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60 . L'OISEAU magazine n° 115 L'ACTION DU TRIMESTRE LPO HAUTE-SAVOIE Sauvons brucellose, encore appelée fièvre de Malte, ou fièvre ondulante, est une maladie contagieuse à déclaration obligatoire qui peut rester longtemps asymptomatique. Cette maladie résis- tante assez répandue dans le monde animal touche un large éventail d'ani- maux, tant domestiques que sauvages. Chez l'animal, les principaux symp- tômes sont l'avortement et la polyarth- rite. Les animaux porteurs deviennent LA Depuis octobre 2013, dans le massif du Bargy, en Haute-Savoie, sur un effectif annoncé de 350 à 500 individus, 234 bouquetins ont été abattus. Il s'agit pourtant bien là d'une espèce protégée et non chassable. Tous ont fait l'objet d'abattages dits sanitaires, du fait de l'épizootie de brucellose qui a été mise en évidence début 2012 dans un élevage bovin du Grand-Bornand, ainsi que sur deux cas humains. les derniers bouquetins du Bargy ! excréteurs de la bactérie et en conta- minent éventuellement d'autres, par voie vénérienne, ou via leurs fluides corporels. Les pierres à sel utilisées sur les alpages peuvent notamment concentrer l'infection, ainsi que les zones de pâtu- rage souillées par des résidus infectés si elles sont communes à plusieurs espèces. Chez l'humain, la contamination se fait par contact direct avec les ani- maux infectés, plus rarement par voie respiratoire, ou par la consommation de produits laitiers non pasteurisés, comme le fromage frais ou sérac ; ce qui s'est passé au Grand-Bornand. Prise à temps, la brucellose se traite par antibiotiques, faute de quoi elle peut devenir chronique et invalidante pour les articulations en particulier. La France est indemne de brucellose bovine depuis 2005. Lorsque qu'une in- fection est identifiée dans un élevage, les © Jérémy Calvo

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60 . L'OISEAU magazine n° 115

L'ACTION DU TRIMESTRE LPO HAUTE-SAVOIE

Sauvons

brucellose, encore appelée fièvre de Malte, ou fièvre ondulante, est

une maladie contagieuse à déclaration obligatoire qui peut rester longtemps asymptomatique. Cette maladie résis-tante assez répandue dans le monde animal touche un large éventail d'ani-maux, tant domestiques que sauvages.

Chez l'animal, les principaux symp-tômes sont l'avortement et la polyarth-rite. Les animaux porteurs deviennent

LA

Depuis octobre 2013, dans le massif du Bargy, en Haute-Savoie, sur un effectif annoncé de 350 à 500 individus, 234 bouquetins ont été abattus. Il s'agit pourtant bien là d'une espèce protégée et non chassable. Tous ont fait l'objet d'abattages dits sanitaires, du fait de l'épizootie de brucellose qui a été mise en évidence début 2012 dans un élevage bovin du Grand-Bornand, ainsi que sur deux cas humains.

les derniers bouquetins du Bargy !

excréteurs de la bactérie et en conta-minent éventuellement d'autres, par voie vénérienne, ou via leurs fluides corporels. Les pierres à sel utilisées sur les alpages peuvent notamment concentrer l'infection, ainsi que les zones de pâtu-rage souillées par des résidus infectés si elles sont communes à plusieurs espèces.

Chez l'humain, la contamination se fait par contact direct avec les ani-maux infectés, plus rarement par voie

respiratoire, ou par la consommation de produits laitiers non pasteurisés, comme le fromage frais ou sérac ; ce qui s'est passé au Grand-Bornand. Prise à temps, la brucellose se traite par antibiotiques, faute de quoi elle peut devenir chronique et invalidante pour les articulations en particulier.

La France est indemne de brucellose bovine depuis 2005. Lorsque qu'une in-fection est identifiée dans un élevage, les

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animaux séropositifs sont abattus, voire tout le troupeau. Mais dans le monde sauvage, il n'y a aucun exemple avéré d'éradication d'une maladie par tenta-tive d'abattage total d’une population.

La brucellose du Bargy, un risque à prendre au sérieux, mais très limité Le dernier foyer de brucellose connu remonte à 1999 dans un cheptel domes-tique du secteur du Grand-Bornand ; la souche identifiée à l'époque était Bru-cella melitensis Biovar 3. La bactérie a été transmise aux bouquetins, qui auraient constitué un "réservoir silencieux non contaminant" jusqu'à sa réapparition en 2012 dans l'élevage du Grand-Bornand. Une enquête sérologique à grande échelle a été effectuée fin 2012 sur 12 118 animaux domestiques du

secteur, sans mettre en évidence d'autres foyers d'infection du cheptel domes-tique. C'est ce qui permet aux experts d'affirmer que la contamination in-terspécifique est rare, et probablement fortuite dans le cas qui nous occupe1.

