Pauvreté et développement humain ; Une approche socio ...
Transcript of Pauvreté et développement humain ; Une approche socio ...
196
Pauvreté et développement humain ; Une approche socio-économétrique de l’INDH en
milieu rural marocain
MEKKAOUI ALAOUI. YOUNES, Chercheur en développement humain et territorial ;
ZOUITEN. MOUNIR, Enseignant chercheur, Facultés des Sciences juridiques, économiques
et sociale – Suissi, Université Mohammed V de Rabat
Résumé :
Le présent article essayera d’approcher socio-économétriquement le développement humain
et la pauvreté au Maroc, à travers l’Initiative Nationale pour le Développement Humain
(INDH). Il s’agit d’un grand projet de lutte contre les formes de la pauvreté, et qui a mobilisé
des ressources d’ordre financier, humain et institutionnel importantes depuis son lancement en
2005.
L’objectif est de calculer le contrefactuel du programme via la méthode des Doubles
Différences sur un panel de 1228 communes à caractère rural contenant les communes
bénéficiaires et non-bénéficiaires dudit programme. Une analyse comparative et critique sera
abordée sur la base des résultats et des problèmes structurels tant institutionnels que
sociogéographiques affrontant le milieu rural.
Mots clés : Pauvreté, Développement humain, Monde rural, INDH, Tissu coopératif et
associatif.
نهجبدسح انىطنخ نهتنخ انجششخ ثبنعبنى انقشوي انغشث.انفقش و انتنخ انجششخ : يقبسثخ سىسىقبسخ
ملخص :
قبسة هزا انقبل انعه انفقش و انتنخ انجششخ ثبنغشة، ين خلال انجبدسح انىطنخ نهتنخ انجششخ، و رنك ين ينظىس
انتهش و رنك ثتعجئخ يىاسد يبنخ ، يحبسثخ كم أشكبل انفقش و 5002سىسىقبس. تهذف هزه انجبدسح، ينز انطلاقهب سنخ
و ثششخ و يؤسسبتخ يهخ.
تتىخى هزه انذساسخ حسبة انقخ انضبفخ نهزا انجشنبيج عجش يقبسنخ تطىس نست انفقش ثن انجبعبد انستفذح و انغش
نقبو ثتحهم نقذي يع جبعخ ثبنعبنى انقشوي. عهى ضىء نتبئج انقبسنخ، ستى ا 8551يستفذح ين انجشنبيج نعنخ تشم
انلأخذ ثعن الاعتجبس يختهف انشبكم انجنىخ، راد الأثعبد الاقتصبدخ و انسىسىدغشافخ و انتشاثخ، انت عبن ينهب
انعبنى انقشوي ثبنغشة.
انكهبد انفبتح : انفقش، انتنخ انجششخ، انعبنى انقشوي، اننسج انتعبون و انجعىي.
Poverty and human development: A socio-econometric approach of the NIHD in
Moroccan rural areas
Abstract :
This article tries to approach socio-econometrically human development and poverty in
Morocco through the National Initiative for Human Development (NIHD). It’s about a big
197
project fighting against poverty which mobilizes important financial, human, and institutional
resources since its launch in 2005.
The aim is to calculate the program’s counterfactual via the Difference in Differences Method
on a panel of 1228 rural communes combining beneficiary and non-beneficiary communes of
the program. A comparative and critical analysis will take place in the light of the
econometric results as well as the structural problems facing the rural areas.
Keywords: Poverty, Human development, Rural areas, INDH, Cooperative and associative
networks.
Introduction
Le développement humain constitue, aujourd'hui, une préoccupation majeure à l’échelle
planétaire. Cette importance émane, entre autres, de son impact sur la croissance économique
des pays et le bien-être des populations. Les efforts consentis dans ce sens, et les résultats
contrastés entre pays et territoires, font surgir un faisceau d’interrogations sur l’efficacité et la
pertinence des stratégies et plans initiés.
Dans ce sillage, la mesure du dit développement et l’évaluation de ses programmes et de leurs
impacts notamment sur la pauvreté occupent une place grandissante. Partant de cette
conviction, et vu le retard accusé par le Maroc en la matière surtout en milieu rural, la
présente étude tente de quantifier les efforts du pays dans la lutte contre la pauvreté dans les
zones rurales moyennant l’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH).
Celle-ci a été classée, par la Banque Mondiale en 2015, troisième meilleurs programmes
d’intérêt général sur une liste contenant 136 programmes de pays différents1.
