Philosophie de l'Art en Grece Par H. Taine
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B'BLIOTHQUE -/
DE PHILOSOPHIE
CONTEMPORAINE
PHILOSOPHIE
DE
LART
EN
GRGE
II.
TAINE
LKQSS
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A
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I
f
I
I
I
K
V
f
il
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PHILOSOPHIE
DE
LART.
EN
GRGE
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PHILOSOPHIE
DE
LART
EN
GRGE
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TAINE
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A
Monsieur
Henri
LEHMAN
N
P
E
I
N
T U
E
H.
TAINE.
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PHILOSOPHIE
DE
LART
EN
GRGE
Messieurs,
Dans
les
annes prcdentes,
je
vous
ai
prsent
lhistoire
des
deux grandes
coles
originales
qui,
dans
les
temps modernes,
ont
figur
aux
yeux
le
corps humain
:
celle dItalie et
celle
des Pays-Bas.
11
me reste pour
achever
ce
cours
vous
faire
connatre la
plus grande
et
la plus
originale
de
toutes,
lancienne
cole
grecque.
Celle fois,
je ne
vous
parlerai
pas de
la
peinture.
Sauf
les vases,
quel-
ques
mosaques, et
les
petites
dcorations
murales
TAINE.
1
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2
PHILOSOPHIE
DE LART EN GRCE.
de Pompi
et
dHerculanum,
les
monuments de
la
peinture antique ont pri
;
on ne
peut pas
en parler
avec
prcision. Dailleurs,
pour figurer aux yeux le
corps
humain, ily avait en Grce un
art
plus
national,
mieux
appropri
aux
murs
et
lesprit
public, pro-
bablement
plus
cultiv
et
plus
parfait,
la
sculpture;
cest
la sculpture
grecque
qui
sera
le
sujet
de
ce
cours.
Par malheur,
en
cela
comme
dans
tout
le
reste,
lantiquit
nest
quune
ruine.
Ce
que nous avons
gard
de
la
statuaire
antique
nest
presque
rien
ct
de
ce qui
a
pri.
Nous en sommes
rduits
deux
ttes
(1)
pour
conjecturer
les
dieux
colossaux
en qui
stait
exprime
la
pense du grand
sicle et
dont la majest remplissait
les temples
;
nous na-
vons
pas
un
morceau
authentique
de
Phidias;
nous
ne connaissons Myron*
Polyclte, Praxitle, Scopas,
Lysippe, que
par
des
copies
ou
des
imitations
plus
ou
moins lointaines
et
douteuses.
Les belles
statues
de
nos
muses
sont
ordinairement de
lpoque
ro-
maine
ou datent tout
au
plus des
successeurs
(1)
Tte
de
Junou
la
villa
Ludufisi.
Tte du
Jupiter
dOtricoii.
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PHILOSOPHIE
DE
t'ART
EN GRCE. 3
dAlexandre.
Encore
les
meilleures
sont
mutiles.
Votre
muse de
pltres ressemble
un
champ
de
bataille
aprs
le
combat,
torses, ttes,
mem-
bres
pars.
Ajoutez
enfin que
la biographie des
matres
manque
entirement.
11
a
fallu
tous les ef-
forts
de
lrudition
la
plus
ingnieuse
et
la
plus
pa-
tiente
(1)
pour
dcouvrir,
dans undemi-chapitre
de
Pline,
dans
quelques
mauvaises
descriptions
dePau-
sanias,
dans quelques
phrases
isoles
de
Cicron,
Lucien,
Quintilien,
la chronologie
des
artistes, la
filiation
des
coles,
le
caractre
des
talents,
le
dve-
loppement et les altrations graduelles
de
lart.
Nous
navons
quun moyen de
combler
ces
lacunes
;
d-
faut de
lhistoire
dtaille,
il
nous
reste
lhistoire
g-
nrale
;
plusquejamais,
pour comprendre luvre,
nous
sommes
obligs
de
considrer
le
peuple
qui
la
faite,
les murs qui
la suggraient,
et le milieu
o
elle
est
ne.
(1)
Gesclnchlc der griechischen Plastik,
von
1.
Overbcck
;
Knstler-Gcschichte
,
von Brunn.
U
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Tchons
dabord
de
nous reprsenter
exactement
cette
race,
et
pour
cela
observons
le pays. Un
peu-
ple
reoit toujours
lempreinte
de
la
contre
quil
habite,
mais
cette
empreinte
est
dautant plus forte
quau
moment o
il stablit,
il
est
plus
inculte
et
plus
enfant. Quand les
Franais
allrent coloniser
l'ile Bourbon ou
la
Martinique,
quand
les
Anglais
vinrent
peupler
lAmrique
du
Nord
et
lAustralie,
ils apportaient avec
eux des armes,
des instruments,
des
arts,
des
industries,
des
institutions,
des
ides,
bref
une
civilisation
ancienne et
complte,
par
la-
quelle
ils pouvaient
maintenir
leur
type
acquis
et
f
-
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8
PHILOSOPHIE DE L'ART
EN GRCE.
rsister
lascendant de leur
nouveau
milieu. Mais
quand
lhomme neuf
et
dsarm
se trouve livr
la
nature,
elle
lenveloppe,
elle
le
faonne,
elle le
moule, et
largile
morale, toute molle et
flexible
en-
core,
se
plie
et se
ptrit
sous
la
pression
physique
contre laquelle son
pass
ne
lui
fournit
point dap-
pui.
Les
philologues
nous montrent
une poque
pri-
mitive o
les
Indiens,
les Persans,
les
Germains,
les
Celtes,
les Latins, les Grecs, avaient
la mme
langue
et le
mme degr de
culture
;
une poque
moins
ancienne
o
les
Latins
et
les
Grecs, dj spars
de
leurs
autres frres, taient encore
unis
entre
eux(l),
connaissaient le vin, vivaient
de
pturage
et
de
la-
bourage,
possdaient des barques
rames,
avaient
ajout
leurs
vieilles
divinits
vdiques une
divi-
nit
nouvelle,
Ilestia,
Vesla,
le
foyer.
Ce
sont
peine
les
rudiments
de
la
premire culture
;
sils ne
sont
plus
des
sauvages,
ils
sont encore
des
barbares.
A
partir
de
ce
moment, les
deux
rameaux issus
de
la
mme
souche
commencent
diverger
;
quand
nous
(1)
Mommsen,
P.mische
Geschichie,
t. I
er
,
p.
21.
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PHILOSOPHIE DE
LART EN GRCE.
9
les
retrouvons
plus
tard,
leurstructure
et
leurs
fruits,
au
lieu
dtre
les
mmes,
sont
diffrents;
mais
lun
pousse en
Italie et lautre en
Grce, et
nous
sommes
conduits
regarder
les
alentours
de
la
plante grec-
que
pour
chercher
si
lair
et
le sol qui
lont
nour-
rie
nexpliquent
point
les
particularits
de
sa
forme
et
la direction de
son
dveloppement.
-
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I
Jetons
les
yeux
sur
une
carte.
