Pigé Magazine n°7

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Numéro 7 Décembre 2008 / www.pigemag. com PIGÉsport Le coup d’oeil de Bazdarevic Page 26 PIGÉreportage Dans les pas des gens du voyage Page 20 PIGÉtesté Speed-dating : pour un flirt avec toi Page 28 Pages 8 à 15 Nanotechnologies : Plongée dans l’infiniment petit É Le journal de l'IEPG PIG magazine Nanotechnologies : Plongée dans l’infiniment petit Photo montage : Pigé

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Retrouvez le dixième numéro de "Pigé Magazine", le magazine semestriel des étudiants du Master en journalisme de Sciences Po Grenoble ! Au sommaire de ce numéro : on a plongée dans le monde des nanotechnologies, suivi les gens du voyage, tenté le speed-dating... et bien d'autres choses encore !

Transcript of Pigé Magazine n°7

Page 1: Pigé Magazine n°7

Numéro 7 D é c e m b r e 2 0 0 8 / w w w . p i g e m a g . c o m

PIGÉsport • Le coup d’oeil de Bazdarevic Page 26

PIGÉreportage • Dans les pas des gens du voyage Page 20

PIGÉtesté • Speed-dating : pour un flirt avec toi Page 28

Pages 8 à 15

Nanotechnologies :Plongée dans

l’infiniment petit

É Le journal de l'IEPGPIGmagazine

Nanotechnologies :Plongée dans

l’infiniment petit

Photo montage : Pigé

Page 2: Pigé Magazine n°7

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Naviguer dans la blogosphère

grenobloise

GREBLOG

Impossible de ne pasconnaître Greblog, MonGrenoble lorsqu’on vitdans la capitale desAlpes. Moins de trois ans après sa création et avec 1500connexions quotidiennes, son créateur, Chrystophe Oléon,a réussi à faire de Greblog le principal blog d’information de la région. Son secret ? Des infos pratiques sur la vielocale et une sélection des meilleurs articles écrits par les bloggeurs de la région.Aujourd’hui, Greblog est considéré comme un média à partentière : « Ce n’est pas une agrégation d’informations trouvéessur Internet. A chaque évènement, je suis présent au mêmetitre que les journalistes » explique Chrystophe Oléon Maisle bloggeur ne compte pas s’arrêter là. Il prépare une nouvelleversion de Greblog, qui ne sera plus un blog… mais un siteInternet. Mais que les bloggeurs se rassurent, le site gardera« l’esprit blog » qui a fait son succès.www.greblog.net/grenoble/

BLOG DE MICHEL DESTOT

Où a-t-on le plus de chances de croiser Michel Destot ? A la mairie ?Non, sur son blog ! Et oui le maire de Grenoble s’est installé sur latoile depuis plus de trois ans. Si le nom du blog ressemble à un slogande campagne, « Michel Destot, Grenoble l’avenir ensemble », celui-cia le mérite de faire découvrir une autre facette du personnage politique.L’homme nous décrit sa passion pour la montagne et évoque sessouvenirs de voyage.Alors le blog, bel outil de communication politique ou nouveau moyende s’adresser aux citoyens ? Les deux ! Les Grenoblois peuvent ysuivre l’activité de leur maire et l’avancée des différents dossiersqui concernent la ville. Mais difficile de passer à côté de la « destotmania » du blog : de Michel Destot coureur de marathon àMichel Destot en montagne, en passant par Michel Destot l’amides stars locales, la mise en scène semble bien rodée…http://micheldestot.blogs.com/

DAILYPHOTO GRENOBLE

Découvrir la ville au travers d’une photo parjour, c’est ce que propose le blog de GaëlleBrunet, photographe professionnelle. Toits,terrasses, concerts: on découvre un autreGrenoble, parfois insolite. « Si je fais quelquesphotos au hasard, je prends surtout desbâtiments car je suis une fan d'architecture.Ce sont des clichés personnels qui reflètentma vision de la ville » explique Gaëlle, quidéambule une fois par semaine dansGrenoble à la recherche de sujets.Outre l'image, les internautes peuventécouter des chansons et regarder des vidéosqui accompagent les photos de concerts.Autre originalité du site : il est entièrementen anglais car beaucoup de visiteurs sontétrangers. Le blog s'insère dans le réseauDaily Photo qui compte 807 blogs similairesdans le monde. Alors après New-York etCape Town, Grenoble a aussi droit à saphoto par jour.http://grenobledailyphoto.blogspot.com

Que trouve-t-on sur la « toile » grenobloise ? Réponse : de la musique, des photos, des infos, des choses sérieuses,d’autres moins. Mais qui valent en tout cas le détour !Rendez-vous dans chaque numéro de Pigé Magazine pour un panoramadu web grenoblois.

PIGÉweb

Sandy Plas,Caroline Politi,

Eléonore Tournier

BMOL

Quand les bibliothèques de Grenoble lancent leur blog musical, ça

donne B-mol, bibliothèques musicales on line. Un site créé en

septembre 2007 où l'on peut écouter les artistes locaux, s'informer

sur les concerts de l'agglo et consulter chaque semaine une sélection

d'albums, d'ouvrages et de dvds issus des collections des bibliothèques.

Le tout est parsemé de vidéos et d'une playlist coup de coeur des

20 rédacteurs du blog deux fois par an. « Nous avons voulu un site

interactif, avec du son et de l'image, qui soit réactif à la scène locale »

explique Anne Theureau, coordinatrice musique des bibliothèques

de Grenoble et membre du comité de rédaction du site. Pari

réussi. Le blog est aujourd'hui en constante progression avec

2700 visiteurs en octobre dernier, soit mille de plus qu'en janvier.

Un parcours sans bémol, pour le site.

http://www.bmol-grenoble.info

SKIPASS

Avis aux amateurs de glisse… Le blog

des chefs de Skipass.com regorge

d’informations pratiques, de vidéos

amusantes et de belles photos pour les

amoureux du ski. Mais attention, qu’on

ne s’y trompe pas, ce blog n’est pas

uniquement destiné aux mordus des

sports de glisse. Les skieurs du

dimanche y trouveront également leur

bonheur en suivant, par exemple, l’état

d’enneigement des stations de la région.

Créé en juillet 2005 par Guillaume

Lahure, le fondateur du site Internet

Skipass.com, ce blog se veut totalement

indépendant du site : « Sur le blog, le ton

est plus libre que sur le site Internet. On

peut s’exprimer sans que ce soit la

vision officielle de skipass.com »,

explique Onno Bosch, le directeur

technique du site, qui écrit sur le blog

aux côtés de Guillaume Lahure.

http://www.skipass.com/blog/

Page 3: Pigé Magazine n°7

Grenoble bénéficiera donc de l’aide de l’Etat pour réhabiliter et étendre sonparc immobilier universitaire. Une chance pour les scientifiques et les industrielsqui verront avec plaisir se moderniser des équipements dont on sait qu’ilssont producteurs de valeur ajoutée et d’emplois. Mais une chance d’abordpour ceux qui quotidiennement étudient, logent, mangent, font du sport dansces espaces parfois bien dégradés. Car les étudiants doivent être le cœurvéritable de cet ambitieux programme de travaux. Les arbitrages à venir nepourront l’ignorer.

Il n’est de richesse que d’hommes, disait Jean Bodin, le père de l’idée deRépublique. Formulée au XVIè siècle, au moment où se jouait une première« mondialisation », avec ses fortunes et ses infortunes, la maxime reste plusque jamais une boussole. Et déjà pour ne pas se perdre dans une économieaujourd’hui désorientée. Oui, le savoir et les échanges demeurent desvaleurs en soi. Des valeurs qui demandent toutefois à être maîtrisées par unsens de la mesure et une vision stratégique, par un esprit collectif et uneéthique de la responsabilité.Investir pour demain, c’est penser aux équilibres nécessaires qui feront lesuccès de cette opération. Equilibre entre sciences « dures » et scienceshumaines et sociales, excellence de la recherche et souci pédagogique, siteest et site ouest. Bref, c’est faire preuve non pas seulement de hardiessemais aussi de finesse. Avec le dessein de bâtir le seul écosystème qui vaille,le seul après tout qui soit durable : celui du bien-vivre.

Olivier Ihl,directeur de l’IEPG

Campus :un Plan

pour l’avenir

Edito

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Pigéweb Naviguer dans la blogosphère grenobloise . . . . . . . . .2

PigépolitiqueCarignon, c’est fini . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .4Les Verts, une opposition ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5

Pigérencontré« Vous nous croyez les plus forts » . . . . . . . . . . . . . . . .6Génocide cambodgien : les responsables au banc des accusés . . . . . . . . . . . . .7

DOSSIERNanotechnologies : plongée dans l’infiniment petit

• La révolution invisible . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .8• Minatec, mirage ou eldorado ? . . . . . . . . . . . . . . .9• Nanomédecine à Grenoble :

une avancée controversée . . . . . . . . . . . . . . . . .10 • Les nanotechnologies :

source d’énergie ou de maladie ? . . . . . . . . . . .11• Les nanotechnologies font-elles la loi ? . . . . . . .12• « Nanos » : entre mythe et réalité . . . . . . . . . . .13• Le meilleur des nanomondes . . . . . . . . . . . .14/15

PigécampusPlan Campus : ce qui va changer . . . . . . . . . . . . . .16/17

PigéopposéPour ou contre le Taser pour les polices municipales . . . .18/19

PigéreportageDans les pas des gens du voyage . . . . . . . . . . . . . . .20Sur les terrains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .21Mon école à quatre roues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .22Deux voyageurs, deux destins . . . . . . . . . . . . . . . . . .23

PigécultureMise en culture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .24Give me a SMAG ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .25

PigésportLe coup d’oeil de Bazdarevic sur le GF38 . . . . . . . . . .26

PigémédiaMédaille d’or de la discrimination médiatiquepour la télé française . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .27

PigétestéPour un flirt avec toi… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .28

PigédécaléTrous noirs : quand la psychose s’installe à Grenoble . . . . . . . . . .29

PigéanniversaireEt si l’histoire de l’IEP m’était contée… . . . . . . . . .30/31

Sommaire

PIGÉ Magazine, journal d’information édité par Sciences Po Grenoble (IEPG).Directeur de la publication : Olivier Ihl, directeur de l’IEPG.Rédaction en chef : Laurent Rivet.Comité éditorial : Yvan Avril, Gilles Bastin, Aurélie Billebault, Jean-Luc Coppi,Olivier Ihl, Séverine Perrier, Laurent Rivet, Emmanuel Taïeb.Coordination : Sandy Plas, Pierre Nigay.Secrétariat de rédaction : Elise Kergal, Jennifer Rolnin, Romain Zanon.Rédaction et photos : Matthieu Delaunay, Elise Kergal, Florent Levy, MatthieuMallet, Pierre Nigay, Thomas Pitrel, Sandy Plas, Caroline Politi, Jennifer Rolnin,Céline Rouzet, Elénonore Tournier, Cécile Tran-Tien, Romain Zanon.Photo de Une : Sandy Plas. Montage réalisé par Céline Rouzet, Cécile Tran-Tien,Prune Vellot.Relecture : Annie Rouyard.Graphisme/mise en page : GAILLARD Infographie 06 09 87 66 69.Tirage : 3000 exemplaires.Impression : Imprimerie du Pont-de-Claix.N° ISSN en cours.IEP de Grenoble, BP 48 • 38040 Grenoble cedex 9 Prix de vente : 1€

Tel. 04 76 82 60 00 / Fax. 04 76 82 60 70 / [email protected] Pigé Magazine sur pigemag.com, le site des étudiants dumaster journalisme de l’IEP.

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Grenoble est en ligne de mire pourFabien de Sans-Nicolas

Crédit : DR

Alain Carignon connaît le désaveu des militants après avoir connu celui des électeurs. Crédit : DR

Michel Savin, devrait assurer la futureprésidence de l’UMP 38. Crédit : Pigé

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Carignon, c’est finiPIGÉpolitique

NNouvelle ère à l’UMP 38.Les élections internes du 15 novembre, qui ont portéMichel Savin à la tête de ladroite iséroise, semblent avoirsigné la fin politique d’AlainCarignon. Derrière un résultaten forme de déroute pour l’ancien maire de Grenoble,c’est toute une redistributiondes rôles qui se profile pour la droite locale.Enfin débarrassée de ses fantômes, comment l’UMPpeut-elle reconquérir Grenoble ?

Tout s’est joué dans la première circonscription. C’est là, entre Grenobleet la vallée du Grésivaudan, qu’AlainCarignon a échoué pour la deuxièmefois. Mais pas de présidence de l’UMP38 sans les voix de la première circons-cription. Jean-Claude Peyrin, candidatdu camp Carignon, a en effet perduune manche décisive face à HenriBaile, soutien de Michel Savin. Celui-cisemble désormais assuré de sa victoire à la tête de la droite iséroisele 12 décembre. A cette date, les délégués de circonscription, élus parles militants le 15 novembre, sontchargés de désigner le nouveau président de l’UMP 38.

En prenant la tête de l’UMP dans ledépartement en 2003, Alain Carignonespérait revenir sur le devant de la scènepolitique grenobloise, en s’appuyantnotamment sur la première circons-cription. Quatre ans après, le résultatdes élections législatives de juin 2007est sans appel : face à la candidate duparti socialiste, Geneviève Fioraso, quil’a emporté avec 63 % des suffrages,Alain Carignon n’a réussi à rassemblerque 34 % des électeurs. Et c’estencore aujourd’hui sur ce secteurqu’il rate le coche. Difficile pour luimaintenant d’espérer un quelconqueavenir politique à Grenoble.

« On ne peut pas demanderl’union quand on est soi-mêmel’objet de toutes les divisions »Resté très discret pendant la campagneinterne, Fabien de Sans-Nicolas,candidat de la droite aux dernièresélections municipales, analyse froide-ment la défaite du camp Carignon :« Il a déçu beaucoup de militants quilui avaient été fidèles, dans sa manièred’administrer le parti et ses défaitesélectorales. Sa gestion était trop cloisonnée et manquait d’unité. » Avant d’ajouter, cinglant : « On nepeut pas demander l’union, quand onest soi-même l’objet de toutes lesdivisions. »

Selon lui, l’erreur a également été « dene pas mesurer le traumatisme desGrenoblois » face à l’affaire Carignon,qui a « cristallisé une vraie méfiancedes électeurs. » La méfiance entrel’homme et Grenoble, sans pouvoirs’estomper, aurait donc laissé placeau divorce.

Et maintenant ?Officiellement, Alain Carignon souhaiteaujourd’hui « installer la génération dela reconquête ». Au lendemain de sadéfaite, cette génération de reconquêtese met bien en place, mais pas dansses traces. Alain Carignon écarté du

jeu politique, les deux hommes duchangement sont aujourd’hui incarnéspar Michel Savin et Fabien de Sans-Nicolas. Le premier porte avant tout lavolonté de reconstruire l’image d’unparti malmené dans le département,« en proposant un vrai projet aux militants, en les impliquant dans leparti et en partant à la reconquête desterritoires laissés à la gauche ».

Pour Fabien de Sans-Nicolas, la cible,c’est Grenoble : « Je suis en train dereformer une équipe. Le fait que j’occupeun poste sur le plan national [Fabiende Sans-Nicolas est Secrétaire nationalchargé de l’animation à l’UMP, ndlr],ne m’a pas empêché de préserver etd’entretenir mes réseaux et meséquipes au niveau local. »

Sur son avenir politique à Grenoble, ilreste assez prudent : « Il faut voircomment les cadres du parti vontréagir face à cette nouvelle donne,mais je suis évidemment disponible sion a besoin de moi ». Modestie defaçade pour celui qui compte bienfaire chavirer le cœur des Grenobloisà droite.

Matthieu Delaunay,Sandy Plas

Alain Carignon en quelques dates :

23 février 1949 : naissance à Vizille (Isère)1983-1995 : maire de Grenoble1986-1988 : ministre délégué à l’Environnement(gouvernement Chirac)1986-1993 : député RPR de la première circons-cription de l’Isère 1993-1994 : ministre de la Communication (gouvernement Balladur)1996 : condamné à 5 ans de prison (dont 1an avec sursis), 5 ans d’inéligibilité et400 000 francs d’amende2002 : retour à la politique 2003 : président de L’UMP 38 2006 : candidat aux législatives de 2007 2007 : défaite face à Geneviève Fioraso (PS)aux législatives et renonce à se pré-senter aux municipales de 2008Décembre 2008 : fin de son mandat de président del’UMP Isère.

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ALes Verts,

une opposition ?

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« Aujourd’hui, nous sommes un caillou dans la chaussurede Michel Destot ! » Les mots sont de MaryvonneBoileau, ancienne tête de liste aux élections municipalespour le groupe Ecologie et solidarité. Depuis les électionsen mars 2008, les Verts sont désormais… dans l’opposition. Une situation inédite, née de leurrefus de faire liste commune avec le maire de Grenoble,lui-même allié pour ce scrutin à des personnalitésmembres du Modem. Loin de la majorité, les Verts ont-ilsencore les moyens de peser sur l’échiquier politique ?

PIGÉpolitique

Certains ne les imaginaient mêmepas passer le premier tour des muni-cipales. Alors, les 22,5% enregistréspar les Verts au second tour,Maryvonne Boileau les savoure encore :« C’est le meilleur score des écologistesdans une ville de plus de 100 000habitants, ça nous porte et nousdonne de l’espoir ! ». Malgré ce bonscore, les écolos siègent désormaisdans l’opposition. Sur le sujet, le leaderdes Verts n’exprime aucun regret :« Nous avons défendu une positionclaire et nos valeurs, je ne regrettedonc pas d’en être là, même si j’apprécie les outils et les moyensd’action qu’on peut avoir dans unemajorité », souligne-t-elle.