Caractérisée par un pouvoir fédérateur marquant, et une nouvelle dynamique de participation,
l’INDH a mobilisé une pléthore d’acteurs (élus, populations, autorités locales, services
extérieurs, bailleurs de fonds, secteur privé, universités, etc.).
Mise à part les partenaires traditionnels de l’État, l’INDH a ouvert un grand chantier en
faveur des associations et coopératives en matière de création et gestion des projets, chose qui
a dynamisé et consolidé le secteur de l’Économie Sociale et Solidaire au Maroc.
Pour examiner ce grand projet marocain, nous procédons à la mesure et comparaison des
tendances de la pauvreté entre 2007 et 2014 par le biais d’un panel de 1286 communes. Ce
panel contient aussi bien les communes rurales ciblées que non ciblées par le programme de
l’INDH relatif à la lutte contre la pauvreté. La Méthode économétrique des Doubles
Différences sera utilisée pour calculer le contrefactuel du programme. Une analyse des
résultats de ce programme sera effectuée à la lumière de la réalité et la complexité du monde
rural au Maroc.
1Il s’agit de 136 pays à faible et à moyen revenu. L’Inde et l’Ethiopie ont occupé respectivement la première et la deuxième
place, alors que la Russie et le Bangladesh sont classés respectivement derrière le Maroc
198
Afin de traiter cela, cet article comporte trois parties : une première présentera les fondements
et inspirations théoriques, puis une deuxième partie exposera l’INDH et ces réalisations, et
finalement la troisième partie débarquera la méthodologie adoptée, les résultats et leurs
analyses.
1. Fondements et inspirations de l’analyse en termes de développement humain et de la
lutte contre la pauvreté
Nombreux sont les réflexions et analyses qui traitent la problématique du développement
humain et la pauvreté. Dans le présent article, nous nous contentons sur les courants
marquants de ces deux aspects en fonction de la spécificité de cette étude.
Pionniers des recherches sur le bien-être, F. Perroux souligne que l’objectif ultime du
développement et la couverture des « coûts de l’Homme ». Il précise que la couverture de ces
coûts constitue des opérations « tout élémentaires propres à procurer à chacun les “biens de
départ”. Ils ouvrent aux hommes l’accès au rang de personnes et de sociétés pleines de sens »
(Perroux, 1969)2.
L’approche des "besoins de base", quant à elle, a fait couler beaucoup d’encre notamment
dans les années 1970s. Elle s’est axée sur des besoins déterminés et constants : alimentation,
habillement, habitat, accès aux soins, et l’emploi. Cette approche est critiquée pour son aspect
monolithique et paternaliste puisque les individus sont vus comme simple bénéficiaires des
prestations et services dits de base. De plus, cette approche ne traite pas des aspects
immatériels comme la liberté, les droits humains individuels et collectifs, l’estime de soi, et la
créativité. Parmi les principaux auteurs de ce courant on note Gasper qui a travaillé plus sur la
catégorisation des besoins et Maslow dont les travaux se sont concentrés davantage sur la
priorisation des besoins (pyramide de Maslow).
La différence de l’approche des "besoins de base" qui n’accorde pas d’attention aux manières
et moyens de satisfaction des dits besoins, l’approche de SEN parle de la "capabilité" qui
est « une combinaison de fonctionnements (états et actions) et reflète la liberté d’une personne
de choisir entre différents types de vie »3. Dans ce sens, le bien être individuel et collectif ne
dépendent pas seulement des états mais aussi des actions. La première notion englobe les
biens, actifs, et les différentes ressources alors que le deuxième concept examine la manière
de transformation de ces biens, c.à.d les modes de gestion, modification, choix, priorisation,
etc. la condition de liberté, considérée essentiel par Sen, a été soulignée bien avant par
K.Marx qui a insisté sur la nécessité de remplacer la conviction de la « dominance des
circonstances et de la chance sur l’Homme par la dominance de l’être humain sur celles-ci. »4.
Basé sur ses fondements théoriques, le PNUD a forgé sa conception du développement
humain essentiellement sur les travaux de Sen. Selon cet organisme onusien, le
2Perroux F., (1969). Le Pain et la Parole. Paris : Cerf, p.285.
3[Notre traduction] Sen, A. (1989) .“Development as Capabilities Expansion”,Journal of Development Planning,19, p. 44.
4[Notre traduction] Karl Marx and Friedrich Engels, The German Ideology (1846) ;cité par Sen, A. (1989) .«Development as
Capabilities Expansion». Journal of Development Planning,19, p. 44.
