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Roger Picon
Moi, Dieu(x)
essai
Edilivre
Ouvrages du même auteur
Chez EDILIVRE
en 2009 : QUITTERIE ou le complexe de Pélopée
Mon Dieu, s’il y en a un, sauvez mon âme si j’en ai une !
Voltaire
Si vous avez deux religions chez vous, elles se couperont la gorge ;
si vous en avez trente, elles vivront en paix.
Voltaire
Ce manuscrit a obtenu en 2014, dans la section « Essais et thèses », le premier
prix lors des trente et unièmes joutes du Groupement Poétique et Artistique du
Roussillon.
A ceux qui ont su respecter ma juvénile conscience,
à Henriette et Jean,
mes parents.
PREAMBULE
Le titre de cet essai ne doit pas vous émouvoir. Ma santé mentale n’est pas déficiente
: je ne me prends pas pour Dieu. La raison en est simple : je ne crois aucunement en lui.
Cela m’est venu naturellement, si je puis dire !
Pour moi, et je n’y reviendrai plus, Dieu est synonyme de Nature. Nous ne sommes
que d’infimes fragments d’un phénomène chimio-électrique qu’on appelle Vie, et rien de
plus. A ce titre, nous étions présents au jour improbable du big-bang et nous le serons
encore dans un avenir incertain. Chaque individu n’est qu’un amalgame unique et fugitif
de particules atomiques. Nous sommes, comme le disait puissamment Hubert Reeves1,
de la poussière d’étoiles.
Comme le sont ses composants chimiques, la Nature - et donc Dieu - est au mieux
indifférente, au pire hostile.
Elle le serait restée à jamais si nous n’avions pas bénéficié, pendant un laps de temps
abominablement court de l’histoire du cosmos, du don de l’abstraction, nous les
humains. Nous aurions pu nous contenter de jouir du prodigieux spectacle qui nous
était offert, et nous élever au-dessus des contingences terrestres. Hélas, parmi tant de
potentialités de notre cortex, cette faculté nous aura accablés de la religiosité et de son
corollaire : Dieu !
Alors pourquoi me prendre pour Lui, et non m’en prendre à Lui? C’est le prurit
d’une banale réaction épidermique. C’est le spectacle permanent des aberrations
commises au nom de la foi qui me pousse à me soigner. Le titre de mon ouvrage s’étant
en quelque sorte imposé à moi, je prierai le lecteur de pardonner ce qui peut apparaître
de prime abord comme de la fatuité. L’individu que je suis importe peu. Je ne ferai
d’apparition qu’autant que mon témoignage apporte ici ou là une légère touche de vécu
et, pourquoi-pas, de bonne humeur. Cette approche sans affèterie me permettra, je
l’espère, de ne pas sombrer dans le dogmatisme que je reproche volontiers aux autres.
Sans même y réfléchir, l’évidence s’est imposée à moi. Je ne pouvais être persuasif
qu’en m’identifiant à Lui ! Un beau matin j’ai accompli un geste novateur autant qu’inouï.
J’ai poussé la porte du domaine céleste sans m’annoncer ! Je me suis trouvé dans la
situation de l’Inspecteur du Trésor qui arrivait à l’heure de l’ouverture des bureaux pour
me contrôler, du temps où j’étais comptable public.
Eh bien, je suis venu et j’ai vu. Je n’ai pas été déçu. Bien entendu, mon témoignage
n’engage que moi. Mais sûr de ma probité, j’affirme haut et fort que je n’ai pas effectué
mon marché en plagiant tous ceux, et ils sont légion, qui ont écrit sur ce sujet.
Si, comme pour la culture, la théologie est ce qui reste quand on a tout oublié,
j’ajouterais qu’à l’instar de la gastronomie, elle n’est pas une science exacte : cela se
saurait ! Tout reposant sur des témoignages plus ou moins crédibles, je me suis senti
libre d’imaginer mon propre brouet.
Mais ayant décidé d’écrire cet essai, il m’a fallu me reposer sur ce qui me reste de la
religion dans laquelle j’ai été élevé : la religion catholique. Je ne l’avais pas sollicitée,
mais je m’y suis fait. Ceci m’autorise à la mettre au même niveau que les autres sans me
sentir un renégat. Est-ce un atout ? Je relève qu’elle est pratique. Elle parle d’une seule
voix. Hélas, elle a un défaut : son propos n’est pas recevable la plupart du temps.
Malgré cela elle est, dans l’état actuel des choses, une voie médiane. Ne combattant
plus que mollement le doute métaphysique, elle condamne ce qu’elle a prêché naguère
avec rudesse et tente, mais un peu tard, de se faire pardonner l’inexcusable. Malgré les
pathétiques gesticulations de certains de ses membres, elle me semble moins
compromise que d’autres dans le décervelage général auquel nous assistons.
1 Né le 13.7.19.32. Astrophysicien franco-canadien.
Quant à moi, pour me laver de toute visée iconoclaste, je tiens en outre à dire que si
je dénie qu’un, ou plusieurs dieux, nous ait créés et gère minutieusement notre
quotidien, là s’arrête ma conviction. Je n’ai rien des conquistadors ou des sans-culottes
de 1792 détruisant stupidement les trésors artistiques induits par des croyances jugées
attentatoires à leurs propres croyances. A ce compte-là, il faudrait effacer les fresques de
Lascaux ou démanteler, pierre à pierre, les pyramides d’Egypte ou celles du Yucatan !
