreneuren devenir.

Une activité… en complémentLes auto-entrepreneurs correspondentsurtout à trois profils : les retraités/salariés qui y voient une activité decomplément, les chômeurs « en herbe »et des entrepreneurs. Pole emploiencourage les seconds à lancer leuraffaire, bien que le cumul allocations-salaire ne se fasse pas... Mais leschiffres du chômage, eux, peuventêtre revus à la baisse. « Je ferai ça encomplément » admet Sébastien,traduisant une vision partagée parnombre d’auto-entrepreneurs : créersa boîte sous ce régime relève plus dela contrainte financière que du désirde liberté. Les entrepreneurs dansl’âme préfèreront créer une entrepriseindividuelle en nom propre ou uneEURL (Entreprise Unipersonnelle àResponsabilité Limitée) : l’apport decapital nécessaire, l’absence de limitede chiffre d’affaires encouragent etcrédibilisent. Sébastien lancera-t-ilune plus grosse affaire par la suite ? Il préfère évoquer… un départ àl’étranger.

Gwendal Perrin

Pays Taux d'entrepreneurs Taux de prélèvementsdans la population obligatoires

Australie 11,9% 31,1%Etats-Unis 10,9% 27,3%Canada 8,9% 31,2%Espagne 6,4% 35,8%Grande-Bretagne 6,1% 36,5%Finlande 6% 45,1%Allemagne 6% 34,8%France 4,7% 44,1%Suède 4,3% 50,7%Japon 3,2% 27,4%

Comparaison entre taux d'entrepreneurs et prélèvementsobligatoires (Données OCDE, 2009)

Auto-entrepreneur, souvent la galère…

Marc, qui a créé une auto-entreprise de vente de pizza ambulante enmars 2009, a mis les clés sous la porte trois mois plus tard. « Jecherchais à arrondir mes mois, déclare-t-il. Mais pour dégager unpeu d’argent il faut passer du temps. Ma vie de famille en pâtissait. »Son cas n’est pas isolé : seulement 43% des auto-entreprises dégagentun chiffre d’affaires, s’élevant en moyenne à 1400e/mois… Aprèsimpôt, le revenu net est loin d’atteindre le SMIC. De plus la simplicitédes démarches trahit l’isolement des créateurs : il n’existe pas d’aideparticulière à la création d’auto-entreprise. Enfin les artisans se plaignentd’être confrontés à une concurrence déloyale : avec leur fiscalité « normale », ils se disent désavantagés… Les auto-entrepreneurs nesont donc pas toujours les bienvenus.

Pour devenir auto-entrepreneur,il suffit de remplir un

simple formulaire.

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Pôle emploi, mariage PIGÉreportage

A l’agence Pôle emploi de la Bastille de Grenoble, les fonctionnaires ne chôment pas. Toutes lesminutes, la porte vitrée de l’agence claque derrière les allées et venues des demandeurs d’emploi.Mardi 3 novembre, à dix heures du matin, les agents travaillent depuis 8 h 30 et accueilleront encoreles chômeurs sans discontinuer pendant plus de six heures. La veille, ils ont enregistré 30 nouvellesinscriptions. Vu l’affluence du jour, le rythme risque de perdurer.En entrant dans l'agence, le chemin semble simple. Une flèche à droite pour « l’espace découverte »,une à gauche pour « l’espace emploi ». Le premier sert à orienter les nouveaux arrivants, informerles bénéficiaires d’allocations sur leur situation et les payer. Le deuxième comporte une petite salled’attente et un guichet pour les rendez-vous. Au milieu, une rangée d’une dizaine d’ordinateurs,chacun muni de sa propre imprimante pour les consultations des offres d’emplois, exclusives auréseau Pôle emploi.Un grand open space donc, ressemblant à un bureau SNCF un jour de grève, en ébullition permanente.Peu de moments de répit. Les panneaux digitaux censés afficher le numéro des ordres de passagene fonctionnent plus. De toute façon, il n’y a pas de borne où prendre son ticket. Les conseillerscourent dans tous les sens. L’une réoriente celui qui s’est trompé d’espace : il a choisi celui de « l’emploi » alors qu’il doit percevoir ses allocations à l’espace « découverte ». Ils font face à dessituations différentes et imprévues. Aux personnes qui viennent pour trouver une formation, à cesgens qui parlent mal la langue française, ceux qui ne savent pas utiliser la borne téléphonique miseà disposition des usagers, ceux qui ont encore oublié la pièce manquante de leur dossier et quicommencent à se lasser de venir inutilement… Une agence Pôle emploi, cela ressemble d’abord àcela, un grand fourmillement où chaque problème est abordé comme il vient, en fonction de la personne qui se présente à l’agent.

Pôle emploi : Acte de naissance

Pôle emploi est né le 5 janvier 2009,de la fusion de l’Anpe, établissementpublic, et des Assedic, un groupementd’associations. L’un comptait et plaçaitles chômeurs, l’autre les indemnisait.Nicolas Sarkozy, durant sa campagne,avait promis de les regrouper en vuede réformer l’organisation de ce service public. Ambitions affichées ?Un service simplifié : le chômeurpeut le même jour et au mêmeendroit s’inscrire, calculer ses droitsà l’indemnisation et élaborer sonprojet professionnel. Un guichetunique, un conseiller unique. Lamise en place sera progressive jusqu’en 2010.

CComment se traduit concrètement la fusion Assedic-Anpe, depuis janvier 2009,

pour le chercheur d’emploi ? Le regroupement des deux services avait pour

but initial de simplifier la recherche d’emploi et la perception des allocations

chômage. Si du côté des syndicats le mariage est considéré comme raté,

le bilan est mitigé du côté des demandeurs d’emploi.

L’agence Pôle emploi de la Bastille à Grenoblecompte une vingtaine d’employés. Elle a enregistré 30 nouvelles inscriptions lundi 2 novembre.Crédits : Pigé

Chômage partiel

Parallèlement, alors que 30 000salariés étaient au chômage partiel au 1er trimestre 2008, ilsétaient 320 000 au 2nd trimestre2009 (INSEE).

Catégorie 1 : “ personne sans emploi immèdiatement disponible,tenue d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi,à durée indéterminée à temps plein “.

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PIGÉreportage de raison ?

Impressions Cette ambiance électrique n’est sans doute pas étrangère à la fusionAnpe/Assedic, amorcée en janvier 2009. L’agence de la gare, rue ÉmileGueymard, ayant fermé depuis juillet, les inscriptions et indemnisations se fontdésormais au Pôle emploi de la Bastille, qui ne s’occupait auparavant que desrecherches d’emploi. Ce rapprochement a peut-être renforcé l'aspect "miroir auxalouettes" de ce service public très particulier. Les chercheurs d'emploi,légitimement exigeants, ne peuvent que tomber de haut lorsque leurs attentes nesont pas satisfaites. Leur déception se traduit parfois par une légère animositéface aux conseillers qui doivent encaisser ces multitudes de cas si différents.