199
développement humain ne se réduit pas à l’accroissement ou décroissement du revenu
national. Il consiste fondamentalement en la création « d’un environnement dans lequel les
individus puissent développer pleinement leur potentiel et mener une vie productive et
créative, en accord avec leurs besoins et leurs intérêts. La véritable richesse des nations, ce
sont leurs habitants. Le rôle du développement consiste donc à élargir les possibilités, pour
chacun, de choisir la vie qui lui convient.»5 (PNUD, 2001).
Une telle définition met l’Homme au centre des réflexions et préoccupations du
développement humain en lui assurant un champ propice et en augmentant ces choix. Au
début des années 90s, cette orientation était considérée comme révolutionnaire puisqu’elle
remettait en cause l’idée dominante que la croissance économique, au travers l’accumulation
de biens et richesses, est apte seule de garantir le bien-être humain.
De surcroit, le développement humain ne se limite pas à la multiplication des choix mis à
disposition des gens, mais insiste sur la participation des individus dans la détermination de
ces choix. Dès lors, les individus deviennent des acteurs à part entière dans le processus de
développement. Leur engagement citoyen fait d’eux des producteurs et des bénéficiaires des
fruits de développement.
Les approches, ci-dessus résumées, ont beaucoup servit, en empruntant son optique et ses
concepts, pour encadrer les études et recherches sur le phénomène de la pauvreté. Eu égard à
son ampleur, la question de la lutte contre la pauvreté a été placée, par la communauté
internationale comme premier objectif aussi bien pour les Objectifs du Millénaire pour le
Développement en 2000 que pour les Objectifs de Développement Durable en 2015.
Deux approches marquantes pourraient dessiner l’esquisse du phénomène de la pauvreté :
L’approche monétaire : Appelée aussi approche utilitariste, elle a été essentiellement
développée par la Banque Mondiale et tente de mesurer le bien être en termes d’utilité. Elle
part du postulat que le niveau de satisfaction réalisé par un individu suite à la consommation
de biens et services, détermine son bien-être. En outre, puisque l’utilité n’est pas directement
quantifiable, la mesure du bien-être est effectuée par les ressources (revenus ou dépenses).
Dans cette optique, la pauvreté est une situation caractérisée par un revenu bas ou un faible
pouvoir d’achat et reflète une insatisfaction des besoins de base (nutrition, soins, logement,
etc) et un accès très limité aux différents moyens matériels et immatériels (terre, ressources
financières, revenu, infrastructure physique sociale, protection sociale)6. Selon cette approche,
la distinction des pauvres et non-pauvres, passe par la fixation d’un seuil de pauvreté
composite contenant une composante alimentaire et une autre non-alimentaire7.
L’approche non-monétaire : Cette approche est intimement liée au concept de
développement humain apparut dans les années 90s sur la base des travaux de Sen. Selon
5Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). (2001). “ Rapport mondial sur le développement humain ”,
p.9. 6Banque Mondiale, 1990, 1993 ; Ravallion, 1992.
7Le calcul d’un tel seuil sera détaillé ultérieurement.
200
cette approche, adoptée par le PNUD, la pauvreté est « la négation des opportunités et des
perspectives fondamentales sur lesquelles repose tout développement humain, telles que la
chance de vivre une vie longue, saine, constructive, et de jouir d'un niveau de vie décent, ainsi
que la liberté, la dignité, le respect de soi-même et d'autrui. » (PNUD, 1997)8.
2. L’INDH au Maroc : Contexte, mécanismes et réalisations
Depuis plus de deux décennies, le Maroc s’est lancé résolument dans un processus de
développement social visant la réduction de la pauvreté et des disparités sociales et spatiales
dans le pays.
Suite à des politiques économiques libérales engagées dès l’indépendance, et aggravées par le
Programme d’Ajustement Structurel (PAS) dans les années 80s, le Maroc a accumulé un
déficit social notable qui s’est traduit par la prolifération de la pauvreté et les différentes
facettes d’inégalité. En 2001, le pays affichait un taux de pauvreté de l’ordre de 15,3% ; pire
encore, ce taux atteignait 25,1% dans le monde rural.
Pour faire face aux dits déficits sociaux et écarts territoriaux, le Maroc a lancé en 2005
l’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH). Cette initiative touche un
faisceau de domaines ; l’appui aux infrastructures de base, la formation et la capacitation,
l’animation socioculturelle et sportive, ainsi que les Activités Génératrices de Revenus
(AGRs).