Ainsi dégagé de tout soupçon de prosélytisme, sans plan préconçu, je me suis mis en
quête d’un angle d’attaque original, apte à me permettre d’investir la citadelle. Soit, me
suis-je dit, Dieu existe. Donnons-lui la parole. Lui le muet, laissons-lui l’occasion de
remettre les pendules à l’heure, sans l’interrompre, sans intermédiaire. On n’est jamais
aussi bien servi que par soi-même, n’est-ce pas ?
Face aux affirmations péremptoires des docteurs de la foi, je me suis autorisé, moi, à
argumenter en me référant aux faits incontestables mis en lumière grâce aux travaux et
conclusions des chercheurs sans œillères. Le plus dur ayant été de faire taire mes
convictions, je ne suis pas sûr d’y être toujours parvenu.
Conscient de l’incommensurable outrecuidance dont ne vont pas manquer de
m’accuser les gérants de la doxa, leur regard rivé sur des textes poussiéreux, je me suis
senti d’avance absout d’être tout aussi ingénument affirmatif qu’eux.
Je me suis fait l’humble disciple de Montaigne2 selon lequel fâcheuse suffisance
qu’une suffisance pure livresque (Essais I.26), d’autant plus aisément que je ne suis pas un
rat de bibliothèque !
C’est donc, non sans une certaine autodérision, je l’avoue, que je me suis soumis à une
étrange expérience : je me suis dédoublé ! Autant le dire tout de suite, le résultat de ma
brève expérience n’est pas triste, ce qui ne signifie pas qu’il autorise les membres des
tribunaux ecclésiastiques, les théologiens, les exégètes ou encore les censeurs, à me
tourner en dérision.
Mais venons-en au sujet qui nous occupe: le besoin compulsif de croire au
surnaturel, et ses dérives. Certains, pas forcément stupides, croient trouver des
indications sur leur destinée du jour en se fiant à la position des planètes de notre
système solaire par rapport aux constellations du zodiaque. Etrange illusion ! Mais
d’autres, fascinés par le même infini du cosmos, cherchent un sens plus profond à ce
spectacle et s’en remettent totalement à une tierce personne qu’ils appellent Dieu.
Ce concept n’a jamais cessé d’interpeler l’Humanité depuis qu’une pensée non
alimentaire a germé dans le cerveau des hominidés arpentant la savane africaine. Il est
étrange de se dire qu’après tant d’avatars, nous en soyons toujours au même point. Rien
n’y fait. Dans un désespoir puéril, n’ayant jamais été préparés à faire front avec courage
à l’inéluctable mort, les humains s’appuient, comme sur une béquille, sur cette idée de
« salut » éternel. Sans conséquence quand elle leur a été léguée par des parents, naïfs
transmetteurs de croyances ancestrales, elle revêt un caractère autrement pernicieux
quand elle est le fait la plupart du temps de fripons intéressés.
2 Michel Eyquem, seigneur de Montaigne (28.2.1533/13.9.1592) Moraliste
Humainement, comment leur en vouloir ? Ils ne sont pas vraiment croyants,
seulement crédules. Et encore le sont-ils par défaut. En effet, s’ils l’étaient vraiment,
certains d’être à tout instant sous l’oculaire du microscope de celui qui juge en premier
et dernier ressort, et surtout condamne, pourraient-ils même respirer ?
La foi sincère relève de l’impondérable. Aucune répression n’a jamais pu l’entamer et
il est inutile de prétendre que j’y parvienne grâce à cet ouvrage. On ne peut que
composer avec elle, mais il est toujours possible de rêver. Les grandes batailles sont
faites de combats au corps à corps, n’est-ce pas ?
La foi, si on l’a, me semble devoir être monolithique et sans temps mort. On ne
saurait s’y référer selon les circonstances ou s’en écarter un seul instant. Elle ne se
débite pas en fines tranches : elle est totale, ou elle n’est pas. La vraie foi est inhumaine.
Donc, bonjour Dieu ! Ce vocable, avec ou sans X, est le plus courant, partout, depuis
toujours, même chez les incroyants les plus notoires. Il apparait à tout instant, dans des
locutions toutes faites ou dans des prières structurées.
Les peuples, dans leur immense majorité, ont foi en Lui. Ils admettent l’existence
d’une ou de plusieurs déités tutélaires auxquelles ils doivent obéissance et soumission.
Pensant qu’elles détiennent le pouvoir de décider de leur destinée posthume, ils croient
devoir leur complaire durant leur vie terrestre. Ils acceptent alors de satisfaire à des
épreuves ayant valeur de billets d’accès dans un monde réputé éternel et reposant.
Si de dignes philosophes de salon imaginent que Dieu est moribond car une fraction
non négligeable de la population le combat ou l’ignore, il y a maldonne. Ce rejet est en
réalité très marginal et touche principalement nos sociétés occidentales. En effet, et
l’actualité est là pour en témoigner, la foi en Lui est plus que jamais portée en sautoir
partout ailleurs. Même quand elle se limite au respect des préceptes, elle n’est jamais
mise en doute de façon fondamentale.
Seulement, voilà : la quête du bon code d’accès est source de toutes sortes
d’aberrations, par définition invraisemblables. Si elles sont parfois désastreuses pour
l’individu, ce qui serait un moindre mal, elles le sont plus encore quand elles ébranlent la
cohésion sociale ou qu’elles débouchent sur un délire génocidaire.