Gustavo, Italien, est un cas d'école. Il est arrivé en France il y a un mois pour serapprocher de son fils, qu'il a eu avec une Française dont il est divorcé. Il se présenteaujourd'hui pour son inscription. Après 1h30 d’attente pour un rendez-vous de15 minutes, celui-ci a été reporté pour cause de… problème d’imprimante ; iln’a donc pas reçu son attestation d’inscription. Il devra revenir jeudi pour commencersa lettre de motivation et récupérer son attestation. Lui qui a vécu, étudié et travaillé aux Etats-Unis est un peu déboussolé par les démarches à entreprendre.« Je ne comprends pas le système, ici en France. Surtout en ce qui concernel’administratif. Tu dois voir une personne, puis une autre, puis une autre, c’esttrès compliqué ! ». Comme beaucoup d’autres chercheurs, il songe déjà àd’autres solutions pour parvenir à ses fins. Il prospecte dans l'édition audiovisuelle,un secteur peu connu à l’agence.

Finalement, les conseillers du Pôle emploi sont un peu comme des coachs.Nicolas, Jérôme, Gustavo, tous tiennent à peu près le même discours : « Lesagents font face à des personnes tendues, parfois à bout. Ils se débrouillentcomme ils peuvent et plutôt bien. En fin de compte, ils sont là pour nous dynamiser,savoir nous présenter, mais l’essentiel, c’est à nous de le faire. »

Raphaël Lizambard,Emilie Brouze

Et ailleurs en Europe ?

Un guichet unique pour prestations et placement : le Job center britannique a inspiré le Pôle emploi français. « C’est l’une des formes de structure les plusabouties : elle est efficiente, économe… » explique Philippé Loppé de l’Alliancedes villes pour l’emploi. « Chaque Etat dans l’Union Européenne établit un plannational d’accès pour emploi avec l’obligation de proposer un dispositif public.L’Europe offre plusieurs directives qui visent à la convergence des organisations.Elle ne décrit pas la structure à installer mais définit des finalités à atteindre,comme la proximité ou l’accueil. » Au Danemark depuis 2007, les Job centersregroupent les services de l’Etat qui suivent les chômeurs indemnisés et ceux dela municipalité qui s’occupent des personnes non indemnisées. Et depuis l’été2009, la gestion de ces structures a été confiée aux communes. L’Allemagne aun système similaire au Pôle emploi français avec les agences fédérales pourl’emploi. Mais Angela Merkel veut refonder ces structures d’ici 2010.

« Organiser dans la désorganisation »

Problèmes de formation, d’accueil et d’organisation : les syndicats régionauxcritiquent la nouvelle structure. Ils ont participé à plusieurs manifestationset grèves, dès l’ouverture du Pôle emploi.

Précipité et désorganisé. C’est le regard des syndicats sur le Pôle emploi,presque un an après la fusion. « On passe les décisions gouvernementalesdans un délai très court. Aujourd’hui, on est dans une situation de recherched’organisation dans la désorganisation », lance Serge Hostens, déléguésyndical de Force ouvrière en Rhône-Alpes. Pour l’objectif du conseillerunique : « La formation du personnel aux deux métiers est limitée en temps :de trois à sept jours. Alors qu’il faut deux années d’apprentissage minimum.Cela ne permet pas de présenter aux chômeurs des agents compétents. »FO souhaite deux accueils sur un même site. « On ne veut pas être juge etpartie. On demande à la même personne de calculer le droit pour les cotisationset de juger les capacités de recherche d’emploi… » Les sites mixtes posentle problème d’organisation de local - trop exigu parfois - et d’outils informatiques, que certains jugent insuffisants.

La déshumanisation de l’accueil est également critiquée. « Les agentsreçoivent dans des délais courts, parfois minutés. Il y a moins d’écoute.

Quand les chômeurs quittent les formations collectives, ils ne savent parfoispas les choses basiques… » Sur la convention, chaque conseiller devaitsuivre 60 demandeurs d’emploi. « En 2008, les portefeuilles étaient de 150 demandeurs d’emploi par conseiller… Ils sont de plus de 180 personnespar agent aujourd’hui (ndlr : 90 en moyenne en France, suivant la direction).Dans la région, on a eu 80 CDI et 67 CDD en plus, mais c’est encore insuffisant », affirme Viviane Fernandez, secrétaire régionale du FNU-FSU.Une désorganisation lourde à supporter. « Les dossiers de contentieux semultiplient, les demandeurs d’emploi sont agités et le personnel excédé etdésabusé. On n’a pas accès aux arrêts de travail mais on se doute que lesagents ne vont pas bien. Il y a aussi eu des suicides… » La fusion a réuni deux corps de métiers différents. « On a des statuts différents,des cultures différentes, pas les mêmes métiers et organisation… Tout celaaurait mérité beaucoup de travail en amont. » Former, s’organiser : touss’accordent pour dire qu’il faut laisser du temps au temps.

Gustavo est Italien, il est arrivé en France il y a un mois et cherchedu travail dans l’édition audiovisuelle, « ce qui étonne les agents,

car ils n’ont presque rien à me proposer ».

Page 24: Pigé Magazine n°9

POUR

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La Poste doit-elle changer PIGÉopposé

PPlanifiée à l’horizon de janvier 2010, la réforme du statut de la Poste en société

anonyme divise la classe politique et les usagers du service public. Le projet de loi,

examiné au Sénat début novembre, doit lui permettre d’émettre des actions, une

initiative actuellement rendue impossible par son statut d’établissement industriel

public et commercial (EPIC). Mais ses détracteurs craignent que le changement

de régime m’entraîne, à terme, une privatisation de l’un des derniers emblèmes

du secteur public.

GEORGES COLOMBIER, député UMP de la 7ème circonscription de l’Isère et éludu Conseil général du département, défend le changement de statut juridiquede l’entreprise publique.

L’opposition estime que le changement du statut de la Poste est un premierpas vers la privatisation…Pourquoi ce projet de loi ? C’est la Poste elle-même qui a demandé au gouvernementde changer son statut juridique pour bénéficier de financements complémentaires.Son statut d’EPIC ne lui permet pas d’avoir un capital social et donc d’émettre desactions. Elle ne peut se financer davantage par l’endettement, il est déjà de six milliardsd’euros. Mais si elle passe d’établissement public à société anonyme, cela lui permettra

d’augmenter son capital et d’émettre des actions nouvelles à destination des investisseurs. Après avoir demandé son avisà une commission de sages, le gouvernement a jugé la réforme nécessaire. Les socialistes ont raison de faire leur devoird’opposition mais on m’affirme au plus haut niveau que la Poste n’est pas et ne sera pas privatisée.