Privilégiant l'approche partenariale et contractuelle avec l’ensemble des acteurs impliqués
dans le développement humain, l’INDH a permis la mobilisation et la dynamisation de
différents acteurs; les collectivités territoriales, les services déconcentrés de l’État, le secteur
privé, et surtout les associations et coopératives.
Il est à noter que la participation des acteurs de la société civile a permis de tripler le nombre
de coopératives, passant de 4.985 à 15.730 entre 2005 et 2015. Le nombre d’associations a
connu également une grande augmentation et effervescence9. Durant la même période, les
coopératives et leurs groupements ont porté plus de 2.500AGRs (presque la moitié du nombre
total des AGRs). Quant aux associations, plus de 17 mille projets et actions ont été initiés
pour environ 13 mille associations (soit 38% du portefeuille des projets INDH). Cette hausse
s’est accompagnée d’une part de l’émergence d’associations à dominance féminine (environ
34 % des associations porteuses des projets INDH), et d’autre part d’une concentration en
milieu rural (48% des associations sont actives en milieu rural)10
.
Basée sur une démarche participative et inclusive, et un mode de gouvernance démocratique,
l’INDH cherche l’implication des bénéficiaires, acteurs, et décideurs locaux et régionaux dans
8 Programme des Nations Unies pour le Développement. (1997). “ Rapport mondial sur le développement humain”, p.16. 9Plus de 120 mille associations selon le Rapport gouvernemental annuel sur le partenariat entre l'Etat et les associations et
organisations de la société civile. 10
Plus de 120 mille associations selon le Rapport gouvernemental annuel sur le partenariat entre l'Etat et les associations et
organisations de la société civile.
201
les différents cycles de projets afin de garantir leur performance et pérennité ainsi que la
confiance et la dignité des populations ciblées.
Cette initiative comporte quatre programmes :
Le Programme de lutte contre la pauvreté en milieu rural qui cible 702 communes
rurales dont le taux de pauvreté est supérieur ou égal à 14%.
Le Programme de lutte contre l’exclusion sociale en milieu urbain qui concerne 532
quartiers urbains comprenant plus de 20.000 habitants.
Le Programme de lutte contre la précarité cible 10 catégories de population: les jeunes
sans abri et les enfants des rues, les ex-détenus sans ressources, les enfants abandonnés,
les malades mentaux sans-abri, les femmes en situation de grande précarité sans
ressources, les personnes en situation d’handicap, les mendiants et vagabonds, les
personnes âgées démunies, les personnes atteintes du VIH/SIDA et les toxicomanes11
.
Le Programme transversal : destiné à accompagner des actions à fort impact,
particulièrement dans les communes rurales et les quartiers urbains défavorisés et non
ciblés, selon une procédure d'appel à projet ouverte aux collectivités locales, aux
chambres professionnelles, aux associations et autres groupements d'acteurs de
développement humain (coopératives, GIE12
, etc). Pour la deuxième phase, l’accent a été
mis davantage sur les activités génératrices de revenu et d’emploi.
Ceci étant, il s’avère clairement que l’INDH combine deux ciblages ; un ciblage territorial
moyennant les deux premiers programmes, et un ciblage catégoriel au travers le programme
de la lutte contre la précarité. Quant au programme transversal, il permet de rectifier le tir et
agir là où le besoin se fait sentir hors les zones territorialement ciblées.
La mise en œuvre de l’INDH, à travers ces quatre programmes s’est traduite, au titre de la
période 2005-2014, par l’initiation de 38.341 projets et 8.294 actions, pour un investissement
global de 29,1 Milliards de DH, dont la part de l’INDH s’élève à 17,2 Milliards DH13
.
3. Etude économétrique en milieu rural
Le monde rural marocain a accusé pour longtemps un véritable retard en matière d’accès aux
services sociaux de base ; notamment la santé, l’éducation et l’adduction en eau potable.
L’enclavement ainsi que la dépendance aux aléas climatiques ont aggravé la situation dans
plusieurs zones rurales et montagneuses. Ainsi, l’évaluation des politiques publiques menées
dans ces zones revêt une extrême importance pour répondre aux soucis d’efficacité et
d’efficience. Dans cette section, nous allons présenter la méthode utilisée, le champ de
l’étude, ainsi que les résultats obtenus.
3.1. La Méthodologie
Dans cette étude, nous allons essayer d’approcher les résultats de l’INDH et son impact sur
l’évolution de la pauvreté dans les zones rurales marocaines, et ce via la méthode des Doubles
11
Les deux dernières catégories ont été rajoutées à partir de 2011. 12 Groupement d’Intérêt Économique. 13
Selon le « Bilan global de l’INDH 2005-2014 » publié par la Coordination Nationale de l’INDH en Mai 2015.