La Grce est
une
pninsule
en forme
de
triangle,
qui, appuye
par
sa
base sur
la Turquie dEurope,
sen dtache,
sal-
longe vers
le
midi,
senfonce dans la mer,
seffile
A
listhme de
Corinthe
pour
former
au
del
une se-
conde
presqule plus
mridionale
encore,
le Plo-
ponse,
sorte
de
feuille de
mrier
quun
mince
p-
doncule
relie au
continent. Joignez-y
une
centaine
diles
avec
la cte
asiatique
qui
fait face
;
une
frange
de petits
pays cousue
aux
gros
continents barbares,
et
un
semis
dles parses sur
une
mer bleue
que
la
frange
enserre,
voil
la
contre
quia
nourri
et
form
ce
peuple
si prcoce et
si
intelligent.
Elle
tait sin-
gulirement propre
cette
uvre.
Au
nord
(1)
de
(1)
Curtius,
Griechische
Getchichte,
1.
1 ,
p.
A.
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PHILOSOPHIE
DE LART EN GRCE. 11
la
mer ge,
le
climat
est encore dur, semblable
celui
de
lAllemagne
du centre; la
Roumlie
ne
connat
pas les
fruits
du
sud
;
point
de
myrtes sur
sa
cte. Le
contraste
est frappant lorsque, descen-
dant
vers
le
midi,
on entre en Grce. Au
40
e
de-
gr,
en
Thessalie, commencent
les
forts
darbres
toujours verts;
au
39
e
degr,
en
Phtiotide,
lair
tide
de
la
mer
et
des
ctes
fait pousser
le
riz,
le
cotonnier,
lolivier.
Dans lEube et lAttique
on
trouve dj
les
palmiers.
Ils
abondent
dans
les
Cycla-
des
;
sur
la
cte
orientale
de
lArgolide
sont
des bois
pais de citronniers
et
dorangers
;
le dattier
afri-
cain vit
dans
un
coin
de
la Crte.
A
Athnes, qui
est
le
centre
de
la civilisation grecque,
les
plus
nobles
fruits du
Midi
croissent
sans
culture.
Il
ny
gle gure
que
tous
les
vingt
ans
;
la
grande
chaleur
de
lt
y
est
modre
par la brise de
la
mer; sauf quelques
coups
de
vent
de
Thrace
et
des bouffes de sirocco,
la
temprature
y
est
exquise;
aujourdhui encore
(1
),
le peuple
a
lhabitude
de
coucher
dans les
rues
(1)
About, La
Grce
contemporaine,
p.
345,
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PHILOSOPHIE DE
L'ART
EN
GRCE.
depuis
le
milieu
de
mai
jusqu la fin
de
septembre;
les
femmes
dorment
sur
les
terrasses.
En
pa-
reil
pays,
on vit en
plein
air.
Les anciens eux-
mmes jugeaient
que
leur
climat
tait
un don
des
dieux :
Douce et clmente,
disait
Euripide,
est notre
atmosphre;
le
froid de lhiver
est
pour nous
sans
rigueur,
et les
traits
de
Phoebus
ne nous
blessent
pas.
Et
ailleurs il
ajoute
:
O
vous descendants
dErechthe, heureux
ds l'antiquit,
enfants
ch-
ris
des
dieux
bienheureux, vous cueillez
dans
votre
patrie sacre
etjamais conquise la
sagesse
glorieuse
comme
un
fruit
de
votre
sol, et vous marchez con-
stammentavec
une douce
satisfaction
dans
lther
rayonnant
de
votre
ciel,
o
les
neuf
Muses sacres
de
Pierie nourrissent lHarmonie
aux
boucles
dor,
votre enfant commun.
On dit
aussi
que
Cypris,
la
desse,
a
puis
des
vagues
dans lilissus aux
belles
ondes
et
quelle
les
a rpandues dans
le
pays sous
forme de zphyrs doux et frais,
et
que
toujours
la
sduisante desse, se
couronnant
de
roses
parfu-
mes,
envoie
les
Amours
pour
se
joindre
la
Sa-
gesse vnrable et pour
soutenir les
ouvrages
de
-
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PHILOSOPHIE
DE
LART
EN GRCE.
13
toute
vertu
(1).*
Ce
sont
l de
beaux
mots
de pote,
mais
travers
l'ode
on
aperoit
la
vrit.
Un
peuple
form
par un
semblable
climat
se
dveloppe plus
vite et plus
harmonieusement
quun
autre; lhomme
nest
pas accabl
ou
amolli
par la
chaleur
excessive,
ni roidi
et fig par la
rigueur du
froid. Il
nest
pas
condamn
linertie
rveuse
ni
lexercice
continu;
il
ne
sattarde pas
dans
les contemplations
mystiques
ni
dans
la barbarie brutale.
Comparez
un
Napolitain
ou
un
Provenal un Breton,
un
Hol-
landais,
un
Indou, vous
sentirez
comment la
dou-
ceur
et la
modration de
la
nature
physique
mettent
dans
lme la
vivacit
avec
lquilibre
pour con-
duire lesprit
dispos et agile vers
la
pense
et
vers
laction.
Deux
caractres
du
sol
oprent
dans
le
mme
sens.
Dabord
la Grce
est un rseau
de
montagnes.
Le
Pinde,
son
arte centrale,
prolong vers
le
midi
par lOlrys,
lta,
le
Parnasse,
lIIlicon,
le Cilh-
(1)
Voyez
aussi
le clbre
chur
de
Sophocle dans
dipe
Co~
loue: Euippou,
Xne,
tschrds.
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14
PHILOSOPHIE
DE
LART
EN
GRCE.
ron et
leurs
contre-forts, fait
une chane dont les an-
neaux
multiplis
vont
au
del
de
listhme
se
relever
et senchevtrer
dans
lePloponse; au
del,
les les
sont
encore
des
chines et des ttes de
montagnes
mprgentes.
Ce
terrain,
ainsi bossel,
na
presque
pas
de
plaines;
partout
le roc
affleure
comme
dans
notre
Provence
;
les trois
cinquimes
du
sol
sont
impropres
la
culture.
Regardez
les Vues et
Paysages
de
M .
de
Stackelberg
;
partout la
pierre
nue
;
de
petites
rivires, des
torrents
laissent entre
leur
lit
demi-dessch
et
le
roc
strile
une
bande
troite
de
sol
productif.
Hrodote
opposait dj
la
Sicile
et
lItalie
du
Sud,
ces grasses
nourrices,
la
maigre Grce
qui
en
naissant eut
la
pauvret pour
sur
de
lait. En
Atlique
notamment, le
sol est
plus
maigre
et
plus lger
quailleurs
;
des
oliviers,
del
vigne, de
lorge, un peu
de
bl, voil
tout
ce
quil
fournit
lhomme. Dans
ces
belles les
de
mar-
bre
qui
constellent
lazur de la mer ge on trou-
vait
et
l
un
bois sacr,
des
cyprs,
des
lauriers,
des palmiers,
un
bouquet
de verdures
lgantes,
des
vignes
parses
sur les
coteaux
rocailleux,
de
beaux
-
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PHILOSOPHIE DE LART EN GRCE.
15
fruits
dans les
jardins,
quelques petites
moissons
dans
un
creux
ou sur une pente;
mais il
y
avait
plus
pour
les yeux
et la dlicatesse des
sens
que
pour
lestomac
et les besoins
positifs
du corps. Un
tel
pays
fait des
montagnards
sveltes,
actifs, sobres,
nourris
dair pur.
Encore
aujourdhui
(1)
la
nourriture
dun laboureur anglais suffirait
en Grce
une
famille
de six
personnes;
les riches
se contentent
b
fort bien
dun
plat de
lgumes pour leur
repas;
les
pauvres,
dune
poigne
dolives
ou
dun
morceau
de poisson
sal
;
le peuple
tout entier
mange de
la
viande
Pques pour toute lanne,
s
A
cet
gard
il
est
curieux
de
les
voir
Athnes
en
t.