La Poste va-t-elle suivre l’exemple de France Telecom ou EDF-GDF, où les pouvoirs publics n’ont pas tenu leurspromesses ? Dès décembre 2008, Nicolas Sarkozy s’est engagé à des contreparties fortes. La loi le confirme : le capital sera à 100%public et détenu par la Caisse des Dépôts et Consignations. On maintient et on augmente les quatre missions de servicepublic de la Poste. Et le statut des agents demeurera inchangé. Le financement de 2,7 milliards est un beau signe deconfiance de l’Etat. Si, justement, l’Etat ne s’était pas engagé, on aurait à craindre légitimement pour l’avenir de la Postealors que les services postaux étrangers se démènent pour obtenir des parts de marché, il y aurait eu un risque de privatisation.Le texte de loi garantit les quatre missions de service public, plus personne ne pourra y toucher. Aucun gouvernementn’avait été jusque là. L’aménagement du territoire est garanti sur les territoires les plus éloignés.

Pourquoi ne pas l’inscrire dans la Constitution comme le proposent les socialistes ?Ces messieurs socialistes n’ont pas voté la révision constitutionnelle de juillet. Elle est passée de justesse. Ils ne l’ont mêmepas votée alors qu’ils en mouraient d’envie et que les enjeux étaient plus importants que ceux de la Poste et maintenant ilsen appellent à elle. Je ne dis pas que le gouvernement est exemplaire, la vérité n’est pas toujours du même côté. Mais ilserait bon que l’opposition accepte ce qui est positif. Je dirais la même chose de la droite, si la gauche était au pouvoir.Elie Cohen affirme que la Poste ne pourra à terme maintenir toutes ses missions de service public…Elie Cohen est un économiste. Je suis élu en milieu rural. Je n’ai pas intérêt à ce que la distribution du courrier ne se fassepas. Je suis pour le maintien du service public de la Poste. Je serais le premier à râler si la Poste n’assurait plus sa missiond’aménagement. Je ne vais pas scier la branche sur laquelle je suis assis. J’ai longtemps été maire d’une petite communeet je suis député et élu du Conseil général dans un milieu rural. Il faut qu’elle continue à être telle qu’elle est mais qu’ellepuisse aussi se battre à armes égales avec la future concurrence. Nous ne sommes pas des godillots dans la majorité, nousdéfendons les gens qui nous ont élus.

Pourtant la votation citoyenne du 3 octobre a rassemblé plus de 2 millions de personnes.La consultation organisée à partir de la question d’Olivier Besancenot n’a aucune valeur ni sur le plan juridique, ni sur leplan pratique dans la façon dont elle s’est déroulée. Quand vous faites une consultation dans des communes uniquementdirigées par des élus socialistes, le résultat ne peut pas être objectif. De plus la question était biaisée. Il est évident que sion me pose la question « Etes vous pour la privatisation ? », ma réponse sera non.

Affichette de la votationcitoyenne du 3 octobre2009.

Crédits : Service de presse de G. Colombier.

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CON

TRE

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PIGÉopposé de statut ?

FRANÇOIS BROTTES, député maire de Crolles et membre de la commissionAilleret pour le développement de la Poste, a pris la tête du collectif iséroiscontre la réforme du service public.

Quels sont vos arguments contre le changement de statut ? Le changement de statut n’est ni imposé par l’Europe, ni indispensable. On a connu lamême chose avec France Telecom et GDF, où la majorité n’a pas hésité à faire passerl’Etat sous la barre des 35% malgré ses promesses. L’Etat peut moderniser la Postesans changer son statut : il dépense actuellement 100 millions d’euros pour soutenir lamission de service public en matière de distribution de la presse. Christian Estrosi aparlé d’ «imprivatisation», mais ce n’est ni français, ni de droite. La Constitution dans

son préambule de 1946 stipule qu’un établissement qui exerce des fonctions monopolistiques - comme la Poste pour lesenvois inférieurs à 50 grammes - dans le cadre d’une mission de service universel ne peut être privatisé. La majorité a multipliéles amendements afin de contourner cette clause, qui était la seule garantie. Si la majorité est de bonne foi, alors qu’elle inscrivedans la Constitution le capital public de la Poste. On sait pertinemment qu’ils vont descendre sous la barre de 50%.

Vous dénoncez un premier pas vers la privatisation de la Poste, mais la majorité rappelle que le gouvernementde Lionel Jospin est celui qui a le plus privatisé ces vingt dernières années(1). Par ailleurs, c’est le Parti socialiste qui négocié la directive de 1997 sur l’ouverture à la concurrence du secteur postal...Il ne faut pas mélanger les genres. Thomson, EADS, ces privatisations concernaient des entreprises qui ne remplissaientpas une mission de service public mais qui relevaient du domaine industriel ou de l’aérospatiale. La gauche n’a jamais privatisédes établissements assurant un service public. On est dans le cadre de l’Union européenne, qui est libérale depuis longtemps.La gauche avait accepté l’idée que Bruxelles ouvre à la concurrence certains secteurs avec le maintien de deux domainesréservés : une prérogative exclusive pour le courrier inférieur à 50 grammes et le monopole d’EDF-GDF en matière d’énergiedes ménages. Le compromis prévoyait une concurrence pour les services aux entreprises, à l’exception du niveau domestique.Cela n’a pas été facile, il y a eu des rapports de force, des négociations pour protéger l’égalité d’accès au service public.C’est la droite qui n’a pas poursuivi.

La directive prévoit le maintien d’un service universel(2), que craignez-vous? La directive garantit l’accès à un service pour tous mais pas au même tarif. Le service universel ne garantit pas un prixunique du timbre. La péréquation qui garantissait le même prix pour tous va prendre fin. Un envoi depuis la Corrèze coûteraplus cher que depuis le 15ème arrondissement de Paris. C’est l’un des principes fondamentaux de la République qui vadisparaître. La France est aussi rurale et cette ruralité a le droit de vivre. Or, on va rentrer dans une logique de rentabilitépure qui va donner lieu à un nombre de jours de tournée réduit. Les facteurs ne pourront plus aller jusqu’au domicile des gens.Cela marque la fin de la présence postale territoriale avec des services dans bon nombre de villes et cela a déjà commencé.Certains commerçants remplissent déjà ce rôle de distribution du courrier. Il n’y aura plus de confidentialité.

