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Notes du mont Royal Cette œuvre est hébergée sur « No- tes du mont Royal » dans le cadre d’un exposé gratuit sur la littérature. SOURCE DES IMAGES Canadiana www.notesdumontroyal.com

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Notes du mont Royal

Cette œuvre est hébergée sur « No­tes du mont Royal » dans le cadre d’un

exposé gratuit sur la littérature.SOURCE DES IMAGES

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n 3;,- ;H.U Wh.) ’

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COLLECTION DES PLUS BELLES PAGES

RivaroLITTÉRATURE: UNIVERSALITE DE LA LANGUE EIuNgAISE;

VOLTAmE ET FONTENELLE; PETIT ALMANACH DE Nos GRANDS nommas;

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DISCOURS PRÉLIMINAIRE A UN DICTIONNAIRE DE LA LANGUE

FRANÇAISE. -- FRAGMENTS ET PENSÉES LITTÉRAIRES, POLITIQUES

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LETTRES, -- RIVAROLIANA. --- APPENDICE I DOCUMENTS;BIBLIOGRAPHIE,

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EXEMPLAIRE N° 3

91 Ô 34 7Jïîîfié

P205 xDroits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays, y compris

la Suède, la Norvège et le Danemark;

RIVAROL

Rivarol est à la fois très connu et très inconnu :très connu comme homme d’esprit, très inconnucomme écrivain, philosophe, homme politique. C’estque sa carrière a été coupée en deux parlla Révolu-

tion. Quand les temps calmes furent revenus, il étaitmort et la première partie de son œuvre fut oubliée,tandis que la seconde, qu’il n’était plus là pour défen-

dre, demeurait pour ainsi dire inédite, perdue en ungros in-quarto imprimé à Hambourg.

Ces deux tronçons du beau serpent ne se sont pasencore rejoints dans l’esprit des hommes. Pour laplupart Rivarol est demeuré un brillant causeur quirivalisait avec Chamfort; pour quelques autres, qui nevoient que le Rivarol de la Révolution, c’est un poli-

tique éloquent et clairvoyant, une sorte de Mallet du

Pan. .p Rivarol, à la vérité, fut un critique, et, comme tel,’ il critiqua successivement les œuvres, les hommes et

les idées qui passionnaient l’opinion.

t ’ a:l

Yl RIVAROLNé en 1753, il vint à Paris, vers l’âge de vingt ans,

mena d’abord la vie’obscure d’un jeune homme pau-

vre. Son esprit, ses manières agréables, la grâce deson visage lui valurent bientôt des relations et dansle monde des lettres et dans celui des salons. Il con-nut Voltaire, Buffon, d’Alembert, puis tous ceux quisuccédaient à ces grands hommes dans l’estime publi-

que; il trouva même qu’ils y prenaient trop de place,et cela éveilla son esprit critique. Jamais il ne consen-tit à être la dupe d’un La Harpe, d’un Thomas, d’un

Le Brun, d’un Garat. Il poussa même cette défianceun peu loin, et on peut lui reprocher d’avoir méconnu

Beaumarchais et madame de Staël : mais ses réser-ves n’étaient pas toutes d’ordre littéraire.

Le premier écrit de’Rivarol est une Lettre critique

sur le [même des Jardins, qui venait de paraître;Grimm y trouva beaucoup demécbanceté et beau-coup de vérité. En somme, sous une forme un peugauche, .c’était, formulée sur l’heure, l’opinion de la

postérité : l’abbé Delille y reçoit le premier des c0ups

sous lesquels devait, à la longue, il est vrai, succom-

ber sa gloire factice. ARivarol allait donner à la sienne une base assez

durable avec son Discours sur l’Unz’versalz’te’ de la, lan-

gue française, morceau écrit pour l’Académie deBer-

lin, qui le couronna.Ce discours, dont les parties his-torique et philologique ont nécessairement beaucoupvieilli, apparaît encore tel qu’une œuvre maîtresse et

RIVA ROI. V11qu’on ne lit pas sans un grand plaisir littéraire. Parbonheur, celui qui faisait un si juste éloge de la langue

A française écrivait lui-même dans un style d’une belle

originalité; nous en sommes plus satisfaits qu’on nele fut de son temps: le goût, en 1785, était bien gâté.

V Dans le même temps, il collaborait au Mercure deFrance, lançait de temps en temps quelque brochureamusante, quelques-unes de ces parodies où il excel-lait : Le Chou et le Navet (encore contre l’abbé); leSonge d’Athalz’e, pour ridiculiser Mm de Genlis, Gri-

mod de la Reynière, La Harpe, Garat, et bien d’au-tres ; le Récit duportz’er du sieur Caron de Beaumar-

chais, plaisanterie difficile à comprendre aujourd’hui.Tout cela lui avait déjà fait bien des ennemis, commeon peut le croire. Cependant, a ennuyé de leur petitnombre, dira plus tard une de ses victimes, Flins desOliviers, il attaqua tout le peuple littéraire à la fois».

Ce fut dans le Petit Almanach de nos grands hommespour l’année I 788.

Tout le monde faisait des vers. Jamais on ne vitd’époque plus poétique. La France, inactive, serépandait en odes et en bouquets, en stances, enénigmes et en chansons. Rivarol résolut de faire ledénombrement de tous ces « grands hommes », quise prenaientvvraimentt au sérieux et qui commençaient

à duper le public. Il ne faut pas s’y tromper, cetAlmanach, sous sa figure de plaisanterie, est uneœuvre de bonne Critique, de celles qui remettent à

vu RIYAROLleur place hommes et œuvres, une de ces opérationsdont la cruauté indispensable a presque toujoursd’heureuses suites.

La Révolution, qui vint l’année suivante, montre

d’ailleurs que, sous sa dédaigneuse ironie, Rivarolcachait un esprit d’une logique et d’une pénétration

rares. Il avait déjà faitses preuves d’excellent écrivain

dans sa traduction de l’Enfer de Dante, d’excellentphilosophe dans ses Lettres à M. Necker, à pr0pos deson livre sur l’Importance des idées religieuses, ilallait, dans le Journal Politique National, cumulerces deux talents, auquel un troisième s’ajoutait :’ le

talent de la critique politique. Au milieu de l’agita-tion universelle, il garde son sang-froid; parmi lesutopistes et les métaphysiciens, il garde sa raison pra- 4tique. Disciple de Montesquieu, il est le premier écri- ’vain français qui ait appliqué à l’histoire contempo-raine laméthode de l’Esprit des Lois. C’est un réaliste;

c’est un physicien.

On dira qu’il s’est trompé et que la France s’est

parfaitement tirée de l’anarchie où il la croyait enga-

gée pour très longtemps. Cela n’est pas certain; carl’anarchie politique n’a été vaincue que par le plus

terrible et le plus positif des physiciens : Napoléon.Mais laissons l’appréciation des événements poli-

tiques. Quelle que soit l’opinion que l’on professe, -

- on admirera dans Rivarol, avec la richesse du style, larichesse de la pensée. Mettons-nous en face de son

RIVAR 0L 1Xrécit des Journées d’octobre comme devant un récit

de l’histoire romaine et nous ne pourrons nous défen-dre au moins d’une profonde émotion esthétique.

Ces pages où des contemporains retrouvaient legénie de Tacite n’absorbaient pas Rivarol au point delui faire oublier qu’il avait de l’esprit. Il entremêlait

ses graves Résumés d’histoire, de petits articles des

plus piquants et des plus élégants; mais quand ilvoulait être tout à fait à son aise, il s’adressait aux

Actes des Apôtres. Dans ce long et amusant pam-phlet politique, cinq ou six morceaux appartiennentévidemment à Rivarol, et ce sont les meilleurs de lacollection. Il n’a presque jamais rien signé, maisjamais écrivain n’eut moins besoin de cette déclaration

de propriété. Après cent et quinze ans, dans ce fouil-

lis des Actes, on met la main sur le Rivarol avec uneparfaite certitude. La seule cause d’erreur, c’est qu’il

fut imité de toutes parts avec frénésie : Champcenetz,s’il n’était si jovial, pourrait parfois faire illusion. On

a cru voir la main de Champcenetz dans certainsarticles du Petit Almanach; peut-être la pourrait-onvoir aussi, ou celle de tels autres, dans tels passagesde Petit Dictionnaire des grands hommes de la Révo-lution : ce petit livre reste bien, comme le premier,l’œuvre de Rivarol, l’écrit’d’un homme doué à la fois

de beaucoup de bon sens et de beaucoup d’esprit.Lcsdeux ouvrages, le, littéraire et le politique, semblent,en bien des parties, rédigés de la semaine dernière :

X RIVAROLon y trouverait, si on était méchant, toutes sod’allusions à la littérature d’aujourd’hui, à la po

que d’aujourd’hui.

Avant de quitter la France, où sa position étaitvenue critique, Rivarol essaya de donner à Louis 3quelques conseils aussi sages que modérés : on;retrouva dans l’armoire de fer. En juin 1792 , il ga

Bruxelles, puis Londres, puis Hambourg, en I;puis Berlin, où il devait mourir, en 1801.

Son séjour à Hambourg fut très fécond. C’es

qu’il écrivit ce Discours prél im inaire à un d ictionnt

de la langue française, qui est un traité presque c4plet de philosophie. Encore n’est-ce qu’une’prem

partie l Œuvre un peu confuse, ce Discours prélinuire contient des chapitres admirables. CeluiAnimauœ, que l’on trouvera plus loin, est un cld’œuvre de raisonnement et de science. Rivarol ainles sciences ; il était très instruit, s’intéressait à tr

Malheureusement, toutes ses idées sortaient à la lil’une entraînant l’autre. Il ne manque de rien, ni

dées, ni de style, d’esprit encore moins, s’il est po I

blé; il manque un peu de talent de coordination.ne peut pas cependant dire de lui ce qu’il a ditLauraguais : « Ses idées sont dans sa tête comme.

carreaux de vitres en caisse : claires chacune à parobscures ensemble. » Rivarol n’est jamais obscur

est parfois un peu trop éblouissant.

De Voltaire à Chateaubriand, et parallèlemeni

RWAROL XIson ennemie, Mune de Staël, Rivarol estle meilleur écri-

vain français. On pourrait le définir un Chateaubriandvoltairien, si l’on ne songeait qu’au Discours prélimi-

naire, car il défend dans cet écrit à peu près lesmêmes

idées philos0phiques que Chateaubriand,et parfois cel-les de De Maistre; mais il est absolument incrédule. Ilsait que toutes les religions sont vraies, c’est-à-direfausses; aussiveut-ilqu’onles apprécie non d’après leur

vérité, mais d’après leur utilité. Ceux qui sont venus

après lui sont tombés dans leur propre piège; et, à force

de dire que la religion était utile, ont fini par la croirevraie; Rivarol est resté ferme jusqu’à la fin: voyez le

Dialogue entre un roi et un fondateur de religion.

On espère que le présent volume donnera une idée

assez exacte des diverses formes du talent de Rivarol.En plusieurs parties : il peut passer pour inédit z ja-mais par exemple on n’avait réimprimé ni ses articles

des Actes des Apôtres, ni son Petit dictionnaire; lesLettres, éparses en quatre ou cinq ouvrages documen-taires, sont réunies pour la première fois. La plu-part. des autres chapitres n’avaient pas revu le jourdepuis les Œuvres complètes (et qui ne le sont pas) de

151808. Il ne tient qu’au public d’ailleurs que les œu-

,vres réellement complètes de Rivarol puissent voirJe jour. S’il est de notre avis, s’il pense que Rivarol

test, en même temps qu’un penseur original et un cri-’ tique très sûr, l’un des plus agréables et des plus spi-

Il! RIVAROLrituels et des plus curieux écrivains français, il saura Âbien réclamer qu’on lelui donne tout entier. . ’

Pour donner un commencement de satisfaction auxcuriosités que ces Plus belles pages ne satisferaientpas encore entièrement,on a fait imprimer à partquelques-uns des opuscules de RivaroluLa place amanqué pour les donner complets et il était impos- Isible de les mutiler, alors que d’autres écrits suppor- g

tent cette opération sans faiblir.Relatant la manière dont le Petit Almanach «a été

composé et imprimé tout ensemble », Rivarol ajoute,en raillant : « La postérité apprendra tous ces détails

avec le plus vif intérêt. » Le moment du « vif inté-l

rêt » est enfin venu, ou plutôt revenu, pour Rivarol,et la postérité va le lire avec autant’de plaisir que ses.

contemporains. I

LIVRE PREMIER

LITTÉRATURE

DE L’UNIVERSALITÉ

DE LA LANGUE FRANÇAISE

SUJET proposé PAR L’ACADÉMIE DE 3mm, EN I783.

j Qu’est-ce qui a rendu. la langue française universelle?- Pourquoi mérite-elle cette prérogative ?

Est-il à présumer qu’elle la conserve ?

ne telle question proposée sur la langue latine auraité l’orgueil des Romains, et leur histoire l’eût consacréeme une de ses belles épo ues : jamais en effet pareilhom-:e ne .futrendu àun peup e plus poli, par une nation plus

irée. » -artemps sembleêtre venu de dire le monde français,me autrefois le. monde romain ; et la hilosophie, lasseoir leslhommes toujours divisés par es intérêts divers1 politique, se réjouit maintenant de les voir, d’un boutlierre à l’autre, se former en république sous la domi-Jn d’une même langue. S ectacle digne d’elle, que cetorme et; paisible empire es lettres qui s’étend sur laété peuples, et qui, plus durable et plus fort quepire des armes,s’accroît également des fruits dela paixastravages de la erre llais honora le universalité de la langue française,en reconnue et si hautement avouée dans notre Europe,

I

2 RIVAROLoffre pourtant un grand problème : elle tient a des causessi délicates et si puissantes à la fois, que, pour les démêler,ils’agit de montrerjusqu’à que] point la position dela France, ’sa constitution politique, l’influence de son climat, le géniede ses écrivains, le caractère de ses habitants, et l’opinionqu’elle a su donner d’elle au reste du monde, jusqu’à quelpoint, dis-je, tant de causes diverses ont pu se combiner ets’unir, pour faire à cette langue une fortune si prodigieuse.