Les gourmets
se
partagent
entre sept ou
huit
une
tte de
mouton
de
six
sous. Les hommes
sobres
achtent
une
tranche
de
pastque
ou
un
gros
con-
combre
quils
mordent
belles dents comme
une
pomme.
Point divrognes
:
ils sont
grands
bu-
veurs,
mais
deau pure. Sils entrent dans
un
cabaret
,
cest
pour
jaser
;
au
caf
,
ils
(1)
About, La Grce
contemporaine,
p.
4t.
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16
PHILOSOPHIE
DE LART EN
GRCE.
>
demandent une tasse de caf dun
sou, un
verre deau, du feu pour
allumer
leurs cigarettes,
un
journal
et
un
jeu de
dominos
:
voil
de quoi
les
occuper toute la
journe
. Un
tel
rgime nest
pas
fait
pour
alourdir
lesprit; en diminuant
lesexi-
gences
du
ventre,
il
augmente
celles de
lintelli-
gence.
Les
anciens
avaient
dj
remarqu
les con-
trastes
correspondants
de
la
Botie
et
de
lAtlique,
du
Botien et
de
l
Athnien
:
lun,
nourri
dans des
plaines
grassesetau
milieu
dun
air
pais,
habitu
la
grosse
nourriture
et
aux
anguilles
du
lacCopas,
tait mangeur,
buveur,
pais dintelligence
;
lautre,
n
sur
le
plus mauvais sol de la
Grce, content
dune
tte
de poisson, dun oignon,
de quelques
olives,
lev dans un air lger,
transparent
,
lumineux, mon-
trait
ds
sa
naissance
une
finesse
et
une
vivacit
desprit singulires,
inventait, gotait,
sentait,
entreprenait
sans
relche,
ne
se
souciait point
dautre
chose
et semblait navoir
en
propre
que sa
pense
(1).
(1)
Thucydide,
liv.
I
er
,
ch,
iXX.
-
7/25/2019 Philosophie de l'Art en Grece Par H. Taine
21/207
PUILOSOPHIE DE
LART
EN
GRCE.
17
Dautre
part,
si
la Grce est un pays
de mon-
tagnes, elle
est
aussi
un
pays
de
ctes.
Quoique
moindre que
le
Portugal,
elle en
a
plus
que
touto
lEspagne.
La
mer
y
entre par une
infinit
de golfes,
danfractuosits, de
creux,
de dentelures; si vous re-
gardez
les
vues
que
rapportent
les
voyageurs,
une
fois
sur
deux,
mme
dans
lintrieur des terres,
vous apercevez sa
bande
bleue,
son triangle
ou
son
demi-cercle
lumineux
lhorizon.
Le
plus
souvent,
elle
est encadre de rocs
qui avancent ou
dilcs qui
se
rapprochent
et
font
un
port
naturel.
Une
pareille
situation
pousse
la
vie maritime,
surtout
quand
le
sol pauvre et
les ctes
rocheuses
ne
suffisent
pas
nourrir
les
habitants.
Aux poques
primitives,
il
ny
a quune
sorte
de
navigation,
le
cabotage,
et
au-
cune
mer
nest
mieux
faite
pour
y
inviter
ses
rive-
rains.
Chaque matin le
vent du
nord
se
lve
pour
conduire
les
barques dAthnes aux Cydades
;
cha-
que
soir
le
vent
contraire les ramne
au
port. De la
Grce
lAsie
Mineure les
les
sont poses
comme
des
pierres sur
un
gu
;
par
un
temps clair,
un
na-
vire qui
fait
ce
trajet
a
toujours
la cte
en
vue.
De
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22/207
18
PHILOSOPHIE DE LART EN
GRCE.
Corcyro
on
voit
lItalie,
du
cap
Male
les
cimes
de
la
Crte, del
Crte
les
montagnes
de
Rhodes,
de
Rho-
des
lAsie
Mineure
;
deux
jours
de
navigation
condui-
sent de
la Crte
Cyrne; il nen
faut
que
trois pour
passer de
la
Crte en gypte. Aujourdhuiencore(l),
il
y
a
dans
chaque
Grec
ltoffe
dun
marin
(2).
Dans ce
pays,
qui
na que neuf cent mille
mes, on
comptait en
\
ShO trente
mille
marins
et
quatre mille
navires
;
ils
font
presque tout le cabotage de la
M-
diterrane.
Dj
au temps
dHomre
nous leur
trou-
vons les
mmes murs
;
chaque
instant on lance
(1)
About,
La
Grce
contemporaine,
p.
146.
(2)
Deux
insulaires
se
rencontrent
sur le port
de
Syra:
Bon-
jour, frre, comment
vas-tu?
Bien,
merci; que
dit-on de nou-
veau?
Le
Dimilri,
le
fils de
Nicolas,
est
revenu de
Marseille.
A-t-il
gagn
beaucoup dargent?
23
600
drachmes,
ce
qu'on
assure
;
c'est
beaucoup dargent.
11
y
a
longtemps
que
je me dis
:
il
faut que
jaille
Marseille.
Mais
je
nai pas de
bateau.
Si tu voulais,
nous
en
ferions un nous deux.
Nas-lu
pas du
bois? Jen ai
bien
peu.
On
en
a toujours
assez pour
un
bateau. Jai
de
la toile voile
et mon cousin
Jean
a
des
cor-
dages : nous
nous mettrons
ensemble.
Qui est-ce qui
comman-
dera?
Cest
Jean, il a dj navigu.
Il
nous
faudra
un
petit
garon
pour
nous
aider.
Jai
mon
filleul Basile.
Un
enfant
de
huit
ans
11
est
bien
petit.
On
est toujours
assez
grand
pour naviguer.
Mais
quel chargement
prendrons-nous?
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PHILOSOPHIE
DE L'ART EN
GRCE.
19
un
navire
la
mer
;
Ulysse
en
construit
un, de
ses
mains
;
on
va
commercer,
piller
sur
les
ctes
envi-
ronnantes.
Ngociants, voyageurs,
pirates, cour-
tiers, aventuriers,
ils lont t
lorigine et
dans
toute
leur histoire
;
d'une
main
adroite
ou
violente,
ils
allaient
traire
les
grosses
monarchies
orientales
ou
les peuples barbares
de
lOccident, rapportaient
lor, largent,
livoire,
les
esclaves,
les
bois
de con-
struction,
toutes les
marchandises
prcieuses
ache-
tes vil prix,
et par-dessus le
march, les inven-
tions
et
les ides dautrui,
celles
de
lgypte,
de
la
Phnicie,
de
la
Chalde,
de la
Perse
(1),
de
ltru-
Notre voisin Petros
a
des vallones
;
le
papas a quelques
tonnes
de vin
;
je
connais
un
homme
de
Tinos
qui a du
coton
;
nous
passerons
Smyrne,
si
tu
veux,
pour charger de
la
soie.
Le
bateau
se construit tant
bien
que mal
;
lquipage se
recrute
dans
une ou
deux familles
;
on
prend
chez les
voisins
et
les amis
toutes
les
marchandises
quils
veulent
vendre
:
on
va Marseille en
passant
par
Smyrne
ou
mme par Alexandrie
;
on
vend
la
car-
gaison,
on en prend
une
autre,
et
lorsqu'on
revient Syra,
le
navire
est
pay par
le
fret
et
les associs
se
partagent
encore
quelques
drachmes
de
bnfice.