Faire entendre sa voixCependant, avec six conseillers municipaux à la mairie de Grenoble,seulement un représentant à la Métro- à partir de janvier prochain - et unconseiller général, difficile d’imposerses opinions. « Je ne me fais pasd’illusion, je sais que nos interventionsne changeront pas nécessairementles décisions qui seront prises. Maisça nous permet d’accéder à l’informationet de la relayer dans la population. »Comment, alors, peut se construirel’opposition verte à Grenoble ? En faisantentendre sa voix sur les grands dossiersde l’agglomération : opposition à laRocade Nord, à la candidature deGrenoble aux Jeux olympiques de2018, réflexion sur le développement

des nanotechnologies… L’intérêt estde rester en phase avec son électorat.« Nous cherchons aussi à promouvoirle développement durable et le travailsur l’énergie au sein de la majorité. Etje dois dire que nous sommes de plusen plus entendus par certains, mêmehors de notre groupe politique. »

« Je ne crois pas à la constructiondans l’opposition »Entendus peut-être. Mais écoutés ?Eric Grasset, exclu du parti Vert à lasuite de son ralliement à la liste deMichel Destot, et aujourd’huiconseiller municipal, ne l’entend pasde cette oreille : « Je ne crois pas à laconstruction dans l’opposition. LesVerts se sont trompés en refusantd’entrer dans la majorité. Prendre partau pouvoir, c’est le seul moyen defaire bouger les choses. » Il avoue que« rejoindre ne veut pas dire adhérer à100% », mais qu’au sein de la majoritéDestot, « [il a] l’impression de fairevivre davantage ses idées ».Pour lui, l’analyse est claire : « Le pro-blème des Verts, c’est leur désunion,ça les décrédibilise énormément. »Réunis en conseil municipal sous labannière « Ecologie et solidarité », lesVerts regroupent en effet troisgroupes : l’ADES, les Alternatifs et lesVerts. Maryvonne Boileau n’y voit paspour autant de dissension : « Les troisgroupes sont réunis par des valeurscommunes. L’écologie à Grenobles’est construite sur ces différents

groupes, et sur la volonté des militantsde ne pas forcément être encartésdans le parti Vert. » Quelques mois après les municipales,les cartes sont donc redistribuées :ceux que Michel Destot avait nommés« les gauchistes peints en vert » lorsqu’ils étaient installés dans samajorité semblent aujourd’hui occuperun rôle d’information sur les grandsdossiers de la ville. Quant à EricGrasset, vert peint en rose, il n’aban-donne pas pour autant ses idées écolos, et continue notamment às’opposer au projet de Rocade Nordau sein de la majorité.« Nous sommes indispensables, et enplus, les Grenoblois nous l’on dit »,sourit Maryvonne Boileau. A l’heureoù la droite présente au conseil municipal ne joue qu’à moitié son rôled’opposition, ils sont en tout cas utilesdans le rôle de contestation et d’infor-mation qu’ils occupent. Eric Grassetconclut, quant à lui : « Ma grande différence avec les Verts, c’est unestratégie politique. » Voilà qui est dit.

Matthieu Delaunay,Florent Lévy, Sandy Plas

Les six conseillers municipaux grenoblois du groupe Ecologie et solidarité.De gauche à droite : Maryvonne Boileau, Olivier Bertrand , Gwendoline Delbos-Corfield,Marina Girod de l'Ain, M. Hakim Sabri, M. Gilles Kuntz. Crédit photo : DR

Maryvonne Boileau,tête de liste des Verts aux

municipales de mars 2008.Crédit photo : Pigé

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Agir à Grenoble pour la paix

On n’est pas obligé d’être un grand dela politique pour faire bouger les choses !Tel est le slogan de l’associationFaculty For Israeli And PalestinianPeace Grenoble (FFIPP), qui vient d’ouvrirses portes. Son but ? Informer les étudiants sur le conflit grâce à desexpos-photos, des films et des conférences. L’association proposeégalement des stages dans des orga-nisations israéliennes et palestiniennesqui œuvrent pour la [email protected]

I

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« Vous nous croyezles plus forts »

Ilan Greilsammer, professeur de Sciences Politiques à Tel Aviven Israël, viendra donner un cours sur le conflit israélo-palestinienà partir du second semestre à l'IEP de Grenoble. Pigémagazinel’a rencontré. A cette occasion des étudiants de Science Po sesont aussi exprimés sur la question.Il leur répond.

PIGÉrencontré

Pour commencer, que pensez-vous du courant pro-palestiniendominant chez les étudiants etmême plus généralement au seinde la société française ?« Plus qu’au seul cas français, il s’applique à tous les jeunes Européenssans distinction de nationalité qui onten commun les mêmes valeurs. Cesjeunes ne pensent pas qu'à l’argentet à faire carrière, ils possèdent desvaleurs humaines et mêmes humani-taires qui leur font développer unecertaine empathie vis-à-vis desautres. Du fait même du déclin del’attachement des jeunes à l’Eglise età la religion, une nouvelle quête despiritualité s’affirme, celle des droitsde l’homme. Cette attitude, en soi trèssaine, et que j’approuve totalement,conduit à un soutien quasi-automatiqueà celui qui est en position de faiblesseet à une hostilité sourde à celui quiest le plus fort. Depuis 1967 et laguerre des Six jours, le petit David estdevenu Goliath et, dans l’imaginaireoccidental, le petit Palestinien n’estrien face à la force de Tsahal. »

Selon vous, ce courant n’est doncpas dû aux prises de position desmédias ou des politiques ?« Le rôle de la presse reste pour moimarginal. L’empathie pour les plusfaibles est un phénomène de fondpréexistant. L’impact politique d’ungouvernement sur l’opinion n’est, lui,pas négligeable, comme le montrentpar exemple les diatribes enflamméesde M. Chirac contre l’invasion en Irak etl’anti-américanisme qui en a découlé. »

Il y a donc un lien entre anti-israélisme et anti-américanisme ?« Oui, ces deux phénomènes sont liéset sont en grande partie inévitables. Sij’étais un jeune Français idéaliste, jem’identifierais aussi à la cause pales-tinienne, mais celui qui s’intéresse àla politique ne peut pas rester dansune analyse superficielle. »

Léa - étudiante du masterOrganisation internationale, OIG,ONG - revient de deux mois destage cet été dans des OGN enCisjordanie. « Ce qui est fait auxPalestiniens est injuste. Ils vivent sousoccupation israélienne. Ils ne peuvent

pas circuler librement. Les soldatsisraéliens les humilient quotidiennementau check point. »« Je suis en grande partie d’accord.Je ne pense pas que ce soit l’intérêtd’Israël d’occuper ces territoires.C’est par sionisme et par amourd’Israël que je pense qu’il faut terminerl’occupation et qu’apparaisse à côtéd’Israël un Etat palestinien. »

Florent, étudiant OIG, ONG. « Bien sûrje condamne le terrorisme palestinien,mais la responsabilité dans ce conflitrevient quand même au plus fort, et leplus fort c'est Israël. »« C’est vrai, jusqu’à présent Israël aété le plus fort. Mais le monde arabeacquiert aujourd’hui les technologiesles plus avancées et dispose de l’argentdu pétrole. Si l’on projette à terme leschances d’Israël de survivre dans cetenvironnement, on réalise qu’il resteun danger à sa sécurité, surtout faceà l’Iran. Vous nous croyez les plusforts, mais nous sommes ceux quisont le plus en danger. »

Pour finir, réitérez-vous cettephrase tirée d’un entretien parudans l’Express (16/03/2006) : « encas de coup dur, ils [NDLR : lesisraéliens] savent qu’ils ne peuventpas compter sur les Européens etsurtout pas sur la France » ?« J’enlèverais juste “ surtout pas surla France ”. Pas la France, car il existeune relation particulièrement étroiteentre Sarkozy et Israël. Je laisseraiscependant la phrase sur Israël qui nepourrait pas compter sur lesEuropéens. Un exemple : le nucléaireiranien. Rien n’a été fait d’efficace dela part des Européens. Ils en parlentmais n’agissent pas et pendant cetemps là, les Iraniens construisentleurs bombes et tant pis pour Israël. »

Propos recueillis par Florent Lévy et Romain Zanon

Un soldat israélien porte sonregard sur Jérusalem depuis

le Mont des Oliviers Crédit : Solenn Assathiany

Ilan Greilsammer Crédit : DR

Page 7: Pigé Magazine n°7

AGénocide cambodgien :

les responsables sur le banc des accusés

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Après le Rwanda et l’ex-Yougoslavie, la justiceinternationale se pencheaujourd’hui sur le génocidecambodgien, en mettanten place un tribunal visantà juger les coupables desmassacres. Si Pol Pot, ledirigeant du régime Khmerrouge au moment desatrocités, a déjà été jugé,de nombreux criminelsrestent encore impunis.Rencontre avec MarcelLemonde, juge d’instructionau procès.

Quels sont les crimes reprochésaux anciens hiérarques du régimeKhmer rouge ?Le tribunal spécial pour le Cambodge aété mandaté pour juger les évènementsqui se sont produits pendant le régimedes Khmers rouges, dirigé par Pol Pot,entre le 17 avril 1975 et le 7 janvier1979. Nous serons essentiellementchargés de juger des crimes contrel’humanité et des crimes de guerre.Mais il y a également un grand débatpour savoir si les crimes commis pendant cette période n’étaient quede nature politique, ou si certainsétaient également motivés par raisonsraciales, ethniques ou religieuses. Sic’est le cas, ces crimes sont desgénocides. A l’heure actuelle, cinqpersonnes ont été arrêtées, et la première - « Douch », le directeur d’undes pires centres de détention dupays, le S21 - sera jugé dès l’annéeprochaine. Elles encourent toutes laprison à perpétuité.

Comment se passe la cohabitationavec les juges cambodgiens ?La cohabitation est parfois compliquée,tout comme le fonctionnement de cetribunal ! Il y a tout d’abord des difficultésde compréhension, liées à la barrière dela langue. Il y a trois langues officielles,le cambodgien, l’anglais et le français,mais certaines discussions techniquestrès complexes entraînent d’importantsproblèmes de traduction. Il y aussides obstacles dus à des différencesculturelles, ou à l’état de la justicecambodgienne, qui est en grandepartie à reconstruire.

Comment le tribunal spécial pourle Cambodge est-il perçu par leshabitants ?On sent un intérêt croissant pour letravail du tribunal au Cambodge. Audébut, les gens n’étaient pas – outrès peu – informés du rôle du tribunalmais, aujourd’hui, on sent que de plusen plus de personnes s’y intéressentet cela va encore s’accroître avecl’ouverture du procès de « Douch », ledirecteur du centre S-21, qui seraretransmis à la télévision.

Qu'est cela que ça va changerselon vous ?Ce procès va surtout permettre demettre fin à la culture de l’impunité.Trop de crimes, parfois graves, nefont pas l’objet de condamnation judiciaire. Une société ne peut fonctionner harmonieusement que sil'État de droit est respecté, et si desrègles s’imposent à tous. Le droit et lajustice du Cambodge bénéficieront duprocès, mais aussi les Cambodgienseux-mêmes. Grâce au tribunal, lapopulation parle de plus en plus facilement de cette période pourtantdouloureuse.

Quelles sont les limites d’unetelle structure ?L’organisation du tribunal n’est pasforcément la solution idéale. Lecaractère mixte du tribunal, aveccette prise de décision à la supermajorité (voir encadré ci-dessous), esttrès compliqué à faire fonctionner,mais c’est la seule formule possible.Si on avait fait un tribunal parfait pourl’ONU, les Cambodgiens ne l’auraientpas accepté et vice-versa.Et même si ce n’est pas le plussimple, il fonctionne, et c’est ce qu’ily a de plus important.

Propos recueillis par Caroline Politi et Jennifer Rolnin

PIGÉrencontré

Retour sur le génocide cambodgien

En 1975, les Khmers rouges – nom donné aux communistes khmers dans lesannées 1960 – arrivent au pouvoir au Cambodge, et instaurent un pouvoir totalitaire.Ils souhaitent créer une nouvelle société, fondée sur le modèle de la vie « pure »de la paysannerie. Les Cambodgiens des zones urbaines sont déplacés vers descoopératives agricoles, un grand nombre d’entre eux mourant sur la route de l’exil.Les personnes soupçonnées de collusion avec l’ancien régime sont exécutées defaçon systématique. Entre 1975 et 1979, entre 1 et 3 millions de personnes, soit20 à 30 % de la population, auraient trouvé la mort.

Le fonctionnement du tribunal.

Le tribunal spécial pour le Cambodgea été mis en place en juillet 2006.S’inspirant du droit français, il estcomposé de onze juges cambodgienset de huit juges internationaux.Les décisions sont prises à la super-majorité : elles doivent être validéespar les juges internationaux avantd’être adoptées.

Marcel LemondeCrédit photo : Pigé

Présentation du tribunal spécial pour le Cambodge.Crédit photo : DR

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Nano : kézako ?Les nanosciences et les nanotechnologies sont l’étude et la manipulation de la matière à l’échelle moléculaire, ou nanométrique(10-9 m). À cette échelle, les propriétés de la matière sont radicalementnouvelles, le cuivre devenant élastique, par exemple.Le préfixe « nano » étant devenu un label attractif qui attire les capitauxet les efforts de recherche, il est difficile de dessiner la frontièreentre le « nano » et le « micro ». Les experts se sont mis d’accordsur un ordre de grandeur arbitraire : devient « nano » toute manipulationde la matière à une échelle se situant entre 1 et 100 nanomètres.

RepèreLe nanomètre est au mètre ce que le pamplemousse est à la terre,et on peut mettre mille objets nano dans l’épaisseur d’un cheveu.

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plongéedans l’infinimentpetitPremier pôle européen* derecherche en nanotechnologies,Grenoble concocte dans seslaboratoires un futur porteurde promesses technologiqueset de craintes dignes des plusgrands romans de sciencefiction. Quels enjeux économiques ces nouvellestechnologies représentent-t-elles ? Les Grenobloisbénéficieront-ils des investissements massifsconsacrés à la recherche ?Comment les nanotechnologiesvont-elles transformer notrequotidien ? Pour leurs défenseurs, les « nanos »sont la promesse de progrèsrévolutionnaires dans lesdomaines de la médecine etde l’environnement. Leursplus farouches détracteurs,quant à eux, agitent l’épouvantail de « Big Brother »ou encore des OAM, lesOrganismes AtomiquementModifiés. Comment faire lapart entre le fantasme et laréalité ?

* Au plan mondial, Grenoble se situe dans le triode tête de la recherche sur les nanos avecl’université d’Albany (USA), adossée à IBM,et l’université de Tsukuba près de Tokyo.

Dossier réalisé par :

Elise Kergal,Céline Rouzet,Cécile Tran-Tien

Les nanotechnologies s’infiltrent chaque jour un peu plus dansnotre quotidien : crèmes solaires, vêtements de sport, objetshigh tech en tous genres… Selon le rapport WoodrowWilson**, 700 produits commercialisés dans le mondecontiendraient déjà des nanomatériaux. Mais cette tentatived’inventaire n’est sans doute pas exhaustive. Elle se fonde surce que les industriels veulent bien dévoiler. Argument de ventepour les uns, source d’inquiétudes pour les autres, l’utilisationde nanoparticules n’est donc pas toujours signalée auconsommateur. Le problème, c’est que l’on ne connaît pasencore l’effet qu’elles pourraient avoir sur l’organisme, dans lecas des crèmes cosmétiques ou des aliments notamment.Présidente de l’association UFC-Que Choisir en Isère, MichèleRagache regrette le manque d’information du public :« Nous sommes en faveur d’un étiquetage et d’une transparencemaximale. Tout ce que l’on souhaite, c’est la santé et la sécurité des consommateurs, mais une fois de plus, avec lesnanotechnologies, c’est la rentabilité financière qui passeavant la santé des gens ». Si les nanotechnologies sont aussiconvoitées, c’est bien parce qu’elles ouvrent la voie à de nouvellespossibilités pour l’industrie.A l’échelle nanométrique, les propriétésde la matière sont en effet radicalement nouvelles, comme lesnanotubes de carbone qui sont cent fois plus solides et six foisplus légers que l’acier. Les nanocomposants présentent également l’avantage d’être très peu coûteux, car minuscules.De quoi éveiller l’appétit des industriels. Supérieur à 40 milliardsd'euros en 2001 selon la Commission européenne, le revenumondial généré par les nanotechnologies pourrait dépasser les1000 milliards d’euros en 2015*** ! Les « nanoproduits » n’ontdonc pas fini d’envahir notre vie.

** www.nanotechproject.org*** Source : National Science Foundation

La révolutioninvisible

Nanotechnologies

Les « nanos » au quotidien

Les nanotubes de carbonede la nouvelle raquetteBabolat permettent de larendre dix fois plus résistante que la raquettede graphite.

Les nanocapsules de vitamine E contenues danscette crème bronzanteLancôme permettraientune meilleure protectionanti-oxydante de la peau.

Morph, de NokiaLe concept du téléphoneportable Morph (Nokia)combine des matériauxflexibles, des composantsélectroniques transparentset des surfaces auto nettoyantes grâce à sesnanocomposants.Crédit : Nokia 2008.

Ce boitier de maquillage(MINATEC IDEAs Laboratory)est équipé d’un miroirintégrant des nanoparti-cules qui permettent d’afficher des messagesSMS éphémères.© Photos Christian Morel

Deux objets du futur :

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DossierMinatec,

mirage ou eldorado ?

PPremier centre européen dédié aux nanotechnologies, Minatec a fait de Grenobleun véritable pôle de compétitivité international. Chaque année, des millions d’eurossont investis par les collectivités territoriales pour repousser les frontières de l’infiniment petit. Mais quelles sont les retombées de cet investissement pour la capitale des Alpes ?