Quand les Romains conquirent les Gaules, leur séjour etleurs lois y donnèrent d’abord la prééminence à la languelatine ; et quand les Francs leur succédèrent, la religionchrétienne, quijetait ses fondements dans ceux de la monar-chie,’ confirma cette prééminence. On parla latinà la cour,dans les cloîtres, dans les tribunaux etdansles écoles; maisles jargons que parlait le peuple corrompirent un peu cettelatinité, et en furent corrompus à leur tour.De ce mélangenaquit cette multitude de patois qui vivent encore dans nosprpvinces. L’un d’eux devait un jour être le langue fran-ça15e.

Il serait difficile d’assigner le moment où ces différentsdialectes se dégagèrent du celte, du latin et de l’allemand;on voit seulement qu’ils ont dû se disputer la souverainetédans un royaume que le système féodal avait divisé en tantde petits royaumes. Pour hâter notre marche, il suffira dedire que la France, naturellement partagée par la Loire,eut deux patois, auxquels on peut rapporter tous les autres,le Picard et le Provençal. Des princes s’exercèrent dansl’un et l’autre, et c’est aussi dans l’un et l’autre que furentd’abord écrits les romans de chevalerie et les petits poèmesdu temps. Du côté du midi florissaient les Troubadours,et du côté du nord les T rouveurs. Ces deux mots, qui aufond n’en sont qu’un, expriment assez bien la physionomiedes deux langues.

Si le provençal, ui n’a que des sons pleins, eût prévalu,il aurait donné au rançais l’éclat de l’espagnol et de l’ita-

lien; mais le midi de la France, toujours sans capitale etsans roi, ne put soutenir la concurrence du nord, et l’in-fluence du patois picard s’accrut avec celle de la couronne.C’est donc le génie clair et méthodi ne de ce jargon et saprononciation un peu sourde, qui dominent aujourd’huidans la langue française.

J .5. à .hLZ-t

«ses. -

LITTÉRATURE 3y Mais, quoique cette nouvelle langue eût été adoptée parla cour et par la nation, et que, dès l’an 1260, un auteuritalien (I)lui eût trouvé assez de charmes pour la préférer àla sienne, cependant l’église,l’université et les parlements larepoussèrent encore, et ce ne fut que dans le seizième siècle

’on lui accorda solennellement les honneurs dûs à uneangue légitime.

A cette époque, la renaissance des lettres, la découvertede l’Amérique et du passage aux Indes, l’invention de lapoudre et de l’imprimerie, ont donné une autre face auxem ires. Ceux qui brillaient se sont tout à coup obscurcis;et ’autres, sortant de leur obscurité, sont venus figurer àleur tour sur la scène du monde. Si du nord au midi unnouveau schisme a déchiré l’église, un commerce immensea jeté de nouveaux liens parmi les hommes. C’est avec lessujets de l’Afrique que nous cultivons l’Amérique, et c’estavec les richesses de l’Amérique que nous trafiquons en Asie.L’univers n’offrit jamais un tel spectacle. L’Europe surtoutest parvenue à un si haut degré de puissance que l’his-toire n’a rien à lui comparer; le nombre des capitales, lafréquence et la célérité des expéditions, les communica-tions publiques et particulières en ont fait une immenserépublique, et l’ont forcée à se décider sur le choix d’une

Ian ne. ’e choix ne pouvait donc tomber’ sur l’allemand; car,vers la fin du quinzième siècle et dans tout le cours duseizième, cette langue n’offrait pas un seul monument.Négligée par le peuple qui la parlait, elle cédait toujoursle pas à la langue latine. Comment donc faire adopter auxantres ce qu’on n’ose adopter soi-même? C’est des Allemandsque l’Europe apprit à négliger la langue allemande. Obser-vons aussi que l’Empire n’a pas joué le rôle auquel sonétendue et sa population l’appelaient naturellement;ce vastecorps n’eut jamais un chef qui lui fût proportionné, et danstous les temps cette ombre du trône des Césars, qu’onaffectait de montrer aux nations, ne fut, en effet, qu’uneombre. Or on ne saurait croire combien une langue em-

,unte ’éclat du prince et du peuple qui la parlent. Eti rsque enfin la maison d’Autriche, fière de toutes ses cou-ronnes, a pu faire craindre à l’Europe une monarchie uni-verselle, la politique s’est encore opposée à la fortune de la

4 RIVARULlangue tudesque. Charles-Quint, plus attaché à son sceptrehéréditaire qu’à un trône ou son fils ne pouvait monter,fit rejaillir l’éclat des Césars sur la nation espagnole.

A tant d’obstacles tirés de la situation de l’Empire, onpeut en ajouter d’autres fondés sur la nature même de laangine allemande; elle est trop riche ettrop dure à la fois.

N’ayant aucun rapport avec les langues anciennes, elle futpour l’Europe une langue-mère, et son abondance ef’fra ades têtes déjà fatiguées de l’étude du latin et du grec. Eneffet. un Allemand qui apprend la langue française ne fait,

pour ainsi dire, qu’y descendre, conduit par lalanguelatine: mais rien ne peut nous faire remonter du françaisà l’allemand : il aurait fallu se créer pour lui une nouvellemémoire, et sa littérature, il y a un siècle, ne valaitpas untel effort. D’ailleurs, sa prononciation gutturale choquatrop l’oreille des peuples du midi; et les imprimeurs alle-mands, fidèles à l’écriture gothique, rebutèrent des yeuxaccoutumés aux caractères romains.

On peut donc établir pour règle généraleque, si l’hommedu nord est appelé à l’étude des langues méridionales, ilfaut de longues guerres dansl’empire pour faire surmonteraux peuples du midi leur répugnance pour les langues sep-tentrionales. Le genre humain est comme un fleuve quicoule du nord au midi; rien ne peut le faire rebroussercontre sa source ; et voilà pourquoi l’universalité de lalangue française est moins vraie pour l’Espagne et pourl’Italie, que pour le reste de l’Europe. Ajoutez que l’Alle-magne a presque autant de dialectes que de capitales, ce .qui fait que ses écrivains s’accusent réciproquement depatavinité. On dit, il est vrai,que les plus distinguésd’entreeux ont. fini par s’accorder sur un choix de mots ’etide tour-nures, qui met déjà leur langue à l’abri decette accusation,mais qui le met aussi hors de la portée du peuple dans toutela Germanie.

Il reste à savoir jusqu’à quel point la révolution qui As’opère aujourd’hui dans lalittérature des Germains influerasur la réputation de leur langue. On peut seulement; pré-sumer que cette révolution s’est faite un peu tard, et queleurs écrivains ont repris les choses de trop chaut. Des poè-mes tirés de la Bible où tout res ire un air * patriarcal, etqui annoncent des mœurs admira les; n’auront de charmes

LITTÉRATURE 5que pour .une nation simple et sédentaire, presque sansports et sanscommeroe, etqu1 ne sera peut-être jamais réuniesous un même chef. L’Allemagne offrira longtemps le spec-tacle d’un peupleantique et modeste, gouverné par une foulede princes amoureux des modes et du langage d’une nationattrayante et polie. D’où il suit que l’accueil extraordinaireque ces princes et leurs académies ont fait à un idiomeétranger, est un obstacle de plus qu’ils opposent à leurlangue, et comme une exclusion qu’ils lui donnent.

La monarchie es agnole pouvait, ce semble, fixer le choixde l’Europe. Toute’lirillante de l’or del’Amérique, puissantedans l’empire, maîtresse des Pays-Bas et d’une partie del’Italie, les malheurs de François I" lui donnaient un nou-veau lustre. et ses espérancces s’accroissaient encore destroubles de la France et du mariage de Philippe Il avec lareine d’Angleterre. Tant de grandeur ne fut qu’un éclair.Charles-Quint ne put laisser a son fils la couronne impé-riale, et ce fils perdit la moitié des Pays-Bas. Bientôt l’ex-

ulsion des Maures et les émigrations en Amérique bles-sèrent l’Etat dans son principe, et ces deux grandes plaiesne tardèrent pas à paraître. Aussi, quand ce colosse futfrappé parRicbelieu, ne put-il résisteràla France, qui s’étaitcomme rajeunie dans les guerres civiles ; ses armées plièrentde tous côtés, sa réputation s’éclipsa. Peut-être. malgré ses

ertes, sa décadence eût été moins prompte en EurOpe, si saittérature avait pu alimenter l’avide curiosité des esprits

quise réveillait de toutes parts ; mais le castillan, substituépartout au patois catalan, comme notre picard l’avait été auprovençal, le castillan, dis-je, n’avait point cette galanteriemoresque dont l’Europe fut quelque temps charmée, et legénie national était devenu plus sombre. Il est vrai que laolie des chevaliers errants nous valut le Don Quichotte, et

que l’Espagne acquit un théâtre; il est vrai qu’on parlaitespagnol dans les cours de Vienne, de Bavière, de Bruxelles,de Naples et de Milan; que cette langue circulait en France,avec l’or dePhilippe, du temps de la ligue, et que le ma-riage de Louis XIlI avec une princesse espagnole maintintsi bien sa faveur que les courtisans la parlaient, et que les

eus de lettres empruntèrent la plupart de leurs pièces authéâtre de Madrid ; mais le génie de’Cervantes et celui deLope de Vega ne suffirent pas long-temps à nos besoins.

6 RIVAROLLe premier, d’abord traduit, ne perdit pointa l’être; le se-cond, moins parfait, fut bientôt imité et surpassé. On s’ap-perçut donc que la magnificence de la langue espagnole et’orgueil national cachaient une pauvreté réelle. L’Espagne,

n’ayant que le signe de la richesse, paya ceux qui commer-çaient pour elle, sans songer qu’il faut toujours les payerdavantage. Grave, peu communicative, subjuguée r desprêtres, elle fut pour l’Europe ce qu’était autrefois a mys-térieuse Egypte, dédaignant des voisins qu’elle enrichissait,et s’enveloppant du manteau de cet orgueil politique qui afait tous ses maux.

On peut dire que sa position fut un autre obstacle auprogrès de sa langue. Le voyageur qui la visite y trouveencore les colonnes d’Hercule, et doit toujours revenir surses pas ; aussi l’Espagne est elle, de tous les royaumes,celui qui doit le plus difficilement réparer ses pertes lors-qu’il est une fois dépeuplé.

Mais, en supposant que l’Espagne eût conservé sa prépon-dérance politique, il n’est pas démontré que sa langue fûtdevenue la langue usuelle de l’Europe. La majesté de saprononciation invite à l’enflure, et la simplicité de la penséese perd dans la longueur des mots et sous la plénitudedes désinences. On est tenté de croire qu’en espagnolla conversation n’a plus de familiarité , l’amitié plusd’épanchement, le commerce de la vie plus de liberté, etque l’amoury est toujours un culte. Char es-Quintlui-même,qui parlait plusieurs langues, réservait l’espagnol pour desjours de solennité et pour ses prières. En effet, les livresascétiques y sont admirables, et il semble que le commercede l’homme à Dieu se fasse mieux en espagnol qu’en toutautre idiome. Les proverbes y ont aussi de la réputation,parce qu’étant le fruit de l’expérience de tous les peuples,et le bon sens de tous les siècles réduit en formules. l’es-pagnol leur prête encore une tournure plus sententieuse ;mais les proverbes ne quittent pas les lèvres du petit peuple.Il paraîtdonc probable que ce sont et les défauts et les avan-tages de la langue espagnole, qui l’ont exclue à la fois de

l’universalité. s .Mais comment l’Italie ne donna-t-elle pas sa langue àl’Europe? Centre du monde depuis tant de siècles, on étaitaccoutumé à son empire et à ses lois. Aux Césars qu’elle

LITTÉRATURE 7n’avait plus avaient succédé les pontifes, et la religion luirendait constamment les états que lui arrachait le sort desarmes. Les seules routes praticables en Europe condui-saient à Rome; elle seule attirait les vœux et l’argentde mus les peuples, parce qu’au milieu des ombres épais-ses qui couvraient l’Occident, il y eut tou’ours, danscette capitale, une masse de lumières; et quan les beaux-arts, exilés de Constantinople, se réfugièrent dans nos cli-mats, l’Italie se réveilla la première à leur approche,et futune seconde fois la Grande-Grèce. Comment s’est-il doncfait qu’à tous ces titres elle n’ait pas ajouté l’empire du lan-

gage?C’est que dans tous les temps les papes ne parlèrent et

n’écrivirent’qu’en latin; c’est que. pendant vingt siècles,

cette langue régna dans les républiques, dans es cours,dans les écrits et dans les monuments de l’Italie, etque le toscan fut toujours appelé la langue vulgaire.Aussi, quand le Dante entreprit d’illustrer ses malheurs etses vengeances, hésita-t-il long-temps entre le toscan et lelatin. Il voyait que sa langue n’avait pas, même dans lemidi de I’Europe, l’éclat et la vogue du provençal; et il

usait, avec son siècle, que l’immortalité était exclusive-ment attachée à la langue latine. Pétrarque et Boccace eu-rent les mêmes craintes; et, comme le Dante, ils ne purentrésister à la tentation d’écrire la plupart de leurs ouvragesen latin. Il est arrivé pourtant le contraire de ce qu’ils espé-raient; c’est dans leur langue maternelle que leur nom vitencore; leurs œuvres latines sont dans l’oubli. Il est mêmeà présumer que, sans les sublimes conceptions de ces trois

ands hommes, le patois des Troubadours aurait disputéile pas à la langue italienne, au milieu même de la courpontificale établie en Provence.