(1)
Alce
loue
son
frre dlre all
combattre
en
Babylonie et
den
avoir
rapport
un
glaive
poigne
divoire.
Rcci's
de
Mnlas
dans
Y
Odysse.
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20
PHILOSOPHIE
DE L'ART
EN
GRCE.
rie.
Un
tel
rgime affine
et
excite singulirement
1inlelligence.
La
preuve
en est
que les peuples
les
plus
prcoces,
les
plus
civiliss,
les
plus ingnieux
de
lancienne Grce
taient tous
marins ; Ioniens
de
l'Asie Mineure,
colons
de
la
Grande-Grce,
Co-
rinthiens,
ginles,
Sicyoniens,
Athniens.
Au
con-
traire,
les Arcadicns,
enferms
dans
leurs monta-
gnes,
demeurent
rustiques et
simples;
pareillement
les
Acarnaniens,
les pirotes, les
Locriens Ozoles,
qui
dbouchent
sur
une autre
mer
moins
favorable
et
ne
sont
point
voyageurs,
restent
jusquau
bout
demi-barbares;
au temps de la conqute romaine,
leurs
voisins,
lesEtoliens,
n'avaient
encore
que des
bourgs sans
murailles
et
ntaient
que des
pillards
brutaux.
Laiguillon qui
avait
press les autres ne
les
avait
pas touchs.
Voil
les circonstances physi-
ques
qui,
ds
lorigine,
ont t
propices
lveil
de
lesprit.
On
peut comparer
ce
peuple
une ruche
daheilles
qui,
ne
sous
un ciel
clment
mais sur un
sol
maigre,
profite
des
routes de lair
qui lui sont
ouvertes,
rcolte,
butine, essaime,
se
dfend
par
sa
dextrit
et son
aiguillon, construit
des
difices
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PHILOSOPIE
DE L'ART EN GRCE.
21
dlicals,
compose
un
miel exquis, toujours
en qute,
agite, bourdonnante,
au
milieu
des
massives
cra-
tures
qui lenvironnent, et ne saventque patre
sous
un
matre ou
sentre-choquer
au
hasard.
De
nos
jours encore,
si dchus
quils
soient
(1),
t
ils ont
de
lesprit
autant
que
peuple
au
monde,
et
il
nest
pour
ainsi
dire
aucun
travail
intellec-
tuel
dont
ils
ne
soient capables.
Ils
comprennent
vite
et bien
;
ils
apprennent avec
une facilit
merveilleuse tout
ce
quil leur
plat
dapprendre.
Les jeunes
commerants
se
mettent
rapidement
en tat
de parler cinq ou six
langues,
i
Les
ouvriers,
en
quelques
mois,
deviennent
capables
dexercer
un mtier mme difficile.
Un
village
tout
entier, pardre en
tte,
interroge
et coute
cu-
rieusement
des
voyageurs.
Ce
qui
est
le
plus
remarquable,
cest
lapplication infatigable
des
coliers
>,
petits
ou
grands;
des
domestiques
trouvent
le
loisir,
tout en faisant leur service,
de
passer
leurs
examens davocats ou de mde-
(1)
About,
La
Grce contemporaine.
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22 PHILOSOPHIE DE L'ART EN GRCE,
oins.
On
rencontre
Athnes
toutes les
es-
pccs
dtudiants,
excepte ltudiant
qui
ntudic
pas.
A
cet
gard
nulle
race na
t
si
bien dote
par
la
nature,
et il
semble que
toutes les
circon-
stances
se
soient
assembles pour
dlier
leur intel-
ligence
et
aiguiser leurs
facults.
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II
Suivons
ce
Irait
dans
leur
histoire.
Que
lon
con-
sidre la
pratique ou
la
spculation,
cest
toujours
lesprit fin,
adroit,
ingnieux, qui
se
manifeste.
Chose trange,
laube
de
la
civilisation,
quand
ailleurs
lhomme
est
bouillant,
naf
et
brutal, un
de
leurs
deux
hros
est
le subtil
Ulysse,
lhomme avis,
prvoyant, rus, fertile
en
expdients,
inpuisable
en
mensonges,
lhabile
navigateur
qui
toujours
songe
ses
intrts.
Revenu sous
un
dguisement,
il
conseille
sa
femme
de
se
faire
donner
des
col-
liers
et
des
bracelets
par
les
prtendants,
et
il
ne
les tue
quaprs quils
ont
enrichi
sa
maison.
Quand
Circ
se
donne
lui
ou que
Calypso
lui
propose
de
partir,
il
leur fait
prter
par
prcaution
un
serment
pralable.
Si
on lui demande
son
nom,
il a
toujours
quelque
nouvelle
histoire
ou
gnalogie
toute
prte
et
bien
arrange.
Rallas
elle-mme,
qui sans
la
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24
PHILOSOPHIE DE LART
EN
GRCE.
connailre il fait
des
contes, ladmire et
le
loue
:
O
fourbe,
menteur, subtil
et
insatiable
en
ruses, qui
te
surpasserait
en
adresse,
si
ce
nest
peut-tre
un
dieu
Et
les fds sont dignes du
pre :
la
fin
comme
au commencement
de
la civilisation,
ce
qui domine
en eux, cest
lesprit
;
il
a
toujours
prim
le
caractre, maintenant il lui survit. Une
fois
la
Grce
soumise,
on voit
paratre
le
Grec di-
lettante,
sophiste, rhteur, scribe,
critique,
philo-
sophe
gages
;
puis
le
Grculus
de
la domination
romaine,
parasite,
bouffon,
entremetteur,
toujours
dispos, alerte, commode,
prole
complaisant,
qui
fait
tous
les mtiers,
saccommode
tous les
carac-
tres,
se
tire
de tous les
mauvais
pas, dune
dext-
rit
infinie,
premier
anctre
des
Scapins,
des
Mas-
carilles et
de
tous
les
ingnieux
drles
qui,
nayant
eu que
leur
esprit
pour hritage,
sen
servent
pour
vivre
aux
dpens dautrui.
Revenons vers
leur
belle
poque
et considrons
leur grande
oeuvre,
celle
qui
les
recommande
le plus
aux sympathies
et
ladmiration
du genre humain
;
cest
la
science,
et, sils
lont
faite,
cest
en vertu du
mme
instinct
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7/25/2019 Philosophie de l'Art en Grece Par H. Taine
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PHILOSOPHIE
DE LART
EN
GRCE. 25
et
des mmes besoins.
Le
Phnicien qui
est mar-
chand
a des recettes darithmtique pour
faire
ses
comptes.
Lgyptien arpenteur
et tailleur de
pier-
res
a
des procds gomtriques pour
empiler
ses
moellons
et pour retrouver la mesure
de
son champ,
couvert
chaque
anne
par
linondation
du
Nil.
Le
Grec reoit
deux
cette
technique
et
cette
routine
;
mais elles
ne
lui suffisent
pas
;
il
ne
se
contente
point
de lapplication
industrielle
et commerciale
;
il
est
curieux,
spculatif
;
il
veut
savoir le
pourquoi,
la
raison
des
choses
(1)
;
il
cherche
la
preuve
abs-
traite, il
suit
la
dlicate
filire
des
ides
qui con-
duisent
dun
thorme
un
thorme. Plus de
six
cents
ans
avant Jsus-Christ,
Thals
soccupait
dmontrer
lgalit
des
angles
du
triangle
isoscle.