202
Différences ; une méthode empirique fréquemment optée par les statisticiens et les
économètres notamment dans les évaluations Ex post.
3.1.1. La Méthode des Doubles Différences
La Méthode des Doubles Différences est l’une des méthodes économétriques les plus utilisées
dans l’évaluation d’impact des programmes et politiques publiques. Elle compare, au fil du
temps, les différences de résultats entre une population participante à un programme (le
groupe de traitement) et une autre non-participante (le groupe de comparaison ou de contrôle).
Pour appliquer cette méthode, il faut mesurer les résultats du groupe de participants et ceux du
groupe de non participants tant avant qu’après la mise en œuvre du programme. « Le principe
de la méthode est d’éliminer les effets fixes et temporels à l’aide de deux différences
successives. La première différence permet d’éliminer les effets fixes….La deuxième
différence élimine les effets temporels communs » (Fougère, 2010)14
.
Le graphe ci-dessous, illustre ladite méthode :
Figure N°1 : Méthode des Doubles Différences
Source : Banque mondiale.2011. L’évaluation d’impact en pratique, p. 97
Selon le graphe, pour le groupe de traitement (bénéficiaire du programme), les valeurs passent
de C avant la mise en œuvre du programme à D après son application. Quant au groupe de
comparaison, n’ayant pas bénéficié du programme, les valeurs sont respectivement A et B.
La méthode des DD, détermine dans un premier temps la différence des résultats avant-après
pour le groupe de traitement que pour le groupe de contrôle.
Ceci étant, l’Impact du Programme (IP) est calculé comme la différence des deux différences,
soit : IP = (D − C) − (B − A) = (D − E)
14 Fougère, D. (2010). « Les méthodes économétriques d'évaluation », Revue française des affaires sociales, 1, p.119.
203
Ces résultats peuvent être illustrés sous forme du tableau suivant :
Tableau N°1 : Calcul de l’impact par la Méthode des Doubles Différences
Après Avant Différence
Groupe de traitement D C D – C
Groupe de comparaison B A B – A
Différence D – B C – A DD = (D - C) - (B - A)
Source : Banque mondiale, 2011, L’évaluation d’impact en pratique, p. 98
Cette méthode combine deux comparaisons (comparaison avant-après et comparaison avec-
sans entre les participants et les non participants, d’où son appellation " Doubles
Différences ").
Parmi les points forts de cette méthode, comme on l’a vu, est sa capacité d’annuler les
caractéristiques individuelles fixes dans le temps (période d’étude) ; le calcul de la différence
des résultats avant et après le programme pour une unité statistique annule l’effet de ses
caractéristiques intrinsèques et celles inchangeable lors de la période d’étude.
Pourtant, cette méthode ne tient pas compte des caractéristiques variables dans le temps qui
peuvent influencer le résultat. De surcroit, elle exige la détermination d’un groupe de contrôle
qui n’a pas bénéficié de la mesure objet de calcul et pour lequel les évolutions « sont les
mêmes que celles qu’auraient connues les bénéficiaires de la mesure en l’absence de cette
dernière. » (Givord, 2014)15
. A noter que dans une telle étude nous supposons qu’en l’absence
du programme objet d’étude les tendances seraient parallèles entre les deux groupes durant la
période d’évaluation.
3.1.2. Champs d’étude
L’objectif de l’étude est de mesurer l’impact de l’INDH dans le monde rural du pays. Le
Programme de lutte contre la pauvreté en milieu rural est le programme consacré aux zones
rurales manifestant un déficit socio-économique notoire. Comme susmentionné, ce
programme concerne les communes rurales affichant un taux de pauvreté supérieur à 14%.
Pratiquement, 702 communes rurale sont bénéficié dudit programme contre 596 communes
rurales non-bénéficiaires. L’évaluation de l’impact du programme traitera la période 2007-
2014, les deux années pour lesquelles les données statistiques officielles sur la pauvreté sont
disponibles16
.
Ces données sont sous formes de taux de pauvreté monétaire par commune estimés sur la base
des données des enquêtes nationale sur la consommation et les dépenses des ménages
15Givord, P.(2014).“Méthodes économétriques pour l’évaluation de politiques publiques”, Economie & prévision 2014/1
,204-205, p. 10. 16Ces données fournies par le Haut-commissariat aux comptes (HCP) l’institution marocaine indépendante en charge de la
statistique.
204
(ENCDM) réalisées en 2007 et 2014. Ses estimations sont calculées conformément aux
normes internationales en vigueur.