Quoi qu’il en soit, les poèmes du Dante et de Pétar ne,brillants de beautés antiques et modernes, ayant fixé lad-miration de l’Europe, la langue toscane acquit de l’empire.A cette époque, le commerce de l’ancien monde passait toutentier par les mains de l’Italie : Pise, Florence, et surtoutVenise et Gênes, étaient les seules villes opulentes de l’Eu-rope. C’est d’elles qu’il fallut, au temps des croisades, em-prunter des vaisseaux pour passer en Asie, et c’est d’ellesque les barons français, anglais et allemands, tiraient le

’ l

8 RIVAROLeu de luxe u’ils avaient. La langue toscane régna sur

toute la Mé iterranée. Enfin, le beau siècle des Médicisarriva. Machiavel débrouilla le chaos de la politique, etGalilée sema les germes de cette philosophie, qui n’a portédes fruits que pour la France et le nord de l’Europe. Lasculpture et la peinture prodiguaient leurs miracles, et l’ar-chitecture marchait d’un pas égal.Rome se décora de chefs-d’œuvre sans nombre, et l’Arioste et le Tasse portèrentbientôt la plus douce des langues à sa plus haute perfectiondans des 0èmes qui seront toujours les premiers monu-ments de l’Italie et le charme de tous les hommes.Qui pou-vait donc arrêter la domination d’une telle langue?

D’abord,une cause tirée de l’ordre même des événements:cette. maturité trop précoce. L’ESpagne, toute olitique etguerrière,parut ignorer l’existence du Tasse et e l’Arioste:l’Angleterre, théologique et barbare, n’avait pas un livre,etla France se débattait dans les horreurs de la Ligue. Ondirait que l’Europe n’était pas prête, et qu’elle n’avait pas

encore senti le besoin d’une langue universelle.Une foule d’autres causes se présente. Quand la Grèce

était un monde, dit fort bien Montes uieu, ses plus petitesvilles étaient des nations : mais ceci ne put jamais s’ap li,-quer à l’Italie dans le même sens. La Grèce donna des oisaux barbares qui l’environnaient : et l’Italie, qui ne sut pas,à son exemple, se former en république fédérative, fut tourà tour envahie par les Allemands, par les Espagnols et parles Français. Son heureuse position et sa marine auraientpu la soutenir et l’enrichir; mais, dès qu’on eut doublé lecap de Bonne-Espérance, l’Océan reprit ses droits, et lecommerce des Indes ayant passé tout entier aux Portugais,l’Italie ne se trouva plus que dans un coin de l’univers.Pri-vée de l’éclat des armes et des ressources du commerce, illui restait sa langue et ses chefs-d’œuvre : mais, par unefatalité singulière, le bon goût se perdit en Italie, au mo-ment où il se réveillait en France. Le siècle des Corneille,des Pascal et des Molière fut celui d’un cavalier Marin,d’un Achillini et d’une foule d’auteurs plus méprisablesencore : de sorte que, si l’Italie avait conduit la France, ilfallut ensuite que la France ramenât l’Italie.

Cependant l’éclat du nom français augmentait; l’Angle-terre se mettait sur les rangs, et l’Italie se dégradait de plus

LITTÉRATURE 9en plus. On sentit généralement qu’un pays, qui ne four-nissait plus que des baladins à l’Europe, ne donnerait ja-mais assez de considération à sa langue. On observa quel’Italie, n’a ant pu, comme la Grèce, ennoblir ses différentsdialectes, e le s’en était trop occupée. A cet égard, la Franceparaît plus heureuse : les patoxs y sont abandonnés auxprovinces, et c’est sur eux que le petit peuple exerce sescaprices, tandis que la langue nationale est hors de sesatteintes.

Enfin, le caractère même de la langue italienne fut ce quil’écarta le lus de cette universalité qu’obtient chaque jourla langue rançaise. On sait quelle distance sépare en Italiela poésie de la prose : mais ce qui doit étonner, c’est que levers y ait réellement plus d’âpreté, ou, pour mieux dire,moins de mignardise que la prose. Les lois de la mesure etde l’harmonie ont forcé le poète à tronquer les mots, et parces syncopes fréquentes, il s’est fait une langue à part,qui,outre la hardiesse des inversions, a une marche plus rapideet plus ferme. Mais la prose, composée de mots dont toutesles lettres se prononcent, et roulant toujours sur des sonspleins, se traîne avec trop de lenteur ; son éclat est mono-tone ; l’oreille se lasse de sa douceur, et la langue de samollesse: ce qui-peut venir de ce que chaque mot étant har-monieux en particulier, l’harmonie du tout ne vaut rien.La pensée la plus vigoureuse se détrempe dans la prose ita-lienne. Elle est souvent ridicule et presque insupportabledans une bouche virile, parce qu’elle ôte à l’homme cetteteinte d’austérité qui doit en être inséparable. Comme lalangue allemande, elle a des formes cérémonieuses, enne-mies de la conversation, et qui ne donnent pas assez bonneo inion de l’espèce humaine. On y est toujours dans la fâ-

h c euse alternative d’ennuyer ou d’insulter un homme. Enfin,il paraît difficile d’être naïf ou vrai dans cette langue, et laplus simple assertion y est toujours renforcée du serment.Telssont les inconvénients de la prose italienne, d’ailleurssi riche et si flexible. Or, c’est la prose qui donne l’empire àune Ian e, parce qu’elle est tout usuelle : la poésie n’estqu’un o jet de-luxe.’

Malgré tout cela. on sent bien que la patrie de Raphaël,de Michel-Ange-etvdu Tasse ne sera-jamais sans honneurs.C’est dans ce climat fortuné que la plus mélodieuse des lan-

:0

10 RIVAROLgués s’est unie à la musique des anges, et cette allianceleur assure un empire éternel. C’est la que les chefs-d’œuvreantiques et modernes, et la beauté du ciel attirent le v0 a-geur, et que l’affinité des langues toscane et latine le aitpasser avec transport de l’Enéide à la Jérusalem. L’Italie,environnée de puissances qui l’humilient, a toujours droitde les charmer ; et sans doute que, si les littératures an-glaise et française n’avaient éclipsé la sienne, l’Europe au-rait encore accordé plus d’hommages à une contréedeuxfois mère des arts.

Dans ce rapide tableau des nations, on voit le caractèredes peuples et le génie de leur langue marcher d’un paségal, et l’un est toujours garant de l’autre. Admirable ro-priété de la parole, de montrer ainsi l’homme tout entier !

Des philosophes ont demandé si la pensée peut existersans parole ou sans quelqu’autre signe : non sans doute.L’homme, étant une machine très harmonieuse, n’a pu êtrejeté dans le monde, sans s’y établir une foule de rapports.La seule présence des objets lui a donné des sensations.quisont nos idées les plus simples, et qui ont bientôt. amenéles raisonnements. Il a d’abord senti le plaisir et la dou-leur, et il les a nommés; ensuite il a connu et nemmé l’er-reuret la vérité. Or, sensation et raisonnement, voilà dequoi tout l’homme se compose : l’enfant doit sentir avantde parler, mais il faut qu’il parle avant de penser. Choseétrange! Si l’homme n’eût pas créé des signes, ses idéessimples et fugitives, germant et mourant tour à tour,n’au-raient pas laissé plus de traces dans son cerveau que lesflots d’un ruisseau qui passe n’en laissent dans ses yeux.Mais l’idée simple a d’abord nécessité le signe, et bientôt lesigne a fécondé l’idée; chaque mot a fixé la sienne, ettelle est leur association, que si la parole estune pensée quise manifeste, il faut que la pensée soit une parole intérieureet cachée (2).L’homme qui parle est donc l’homme qui pensetout haut ; et si on peut juger un homme par ses paroles,on peut aussi juger une nation par son langage. La formeet le fond des ouvrages dont chaque peuple se vante n’yfont rien : c’est d’après le caractère et le génie de leur lan- ’gue qu’il faut prononcer : car presque tous les écrivains sui-vent dés règles et des modèles, mais une nation entièreparle d’après son génie.

LITTÉRATUI! a IlOn demande souvent ce que c’est que le génie d’une lan-

gue, et il est difficile de le dire. Ce mot tient à des idéestrès composées ; il a l’inconvénient des idées abstraites etgénérales; on craint, en le définissant, de le généraliserencore. Mais afin de mieux rapprocher cette expression detoutes les idées qu’elle embrasse, on eut dire que la dou-ceur ou l’âpreté des articulations, l’abondance ou la raretédes voyelles, la prosodie et l’étendue des mots, leurs filia-tions, et enfin le nombre et la forme des tournures et desconstructions u’ils prennent entr’eux sont les causes lesplus évidentes du génie d’une langue; et ces causes se lientau climat et au caractère de chaque peuple en particulier.

Il semble, au premier coup-d’œil, que, les proportions del’organe vocal étant invariables, elles auraient dû produirepartout les mêmes articulations et les mêmes mots, et qu’onne devrait entendre qu’un seul langage dans l’univers. Maissi les autres proportions du corps humain, non moins inva-riables, n’ont pas laissé de changer de nation à nation, etsi les pieds, les pouces et les coudées d’un peuple ne sont

as ceux d’un autre, il fallait aussi que l’organe brillant etcompliqué de la parole éprouvât de grands changementsde peuple en peuple, et souvent de siècle en siècle. La na-ture, qui n’a qu’un modèle pour tousles hommes, n’a pour-tant pas confondu tousles visages sous une même physiono-mie. Ainsi, quoiqu’on trouve les mêmes articulations radi-cales chez des peuples différents, les langues n’en ont pasmoins varié comme la scène du monde; chantantes et volup-tueuses dans les beaux climats, âpres et sourdes sous unciel triste, elles ont constamment suivi la répétition et lafréquence des mémés sensations.

Après avoir expliqué la diversité des langues parla naturemême des choses, et fondé l’union du caractère d’un peu-ple et du énie de sa langue sur l’éternelle alliance de laparole et e la pensée, il est temps d’arriver aux deux peu-ples qui nous attendent, et qui oivent fermer cette lice desnations : peuples chez qui tout diffère, climat, langage,gouvernement, vices et vertus; peuples voisins et rivaux,

i, après avoir disputé trois cents ans, non à qui auraitlem ire, mais à qui existerait, se disputent encore la gloiredes ettres, et se partagent depuis un siècle les regards del’univers.

12 RIVAROI.L’An ileterrc, sous un ciel nébuleux, et’ séparée du restedu mon e, ne parut qu’un exil aux Romains, tandis quelaGaule, ouverte à tous les peuples, et jouissant du ciel de laGrèce, faisait les délices des Césars z première différenceétablie par la nature, et d’où dériveune foule d’autres diffé-

rences. Ne cherchons pas ce qu’était la nation anglaise,lorsques répandue dans les belles provinces,de France, ado-ptant notre langue et nos mœurs, elle n’offrait pas unephysionomie distincte; Dl dans les temps où, consternéedparle despotisme de Guillaume le Conquérant ou des Tu or,elle donnait à ses voisins des modèles d’esclavage ; maisconsidérons-la dans son île, rendue à son propre génie,parlant sa propre langue, florissante de ses lois, s’asseyantenfin à son véritable rang en Europe.

Par sa position et par la supériorité de sa marine, ellepeut nuire à toutes les nations et les braver sans cesse.Comme elle doit toute sa splendeur à l’Océan qui l’envi-renne, il faut qu’elle l’habite, qu’elle le cultive, qu’elle sel’approprie ; il faut que cet esprit d’inquiétude et d’impa-tience, auquel elle doit sa liberté, se consume au dedans s’iln’éclate au dehors. Mais, quand l’agitation est intérieure,elle peut être fatale au prince, qui, pour lui donner unautre cours, se hâte d’ouvrir ses orts ; et les pavillons del’Espagne,de la France ou de la Ho lande sont bientôt insul-tés. Son commerce, qui s’est ramifié dans les quatre partiesdu monde, fait aussi qu’elle peut être blessée de mille ma-nières différentes, et les sujets de guerre ne lui manquentjamais : de sorte qu’à toute l’estime qu’on ne peut refuseràune nation puissante et éclairée, les autres peuples joignent .4toujours un peu de haine, mêlée de crainte et d’envie.

Mais la France, qui a dans son sein une subsistanceassurée et des richesses immortelles, agit contre ses intérêtset méconnaît son génie, quand elle se livre à l’esprit deconquête. Son influence est si grande dans la paix et dansla guerre que, toujours maîtresse de donner l’une ou l’au-tre, il doit lui sembler doux de tenir dans ses mains labalance des empires, et d’associer levrepos de, l’Europe auSien. Par sa situation, elle tient àtousles états : par sajuste-étendue, elle touche à sesvéritahles limites...Il faut doncquela France conserve et qu’elle soit conservée : ,ceequi la

1st1ngue de tous les peuples anciens et modernes. Le com..-

LITTÉRATURE 13merce des deux mers enrichit ses villes maritimes et vivifieson intérieur; et c’est de ses productions qu’elle alimenteson commerce, si bien que tout le monde a besoin de laFrance,quand l’Angleterre a besoin de tout le monde. Aussi,dans les cabinets de l’Europe, c’est plutôt l’Angleterre ni

4. inquiète, c’est plutôt la France qui domine. Sa capitzile,en oncée dans les terres, n’a point eu, commeles villes ma-ritimes, l’affluence des peuples; mais elle a mieux senti etmieux rendu l’influence de son pr0pre génie, le goût de sonterroir, l’es rit de son gouvernement. Elle a attiré par sescharmes, p us que par ses richesses; elle n’a pas eu le me»lange, mais le choix des nations; les gens d’esprit y ontabondé, et son empire a été celui du goût. Les Opinions exa-gérées du nord et du midi viennent y prendre une teinte quiplaît à tous. Il faut donc que la France craigne de détourner,par la guerre, l’heureux penchant de tous les peuples pourelle: quand on règne par l’opinion,a-t-on besoin d’un autreem ire?