Chaque fois, les défenseurs de leur foi trucident leurs contradicteurs pour leur
apprendre à vivre, sans doute ! Se sont-ils jamais aperçu du saugrenu de l’idée de venir
en aide à ce Dieu détenteur de la puissance de créer des mondes, qui commande à tout, à
qui on doit tout et qui peut nous anéantir d’une simple chiquenaude ? Le fanatique qui
condamne et exécute, craint-il que Dieu ne soit plus clément que lui ?
Essayons au moins de convaincre celles et ceux qui Lui font rempart de leur corps
que ce dernier n’a besoin que d’une chose : qu’on ne parle plus en son nom, qu’on le
laisse faire son métier, sans intermédiaire.
Mon but, en notant pêle-mêle mes idées au fil d’une pensée capricieuse est d’aider un
éventuel « fou de Dieu », de quelque obédience que ce soit, atteint par le scepticisme, à
guérir en lui permettant d’observer une pause et de faire le point. Je lui demanderais de
faire provisoirement table rase de son acquit, de prendre acte de l’histoire que je lui
raconterai et, au final, d’évoluer… ou de persister.
Je lui demanderai d’abord de répondre à trois questions : Pensez-vous que Dieu, ou les
dieux, ont une existence attestée ? Peuvent-ils n’être que fantasmes, et tout le reste
absurdités ? Ne peut-il se faire que la parole d’un sceptique l’emporte sur celle de la
multitude des croyants ?
Puis en question subsidiaire : Dieu a-t-il une personnalité ?
Il est relativement facile de répondre aux trois premières car elles relèvent du degré
de perméabilité du filtre mental de chacun. Il est évidemment plus difficile de répondre à
la dernière. Vaste sujet en effet : cela revient à violer son intimité !
Qui se cache sous ce vocable ? Est-il une entité mal définie planant au-dessus de nos
têtes, ou agit-il selon des normes propres à chaque « individu » ? Se pourrait-il que celui
dont le nom est si familier, toujours à notre portée, qu’on emmène avec soi comme dans
un pilulier, dont on use et abuse sans modération, réponde peu, ou pas du tout, à notre
imaginaire ? Se pourrait-il, si on inverse les rôles, que son regard sur nous ne soit
absolument pas celui que nous imaginons ?
Je ne pense pas m’exposer aux foudres de l’Inquisition en affirmant que chacun voit
Dieu à sa porte et, partant de là, que Dieu est la résultante de toutes ces images
virtuelles. Est-il envisageable, ou même souhaitable, de cerner le profil psychologique de
ce Dieu « moyen », la composante de toutes ces visions ? Tout l’enjeu est là : ce dieu,
pour synthétique qu’il soit, peut-il ne pas revêtir une personnalité originale ?
Qui pourrait prétendre en effet que ce Dieu tout puissant n’aurait pas la maîtrise du
moindre de ses actes ? Qui oserait avancer qu’il ne soit rien d’autre qu’un ordinateur au
logiciel immuable dont, malheureusement, on ne connait pas le code secret ? Pour en
avoir le cœur net, le plus « simple », ce que j’ai fait, a été de m’identifier à Lui et
d’imaginer sa vision de notre monde animal.
Si mon cobaye pris de court n’a pas pu apporter de réponse à mes deux
interrogations, ce qui peut facilement se comprendre, qu’en est-il des
religions reconnues, ou des sectes ?
Aucune église n’ose se poser ces questions, pourtant à mes yeux primordiales. Ce
doute, qui pour ma part est certitude, provient de l’avancée des connaissances. Nous
sommes face à un paradoxe propre à notre époque. Le sceptique qui s’adonne à la
lecture attentive des textes consacrés et s’interroge sur la véracité de ces bases, ne peut
trouver le début d’une réponse satisfaisante que dans la seule science profane.
En effet, toutes sont sur la défensive, ou le déni. La Science, et pas seulement celle du
minéral ou de l’organique, a permis la mise à mal de la plupart des légendes qui ont servi
de socle aux mythes fondateurs de chacune d’elles. Aucune n’ose prendre, la première,
acte des réalités dérangeantes qu’elle a mises au jour et ne change pas un mot à son
crédo. Il est vrai que le danger pour elles est grand : comment un ensemble de lois d’une
telle ampleur, auquel se réfèrent 95% de la population mondiale, peut-il tenir en
équilibre si l’édifice repose sur un sol meuble? Comment l’effondrement d’une seule de
ces certitudes n’entraine-t-elle pas dans sa chute tous les pans de la construction ?
Heureusement, le besoin de merveilleux supplée à tout ! C’est ici que la parole
d’André Malraux3 prend tout son sens. Elle l’est, non seulement pour des êtres sans
malice, mais aussi pour des citoyens instruits, formés aux subtilités de l’esprit critique et
dotés d’une raison éclairée. Le paroxysme est atteint quand elle débouche sur un métier
à plein temps exercé par des « élites » apparemment pourvues de toutes leurs facultés
cognitives !
Ici finit, étayée par ma vision philosophique de la vie, la partie théorique du défi que
je me suis lancé. Je ne pouvais en faire l’économie.
Place maintenant à mon témoignage.
Cabestany, Novembre 2013
3 Cf. 4
ème de couverture (3.11.1901/23.11.76) Ecrivain français
1 - DE MON REVEIL ET DE L’ETAT DES LIEUX
Ce matin là, j’avais été réveillé par une voix qui ne venait de nulle part, mais qui me
parlait fort distinctement. Ce n’était pas tant son timbre déstructuré que son contenu qui
m’avait tiré de mon sommeil. Elle me susurrait à l’oreille : TU ES DIEU, tandis qu’en écho
j’entendais Erès Dios… You are God… N’ta Allah… dans chacune des langues que j’avais
apprises dans ma jeunesse, à l’école ou dans la rue.