(1
)
Thtte
de
Platon.
Voyez
tout
le rle
de
Tiilte
et
les
rap-
prochements
quil
fait entre les figures
et
les
nombres.
Voyez
aussi le dbut des
Rivaux.
A
cet
gard,
Hrodote (liv. II,
29)
est
trs-instructif. Personne,
parmi
les
gyptiens,
na pu
lui
rpondre
quand il
leur
a demand
la
cause
des
crues
priodiques
du
Nil.
Ni les
prtres
ni
les
laques navaient fait
denquclc
ou
d'hypothse
sur ce
point
qui
les
touchait
de
si
prs.
Au
contraire,
les
Grecs
avaient
dj
imagin
trois
explications
du
phnomne.
Hrodote les
discute
et
en propose
une quatrime.
taiwe.
2
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26 PHILOSOPHIE DE
L'AttT EN GRCE.
Les
anciens
content
quePythagore
fut si transport
de
joie
lorsquil
trouva
la
proposition
du
carr
de
lhypotnuse
,
quil
promit aux
dieux
une hca-
tombe.
Cest
la
vrit pure
qui
les
intressait
;
Pla-
ton
voyant
que
les
mathmaticiens
de
Sicile
ap-
pliquaient
leurs
dcouvertes
aux
machines, leur
reprocha de
dgrader
la science
;
selon
lui, elle
devait
senfermer
dans
la
contemplation
des
ligues
idales.
En
effet, ils la
poussrent
toujours
en
avant, sans
sinquiter
de lutile.
Par
exemple, leurs
recherches
sur
les
proprits
des
sections
coniques
nont
trouv
demploi
que dix-sept
sicles
plus
tard, quand
Kpler chercha
les
lois qui
rglent
le
mouvement
des plantes.
Dans
cette
uvre
qui
est
la
base de toutes nos sciences
exactes,
leur analyse
est
si
rigoureuse
quaujourdhui
encore,
en
Angle-
terre, la gomtrie
dEuclide sert
de
manuel
aux
coliers. Dcomposer
les
ides, noter
leurs
dpen-
dances, former leur chane
de
telle faon quaucun
anneau
ne manque
et
que
la chane entire soit
accroche
quelque
axiome
incontestable
ou
un
groupe dexpriences familires* prendre
plaisir
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GoogI
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PHILOSOPHIE DE
LART
EN
GRCE.
27
forger, attacher,
multiplier,
prouver
tous ces
cha-
nons sans autre
motif
que
le
dsir
de les
sentir
toujours
plus
nombreux et
plus
srs,
voil
le
don
particulier de lesprit
grec.
Ils
pensent
pour penser,
et
cest pour
cela
quils ont fait les sciences. Nous
nen
construisons
pas
une
aujourdhui
qui
ne
sap-
puie sur
les fondements quils
ont poss
;
souvent
nous
leur
devons un premier tage,
parfois
une
aile
tout
entire
(1)
;
une
srie
dinventeurs
se
droule
pour les
mathmatiques,
de
Pylhagore
Archi-
mde
;
pour
lastronomie,
depuis Thals
et
Pytha-
gore
jusqu
Hipparque
et
Ptolme
;
pour
les
sciences
naturelles, depuis Hippocrate
jusqu
Aris-
tote et
les
anatomistes
dAlexandrie
;
pour lhistoire,
depuis
Hrodote jusqu
Thucydide
et
Polybe
;
pour
la logique, la
politique,
la morale, lesthtique,
de-
puis
Platon, Xnophon,
Aristote, jusquaux
sto-
ciens
et aux
noplatoniciens.
Des
hommes
si
fort
pris
des
ides ne
pouvaient
manquer
daimer les
plus belles de toutes, les
ides
densemble.
Pendant
(1)
La
Gomtrie dEuclide, la
Thorie
du syllogisme
d'Aristote,
la
Morale
des
stociens.
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28
PHILOSOPHIE DE
L'ART
EN
GRCE.
onze
sicles,
de
Thals
Justinien,
leur
philoso-
phie na
jamais
discontinu
sa pousse
;
toujours
un
systme nouveau
vient
fleurir
au-dessus
ou
ct
des
systmes
anciens
;
mme lorsque la
spculation
est
emprisonne
dans
lorthodoxie
chrtienne,
elle
se
fraye
une
voie
et
vgte
travers
les
fissures
:
La
langue
grecque, disait
un
Pre de lglise,
est
la mre des
hrsies.
Dans
cet norme
dpt,
nous
trouvons
encore
aujourdhui nos
hypothses
les plus
fcondes
(1)
;
ils ont
tant
pens,
ils
avaient
lesprit
si
bien
fait,
que
leurs
conjectures
se
sont
rencontres
maintes fois avec
la
vrit.
A
cet
gard,
leur
uvre na
t
surpasse
que
par
leur
zle.
Deux
occupations
leurs
yeux
distin-
guaient
lhomme
de la
brute et le Grec
du
Barbare
:
le
soin
des
affaires
publiques
et
llude
de
la
philo-
sophie. On
na
qu
lire le
Thagcs
et
le
Protagoras
de
Platon
pour
voir lenthousiasme soutenu avec
lequel
les
plus jeunes
gens,
travers
les
ronces et
les
pines de
la
dialectique, couraient
aux
ides.
(1)
Les Ides-types
de
Platon,
les
Causes
Anales
dAristote, les
Atomes
dpicure,
les
Dilatations
et
les
Condensations des stociens.
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33/207
PHILOSOPHIE
DE
LART
EN GRCE.
29
Ce qui
est
plus
frappant,
cest leur
got pour
la
dialectique elle-mme
;
ils
ne
sennuient
point
de
ses longs
dtours
;
ils
aiment
la chasse
autant
que
la prise, et
le
voyage
autant
que larrive.
Le Grec
est
raisonneur encore
plus
que
mtaphysicien
ou
savant; il
se
plat
aux distinctions
dlicates, aux
analyses
subtiles
;
il
raffine,
il
tisse volontiers
des
toiles daraignes
(1).
En
cela
sa dextrit est
sans
gale
;
que
ce
rseau
trop compliqu
et trop
tnu
reste sans
emploi
dans
la
thorie
et dans
la
pra-
tique,
peu
lui
importe
;
il
est
content
de
voir
ses
fils
dlis
sentrecroiser
en
mailles
imperceptibles
et symtriques.
Ici le vice
national
achve
de mani-
fester
le talent national.
La
Grce
est
la
mre
des
ergoteurs,
des rhteurs
et
des sophistes.
Nulle part
ailleurs
on
na
vu
un
groupe
dhommes
minents
et
populaires enseigner
avec
succs
et
avec
gloire,
comme
faisaient les
Gorgias, les Protagoras et les
(1)
Voyez,
dans
Aristote, la
Thorie
des
syllogismes
modaux
,
et
dans
Plalon,
le Parminide et le
Sophiste.
Rien de
plus ing-
nieux et
de
plus
fragile
que
loule
la physique et la
physiologie
dAristote
;
voyez ses Problmes. Ce
que
ces coles ont
dpens
de
sagacit
et
desprit en pure perte
est
norme.