Les nanotechnologies, une mined’emploisEn Isère, près de 6 000 personnestravaillent directement ou indirectementpour Minatec et 13 500 sont employéesdans la microélectronique, soit un peuplus de 4% de la population activetotale (chiffres INSEE). L’installation dece pôle de compétitivité a donc eu desretombées très positives en termesd’emplois pour le bassin grenoblois.Certains opposants regrettent cependantla nature des emplois créés. « Minatecet ST Microelectronics n’ont fait quecréer des emplois très qualifiés » affirmeVincent Comparat, membre del’Association pour la Démocratie,l’écologie et la solidarité (ADES).

Grosses dépenses dans l’infinimentpetitSi, ces dernières années, la part dufinancement militaire dans le budgetde Minatec a fait l’objet de nombreusesinquiétudes, le directeur de Minatec seveut rassurant : « 3 à 4% seulementde notre budget viennent du Ministèrede la Défense ». Mais le débat sur lefinancement est loin d’être clos.Depuis 2002, les écologistes etl’ADES dénoncent le montant dessubventions publiques, notamment ausujet du projet Alliance achevé en2007 (ST Microelecronics, Freescale[ex Motorola] et NXP [ex Philips]). « Lessubventions devaient servir à créer 1 200emplois et des rentrées fiscales pourGrenoble. Mais les industriels n’ontpris aucun risque puisque les coûtsde créations d’emplois étaient bieninférieurs aux subventions publiques.La ville de Grenoble est donc devenue

un véritable paradis fiscal » s’indigneVincent Comparat. Selon l’Observatoiredes finances et des politiquespubliques de Grenoble, association loi1901, la création des 1200 emploisaura coûté en frais de personnel auxtrois entreprises 315,3 millions d’eurossur cinq ans, alors que le montant dessubventions publiques a atteint 453 mil-lions dans le même temps. GenevièveFioraso, adjointe à l’économie à lamairie de Grenoble, vice présidentede la Métro et PDG de la Sem Minatec,n’a cependant pas souhaité s’exprimersur ce dossier.

Miser sur les nanotechnologies àtout prix ?Dans les coulisses de Grenoble, onprépare déjà le futur. Le projetMinatec 2 devrait voir le jour en 2011et STM vient de conclure une nouvellealliance avec IBM. Mais la concurrenceinternationale s’annonce rude pourGrenoble, comme l’explique VincentComparat : « STM va se recentrer surla gravure de circuits électroniquesalors que dans ce domaine le ténormondial c’est Taiwan avec plus de60% de la production mondiale ».Jean-Charles Guibert n’exclut pasl’éventualité d’une délocalisation desactivités de production de STM mais ilreste confiant : « Je pense que STM atout intérêt à rester à Grenoble carelle trouve les compétences dont elle abesoin ici et elle a des liens très fortsavec le tissu local. Il y a donc très peude chance qu’elle décide de partir ».

Officiellement inauguré le 2 juin 2006, Minatec (MIcro et NAnoTEChnologie)est une alliance entre la recherche, l’enseignement et l’industrie. Minatecregroupe aujourd’hui le CEA (Commissariat à l’Énergie Atomique), leLETI (Laboratoire d’Électronique et des Technologies de l’Information),le CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), l’UJF (UniversitéJoseph Fourrier) et l’INPG (Institut National Polytechnique de Grenoble).« Notre mission est de mettre en valeur l’ensemble de ces équipes et decréer une synergie entre les étudiants et les industriels » explique Jean-Charles Guibert, à la tête de Minatec depuis 2008. L’objectif deMinatec est de repousser sans cesse les limites de la microélectroniquepour donner à Grenoble une attractivité et une visibilité sur la scèneinternationale.

CEA-Minatec en chiffres

4000 personnes travaillent sur le site (salariés, chercheurs, industriels, étudiants)350 millions d’euros de budget annuel225 brevets déposés par an37 start-up créées (2100 emplois directs)10 000 m2 de salles blanches63 hectares

Pôle Minatec, situé au coeur du Polygone Scientifique. Crédit photo : Pigé

Chercheurs, étudiants et industriels,se croisent dans les salles blanches. Crédit photo : DR

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Le projet ClinatecA l’initiative du professeur Alim-LouisBenabid, le CEA a lancé en 2006 leprojet d’une clinique expérimentale :Clinatec.La mission de Clinatec, explique FrançoisBerger, est de « tester des dispositifsmicro et nanotechnologiques pourles implanter sur l’homme ». La clinique,qui sera implantée d’ici 2011 sur lesite du CEA-MINATEC, accueillera 5à 10 malades dans un encadrementjuridique strict. Ce n’est pas moinsde 20 millions de subventionspubliques qui seront dédiées au projetClinatec, dans le cadre du plan Etat-Région 2007-2013.

Le professeur Alim-Louis Bénabid,docteur en médecine, membre del’Académie des sciences et actuellementconseiller scientifique au CEA, a misau point au début des années 90pour des patients souffrant de lamaladie de Parkinson un systèmed’électrodes avec des stimulationscérébrales profondes à haute fréquence.Pour approfondir ses recherches, ils’intéresse aux perspectives ouvertespar les nanotechnologies.

Dossier

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EEntre espoirs et dangers, Grenoble demeure partagée. Espoirs d’une recherchenanomédicale concentrée dans trois établissements : l’Institut des Neurosciences(INSERM), le Comité à l’Energie Atomique (CEA), le Laboratoire d’Electronique et desTechnologies de l’Information (LETI), qui cherchent à soigner toujours plus efficacementles individus. Mais aussi, dangers d’une nanomédecine : un domaine dans lequel leschercheurs manquent de recul et méconnaissent certains risques sur le long terme.

A l’INSERM, l’unité 836 dirigée parFrançois Berger, neurologue au CHU deGrenoble, développe des nanométhodes,dont la plupart sont en cours de vali-dation, pour aboutir à un diagnostic plusprécoce des tumeurs et des maladiesneuronales comme Alzheimer ouParkinson. « Par l’injection de billesnanométriques fluorescentes, l’imageriemédicale parviendra à visualiser une cellule », explique le ProfesseurBerger. Mieux, il sera même possiblede savoir la propension qu’a un individuà développer une maladie.Une véritable révolution ? Pour PatrickBoisseau, responsable du programmeNanomédecine au CEA-LETI, il s’agit« d’une évolution, compte tenu desdispositifs déjà en place. Les nano-particules permettront seulement auxmédicaments, dont une vingtaine sontdéjà commercialisés, de mieux ciblerles zones infectées par des maladies ».« Des sphères nanométriques encap-sulent des molécules pour les dirigerà l’endroit désiré dans le corps »,détaille le chercheur du CEA-LETI. Unmoyen efficace de lutter contre leseffets secondaires existants. C’est lecas, entre autres, des chimiothérapiesoù les traitements traditionnels nepeuvent pas cibler la cellule malade.

Les risques ne doivent pas êtreécartés« Le problème, c’est que l’on se dirigevers une société hyperpréventive »,avertit François Berger. Beaucoup degens voudront connaître leur profilmédical de manière précoce, mais letraitement ne sera peut-être pas existantau même moment, ce qui peut générerde terribles angoisses. Au contraire,rétorque la chimiste Jacqueline

Collard, présidente de l’associationSanté et Environnement en Rhône-Alpes :« On va se trouver dans une société oùla prévention sera absente. La médecinecherche avec les nanoparticules à affinerle diagnostic et la guérison, mais n’étudiepas les causes de développement decertaines maladies. »Le risque potentiel d’un détournementdes pratiques médicales n’est pas àexclure non plus. Claude Rambaud,présidente de l’association InfectionsNosocomiales et Sécurité des soins(LIEN), dénonce des dérives potentiellesde surveillance « des individus ou despopulations par des dispositifsimplantables ».La toxicité de ces dispositifs nanomé-triques implantables ne doit pas êtrenégligée, les scientifiques ne disposantque de peu de recul pour évaluer cesrisques à long terme.

Quel coût pour la Nanomédecine ?Les difficultés d’accès aux soins et les risques d’injustice sociale ne sont pas à négliger. « Combien coûtera un traitement de la cécité ? », interroge laprésidente du LIEN, Claude Rambaud.Est-ce que la sécurité sociale rembour-sera ces traitements coûteux ? Autantde questions auxquelles il est difficilede répondre.« Avec une personnalisation des traitements et un diagnostic plus précoce, les hospitalisations devraientêtre moins coûteuses », argue de soncôté Patrick Boisseau. La questionéconomique reste donc entière, car lerapport coût-efficacité des nanomé-decines reste extrêmement difficile àévaluer.

Nanomédecine à Grenoble : une avancée controversée

Salle blanche pour la préparation des microsystèmes pour la biologie et la médecine. Crédit photo : Pigé

Crédit photo : CEA

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DossierLes nanotechnologies :

source d’énergie ou de maladie ?

Cap sur la nanoécologie : l’exemple du photovoltaïqueLa France devra augmenter de 20% sa production d’énergierenouvelable d’ici 2020. Face à cet objectif, la demande en énergiesolaire risque d’exploser. Actuellement, les panneaux solaires sontproduits à base de cellules de silicium capables de transformer lalumière en électricité. Mais le silicium coûte cher et les producteursont du mal à suivre la demande. Grâce aux nanotechnologies, exitles énormes panneaux solaires, place à la peinture photovoltaïque.Cette peinture du futur permettrait de recouvrir les bâtimentsd’une fine couche de nanocellules de silicium pour mieux capterle soleil. L’introduction des nanotechnologies dans le domaine duphotovoltaïque permettrait d’augmenter considérablement le rendement énergétique, en utilisant à des nanocapteurs pluspetits et plus nombreux. Mais pour Sébastien Noël, chef de projetau CEA-LITEN, cette peinture n’est encore qu’un projet : « On n’enn’est qu’aux premiers balbutiements. Des expressions théoriquessur les nanofils de silicium ont été formulées, mais on commencetout juste. Parler d'industrialisation, c’est donc prématuré ! ». Leschercheurs du LITEN espèrent pouvoir améliorer le rendement descellules de silicium grâce aux nanotechnologies. « Actuellement,toute l’énergie des photons n’est pas exploitée car il existe unebande interdite. Nous essayons donc de convertir deux photonspeu énergétiques en un photon très énergique et inversement.Notre objectif à long terme, une meilleure exploitation du spectresolaire dans l’infrarouge » explique Sébastien Noël.

Photovoltaïque, retraitement des eaux, traceurs de pollution,les nanotechnologies apportent un second souffle aux énergiesrenouvelables. À Grenoble, larecherche bat son plein alors que les effets sur l’environnementet la santé restent encore incertains.

Dans les salles blanches du CEA,les travailleurs manipulent au quotidien des nanopoudres.

La toxicité décuplée à l’échelle nanométrique ?Chaque jour, nous respirons des millions de nanoparticules sansmême nous en apercevoir. Les nanoparticules naturelles existent depuisla nuit des temps, sans pour autant mettre en danger notre organisme.Mais l’introduction de nouvelles nanoparticules manufacturéeschange la donne. Si certains matériaux, comme l’argent ou le titane,ne représentent aucun danger à l’échelle micrométrique, ils deviennenthautement réactifs et toxiques à l’échelle nanométrique s’ils ne sontpas intégrés dans une structure. À l’air libre, certains nanomatériauxpeuvent donc être dangereux car ils peuvent pénétrer dans le corpshumain par ingestion, inhalation ou encore par voie cutanée. « Leproblème avec les nanoparticules, c’est qu’elles sont très nombreusesdu fait de leur petite taille. Les macrophages pulmonaires, barrièrenaturelle qui empêche les corps extérieurs de pénétrer dans le poumon,ont donc du mal à toutes les stopper. Les nanoparticules peuventalors se retrouver dans les poumons et se propager aux différentsorganes » explique Ghislaine Lacroix, toxicologue à l’INERIS. Pour lemoment, aucune étude ne prouve la dangerosité à long terme de laprésence de nanoparticules dans l’organisme humain. Des étudesréalisées chez les rongeurs ont cependant montré le développementde réactions inflammatoires, de modifications génétiques et de cancers,suite à l’inhalation ou l’ingestion de nanoparticules.Les premiers touchés par cette toxicité sont les travailleurs encontact régulier avec des nanopoudres à l’air libre. Daniel Bloch,responsable médical du CEA , se veut rassurant : « Nous avons desrègles claires en ce qui concerne les valeurs limites d’expositionprofessionnelle. Dans le doute nous appliquons le principe de précaution,pour faire en sorte que les gens soient le moins exposés possible ».Les inquiétudes restent néanmoins fortes du côté des travailleursqui réclament la mise en place d’un suivi individuel préventif dessalariés exposés. « C’est important d’accumuler des informationssur la santé des salariés. C’est le seul moyen dont nous disposonspour l’instant pour pouvoir espérer prévenir des dégâts irréparables »expliquent Didier Guillaume et Jacques Borrel, délégués CFDT au CEA.

Crédits photos : Minatec

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Que dit REACH ?

Le règlement européen REACH, entréen vigueur en juin 2007, s’appliqueaux substances dites « préoccupantes »,qui regroupent un ensemble de substances chimiques. Ce règlementrenforce le principe de précautionpuisque les industries chimiques doiventfournir les données de sûreté sanitaireet environnementale sur toutes lessubstances qu’elles produisent.Certaines substances chimiques comportant des nanotechnologiesseront soumises à ce règlement,mais aucune clause n’est spécifique àces dernières.

Le principe de précaution : un frein à l’innovation ?

Le principe de précaution, décrit à l’article5 de la Charte de l’Environnement etinscrit dans le préambule de laConstitution, a été repris par le Conseild’Etat, qui l’applique en 1998 à la profession médicale. Ce principe oblige,par exemple, les autorités médicales àapporter la preuve de l’absence derisques concernant un médicament outoutes autres découvertes scientifiques.Ce principe est loin de faire l’unanimitédans la profession scientifique qui leconsidère comme une limite à larecherche. « Le principe de précaution,faisant du sécuritaire une priorité absolue,ne risque t-il pas d’entraîner un frein àl’innovation ? », argumente le professeurDavid Khayat, président de l’InstitutNational du Cancer, « Le problèmeaussi, c’est que le risque est au cœurde la médecine. », termine-t-il. Pourautant, ce principe, comme le rappellele conseil d’Etat, dans son rapportpublic en 1998, « n’est pas une règled’application mais une orientation ».

SOURCES :- Rapport adopté lors de la session duConseil national de l’Ordre des médecins enavril 1999.- Rapport public du conseil d’Etat en 1998 :réflexions sur le droit de la santé, « Vertus et limites du principe de précaution ».La documentation Française.Etudes et documents n°49.

DossierLes nanotechnologies

font-elles la loi ?

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LLes nanotechnologies ne cessent de se développer, que ce soit dans ledomaine médical, militaire, électronique… pourtant actuellement aucunelégislation spécifique ne régule ces technologies infiniment petites,malgré les risques sanitaires et sociétaux qu’elles peuvent comporter.

Encore une fois le droit ne déroge pasà la règle et s’avère moins rapide quel’avancée scientifique. La commercia-lisation de produits contenant desnanoparticules et pouvant présenterdes dangers potentiels à terme s’accroît,sans qu’aucune loi spécifique ne larégule. Pour autant, ces technologiesnanométriques n’errent pas dans unvide juridique, puisque pour l’instant « les juges se servent des lois déjàexistantes pour les encadrer »,explique Anne-Marie Benoît, juriste etchercheuse au CNRS de Grenoble.Ces nouvelles technologies sont sicomplexes et vastes que les institutionsjudiciaires éprouvent des difficultés àles définir.« Or la justice a besoin de définir unobjet pour pouvoir élaborer une loi »,résume la juriste.

Quelle protection juridique pourles citoyens ? Pour les citoyens français, la loiInformatique et Liberté, adoptée en1978 et modifiée à plusieurs reprises,pourra représenter un recours possibleface aux risques d’atteinte à la libertéque peuvent impliquer les nanotech-nologies, notamment dans le cas desétiquettes RFID.

Pour ce qui est des substances chimiques, leur commercialisation estencadrée par le règlement REACH(voir encadré). « Mais le problème,c’est que ce règlement n’inclut pasexplicitement les nanomatériaux dansson champ d’application. Ce règlementmérite un affinement dans la législationnationale », note Stéphanie Lacour,chargée de recherche au CNRS à

Paris. Le dernier recours possibleconsiste peut-être à brandir le principede précaution (voir encadré). « Maisce dernier reste assez flou », ajouteStéphanie Lacour. « Souvent lesscientifiques n’ont que faire de ceprincipe. Son efficacité est trèscontestable », renchérit Anne-MarieBenoît.

Quelles responsabilités ? Qui, du politique, du scientifique ou del’industriel, est responsable ? La justicedevra répondre de cette question.Certes des comités d’éthique sontcréés au sein des instances scientifiquespour encadrer d’éventuelles dérives,« mais la question de leur indépendanceet de leur légitimité reste posée »,analyse Ion Vezeanu, philosophe àl’Université Pierre Mendès-France.Le débat ne fait donc que commencerau sein du système judiciaire.

Crédit: Pigé

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Dossier« Nanos » :

entre mythe et réalité

Les transhumanistes et la dernièrecroisade

Augmentation des performanceshumaines, accroissement de la longévitégrâce à l’implantation de machinesdans le corps, les nanotechnologiessemblent être le nouveau Graal destranshumanistes. Et si l’Homme dedemain était en pièces détachées ?

Né en Californie dans les années1980, le transhumanisme perçoit lesnanotechnologies comme la promessedu Salut pour l’Homme. Ce mouvementrêve d’un futur où il serait possible de« remplacer les parties du corps quise dégradent en injectant des implantsayant les mêmes fonctions », expliqueEtienne Klein, physicien au CEA deSaclay et philosophe des sciences.