Qu’attendiez-vous de la votation citoyenne ?Ce référendum avait une fonction indicative. Mais il a rassemblé plus de 2 millions de personnes. Moi-même, j’ai été le premier surpris. Cela a montré au gouvernement que les Français étaient sensibles à la question. On a défendu ce référendumcar la réforme n’était pas prévue dans le programme de Nicolas Sarkozy. Quand on franchit les lignes jaunes sur des sujetscomme ça, les Français doivent être concertés.

(1) Dominique Strauss Kahn, alors ministre de l’Economie, s’était engagé à ne pas privatiser France Telecom : « Parce qu’il y a une mission de service public, les socialistes

souhaitent que France Telecom reste avec un capital à 100% public ». Une fois au pouvoir, les socialistes se ravisent et ouvrent le capital, dont ils mettent 20,9% sur le marché.(2) La distribution et le ramassage du courrier au moins cinq jours par semaine.

Propos recueillis par Anne-Sophie Pierson

La votation citoyenne à Grand’Place, le 3 octobre 2009.90% des 2 millions de votants ont répondu NON au changement de statut de la Poste. Crédit : DR

Crédits : Service de presse de F. Brottes.

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Jean-Claude Gallotta et le fantôme de Bashung PIGÉculture

AÀ bientôt 60 ans, Jean-Claude Gallotta

ne cesse de se renouveler.

Avec l’Homme à tête de chou,

son dernier spectacle, le chorégraphe

s’adresse à un public plus large

qu’à l’accoutumée. Gallotta y mêle danse

et poésie, celle de Serge Gainsbourg

revisitée par la voix ténébreuse de feu

Alain Bashung. Le spectacle est joué

au Théâtre du Rond-Point à Paris,

en décembre, et résonne forcément

comme un hommage vibrant à l’un des

derniers représentants du rock français,

décédé en mars dernier.

Du 12 au 15 novembre dernier s’est tenu à laMC2 de Grenoble l’un des spectacles les plusmarquants de la saison. Il a fallu d’ailleursrajouter une représentation, celle du 15novembre. Suffisamment important pour fairese déplacer le Ministre de la culture en personne, Frédéric Mitterrand. Jean-ClaudeGallotta reconnaît lui-même que la mortd’Alain Bashung n’est sûrement pas étrangèreà cet engouement autour du spectacle : « Lesjournalistes viennent encore pour les premières,mais le ministre qui s'annonce en grandepompe, c'est l'effet Bashung certainement(…) Beaucoup de gens vont venir pourBashung et Gainsbourg. Il y a un effet publicque je n’ai encore peut-être jamais eu. »Un tel scénario n’était pas écrit à l’avance.L’histoire commence en 2004, lorsque Bashungvient donner un concert pour l’inaugurationde la MC2, anciennement baptisée « LeCargo ». Gallotta y donne un spectacle, « MyRock ». Les deux artistes se rencontrent maisle chorégraphe décline une offre de Bashung,qui veut intégrer un peu de danse à sonconcert. Un an plus tard, Gallotta commenceà réfléchir à un spectacle mettant en scène « L’Homme à tête de chou », un album deSerge Gainsbourg sorti en 1976. Il veut enfaire une chorégraphie en rejouant lamusique. Alors qui pour réinterpréter l’œuvrede Gainsbourg, tâche a priori très difficile ?Gallotta pense automatiquement à Bashung.Ce dernier, pas rancunier, oublie le refus del’année précédente et accepte de collaborerau projet du chorégraphe.L’idée d’origine était de chanter sur scèneavec des musiciens et des danseurs. Maisentre-temps Bashung tombe malade, et iln’aura eu l’occasion d’enregistrer qu’unemaquette avec une voix encore pleine. « QuandAlain m’a dit qu’il ne pouvait plus le faire, jevoulais tout arrêter. C’est lui qui m’a dit non,

on continue, on est aux trois-quarts de labande-son », confie Jean-Claude Gallotta.C’est donc un premier jet qui sert d’outil detravail au chorégraphe pour ses répétitions.« Au début, c’était terrible de continuer lesrépétitions sachant qu’il n’était plus là.Maintenant, à force, on s’habitue. Quand onprend des petits bouts de la maquette, larépétition est très technique, axée sur ladanse, on n’écoute presque pas la musique.Mais quand on fait un filage (répétition générale), l’émotion revient. »Jean-Claude Gallotta ne veut pas entendreparler d’hommage, en tout cas pas pour le moment. « Je veux que ça vienne spontanément, je ne veux pas y penser àl’avance. Évidemment, on se le rappelleraavec les danseurs en coulisse, avant d’entrersur scène. Mais je ne sais pas encore si je prendrai la parole. »Il n’empêche, ce spectacle ne peut faire abstraction de l’hommage qu’il représente àla mémoire du chanteur défunt. Et si, devantson public, le chorégraphe de renom restetimide, voire pudique. En privé, il avoue sansproblème son admiration pour les artistesavec qui il partage l’affiche. « Pour ce spectacle, c’est plus facile, ce sont eux quiamènent beaucoup. Il y a quelque chose depopulaire chez eux mais ils racontent des histoires profondes, ce sont des intellos enquelque sorte. Le côté sombre recherchantune lumière, sur ça je me sens assez proched’eux. Si j’étais musicien ou compositeur,ça se rapprocherait de ça. » Une admiration particulière pour Bashung : « J’écoute peu lachanson, et encore moins la chanson française mais Bashung, lui je l’écoutais. »

Raphaël Lizambard

Jean-Claude Gallotta,photographié en avril 2009.

Crédits : Guy Delahaye.

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Opéra et pouvoir vont de pair. La créationde centres lyriques forts à Lyon et dansles autres des grandes villes européennesne peut être dissociée de la volontédes élites. A l’époque baroque déjà,les représentations avaient lieu dans lesdemeures princières. Si en Allemagnela multiplication des pouvoirs locaux apermis à toutes les villes grandes et moyennes d’avoir un opéra, enFrance du fait du centralisme seulesquelques villes, Paris en tête, sontdevenues des centres d’art lyrique.Grenoble n’est pas l’une d’entre elles,Lyon si. La puissance de la bourgeoisieindustrielle et marchande de Lyonexplique en grande partie la constructionde l’opéra au XIXème siècle. Il constituaitun lieu de pèlerinage pour les amateurs,mais aussi de sociabilité : on discutait,marchandait autant que l’on écoutait.Dans la seconde moitié du XXème siècle,l’opéra prend place parmi les politiquesculturelles de plusieurs municipalitéset dans les projets d’aménagementurbain. La nécessité d’obtenir unespace beaucoup plus grand face àl’augmentation du nombre d’artisteset de représentations, ainsi que lavolonté affichée par la ville de Lyon de

donner une envergure internationale àson opéra, ont été déterminantes danssa reconstruction. Le volume a alorsété multiplié par trois. L’opéra estdevenu un outil de promotion de la ville,« une vitrine culturelle », qui d’ailleurspeut être vue de plusieurs points de lacapitale régionale, notamment de lacour de l’hôtel de ville !