2.
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34/207
30 PHILOSOPHIE DE
LART
EN GRCE.
Polus,
Part
de faire paratre
bonne
une mauvaise
cause,
et
de soutenir
avec vraisemblance
une
pro-
position absurde, si choquante
quelle
ft
(1).
Ce
sont des rhteurs
grecs qui
ont
fait
lloge
de
la
peste,
de
la
fivre, de
la
punaise,
de
Polyphme
et
de
Thersite
;
cest
un
philosophe grec qui
a
prtendu
que
le sage
se
trouverait heureux
dans le
taureau
de Phalaris.
Il
sest
trouv
des coles comme celle
de
Carnade pour
plaider
le pour
et le
contre
;
dautres, comme celle
dnsidme,
pour
tablir
que
nulle
proposition
nest
plus
vraie
que
la
propo-
sition
contraire. Dans le
legs
que
nous
avons
reu
de
lantiquit
se trouve
une
collection, la plus riche
que
nous
ayons,
darguments captieux
et
de
para-
doxes
;
leur
subtilit
et
trouv
la
carrire troite
si
elle
navait
pouss
ses
courses
aussi
bien
du
ct
de
lerreur
que du ct
de
la
vrit.
Telle
est
la
finesse desprit
qui,
transporte
du
raisonnement dans la littrature,
a
faille
got
atli-
que
,
cest--dire le
sentiment
des
nuances,
la grce
(1)
Platon,
Euthydme,
-
7/25/2019 Philosophie de l'Art en Grece Par H. Taine
35/207
PHILOSOPHIE
DE
L'ART
EN
GRCE. SI
lgre,
lironie
imperceptible,
la simplicit
du
style,
laisance
du
discours, llgance
de la preuve.
On
conte
quApelles, tant
venu
voir Protognes, ne
voulut
pas
dire
son
nom, prit un pinceau et traa sur
un
panneau
prpar une mince
ligne
sinueuse.
Pro-
tognes,
de
retour,
ayant
vu
ce
trait,
scria
quil
tait
certainement
dApelles
;
puis,
reprenant
les-
quisse,
il
conduisit
lentour
une
ligne
plus
dlie
et
plus
tnue,
et
ordonna
de
la montrer
ltran-
ger.
Apelles
revint,
et, honteux
quun
autre et
mieux
fait,
il
coupa
les
deux
premiers
contours
par
un nouveau
trait dont la finesse surpassait
tout.
Quand
Protognes
la
vit
:
Je
suis vaincu,
dit-il,
et je vais embrasser mon matre.
Cette
lgende
nous
donne
lide
la moins
imparfaite
de
lesprit grecque.
Voil
le
trait
dli
dans
lequel il
enserre
les contours
des choses
;
voil
la dextrit,
la
prcision, lagilit natives
avec
lesquelles il
cir-
cule
travers
les ides
pour
les distinguer et les
relier.
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-
7/25/2019 Philosophie de l'Art en Grece Par H. Taine
36/207
III
Ce nest
l
pourtant quun premier trait,
il
y
en
a un
autre.
Retournons
dans le
pays
et
nous
ver-
rons
le
second sajouter
au
premier. Cette fois
en-
core, cest la
structure
physique
de la
contre
qui
a
laiss sur
lintelligence
de la race
lempreinte
que
nous
retrouvons
dans
son
uvre
et
dans
son
his-
toire.
Rien
nestnorme,
gigantesque,
dans
ce pays
;
les
choses
extrieures nont point
de
dimensions
disproportionnes,
accablantes.
On ny
voit rien
de
semblable
ce
monstrueux Himalaya,
ces enche-
vtrements
infinis
de
vgtation
pullulante,
ces
normes
fleuves
que
dcrivent
les
pomes
indiens
;
rien de
semblable
aux
forts interminables,
aux
plaines
illimites,
locan
sans bornes
et
sauvage
de
lEurope
du Nord.
Lil
y
saisit
sans peine les
formes des
objets et
en
rapporte
une
image
prcise.
Tout
y
est moyen, mesur,
aisment et nettement
-
7/25/2019 Philosophie de l'Art en Grece Par H. Taine
37/207
PHILOSOPHIE
DE
LART
EN
GRCE.
33
perceptible
aux
sens.
Les
montagnes de Corinthe,
de
lAttique, de la Botie,
du Ploponse, ont trois
ou
quatre
mille pieds de
haut
;
quelques-unes
seule-
ment
vont
jusqu
six mille
;
il
faut
aller
lextr-
mit
de
la
Grce,
tout au
nord,
pour
trouver
un
sommet
semblable
ceux
des
Pyrnes
et
des
Alpes
;
cest
lOlympe, et
ils
en
avaient fait
le
sjour des
dieux. Les plus
grands
fleuves,
le
Pne et
lAcli-
los, ont
tout
au
plus trente ou quarante
lieues
do
cours; les
autres
ne
sont dordinaire
que
des ruis-
seaux
et
des
torrents.
La
mer
elle-mcme,
si
terrible
et
si
menaante
au
nord,
est ici
une sorte
de
lac.
On
nen
sent
point
limmensit
solitaire;
toujours
on voit
la
cte
ou
quelque
le
;
elle
ne
laisse
pas
dimpression
sinistre, elle
napparat
pas
comme
un
tre
froce
et
destructeur
;
elle
na
pas
de
teinte
blafarde,
cadavreuse
ou
plombe
;
elle
ne ravage
pas ses
bords et na point
de
mares qui la
bordent
de
cailloux rouls et de boue. Elle
est
lustre,
et,
suivant
le mot
dHomre,
clatante,
couleur
de
vin, ou
couleur
de
violettes
;
les
roches roussies
de
ses ctes enserrent sa nappe
luisante dans
une
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7/25/2019 Philosophie de l'Art en Grece Par H. Taine
38/207
34
PHILOSOPHIE DE LART
EN GRCE.
bordure ouvrage qui semble
le
cadre
dun
tableau.
Concevez
des
mes
neuves
et primitives
qui,
pour
toute
ducation
et pour ducation
incessante,
ont
de
pareils
spectacles.
Elles
y
prendront
lhabitude
des
images
dtermines
et nettes,
et
nauront
point
le
trouble
vague,
la
rverie
dbordante,
la
divina-
tion
anxieuse
de l
'au-del.
Ainsi
se construit
un moule desprit
do toutes les
ides
sortiront
plus
tard avec
relief.
Vingt
circonstances
du
sol
et
du climat
se
runissent
pour lachever.
En
ce pays,
la
figure
minrale
du
sol
est
visible
et
plus
forte-
ment
encore que
dans
notre
Provence
;
elle
nest
pas mousse, efface, comme dans nos
contres
humides
du
nord, par la couche
universellement
rpandue de terre arable et de verdure
vgtale.
Le
squelette de la terre, lossature gologique,
le
mar-
bre
gris violac
affleure
en
rocs
saillants,
sallonge
en escarpements nus,
dcoupe
sur
le
ciel
ses
profils
tranchs,
enferme
les valles
de
ses pitons et
de
ses
crtes, en
sorte
que
le paysage,
labour
de vives
cassures,
tout taillad
de brches et
dangles
inat-
tendus,
semble
le
dessin
dune main
vigoureuse,
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7/25/2019 Philosophie de l'Art en Grece Par H. Taine
39/207
PHILOSOPHIE
DE LART EN
GRCE.