Mais les transhumanistes ne sont pasles seuls à vouloir augmenter les performances humaines par le biaisde la technologie. Les Etats-Unisenvisagent déjà d’accroître la résis-tance et la protection du combattantdu futur grâce à l’insertion demachines dans le corps. Et en France ?« Le concept d’“Homme amélioré” estun concept américain très discutable.Les chercheurs européens sont orientéssur le concept d’“Homme réparé”.Sur ce point, le CEA-List travaille surdes prothèses robotisées à destinationdes handicapés », explique PatrickCappe de Baillon, chargé de commu-nication au CEA. La DélégationGénérale pour l’Armement se veutplus prudente : « Un certain nombrede recherches sont menées sur leconcept de “l’Homme réparé” - maisnous n’en sommes qu’au stade de laréflexion papier.»

Serions-nous donc à l’abri de toutedérive transhumaniste ? Pas si sûr.Pour Etienne Klein, « à partir dumoment où l’on apprend à réparer lescorps, on se donne les moyens d’augmenter leurs performances ».Le passage de la chirurgie réparatricedes « gueules cassées » à la chirurgieesthétique en est une bonne illustration.Or, « les nanos rendront sans doutepossibles toutes sortes de dopages,par exemple physiques, intellectuelset psychologiques », affirme le physicien.Avec les nanotechnologies, la frontièreentre nature et artifice devient plusfloue. En biologie, l’instrumentation àl’échelle nanométrique permet lamanipulation de molécules biologiques.Et en médecine, il est désormais possibled’implanter dans le corps humain desmécanismes nanométriques.

Une des premières manifestations de PMO contre MinatecCrédit : DR

Grenoble en 2020

“ Le pire n’est pas toujours certain,mais il est probable que Grenoble en2020 ressemblera pour partie auGrenoble de 2008, et pour partie auxprojets tracés de longue main et entoute discrétion par le « technogratin ».

Déjà présentes dans ton passeAvan'Tag ou ton forfait de ski, lespuces RFID (Radio FrequencyIDentification) te suivront partout,remplaçant le code-barre dans lespâtes de Carrouf et les livres de labibliothèque ; dans les arbres de la Bastille (pour l'entretien des espaces verts) ; sous la peau de ton sympathique pittbull (déjà), et celledes derniers écureuils. Elles équiperonttes pièces d’identité biométriques etobligatoires, lisibles à distance den’importe quel lecteur policier ouadministratif.

Echantillons de ta vie prochaine : Enboîte, tu passes le bras sous le lecteurRFID pour débiter ta conso de ta pucede crédit injectée. 10 novembre2020. Relevé de l’Internet des Objets :"Le manteau marque Tex taille 42,n°9875, acheté le 12/10/2020 à17h08 à Carrefour-Meylan, payé parla CB de Gisèle Chabert de Grenoble,est passé à Grand-Place aujourd’huià 8h42, hier à 11h20, et lundi dernierà 9h05. Il est associé au livre "30 recettes pour maigrir en famille"emprunté à la bibliothèque du centre-ville par Gisèle Chabert, et à la carteAvan’Tag de Sonia Chabert."…"Grenoble, place de la gare, le 12novembre 2020 à 14h11. Manifestationdes étudiants. Présence de ChabertGisèle (carte d’identité n°98729872),relation connue de Chabert Frédéric(carte d’identité n°816539837) fichépour destruction de nanoaliments auMammouth de Froges… “

Non ceci n’est pas le dernier romande science-fiction à la mode, maisbien l’effrayante prophétie du collectifanonyme Pièce et Main d’Œuvre(PMO)*. Auteur de la première manifestation au monde contre lesnanotechnologies, menée lors del’inauguration de Minatec le 1er juin2006 à Grenoble, ce groupe de militantsgrenoblois a publié plusieurs livres surla question, dont Aujourd'hui LeNanomonde. Les nanotechnologies,un projet de société totalitaire(Ed. L’Echappée, 430 p., 15 euros).

*www.piecesetmaindoeuvre.com

Dessin, Céline Rouzet

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Dossier Société :

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NNuages de poussières intelligentes,caméras invisibles, puces électroniquesinjectées dans le corps… En permettantla miniaturisation de nos systèmes desurveillance, les nanotechnologieséveillent les fantasmes les plusangoissants et font rejaillir la visioncauchemardesque de « Big Brother ».Reste à savoir si ce scénario futuristeest farfelu ou réaliste.

Dans le domaine des technologies de l’information, les nanosciencesdevraient permettre la multiplicationde capteurs d’information miniaturisés,comme les étiquettes RFID (voir encadré),les micros ou les caméras. De plus enplus présents, capables de se fondredans le paysage et d’identifier un individu donné, ces objets pourraientfaciliter la traçabilité des personnes etmenacer les libertés individuelles.

« Toutes les nouvelles technologiesont suscité des craintes »Pour autant, associer l’émergence denouvelles technologies à d’effrayantesprophéties n’est pas un fait nouveau.Il s’agit même d’un phénomène assezbanal. « Toutes les nouvelles technolo-gies, chacune à son époque, ont suscitédes craintes », explique l’historiennedes sciences Nayla Farouki, « la locomotive à vapeur a ainsi entraîné beaucoup de perplexité : la vapeurallait-elle détruire les forêts avoisi-nantes ? La vitesse du train pourra-t-elleêtre supportée par l'organisme? Onpeut sourire aujourd'hui de cescraintes, mais les interrogations sonttoujours fondées, du moins jusqu'à ceque les conséquences soient mieuxidentifiées. »

Un public schizophrèneA-t-on raison, alors, d’avoir peur des « nanos » ? Selon Jean-PhilippeBourgoin, ingénieur au CEA de Saclay,la cristallisation des craintes autourdes nanotechnologies viendrait parasiter un débat qui se trouve ailleurs :« Singulariser les nanos conduit à nepas voir l’ensemble du problème et àne pas apporter les bonnes réponses :les nanos n’agissent pas seules, maisau sein d’une chaîne d’autres techno-logies. » En bref, les nanocomposantsservent seulement à miniaturiser lesupport physique d’un système com-mandé par un logiciel programmé.Les nanotechnologies serviraientdonc de bouc émissaire à la sociétépour dénoncer des dangers contenusdans les technologies déjà existantes.Selon Etienne Klein, physicien au CEAde Saclay, « nous vivons déjà dans

cette société de surveillance : nouslaissons de plus en plus de tracesélectroniques sur notre passage. Maisle public est schizophrène : il faut voiravec quelle avidité il consomme desproduits technologiques, alors mêmequ’il accuse les chercheurs de fairedes découvertes aux retombées maléfiques ». La diffusion des nouvellestechnologies de l’information, sousforme d’objets du quotidien, place lasociété face à un dilemme cornélien.« Lorsqu’un adolescent se précipite surun lecteur mp3 dernier cri, adhère-t-ilpar ce geste à toutes les technologiesque ce produit a intégrées pour saconception, et qui peuvent servir pourl’armement ou la surveillance parexemple ? », se demande Etienne Klein.

La traçabilité se met en placeChargé de mission éthique au LIG(Laboratoire d’Informatique deGrenoble), Frédéric Prost s’inquiète,quant à lui, d’une certaine passivitéde la population face à la société quis’est mise en place depuis une dizained’années : « Avec Facebook, le téléphoneportable ou la carte de crédit, il estdevenu techniquement très faciled’avoir accès à tous types d’informationspersonnelles. Certains avocats se sontmême spécialisés dans les affairesd’adultère basées sur l’interceptiondes SMS du conjoint. Le fait que toutdevienne numérique facilite le fichage,je crois que les gens ne se rendentpas compte du danger. » Ce constatest d’autant plus alarmant que lesoutils de contrôle se multiplient. Lescaméras de surveillance se propagentdans les villes et certains logicielsseront bientôt capables d’identifierdes visages parmi la foule ou desuivre le regard des consommateursdans une grande surface. Plus fouencore, des « scanners corporels », oùles gens apparaissent nus, pourraientbientôt être introduits dans tous lesaéroports européens. Certaines assu-rances proposent actuellement à leursclients de poser un système GPS surleur voiture neuve, afin d’enregistrerleur kilométrage, un système qui permetégalement de localiser le véhicule à

Dessin, Céline Rouzet

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RFID et « poussières intelligentes »

Les étiquettes RFID sont souvent associéesaux « nanos ». Pourtant elles existent depuis laseconde guerre mondiale, et c’est la micro-électronique qui a permis leur miniaturisation.Mais de quoi parle-t-on ? Les RFID (RadioFrequency IDentification) sont des émetteurs-récepteurs de données d’identification sans fil,dont les informations peuvent être lues grâce àun lecteur qui fournit l’énergie nécessaire àl’émission de l’information. En guise d’illustration,ces étiquettes sont contenues dans les pucesélectroniques des cartes d’abonnement dutramway, et ne peuvent être lues que si nousles plaçons à quelques centimètres du lecteur.« Ces étiquettes ont connu une évolutionmajeure depuis les années 1990, et pourraientêtre fabriquées de manière astronomique dansles années à venir, notamment afin de faciliterla traçabilité des produits en remplacementdes codes-barres », explique Smaïl Tedjini,professeur à l’ESISAR de Valence (Ecoled’Ingénieurs en Systèmes Avancés et Réseaux)et expert pour le groupe international ISO surles RFID. On retrouve les RFID dans les pucesélectroniques qu’on implante sous la peau desanimaux, mais aussi dans nos passeportsélectroniques. Pour l’instant, il est encore difficilede créer une RFID à l’échelle nanométrique àcause de la taille de son antenne. Cependantles RFID injectées sous la peau des humainsexistent déjà, comme le Verichip, un cylindrede 2,1 mm de diamètre qui a déjà été implantéà un millier de personnes volontaires auxEtats-Unis.

En permettant des systèmes miniatures, peugourmands en énergie et potentiellementinterfacés avec le corps, les nanotechnologiesdémultiplient les possibilités des systèmes decapture-restitution de données.A titre d’exemple,les « poussières intelligentes », qui pourraientapparaître dans les prochaines décennies,seraient des puces invisibles à l’œil nu, autonomescar capables de puiser une énergie infimedans le milieu ambiant (vibrations, chaleur…),et coopérant entre elles. Les puces seraient sipetites et si peu coûteuses qu’il serait possiblede les multiplier en très grand nombre, et deles rendre suffisamment proches les unes desautres pour qu’elles communiquent entre elles.

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Dossierle meilleur des nanomondes

tout moment. « Où va-t-on s’arrêter ? »,se demande Frédéric Prost. « Oninvoque beaucoup la figure littérairede “ Big Brother ”, mais tout ça me faitplutôt penser au Procès de Kafka : on nesait pas qui nous surveille, pourquoi,comment, ce qu’on nous reproche,mais la surveillance est bien là ».

La prolifération des « LittleBrothers »En miniaturisant certains systèmes desurveillance, comme les puces RFIDqui mesurent encore quelques centi-mètres carrés, les nanotechnologiesdevraient renforcer cette tendance. Latraçabilité pourrait ainsi se faire ànotre insu, à travers les fameux « nuages de poussières intelligentes »par exemple. On peut également s’inquiéter des dangers que repré-senteront les « lab on a chip », devéritables laboratoires d’analyseminiatures qui permettront d’analyserinstantanément l’ADN d’autres individus (à travers cheveux, salive…),

et de catégoriser les personnes selonleur état de santé. Les nanotechnologiesdémultiplieraient donc les possibilitésactuelles de nos systèmes de surveillance, et ainsi les risques dedérive. Selon Dominique Vinck,sociologue des sciences au PACTE[regroupement de laboratoires del’IEP à Grenoble, ndlr], nous nousacheminons vers une société trufféede « Little Brothers » : les technologiesétant accessibles à tous, les acteursdeviennent de plus en plus nombreuxà pouvoir produire et collecter desinformations. Plutôt qu’un centre desurveillance unique tel que l’incarne « Big Brother », il faudrait donc envisagerde multiples petits groupes visant às’immiscer dans la vie privée d’autrespersonnes, comme des groupes sociauxmalintentionnés, des institutions policières peu encadrées démocrati-quement, des entreprises, voire unconjoint jaloux !

Demain, la société de surveillance ? Crédit photo : Pigé

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Plan Campus : PIGÉcampus

RRénovation des locaux, nouveaux services,les étudiants grenoblois ne manquent pas d’idéeslorsqu’il s’agit des améliorations à apporter à leurcampus. Sélectionnée pour recevoir plusieurs millionsd’euros de manne ministérielle dans le cadre de l’Opération Campus, Grenoble s’apprête à voir son université changer de visage.

« Grenoble, Université de l’Innovation ».Tel est le slogan venu répondre, enavril 2008, à l’appel à projet lancé par leministère de l’Enseignement Supérieuret de la Recherche. Objectif annoncépar l’Etat : construire l’université dedemain, tout en répondant aux « situations immobilières les plusurgentes ». Coté immobilier justement,la liste des projets à l’étude à Grenobleest impressionnante : rénovation descités universitaires de Gières et Saint-Martin-d’Hères, réhabilitation des terrains sportifs, création d’une sallede congrès… Scénario rêvé pour lesétudiants ? Pas si sûr, si l’on en croitleurs représentants. « La rénovationdes cités universitaires selon desstandards ‘internationaux’ pourrait créerune hausse des prix des logementspour les étudiants », explique MarionGuenot, responsable du Comité d’actionsyndicale pour l’UNEF Grenoble.Pour l’heure, les contours exacts dunouveau campus grenoblois restentflous. Tant que le montant exact dessommes versées par le ministèren’est pas connu - il devrait êtredévoilé dans le courant du premiersemestre 2009 - nul ne sait si cetteliste vertigineuse de projets sera réaliséeun jour. « Le financement demandé estde l’ordre de 600 millions d’euros.Mais, à ce stade, nous ne savons pasde quelle enveloppe nous disposeronspour réaliser nos plans. Tout seraréajusté en fonction des moyensalloués », explique Pedro Olivas,responsable de la communication deGrenoble Universités. Les concepteurs

du projet pensent néanmoins que lasomme obtenue sera de l’ordre de350 millions d’euros, pour la créationd’un pôle « formation Santé », la réno-vation des bâtiments dédiés auxSciences Humaines et Sociales, ouencore l’amélioration du logement etdes cadres de vie pour les étudiants.

L’excellence en ligne de mirePlus qu’un simple plan d’aménagement,l’Opération Campus représente clairement un enjeu stratégique pourGrenoble et son université. L’objectifdes concepteurs du projet : se hisserdans le classement des meilleurs établissements mondiaux d’enseigne-ment supérieur, dont les critères desélection, établis par l’université deShanghai, sont très controversés(1). Lanote d’intention remise au ministèreest d’ailleurs éloquente : « Leur ambitionest de faire entrer à échéance de dixans cette nouvelle université dans lescinquante premières du classementde Shanghai (…), d’attirer des chercheurs de renommée internationale,d’installer des antennes des meilleuresuniversités mondiales à Grenoble ». Ace titre, la capitale des Alpes mise fortement sur son Polygone scientifique,dont certaines activités, comme lesecteur des nanotechnologies, jouissentdéjà d’une certaine visibilité interna-tionale. La presqu’île scientifique faitd’ores et déjà l’objet d’un programmede développement urbain, le projetGIANT, développé par les pouvoirslocaux. L’Opération Campus devraitaccélérer ce processus visant à en

Retour sur les origines du projet

« Redynamiser les campus existants,créer de véritables lieux de vie, fédérerles grands campus de demain etaccroître leur visibilité internationale »,tels sont les objectifs affichés del’Opération Campus, lancée enfévrier 2008 par le ministère del’Enseignement supérieur et de larecherche. Le projet, conçu pour permettre la rénovation des 10 premiersprojets de campus, est issu de lavente de 3 % du capital d’EDF, soitenviron 5 milliards d’euros. Le 30avril 2008, 46 dossiers ont été déposés au ministère. Les critèresde sélection retenus sont l’ambitionpédagogique et scientifique du projet,l’urgence de la situation immobilière,le développement d’une vie de campus,ainsi que le caractère structurant etinnovant du projet pour le territoire.Le 28 mai 2008, les six premierscampus - dont Grenoble - ont étésélectionnés.

La ligne B du tramway sera prolongéepour relier le Polygone scientifique

au Domaine Universitaire.Crédit photo : Pigé

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Opération Campus : Grenoble dans la course

Présenté sous le titre « GrenobleUniversité de l’Innovation », le projetgrenoblois a su attirer l’attention duministère. « C’est un des seuls plansretenus sans réserve sur la base dela note d’intention », se félicite PedroOlivas. Ses points forts : une implicationde tous les acteurs de la rechercheet de l’enseignement à Grenoble(Universités Grenoble I, II et III, CHU,CNRS…), et une « vision stratégiqueclaire », fondée sur l’organisation depôles d’excellence pluridisciplinaires.La somme demandée au ministèreest de l’ordre de 600 millions d’euros.La répartition des financements estprévue de la façon suivante : 1/3 plancampus, 1/3 collectivités territorialeset 1/3 secteur privé. Du côté desorganisations syndicales étudiantes,on regrette un manque de concertationdes principaux intéressés : les étudiants. A Fac Verte comme àl’UNEF, on dénonce l’« opacité » danslaquelle a été conçu le projet.

ce qui va changer

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PIGÉcampusfaire une vitrine du potentiel scientifiquede l’agglomération. Le Polygonescientifique serait-il le véritable gagnantde l’opération ? La concentration desmoyens financiers sur le DomaineUniversitaire et le Polygone au détrimentd’autres sites -Institut de laCommunication et des Médias àEchirolles, Institut d’Urbanisme dansle quartier grenoblois Vigny-Musset,par exemple - n’est-elle pas en elle-même un facteur d’exclusion des autresdisciplines ? A Grenoble Universités,Pedro Olivas se veut rassurant : « Lesautres sites n’ont pas été exclus idéologiquement. Notre stratégie visetout simplement à ne pas éparpillerles étudiants et les chercheurs ».Chiffres prévisionnels à l’appui, il souligneégalement que les investissementsdevraient être plus importants sur leDomaine Universitaire qu’au Polygone :le projet « Grenoble Université del’Innovation » prévoit, en effet, d’accorderdeux tiers des financements au siteEst, et un tiers au site Ouest. « Ramenéau nombre d’étudiants, Est et Ouestse partagent le gâteau de façon trèsinégale, avec respectivement 40 000et 3000 élèves. », souligne néanmoinsDavy Cottet. Mais au-delà des querellesde chiffres, quelle sera l’orientation dece nouveau campus ?