L'approche monétaire de la pauvreté utilise le revenu ou les dépenses de consommation
comme indicateur de niveau de vie. Pourtant, le revenu présente une myriade de limites dans
un pays comme le Maroc où dominent le secteur informel et l’irrégularité des revenus. Ceci
étant, les dépenses de consommation restent une alternative pouvant approcher monétairement
le niveau de vie.
Dans ce sillage, le Haut-Commissariat au Plan calcule le seuil de la pauvreté monétaire en se
basant sur deux composantes ; une composante alimentaire selon les normes de la FAO-OMS,
et une composante non-alimentaire conçue par la Banque Mondiale. Le seuil de la première
composante est le coût d’un panier de biens et services alimentaires garantissant l’ingestion
calorique minimale requise par la norme recommandée par les deux organismes précités. Le
minimum requis en calories par individu et par jour a été établi en appliquant la table des
besoins énergétiques recommandés (Recommanded Daily allowance, FAO-OMS) à la
structure de la population selon le sexe, l’âge et la situation des femmes vis-à-vis de la
grossesse et de l’allaitement.
En 2014, le seuil de la pauvreté monétaire s’est fixé, par personne et par an, à 4312 DH dans
le milieu rural ; l’équivalent de 2,4 $ US PPA par jour et par personne en milieu rural (1 $ US
PPA = 4,88 DH). Dans le milieu urbain, ce seuil est de 4667 DH par personne et par an ; il
vaut, en moyenne 2,6 $ US PPA par jour et par personne pour la même année.
Selon cette approche, un ménage est considéré dans une situation de pauvreté quand ses
dépenses de consommation sont en dessous du seuil de pauvreté monétaire ; à titre d’exemple,
un ménage de taille moyenne de 5 membres est pauvre s’il réalise une dépense mensuelle de
moins de 1797 DH en milieu rural (HCP, 2016)17
.
Le tableau, ci-dessous, présente les seuils de pauvreté alimentaire pour les deux années de
référence dans le milieu rural et urbain :
Tableau N°2 : Seuils de pauvreté monétaire en 2007 et 2014
Milieu
Seuil de
pauvreté
alimentaire
Seuil de pauvreté
monétaire, 2014
En $ /jour/
personne, 2014
Seuil de pauvreté
monétaire, 2007
Rural 2331 DH 4312 DH 2,4 $ US PPA 3569 DH
Urbain 2331 DH 4667 DH 2,6 $ US PPA 3834DH
Source : HCP (2016)18
3.2. Résultats
17Haut Commissariat au Plan. (2016). “Note de synthèse extraite de l’étude «Dynamique des inégalités sociales et territoriales
et de la pauvreté 2001-2014 au Maroc»”,p.3. 18
Idem
205
L’analyse porte sur toutes les communes rurales non-ciblées (596 communes) ainsi que 690
communes ciblées19
. Ceci étant, le traitement concerne un panel de 1286 unités statistiques
dans deux années de références (2007 et 2014). Ces données ont été classées sur un fichier
Excel et traitées sous le Logiciel Stata.
Résultats des variables par année :
Tableau N°3 : Résultats des variables par année
Source : résultat de l’étude
A noter que Y0= 2007 et Y1=2014.
Résultats des variables par groupe
Tableau N°4 : Résultats des variables par groupe
Source : résultat de l’étude20
Selon le dernier tableau ci-haut, le taux de pauvreté a chuté de 5,28 points dans les communes
objets d’étude (ciblées et non ciblées) durant la période 2007-2014. Cette chute a concerné
plus les communes rurales ciblées par le " Programme de lutte contre la pauvreté en milieu
rural " où la baisse a atteint une moyenne de 7,45 points contre 2,78 points dans les
communes rurales non-cibles. Ainsi l’effet du programme durant les sept ans est de l’ordre de
4,66 points.
Il est à noter que ledit programme est toujours en cours et que même les communes rurales
non ciblées peuvent bénéficier du Programme transversal.
En outre, l’étude de la dynamique migratoire montre que c’est notamment les jeunes ruraux,
moins touchés par la pauvreté, qui quittent leurs localités vers les villes ou même l’étranger.
Dans le même ordre d’idées, ce sont les ménages relativement aisés dans le milieu rural qui
19 Parmi les 702 communes bénéficiaires du programme onze communes ont été exclues car elles ont été objet de fusion, ou
de division. 20Au seuil de 5%, le modèle est hautement significatif.