35
qui
ses
caprices
et sa
fantaisie
ntent
rien
de
sa
sret
et
de
sa
prcision. La
qualit
de lair accrot
encore
la
saillie
des
choses.
Celui
de
lAttique
no-
tamment
est
dune
transparence
extraordinaire.
En
tournant
le
cap Sunium,
on apercevait
plusieurs
lieues
de
distance
laigrette
de
Pallas
sur
lAcropole.
LHymette
est
deux lieues
dAthnes,
et un
Euro-
pen qui
dbarque
croit pouvoir
y
aller
pied
avant
son djeuner.
La
vapeur
vague
qui
flotte toujours
dans
notre
atmosphre
ne
vient point amollir
les
contours
lointains;
ils
ne
sont
pas
incertains,
demi-
brouills,
estomps
;
ils
se
dtachent sur
leurs
fonds
comme
les figures
des
vases
antiques. Comptez enfin
ladmirable
clat du
soleil qui pousse
lextrme
le
contraste
des parties
claires
et
des
ombres et
qui
ajoute
lopposition
des
masses
la
dcision
des li-
gnes.
Cest ainsi
que
la
nature,
par les formes
dont
elle peuple
lesprit,
incline
directement
le
Grec vers
les
conceptions
aTrtes
et
nettes.
Elle
ly incline
encore,
indirectement,
par
le
genre
dassociation
politique auquel
elle
le conduit
et le
restreint.
En effet*
compar
sa
gloire
*
cest un
pays bien
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7/25/2019 Philosophie de l'Art en Grece Par H. Taine
40/207
36 PHILOSOPHIE
DE LART EN
GRCE.
petit
que la Grce,
et
elle
vous
semblera
plus
petite
encore si
vous
remarquez
combien
elle
est
divise.
Dun ct les chanes principales et
les chanons
la-
traux des
montagnes,
de
lautre
ct la mer,
y
d-
coupent
une quantit
de
provinces
distinctes
qui
sont
des
enceintes
fermes:
la
Thessalic,
la
Botie,
lArgolide, la
Messnie, la
Laconie, toutes
les
les.
Dans
les
ges
barbares,
la
mer
est
difficile
fran-
chir,
et
toujours
les
dfils
des
montagnes sont
commodes
pour
la
dfense.
Les peuplades
de
la
Grce
ont
donc
pu
aisment
se
prserver
de
la
con-
qute
et
subsister lune
ct
de
lautre
en petits
tats
indpendants.
Homre
en nomme
une
tren-
taine
(1),
et
il
y
en eut plusieurs centaines
quand
les colonies se
furent
tablies
et
multiplies.
Pour
des
yeux
modernes,
un
tat
grec
semble
une
minia-
ture.
LArgolide
a
huit
dix
milles de
long et qua-
tre cinq de
large
;
la Laconie
peu
prs
autant
;
lAchae est une bande troite
de
terre sur
le flanc
dune
chane
qui descend dans la mer.
LAttique
entire
ngale
pas
la moiti
dun de
nos
moindres
(1)
Chant
II.
Dnombrement
des
guerriers
et
des
navires.
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41/207
PHILOSOPHIE
DE
LART EN
GRCE
37
dpartements;
le
territoire
de
Corinthe,
de
Sicyone,
de
Mgare,
se rduit
une
banlieue
:
dordinaire,
et
notamment
dans les les et les
colonies,
ltal
nest quune ville
avec
une plage
ou
un pourtour
de
fermes.
Dune
acropole on
voit
avec
les yeux lacro-
pole ou
les
montagnes
du
voisin.
Dans
une
enceinte
si resserre,
tout
est net
pour
lesprit
;
la patrie
mo-
rale
na rien
de
gigantesque,
dabstrait
et
de vague
comme
chez
nous;
les sens
peuvent
lembrasser;
elle
se
confond
avec la
patrie
physique
;
toutes
deux
sont
fixes
dans
lesprit du citoyen par des
contours
prcis. Pour
se
reprsenter
Athnes, Corinthe, Ar-
gos ou Sparte,
il
imagine
les dcoupures
de
sa val-
le
ou la silhouette
de
sa
ville.
Il
en
connat
tous
les
citoyens
comme
il sen
figure
tous
les
contours,
et
ltroitesse
de
son
enclos
politique
comme
la
N
forme
de
son enclos
naturel
lui fournit davance
le
type
moyen et
dlimit
dans
lequel
senfermeront
toutes
ses conceptions.
A
cet
gard, considrez
leur
religion;
ils nont
point
le
sentiment
de
cet
univers
infini
dans
lequel
une
gnration,
un peuple,
tout tre
born,
si
TAINE.
3
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38
PHILOSOPHIE DE LAHT
EN
GRCE,
grand
quil
soit,
nest
quun
moment
et
un
point.
Lternit ne
dresse
point devant eux
sa
pyramide
de
milliards
de
sicles
comme
une monstrueuse
montagne
auprs de laquelle
notre
petite
vie
est
une
laupine,
un pli
de
sable
;
ils
ne
se
proccu-
pent
pas,
comme
daulres,
Indiens,
gyptiens, S-
mites,
Germains, du
cercle sans
cesse renaissant
des mtempsycoses,
ni
du sommeil ternel
et
silen-
cieux
du
tombeau,
ni
de
labme sans forme
et
sans
fond do
les
cratures
sortent comme
des
vapeurs
phmres,
ni
du
Dieu
unique, absorbant
et terri-
ble,
en qui
se
concentrent toutes
les
forces
de la
nature
et
pour
qui le
ciel
et
la
terre
ne
sont
quune
tente
et
un marchepied, ni
de
cette
puissance
au-
guste,
mystrieuse,
invisible,
que la
vnration
du
cur dcouvre
travers
et
au
del
des
choses
(1),
Leurs ides
sont trop
nettes
et
construites
sur
un
module trop
petit. Luniversel
leur
chappe
ou
du
moins ne les
touche qu
demi
;
ils
nen
font
pas
un
Dieu, encore
bien
moins
une personne;
il
reste
(1)
Tacite,
De
moribus
Germanorum.
Daorum
nominibus
(ippellant
secretum
illud
,
quod
sola
reverentiu vident.
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7/25/2019 Philosophie de l'Art en Grece Par H. Taine
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PHILOSOPHIE
DE
LART
EN GRCE.
39
l'arrire-plan
dans leur religion,
cest la
Moira
,
1
Aisa,
YEimarmn,
en
d'autres ternies
la
part
faite chacun. Elle
est
fixe;
nul tre,
homme
ou
Dieu, ne
peut
se soustraire aux vnements
com-
pris
dans
son lot; au
fond,
cest
l
une vrit
abs-
traite
;
si
les
Moires
dHomre
sont
desses,
ce
nest
gure que par
fiction;
sous
le mot
potique,
comme
sous
une
eau
transparente, on voit
apparatre len-
chanement
indissoluble
des
faits
et les
dmarca-
tions
indestructibles
des
choses. Nos sciences
les
admettent
aujourdhui,
et lide
grecque
de
la
des-
tine
nest
rien
de
plus
que
notre
ide
moderne
des
lois.
Tout est
dtermin,
voil
ce
que prononcent
nos
formules et
ce
quont pressenti leurs
divinations.
Quand
ils dveloppent cette
ide,
cest
pour
fortifier
encore les
limites quelle
impose
aux
tres.