Un campus à l’orientation techno-scientifique ?Rapprocher l’Est et l’Ouest, larecherche et la formation universitaire,est au cœur du projet défendu par lesconcepteurs de « Grenoble Universitéde l’Innovation ». Géographiquement,c’est par l’extension de la ligne B dutramway, financée par les collectivitésterritoriales, que devrait se faire lerapprochement entre les deux sites.Jusque-là enclavé, le Polygone scientifique devrait largement profiterde l’opération. A Grenoble Universités,on insiste sur le fait que ces deuxcomposantes tireront avantage decette toute nouvelle proximité : « Ils’agit de mettre en valeur leur complémentarité et leur synergie »,explique Pedro Olivas. « La recherchescientifique, par exemple, a besoin

des humanités, en matière d’éthiquenotamment ».Pour l’UNEF,c’est justementlà que le bât blesse : « Ce plan ne propose pas de véritable projet personnel pour l’étudiant : il ne fait quele soumettre aux intérêts économiques »,souligne Marion Guenot. Les scienceshumaines seront-elles donc au servicedes sciences « dures » ? C’est ce quepense Davy Cottet, co-président dusyndicat étudiant Fac verte Grenoble :« Les sciences humaines ne sont pasdéveloppées pour elles-mêmes, maissubordonnées à l’innovation technolo-gique, notamment pour favoriser l’acceptabilité des décisions publiquesen matière de sciences et technologies. »Autre crainte : que les humanitéssoient délaissées au profit d’autresdisciplines scientifiques plus porteuses,et plus visibles sur le plan international.Le dossier final « Grenoble Universitéde l’Innovation », rendu au ministère le3 novembre, prévoit en effet d’accorder50 % de l’enveloppe budgétaire auxsciences « dures », contre 25 % auxsciences humaines et sociales, les 25 % restants étant prévus pour ledéveloppement de la « vie de campus ».Le co-président de Fac Verte regretteque le projet oriente la recherche versune dimension « techno-scientifiqueet productiviste », très valorisable économiquement. Le chantier « GrenobleUniversité de l’Innovation » devraits’achever d’ici 2020.

(1) Ils favoriseraient les pays anglophones,défavoriseraient les universités de scienceshumaines et sociales, et seraient peu pertinentsdu fait de la disparité des systèmes d’éducationdans les différents pays.

Jennifer Rolnin

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Les universités de Sciences humaines sauront-elles tirer profit de leur rapprochement avec le Polygone scientifique ?

Les bibliothèques universitairesdevraient être réaménagées.

Crédit photo : Pigé

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Pour ou contrele Taser

Depuis le 23 septembre 2008, un décret officiel autorise les polices municipales àutiliser des Pistolets à Impulsion Électronique (PIE), arme de quatrième catégorie –les armes à feu sont classées cinquième catégorie. Ces PIE, tous de la marqueTaser en France, envoient une décharge électrique de 50000 volts soit à distancesoit au contact. Une arme qui électrise le débat...

PIGÉopposé

Pourquoi la Ville de Grenoblerefuse-t-elle d’équiper la policemunicipale de Taser ?Déjà, on ne veut pas être responsabled’un accident grave, voire pire.Personne ne sait exactement lesconséquences de l’utilisation du Tasersur certains individus. Ensuite, nos 84policiers municipaux ne sont pas arméscar leurs missions ne le nécessitentpas. Ils s’occupent par exemple de lasécurité routière, de la tranquillité deslieux publics, etc. Le reste, comme lesmissions de maintien de l’ordre, estassuré par la police nationale ou lagendarmerie. Et puis, utiliser le Tasernécessite une formation complèteque nos policiers n’ont pas.

Mais la police municipale neserait-elle pas mieux protégée sielle possédait des Taser ?Doter les policiers municipauxd’armes déclencherait une escaladede la violence. Le non-armement estune force pour nous. Je suis convaincuqu’un policier qui pointerait un Tasersur un individu provoquerait uneréplique proportionnée. L’image de lapolice municipale en serait dégradéeet les rapports avec la population plustendus. Alors ne rajoutons pas de latension à la tension. Et je peux vousgarantir que je n’ai reçu aucunedemande particulière de nos policiers.

Sur un plan éthique, le pistolet à impulsions électriques vousgêne-t-il ?Il est évident que c’est une arme queje n’aime pas. On inflige aux hommesune décharge électrique, traitementd’ordinaire réservé aux animaux. Ilfaut être clair, le Taser n’est pas unmessage de paix : que je sache, il n’ya pas inscrit « Peace and love » aubout de cette arme !

La polémique sur le Taser est-ellemarquée par un clivage politique ?Sur le plan national, peut-être. AGrenoble, certainement pas : il existeun vrai consensus, tant à droite qu’àgauche, sur cette arme. Je n’ai reçupour l’instant aucun élu qui medemande des comptes sur notre décision et personne n’aborde cettequestion lors des conseils municipaux.

Votre sentiment sur cette armeest-il donc inflexible ?Non. Le manque de moyens de lapolice nationale peut à terme redéfinirles missions de la police municipale.Elle pourra être amenée par exempleà patrouiller 24h/24h. Dans ce cas,on étudiera la possibilité de l’équiperet le Taser pourrait être une alternati-ve aux armes à feu. Mais il faut êtretrès méfiant, on sait que l’on serasuivi par les autres communes del’agglomération. Donc aujourd’hui,c’est simple : pas de Taser pour lespoliciers municipaux de Grenoble !

Premier adjoint chargé des finances, du contrôle de gestion externe, de la prévention et de la sécurité à lamairie de Grenoble, Jérôme Safar s’oppose à doter la police municipale de PIE. Au delà de l’argument idéologique,il estime que le Taser renforcerait le malaise entre police municipale et population.

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« Exiger un moratoire »

Arnaud Chanel est le porte-parolede la campagne « Contrôler lesarmes » d’Amnesty Internationalpour le groupe Grenoble centre.

« Nous sommes formellementopposés à l'usage du pistolet àimpulsion électrique par la policemunicipale car, contrairement à lapolice nationale ou la gendarmerie,elle n'a pas du tout le même rôleni la même formation. En revanche,pour ces deux dernières, qui utilisentdéjà le Taser, nous réclamons unmoratoire tant que ses effets sur lasanté n'auront pas été clairementdéfinis, notamment sur les personnesasthmatiques, cardiaques, ou lesfemmes enceintes. En attendant,l'usage du pistolet à impulsion électrique doit rester exceptionnelet strictement réglementé.Or actuellement, le cadre légallaisse une trop grande place à l'interprétation. Si un moratoireétait prononcé, que le caractèrenon létal de l'arme était prouvé et son encadrement assuré, alorsnous redéfinirions notre position ».

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dans les polices municipales ?

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PIGÉopposéPourquoi la police municipaled’Étampes a-t-elle souhaité êtreéquipée ?Notre ville est classée en zone ditesensible et nous sommes onze policiersmunicipaux non armés confrontésquotidiennement à la violence.Normalement, notre rôle est de veillerau respect de l’ordre public, à la tran-quillité, à la sécurité, etc.Théoriquement,nous n’avons donc pas besoin d’êtrearmés pour ces missions. Mais enréalité, on se retrouve souvent seulsface à des personnes souvent arméeset violentes. Nous avons donc demandédeux PIE pour pouvoir mieux nousprotéger.

En quoi cette arme permet-elle deréduire les bavures policières ?Le Taser permet une traçabilité quin’existe chez aucune autre arme. Unevidéo se déclenche dès que l’on meten route le PIE et filme l’action avantet pendant le tir. En plus de cela, unepuce enregistre l’heure et la dateexactes à chaque nouvelle utilisation,et la trajectoire de la frappe peutmême être recomposée en cas deprocès. La vidéo présente un intérêtmajeur pour le magistrat car il peutjuger du comportement de l’individuappréhendé et donc vérifier que lepolicier a bien agi dans le cadre de lalégitime défense.

Vous avez accepté de tester l’armesur vous lors de votre formation.Pouvez-vous expliquer ce que l’onressent lorsque l’on est « tasé » ?C’est une douleur incomparable. Cequi est étonnant c’est qu’on se senttomber et que l’on est conscient detout, on continue d’entendre tout cequi se passe autour de soi mais c’estcomme si on avait une énorme cramped’un coup dans tout le corps.

Selon Amnesty International, leTaser aurait tué près de 200 personnes aux Etats-Unis. Cechiffre ne suscite-t-il pas deréflexion éthique au sein de lapolice municipale d’Étampes?Si bien sûr, mais les rapports montrentaussi que l’utilisation de l’arme à feu

par les forces de l’ordre a diminué deprès de 80% aux Etats-Unis dans lemême temps. Il y a donc peut-être bieneu 150 ou 200 morts, mais imaginezle nombre de morts si les arrestationsavaient été faites avec des vraiesballes, et je ne vous parle même pasdes dommages collatéraux. Je trouveça incroyable que l’on soit en train defaire un débat sur un outil qui va réduireles bavures et sauver des policiers enévitant des balles perdues.

Pierre Nigay, Eléonore Tournier,Cécile Tran-Tien

Selon Amnesty International, le PIE aurait tué plusde 290 personnes aux Etats-Unis. L’arme utiliséeest cependant moins puissante en FranceCrédit photos : Pigé

La Revue des SAMU a consacré en septembre2007 un article synthétisant les résultatsdes différentes études menées sur lesimplications cliniques de l’utilisation duTaser. Il en ressort que le risque cardiaquen’a jamais été mis en avant, même sur lesindividus équipés de pacemaker. Aucun lienavec des pathologies respiratoires ou descrises d’épilepsie n’a été révélé. Le dangerde cette arme est davantage présent pourles personnes atteintes de delirium, un syndrome d’hyperexcitation souvent provoquépar la prise de stupéfiants comme la cocaïne.Enfin, l’article se penche sur les complicationsmécaniques : brûlures et dégâts physiquesoccasionnés par les sondes du Taser et biensûr les traumatismes liés à la perte decontrôle neuromusculaire.

Étampes, ville située dans l’Essonne, fait partie des onzecommunes à avoir demandé des Taser dès la parution dudécret officiel. François Augade, brigadier chef principal dela police municipale d’Étampes, revient sur ce choix.

La police municipale peut utiliser cette arme depuis le décret du 22 septembre 2008.

Crédit photo: DR« Un vrai plus »Le commandant Touak de la com-pagnie de Grenoble fait le point surl'usage du Taser par la gendarmerie.

« En France, seul le peloton de surveillance et d’intervention de lagendarmerie (PSIG) et les unités périurbaines peuvent utiliser le pistolet à impulsion électrique.Dans l'agglomération, huit appareilssont en service : deux à Eybens,Seyssinet, Pont de Claix et Grenoble,soit environ un PIE pour dix hommes.C’est une arme avant tout dissuasive,qui impressionne lorsqu'elle envoiedes signaux rouges sur sa cible.Contrairement à une arme à feumortelle, les suspects savent queles policiers n'hésiteront pas àl'utiliser en cas de nécessité.C'est aussi et surtout une armeintermédiaire qui vient combler unvide entre le bâton et le pistolet,qui peuvent s'avérer mortels selonles usages. Un vrai plus pour nous,qui pourrait l’être aussi pour lespoliciers municipaux, autorisés àporter des armes à feu dans certaines communes sans avoirreçu la même formation que lapolice nationale. »

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Un peu d’Histoire…La quasi-majorité des voyageurs deGrenoble est issue d’une brancheSinti, des Tziganes venus d’Italie etdu Piémont, et d’une branche gitane,originaire du Midi de la France etd’Espagne. La période de l’entre-deux-guerres marque le début de lasédentarisation, les voyageursinvestissant les quartiers Saint-Laurent, de la Mutualité et de laMontée Chalemont. Dans les années1960, ils quittent les taudis du centreville de Grenoble pour s’installerdans les nouveaux immeubles duChâtelet à l’Abbaye. Un quartier quicompte aujourd’hui l’essentiel d’ungroupe constitué de plus de 680personnes sédentaires, d’aprèsAnnabel Brot, auteur de Ces gens là,cent ans d’histoires de la communautégitane à Grenoble.

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Dans les pasdes gens du voyage

AA part les films d’Emir Kusturica et les tubes desGipsy Kings, que connaissons-nous vraiment des gens du voyage ? Enracinés à Grenoble depuis 1870,ils sont pourtant des centaines à vivre à deux pas dechez nous. Derrière les clichés, les croyances qui lesentourent et ce même nom qui les unit, se cache unediversité des origines, des modes de vie et des parcours. Qui sont vraiment les gens du voyage ?

PIGÉreportage

Leur liberté de penser

« Voleurs de poules ? A quatre euros lekilo, je n’en vois pas vraiment l’intérêt.C’est comme nous traiter de voleursd’enfants. Franchement, aujourd’hui,toutes nos petites prennent la pilulecontraceptive, alors pourquoi volerdes bébés ? ». L’ironie de Violette,voyageuse de 74 ans, dissimule àpeine son amertume. Les rumeursvont toujours bon train sur ce groupeparfois mal perçu. « Gens du voyage »,rien que ce mot prête à confusion.Gitans, Tsiganes, Roms, Manouches,Gipsys, les noms ne manquent paspour qualifier ce groupe. La diversitéde ces appellations est d’ailleurs unepreuve de plus de la méconnaissancedes gens du voyage, le terme officielet juridique employé en France.

Ce flou sémantique s’explique notamment par la difficulté de définirprécisément cette communauté, aussihétérogène qu’unie. Aujourd’hui, leursmodes de vie sont plus différents les unsque les autres, avec des sédentaires,des nomades, des situations socio-économiques parfois aux antipodes…L’image d’Epinal de la famille nomadesans cesse sur les routes sembleappartenir au passé. Pourtant, le lienqui les unit reste encore très fort. Leuramour commun pour la liberté estaujourd’hui davantage une manière depenser qu’un goût pour le mouvement.« Le voyage se fait d’abord dans latête », confie ainsi une sédentaire del’Abbaye.

Face au phénomène de sédentarisationcroissante, les gens du voyage exprimentdésormais cette liberté à traversd’autres aspects de leur vie. Au travail,d’abord. Ferrailleurs, commerçants,forains, rempailleurs, beaucoupd’entre eux travaillent à leur compteet souvent en famille. A l’église etdans les temples, ensuite. « Les gensdu voyage ont une manière de croirebeaucoup plus passionnelle, à telpoint qu’ils ont fait évoluer ma proprefoi », confie le Père Touchon, qui vit aucœur de la communauté grenobloisedepuis cinquante ans. Catholiques etpentecôtistes – majoritaires chez lesgens du voyage – ont une manière

bien à eux de célébrer les fêtes religieuses.« Quand une personne décède,on la veille tous ensemble pendanttrois jours », explique Marius, un sep-tuagénaire aujourd’hui sédentarisé.

Cet attachement à la liberté s’accom-pagne cependant d’un sentimentcommun de rejet. Beaucoup ont l’impression d’être des citoyens deseconde zone, alors même qu’ils sontarrivés en France au… XVème siècle ! A l’heure où l’Europe facilite la librecirculation des personnes, les carnetsde circulation sont encore en vigueurdans notre pays. Et pour exercer leurdroit de vote, les voyageurs ont l’obligation de rester trois ans dans lamême commune. Autant dire oublierleur mode de vie d’origine.

Aujourd’hui les gens du voyage envisagent l’avenir avec quelquescraintes et beaucoup d’interrogations.Alors même que leur manière de vivrese rapproche de plus en plus de celledes gadgés*, il devient beaucoup plusdélicat de préserver l’originalité deleur culture.* terme par lequel les gens du voyage désignent

les non voyageurs.

Carnets de circulation :Destinés aux personnes de plus deseize ans ne disposant d’aucunrevenu fixe et vivant dans un « abri mobile », ces carnets sesubstituent à la pièce d’identité.Ils doivent être visés par les servicesde la gendarmerie tous les trois mois.

Regroupement de caravanes sur un terrain à Bourgoin Jallieu

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Reportage réalisé par :

Pierre Nigay,Caroline Politi,Céline Rouzet,Romain Zanon.

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Législation et réalité du terrainLa Métro -communauté d’agglomération- qui a la gestion des aires de séjour, de passage, et des « mini-terrains » se heurte à quelques difficultés. Il est par exemple délicat de convaincre lesfamilles de quitter les terrains de séjour au-delà des neuf mois prévus. Ce qui conduit à voir descaravanes installées sur ce genre de terrain depuis plusieurs années ! Pourtant, la Métro continuede classer ces terrains en « séjour », afin de conserver ses différentes subventions... Autre sourcede conflit : les lenteurs administratives. En effet, la loi Besson de 2000 offre un cadre juridiquevolontariste pour l’accueil des gens du voyage en aidant les communes de plus de 5000 habitantsà réaliser des aires de stationnement. Chaque département devait se doter d’un schéma d’installation,et les municipalités avaient deux ans pour réaliser les équipements programmés. Même si la loi surla décentralisation a repoussé les délais, le schéma départemental dans l’agglomération est satisfaitaujourd’hui à hauteur de... 40% ! Certaines communes ne jouent pas le jeu et refusent de mettreà disposition les fameux terrains, bien souvent sous la pression populaire.