V e su pose ici que, si le principe du gouvernement s’af-faiblit c ez l’une des deux nations, il s’afl’aiblit aussi dansl’autre, ce qui fera subsister longtemps le parallèle et leurrivalité: car, si l’Angleterre avait tout son ressort, elleserait trop remuante ; et la France serait trop à craindre,si elle dé loyait toute sa force. Il y a pourtant cette obser-vation à aire, que le monde politique peut changer d’atti-tude, et la France n’y perdrait pas beaucoup. Il n’en est

ainsi de l’Angleterre, et je ne puis prévoir jusqu’à quelpoint elletombera, pour avoir plutôt songé à étendre sa

omination que son commerce.La différence de peuple à peuple n’est pas moins forte

d’homme à homme. L’Anglais, sec et taciturne, joint, àl’embarras et à la timidité de l’homme du nord, une impa-tience, un dégoût de toute chose, qui va souvent jusqu’àcelui de la vie ; le Français a une saillie de gaîté qui nel’abandonne pas ; et à quelque. régime que leurs gouverne-ments les aient mis l’un et l’autre, ils n’ont jamais perdu

- cette remière empreinte. Le Français cherche le côté plai-sant e ce monde, l’Anglais semble toujours assister à undrame ; de sorte que ce qu’on a dit du Spartiate et de l’A-thénien se prend ici à la lettre; on ne gagne pas plus àennuyer un Français qu’à divertir un Anglais. Celuirci

l RIVAROLvoyage pour voir, le Français pour être vu. On n’allait pasbeaucoup à Lacédémone, si ce n’est pour étudier son gou-vernement ; mais le Français, visité par toutes les nations,peut se croire dispensé de voyager chez elles, comme d’ap-prendre leurs langues, puisqu’il retrouve partout la sienne.En Angleterre, les hommes vivent beaucoup entre eux ;aussi les femmes, qui n’ont pas quitté le tribunal domesti-que, ne peuvent entrer dans le tableau de la nation : maison ne peindrait les Francais que de profil, si on faisait letableau sans elles ; c’est de leurs vices et des nôtres, de lapolitesse des hommes et de la coquetterie des femmes,qu’estnée cette galanterie des deux sexes qui les corrompt tour àtour,et qui donne à la corruption même des formes si bril-lantes et si aimables. Sans avoir la subtilité qu’on reprocheaux peuples du midi, et l’excessive simplicité du nord, laFrance a la politesse et la grâce: et non seulement elle a lagrâce et la politesse, mais c’est elle qui en fournitles modè-les dans les mœurs, dans les manières et dans les parures.Sa mobilité ne donne pas à l’Europe le temps de se lasserd’elle. C’est pour toujours plaire que le Français changetoujours ; c’est pour ne pas trop se déplaire à lui-même quel’Anglais est contraint de changer. On nous reproche l’im-prudence etla fatuité; mais nous en avons tiré plus departi,que nos ennemis de leur flegme et de leur fierté: la olitesseramène ceux qu’a choqués a vanité; il n’est point ’accom-dément avec l’orgueil. On peut d’ailleurs en appeler auFrançais de quarante ans, et l’Anglais ne gagne rien auxdélais. Ilest bien des moments où le Français pourrait payerde sa personne ; mais il faudra toujours que l’Anglais payede son argent ou du crédit de sa nation. Enfin, s’il est pos-sible que le Français n’ait acquis tant de grâces et de goûtqu’aux dépens de ses une ars, il est encore très possible quel’Anglais ait perdu les siennes, sans acquérir ni le goût niles grâces.

Quand on compare un peuple du midi à un peuple dunord, on n’a que des ’extrêmes à rapprocher ; mais laFrance, sous un ciel tempéré, changeante dans ses manié-res et ne pouvant se fixer elle-même, parvient pourtant àfixer tous les goûts. Les peuples du nord viennent y cher-cher et trouver l’homme du midi, et les peuples du midi ycherchent et y trouvent l’homme du nord. Plus mi cavalier

Lll’l’ÉltAT’t’RE 15

Francès, c’est le chevalier Français quime plaît, disait,il ya huit cents ans, ce Frédéric ler qui avait vu toutel’Europe etqui était notre ennemi.Que devient maintenant le reproche,81 souvent fait au Français, qu’il n’a pas le caractère del’Anglais ? Ne voudrait-on pas aussi qu’il parlât la mêmelangue? La nature, en lui donnant la douceur d’un climat,ne pouvait lui donner la rudesse d’un autre : elle l’a faitl’homme de toutes les nations, et son gouvernement neS oppose pomt au vœu de la nature.

avais d’abord établi que la parole et la pensée, le géniedes langues et le caractère des peuples se suivaient d’unmême pas : je dois dire aussi que les langues se mêlententre e les, comme les peuples; qu’après avoir été obscurescomme eux, elles s’élèvent et s’ennoblissent avec eux : une

figue riche ne fut jamais celle d’un peuple ignorant etv pauvre. Mais, si les langues sont comme les nations, il est

encore très vrai que les mots sont comme les hommes. Ceuxqui ont dans la société une famille et des alliances étenduesy ont aussi une plus grande consistance. C’est ainsi que les

7mots, qui ont de nombreux dérivés et qui tiennent à beau-coup d’autres, sont les remiers mots d’une langue et neviei liront jamais; tandis que ceux qui sont isolés, ou sansharmonie, tombent comme des hommes sans recommanda-tion et sans ap ui. Pour achever le parallèle, on peut direque les uns et es autres ne valent qu’autant qu’ils sont àleur lace. J’insiste sur cette analogie, afin de prouver com-bien e goût qu’on a dans l’Europe pour les Français estinséparable de celui qu’on a pour leur langue; et combienl’estime dont cette langue jouit est fondée sur celle quel’on sent pour la nation.’ Voyons maintenant si le génie et les écrivains de la langueanglaise auraient pu lui donner cette universalité qu’ellen a point obtenue du caractère etde la réputation du peuple1111i a parle. Opposons sa langue à la nôtre, sa littérature ànotre littérature, et justifions le choix de l’univers.

S’il est vrai qu’il n’y eut jamais ni langage ni peuple sansmélange, il n’est pas moins évident qu’après une conquêteil faut du temps pour consolider le nouvel état, et pourbien fondre ensemble les idiomes et les familles des vain-queurs et des vaincus. Mais on est étonné, quanduon voxtqu’il a fallu plus de mille ans à la langue française pour

16 mvumt.arriver à sa maturité. On ne l’est pas moins quand on songeà la prodigieuse quantité d’écrivains qui ont fourmillé danscette langue depuis le cinquième siècle jusqu’à la fin duseizième, sans compter ceux qui écrivaient en latin. Quel-

ues monuments, qui s’élèvent encore dans cette mer d’ou-bli, nous offrent autant de français différents. Les change-ments et les révolutions dela langue étaient si brusques quele siècle ou on vivait dispensait toujours de lire les ouvra-ges du siècle précédent. Les auteurs se traduisaient mutuel-alament de demi-siècle en demi-siècle, de atois en patois,de vers en prose : et dans cette longue galérie d’écrivains,il ne s’en trouve pas un qui n’ait cru fermement que la lan-gue était arrivée pour lui à sa dernière perfection. Pasquieraffirmait de son temps qu’il ne s’y connaissait pas, ou queRonsard avait fixé la langue française.

A travers ces variations, on voit cependant combien lecaractère de la nation influait sur elle : la construction dela phrase fut toujours directe et claire. La langue françaisen’eut donc que deux sortes de barbaries à combattre : celledes mots et celle du mauvais goût de chaque siècle. Lesconquérants français, en adoptant les expressions celtes etlatines, les avaient marquées chacune à son coin : on eutune langue pauvre et décousue, ou tout fut arbitraire, et ledésordre régna dans la disette. Mais, quand la monarchieacquit plus de force et d’unité, il fallut refondre ces mon-naies éparses et les réunir sous une empreinte générale,conforme d’un côté à leur origine. et de l’autre au. géniemême de la nation; ce qui leur donna une physionomiedouble. On se fit une langue écrite et une langue parlée,-etce divorce de l’orthographe et de la prononciation dure;encore (3).Enfin le bon goût ne se développatout entierquedans la perfection même de la société : la maturité du Ian--gage et celle de la nation arrivèrent ensemble.

En effet, quand l’autorité publique est affermie, que lesfortunes sont assurées, les privilèges confirmés, les droitséclaircis, les rangs assignés; quand la nation heureuse etrespectée jouit de la gloire au dehors,de la paix et du comamerce au dedans; lorsque dans la capitale un peuple im-mense se mêle toujours sans jamais se confondre a alorsoncommence à, distinguer autant de nuances (lamie-langageque dans la société; la délicatesse desprocédés amène celle

h LITTÉRATURE 17des propos; les métaphores sont plus justes, les comparai-sons lus nobles, les plaisanteries plus fines, la paroleétant e vêtement de la pensée, on veut des formes plus élé-

antes. C’est ce qui arriva aux premières années du règnee Louis XIV.Le poids del’autorl té royale fit rentrer chacun

à sa lace ; on connut mieux ses droits et ses plaisirs;l’orei le, plus exercée, exigea une prononciation plus douce;

,une foule d’objets nouveaux demandèrent des expressionsnouvelles: la langue française fournit à tout, et l’ordres’établit dans l’abondance.

Il faut donc qu’une langue s’agite jusqu’à ce qu’elle serepose dans son propre génie, et ce principe explique unfait assez extraordinaire. C’est qu’aux treizième et qua-torzième siècles, la langue française était plus près d’unecertaine perfection, qu’elle ne le fut au seizième. Ses élé-ments s’étaient déjà incorporés; ses mots étaient fixes, et laconstruction de ses phrases, directe et régulière : il nemanquait donc a cette langue que d’être parlée dans unsiècle plus heureux, et ce temps approchait. Mais, contretout espoir, la renaissance des lettres la fit tout à couprebrousser vers la barbarie. Une foule de oètes s’élevèrentdans son sein, tels que les Jodelle, les Baïf’; et les Ronsard.Epris d’Homère et de Pindare, et n’ayant pas digéré lesbeautés de ces grands modèles, ils s’imaginèrent que lanation s’était trompée jusque-là, et que .la langue françaiseaurait bientôt le charme du grec, si on y transportait lesmots composés, les diminutifs, les péjoratifs, et surtout lahardiesse des inversions,choses précisément opposées à songénie.Le ciel fut porte-flambeau,Jupiter, lance-tonnerre;on eut des agnelets doucelels; on fit des vers sans rime,des hexamètres, des pentamètres; les métaphores basses ougigantesques se cachèrent sous un style entortillé ; enfin,ces oètes arlèrent grec en français, et de tout un siècle onne s enten it point dans notre poésie. C’est sur leurs subli-mes échasses ue le burlesque se trouva naturellementmonté, quandcle bon goût vint à paraître.

A- cette même époque, les deux reines Médicis donnaientune grande vogue à l’italien, et les courtisans tâchaient del’introduire de toute art dans la Ian ne française. Cetteirruption du grec et e l’italien la trou la d’abord; mais,comme une liqueur déjà saturée, elle ne put recevoir ces

18 mvxaonnouveaux éléments : ils ne tenaient pas; on les vit tomberd’eux-mêmes.

Les malheurs de la France, sous les derniers Valois,retardèrent la perfection du langage; mais la fin du règnede Henri IV et celui de Louis XÎII, ayant donné à la nationl’avant-août de son triomphe, la poésie française se mon-tra (l’abord sous les auspices de son propre génie. La proseplus sage ne s’en était pas écartée comme elle; témoinsAmyot, Montaigne et Charron ; aussi, pour la première fois,peut-être, elle précéda la poésie qui la devança toujôurs.

Il manque un trait à cette faible esquisse de la langueromance ou gauloise. On est persuadé que nos pères étaienttous naïfs; que c’était un bienfait deleurs temps et de leursmœurs, et qu’il est encore attaché à leur langage z si bienque certains auteurs empruntent aujourd’hui leurs tournu-res, afin d’être naïfs aussi. Ce sont des vieillards qui, nepouvant parler en hommes, bégayentpour paraître enfants;le naïf qui se dégrade, tombe dans le niais. Voici donccomment s’explique cette naïveté gauloise.

Tous les peuples ont le naturel : il ne peut y avoir unsiècle très avancé qui connaisse et sente le naïf. Celui quenous trouvons et que nous sentons dans le style de: nosancêtres l’est devenu pour nous; il n’était pour eux que lenaturel. C’est ainsi qu’on trouve tout naïf dans un enfantqui ne s’en doute pas. Chez les peuples perfectionnés et cor-rompus, la pensée a toujours un voile, et la modérationexilée des mœurs se réfugie dans le langage; ce qui le rendplus fin et plus piquant. Lorsque, parune Îieureuse absencede finesse et de précaution, la phrase montre la pensée tentenue, le naïf paraît. De même chez les peuples vêtus, une tnudité produit la pudeur; mais les nations qui vont nuessont chastes sans être udiques, comme les Gaulois étaientnaturels sans être naïfs. On pourrait ajouter que ce quinous fait sourire dans une expression antique n’eut rien deplaisant dans son siècle, et que telle épigramme chargée dusel d’un vieux mot eût été fort innocente il y a deux centsans. Il me semble donc qu’il est ridicule, quand on n’a pasla naïveté, d’en cm runter leslivrées: nos grands écrivainsl’ont trouvée dans eur âme, sans quitter leur langue, etcelui qui, pour être naïf, emprunte une phrase d’Amyot,demanderait, pour être brave, l’armure de Bayard.

LITTÉRATURE 19- C’est une chose bien remarquable qu’à quelque époquede la langue française qu’on s’arrête, depuis sa plus obs-cure origine jusqu’à Louis XIII, et dans quelque imperfec-tion qu’elle se trouve de siècle en siècle, elle ait toujourscharmé l’Eur0pe, autant que le malheur des temps l’a per-mis. Il faut donc que la France ait toujours eu une perfec-tion relative et certains agréments fondés sur la positionet sur l’heureuse humeur de ses habitants. L’histoirequiconfirme partout cette vérité,n’en dit pas autant de I’Ang e-

terre.Les Saxons, l’ayant conquise, s’v établirent, et c’est de

leur idiome et de l’ancien jargon u pays que se forma lalangue anglaise, appelée anglo-saœon. Cette langue futabandonnée au peuple, depuis la conquête de Guillaumejusqu’à Edouard Il], intervalle pendant lequel la cour etes tribunaux d’Angleterre ne s’exprimèrentqu’en français.