Halte ! Disant cela, je débutais l’histoire de mon « règne » par un propos inapproprié.
Cette voix n’avait rien de matériel en ce sens que, flottant dans le vide absolu, aucune
vibration de la matière n’était en cause. Elle venait de l’intérieur de mon organisme.
Pour être plus précis, je dirais qu’elle me parlait de l’intérieur même de mon cerveau,
sans passer par mes oreilles. Oh ! Pardon, de quel cerveau, de quelles oreilles ? Je
m’égarais encore une fois : pas même étonné, je me concevais comme un esprit pur, sans
contours, sans poids, sans même l’envie de prendre mon petit-déjeuner !
Bon, je voyais bien que nous étions partis pour revenir à chaque phrase sur le sens
de chaque mot de mon message. Il fallait nous mettre bien d’accord : nous devions
utiliser entre nous, qui avions eu la chance de bénéficier de l’instruction publique,
gratuite et obligatoire de Monsieur Jules Ferry4, un langage accessible au commun des
heureux mortels ayant profité de l’apprentissage de la lecture, de l’écriture, et enfin du
calcul arithmétique.
C’était très simple : chaque fois que je désignerais une partie du corps en parlant de
Ma personne, j’allais vous demander de faire le petit effort qui consistait à vous en
abstraire. Il vous faudrait me considérer comme l’esprit divin auquel la plupart des
religions renvoyaient leurs ouailles, c’est-à-dire incolore, sans forme et sans odeur.
Ainsi, si je disais que mon regard se portait sur tel ou tel aspect contingent de la vie,
par exemple sur ma cafetière, cela voudrait dire que mon Esprit (quel mot de votre
vocabulaire employer pour désigner l’inexprimable ?) intégrait dans sa globalité
l’existence de cet objet des plus matériels. Pour faire simple, j’aurais dit que J’étais la
cafetière.
Ce qui me frappait dès la première seconde, en même temps que je me sentais
propulsé vers le sommet de la pyramide comme un pilote éjecté à la verticale hors de
son avion à réaction en perdition, c’était son caractère personnel. Bien que je n’aie pas
été étonné outre mesure de ma promotion puisque je n’avais ni tué (?) ni volé (??), je
considérais in fine que je n’étais pas indigne de ce rôle. Nonobstant cela, je me posais la
question que devait se poser le gagnant du loto européen : pourquoi moi ? Le méritais-je
vraiment ? C’était la seule pensée encore humaine qui était venue à mon esprit, tandis
que mes oreilles finissaient de grésiller.
Du temps où j’étais mortel, j’avais des parents : un père, et puis une mère. Dans mon
nouveau costume, je ne voyais personne vers qui me retourner pour me rassurer, ou à
qui demander conseil, ou dont j’aurais craint les foudres en cas d’incartade. Cherchant
autour de moi tout ce que les religions passées et présentes avaient créé comme
supplétifs divins pour me seconder, je ne voyais, en scrutant tous les points de l’horizon,
personne d’autre que moi-même. J’étais vraiment seul, ce qui s’appelle seul !
C’était assez dérangeant. Ayant toujours suivi les ordres qui m’étaient donnés, même
ceux d’un juteux-chef anachronique lors de mon passage obligatoire dans l’armée (de
l’Air), je n’avais personne à qui rendre compte.
Allais-je dire : Chouette, je vais m’en donner à cœur joie ? J’avais compris tout de suite
que je n’en aurais tiré aucun plaisir. Faire des niches, oui, mais sans atteinte à l’ordre
établi ? Où aurait été alors la joie d’avoir dupé Pandore?
J’étais, de facto, mon propre gendarme !
Je pouvais me laisser aller à ma fantaisie, faire tout et son contraire. Je n’avais aucune
loi, décret, circulaire ou règlement à respecter, ni d’instance pour me sanctionner. Mais
rien ne portait à la plaisanterie. Mon cursus professionnel, tout à fait honorable, m’avait
aidé à opter pour la voie de la rectitude. En effet, je pensais que je devais continuer sur
4 Jules Ferry (5.4.1832/17.3.1893) Homme politique de la IIIème République
ma lancée et tenir dignement ma partie. Je jugeais donc que ce rôle burlesque ne m’était
pas destiné.
Il fallait que je reste dans les rails et que j’évolue dans un cadre strict où les Devoirs
avaient plus de poids que les Droits. Je pensais encore que le décor avait été mis au point
par le vrai Dieu de mon enfance dont je n’étais qu’un pâle ersatz, ou par un conclave de
dieux païens qui m’auraient précédé. De général en chef, je serais redescendu de
plusieurs crans. Je n’aurais plus été que le modeste gardien de la paix coiffé de son képi
et armé de son bâton blanc.
Vaine espérance ! Cruel moment d’inquiétude ! Allais-je me trouver en demeure de
mener l’esquif, seul, sans le moindre équipage ? Il ne m’avait pas fallu longtemps pour
comprendre que j’avais vu juste.
Je faisais un point rapide : je devais, d’emblée, faire table rase du grouillement des
divinités mitonnées par chacun des peuples de la Terre depuis l’apparition de la raison.