Sur les terrains

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PIGÉreportage

Trente-quatre ans que les Lussi ont décidé de poser leurs valises et de s’installer définitivement à Grenoble. « Ce fut unvéritable sacrifice. Mais on voulait que nos enfants aillent à l’école et mon mari devait trouver un travail fixe. Il n’était doncplus possible de continuer à vivre sur les routes », confie Violette, 74 ans. En 1974, cette famille devient donc propriétaire

d’un petit terrain privé, non sans difficulté. « Quand on achète, il faut cacher qu’onest voyageur. Au début on a eu beaucoup de plaintes des voisins, la police venaitparfois quatre fois par semaine. » Mais, aujourd’hui, les Lussi sont parfaitementintégrés dans leur quartier et heureux de leur situation. Quatre générations cohabitentsur le terrain, se partageant deux petits chalets préfabriqués et quatre caravanes.Comme la famille Lussi, beaucoup de voyageurs ont choisi la voie de la sédentarisation.Propriétaires ou locataires, de maison, d’appartement ou de caravane, leurs situationspeuvent varier du tout au tout. À Grenoble, près de 150 familles logent en HLMdans le quartier de l’Abbaye.

Coincé entre le cimetière et la zone industrielle des Iles, le « mini-terrain » de Pont-de-Claix abrite une quinzaine de caravanes. Claudine, 54 ans, y habitedepuis 1985, date de création de cette aire d’accueil. Au nombre de dix-huit, cesterrains dits familiaux appartiennent à la communauté d’agglomération, la Métro.Précurseur en la matière, Grenoble a créé voilà une vingtaine d’années ces mini-terrains d’une dizaine de places. Réhabilités pour la plupart, ils accueillentune famille élargie dont le contrat de location de trois ans est renouvelable.Claudine fait donc partie de ces semi-sédentaires qui se déplacent très peu.

« Toute la famille est rassemblée sur ce terrain : mes quatre enfants mariés, les frères et les cousins de mon époux… Ici,on peut partir quand on veut et, en plus, c’est pas cher : 47 euros par mois sans les charges. » Chaque foyer dispose decaravanes et d’un préfabriqué d’environ vingt mètres carrés qui fait office de cuisine et de pièce à vivre. Si le bloc sanitaireest en commun, les compteurs d’eau et d’électricité sont, eux, individualisés. Un terrain parfaitement adapté au mode devie auquel Claudine aspire : « Quand on est à côté des HLM, avec la drogue et tout… on ne se sent pas en sécurité, alorsque vivre ici entre nous nous permet de protéger nos enfants ».

Deux types d’aires ont été créés pour les nomades. Trois mois maximum pour les terrains de passageavec un tarif journalier progressif : les itinérants bénéficient par famille d’un espace de 150 mètrescarrés et de sanitaires privés. Les terrains de séjour, jusqu’à neuf mois, ont sensiblement la mêmeorganisation.

Plusieurs générations de la familleLussi sont réunies sur ce terrain privé

UUne villa avec piscine, une caravane miteuse péniblement calée au milieu de déchets.Deux mondes, mais un point commun : des gens du voyage y habitent. Et entre ces deux situations extrêmes ilexiste une grande diversité des lieux de vie, tant pour les sédentaires, les semi-sédentaires que les nomades.

Visite guidée...

Claudine et ses proches habitent sur lemini terrain de Pont-de-Claix depuis 1985

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Mon écoleà quatre roues

LL’instruction est obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans. En théorie oui, mais comment faire lorsqu’on est toujourssur la route et qu’on ne reste jamais plus de quinze jours dans la même ville ? Pour remédier à ce problème,trois camions-écoles sillonnent les routes iséroises pour donner des cours aux enfants des voyageurs.Au total, 450 jeunes foulent chaque année les bancs de cette école pas comme les autres.

PIGÉreportage

Il est huit heures lorsque Marie-GeorgeBennec et Jean-Marc Doublier, deuxdes trois instituteurs en camion-écoleisérois, arrivent dans leur salle declasse à quatre roues. Ce matin, ils serendent sur un terrain sauvage, auxabords de Bourgoin-Jallieu, où descaravanes ont élu domicile.A leur arrivée,une vingtaine de jeunes écoliers courentà leurs devants. Cela fait quinze ansque c’est ainsi et ça n’a pas changé :« Quand on voyait le camion arriver,on se précipitait dedans avec mescousines », se souvient Lesley, 20 ans« J’étais très contente d’aller à l’école. »Au programme ce matin, coloriagepour les plus jeunes, et apprentissagede la lecture, de l’écriture et du calculpour les autres. Pas de sciences,d’histoire ou de géographie, l’essentiel,c’est d’avoir les bases. Si le principede ces camions-écoles est directementinspiré des Frères Chrétiens quivenaient enseigner le catéchisme surles terrains, les cours d’éducationreligieuse ont, aujourd’hui, totalementdisparu. Seule survivance de cetteépoque : le fait que les professeurssoient rattachés à des écoles privées.Les camions-écoles sont, quant àeux, fournis par l’Association pour laScolarisation des Enfants Tsiganes,l’ASET. Les classes – au maximumune douzaine d’enfants – sont très

hétérogènes, et les instituteurs sontobligés de s’adapter au niveau dechacun, comme l’explique Marie-Georges Bennec : « On a beau préparerdes thèmes pour chaque séance, on nesait jamais vraiment comment elle vase dérouler. On doit systématiquementimproviser et s’adapter au niveau dechaque élève. »Aujourd’hui, rares sont les parents dejeunes voyageurs qui rechignent àmettre leurs enfants à l’école primaire.Tous sont conscients de la nécessitéde savoir lire et écrire et contactentdès qu’ils le peuvent l’ASET pour fairevenir les camions : « A chaque foisqu’ils sont dans la région, les parentsnous appellent et nous essayons devenir donner des cours une ou deuxdemi-journées dans la semaine »,confie Marie-Georges Bennec.

La crise du collègeSi l’école primaire est bien acceptée,les gens du voyage sont généralementplus réticents à envoyer leurs enfantsdans le secondaire. Beaucoup craignentque le collège les « dégitanise », en leurinculquant les valeurs des « gadjés »,c’est-à-dire des personnes sédentarisées.D’autres ont peur pour leur sécurité, àl’image de Nana, mère de septenfants : « Je ne veux pas que mesgamins aillent au collège. Il y a des

filles qui se font violer, des profs quitapent sur des élèves, de la drogue.Mon fils, il y est allé un an mais je l’airetiré parce que c’était trop dangereux.Pourtant, j’aurais bien voulu qu’il ait undiplôme parce qu’avec la crise c’estimportant ». Autre facteur déterminant :beaucoup de jeunes commencent àtravailler avec leurs parents vers l’âgede 13-14 ans, et n’ont plus le tempspour suivre les cours au collège.Pour prolonger leurs parcours scolaire,l’ASET propose aux adolescents de12 à 16 ans une heure de cours particulier par semaine.Au programme,révisions et correction de devoirs :« Ces jeunes savent tous lire, écrire etcompter, mais ils ne pratiquent pasbeaucoup », explique Marie-GeorgesBennec. « Le but de ces cours, c’estde ne pas perdre les acquis ». Cescours constituent une alternativesatisfaisante au CNED. En effet, mêmesi près de 5500 jeunes voyageurs yont recours chaque année en France,les cours par correspondance laissentsouvent les adolescents livrés à eux-mêmes, et rares sont ceux qui terminentle collège. Mais aux yeux de Jean-MarcDoublier, les camions ne devraientpas « servir à pallier une démission ducollège ni de la famille ».

A bord de leur camion-école,Marie-Georges Bennec et Jean-Marc Doublier dispensent des cours aux jeunes voyageurs.Lire, écrire et compter constituent le programme des écoliers.Crédit photo : Pigé

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CDeux voyageurs,

deux destins

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Comment voit-on la vie quand on est jeune voyageur ? A-t-on les mêmes rêves etles mêmes chances ? Si Wendy, 24 ans, a choisi de marcher dans les pas de sesparents, Teddy a un parcours plus inhabituel : à 30 ans, il est capétien et détenteurdu diplôme de la plus prestigieuse école de cinéma en France, la Fémis.Deux parcours différents mais le même sentiment d’appartenir à la communautédes gens du voyage.

PIGÉreportage

Teddy, quel est votre parcours ?Dès le CM2, je choisis de continuer une scolarité au collège, et je fais ledésespoir de mon père, qui aurait certainement préféré que je l’accompagnesur les marchés plutôt que de me voir entreprendre un parcours de « Gadjo ».J’ai très vite le goût des livres, l’objet livre d’abord, dans ce qu’il a d’interditpour moi, puis, plus tard, pour ce qu’il contient. Je décide donc de suivredes études de lettres modernes à l’université jusqu’à la maîtrise. Un film queje vois en 1998 me donne envie de faire du cinéma : Velvet goldmine deTodd Haynes. Après trois séries d’épreuves que je passe en secret, j’intègrel’école de cinéma, la Fémis, à Paris. Il me faut convaincre une nouvelle foismon père : chez les voyageurs, on part de chez soi seulement lorsque l’onse marie. À la Fémis, je découvre des gens socialement très différents demoi. J’apprends à être un homme. J’apprends le cinéma et la vie. Je suiségalement professeur de français dans un lycée de Seine-Saint-Denis.

Vous sentez-vous voyageur ? Je me sens à la fois voyageur et français. Comme tous les voyageurs. Nousnous sentons extrêmement français et sommes fiers de l’être. C’est pourquoile rejet dont nous sommes parfois victimes nous apparaît très injuste,incompréhensible. Aujourd’hui, je prépare un long métrage que j’aimeraistourner à Grenoble. Je suis peut-être un voyageur mais je reste très attachéà ma ville natale…

Et la vie sur les routes ?C’est une vie très difficile. Arriver à un endroit et ne pas savoir si vous allezpouvoir y rester, ne pas savoir si vous allez pouvoir obtenir de l’eau et du courantnécessitent un grand courage. Je suis aujourd’hui très habitué à mon confort.

Avez-vous subi des discriminations en tant qu’enfant du voyage ?Ou bien cette qualité a-t-elle été votre chance ?Les deux. Mais je n’ai pas envie de m’étendre sur les discriminations.L’idéologie victimaire m’énerve. De surcroît, le système républicain m’a permisd’obtenir une bourse pour étudier. Il y a peu de pays où l’on vous offre ça.

Wendy : « La liberté, c’est notre luxe »Crédit photo : Pigé

Wendy, que signifie pour toi l’appartenance à la communauté des « gens du voyage » ?C’est être libre. La liberté, c’est notre luxe. On peut aller où on veut quandon veut. Même ceux qui vivent dans une maison sont très libres, car dès quevient l’été, ils peuvent partir, ils ont tous une caravane.

Aimerais-tu retourner vivre sur les routes ?Cela ne fait que cinq ans que j’habite sur un terrain familial à côté de Grenoble.Avant, j’étais toujours sur les routes. J’en garde de très bons souvenirs.J’adorais changer de ville tous les dix jours. Ça m’a fait bizarre de venirm’installer sur un terrain mais, aujourd’hui, j’aimerais bien vivre en appartement.Pas toute l’année, seulement quatre ou cinq mois, pendant l’hiver. Et l’été,on prendrait la caravane pour partir sur les routes, dans le sud.

As-tu souffert de la discrimination ?Pas vraiment. Juste une seule fois quand j’étais petite, à l’école. On m’avaittraitée de « sale gitane » et je me suis battue ! Sinon ça se passe très bienavec les « gadjés », j’ai des amis qui ne font pas partie des gens du voyage,je me sens parfaitement intégrée. Ça n’a pas non plus été un problème pourtrouver du travail : je suis femme de chambre dans un hôtel de Saint-Egrève.J’ai enchaîné plusieurs CDD et je viens de signer un CDI. Mon anciennepatronne m’a même répété plusieurs fois que notre liberté lui faisait envie !

Quels sont tes rêves aujourd’hui ?Faire construire une maison pour mes parents. Chez nous, la famille estvraiment très importante, et ce serait incroyable de pouvoir les remercier decette façon pour tout ce qu’ils ont fait pour mes frères, mes sœurs et moi.Mais je crois que c’est le rêve de beaucoup de monde, pas seulement desgens du voyage. Quant à moi, j’aimerais acheter un appartement, commema meilleure amie.

Teddy, un voyageur cinéaste.Crédit photo : Pigé

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Miseen culturePIGÉculture

L'art contemporain ? Je dis OUI!

Un drôle de nom pour un drôle d'en-droit... Au pied de la Bastille, boulevardde l’esplanade, le centre d'Art OUIaffiche sa différence depuis septembre2007. Ses fondateurs, des professeurset artistes issus des Beaux-Arts deGrenoble regoupés au sein de l'associa-tion AAA, ont choisi un garage sordidedont personne ne voulait pour en faireaprès quelques coups de pinceaux unvivier de l'art contemporain.Aujourd'hui, OUI fait figure de tremplinpour la jeune création, comme l'expliqueStéphane Sauzedde, président de AAA :« à la différence du CNAC (Centrenational d'art contemporain égalementappelé Le Magasin, ndlr), qui accueilledes artistes reconnus, nous sommesun espace de découverte ». Et contrai-rement au Magasin ou au CAB (Centred'Art Bastille), OUI peut se permettredes programmations décalées puisqu'iln'a ni impératif marchand ni vocationà démocratiser l'art contemporain.« Nous pouvons prendre des risques.C'est pour cela qu'a été monté ce lieuet c'est ce qui nous excite : titiller lespectateur et nous-mêmes », jubileStéphane Sauzedde.Des spectateurs qui ne manquerontpas d'être surpris par la douzièmeexposition de OUI, actuellement enplace jusqu'au 22 février. Après avoirhébergé les oeuvres de Phillipe Meste,OUI se transformera en Sauna géantpendant trois semaines et accueilleraenfin les oeuvres de Dieter Roth. Unbon moyen d'affronter l'hiver.

Thomas PitrelEléonore Tournier

« Je Déteste La Musique »

« On parle de Grenoblecomme une ville électro àcause de Miss Kittin etThe Hacker, mais cetteville, c'est mi-reggae,mi-techno minimale. Iln'y a pas de scène electro-hip-hop ». Il est vraique le préjugé est bien ancré dans l'inconscientcollectif, mais il faut bien se rendre à l'évidence :les trois potes du collectif Je Déteste La Musiquesont encore bien seuls sur ce créneau dans lacapitale des Alpes.Jean Pier (graphiste), Redaster (DJ) et MichelHamburger (DJ) ne sont pourtant pas nés de ladernière pluie. « Le déclic, ça a été l'album livede Daft Punk en 1997, raconte Redaster. Il tournaiten boucle et nous rendait fous ». Une passionqui les poussa à lancer leur propre émission surRadio Campus. A l'époque accompagnés dedeux autres compères, ils avaient commeobjectif, tous les dimanches soirs, de trouver etde faire partager « les sons que les autres nejouaient pas ». Un credo conservé lors desnombreuses soirées que le trio a organiséesdans des lieux aussi divers que le Kameleon, leVertigo ou la MC2. Aujourd'hui, l'émission étantterminée pour cause de lassitude, Je DétesteLa Musique se consacre entièrement aux soirées.« On commence à être rémunérés, mais on necherche pas vraiment à en vivre. Le but, c'estplutôt de s'amuser en amusant les gens »,précise Jean Pier. Mission accomplie.

www.myspace.com/jdtstlmsq

Danse avec les lieux

Depuis 19 ans, la compagnie Pascoli bouscule le petitmonde de la danse contemporaine.La troupe grenobloise menée par la chorégraphe Anne-Marie Pascoli sort régulièrement des théâtres pour danserdans des lieux du patrimoine. Une démarche audacieusequi nécessite un long travail de repérage et de préparation,auquel les visiteurs peuvent assister. Anne-Marie Pascoliraconte: « Investir des lieux du patrimoine implique uneautre façon de travailler: prendre le temps de vivre avecles lieux et les gens. Je n'en pouvais plus des théâtres,ces lieux mortifères où, au mieux, on peut aller boire unverre à la fin d'un spectacle ».Cette démarche est aussi une façon de faire connaîtreun art souvent méconnu et encore très cloisonné selonelle: « il y a une sorte d'intelligentsia auto-proclaméedans ce milieu, qui décide de ce qui est valable ou pas.Or pour être visible, la danse doit sortir des circuits quel'on a créés pour elle ».Après avoir investi des couvents, des usines désaffectéeset dansé autour d'un lavoir en banlieue parisienne,Anne-Marie Pascoli a jeté son dévolu sur l'abbaye deJumièges pour sa prochaine résidence: «un endroitmagique où nous allons travailler à ciel ouvert, dans lefroid, plusieurs fois dans l'année », confie la chorégrapheenchantée. En attendant, la compagnie continue dejouer ses deux dernières créations Moderato Forte et Leroi se meurt et la basse court... dans des théâtres.

Je déteste la musique.

Crédit :DR

Oui : Pigé

PPigé s'est immergé dans l'incubateur culturel grenoblois.Il a récolté trois herbes follesqui donnent à voir la cultureautrement.

Crédit photo : DR

La Compagnie Pascoli.Crédit : DR

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Le Summum, l’Adaep, la Bobine, Eve,La Maison de la musique à Meylan,pour ne citer qu’elles : des dizaines de salles sont dédiées aux musiquesactuelles dans l’agglomération grenobloise. Etait-il nécessaire d’en créer une nouvelle sur le site Bouchayer-Viallet ?

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Oui, si l’on en croit la mairie deGrenoble qui dès 2003 a lancé l’étuded’un pôle culturel contemporain,répondant ainsi à la demande dupublic et des acteurs locaux. Le projettâtonne entre 2003 et 2005 et c’estfinalement en 2005 que l’idée d’uneSMAG, salle des musiques amplifiéesde Grenoble, est lancée. De réunionsen réunions, l’image de la salle prendforme et son rôle se précise. JeanChristophe Bernard, coordonnateurdes musiques actuelles à la mairie deGrenoble, explique : « La ville avaitbesoin d’une salle intermédiaire entrele Summum, rentable à partir de1000 places, et les autres salles,qui ne peuvent pas accueillir plus de 300 personnes. La SMAG est donc le chaînon manquant dans le tissu culturel grenoblois ».