Mais enfin la jalousie nationale s’étant réveillée, on exilaune langue rivale que le génie anglais repoussait depuislongtemps. On sent bien que les deux langues s’étaientmêlées malgré leur haine; mais il faut observer que les

f mots français qui émigrèrent en foule dans l’anglais, etqui se fondirent dans une prononciation etune syntaxe nou-velles, ne furent pourtant pas défigurés. Si notre oreilleles méconnaît, nos yeux les retrouvent encore; tandis queles mots latins qui entraient dans les différents jargons del’Europe furent toujours mutilés, comme les obélisques etles statues qui tombaient entre les mains des barbares. Celavient de ce que les Latins ayant placé les nuances de ladéclinaison et de la conjugaison dans les finales des mots,nos ancêtres, qui avaient leurs articles, leurs pronoms etleurs verbes auxiliaires, tronquèrent ces finales qui leurétaient inutiles, et qui défiguraient le mot à leurs yeux.Mais dans les emprunts que les langues modernes se fontentre elles, le mot ne s’altère que dans la prononciation.

Pendant un espace de quatre cents ans, je ne trouve enAngleterre que Chaucer et Spencer. Le premier mérita,vers le milieu du quinzième Siècle, d’être appelé l’Homère

langlais : notre Ronsard le mérita de même; et Chaucer,aussi obscur que lui, fut encore moins connu. De Chaucerjusqu’à Shakespeare et Milton, rien ne transpire dans cetteile célèbre, et sa littérature ne vaut pas un coup d’œil.

20 RIVAROLMe voilà tout à coup revenu à l’époque où j’ai laissé lalangue française. La paix de Vervins avait appris à l’Eu-rope sa véritable position; on vit chaque état se placer àson rang. L’Angleterre brilla pour un moment de l’éclatd’Elisabeth et de Cromwel, et ne sortit pas du pédantisme;l’Espagne épuisée ne put cacher sa faiblesse ; mais la Francemontra toute sa force, et les lettres commencèrent sa gloire.

Si Ronsard avait bâti des chaumières avec des tronçonsde colonnes grecques, Malherbe éleva le premier des monu-ments nationaux. Richelieu, qui affectait toutes les gran-deurs, abaissait d’une main la maison d’Autriche, et del’autre attirait à lui le jeune Corneille, en l’honorant de sajalousie. Ils fondaient ensemble ce théâtre, où, jusqu’à l’ap-parition de Racine, l’auteur du Cid régna seul. Pressentantes accroissements et l’empire de la langue, il lui créait un

tribunal, afin de devenir par elle le législateur des lettres.A cette époque, une foule de génies vigoureux s’emparèrentde la langue française, et lui firent parcourir rapidementtoutes ses périodes, de Voiture jusqu’à Pascal, et de Racanjusqu’à Boileau.

Cependant l’Angleterre, échappée à l’anarchie, avaitrepris ses premières formes, et Charles II était paisiblementassis sur un trône teint du sang de son père. Shakespeareavait paru ; mais son nom et sa gloire ne devaient passerles mers que deux siècles après; il n’était pas alors, commeil l’a été depuis, l’idole de sa nation et le scandale de notrelittérature (A). Son génie agreste et populaire déplaisait auprince et aux courtisans. Milton, qui le suivit, mourutinconnu; sa personne était odieuse à la cour; le titre deson poème rebuta: on ne goûta point des vers durs, héris-sés de termes techniques, sans rime et sans harmonie, etl’Angleterre apprit un peu tard qu’elle possédait un poèmeépique. Il y avait pourtant de beaux esprits et des poètes àla cour de Charles : Cowley, Rochester, Hamilton, Wallery brillaient, et Shaftesbury hâtait les progrès de la pensée,en épurant la prose anglaise. Cette faible aurore se perdittout à coup dans l’éclat du siècle de Louis XIV: les beaux

jours de la France étaient arrivés. .Il y eut un admirable concours de circonstances. Les

grandes découvertes qui s’étaient faites depuis cent cin-quante ans dans le monde avaient donné à l’esprit humain

LITTÉRATURE 21une impulsion que rien ne pouvait plus arrêter, et cetteimpulsion tendait vers la France. Paris fixa les idées flot-

.fintes de l’Europe, et devint le foyer des étincelles répan-- dues chez tous les peuples. L’imagination de Descartesrégna dans la philosophie, la raison de Boileau dans lesvers; Bayle plaça le doute aux pieds de la vérité ; Bossuettonna sur la tête des rois; et nous comptâmes autant degenres d’éloquence que de grands hommes. Notre théâtresurtout achevait l’éducation de l’Europe : c’est la que legand Condé pleurait aux vers du grand Corneille, et que

ciné corrigeait Louis XIV. Rome tout entière parut surlascène française, et les passions parlèrent leur langage.Nous eûmes et ce Molière plus comique que les Grecs, et leTélémaque plus antique que les ouvrages des anciens, et ceLa Fontaine qui, ne donnant pas à la langue des formes sipures, lui prêtait des beautés plus incommunicables. Nosivres, rapidement traduits en Europe et même en Asie, de-

vinrent les livres de tous les pays, de tous les goûts et detous les âges. La Grèce, vaincue sur le théâtre, le fut encoredans des pièces fugitives qui volèrent de bouche en bouche,

’et’donnèrent des ailes à la langue française. Les premiersjournaux qu’on vit circuler en Europe étaient français, etne racontaient que nos v1ct01res et nos chefs-d’œuvre. C’estde nos académies qu’on s’entretenait, et la langue s’éten-dait par leurs correspondances. On ne parlait enfin que del’esprit et des grâces françaises : tout se faisait au nom dela; France, et notre réputation s’accroissait de notre réputa-

tion.-" Aux productions de l’esprit se joignaient encore celles de

l’industrie : des pompons et des modes accompagnaient nosmeilleurs livres chez l’étranger, parce qu’on voulait êtrepartout raisonnable et frivole comme en France. Il arriva

onc que nos voisins, recevant sans cesse des meubles, desémîtes et des modes qui se renouvelaient sans cesse man-Ïcîrent de termes pour les exprimer : ils furent comme

blés sous-l’exubérance de l’industrie française; si bienqu’il prit comme une impatience générale à l’Europe, et

eipour n’être plus séparé de nous, on étudia notre langueI Otous côtés.inI.)epnis cette éxplosion,la France a continué de donner unthéâtre, des habits, du goût, des manières, une langue, un

a

22 RIVAROLnouvel art de vivre et des jouissances inconnues aux étatsqui l’entourent : sorte d’empire qu’aucun peuple n’a jamaisexercé. Et comparez-lui, je vous prie, celui des Romainsqui semèrent partout leur langue et l’esclavage, s’engrais-sèrent de sang, et détruisirent jusqu’à ce qu’ils fussentdétruits!

On a beaucoup arlé de Louis XIV; je n’en dirai qu’unmot. Il n’avait ni e génie d’Alexandre, ni la puissance etl’esprit d’Auguste; mais pour avoir su régner, pour avoirconnu l’art d’accorder ce coup-d’œil, ces faibles récempen-

ses dont le talent veut bien se payer, Louis XIV marche,dans l’histoire de l’esprit humain, à côté d’Auguste et d’A-

lexandre. Il fut le véritable Apollon du Parnasse français;les poèmes, les tableaux, les marbres ne respirèrent quepour lui. Ce qu’un autre eût fait par politique, il le fit pargoût. Il avait de la grâce; il aimait la gloire et les plaisirs ;et je ne sais quelle tournure romanesque, qu’il eut dans sajeunesse, remplit les Français d’un enthoùsiasme qui gagnatoute I’EurOpe. Il fallut voir ses bâtiments et ses fêtes; etsouvent la curiosité des étrangers soudoya la vanité fran-çaise.En fondantàRome une colonie de peintres et de sculteurs, il faisait signer à la France une alliance erpétuell’eavec les arts. Quelquefois, son humeur magni que allaitavertir les princes étrangers du mérite d’un savant ou d’unartiste caché dans leurs états, et il en faisait l’honorableconquête. Aussi le nom français et le sien pénétrèrent jus-qu’aux extrémités orientales de 1’Asie.Notre langue dominacomme lui dans tous les traités; et quand il cessa de dicterdes lois, elle garda si bien l’empire qu’elle avait acquis,quece fut dans cette même langue, organe de son ancien despotisme, que ce prince fut humilié vers la fin de ses jours.Ses prospérités, ses fautes et ses malheurs servirent égale-ment à la langue; elle s’enrichit, à la révocation de ’éditde Nantes, de tout ce que perdait l’Etat.Les réfugiés empor-tèrent dans le nord leur haine pour le prince et leurs regretspour leur patrie, et ces regrets et cette haine s’exhalèrent

en français. IIl semble que c’est vers le milieu du règne de Louis XIVque le royaume se trouva à son plus haut point de grandeurrelative. L’Allemagne avait des princes nuls, I’Espa eétait divisée et languissante, l’ItaIie avait tout à crain e,

LITTÉRATURE 23l’Angleterre et l’Ecosse n’étaient pas encore unies, la Prusseetla Russie n’existaient pas. Aussi l’heureuse France, pro-fitant de ce silence de tous les peu les, triom ha dans laguerre et dans les arts. Elle occupa le monde (lie ses entre-;priseset de sa gloire.Pendant près d’un siècle. elle donna àtes rivaux et les jalousies littéraires, et les alarmes politi-

ues, et la fatigue de l’admiration. Enfin l’Europe, lasse’admirer et d’envier,voulut imiter : c’était un nouvel hom-

mage. Des essaims d’ouvriers entrèrent en France et enra portèrent notre langue et nos arts qu’ils propagèrent.

ers la fin du siècle, quelques ombres se mêlèrent à tantd’éclat. Louis XIV vieillissant n’était plus heureux. L’An-

gleterre se dégagea des rayons de la France et brilla de sapropre lumière. De grands esprits s’élevèrent dans sonSein. Sa langue s’était enrichie, comme son commerce, dela dépouille des nations. Pope, Addisson et Dryden en adou-cirent les sifflements, et l’anglais fut, sous leur plume,l’italien du nord. L’enthousiasme our Shakespeare et Mil-ton se réveilla; et cependant LocEe posait les bornes del’esprit humain, Newton trouvait la nature de la lumière etla loi de l’univers.

Aux yeux du sage, l’An leterre s’honorait autant par lahilosophie que nous par les arts; mais puisqu’il faut le’re, la place était prise : l’Europe ne pouvait donner deux

fois le droit d’aînesse, et nous l’avions obtenu; de sorte quetant de grands hommes, en travaillant pour leur gloire,illustrèrent leur patrie et l’humanité, plus encore que leur

n ne.A Sgupposons cependant que I’Angleterre eût été moinslente à sortir de la barbarie, et qu’elle eût précédé laFrance; il me semble que I’Europe n’en aurait pas mieuxadopté sa langue. Sa position n’appelle pas les voyageurs,et la France leur sert toujours de passage ou de terme.L’An-gleterre vient elle-même faire son commerce chez les diffé-i’ents peuples, et on ne va point commercer chez elle. Orcelui qui voyage ne donne pas sa langue; il prendrait plu-tôt celles des autres : c’est presque sans sortir de chez luiQue le Français a étendu la sienne."Î Supposons enfin que, par sa position, l’Angleterre ne setrouvât pas reléguée dans l’Océan, et u’elle eût attiré ses

Voisins; il est encore probable que sa angue et sa littéra-

24 RIVAROLturc n’auraient pu fixer le choix de I’Europe; car il n’espoint d’objection un peu forte contre la langue allemandequi n’ait encore de la force contre celle des Anglais : le.défauts de la mère ont passé jusqu’à la fille. Il est vrai aussque les objections contre la littérature anglaise deviennenplus terribles contre celle des Allemands : ces deux peuples’excluent l’un par l’autre.