Cela faisait beaucoup de monde mais je les effaçais tous, d’autant hardiment que les
doublons étaient monnaie courante. Même les plus subtiles, par trop ignorantes des
avancées de la Science, étaient à mes yeux parfaitement inaptes à assumer la lourde
responsabilité de créer un monde matériel cohérent et à démêler de surcroît nos
pauvres problèmes personnels.
Bien qu’ils concernent de nos jours et sous d’autres cieux un nombre très important
d’adeptes, aussi fanatiques sinon davantage que ceux du dieu unique, j’écartais tous les
dieux et déesses, des croyances hindouistes, que je jugeais par trop semblables à ceux de
nos légendes.
Remontant seulement à notre Dieu tutélaire, tel qu’on me l’avait enseigné, de sa plus
lointaine représentation à la plus récente, de Yahvé à Allah, nul esprit léger parcourant
l’espace ne venait à moi pour me disputer la priorité ! C’était comme un soir après la
bataille.
J’étais plus seul que le Dieu errant des israélites avant qu’il n’aperçût Moïse sur le
mont Sinaï, plus seul que notre Dieu chrétien avec sa femme, son fils et son armada de
saints spécialisés, plus seul enfin que celui des musulmans sans ses djinns, ses effrits, et
sans Iblis5.
J’avais eu une dernière pensée, un peu anxieuse, au sujet de mon avenir. Je pensais
que la copie dûment attestée du décret m‘instituant Dieu n’avait pas encore été diffusée
dans tous les services du ministère divin comme c’était la règle dans mon administration
d’origine, l’Education Nationale. Essayant de percer le flou qui m’entourait, je ne voyais
toujours pas venir à Moi pour me seconder, déjà en tenue de combat, dans sa longue
tunique d’un blanc immaculé et coiffé d’une auréole, le vice-Dieu : le bon Saint Pierre
tenant la clé d’or. Il en était de même du personnel subalterne. Aussi loin que portait ma
vue, je ne voyais, soutenus dans le vide par de grandes ailes duveteuses, ni archanges
graves et silencieux me jetant de doux regards emplis d’empathie, ni anges asexués, ni
chérubins joufflus.
5 Iblis, Le Diable dans la religion musulmane.
Où me trouvais-je donc ? Etant Dieu, j’optais pour le paradis, mais c’était par défaut.
En effet, j’étais bien déçu par le décor dans lequel j’avais pris mes fonctions de cette
façon terne, sans le moindre flonflon, sans apéritif de bienvenue. C’était, uniformément
gris ciel, sans contour défini et il y faisait ni chaud, ni froid. C’était moins que riant et je
me demandais pour la première fois si je n’étais pas victime d’un mauvais rêve : non, ce
n’en était pas un. Encore vacillant, je me forçais à établir un état des lieux.
Pas plus que de cadres dirigeants, il n’y avait de concierge, ni de comité de réception
préposé pour me faire faire le tour du propriétaire, encore moins un service d’ordre
pour canaliser les habitants du lieu. Sans doute me faudrait-il en former qui répondent,
comme le faisait le pape François6 succédant à Benoit XVI7, à ma façon de concevoir mon
métier de Dieu ? Il n’y avait pas d’aides sur lesquels m’appuyer, mais il n’y avait
également aucun locataire dans ce paysage désolé.
Horreur ! Non seulement j’étais seul de mon espèce, mais mon pouvoir ne s’exerçait
sur aucun des virus faisant partie de cette inflorescence malfaisante qu’on appelait
humanité. Sans doute étaient-ils réduits à l’état d’ectoplasmes ? Je n’apercevais pas plus
ceux et celles qui étaient censés entonner des odes à ma gloire que ceux, toujours des
hommes d’âge mûr, copulant au bord du fleuve Kaoutar8 avec soixante-douze houris aux
hanches pleines, soigneusement épilées, toutes vierges et consentantes.
Il en était de même à l’étage inférieur de couleur gris souris où nul ange musclé, aux
élytres chitineux, ne fouettait les malheureux encore à demi pardonnés après des
millénaires de tortures. Je n’y perdais pas mon temps car, si je ne souffrais nullement
d’une chaleur insupportable, ni n’olfactais l’odeur du rôti brûlé ou de la fange des égouts
municipaux avant leur arrivée à la station d’épuration, l’atmosphère était pour le moins
pesante.
Je me décidais à contrecœur à descendre au sous-sol, sombre comme une nuit sans
lune, cela allait sans dire. C’était, contrairement au curé de Cucugnan9 d’Alphonse
Daudet10 retrouvant là ses ouailles, encore plus désert que le désert dans lequel je me
trouvais à mon réveil! Alors que je m’attendais à une sorte de grotte rougeoyante aux
dimensions colossales, je ne voyais qu’une immense zone plate, ouverte à tous les vents,
certes vaste, mais relativement restreinte. Pourtant, telle qu’elle m’apparaissait, c’était
pour moi la preuve irréfragable de la réalité de l’antre infernale : elle était noirâtre,
ceinte d’une clôture de fils barbelés, ponctuée d’une multitude de miradors. En effet, je
savais depuis les années 45, à peine parvenu à douze ans d’âge, à quoi ressemblait
l’enfer tel qu’il avait été organisé sur Terre, sans l’aide d’aucun Dieu, dans les années
39/45, un peu après ma naissance en 1933.