206
ont plus de chance de quitter la compagne et acquérir un toit dans les villes marocaines où le
coût de vie augmente constamment.
Autrement dit, ce sont les plus pauvres qui affrontent plus d’obstacles de s’enfuir de leur sort.
Ceci dit que l’impact du programme, en traitant une population dont la proportion des pauvres
augmente perpétuellement, dépasse le contrefactuel calculé ; d’où l’impact positif marquant
de ce programme.
Toutefois, un arsenal d’obstacles et de contraintes influence la performance ainsi que
l’efficience de ce programme (et l’INDH de manière globale).
Le faible degré voire l’absence de la convergence entre les différents acteurs et aux différents
échelons. Au niveau national, le Comité stratégique constituant la plus haute institution
chargée de l’INDH et comportant les départements ministériels impliqués dans ce plan
national (Education, santé, équipement, agriculture, habitat, eau et électricité) ne se réunit plus
afin d’articuler les visions et surmonter les entraves émergentes. Au niveau local, le niveau de
déconcentration impacte négativement les projets portés ou cofinancés par les services
extérieurs de l’État dans la mesure où ses services ne détiennent pas le pouvoir décisionnel
pour affecter les ressources financières et humaines sur lesquelles ils se sont engagés. Ainsi
un bon nombre de projets non opérationnels est dû au fait que ces partenaires n’honorent pas
leurs engagements, et qui ont fait objet de conventions signées avant le démarrage des projets.
La même remarque concerne beaucoup de collectivités territoriales vis-à-vis des projets mis
en place dans leurs ressorts territoriaux et auxquels elles sont partenaires.
La dispersion de la population et des groupements d’habitats (douars) baisse la rentabilité et
l’utilité sociale des projets initiés. Cette dispersion est aggravée par les logiques électorales et
politiciennes restreintes qui règnent dans quelques communes rurales ; chose qui conduit à un
effritement et une prolifération des microprojets au détriment de projets consistants et intégrés
sur le plan communal. Le résultat est des constructions achevées mais souvent non
opérationnels ou dans les meilleurs cas en deçà des aspirations des bénéficiaires.
La faiblesse des capacités techniques et managériales de quelques porteurs et/ou gestionnaires
de projets affecte la qualité des prestations fournies, et parfois même la pérennité des projets.
Cette remarque concerne d’avantage les collectivités locales et les associations qui gèrent
notamment les centres multifonctionnels, Dour Talib et Taliba21
, le transport scolaire, et
l’adduction en eau potable, etc.
La non disponibilité de budget de fonctionnement stable et régulier dans la majorité des
projets initiés dans le cadre de l’INDH, remet en cause la qualité de services voire la pérennité
de ces projets. En vertu du cadre général de l’INDH et des conventions des projets, les
charges de fonctionnement sont assurées par les partenaires de l’INDH. Pour y remédier,
l’INDH a autorisé l’allocation de 10% du montant global du projet aux besoins de
fonctionnement pour les premières années de démarrage, pourtant le souci de durabilité
nécessite une réflexion approfondie ainsi qu’une forte implication des partenaires.
21
Centres d’accueil réservés aux étudiants.
207
Concernant les Activités Génératrices de Revenus (AGRs), un nombre important de
coopératives se sont inscrites plus dans une logique d’imitation loin de la créativité et
l’innovation ; le résultat est une production peu diversifiée et moins concurrentielle qui se
heurte aux problèmes de commercialisation voire de viabilité. De surcroit, dans le monde
rural se sont les moins pauvres qui bénéficient de ces projets puisqu’il exige un apport
pécuniaire de 30% du montant global du projet ; un montant qui n’est pas à la portée d’une
large couche des plus pauvres au niveau communal. Loin de la contrainte financière, l’accès
de ces derniers aux AGRs s’affronte à une myriade d’obstacles structurels liés au manque
d’idées, d’estime de soi, et de capacités requises pour le montage et la gestion desdites
activités. Ceci crée davantage d’inégalités au sein même des communes rurales. Pour y faire
face, l’INDH a abaissé l’apport du porteur de projet à 10% dans quelques cas, et une grande
réflexion est en cours pour garantir plus d’accès des plus pauvres aux AGRs.
Conclusion
Le Maroc a déployé dans les dernières années un grand effort pour gagner la bataille contre la
pauvreté, un effort couronné par la réalisation de beaucoup des Objectifs du Millénaire pour le
Développement en 2015, notamment l’objectif de réduction de l'extrême pauvreté et la faim.
De plus, entre 2001 à 2014, la pauvreté monétaire au niveau national a connu une chute
significative de 15,3% à 4,8%.