Quoi qu’il en soit, l’événement a démontré que, la langui

latine étant la vieille souche, c’était un de ses rejetons qudevait fleurir en Europe. On peut dire, en outre, que sl’Anglais a l’audace des langues à inversions, il en a l’obscurité, et que sa syntaxe est si bizarre que la règle y aquelquefois moins d’applications que d’exce tions. On lutrouve des formes serviles qui étonnent dans a langue d’ulpeuple libre, et la rendent moins propre à la conversatim311e la langue française, dont la marche est si leste et s

égagée. Ceci vient de ce que les Anglais ont passé du pluextrême esclavage à la plus haute libertésommes arrivés d’une liberté presque démocratique,à unimonarchie presque absolue. Les deux nations ont gardé le:livrées de leur ancien état,et c’est ainsi que les langues Sonles vraies médailles de l’histoire.Enfin, la prononciation dlcette langue n’a ni la plénitude, ni la fermeté de la nôtre

J’avoue que- la littérature des Anglais offre des menuments de profondeur et d’élévation, qui seront l’éternehonneur de l’esprit humain : et cependant leurs livres n«sont pas devenus les livres de tous les hommes ; ils n’onpas quitté certaines mains; il a fallu des essais et de la précaution pour n’être pas rebuté de leur ton, de leur goût ede leurs formes.Accoutumé au crédit immense qu’il a danles affaires, l’Anglais semble porter cette puissance’fictividans les lettres, et sa littérature en a contracté un caractènd’exagération opposé au bon goût elle se sent trop de I’isoIement du peuple et de l’écrivain : c’est avec une ou (leu:sensations que quelques Anglais ont fait un livre L1désordre leur a plu, comme si l’ordre leur eût semblé tra]près de je ne sais quelle servitude : aussi leurs ouvragesqu’on ne lit pas sans fruit, sont trop souvent dépourvus d!charme; et le lecteur y trouve toujours la peine quel’écrivaii

ne s’est as donnée. j jr Mais e Français, ayant reçu desimpressions de tous le

olitique ; etque non

LlTTÉn nuai: 25ples de I’Europe, a placé le goût dansles opinions modé-

rées,-et ses livres composent la bibliothèque du genre hu-vmain. Comme les Grecs, nous avons eu toujours dans letemple de la gloire un autel pour les grâces, et nos rivauxles ont trop oubliées. On peut dire, par su position, que sile monde finissait tout à coup, pour faire p ace à un monde

i nouveau, ce n’est point un excellent livre anglais, mais unexcellent livre français qu’il faudrait lui léguer, afin de luidonner de notre espèce humaine une idée plus heureuse.A richesse égale, il faut que la sèche raison cède le pas à laraison ornée.v Ce n’est point l’aveugle amour de la patrie ni le préjugé

national qui m’ont conduit dans ce rapprochement desdeux peuples; c’est la nature et l’évidence des faits. Eh!

elle est la nation qui loue plus franchement que nous?’est-ce pas la France qui a tiré la littérature anglaise du

fond de son île? N ’est-ce pas Voltaire qui a présenté Lockeet même Newton à l’Europe? Nous sommes les seuls quiimitions les Anglais, et quand nous sommes las de notregoût, nous y mêlons leurs caprices. Nous faisons entrer’lne mode anglaise dans l’immense tourbillon des nôtres,etlemonde l’ad0pte au sortir de nos mains. Il n’en est pasainsi de l’Angleterre : quand les peuples du nord ont aiméla nation française,imité ses manières, exalté ses ouvrages,les Anglais se sont tus, et ce concert de toutes les voix n’aété troublé que par leur silence.V Il me reste à prouver que, si la langue française a con-guis l’empire par ses livres, ar l’humeur et par l’heureuseposition. du peuple qui la par e,elle le conserve par son pro-, génie. ’

3 Ce qui distingue notre langue des langues anciennes etmodernes, c’est l’ordre et la construction de la phrase. CetOrdre doit toujours être direct et nécessairement clair. Le

nçais nomme d’abord le sujet du discours, ensuite le.Ùerbe qui est l’action, et enfin l’objet de cette action.foilà la logique naturelle a tous les hommes; voilà ce quipustitue le sens commun. Or, cet ordre si favorable, siÉèœssaire au raisonnement, est presque toujours contraireÎ ux sensations, qui nomment le premier l’objet qui frappelepremier: c’est pourquoi tous les peuples, abandonnantl’ordre direct, ont eu recours aux tournures plus ou moins

2

26 ItIVARULhardies, selon que leurs sensations ou l’harmonie l’exi-

eaient; et l’inversion a prévalu sur la terre, parce quel’homme est plus impérieusement gouverné par les passionsque par la raison.

Le français, par un privilège unique, est seul resté fidèleà l’ordre direct, comme s’il était tout raison; et on a beau,

ar les mouvements des plus variés et toutes les ressourcesdu style, déguiser cet ordre, il faut toujours qu’il existe : etc’est en vain que les passions nous bouleversent et noussollicitent de suivre l’ordre des sensations: la syntaxe fran-çaise est incorruptible. C’est de là que résulte cette admi-rable clarté, base éternelle de notre langue. CE QUI N’ESTPAS CLAIR N’EST PAS FRANçAls; ce qui n’est pas clair estencore anglais, italien, grec ou latin. Pour apprendre leslangues à inversions, il suffit de connaître les mots et lesrégimes; pour apprendre la langue française, il faut encoreretenir l’arrangement des mots. On dirait que c’est d’unegéométrie toute élémentaire, de la simple ligne droite, ues’est formée la langue française; et que ce sont les cour eset leurs variétés infinies qui ont présidé aux langues grecqueet latine. La nôtre règle et conduit la pensée; celles-là seprécipitent et s’égarent avec elle dans le labyrinthe des sen-sations, et suivent tous les caprices de l’harmonie : aussifurent-elles merveilleuses pour les oracles, et lanôtre leseût absolument décriés.

Il est arrivé de là que la langue française a été moinspropre à la musique et aux vers qu’aucune langue ancienneou moderne : car ces deux arts vivent de sensations; lamusique surtout, dont la propriété est de donner la force àdes paroles sans verve, et d’affaiblir les expressions fortes :preuve incontestable qu’elle est elle-même une puissance à ’part, et qu’elle repousse tout ce qui veut partager avec elle’empire des sensations. Qu’Orphée redise sans cesse : J’ai j

perdu mon Eurydice, la sensation d’une phrase tant répétée ’sera bientôt nulle, et la sensation musicale ira toujourscroissant. Et ce n’est point, comme on l’a dit, parce que les .mots français ne sont as sonores, que la musique lesrepousse; c’est parce qu’il’s offrent l’ordre et la suite, quandle chant demande le désordre et l’abandon. La musique doitbercer l’âme dans le vague et ne lui présenter que desmotifs.Malheur à celle dont on dira qu’elle a tout définij! les

LITTÉRATURE 27accords plaîsent à l’oreille par la même raison que lessaveurs et les parfums plaisent au goût et à l’odorat.

Mais,si la rigide construction de la phrase gêne la marchedu musicien, limagination du poète est encore arrêtée parle génie circonspect de la langue. Les métaphores des poètesétrangers ont toujours un degré de plus que les nôtres ; ilsserrent le style figuré de plus res, et leur poésie est plushaute en couleur. ll est généralement vrai que les figuresorientales étaient folles; que celles des Grecs et des Latinsont été hardies, et que les nôtres sont simplement justes. Ilfaut donc que le poète français plaise par la pensée, par uneélégance continue, par des mouvements heureux, par desalliances de mots. C’est ainsi que les grands maîtres n’ontpas laissé de cacher d’heureuses hardiesses dans le tissud’un style clair et sage ; et c’est de l’artifice avec lequel ilsont su déguiser leur fidélité au génie de leur langue querésulte tout le charme de leur style. Ce qui fait croire quela langue française, sobre et timide, serait encore la der-nière des langues, si la masse de ses bons écrivains ne l’eûtpoussée au premier rang, en forçant son naturel.

"Un des plus grands problèmes qu’on puisse proposer auxhommes est cette constance de l’ordre régulier dans notre-langue. Je conçois bien que les Grecs et même les Latins,ayant donné une famille à chaque mot et de riches modifi-cations à leurs finales, se soient livrés aux plus hardiestournures pour obéir aux im ressions qu’ils recevaient desobjets ; tandis que, dans nos angues modernes, l’embarrasdes conjugaisons et l’attirail des articles, la présence d’unnom mal apparenté ou d’un verbe défectueux, nous fonttenir sur nos gardes, our éviter d’obscurité. Mais pourquoi,entre les langues mocl)ernes, la nôtre s’est-elle trouvée seulesi rigoureusement asservie à l’ordre direct? Serait-il vraique, par son caractère, la nation française eût souveraine-ment besoin de clarté?

Tous les hommes ont ce besoin sans doute, et je ne croi-rai jamais que dans Athènes et dans Rome les gens dupeuple aient usé de fortes inversions. On voit même es plusgrands écrivains se plaindre de l’abus qu’on en faisait enNers et en prose. Ils sentaient que l’inversion était l’uniquesource des difficultés et des équivoques dont leurs languesfourmillent; parce qu’une fois l’ordre du raisonnement

28 RIVAROLsacrifié, l’oreille et l’imagination, ce qu’il y a de plus capri-cieux dans l’homme, restent maîtresses du discours. Aussi,quand on lit Démétrius de Phalère, est-on frap é des élogesqu’il donne à Thucydide, pour avoir débuté, ans son «bis?toire, par une phrase de construction toute française. Cettephrase était élégante et directe à la fois, ce ui arrivaitrarement; car toute langue, accoutumée à la icence desinversions, ne peut plus porter le joug de l’ordre, sans

erdre ses mouvements et sa grâce.Mais la langue française, ayant la clarté par excellence,

a dû chercher toute son élégance et sa force dans l’ordredirect; l’ordre et la clarté ont dû surtout dominer dans laprose, et la prose a dû lui donner l’empire. Cette marcheest dans la nature; rien n’est en effet comparable à la prosefrançaise.

Il y a des pièges et des surprises dans les langues à in-versions ; le lecteur reste sus endu dans une phrase latine,comme un voyageur devant des routes qui se croisent ; ilattend que toutes les finales l’aient averti de la correspon-dance des mots ; son oreille reçoit, et son esprit, qui n’acessé de décomposer pour composer encore, résout enfin lesens de la phrase comme un problème. La prose françaisese développe en marchant, et se déroule avec grâce et no-blesse. Toujours sûre de la construction de ses phrases, elleentre avec plus de bonheur dans la discussion des chosesabstraites, et sa sagesse donne de la confiance à la pensée.Les philosophes l’ont adoptée, parce qu’elle sert de flambeauaux sciences qu’elle traite, et qu’elle s’accommode également,

et de la frugalité didactique, et de la magnificence quiconvient à l’histoire de la nature.

On ne dit rien en vers qu’on ne puisse très souvent expriqmer aussi bien dans notre prose, et cela n’est pas toujoursréciproque. Le prosateur tient plus étroitement sa pensée,et la conduit par le plus court chemin ; tandis que le versi-.ficateur laisse flotter les rênes, et va où la rime le pousse.Notre prose s’enrichit de tous les trésors de l’expression;elle poursuit levers dans toutes ses hauteurs, et ne laisse 4entre elle et lui que la rime. Etant commune à tous leshommes, elle a plus de juges que la versification, et sa dlfeficulté se cache sous une extrême facilité.» Le. versificateurenfle sa voix, s’arme de la rime et de la mesure,:et tire une

LXTTÉRATURE 29ansée commune du sentier vulgaire ; mais aussi que deaiblesses ne cache pas l’art des vers! La rose accuse le nu

de la pensée; il n’est pas permis d’être faib e avec elle. SelonDenis d’Halycarnasse, il y a une prose qui vaut mieux queles meilleurs vers, et c’est elle qui fait lire les ouvrages delongue haleine, parce qu’elle seule peut se charger (lesdétails, et que la variété de ses ériodes lasse moins que lecharme continu de la rime et e la mesure. Et qu’on necroie pas que je veuille par la dégrader les beauxvers;l’ima-

’ ation pare la prose, mais la poésie pare l’imagination.Éraison elle-même a plus d’une route, etla raison en versest admirable; mais le mécanisme du vers fatigue, sansoffrir à l’esprit des tournures lus hardies, dans notrelangue surtout, ou les vers semblent être les débris de laprose qui les a précédés ; tandis que, chez les Grecs. sau-vages plus harmonieusement organisés que nos ancêtres,les vers et les (lieux régnèrent longtemps avant la prose etles rois. Aussi peut-on dire que leur langue fut longtem schantée avant d’être parlée; et la nôtre, à jamais dénuée eprosodie, ne s’est dégagée qu’avec peine deses articulationsrocailleuses. De la nous est venue cette rime tant reprochéeàla versification moderne, et pourtant si nécessaire pourlui donner cet air de chant qui la distingue de la prose. Aureste, les anciens n’eurent-ils pas le retour des mesurescomme nous celui des sons; et n’est-ce pas ainsi que tousles arts ont. leurs rimes, qui sont les symétries ? Un jourcette rime des modernes aura de grands avantages pour la

ostérité; car il. s’élèvera des scoliastes qui compilerontborieusement toutes celles des langues mortes; et comme

il n’y a presque pas un mot qui n’ait passé par la rime, ilsfixeront par la une sorte de prononciation uniforme et plusou moins semblable à la nôtre, ainsi que par les lois de lamesure nous avons fixé la valeur des syllabes chez les Grecset les Latins.

Quoi qu’il en soit de la prose et des vers français, quandcette langue traduit, elle explique véritablement un auteur.Mais les langues italienne et anglaise, abusant de leursinversions, se jettent dans tous les moules que le texte leur

te ; elles se calquentsurlui, et rendent difficulté pourfficulté : je n’en veux pour preuve que Davanzati. Quand

le sens de. Tacite. se perd comme un fleuve qui disparaît

3o mvxuontout à cou sous la terre, le traducteur plonge et se dérobeavec lui. n les voit ensuite reparaître ensemble ; ils ne sequittent pas l’un l’autre, mais le lecteur les perd souventtous deux.

La prononciation de la langue française porte l’empreintede son caractère ; elle est plus variée que celle des languesdu midi, mais moins éclatante; elle est’ plus douce quecelles des langues du nord, parce qu’elle n’articule astoutes ses lettres. Le son de l’e muet, toujours semblableà la dernière vibration des corps sonores, lui donne uneharmonie légère qui n’est qu’à elle.

Si on ne lui trouve pas les diminutifs et les mignardisesde la langue italienne, son allure est plus mâle. Dégagéede tous les protocoles que la bassesse inventa pour la vanitéet la faiblesse pour le pouvoir, elle en est lus faite pour laconversation, lien des hommes et charme de tous les âges ;et puisqu’il faut le dire, elle est de toutes les langues laseule qui ait une probité attachée à son génie. Sûre,sociale,raisonnable, ce n’est plus la langue française, c’est la lan-gue humaine. Et voilà pourquoi les puissances l’ont appeléedans leurs traités; elle y règne depuis les conférences deNimègue ; et désormais les intérêts des peuples et les vo-lontés des rois reposeront sur une base plus fixe ; on nesèmera plus la guerre dans des paroles de paix.