L’opéra de Lyonun opéra national en régionCe statut, il l’obtient en 1996 et passeun contrat avec l’Etat et le Ministèrede la culture l’obligeant à avoir unrayonnement régional. Il diffère encela d’un opéra municipal commecelui de Marseille. Le cahier des chargescomprend plusieurs objectifs. Outreune exigence de qualité artistique, depromotion d’œuvres contemporaines,de sensibilisation d’un public non initié,l’opéra de Lyon doit diffuser l’artlyrique dans la région en assurant unminimum de représentations horssiège. Cependant Michel Orier, directeurde la Maison de la Culture à Grenoble(MC2), juge le volet régional peu efficace.« L’opéra de Lyon comme tous lesopéras est dans une espèce de bulle.

C’est une très grande maison mais savocation régionale, je la chercheencore ! Je pense que c’est lié au faitqu’il y ait un système autoroutier etferroviaire assez performant pour queles gens se déplacent jusqu’à Lyonmais ça ne dépasse pas ça. Quand onfait venir l’orchestre de l’opéra deLyon à Grenoble, on l’achète à un prixde marché qui serait exactement lemême s’il passait à Nogent-le-Rotrouou Strasbourg. »

" Grenoble : d'autres voies, d'autresdéfis "La diversité a primé sur l’agglomérationgrenobloise avec un bon nombre desalles de spectacle généralistes. Maisl’opéra reste un genre majeur. MichelOrier évoque la question des coûtsfinanciers qui expliquent la plus faiblereprésentation de cet art sur Grenoble :« Programmer un opéra coûte à unesalle environ 150 000 euros de pluspar soir qu’un spectacle classique, demusique ou de théâtre. Il vaut mieuxêtre dédié intégralement à l’artlyrique, en produire et en accueillir. Lebudget de la MC2 est de 6 millions,celui de l’opéra de Lyon c’est 30 millions

d’euros ! » Grenoble n’est pas pourautant une ville sans opéra, seulementil s’agit d’un opéra sans lieu. Cettedernière configuration offre une largevariété d’œuvres. Des œuvres classiquessont jouées à la MC2, à la Rampe ouau Théâtre de Grenoble. Des opérettessont à l’affiche, d’Offenbach entreautres, ainsi que des créations nettementplus expérimentales dans le cadre dufestival des 38ème Rugissants parexemple. Il y a également les retrans-missions en direct et sur grand écrandes œuvres du Metropolitan Operanew-yorkais diffusée au cinémaChavant. On joue enfin à Grenobledes opéras à grande échelle. Une sallecomme le Summum, par exemple,offre des représentations sonorisées,comme celle de La Traviata en 2008ou de La flûte enchantée en 2007.Pour le directeur de la MC2, ces dernières initiatives relèvent davantagedu son et lumière que de l’art lyrique :« Il vaut mieux aller voir une comédiemusicale. Je pense que l’opéra, c’estautre chose, on tord un peu le bras augenre. »

Blandine Guignier

PIGÉculture

Lyon, capitale d’art lyrique

PPeut-on faire de l’opéra

sans opéra ? D’un côté,

une ville comme Lyon,

qui consacre 14 800 m2

d’espace en plein cœur

de ville à l’art lyrique et

à la danse depuis 1993.

De l’autre, Grenoble, qui

n’a aucune maison

d’opéra sur son sol mais

ne renonce pas pour

autant à un agenda

culturel en la matière…

Crédits : Pigé

Page 28: Pigé Magazine n°9

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Remue-ménage dans les salles alternativesPIGÉculture

DDéménagement pour la Bobine, grands travaux et nouveau nom

pour l’Adaep, il y a du changement dans les lieux culturels alternatifs

grenoblois. A chacun sa formule, mais toujours le même objectif :

rester des lieux de vie où l’on accueille tout le monde, petits groupes

locaux ou formations plus connues. Slam, chanson française,

danse folklorique, cinéma, reggae, électro… dans ces salles,

il y en a encore pour tous les goûts et à moindre coût.

La Bobinefile au parcPaul MistralLa Bobine, lieu culturel grenobloisi n con t ou r nab l ecréé en 2005,déménage au parc

Paul Mistral dans la salle de l'ancien bowling, dès le 11 janvier2010. Bar-restaurant, salle de concerts et d'expositions, studiosd'enregistrement et de répétition, la Bobine, c'est tout ça à la fois.Si le lieu change, le concept reste le même. Ce déménagementn'était pas vraiment voulu. En juin 2007, le bail du local du 3 rueClément, dans le quartier Berriat, s’achève sans renouvellementpossible. La Bobine est obligée de trouver un autre lieu. Le moissuivant, la mairie fait sept propositions. L’ancien bowling, au parcPaul Mistral, est retenu. Pour Eric Ghénassia, directeur de ProjetBob (l’association à l’origine de cet ensemble culturel), l’enjeu estde « réussir à maintenir fortement l’identité du lieu », tout ensachant qu’il sera désormais situé dans « un énorme parc où il nese passe rien », où la vie de quartier est plutôt limitée. Même si ellese dit confiante, l’équipe a des appréhensions. L’emplacementd’abord puisque, contrairement aux locaux actuels, la future Bobinene se situe pas dans un quartier aussi dynamique et populaire.« On essaie de préparer au mieux, de communiquer et de rencontrerdes habitants du coin ». La présence du cinéma Pathé Chavant etdu stade des Alpes n’est pas là pour rassurer. « Nous ne voulonspas devenir la brasserie du parc, nous souhaitons maintenir le projetculturel », soutient Eric Ghénassia.En attendant l’ouverture prochaine, les travaux s’organisent selonun planning assez particulier. Ici, tout le monde met la main à lapâte. Après le gros œuvre, financé pour moitié par les collectivitésterritoriales, les travaux participatifs de peintures et d’enduits ontcommencé. L’occasion de rencontrer de nouveaux bénévoles, maisaussi de s’approprier les locaux que l’équipe estime « plus grandset agréables à fréquenter ». Le public pourra en juger le 11 janvier,jour de l’ouverture, mais aussi lors de la « pendaison de crémaillère »,les 20 et 21 du même mois. Week-end en musique, à la Bobine,ça va déménager!