Je cherchais le responsable du camp de concentration où pas la moindre fumée d’un
four crématoire mal éteint ne s’élevait dans un ciel de neige, tel celui des images
tournées en noir et blanc des actualités cinématographiques qui avaient heurté ma jeune
6 Jorge Mario Bergoglio (17..9.1936 à Buenos-Aires) pape depuis le 13.3.2013
7 Joseph Aloisius Ratzinger (16.4.1927 à Marktl, All.) Pape de 2005 à 2013
8 Le fleuve Kaoutar est celui qui traverse le paradis d’Allah.
9 Cucugnan, commune de l’Aude, proche du château cathare de Quéribus
10 Alphonse Daudet (13.5.1840/16.12.1897) Ecrivain et auteur dramatique.
conscience. Rien, personne. Je criais dans ce désert d’une voix mal assurée: Holà !
Quelqu’un ? Et voilà que, s’avançant vers moi, mon portrait craché, sorti de je ne savais
où, était venu à ma rencontre. Eh bien, c’était très surprenant, j’avais eu un moment
d’espoir. N’importe qui plutôt que la solitude ! J’avais espéré que nous serions deux à
nous partager le travail, moi qui me considérais comme globalement gentil et lui comme
devant se charger du rôle du traitre, celui qui me répugnait. Mais, hélas, lorsque je lui
avais tendu la main, il avait disparu. Non pas telle une fumée emportée par le vent, mais
en Moi, comme aspiré par une pompe puissante !
Ce n’était pas mon sosie : c’était moi-même endossant le rôle infâme qui était censé
lui être dévolu ! J’étais Dieu et Diable en une seule et même personne, rien que ça ! Je
venais tout de go de comprendre, en partie seulement, le mystère de la sainte trinité
puisque l’équation du moment était à deux inconnues. J’étais l’incarnation du Bien et du
Mal dans une seule et même enveloppe !
Troublé par les problèmes relatifs à la vieillesse, la mienne cela allait de soi, je
m’avisais que je n’avais accordé qu’une attention très insuffisante aux couches
montantes de l’humanité : les jeunes générations. C’était de toute évidence mon avenir
et je me devais de m’en inquiéter. Après tant d’affres relatives au sort des aînés,
j’espérais une atmosphère moins suffocante. Quelle erreur !
Il était évident que les très jeunes enfants, sans le pouvoir de se défendre, avaient
payé un lourd tribut à la Faucheuse. Que faire de leurs âmes ? Cette question avait reçu
au Moyen-âge une réponse qui n’avait pas mis fin au dilemme. Parant au plus pressé,
une structure adaptée à leur jeune âge avait été créée de toutes pièces pour ceux qui
n’avaient pas été baptisés : une sorte de crèche en préfabriqué.
Même ramenée aux seuls enfants relevant de la papauté, la multitude de ceux qui
avaient trépassé pendant cette époque de grande misère physiologique précédant
l’avènement de la pénicilline et de la Sécurité Sociale, cela devait représenter, en bonne
logique, une foule que j’aurais dû croiser en chemin. J’étais donc remonté quatre à
quatre, aussi vite que je le pouvais mais, bien que la raison m’ait rattrapé entre temps et
que je m’y sois attendu, le vide interstellaire m’entourait !
Je me souvenais de mes leçons de catéchisme. Ce lieu donc, s’appelait « Limbes ».
Cela voulait dire ce qui était imprécis ou en marge ou, en franglais, ce qui était «off ». Je
pouvais même le dire à titre officiel : comme cour de récréation, cet espace dévolu à la
jeunesse étaient aussi diffus que son concept ! C’était, bien que ce soit un peu en avance
sur ce que j’allais exposer dans les chapitres à venir, une création de notre église qui
l’avait bricolée avec des moyens de fortune.
Jusqu’à une époque très récente, en dehors des accidents et des faits de guerre, ils
formaient les plus gros bataillons de celles et ceux qui étaient susceptibles d’intégrer le
domaine des trépassés avant leur prochaine immatriculation, c’est-à-dire avant leur
baptême. N’ayant pu se manifester au juge suprême par quelque péché dûment
répertorié, leur sort avait posé question.
De ce bon Augustin11 qui les vouait purement et simplement à l’enfer, au pape
Innocent III12 qui avait décrété au 13ème siècle l’ouverture de cet internat, leurs âmes
avaient virevolté sans but. Ensuite, pendant sept longs siècles, la crèche avait fonctionné
à la satisfaction générale. Enfant, éprouvant pour eux une réelle compassion, j’étais
rasséréné par le fait d’apprendre que mes copains potentiels défuntés, avec lesquels je
n’avais jamais eu la chance de m’amuser, étaient dispensés de devoir se justifier de leurs
actes impurs. Ouf ! Je respirais plus librement. Hélas, ce bon pape Benoit 16ème, avait
profité de son court pontificat pour mettre fin, le 20 avril 2007, à un bail sept fois
emphytéotique et les dispenser d’errer encore longtemps.
Encore sous le coup de l’émotion que me causait le souvenir des enfants morts dans
leurs premiers jours, voire au moment de leur expulsion, ou même in utero, je décidais
de m’accorder une petite pause. Les problèmes liés à l’enfance m’avaient toujours
interpelé. Faisant l’impasse sur tous les handicaps physiques et mentaux qui pouvaient
les accabler et qui ne pouvaient que leur donner une bonne idée de l’enfer, je me
penchais sur leur éducation, la religieuse bien entendu !