InnovationUn lieu qui se démarque aussi parune architecture innovante. Il intégreraun espace chill-out(1) qui n'existe dansaucune autre salle. Le bâtiment auradeux entrées totalement vitrées quidonneront sur un hall d'accueil pourvud'un bar ouvert en permanence etd'un espace restauration. Des élémentsprévus pour que la salle soit la plus

conviviale possible et puisse accueillirtous les styles de musique.Modernité oblige, la musique n'aurapas l'exclusivité, puisqu'elle sera souvent accompagnée de projetsvidéos. L’association Mixlab (six acteursculturels et un institutionnel actuellementen négociation avec la mairie pourgérer la salle) confirme par la voix deson président, Alban Sauce : « LaSMAG a été pensée pour que l’artnumérique puisse être mis en place àchaque concert. Nous souhaitonsd’ailleurs développer une commissionavec des professionnels, comme leCEA, pour réfléchir sur « l’art science »et développer de nouveaux procédés ».

Collaboration Un partenariat parmi d'autres, puisqu'ilest déjà prévu par le cahier des chargesque Mixlab s'associe à la régie 2C(2).Celle-ci devrait mettre à dispositiondes artistes du matériel et des locauxde répétition. Au-delà de la diffusion,Mixlab souhaite également accompa-gner les artistes locaux, comme l’explique Alban Sauce : « Nous allonsréfléchir à un système de microcréditqui permettra aux artistes émergentsde se produire dans notre salle. Si lepublic n'était pas au rendez-vous, ils

pourraient rembourser en petitesmensualités sur le long terme ». Desgroupes qui auront donc leur placedans la programmation, même si lasalle est plutôt prévue pour des formations d’envergure nationale ouinternationale.

Une programmation qui sera variée etréalisée en collaboration avec lesautres salles de l’agglomération pourne pas leur faire d’ombre. « Notre butest de travailler ensemble en amontpour ne pas se faire de concurrence »,explique Jean-Christophe Bernard,avant d'ajouter : « un agenda infor-matisé sera très prochainement mis enplace pour créer des programmationscomplémentaires ».

On peut craindre que toutes ces inno-vations se répercutent sur les prix desbillets même si, à la mairie, on s'endéfend, sans pour autant avancer dechiffres. C'est un des nombreuxpoints qui restent à préciser avantl'ouverture de la salle prévue pour2011.

Thomas PitrelEléonore Tournier

(1) Une pièce conviviale où, lors des soiréesélectros, les danseurs exténués pourront sereposer sur des sofas en écoutant desmusiques planantes.

(2) Régie fondée par la ville de Grenoble pouraccompagner les groupes locaux et favoriserleur diffusion au travers de deux équipements :Le Ciel et La Chaufferie

La façade de verre de la SMAG. Crédit : DR

PIGÉculture

La SMAG ouvrira ses portes en 2011. Crédit : DR

La pilule passe mal pour PMI

Depuis le 24 juin dernier, date à laquelle la mairie de Grenoble a confié le dossierà Mixlab, Laurent Ageron, président de l’association concurrente PMI (Pôle Musicald’Innovation, fédération d’associations autour de Rocktambule), ne décolère pas :« Je trouve toujours que c’est un désaveu de la ville. Certains élus ne souhaitaientpas que ça soit le secteur associatif qui gère la SMAG ». Accusations infondéesselon Jean-Christophe Bernard : « la plupart des membres de Mixlab ont de l’expérience dans la gestion de lieux culturels. Gérer un festival, ce n’est pas gérerune salle ». Une controverse qui n’empêchera pas PMI d’investir les lieux prévuspour tous les acteurs locaux, sans exception.

Give mea SMAG !

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Le coup d’œil deMehmet Bazdarevic sur le GF38PIGÉsport

CC’est le « coup » de Pigémagazine.Quelques coups de fils,un coup de chance : « Mécha » nous reçoit dansl’un des préfabriqués ducentre d’entraînement du GF38. Un brin tendu au coup d’envoi de cetteinterview, le coach iséroisenchaîne ensuite coupsur coup sourires, petitesphrases assassines et sous-entendus.

Mécha, un entraîneur qui n’hésite pas à flanquer des coups à ses joueurs...Crédit : Pigé

Eté 2007 : vous arrivez dans un club géré par des dirigeants japonais sans connaissancedu monde du football. Coup de folie ou coup de génie ?(Silence) Moi je gère des joueurs, alors parler des dirigeants... Aujourd’hui, il faut de l’argent pourconstruire une équipe, et les Japonais en ont amené à Grenoble. Après, c’est vrai que le footballn’est pas vraiment leur spécialité...

Votre coup de cœur en débarquant à Grenoble ?Sans hésiter, le public. Quand je suis arrivé, j’ai trouvé des caisses quasiment vides et une mauvaiseambiance dans l’équipe. Les infrastructures étaient aussi loin d’être satisfaisantes. Mais le publica toujours été présent, et ça, je ne peux pas l’oublier.

Saison dernière, février 2008, coup de théâtre : le Stade des Alpes donne des ailes à vosjoueurs et l’équipe de Troyes, loin devant au classement, a tout à coup la bonne idéed’avoir un sérieux coup de pompe...(Un peu énervé) Si vous voulez... Moi, je crois surtout que ce groupe était arrivé à maturité. Onavait clairement franchi un cap et trouvé l’équilibre entre les jeunes et les anciens. Et puis j’ai sumotiver mes troupes : je suis un battant.

A quel moment avez–vous dit à votre équipe : « les gars, il y a un coup à jouer, on vaaller la chercher cette montée » ?Je vais vous surprendre... En fait, c’est dans les vestiaires, après notre défaite à Nantes au moisde mars. On accusait alors douze points de retard sur la troisième place. Je leur ai dit : « Vu notreniveau de jeu, on va monter. Ne me prenez pas pour un fou (sic) ! ». Je vous assure que c’était latoute première fois que je parlais de la montée aux joueurs !

Juin dernier, coup dur pour le GF38 : la Direction Nationale de Contrôle et de Gestionrefuse temporairement la montée de Grenoble pour problèmes financiers...

Un moment très difficile et très frustrant. Difficile parce que tout le monde vivaitdans l’angoisse d’une rétrogradation définitive. Et très frustrant parce qu’on venaitde gagner le droit sur le terrain d’accéder en Ligue 1 et que pour des problèmesextérieurs au football on nous empêchait d’atteindre notre rêve.

On sait que vous n’avez pas la langue dans votre poche. Les coups degueule ont dû être fréquents...Je ne pouvais pas recruter des joueurs. Et j’étais fâché contre tout le monde, jene comprenais pas pourquoi on ne trouvait pas de nouveaux sponsors... J’étaisaussi énervé de voir le potentiel économique de Grenoble et le manque de répercussions sur le club. Heureusement, les dirigeants et les collectivités ont faitdes efforts et la DNCG a finalement homologué la montée.

Le maintien du GF38 en Ligue 1 se jouera-t-il sur un coup du sort ou passera-t-il par des coups de maître en championnat ? Il faut proposer quelque chose de cohérent et garder l’état d’esprit et la solidaritéde la saison passée. Après il faudra aussi un peu de chance...

Pour finir, petit coup en traître : quand Grenoble disputera-t-elle la couped’Europe ?!Hum... je pense que je serai déjà à la retraite ! Non, je plaisante ! On ne saitjamais, cela peut se produire plus vite qu’on ne le pense...

Propos recueillis parPierre Nigay

Coup de foudre

Il siffle, ramasse les plots, félicite un joueur,s’en prend à un autre. A coup sûr, MehmetBazdarevic a le football dans le sang.Il n’y a qu’à assister à l’une de ses séancesd’entraînement pour en être convaincu.Le coach isérois change de casquette en permanence. Celle de technicien lorsqu’ilimpose un exercice de coups-francs à sonéquipe. Celle de psychologue quand il parle entête à tête à Laurent Courtois, qui sembleaccuser le coup. Celle de médecin quand,au coup de sifflet final, il va prendre des nouvelles de Franck Dja Djedje et de sonépaule récalcitrante. Il est comme ça, Mécha :pas de coups en dessous de la ceinture, maisune relation directe avec ses joueurs.« Je suis prêt à mourir pour mon équipe »,nous avoue-t-il en toute pudeur. Mais le plustard possible alors...

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PMédaille d’orde la discrimination médiatiquepour la télé française

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Pas moins de 4000 journalistes ont fait le déplacement à Pékin pour assister aux Jeux Paralympiques, un record dans l’histoire médiatique de ces derniers.Et pourtant, une fois encore, ces Jeux ont été quasiment absents des écrans des télévisions françaises.

PIGÉmédia

Les chiffres parlent d’eux-mêmes, sur182 salariés envoyés à Pékin par legroupe France Télévision, seulementune quinzaine est restée sur placepour couvrir les Jeux Paralympiques,qui se tenaient du 6 au 17 septembre.Alors que plus de 1,3 millions deFrançais ont suivi chaque jour lesJeux Olympiques, aucune épreuveparalympique n’a fait l’objet d’undirect sur la télévision publique. Lacouverture médiatique de ces Jeuxs’est résumée à sept minutes par jouravant le 12/13 de France 3 et cinqminutes sur France 4 à 22h30. D’oùun sentiment de frustration pourDavid Smétanine, nageur handisportquadruple médaillé à Pékin :« Beaucoup de gens m’ont dit en rentrant qu’ils n’avaient pas pu mesuivre pendant les épreuves. C’estvraiment dommage, car tout le monden’a pas la chance d’aller à Pékinassister aux Jeux, la télévision auraitdû être un relais mais au final lesimages ont cruellement manqué ».

La télévision française, grandeabsente des Jeux ParalympiquesSi la télévision française a fait figurede mauvaise élève lors des derniersJeux Paralympiques, il n’en est pas demême pour la radio, qui fut beaucoupplus présente. Une différence quis’explique par les coûts de retransmis-sion, selon le champion grenoblois :« Les droits de diffusion pour la radio

sont beaucoup moins chers que pourla télévision. Du coup, la télé ne sedéplace que lorsqu’il y a vraimentquelque chose d’extraordinaire. Jepensais que ce que j’avais réaliséétait tout aussi extraordinaire que lesmédailles d’Alain Bernard mais pourtantseule France 2 m’a couvert ».

De son côté, Daniel Narcisse a vécuune compétition bien différente.Annoncée favorite, l’équipe de Francede handball était sous le feu des projecteurs avant même que les JOne commencent. « Tout était réunipour un coup médiatique. De plus, ona montré petit à petit une imaged’équipe qui a des valeurs et qui saitimposer son rythme ». Sans compterque les « Experts » étaient les seulsreprésentants du sport collectif français,avec l’équipe de handball féminine.Sans surprise, les handballeurs ontfait l’objet d’une médiatisation crois-sante jusqu’à leur victoire en finale, ledernier jour des Jeux.

Une véritable discriminationmédiatique Loin d’avoir pris la grosse tête, l’arrièregauche chambérien souligne l’injusticemédiatique subie par les athlètesparalympiques : « Je n’ai pas pu tropsuivre les épreuves paralympiques,c’était difficile. C’est dommage, carc’est un exploit aussi. DavidSmétanine a la même médaille que

moi, la même que Phelps (championolympique de natation) ». DanielNarcisse dénonce l’hypocrisieambiante : « On retransmet bien leTéléthon une fois par an, parce quedes stars sont présentes. Enrevanche, quand il n’y a plus que leshandicapés, qui montrent qu’ils ontautant voire plus de mérite que nous,les médias sont moins intéressés ».

Une des solutions pour accroître lavisibilité des Jeux Paralympiques neserait-elle pas d’organiser les deuxcompétitions en même temps ? À cette question, les athlètes paralympiques sont catégoriques :« Il vaut mieux que ça soit juste après lesJeux Olympiques sinon la couverturemédiatique serait encore pire » affirmeDavid Smétanine. Engagé dans lacandidature de Grenoble aux JO2018, le nageur souhaiterait que lesJeux Paralympiques se déroulentaprès les Olympiques. De manièreplus symbolique, le champion handisportpropose d’organiser une cérémoniecommune aux deux compétitions.Pour lui, améliorer la couverturemédiatique du handisport ne seraitpas seulement une victoire pour lesathlètes de haut niveau, mais aussi unencouragement pour tous ceux quivivent le handicap au quotidien.

Thomas Pitrel et Cécile Tran-Tien

Le saviez-vous ?

Les premiers Jeux Paralympiques se sont déroulés à Rome en 1960.Les formes de handicap étant très variées, les athlètes sont répartis selon leurdegré d’invalidité. Pour affirmer leur différence, les organisateurs ont décidé de nepas reprendre les anneaux olympiques. Leur logo se compose de trois virgulessymbolisant l’âme, le corps et l’esprit.

Daniel Narcisse.Originaire de La Réunion, celui que l’on surnomme « Air France » a été élu meilleur arrière gauche pendant la compétition olympique de handball,remportée par la France.(Crédit : Pigé)

David Smétanine a remporté l’or sur le 50m et le 100m nage libre à Pékin.(Crédit : Pigé)

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Pour un flirt avec toi...PIGÉtesté

LLe premier rendez-vous s’annonce mal. Elle, rebaptisée numéro 21, coincée par untrentenaire plutôt « lourd », jette un coup d’œil discret vers son complice : Lui, alias numéro 28, n’en mène pas large non plus. Il tente désespérément de sedébattre face à une mère de famille divorcée un peu trop insistante.Elle et Lui, c’est l’équipe de PigéMagazine envoyée incognito pour tester une soiréespeed-dating à Grenoble. Petit retour sur une expérience pas comme les autres.

20h00 : Lumières tamisées, pétalesde roses et bougies à chaque tablesur fond de musique langoureuse... ledécor est planté. Le temps que tout lemonde s’inscrive, une demi-heurepasse, où chacun s’épie, un peu gêné.Certains se la jouent décontractés,d’autres aimeraient clairement disparaître sous terre. Admettons-le, lesnuméros 21 et 28 ne font pas vraimentpartie du premier clan ! Ce soir ils sontune cinquantaine : quatorze femmesfaisant désormais face à une trentained’hommes. Les organisateurs exposentles règles : tête à tête de sept minutesstoppés par une clochette, galanterieoblige, les hommes se déplacent tandis que les femmes restent assises,et interdiction de parler d’argent.

21h15 : Que la partie commence !Les rendez-vous s’enchaînent, lesperles aussi... Blagueur : « Tu aimesles chats ? Merde je suis allergiqueaux poils de chats, comment va-t-onfaire ?! » Incohérent : « Tu es le numéro21 ? Incroyable ! Je suis né le 17/07,3x7=21, c’est un signe ! » Timide :« ... » Lover : « Avec un regard comme letien, tu dois faire un malheur ce soir !».Emballé : « Je vais en boîte juste aprèsla soirée, tu viens ? » Catastrophé :« Tu veux partir à Paris ?! Mais je nepeux pas y aller ! »

Les langues se délientMais derrière son aspect superficiel etplutôt comique, le concept se révèleétonnamment ingénieux. Une foispassé l’embarras du début, le speed-dating c’est également des échangesspontanés, une occasion de rencontrer

des gens de tous horizons, et l’oppor-tunité de tester son pouvoir de séduction.Et contrairement à ce que l’on pourraitimaginer, les plus timides y trouventaussi leur compte. Les conditionssont même idéales pour se dévoilerau sexe opposé : pas besoin de sedémener pour aborder l’autre, il nousest servi sur un plateau et ne demandequ’à être dragué! Autre point fort deces face-à-face organisés, là où lesrencontres virtuelles sur Internet peuventapparaître froides et déshumanisées,les échanges autour d’un verre s’avèrentincontestablement chaleureux et vivants.

22h00 : Petite pause rafraîchissementau bar. Le moment est à la détente,mais aussi au rapprochement. Leslangues se délient, les verres s’entre-choquent, les rires se font plusbruyants. Mais à peine ont-ils eu letemps de sympathiser qu’il faut déjà yretourner.

23h00 : Game over. Chacun relit sagrille d’évaluation et fait le point surses rencontres de la soirée. En facedes numéros, qui du OUI ou du NONl’emportera ? La règle du jeu et lacombinaison gagnante sont bienconnues: il faut deux OUI pour pouvoirse revoir, et ce n’est que le lendemainmatin que les participants pourrontenfin découvrir les résultats paremail…

23h15 : Elle et Lui s’éclipsent discrè-tement chacun de son côté... seuls ?

Pierre Nigay, Céline Rouzet

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En savoir plusDes réseaux de professionnels aux futurs colocatairesen passant par les partenaires de sport, le speed-datingse décline en plusieurs thèmes. Inspirés de nos amisaméricains, les « networking meetings » permettentd’élargir son propre réseau de contacts afin de donnerun coup de pouce à ses ambitions professionnelles.Plus légers mais tout aussi essentiels, les « speed-datingcoloc’ » donnent l’opportunité à des étudiants enquête de logement de se rencontrer. Il est possible d’yparticiper chaque été à Grenoble grâce à des associationsétudiantes et à la Confédération Nationale desLocataires. Enfin, le site www.krizalidrencontres.frredouble d’imagination pour proposer en Isère dessoirées plus originales les unes que les autres. Outrele speed-dating pour retraités, le « squash-dating » seveut une manière ludique de découvrir l’autre à traversle sport. A vous de jouer !