Les expertises menées en 2013 sur quelques dizaines de bouquetins mon-trent que ceux de plus de 5 ans sont les plus atteints : alors que la prévalence moyenne de l'infection est estimée en 2013 à 35 % pour l'ensemble de la population du massif, les animaux de 5 ans et plus ont des taux d'infection de 33 % pour les mâles et de 72 % chez les femelles. Le Préfet de Haute-Savoie demande alors un abattage total. Après avis de l'ANSES2, qui conclut que son "analyse ne permet pas de confirmer la nécessité de mettre en œuvre dans l’urgence les actions

d’abattage envisagées", le ministre de l'Environnement ordonne l'abattage préventif de tous les bouquetins de 5 ans et plus, opération qui a commencé les 1er et 2 octobre 2013 par un abattage massif de 197 animaux, sans aucun contrôle sérologique post-mortem, et qui se poursuit de manière plus occa-sionnelle depuis lors. De nouveaux tests sérologiques ont été effectués au prin-temps afin d'évaluer la prévalence de l'infection dans la population restante ; de leur analyse dépendra en grande partie le sort des bouquetins.

Sur la page de gauche, un bouquetin mâle adulte de douzième année. Ci-dessus, une étagne et son cabri.

1. Pour une position d'experts sur le sujet, lire D. Gauthier & JM Gourreau dans Le Courrier de la Nature n° 280.2. Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail.

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Ci-contre, l'autocollant réalisé dans le cadre de la campagne

pour sauver les bouquetins du Bargy.

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La LPO de Haute-Savoie, en première ligne sur ce dossier avec la FRAPNA, estime qu'après la réduction massive du foyer d'infection effectuée en 2013, dans le but de protéger les troupeaux domestiques et les activités pastorales, ainsi que la population des bouquetins elle-même, il est totalement injustifié d'abattre de manière indiscriminée des animaux sauvages parfaitement sains. Nous avons sollicité la nouvelle ministre de l'Environnement pour que ces ani-maux emblématiques soient préservés.

Capra Ibex, un modèle de sobriété énergétique et d'intelligence sociale Les bouquetins dépensent leur éner-gie de manière très mesurée. En général, les joutes entre mâles pour déterminer la hiérarchie de dominance sexuelle se déroulent bien avant la période du rut, qui a lieu en décembre et début janvier. Les positions respectives sont fixées pendant les périodes de temps clément, quand les ressources alimentaires sont encore abondantes et que la déperdition calorifique est limitée par la douceur des températures. La hiérarchie ainsi déterminée est mémorisée socialement jusqu'à la période du rut.

La stratégie de fuite des bouquetins suit un principe d'économie énergétique similaire : fuite rapide, mais limitée à quelques dizaines de mètres dans des barres rocheuses inaccessibles à leurs prédateurs. Jusqu'à l'invention des armes de jet telles que l'arbalète, et des armes à feux, cette stratégie les a proté-gés de l'homme. Ce n'est plus le cas.

Animaux grégaires au comportement social élaboré, les mâles se regroupent en hardes, puis en groupes mixtes im-portants à la période du rut. Les groupes

familiaux de femelles et de petits sont généralement constitués de cabris avec trois générations d'étagnes, grand-mère, mère, fille, sauf après la mise bas, où

des nurseries sont formées. Depuis les abattages d'une bonne partie de la population de bouquetins de 5 ans et plus sur le massif du Bargy, on voit des groupes de trois à quatre cabris encadrés par seulement une ou deux femelles, les autres ayant très probablement été abattues. L'abattage par tranches d'âges, outre le fait qu'il conduit à éliminer une assez forte proportion d'animaux sains, affecte fortement l'organisation sociale des bouquetins et réduit la capacité de survie des jeunes. C'est une des raisons pour lesquelles nous appelons les pou-voirs publics à stopper immédiatement l'abattage des animaux sains.

JEAN-PIERRE CROUZATLPO & FRAPNA HAUTE-SAVOIE

Plus de 40 000 signatures ont déjà été collectées pour dire non à l'abattage

des bouquetins du Bargy

Jeune cabri de première année.

Les jeunes bouquetins sont très vite à l'aise sur des rochers extrêmement pentus, grâce à leurs sabots type "chaussons d'escalade"

Plus d'informations : sauvonslesbouquetins.com

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