Camille Dubruelh et Lucie de la Héronnière

L’Ampérage au démarrage

L’Adaep (Association pour la diffusiondes arts et expressions populaires)n’existe plus depuis novembre 2007,après le couperet d’une liquidationjudiciaire due à d’énormes dettes.Mais cette association grenobloised’encouragement à la pratique, latransmission, la diffusion de toutes lesformes culturelles n’a pas dit son derniermot. Des habitués et des acteurs del’Adaep se sont mobilisés pour sauver le lieu. Début 2008, l’équiperéanime une association en sommeil,le Stud - qui s’occupait d’un studiod’enregistrement -, et c’est reparti…Pour Gilles Rousselot, l’actuel directeur,« l’Adaep a coulé car les politiquesculturelles orientent leurs financementsprincipalement vers des pratiques élitistes, mais aussi à cause d’unemauvaise gestion de projets, d’uneinsuffisance de visibilité, d’une équipe instable et d’un manque de vieassociative ».

Un lieu tout nouveau, tout beauAlors, quoi de neuf au 163 coursBerriat ? Le cadre est bien meilleur :la salle est désormais aux normes,sécurisée, équipée de matériel pour leson et la lumière, d’un endroit pourfumer. Les associations qui viennentmonter des projets disposent désormaisd’une aide professionnelle pour lagestion d’un évènement, ainsi que detechniciens de scène. Questionargent, Gilles Rousselot explique que« les financements publics se sontaccrus mais restent insuffisants parrapport aux subventions que reçoiventles grosses salles grenobloisescomme Le Ciel ». Pour marquerl’identité toute neuve du lieu, la sallel’Ampérage a été inaugurée en septembre 2009. Le volet bal folk disparaît, mais la programmation(courts-métrages, reggae, slam, balbrésilien…) est plus que jamaiséclectique, avec parfois jusqu’à cinqsoirées par semaine.

Derniers préparatifs, avant l’ouverture.

La Bobine, ancien lieu. Crédits : Pigé

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Cuisiner moléculaire, c'est un peu un retour à la dinette de notre enfance. On s'imaginechimiste, grand cuisinier ou sorcière, et on se prend au jeu. C'est beau et amusant. Lesgoûts sont les mêmes, mais les textures changent, et ce sont des sensations plutôtétranges qui remuent nos papilles.

Pour en savoir plus direction la cuisine-labo de Kalys, une entreprise qui vend des kits depréparation de cuisine moléculaire destinés aux particuliers.Jean-Marc, responsable de la recherche et du développement chez Kalys, nous a offertnotre premier cours. En un après-midi, nous avons appris à faire plein de jolies petitesbilles de sirop de toutes les couleurs.Comment ça se passe ? Le principe est assez simple. Quelques ingrédients de base sontnécessaires, du lactate (de l'acide lactique) et de l'alginate (de la poudre d'algue).L'important est d'avoir les bonnes doses de ces ingrédients étranges. Pour commencer,on mélange 200 ml d'eau pauvre en calcium avec deux grammes d'alginate. On verseensuite dans des petits verres cette préparation, à laquelle on ajoute des sirops aux goûtsdifférents. Dans un autre récipient, on mélange six grammes de lactate avec 400 ml d'eau.Vient ensuite la partie plus délicate : la réalisation des billes. Selon la taille de la bille désirée,on utilise une pipette (pour les petites) ou une cuillère spéciale, de forme arrondie.On verse délicatement la préparation d'alginate au sirop dans celle au lactate. Magique…des petites billes se forment, par un procédé appelé la « sphérification ». On peut en fairede toutes les tailles, de tous les goûts et c'est plutôt facile à réaliser.La texture est surprenante. Autour de la bille, une pellicule un peu gluante s'est formée,à l'intérieur, c'est du sirop liquide.Ce genre de préparation n'est pas fait pour être dégustée seule. Plongées dans du champagne ou du vin blanc, des billes de sirop de cassis produiront, par exemple, un kiroriginal et goûteux.

Camille Dubruelh et Lucie de la Héronnière

PIGÉtesté

Quand la chimie amuse nos papilles

VVous avez dit cuisine moléculaire ?

Après les grands restaurants, cette nouvelle

tendance investit peu à peu les cuisines des

particuliers. Objectif : déconstruire les codes

de la cuisine traditionnelle, sans perdre de vue

l’essentiel… le goût.

Pigémagazine a testé pour vous la fabrication

et la dégustation.

Du côté des chefs ?

A Paris, le jeune chef Julien Agobert, du restaurant MONJUL, (28, rue desBlancs Manteaux) utilise dans ses cuisines des procédés moléculaires« avec parcimonie ». « Il faut commencer par maîtriser les bases dela cuisine traditionnelle pour ensuite s’amuser et créer… Le plusintéressant, c’est d’apporter une nouvelle texture à l’aliment » précise-t-il. C’est sûr, on est loin de s’ennuyer chez Julien, quanddébarque la « brandade de morue frite en finger, croustillant depomme de terre au nori, citron rafraîchissant ». Grâce à l’agar-agar,produit gélifiant à base d’algues, ce plat de poisson prend la formede frites, à la croûte épaisse, bien croustillante et à l’intérieur plusliquide. A tremper dans une coupelle d’émulsion de citronnade,obtenue grâce à la iota, un autre gélifiant, qui donne une texture degel douche bien rafraîchissante ! Le siphon, réalisant de délicatesmousses, avec ou sans ingrédients texturants, permet de créer uneaérienne mousse au chocolat, piquée de bonbons pétillants,chimiques et régressifs, pour accompagner un Snickers fait maison… Loin de la nourriture des cosmonautes et du kit du petitchimiste, c’est copieux, pas surchargé en saveurs. On y retrouve lesgoûts connus. Un clash inédit et bluffant.

Cette belle brochette alterne du bœuf, des cubes de moutarde à l’allure de pâte de fruit, des dés de sauce béarnaise,

panés, au délicieux cœur sirupeux.

Cuisine moléculaire, un danger pour l’estomac ?

En février, The Fat Duck, un restaurant londonien spécialisé dans lacuisine moléculaire, a fermé pour cause d’intoxications alimentaires.En Espagne, Ferran Adria, chef d’El Bulli et fer de lance de la mouvance, est accusé d’ « empoisonner ses clients avec des produits chimiques » par son rival Santi Santamaria… Alors, périldans les cuisines ? Certes, les gélifiants, émulsifiants et autres additifsaux noms mystérieux sont souvent chimiques et artificiels, mais pourl’instant, aucune toxicité réelle n’a été prouvée. Ces ingrédients, bienautorisés par les normes européennes, sont, en outre, déjà utilisésen masse par l’industrie agro-alimentaire…

Dans le laboratoire de Kalys, la cuisine est un jeu. Crédits : Pigé

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Free ride baby !PIGÉsport

FreeGlisser librement hors des sentiers

battus avec ses skis ou son snowboard,

goûter aux délices des grands

espaces, « faire sa trace » en toute

indépendance, c’est

l’essentiel du free ride. Une pratique

à risque, aussi bien aux Sept Laux

qu’au fin fond des Andes ou de

l’Alaska, mais pas à la portée de tous.