Crédit photo : Pigé

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ATrous noirs : quand la psychose

s’installe à Grenoble

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Après avoir plané sur la France en août 1999 avecl’éclipse totale, le spectre de la fin du monde s’abatsur Grenoble. Cette fois, ce n’est pas la station Mir qui menace de rayer la capitale des Alpes de la carte,mais la formation de trous noirs…

PIGÉdécalé

Nostradamus, Paco Rabanne, lesTémoins de Jéhovah, tous s’accordentà dire que la fin du monde est proche.Pour Walter Wagner et Luis Sancho,deux citoyens originaires des Etats-Uniset d’Espagne, la fin du monde auraitdû avoir lieu le 10 septembre 2008,date de la mise en route du LargeHardon Collidor (LHC), le plus grandaccélérateur de particules au monde,situé à Genève. Persuadés que destrous noirs capables d’engloutir laplanète pouvaient apparaître dans leLHC, les deux hommes ont porté plaintedevant un juge d’Hawaï, pour tenterde mettre fin aux expérimentations.Les deux hommes ont été déboutésde leur requête, mais l’affaire adéclenché une vague de peur sansprécédent partout dans le monde…

Objets de nombreux films de sciencefiction, les trous noirs ont toujoursfasciné et effrayé les hommes. MaisAurélien Barrau, spécialiste françaisdes mini-trous noirs, ne les craint pas.Au contraire, pour ce jeune physicien,créer un trou noir à Grenoble ou auCERN serait une chance inouïe : « Sicela avait lieu, ça serait superbe auniveau scientifique : les objets les plusmystérieux de la physique dans ledétecteur le plus sophistiqué fait parl’homme, ça serait fabuleux ! »

Les craintes sont-elles fondées ?Lauréat du prestigieux prix Bogoliubov,une récompense décernée tous lesdeux ans à un jeune physicien pourune contribution majeure à la physiquethéorique, Aurélien Barrau ne croitabsolument pas aux théories

alarmistes autour des trous noirs :« Au début, je me suis souventdemandé si on n’était pas en train defaire une grande connerie qui pourraitdétruire la planète. Je crois qu’on setrompe de cible en accusant les trousnoirs. La pollution provoque des effetsbien plus dévastateurs sur la planèteque les trous noirs ». Selon lui, leschances de créer un trou noir sontquasiment nulles. Cela supposeraitnon seulement que l’on trouve deuxnouvelles dimensions en plus desquatre communément admises (hauteur, largeur, profondeur ettemps), mais aussi que ces dimensionssoient suffisamment grandes pourque l’on puisse y créer un trou noir.

Même si les hommes parvenaient àcréer un trou noir dans le LHC, lesexperts affirment que cela ne repré-senterait aucun danger pour la planète,car il serait si petit qu’il s’évaporeraitimmédiatement. Ces mini-trous noirsn’auraient donc pas le temps d’engloutirde la matière et de grossir. AurélienBarrau rappelle également que le LHCne fait rien d’autre que de reproduire desphénomènes naturels qui se produisenttous les jours à la surface de notreplanète : « Des rayons cosmiques decette intensité frappent la surface dela terre chaque seconde, et pourtantla terre est toujours là, preuve que lesexpériences au sein du LHC sont sansdanger ».

« Il ne faut pas se tromper d’ennemi »Le chercheur grenoblois regrettedonc la psychose qui entoure les

trous noirs : « C’est dommage dedépenser de l’énergie et du temps là-dessus. Il serait plus légitime de sedemander si dépenser plusieurs milliards d’euros dans des expériencescomme celle-là est raisonnable dansun monde où des gens meurentchaque jour de faim. Pour moi, toutedépense est choquante mais il ne fautpas se tromper d’ennemi : le coûttotal du CERN, intégré sur vingt ans,reste inférieur au super-bouclier fiscalsur un an ».

Cécile TRAN-TIEN

Aurélien Barrau, en plein calcul au Laboratoire de Physique SubAtomique

et de Cosmologie de Grenoble.Crédit : Pigé

Un trou noir présent dans la voielactée. Crédit : Aurélien Barrau

Au fait, un trou noir c’est quoi ?

Les trous noirs sont des objets massifs dont le champ gravitationnelest si intense qu’ils empêchent touteforme de matière ou de rayonnementde s’en échapper. Par nature invisiblescomme leur nom l’indique, l’existencedes trous noirs est fortement controversée au sein même de lacommunauté scientifique.

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Et si l’histoire de l’IEP PIGÉanniversaire

19481948, c’est la Déclaration universelledes droits de l’homme, la création del’Etat d’Israël, mais aussi la mise enplace du plan Marshall.1948, c’est également la naissance de l’Institut d’Etudes Politiques deGrenoble, qui a soufflé ses 60 bougiesen novembre. Anniversaire, certesmoins décisif pour l’histoire du monde,mais Pigé Magazine se devait de couvrirl’évènement. Parce que, finalement,l’histoire de l’IEP, c’est aussi celle ducampus grenoblois. Mais comment saisir l’évolution d’une institutiondepuis 60 ans sans entrer dans leroman historique ? En interrogeant lamémoire vivante des lieux : Jean-Louis Quermonne,directeur de l’IEP de 1958 à 1969.

Pourquoi un institut « d’équilibre » ?

Alors qu’ils furent créés en même temps que ceux de Lyon et Toulouse, par ledécret du 4 Mai 1948, les IEP de Bordeaux et Grenoble ont pourtant une spécificité :être des instituts « d’équilibre ». Comment cela est-il possible? La FNSP, FondationNationale des Sciences Politiques, créée par ordonnance en 1945, simultanémentavec Sciences Po Paris, fut chargée de constituer et de diffuser la science politiqueen France. Elle mena, en accord avec la DATAR*, une véritable politique de décentralisation, tournée pour l’essentiel vers Bordeaux et Grenoble. La DATARproposera même que la première année de Sciences Po Paris se fasse àGrenoble. « Totalement idiot », selon M.Quermonne, ce décret avorté n’en est pasmoins le symbole de ces liens privilégiés, déterminants dans la constitution de cetinstitut dit « d’équilibre ».

*DATAR : Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale

Jean-Louis Quermonne, dans le patio de l’IEP. Crédit : Pigé

Novembre 2008. Le nom de Jean-LouisQuermonne trône encore sur uncasier de la salle des professeurs.Avec, cependant, une petite différencedepuis l’époque où il dirigeait l’IEP :« Aujourd’hui, je ne reçois plus que despublicités », précise-t-il d’un air amusé.Qu’importe cette petite pincée d’ironie,l’histoire de l’IEP fait écho à la vie decelui qui a contribué à le faire grandir.Modeste, Jean-Louis Quermonnepossède malgré tout un parcoursnotable : formé sur les bancs deScience-Po Paris, il arrive à Grenobleen tant que directeur en 1958, « plutôtpar hasard, à vrai dire. Georges Lavau[reconnu notamment pour ses travauxsur les partis et les systèmes politiques,ndlr] aurait dû prendre la direction àma place, mais il était un peu tropengagé politiquement… » Avantl’aventure grenobloise, il exerce entant que professeur à la faculté dedroit d’Alger.

L’IEP sur le campusA son arrivée, l’IEP est encore installérue du Général Marchand, près de laplace de Verdun. Ce n’est qu’en 1966que Sciences-Po s’installe sur lecampus : « Je me suis battu àl’époque pour avoir un terrain propre.Quand le campus a été construit,il était prévu de nous installer au premier étage du bâtiment de Scienceséco ! » A l’époque, la science politiquen’a pas le statut de discipline à partentière, et s’étudie bien souventcomme deuxième cursus.De 1958 à aujourd’hui, les temps ontchangé. A l’origine, l’IEP compte 150étudiants. « Je les connaissais tous ! »,se souvient Jean-Louis Quermonne.Aujourd’hui, l’institution grenobloiserassemble 1600 élèves. Mais de cetteépoque, l’IEP garde un héritage :« Quand le déménagement a eu lieu,j’ai demandé à conserver une fontainedu bâtiment de la rue du GénéralMarchand, elle est aujourd’hui juste àl’entrée du bâtiment actuel. »

Pour la fontaine – entre temps subtili-sée –, accordons la prescription. Maisquelles sont les autres traces deJean-Louis Quermonne à l’IEP ? « J’aitenu à la construction des patios, pourqu’il y ait de vrais lieux de vie. » Lesétudiants actuels le remercieront.Quant à l’extérieur du bâtiment, souventjugé grisâtre et austère, « il devait êtreà l’origine recouvert de pierres. »Faute de crédits, ce sera le béton.

Sections, concours et ouvertureVoilà pour le côté architectural. Côtéenseignement, Jean-Louis Quermonnese souvient qu’à son arrivée, Science-PoGrenoble ne ressemblait pas beaucoupà ce qu’il est aujourd’hui. « Les sectionsn’existaient pas [aujourd’hui, il enexiste quatre : Politique, Servicepublic, Politique et économie sociale,et Economique et financière, ndlr]. Iln’y avait pas de corps enseignant permanent, ni de concours d’entrée. »C’est sous son impulsion que les sections actuelles voient le jour, quidiversifient les débouchés d’un IEPautrefois principalement voué à la formation de futurs énarques. Laconstitution d’un corps professoralpermanent intervient au cours desannées 1960. Pour le concours d’entrée, instauré par le nouveaudirecteur Claude Domenach, il fautattendre les années 1970.« Une des autres évolutions importantesdans l’histoire de l’IEP, c’est l’ouverture »,précise Jean-Louis Quermonne.L’ouverture tout d’abord sur les autresfilières, notamment vers les BTS dansles années 1960. Puis avec ladémarche positive, lancée en 2006,qui propose une aide à la préparationdu concours dans certains lycéesdéfavorisés. Une ouverture qui sedéveloppe également vers l’entreprise,avec la présence des stages dans lecursus des étudiants, et vers l’étranger :« Dans ce domaine, le programmeErasmus [lancé en 1987] a tout changé », souligne l’ancien directeur.

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PIGÉanniversaire

2008

Jusqu’au début des années 1960,l’IEP ne propose qu’une formation depremier cycle : « Nous avons alorsvoulu développer un centre derecherche, essentiel pour créer lesétudes doctorales. » Le CERAT(aujourd’hui remplacé par PACTE) voitle jour en 1963 et offre à Sciences-PoGrenoble une crédibilité en matière derecherche et de formation de doctorants.

« Mai 68 ? Ça s’est plutôt bienpassé ! »En 1969, il abandonne la direction del’IEP : « il faut favoriser la relève d’unenouvelle génération », dit-il à l’époqueau recteur de l’académie deGrenoble. Il faut dire qu’en 1968,il est élu à la présidence del’Assemblée constituante, forméependant les évènements de mai. Ildemande alors à son collègue JeanLeca d’assurer l’intérim de la directionde l’IEP. Jean-Louis Quermonne prendensuite la tête de l’université dessciences sociales de Grenoble en1969.Et alors, mai 1968 à l’IEP, quels souvenirs ? « Mai 68 ? Ça s’est plutôtbien passé à l’IEP ! Ça a été plus difficile à l’université, notamment enfac de lettres. Il y a eu parfois desbagarres. Mais l’IEP, compte-tenu desa structure plus petite, a été relativement épargné. » La réputationde l’institution à cette période semblaitpourtant assez marquée : « Il est certainqu’à cette époque, les entreprises

grenobloises considéraient que lesétudiants qui venaient de Science-po,ou même de droit et de science-éco-nomique, étaient tous des trotskystesou tous des maoïstes. Science-PoParis, qui était plus élitiste, avait aussice préjugé. » Si, depuis, l’IEP de Grenoble conserveune identité de gauche, les tempssemblent avoir changé. Mais c’est decette époque, et en tant que présidentde l’université des sciences sociales,que Jean-Louis Quermonne garde unsouvenir tout particulier : « En tant queprésident de l’université, j’ai souhaitédévelopper l’humanisation du campus,en y installant des bistrots, des librai-ries et des banques notamment, cequi était interdit auparavant. J’ai vouluaussi que le campus ait une dimensionplus esthétique, avec l’installation de la statue de Calder devant la bibliothèque universitaire, par exemple. »

Florent Lévy, Sandy Plas

Pour tout savoir (ou presque) sur l'histoire de Sciences Po, un site :www.60ans-iepg.fr

Vues intérieures et extérieures de l’IEP dans les années 1960. Crédit : DR

Conférence dans l’amphi A de l’IEP dans les années 1960, en présence dePierre Mendès-France, député de l’Isère de 1967 à 1968

Crédit : DR

m’était contée…

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17 janvier SHOW DEVANT !Le Grenoble Foot 38 reçoit l’OlympiqueLyonnais pour la 21e journée de championnatle samedi 17 janvier. Lors du match aller,les hommes de Mécha Bazdarevic se sontinclinés 2-0 à Gerland. Mais lesGrenoblois ont prouvé qu’ils pouvaientêtre à la hauteur des derbys, avec leurvictoire 2-0 sur la pelouse stéphanoise.Rendez vous donc au Stade des Alpespour supporter le GF38 !

30 janvier DANIEL DARCL’ex-chanteur de « Taxi girl » ressuscitesur scène, avec les dernières chansonstirées de son album « Amours suprêmes ».Junky et alcoolique repenti, Daniel Darc,à découvrir ou redécouvrir à travers destextes touchants.Grand théâtre de la MC2. 20h30.Prix des places : de 17 à 24 euros.+ d’infos : www.mc2grenoble.fr

1er fevrier KEZIAH JONESCe virtuose de la guitare électrique revientsur le devant de la scène avec son nouvelalbum « Nigerian Wood ». Un mélange deblues, de folk et de funk pour le plaisir de tous.Summum de Grenoble. 18h.Prix des places : 28,60 euros.+ d’infos : www.summum-grenoble.com

7 mars MADAME BUTTERFLYLe plus célèbre des opéras de Puccini,Madame Butterfly, sera diffusé en directdepuis le Metropolitan Opera de NewYork.Auditorium du musée de Grenoble. 19h.Prix des places : 13,70 euros.+ d’infos : www.musee-en-musique.com

Du 19 au 23 mars 2009LES 5 JOURS DE LA BD à Grenoble-AlpexpoComme chaque année, Grenoble accueillerapendant cinq jours un grand nombred'auteurs de renom dans l’univers de labande dessinée. Au programme : séancesde dédicaces, bourses d'échanges,rencontres… Les invités d'honneurseront les papas de Yakari : Derib et Job.Tarif de 4, 5 à 6 euros.

L’agendapour réfléchir

L’agendapour sortir

À lire aussi sur pigemag.com

Jusqu’au 4 janvier 2009« HAPPY TOGETHER,AN AMERICAN DREAM »Dans le cadre du 5e mois américain àGrenoble, le Centre d'Art Bastille exposeles œuvres d'une vingtaine d'artistes américains parmi lesquels Yoko Ono etPatti Smith. Pour mieux cerner la réalité dela société américaine aujourd'hui.Centre d’Art Bastille, site sommital de laBastille, Grenoble.Ouvert tous les jours de 11h à 18h.04 76 54 40 67+ d’infos : www.cab-grenoble.net/

Mercredi 28 janvier Conférence :« JIMI HENDRIX ET LE JAZZ » animée parJean-Paul Marry.Une réflexion croisée sur l'influence dujazz dans les compositions de JimmyHendrix et la contribution du musicien auxévolutions de cette musique.La Chaufferie (entrée libre), 18h30.98, rue Léon Jouhaux, 38100 Grenoble04 38 37 40 20.+ d’infos : www.regie2c.fr

Jusqu’au 28 janvier 2009CONFÉRENCES SUR LA CHINE ET LE TIBET.Pour mieux comprendre ce pays en pleinboom économique, Les Amis du MondeDiplomatique organise six conférencesgratuites et accessibles à tous.Tonneau de Diogène, Grenoble, de 18h15à 19h30. Entrée libre.+ d’infos : www.amis.monde-diplomatique.fr

Jusqu’au 28 février 2009Exposition « ART DICO, LE MONDE ENMAJUSCULES ».Une exposition consacrée à l’univers dudictionnaire, une jolie promenade à traversses lettres ornées. Thora Van Male (maîtrede conférences à l’IEP de Grenoble), auteurede plusieurs ouvrages sur l’illustration desdictionnaires, est commissaire de cetteexposition qui se tient à la bibliothèqued’étude et d’information de Grenoble.12 boulevard Lyautey - 38000 Grenoble + d’infos : www.bm-grenoble.fr

A la découverte de Moriarty

Moriarty est une des révélations françaises de la saison, ironie du sortpour des musiciens dont les influencesprennent racine aux Etats-Unis. Entournée depuis le début de l'année,le groupe faisait étape mercredi 22octobre à Crolles. L'occasion dedécouvrir l'univers et le style de Moriarty, grâce aux vidéos du concert et à unlong entretien avec Arthur, le guitariste du groupe.

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La saga de la FalucheLa saga de la faluche est une enquête sur la mystérieuse communauté étudiante des faluchards. Au-delà d'un rassemblement d'alcooliques fêtards coiffés d'un bérêt à pin's,la Faluche est une vénérable société initiatiquequi a fêté ses 120 ans cette année. Gardiennedu temple des traditions étudiantes avec soncode, ses rites et son esprit paillard, elle n'enest pas moins en évolution. Pigemag.comtente de faire la part entre le mythe et la réalité.

Clément Girardot, Antoine Laurent

Le LaboL’équipe de Pigemag inaugure cetteannée une nouvelle émission de radio.Ça s’appelle Le Labo et c’est sur RadioCampus. Tous les Lundis de 13h30 à14h, un invité subit une batteried’examens aux noms évocateurs :Microscope, Décapeur, Diagnostic…Sont déjà passés sur le billard :Stéphane Gemmani, Aurélien Barrau,Maxence Flachez, Etienne Arras etSerge Papagalli.

A réécouter sur www.pigemag.com

En attendantle prochain

numéro...

Un tract policier fait polémique

à Echirolles

« Aidez la police nationale dansson action au service des citoyens.Vous pouvez transmettre vosrenseignements à l’adresse mailsuivante… » Un tract qui a suscité la polémiqueparmi les habitants du quartier etdans l’agglomération grenobloise…

Juliette Cottin,Samia Dechir

É Le journal de l'IEPGPIGmagazine