Que voyais-je, atterré par tant de conformisme des parents et des prêtres envers des
concepts martelés sans trêve ni repos depuis deux mille ans ? Dès la naissance, les
pauvres enfants étaient, qui circoncis, qui baptisés sans qu’ils émettent la plus petite
protestation. Les uns gardaient dans leur chair la trace des sévices endurés, les autres
une médaille en or offerte par leurs parrain et marraine ! C’était une mesure provisoire,
aussi l’imprégnation n’était-elle pas parfaite. Heureusement, on remettait ça un peu
avant que la puberté n’exerçât ses ravages. Profitant d’un reste d’ « innocence », on
procédait à la Bar (ou Bat pour les filles) Mitsvah chez les juifs, ou à la communion
solennelle chez les chrétiens. Il devait en être de même chez les musulmans. C’était
exactement comme si, à l’inoculation du premier vaccin anti-raison, venait s’ajouter une
piqure de rappel !
Il y avait toujours des rescapés : il arrivait souvent, et mon exemple était de première
main, que les anticorps perdent de leur efficacité ou même, ne soient pas mobilisés du
tout ! Mais, mes voies étant insondables, certains préféraient rester toute leur vie dans le
giron de la secte qui les avait pris en mains, ce qui les dispensait d’agiter leurs neurones.
Poursuivant mon inventaire comme doit le faire tout bon gestionnaire qui s’installe
dans un nouveau poste, j’entrai dans le local affecté aux archives. Il semblait flotter dans
l’éther, laissant voir par transparence les in-folio qui s’y trouvaient rangés sur les
rayonnages. En fait, c’était par un reste d’indigne paresse que j’avais évoqué des
grimoires. Ceux-ci étaient évidemment invisibles car virtuels, mais il me suffisait de les
évoquer pour que les textes m’apparaissent sans la moindre falsification.
L’histoire de toutes les religions se tenait à ma disposition, classée, annotée, illustrée,
instruite à charge et à décharge en ce qui concernait les crimes et les meurtres dont elles
étaient à l’origine, rarement les bienfaits qui en découlaient.
11
Saint Augustin d’Hippone (13.11.354/28.8.430) Théologien berbère 12
Lotario Conti (22.2.1161/16.7.1216). Elu pape le 8.1.1198
Je prenais connaissance à l’instant même, évidemment, de toutes les statistiques
possibles et imaginables concernant toutes les populations de tous les pays qui se
partageaient la Terre. J’en découvrais aussi, à peine étonné, qui concernaient d’autres
planètes éparpillées aux quatre coins de l’univers, pour autant qu’on en connût la forme
exacte.
Cette remarque était la bienvenue car elle me permettait de tirer un trait définitif sur
cette curieuse marotte des hommes de vouloir entrer en contact avec d’autres
civilisations extraterrestres. Pour celles et ceux qui en manifestaient l’espoir, je pouvais
d’ores et déjà leur dire à quel point, hormis la possibilité de tourner des films de science-
fiction à grand spectacle, cette hypothèse n’avait aucune chance d’être attestée. Qu’ils
m’en prient ou pas, cela n’avait aucun intérêt pour les chétifs mortels qui
s’interrogeaient sur la possibilité de s’exiler sur d’autres mondes et de faire
connaissance avec d’autres êtres pensants.
Certains, à l’inverse, plus prosaïques, scrutaient le ciel en espérant voir arriver des
engins habités, aux formes aussi diverses qu’une saucière ou un cigare. Selon l’adage
affirmant que les mêmes causes produisent les mêmes effets, ils allaient en être
longtemps encore pour leurs frais.
Les lois de la probabilité étant ce qu’elles étaient, je savais, à l’instar du subtil
Fontenelle13 dès le 17ème siècle, que de tels êtres devaient exister. Je trouvais que j’aurais
eu tout intérêt, si je voulais mener à bien ma mission sur ce grain de poussière d’univers,
de maintenir le statu quo ante.
En effet, que voyais-je sans surprise de mon observatoire que je ne connaisse déjà au
terme de quatre-vingt années bien tassées de vie comme simple humain plaqué au sol
par l’effet de la gravitation universelle ? J’apercevais des hommes et des femmes mimant
une foi sincère, pourtant tous porteurs du même génome, faire en réalité plus que haïr
leurs semblables. Ils récitaient à voix basse force confiteor, psaumes ou sourates tout en
vouant aux gémonies, pour des détails anatomiques qui ne pouvaient leur être
imputables, ou pour des comportements plus ou moins exotiques, d’autres êtres qui leur
ressemblaient et s’adressaient à Moi avec la même ferveur faussement sincère.
Et vous auriez voulu que j’ajoute aux blancs, aux noirs, aux jaunes, aux métis de
toutes nuances, aux zoroastriens, aux séfarades, aux ashkénazes, aux catholiques, aux
protestants, aux orthodoxes, aux sunnites, aux chiites, aux alaouites, aux druzes, aux
hindouistes, aux disciples de Lao-Tseu14, à ceux de Confucius15 et enfin à tous ceux qui
vénéraient le veau d’or, la totalité, une nouvelle composante à ce puzzle multicolore ?
Allais-je présenter à l’assemblée générale de l’ONU des êtres pensants, certes, mais
dans certains cas visqueux, puants, dotés de six bras et de douze jambes ? Ne risquais-je
pas de leur causer des frayeurs et des marques de dégoût au moins comparables aux
nôtres ? Qu’allaient penser ces malheureux en découvrant, horrifiés, nos petites oreilles
13
Bernard Bouyer de Fontenelle (11.2.1657/9.1.1757) scientifique français, auteur en 1686 du livre « Entretiens sur la pluralité des mondes » 14
Ou Lao Zi (vers – 590 av. J-C) sage chinois. Concepteur du Yin Yang 15
Ou Kong Qiu (-28.9.551/-11.2.479) sage chinois de la dynastie des Han
alvéolées et non orientables, nos ridicules appendices naseaux, nos rides et nos fanons,
si laids que nous étions tenus de cacher notre nudité sous des vêtements ?