« Tu ne peux pas imaginer le bonheurd’être dans un champ vierge et pur,toi tout seul au milieu, c’est magique,une décharge d’adrénaline incroyable,une sensation que tu ne peux pasretrouver ailleurs, même dans les autresformes de glisse ». Antoine, free riderdu dimanche, parle ainsi de son occupation des week-ends hivernaux.Tracer d’éphémères trajectoires, surdes pentes non damées...

Puristes et amateursBien sûr, il existe une différence entreceux qui recherchent la neige fraîcheen station, à quelques mètres despistes, et ceux qui se font déposer enhélicoptère en haut d’une montagne,pratique interdite en France. Mais àpeu de choses près, l’esprit reste lemême. Les riders qui suivent la neigeaux quatre coins de la planète sontsouvent sponsorisés par de grandesmarques, qui repèrent des jeunestalents par le biais des vidéos, diffuséesen masse sur Internet, et des compétitions. Ces « contests » sont d’ungenre bien particulier : les participantsmontent au sommet d’une faceescarpée, repèrent leur itinéraire et selancent. En face, des juges équipésde jumelles évaluent l’audace desobstacles franchis, le côté spectaculaire,l’élégance et le chronomètre… Pasloin de Grenoble, le Derby de la Meijeréunit ainsi chaque année des centaines de compétiteurs qui dévalentle sauvage Dôme de la Lauze, sansporte ni tracé imposé. Sauts de barres

rocheuses et passages d’étroits couloirsau programme. Il s’agit d’ « envoyerdu gros » sur 1850 mètres de dénivelé,les meilleurs arrivant en près de dixminutes, les moins pressés en uneheure…

De la poudre et des potesMieux vaut être bien équipé pour sedélecter de bonne neige fraîche. Ons’y enfonce, des skis et des snowboardsplus larges et plus souples apportentdonc plus de confort. Les nouveautéstechniques donnent des sensationsde véritables coussins d’air glissants!La recherche de la poudreuse, peufou pow pour les intimes, est aussi unehistoire de groupes. Mathieu, free rideramateur, explique que sa préférenceva vers le ski loin des pistes, car « c’estune sorte de huis-clos, pas accessibleà tout le monde, ça se passe entre tespotes et toi. C’est un trip social quiresserre les liens entre ceux qui ontenvie de le vivre ». Les « crews » -c'est-à-dire les groupes, équipes -autoproclamés sont légion dans lemilieu…

Des risques mesurésPour ces riders, la mise en danger n’estpas recherchée en tant que telle, maisla pratique impose d’accepter lespentes périlleuses. Antoine continue :« A part quelques têtes brûlées, onmesure le risque en fonction de notreniveau, de notre entraînement, de lastabilité du manteau neigeux. Mais ilfaut quand même avouer que l’on se

dit parfois que les avalanches, çan’arrive qu’aux autres… ». Et au casoù, beaucoup de riders s’équipentd’un ARVA (Appareil de Recherche deVictime d’Avalanche), boîtier sangléqui émet et reçoit des ondes, et d’unepelle et d’une sonde. On peut aussichoisir l’option des nouveaux hors-pistessécurisés, comme il en existe auxSept Laux : la zone n’est pas damée,mais des pisteurs l’entretiennent endéclenchant une avalanche à chaquechute de neige. L’EGUG (Ecole de glisse des universités de grenoble)propose des modules de free ride.Benoît Koch est moniteur de ski, habilitéà emmener des groupes dans deshors-pistes de proximité : « on fait çade manière très sécurisée, avec aupréalable des sessions d’explicationthéorique aux dangers du domainenon damé, et des formations à la pratique de l’ARVA, à la manière derechercher une victime et de sonder ».Ce moniteur de l’EGUG souligne aussiqu’on se pose plein de questionsavant de se lancer, « ce versant n’est-ilpas trop exposé ? Qu’en est-il de soninclinaison ? Quels sont les obstaclesinvisibles pour moi, ou repérés à lamontée ? Il faut être sûr de soi, ce qu’onrecherche c’est avant tout le plaisir dela neige et de la pente ». Tout commela pureté et l’indépendance. Free ridebaby.

Lucie de la Héronnière

Les 2 Alpes,terrain de jeux des riders grenoblois.

First track (Premier passage) à La Plagne.

Des sensations aériennes aux Orcières.

Le free ride en vidéo...www.fluofun.frwww.skipass.com

Credits : Arnaud Becquet

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Pierre* est de ceux pour qui cetteactivité est devenue coutumière.Depuis cinq ans maintenant, il yretourne chaque année, et toujours aumême endroit, à Chamrousse. 1600mètres d’altitude, c’est à peu prèsl'altitude nécessaire pour que leschampignons apparaissent sous lestouffes d’herbes des futures pistes deski. Pour l’heure, il est encore tempsde ramasser ce que l’on est venuchercher. Il ne faut pas traîner, la « saison » est plutôt courte, entre ledébut des pluies d’octobre et les premières neiges de novembre.Certaines années sont parfois moinsbonnes que d’autres et le cru 2009 sefait attendre. En ce vendredi 23octobre, les champs sont encore tropsecs et les champignons magiquesrares. Sachant qu’il faut cueillir entre20 et 40 champignons pour une « dose », il faudra donc revenir pourune cueillette plus profitable. Lescueilleurs peuvent, en effet, en tirerquelques bénéfices à la revente. Cetteannée, Pierre y songe, même si l'essentiel de sa cueillette est destinéeà sa consommation personnelle et àcelle de ses amis. L'expédition prenddu temps et les risques encourus sontimportants, jusqu’à 9 000 eurosd’amende et 2 ans de prison.