De
la
puissance
sourde
qui
droule
et
distribue
les
destines,
ils font leur Nmsis
(l)
qui
abat
les
su-
perbes
et
rprime
tous les excs,
Rien
de
trop
,
disait
une
des grandes sentences
de
loracle.
tre
(I) Touruier,
Nmsis
ou
la
Jalousie
des
dieux\
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7/25/2019 Philosophie de l'Art en Grece Par H. Taine
44/207
40
PHILOSOPHIE
DE
LART
EN GRCE.
en
garde contre
les
trop grands
dsirs,
redouter la
prosprit
complte, se dfendre de
toute
ivresse,
conserver
toujours la
mesure,
voil
le conseil que
donnent tous
les potes
et
tous les
penseurs
de
la
grande
poque.
Nulle
part
linstinct
na
t
si
lucide
et
la
raison
si
spontane.
Quant
au premier
veil
de
la
rflexion
ils
essayent
de
concevoir
le
monde,
ils
le
font
limage
de leur
esprit. Cest un
ordre,
Kosmos, une
harmonie,
un
bel
arrangement
rgu-
lier
de
choses qui
subsistent
et
se
transforment
par
elles-mmes.
Plus
tard,
les
stociens
le
compareront
une
grande
cit gouverne
par
les
meilleures
lois.
Il
ny
a
point
de place
ici
pour
les
dieux
incommen-
surables
et vagues,
ni
pour
les dieux despotes
et
dvorateurs.
Le vertige
religieux
nentre
point dans
les
esprits
sains
et quilibrs
qui ont
conu
un
pa-
reil
monde.
Leurs dieux deviennent vite des
hom-
mes; ils ont
des
parents,
des
enfants,
une
gnalo-
gie,
une histoire,
des vtements, des
palais,
un
corps
semblable
au
ntre
;
ils peuvent souffrir,
tre
blesss; les
plus
grands,
Zeus lui-mme,
ont vu
leur
avnement,
et
verront
peut-tre
un
jour
la
fin
.
i
Google
-
7/25/2019 Philosophie de l'Art en Grece Par H. Taine
45/207
PHILOSOPHIE DE L'ART EN
CRCE.
4i
de
leur
rgne
(1).
Sur
le bouclier dAchille,
qui
reprsente une arme,
les
hommes
marchaient
conduits
par
Ars
et
Athn,
tous
deux
en
or,
vtus
dor, beaux
et
grands
comme
il
convient
des
dieux
;
car
les hommes
taient
plus
petits.
>
En
effet,
il
ny
a
gure
entre eux et
nous
dautre
diffrence.
Plusieurs
fois
dans
l
'Odysse,
quand
Ulysse ou Tlmaque
rencontrent
limprovisle un
personnage
grand et beau, ils lui
demandent
sil
est
un dieu.
Des dieux
si
humains ne
jettent
pas
le trou-
ble
dans
lesprit
qui
les
conoit;
Homre
les
manie
son
aise;
il
fait
intervenir
Athn chaque
in-
stant
pour
de
petites besognes, pour indiquer
Ulysse
la
maison
dAlcinoiis,
pour
marquer
lendroit
o est tomb
son
disque. Le pote thologien
cir-
cule
dans
son
monde
divin
avec
une
libert
et
une
srnit
denfant
qui
joue.
On
ly
voit
sgayer et
rire
;
quand il
montre
Ars
surpris
auprs
dAphro-
dite,
Apollon
plaisante
et
demande
Herms sil
voudrait
tre
la
place
dArs
:
Plt
aux
dieux,
(1)
Eschyle, Promthie.
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46/207
PHILOSOPHIE
DE
LART
EN
GRCE.
2
royal
archer
Apollon, que cela
arrivt,
et
que
s
je
fusse envelopp
de
liens trois
fois
plus
inextri-
#
cables
cl
que
tous
les
dieux cl
les
desses
le
vis-
sent,
pourvu
que
je
fusse auprs de la
blonde
Aphrodite.
Lisez
lhymne
o
Aphrodite
vient
soffrir
Anchise
et surtout
lhymne
Herms
qui,
le
jour de sa
naissance,
se
trouve
inventeur,
voleur,
menteur
comme
un Grec,
mais
avec
tant de
grce,
que
le
rcit
du
pote
semble un badinage
de
sculp-
teur.
Entre
les
mains
dAristophane,
dans
les Gre-
nouilles
et
les
Nues,
Hercule
et
Bacchus
seront
traits bien
plus
lestement
encore.
Tout cela
con-
duit
aux
dieux
dcoratifs de Pompi,
aux
jolies
et
moqueuses
gaiets de
Lucien, un
Olympe
dagr-
ment,
dappartement et
de
thtre.
Des
dieux
si
rapprochs
de
lhomme
deviennent
bientt scs
ca-
marades
et
deviendront plus tard
son
jouet. Lesprit
si net
qui,
pour
les mettre
sa
porte, leur a
t
linfinit
et le
mystre,
reconnat
en
eux ses
cra-
tures
et
samuse
des mythes quil a faits.
Tournons
maintenant
nos
yeux
vers
la
vie
prati-
tique.
L
encore la
vnration
leur
manque. Le
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7/25/2019 Philosophie de l'Art en Grece Par H. Taine
47/207
PHILOSOPHIE DE L'ART EN
GRCE.
A3
Grec ne
sait
pas,
comme
le
Uomain,
se subordonner
quelque
grande unit,
une vaste
patrie quon
conoit et
quon
ne
voit pas.
Il na
pas
dpass
celte forme
dassociation
dans laquelle ltat
est la
ville. Ses
colonies sont matresses delles-mmes
;
elles
reoivent
de
la
mtropole
un
pontife
et
la
re-
gardent
avec
un
sentiment daffection
filiale
;
mais
cela
se
rduit leur dpendance.
Elles
sont
des
filles mancipes,
semblables au
jeune Athnien
qui, devenu
homme, ne
relve
de
personne
et
entre
en
pleine
possession
de
lui
mme,
tandis
que
les
colonies
romaines
ne sont que des postes mili-
taires, pareilles
au jeune
Romain
qui
,
mari,
magistrat, consul
mme,
sent
toujours
sur
son
paule
la
dure
main du pre
et
lautorit despotique
dont rien,
sauf
une
triple
vente, ne
peut
laffran-
chir.
Abdiquer sa
volont,
se soumettre des
ma-
gistrats
lointains
quon na point
vus, se
considrer
comme
une partie
dans
un vaste
ensemble,
sou-
blier
pour
un grand
intrt
national, voil
ce
que
les Grecs
nont
jamais
pu
faire
avec
suite. Ils
se
cantonnent,
ils
se jalousent;
mme
lorsque
Darius
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7/25/2019 Philosophie de l'Art en Grece Par H. Taine
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PHILOSOPHIE
DE
LART
EN
GRCE.
45
Platon, Aristote, rduisent la
cit
une socit
de
cinq
ou
dix mille hommes
libres.
Athnes
en avait
vingt
mille
;
au
del, selon
eux, ce
nest
plus
quune
tourbe. Ils
nimaginent pas quune
association plus
large
puisse
tre bien ordonne.
Une
acropole
cou-
verte
de
temples,
consacre
parles
os des hros fon-
dateurs et
par les
images
des
dieux nationaux,
une
agora,
un thtre, un
gymnase,
quelques
milliers
dhommes sobres, beaux, braves
et libres,
occups