Aristippe, ayant fait naufrage, aborda dans une îleinconnue, et voyant des figures de géométrie tracées sur lerivage, il s’écria que les dieux ne l’avaient pas conduit chezdes barbares. Quand on arrive chez un peuple, et qu’on ytrouve la langue française, on peut se croire chez, un peuple

oli. *P Leibnitz cherchait une langue universelle, et nous l’éta-blissions autour de lui. Ce grand homme sentait que lamultitude des langues était fatale au génie, et prenait tropsur la brièveté de la vie. Il est bon de ne pas donner tropde vêtements à sa pensée ; il faut, pour ainsi dire, voy erdans les langues, et, après avoir savouré le goût des p uscélèbres, se renfermer dans la sienne. 4; ”

Si nous avions les littératures de tous les peuples passés,comme nous avons celles des Grecs et des Romains, ne fau-drait-il pas que tant de langues se réfugiassent dans uneseule par la traduction ? Ce sera vraisemblablement le sort

L11 tétrarchie 3ldes langues modernes, et la nôtre leur offre un iort dans

[le naufrage. L’Europe présente une république fédérative,,’composée d’empires et de royaumes, et la plus redoutable’ iait jamais existé ; on ne peuten prévoir latin, et cepen-’ 32m. la langue française doit encore lui survivre. Les Étatsse renverseront, et notre langue sera toujours retenue dansla tempête par deux ancres, sa littérature et sa clarté, jus-

’au moment où, par une de ces grandes révolutions quiremettent les choses à leur premier point, la nature viennerenouveler ses traités avec un autre genre humain.

Mais sans attendre l’effort des siècles, cette langue nepeut-elle pas se corrompre ? Une telle question mèneraittrop loin; il faut seulement soumettre la langue françaiseau principe commun a toutes les langues.

Le langage est la peinture de nos idées, qui a leur toursont des images plus ou moins étendues de quelques partiesde la nature. Comme il existe deux mondes pour chaquehomme en particulier, l’un hors de lui, qui est le monde

hysique, et l’autre au dedans, qui est le monde moral ouintellectuel, il y a aussi deux styles dans le langage, lenaturel et le figuré. Le premier exprime ce qui se passehors de nous et dans nous par des causes physiques ; ilcompose le fond des langues, s’étend par l’expérience, etpeut être aussi grand que la nature. Le second exprime cequi se passe dans nous et hors de nous ; mais c’est l’imagi-nation qui le compose des emprunts qu’elle fait au premier.Le soleil brûle ; le marbre est froid ; l’homme désire lagloire ; voilà le langage ropre ou naturel. Le cœur brûlede désir;lu crainte le g ace; la terre demande la pluie:voilà le style figuré, qui n’est que le simulacre de l’autre,et qui double ainsi la richesse des langues. Commeil tiental’idéal, il paraît plus grand que la nature.

L’homme le plus dépourvu d’imagination ne parle paslongtemps sans tomber dans la métaphore. Or, c’est ce per-pétuel mensonge de la parole, c’est le style métaphorique’qui porte un germe de corruption. Le style nature ne peutQue que vrai ; et quand il est faux, l’erreur est de fait, etèos sens la corrigent tôt ou tard. Mais les erreurs dans lesfigures ou dans les métaphores annoncent de la faussetéLdans l’esprit et un amour de l’exagération quinese corr’geguères.

32 RIVAROLUne langue vient donc à se corrompre lorsque, confon-

dant les limites qui séparent le style naturel du figuré, onmet de l’affectation à outrer les figures età rétrécir e natu-rel qui est la base, pour charger d’ornements superflus l’édi-fice de l’imagination. Par exemple, il n’est pomt d’art oude profession dans la vie, qui n’ait fourni des expressionsfigurées au langage : on dit, la trame de la perfidie ; lecreuset du malheur; et on voit que ces expressions sontcomme à la porte de nos ateliers, et s’offrent à tous-lesyeux. Mais quand on veut aller plus avant, et qu’on dit,cette vertu ai sort du creuset n’a pas perdu tout sonalliage ; il uz’ faut plus de cuisson : lorsqu’on passe dela trame de la perfidie à la navette de la fourberie, ontombe dans l’affectation.

C’estce défaut qui perd les écrivains des nationsavancées;ils veulent être neufs, et ne sont que bizarres; ils tourmen-tent leur langue, pour que l’expression leur donne la pen-sée: et c’est pourtant celle-ci qui doit toujours amener l’au-tre. Ajoutons qu’il y a une seconde espèce de corruption,mais qui n’est pas à craindre pour la langue française;c’est la bassesse des fivures. Ronsard disait, le soleil per-ruqué de lumière; a voile s’enfle à plein ventre. Cedéfaut précède la maturité des langues, et disparaît aveclapolitesse.

Par tous les mols et toutes les expressions dont les artset les métiers ont enrichi les langues, il semble qu’elles aientpeu d’obligations aux gens de la cour et du monde; maissi c’est la partie laborieuse d’une nation qui crée, c’est lapartie oisive qui choisit et qui règne. Le travail et le repossont pour l’une, le loisir et les plaisirs pour l’autre. C’estau goût dédaigneux,c’est à l’ennui d’un peuple d’oisifs que

l’art a dû ses progrès et ses finesses. On sent en effet quetout est bon pour l’homme de cabinet et de travail, quine cherche le soir qu’un délassement dans les spectacleset les chefs-d’œuvre des arts; mais pourdes âmes excédéesde plaisirs et lasses de repos, il faut sans cesse des attitu-ides nouvelles et des sensations toujours plus exquises.

Peut-être est-ce ici le lieu d’examinerce reproche de pausevreté et d’extrême délicatesse, si souvent fait à la languefrançaise. Sans doute, il est difficile d’y tout exprimer avecnoblesse ; mais voilà précisément ce qui constitue en quels

LITTÉRATURE 33juasorte son caractère. Les styles sont classés dans notrepagne, comme les sujets dans notre monarchie. Deux ex-

ssions qui conviennent à la même chose ne conviennent.8 au mêmeordre de choses ; et c’est à travers cette hiérar-’e des styles que le bon goût sait marcher. On peut ran-

jer nos grands écrivains en deux classes. Les premiers,tels1 e Racine et Boileau, doivent tout à un travail obstiné;Eparlent un langage parfait dans ses formes, sans mé-inge, toujours idéal, toujours étranger au peuple qui leshuronne :ils deviennent les écrivains de tousles temps, ettordent bien peu dans la postérité. Les seconds, nés avectlus d’originalité, tels que Molière ou La Fontaine, revêtentsurs idées de toutes les formes populaires ; mais avec tantle sel, de goût et de vivacité, qu’ils sont à la fois les modè-as et les répertoires de leur langue. Cependant leurs cou-surs plus locales s’effacent à la ongue ; le charme du stylenêlé s’affadit ou se ord, et ces auteurs ne sont pourla os-érité qui ne peut es traduire, que les écrivains de l’eur:ation.ll serait donc aussi injuste de nejuger de l’abondancele notre langue que par le Télémaque ou Cinna seulement,ne de la population de la France parle petit nombre appelé1 bonne compagnie.

J’aurais pu examiner jusqu’à quel oint et par combien de.uances les langues passent et se dégradent en suivant le.éclin des empires. Mais il suffit de dire qu’après s’êtrelevées d’époque en époque jusqu’à la perfection, c’est enain qu’elles en descendent : elles y sont fixées par les bonsivres, et c’est en devenant langues mortes qu’elles se fontéellement immortelles. Le mauvais latin du Bas-Empiret’a-t-il pas donné un nouveau lustre à la belle latinité duiècle d’Auguste? Les grands écrivains ont tout fait. Sinotre France cesSait d’en produire, la langue de Racine etle Voltaire deviendrait une langue morte ; et si les Esqui-naux nous offraient toutà coup douze écrivains du premierbdre, il faudrait bien que les regards de l’Europe se tour-

sent vers cette littérature des Esquimaux. ’Terminons, il est temps, l’histoire déjà trop longue de lague française. Le choix de l’Europe est expliqué et jus-é: Voyons d’un coup d’œil comment, sous le règne deuis XV, il a été confirmé, et comment il se confirmecore de jour en jour.

34 RIVAROLLouis XIV, se survivant à lui-même, voyait commencerun autre siècle, etla France ne s’était reposéequ’un moment.La philosophie de Newton attira d’abord nos regards, etFontenelle nous la fit aimer en la. combattant. Astre douxet paisible, il régna pendant le crépuscule qui sépara lesdeux règnes. Son style clair et familier s’exerçait sur desobjets profonds, et nous déguisait notre ignorance. Montes-quieu vint ensuite montrer aux hommes les droits des unset les usnr ations des autres, le bonheur possible et lemalheur réel). Pour écrire l’histoire grande et calme de lanature, Buffon emprunta ses couleurs et sa majesté ; pouren fixer les époques, il se transporta dans des temps quin’ont point existé pour l’homme ; et là son imaginationrassembla plus de siècles que l’histoire n’en a depuis gravédans ses annales : de sorte que ce qu’on appelait le com-mencement du monde, et qui touchait pour nous aux ténè-bres d’une éternité antérieure, se trouve placé par lui entredeux suites d’événements, comme entre deux foyers delumière. Désormais l’histoire du globe précédera celle deses habitants.

Partout on v0 ait la philosophie mêler ses fruits aux.fleurs de la littérature, et l’Encyclopédie était annoncée. C’est

l’Angleterre qui avait tracé ce vaste bassin où doivent serendre nos diverses connaissances ; mais il fut creusé pardes mains françaises. L’éclat de cette entreprise rejaillit surla nation, et couvrit le malheur de nos armes. En mêmetemps, un roi du nord faisait à notre langue l’honneur queMarc-Aurèle et Julien firent à celle des Grecs : il aSsomaitson immortalité à la nôtre; Frédéric voulut être loué désFrançais, comme Alexandre des Athéniens. Au sein de tantde gloire, parut le phiIOSOphe de Genève. Ce que la moraleavait jusqu’ici enseigné aux hommes, il le commanda, etson impérieuse éloquence fut écoutée. Raynal donnait enfin;aux deux mondes le livre où sont pesés les crimes de l’unÏet les malheurs de l’autre. C’est là que les puissancesl’Europe sont appelées tour à tour, au tribunal de l’huma-t;nité, pour y frémir des barbaries exercées en Amériqueau tribunal de la philosophie, pour y rougir des préjugésqu’elles laissent encore aux nations ; au tribunal de la poli-ïtique, lpour y entendre leurs véritables intérêts, fondés sur

le bon eur des peuples. i

LITTÉRATURE 35Mais Voltaire régnait depuis un siècle, et ne donnait de

alâche ni à ses admirateurs, ni à ses ennemis. L’infatigableobilité de son âme de feu l’avait appelé à l’histoire fugi-’ e des hommes.ll attacha son nom àtoutes les découvertes,tous les événements,à toutes les révolutions de son temps,la renommée s’accoutuma à ne plus parler sans lui. Ayant

ballé le despotisme de l’esprit sous des grâces toujourslouvelles, il devint une uissance en Europe, et fut pourlle le Français par excellence, lorsqu’ilétait our les F ran-his l’homme de tous les lieux et de tous lias siècles. IlDignit enfin à l’universalité de sa langue, son universalitéersonnelle : et c’est un problème de plus pour la postérité.Ces grands hommes nous échappent, il est vrai, mais

ous vivons encore de leur gloire, et nous la soutiendrons,uisqu’il nous est donné de faire dans le monde physiqueas pas de éant qu’ils ont faits dans le monde moral. L’ai-lin vient e parler (6) entre les mains d’un Français, etimmortalité que les livres donnent à notre langue, desutomates vont la donner à sa prononciation. C’est enIrance (7) et à la face des nations que deux hommes seJnt trouvés entre le ciel et la terre, comme s’ils eussentJmpu le contrat éternel que tous les corps ont fait avec elle.s ont voyagé dans les airs, suivis des cris de l’admirationt des alarmes de la reconnaissance. La commotion qu’un:l spectacle a laissée dans les esprits durera longtemps ;lsi, par ses découvertes, la phySIque poursuit ainsi l’ima-ination dans ses derniers retranchements, il faudra bienn’elle abandonne ce merveilleux, ce monde idéal d’où ellelplaisait à charmer et à tromper les hommes : il ne res-lra plus à la poésie que le langage de la raison et desissions.ÎCependant l’AnËleterre, témoin de nos succès, ne lesptage point. Sa ernière guerre avec nous la laisse dansidouble éclipse de sa littérature et de sa prépondérance;cette guerre a donné à l’Europe un grand spectacle. On y

. un peuple libre conduit par l’Angleterre à l’esclave e,ramené par un jeune monarque à la liberté. L’hist01rel’Amérique se réduit désormais à trois époques :égorgée

l’Espagne, opprimée par ,l’Ang-leterre, et sauvée par

France (8). ’ ’

36 RH’ABOLNOTES

(1) Brunette Latini.(a) Parole interieure et cachée. - Que dans la retraite et le silence

le plus absolu, un homme entre en méditation sur les objets les plusdégagés de la matière, il entendra toujours au fond de sa poitrine unevoxx secrète qui nommera les objetsà mesure qu’ils passeront en revue.Si cet homme est sourd de naissance, la langue n’étant pour lui qu’unesimple peinture, il verra passer tour à tour les hiéroglyphes ou lesimages des choses sur lesquelles il méditera. R.

(3’; On connaît à notre orthographe trois inconvénients : d’employerd’abord trop de lettres pour écrire un mot, ce qui embarrasse sa mar-ache; ensuite d’en employer qu’on pourrait remplacer par d’autres, cequilui donne du vague; enfin, d’avoir des caractères dont elle n’a pas leprononce, et des prononcés dont elle n’a pas les caractères. Ç’est parrespect. dit-on, pour l’étymologie, qu’on écrit philosophie et non filo-sofie. Mais, ou le lecteur sait le grec, ouil ne le sait pas; s’il l’ignore,cette orthographe lui semble bizarre et rien de plus : s’il connaît cettelangue, il n’a pas besoin qu’on lui rappelle ce qu’il sait. Les Italiens,qui ont renoncé des longtemps à notre méthode, et qui écrivent commeils prononcent, n’en savent pas moins le grec, et nous ne l’ignorons pasmoins. malgré notre fidèle routine. Mais on a tant dit que les languessont pour l’oreille! Un abus est bien fort, quand on a si longtemps rai-son contre lui: sans compter que nous ne sommes pas constammentfidèles aux étymologies, car nous écrivons fantôme, fantaisie. etc., etphiltre ou filtre, etc.