Petit plaisir, danger réel« Se faire plaisir » et passer, ensuite,une soirée ou une nuit un peu particulière, c’est la récompense de la cueillette. « Les effets varient beaucoup selon les consomateurs.Personnellement, j’ai des hallucinationsqui me font voir des êtres, comme unlutin à la place d’un buisson, parexemple. J’aime aussi en prendre enconcert, tu peux avoir des hallucinationssonores, entendre des variations de

tempo, ralentissements ou accéléra-tions », affirme-t-il.Petit, de couleur brune avec un chapeauen cloche et une fine tige de 5 cmmaximum, le champignon hallucinogènefrançais, appelé champignon à psylo-cibine, est facilement reconnaissable.En séchant, le chapeau devient blancet devient plus facile à consommer. Legoût importe peu, comme la façon deles consommer. Ce qui compte, cesont les effets. Ils se font sentir 1 heure à 1 heure 30 après l’ingestionet pendant 8 à 10 heures. Les hallucinations proprement dites durentenviron 2 heures et précèdent unelongue période de « descente », pendantlaquelle le consommateur ressent leseffets désagréables, comme le stress,l'angoisse.La prise de champignons hallucino-gènes reste une « intoxication volontaire » selon le terme médical.Cette cueillette a parfois été chantéejoyeusement (Mangez-moi, de Billy ZeKick) à un jeune public, mais il ne fautpas en occulter les réels dangers.

* Le prénom a été modifié par souci d'anonymat.

Raphaël Lizambard et Camille Dubruelh

PIGÉdécaléDélire champêtre

CChamrousse, une petite station de ski familiale ? Pas seulement.

À l'automne, avant l'arrivée des premières neiges, quelques

habitués se livrent à un autre type d'activité peu recommandée

pour les enfants : la cueillette des champignons hallucinogènes.

Ils se ramassent ici, dans les champs, à 45 minutes de Grenoble.

Petite promenade avec l'un de ces cueilleurs de champignons.

Dangers et législation

Les champignons à psylocibine peuvent causer des accidents psychiques graveset durables. On parle alors de « syndrome post-hallucinatoire persistant », à savoirangoisses, phobies, dépression avec des envies de suicide mais aussi boufféesdélirantes aiguës.En France, les champignons hallucinogènes (psylocibine et autres types) sontinscrits sur la liste des stupéfiants depuis le 1er juin 1966. La possession, l'usage,la détention, le transport et le ramassage sont passibles de sanctions pénales.Si les champignons hallucinogènes sont la drogue hallucinatoire la plus utiliséeen France (environ 3%* de la population entre 18 et 64 ans en a déjà consommé),ils représentent une très faible part de l'ensemble de saisies de drogues illicites (0,3%*). En 2005 en France, 175 interpellations pour usage simple de champignons hallucinogènes ont eu lieu, selon les chiffres de l'Office centralpour la répression du trafic illicite des stupéfiants (O.C.R.T.I.S.).

Chiffres : * baromètre santé 2005 de l'INPES

Crédits : Pigé

Crédits : Pigé

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Exposition « Portrait de l’artiste en motocycliste » : Le Magasinpropose une exposition des œuvres rassemblées par l’artiste Olivier Mosset.Un portrait qui tend à faire entrer le visiteur dans l’univers du peintre, quipossède une importante collection d’art issue de tous les courants artistiques.Jusqu’au 3 janvier 2010. Plus d’infos : www.magasin-cnac.org

Django 100 : Pour la célébration du 100ème anniversaire de la naissancede Django Reinhardt, la MC2 propose un hommage au grand jazzmanavec des pointures : Angelo Debarre, Boulou et Elios Ferré et Romane, lequatuor de jazz-manouche promet d'être exceptionnel.Les 23 et 24 janvier 2010. Plus d’infos : www.mc2grenoble.fr

Chaissac au musée de Grenoble : Sous le titre "Gaston Chaissac - Poèterustique et peintre moderne", le musée de Grenoble présente quelque200 œuvres consacrées à ce grand artiste. Dessins, peintures, collages.Jusqu’au 31 janvier 2010. Plus d’infos : www.museedegrenoble.fr

Arctic Monkeys : leur troisième opus est dans les bacs depuis août2009. « Les singes venus d’Arctique » seront en concert au Summum le27 janvier 2010, pour révéler « en live » au public grenoblois leur nouvellematurité musicale.Plus d’infos : www.fnacspectacles.com

Les indisciplinés : le groupe acrobatique de Tanger associé à MartinZimmermann & Dimitri de Perrot proposent un spectacle entre ciel et terre.Les douze artistes comptent parmi les plus célèbres de cette disciplineartistique époustouflante.Du 2 au 4 février à la MC2. Plus d’infos : www.mc2grenoble.fr

L’agenda pour sortir

L’agenda pour réfléchirLe cycle des conférences débats des Amis du monde diplomatique continue.Le 26 janvier à 20h30, une rencontre aura lieu avec Michèle Vianes (del’association Regards de Femmes) sur le thème : « Les violences faitesaux femmes au nom des traditions ».En libre accès au Tonneau de Diogène.Plus d’infos : www.amis.monde-diplomatique.fr

La Montagne tibétaine : espaces sacrés et de défis.Dans le cadre de l'exposition : « Tibétains, peuple du monde », le Muséedauphinois propose une projection-débat autour du film :Deux longs nez au Tibet. Chronique d'une expédition en Himalaya.Avec Jean-Michel Asselin, journaliste et alpiniste, protagoniste du film.Le 20 janvier 2010 à 18h30, Musée dauphinois.Plus d'infos : www.musee-dauphinois.fr

Jeudi 12 novembre, 150 étudiants environ s'étaient réunis à EVE (Espace deVie Etudiante du Campus de Grenoble/Saint-Martin-d’Hères) pour fêter les 20 ans de la chute du mur de Berlin.Mais en quoi se sentaient-ils concernés par cette commémoration ?

Raphaël Lizambard, Florent Lévy, Léa Lejeune

Nauru, la descente aux enfers d’unparadis sur terre

Nauru. Ce nom ne vous évoque peut-être pasgrand-chose. Et pourtant, en soixante ans, ceminuscule Etat du Pacifique est passé de laprospérité à la pauvreté, du consumérismeeffréné à la misère sociale. Une histoire du XXIe

siècle que raconte le journaliste Luc Follietdans Nauru, l’île dévastée (Ed. La Découverte).

Anne-Laurence Gollion et Caroline Jury

" Radis joli " vend ses légumessur le Campus

"Radis Joli", c’est le nom qu’a pris l’Associationpour le maintien de l’agriculture paysanne(AMAP) du campus de Saint-Martin-d’Hères.Tous les lundis soirs à 18h, plus de 40membres viennent chercher leurs paniers delégumes biologiques, cultivés par des producteurs locaux.

Fanny Bouteiller et Anne-Laurence Gollion

En attendantle prochain numéro...

Fête le mur, pas la guerre

É Le journal de l'IEPGPIGmagazine

Le site internet d’information du masterjournalisme de l’IEP de Grenoble.

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