Quant à l’INDH, elle avait des importants impacts sur le développement humain vu les
moyens financiers, humains et institutionnels qu’elle a mobilisée. Ainsi, elle a permis
l’amélioration de l’accès aux services sociaux de base et la dynamisation des Activités
Génératrices de Revenus à travers le tissu associatif et coopératif, notamment dans les zones
rurales.
Toutefois, presque un rural sur dix vit toujours en situation de pauvreté et en termes de
développement humain le Maroc occupe la 123ème position, sur 188 pays étudiés dans le
classement du PNUD22
.
Ceci est dû majoritairement à la prévalence de l’analphabétisme qui touche 47,7% de la
population rurale (32% au niveau national), la faible convergence et gouvernance aux
différents niveaux, ainsi que la forte dispersion de la population dans les zones rurales chose
qui réduit la performance et la réalisation des économies d’échelle sur le plan socio-
économique.
Le volet formation doit acquérir une attention particulière afin de combler les lacunes dont
souffrent notamment les associations gestionnaires des centres d’accueil afin d’améliorer
leurs services et mieux répondre aux attentes des bénéficiaires. Le renforcement des capacités
des coopératives et des autres organisations professionnelles porteuses des activités
génératrices de revenus s’avère une nécessité impérieuse pour améliorer la compétitivité et
assurer la durabilité de ses structures de l’économie sociale et solidaire.
22Programme des Nations Unies pour le Développement. (2016). “Rapport sur le développement humain : le développement
humain pour tous”.
208
Par ailleurs, la problématique du budget de fonctionnement nécessite une analyse minutieuse
et une réflexion enrichissante par les différentes parties prenantes afin d’apporter des
solutions pertinentes et pérennes aux soucis de la qualité et de la durabilité.
En guise de conclusions, l’INDH est appelée à consolider ses acquis et résultats ainsi que
doubler les efforts avec ses partenaires pour faire face aux enjeux de l’accessibilité, l’équité,
la performance et la pérennité.
Bibliographie
Ouvrage :
Perroux F., (1969). Le Pain et la Parole,Cerf, Paris.
Perroux, F. (1990). Dictionnaire économique et social, Hatier, Paris.
Articles scientifiques :
Berthélemy, J.C, Thuilliez J. (2013). « Santé et développement : une causalité
circulaire », Revue d'économie du développement, 2(21), p. 119-147. DOI :
10.3917/edd.272.0119. URL: http://www.cairn.info/revue-d-economie-du-developpement-
2013-2-page-119.htm.
Fougère, D.(2010).« Les méthodes économétriques d'évaluation », Revue française des
affaires sociales1, p. 105-128.
Gasper, D. (2005). «Securing humanity» .The Journal of Human Development, 6(2), p. 221-
245.
Givord, P. (2014). «Méthodes économétriques pour l’évaluation de politiques publiques»,
Economie & prevision, 204-205, p. 1-28.
Mincer, J. (1958). «Investment in Human Capital and Personal Income Distribution», The
Journal of Political Economy, 66 (4), p. 281-302.
Perroux, F., (1952). «Note sur les coûts de l’homme», Économie appliquée, 5(1), p. 139-150.
Sen, A. (1989) .«Development as Capabilities Expansion», Journal of Development Planning,
19, p. 41-58.
Rapports :
Banque Mondiale. (2011). «L’évaluation d’impact en pratique».
Coordination Nationale de l’INDH. (2016). «Bilan des réalisations de l’INDH 2005-2015».
Coordination Nationale de l’INDH. (2015). «Bilan global de l’INDH 2005-2014».
Haut Commissariat au Plan. (2016). «Note de synthèse extraite de l’étude «Dynamique des
inégalités sociales et territoriales et de la pauvreté 2001-2014 au Maroc».
209
OMS. (1946) .«Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé». [en ligne], p1 (page
consultée le 05/01/2018) http://apps.who.int/gb/bd/PDF/bd47/FR/constitution-fr.pdf?ua=1.
Programme des Nations Unies pour le Développement. (1997). «Rapport mondial sur le
développement humain”.
Programme des Nations Unies pour le Développement. (2001). «Rapport mondial sur le
développement humain».
Programme des Nations Unies pour le Développement. (2016). «Rapport sur le
développement humain : le développement humain pour tous».
Ravallion M. (1992).«Poverty Comparaisons, A Guid to Concepts and Method», LSMS,
Working Paper n° 88.
Sites web :
www.banquemondiale.org
www.indh.gov.ma
www.hcp.ma