J’observerai cependant que les livres se sont fort multipliés, etles langues sont autant pour les yeux que pour l’oreille : la réformeest presque impossible. Nous sommes acc0utumés à telle orthographe aelle a servi à fixer les mots dans notre mémoire; sa bizarrerie fait. sontvent toute la physionomie d’une expression, et prévient dans la langueécrite les fréquentes équivoques de la langue arlée. Aussi, des qu’onprononce un mot nouveau pour nous, naturel ement nous demandonsson orthographe, afin de l’associer aussitôt à sa prononciation. On necroit pas savoir le nom d’un homme, si on ne l’a vu par écrit. R.

Un Le scandale de notre littérature. - Comme le théâtre donne au;grand éclat à une nation, les Anglais se sont ravisés sur leur Shakese’peare, et ont voulu non seulement l’opposer, mais le mettre encore for!au-dessus de notre Corneille: honteux d’avoir jusqu’ici ignoré leurpropre richesse. Cette opinion est d’abord tombée en France, commehérésie en plein concile: mais il s’y est trouvé des esprits chagrins etanglomans, qui ont pris la chose avec enthousiasme. lls regardent enpitié ceux que Shakespeare ne rend pas complètement heureux, etdemandent toujours qu’on les enferme avec ce grand homme : partismalsaine de notre littérature, lasse de reposer sa vue sur les belles pro-’

ortionsl... ’p D’où vient l’enthousiasme de l’Angleterre pour lui? De ses beautés etde ses défauts. Le génie de Shakespeare est comme lamajesté du peupléanglais : on l’aime inégal et sans frein; il en paraît plus libre. Sonstyle bas et populaire en participe mieux de la souveraineté nationale.Ses beautés désordonnées causent des émotions plus vives, et le peuples’intéresseà une tragédie de Shakespeare comme à un événement qui se

LITTÉRATURE 37passerait dans les rues. Les plaisirs purs que donnent la décence, laraison, l’ordre et la perfection ne sont faits que pour les âmes délicateset exercées. On peut dire que Shakespeare, s’il était moins monstrueux,ne charmerait pas tant le peu le, et qu’il n’étonnerait pas tant les con-naisseurs, s’il n’était pas que quel’ois si grand. Cet homme extraordi-nuire a deux sortes d ennemis : ses détracteurs et ses enthousiastes; lesuns ont la vue trop courte pour le reconnaître quand il est sublime;les autres l’ont trop fascinée pour le voir jamais autre. R.

(5) C’est avec une ou deum sensations que uelques Anglais ont faitun livre. - Comme Young, avec la nuit et e silence. R.

(6) L’airain vient de parler. - Ce sont deux têtes d’airain qui par-lent, et ui prononcent nettement des phrases entières.Elles sont colos-laies. et eur voix est surhumaine. Ce bel ouvrage, exécuté par l’abbéMical, a résolu un grand problème. R., (7) C’est en France, etc. - Allusion à l’invention des globes aérosta-tiques, et au voyage de MM. Charles et Robert.

(8) Voir l’appendice n. 14.Jugement porte à l’Académie de Berlin svr ce discours.- a L’auteur

a n’obtiendra les sufi’rages du public, comme il a déjà obtenu ceux dea l’Académie, que lorsque son discours sera lu et médité dans le silencea des préjugés nationaux. Le plan qu’il s’est tracé est juste et biena ordonné, et il ne s’en écarte jamais. Son style est brillant; il a de laa chaleur, de la rapidité et de la mollesse. Ses pensées sont aussi pro-h fondes que philosophiques, et tous ses tableaux, où l’on admire sou-e vent l’énergtque inceau de Tacite, intéressent par le coloris. par laI variété, et, j’ose e dire encore, par la nouveauté. Cet écrivain a, dansa un degré supérieur, l’art d’attacher, d’entraîner ses lecteurs par ses(raisonnements et son éloquence. On lui trouve toujours un goûta épuré et formé. par l’étude des rands modèles. Ses principes ne sonta point arbitraires; ils sont puises dans le bon sens et dans la nature;I et l’on voit bien qu’il s’est nourri de.la lecture des maîtres fameux dea l’antiquité.En un mot,il est peu d’ouvrages académiques qu’on puissp’domparer au sien, soit pour le fond des choses, soit pour le style, ett; je’ne doute pas que le jugement qu’en a porté l’Academie ne soit enfinIl confirmé par celui du public. .

Signé, Boum. 1, de l’Acade’mie de Berlin.l

est . yaw-

Notes du mont Royal

Une ou plusieurs pages sont omises ici volontairement.

www.notesdumontroyal.com 쐰

TABLE DES MATIÈRES

LIVRE PREMIERLIT T É RAT U a E

1. - on L’UNIvenSALIrÉ DE LA LANGUE FRANÇAISE. . . .. I

u. - DIALOGUE ENTRE VOLTAIRE ET FONTENELLE ........ 38. -- Le PETIT ALMANACH DE Nos GRANDS HOMMES. . . t 46

Avis sur cette nouvelle édition ............... 46A M. de Cailhava de l’Estandoux. . . . ...... . . . 48Post-scriptum ....... . . . . . . . . . . ............. 49Préface-00.... ooooooooooooooooooooooooo 0.-Le petit almanach de nos grands hommes. . . . . 54

.................. a o ....... ,0 . . oErrata ................................... 99Les aveux ou l’Arche de Noé ................ 100. - nonne son L’OUVRAGE DE Mme on STAEL INTITULÉ:

ne L’INFLUENCE DES PASSIONS, me. . . . . . . . . . 103

v. - LE GÉNIE n La TALENT. ....... . ........... 109. - FRAGMENTS ET PENSÉES LITTÉRAIBES. , . . . . ...... . . I I9

’ SurFlorian.......... ...................... HgSurlestyle ........ ...... . ......... 122Des traductions..... ..... ...... 123Notes..... ....................... 124

LIVRE IlPOLITIQUE

g. - JOURNAL POLITIQUE NATIONAL ..... . . . . . . . . ...... I29Lespremières fautes ............ . ........... 129

b La Déclaration des Droits de l’Homme ..... . . . . 144

432 RIVAROLLes journée d’octobre....-....-..........."...Lettre sur la capture de M,l’abbé Maury à Pé-

ronfle....................................Notes etPetitsarticles......................n. - ACTES DES APOTRBS..............

Sur Robespierre............................Réponse de M. Robespierre à Mm, qui l’avait

relevé sur le mot aristocrassiquc. . . . . . . . . .Explication d’une charade. . . . . . . . . . . . . . , . .Nouveaux Dialogues des morts. . . . . . .. .Notes et petits articles......................

III. -- PETIT DICTIONNAIRE DES GRANDS HOMMES DE LA BÊ-

VOLUTION.g.000....0......Ooooo.ni.o.0-...Epître dédicatoire....Préface....................................Petit Dictionnaire des grands hommes.. ..Table de tous les grands hommes de la Révolu-

tion.........lfl.0..00......II.I.IDOIOI.I.1V. -- FRAGMENTS ET PENSÉES POLITIQUES.......,.. ,...

Premier mémoire à M. de La Porte...........LettreàM. de la Porte.....................Portrait du duc d’Orléans et de Mme deGénéralités................................Sur laRévolution..........................

LIVRE IIIPHILOSOPHIE

l. - LETTRES A M . NECKER SUR SON LIVRE DE L’IMPOR-TANCE DES OPINIONS RELIGIEUSES. . . . . . o . . . . . .

n. - DISCOURS PRÉLIMINAIRE DU NOUVEAU DICTIONNAIRE

DE LA LANGUE FRANÇAISE.. . .Du sentiment comme principe de tout dans l’hom-

me etdans les animaux...................Desanimaux...........................l...De laphilosophiemoderne.

III. - FRAGMENTS ET PENSÉES PHILOSOPHIQUES. . . . . . . . . .

Du bonheur...Le déiste théologien........................La loi des prOportions............,..........Sur l’égalité................................L’hypocrisie et le fanatisme.i....

TABLE DES MATIÈRES

Dialogue entre un roi et un fondateur de reli-gion ............ . .................. .. . . .

Notes ...... . .............................

LI VRE’ IV

LETTRES

1. -- A M. le chevalier de Cubières-Palmézeaux.. . . .11. - Au même .......... . .......................III. - Aux auteurs du Journalde Paris. . . . . . . . . . ..1v. - A l’abbé Roman ..........................v. - Aux auteurs du Journal de Paris. ..........v1. - Au public ............................. .....

vu. - A. M. de Gaste, maire à Bollène.. . . .. ..v111. - A la marquise de Coigny. . . . . ......... . .....1x. -- A David Cappadoce-Perreira ................x. -- Au même ................................x1. -- Au même ............ . .....................x11. - Au même .................................xm. - Au même ..... . . . . .........................x1v. -- Au même ................. . ...............xv. - Au même ..................................XVI. - Au même ......................... . ........xvu. - Au même ............ - ................... .:vm. - Au même .............................XIX. -- Au même.. ................................xx. - A Mme Cromot de F ougy .....................xx1.-Asonpère ...... ..... . ................(Extrait d’une lettre du comte de Tilly à Rivarol.)xxn. - Au comte de Tilly ..... . ...... . ..............mon. - A M. de Gaste .......... . ............... .. . .

. rxrv. - A sa tante Françoise ........................1.xxv. - AM. Dalville....... .......................v xxvr. - A unami..... .............................

:xvn. - A un ami ....... i ..........................:xvm. - Au marquis Détilly ........................ .xx1x. - A M. de Gaste ......... . ......... o .........xxx. - A son père ................................xxxr. - A David Cappadoce-Perreira. ................:xx11.--AManette.............. ........... o .......3x1n.-- AM. deGaste... ....... . ...... . .....

25

433

290:498

3113123123133153103173183193203213223223233243243253263232575

332

336à?

34?342342343344345346347348

I.

RIVAROL

LIVRE Ï

RIVAI’tÛLIANA

Notes, Réflexions, Epigrammes ..............n. - Anecdotes et bons mots ........ . ............111. - Conversation de Rivarol .....................

A PI’ENDICE

Notice bibliographique. . ....... . ............Notice littéraire ....... . ....................Opinion de Burke ....... .. . .. . .,Madame de Rivarol ........ .. . ............Manette ....................................Rivarol à Hambourg ...................... .Mort de Rivarol. . f. ................. , ......Note du major Gualtieri ....................Extrait du Mercure de F rance ............... .Champcenetz ............................. .Conversation entre Rivarol,Chamfort, Champce-

netz et Tilly .............................Dialogue entre le comte de Lauraguais etl’abbéSabatier de Castres ...... . ............. . . .

Pamphlets contre Rivarol. . . .. .- ..... . ...... oUniversalité de la langue française .......... .Œuvresde Rivarol............... .......... .Ecritsapocryphes................ ........... .Bibliographie.... ......... ...... ..

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MERCVRE DE FRANC-xxv1, un: DE CONDÉ - PARIS-171° A

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elle Offre un nombre considérable de documents, et ’constItue’iuneîsOljtje d’ a;cyclopédie au jour le jour » du mouvement universel des Idéeerlle’secom ,z.des rubriques suivantes :Epilogues (actualité): Rémy de Gour-

mont. .Les Poèmes : Pierre Quillard.Les Romans : Rachildc.Littérature : Jean de Gourmont.Littérature dramatique Georges

Polti.Histoire: Maroc Collière, Edmond

Barthélemy.

Questions morales et religieuses :Louis Le Cardonnel.

Science sociale: Henri Mazel.Philoso hie: Louis W’eber.Psycho ogie : GastOn Danville.Sciences: Dr Albert Prieur.Archéologie, Voyages : Charles Merki.Ethnographie, Folklore : A. van

Gennep.Questions coloniales : Carl Siger.Ésotérisme et Spiritisme: Jacques

Brieu.Les Bibliothèques: Gabriel Renaudé.Les Revues: Charles-Henry Hirscb.Les Journaux: R. de Bury.Les Théâtres: A.-Ferdinand Herold.Musique .° Jean Marnold.Art moderne: Charles Morice.Art ancien: Tristan Leclerc.Les abonnements partent. du premier des mozs ç de janvier,6171111-w

millet et octobre ’ uFranceUN NUMÉRO.. ....... 1.25UNAN...... ..... 25 fr.SIXMOIs........... 14 1)TROIS MOIS. . . . .. ... 8 n TROIS MOIS... . . . . . . . 1.0 1

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Musées et Collections : Auguster’

guillier. * ,7 jChronique du Midi : Paulî,SouchChronique de Bruxelles": GÇEckhLettres allemandes: Henri Ath" ILettres anglaises : Henry’êDË D’avr J.Lettres italiennes : Ri,ceint1:1);CariÎw à?

Lettres espagnoles: .; 1Lettres p ortugaises : PhiléàSLêbê’s

Lettres hispano-américuinës :Ï’Eu

nio Diaz Bomero. Ï VLettres néo-grecques: Demetrius’ .

teriotis. - .7Lettres roumaines .- - hiarOeiï’Mon ’ Î A,

don. ’ i ,Lettres russes: E. Séménotf.. I saLettres polonaises : hIichel*Muter1nilc ILettres néerlandaises .- Hi Maesetàyf; aLettres scandinaves : PÂ’G.”La*C

nais. V . .Lettres hongroises : Zrinyi Jànps.;- V lLettres tchèques : Williamïfiitte’La France jugée à l’Etranger: Lu

Dubois. ’ ’ ’

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Variétés: , lLa Curiosité: JacquesÎDaurelle.’ zPublications récentes : Merciïre.Echos : Mercure. ’

Étranger ç .5UN NUMÉRO .’ ........ 1.50UN AN.. .. 30SIX MOIS. .. 17.971;

Poitiers. - Imprimerie du Mercure de France, BLAIS et ROY, 7, rue Victor-Hugo;