De plus, et je faisais mieux que le subodorer, ils n’allaient pas être forcément mieux
lotis que nos petits terriens sur le plan de la pensée philosophique. Mieux : ils allaient se
montrer au moins aussi belliqueux et toujours prêts à en découdre avec des armes tout
aussi sournoises que les nôtres ! La plupart des romans de science-fiction, faisant œuvre
prémonitoire, en donnaient un tableau non dénué de bon sens ! La tension permanente
qui régnait entre les hommes serait parvenue alors à son paroxysme. Je courais le risque
de voir l’humanité promptement retourner à l’état duquel elle était péniblement sortie,
il y avait quelques centaines de mille années et que, manquant de spectateurs, je perde
mon emploi ! Il était très évident que je devais rester circonspect.
Il fallait revenir sur Terre, ce qui était une façon de parler.
C’était à cet humble niveau que mon magister devait se concrétiser. Le message qui
m’avait sorti de ma torpeur était si court, mais en même temps si lourd de sens, que ce
mot avait résonné en moi comme le gong d’un temple bouddhiste au moment de la
prière.
J’avais toujours un peu de mal à rassembler mes idées. Etait-ce un avant-goût de
l’austérité, voire de la sinistrose, à la base de toutes les représentations qui étaient faites
de Moi ? Non, mon statut non écrit, que je découvrais plutôt permissif, ne stipulait pas
une telle clause puisque je sentais très finement l’odeur de l’arabica qui m’était
familière.
Je venais de parler de mon odorat mais il en était de même de mes autres sens, du
moins de ceux que je partageais avec l’humanité, et même l’animalité. Ma vue me faisait
découvrir mille merveilles sans aucune mesure avec les plus somptueux documentaires
des chaines TV à vocation artistique. Mon ouïe me faisait entendre sans la moindre
fausse note et en hyper stéréo des accords dont nul compositeur, pas même le divin
Mozart16, ne s’était approché. Quant au goût, ah, le goût… Il valait mieux que je n’en parle
point tant l’humanité aurait compté d’obèses ! Il n’y avait que le toucher qui aurait pu
me faire défaut mais, étant par essence de nature immatérielle, cela n’entraînait aucune
incidence fâcheuse pour moi.
Les clignotants étant passés de l’orange au vert, je m’étais tout de suite senti soulagé
de constater que mon nouveau métier n’allait pas se traduire pour moi, qui étais par
nature optimiste, par une neurasthénie chronique ! Etonné malgré tout, je notais que ma
condition de Dieu n’affectait en rien mon humeur du moment ni, je le sentais, mon
caractère. D’ailleurs, pouvais-je ou devais-je me montrer renfrogné parce que j’occupais
le siège de Dieu ? Je pensais que je ne serais pas allé bien loin si une humeur
massacrante avait été la condition sine qua non pour que je sois pris au sérieux. Au
contraire ! Madame Dolto17 avait démontré le caractère positif d’une éducation sans trop
de contraintes. Je partageais tout à fait son point de vue : une égalité d’humeur me
16
Wolfgang Amadeus Mozart (27.1.1756/5.12.1791) Compositeur autrichien 17
Françoise Dolto (6.11.1908/25.8.1988) Médecin, psychanalyse des enfants
semblait être, non seulement utile, mais indispensable et même obligatoire. Elle ne me
semblait pas superflue pour venir gommer les aspérités de toutes les indignités dont
j’allais bientôt, et à coup sûr, être le témoin !
C’était véritablement magique. Je n’avais pas eu besoin d’un stage d’initiation, ni
d’apporter le moindre diplôme de nature à rassurer mes examinateurs sur mon savoir
des oukases de ma religion initiale. Je ne voyais nulle part poindre le membre
inquisiteur d’un jury me faisant passer un concours d’accès avec, éventuellement, un
oral de rattrapage. Ou alors, c’était parce que le résultat était connu d’avance. La place
vacante, devait être tentante, or elle avait rebuté plus d’un impétrant. Avais-je été
désigné par défaut ? Probablement, car j’en étais intimement persuadé : mes faibles
mérites ne le valaient pas !
Mais cela ne faisait rien à l’affaire. Je me trouvais subitement investi des pouvoirs de
l’arbitre d’une rencontre de balle-au-pied, sans en connaître à fond les règles.
Dieu, qui ne chômait pas un instant, contrairement à ce qu’avançait la Bible qui lui
octroyait un jour de repos par semaine (et puis quoi encore ? trente-cinq heures de
travail hebdomadaire, plus cinq semaines de congé payé ?), m’habitait ex abrupto, me
privant de ce petit supplément de sommeil qui précédait mon lever chaque fois que j’en
avais la possibilité, et sans lequel la matinée commençait si mal.
Ignorant superbement mon statut de retraité de l’Education Nationale, je me
trouvais replongé, comme il y avait vingt ans, dans la géhenne d’un travail quotidien qui,
plus était, très mal payé en retour. En effet, tout de suite, j’avais noté la sourde hostilité
contre moi que manifestaient les croyants.
Une première moitié, pensant n’être pas assez entendue, s’estimait mal
récompensée de ses patenôtres. Mais c’était également le cas pour l’autre moitié. Celle-là
manifestait une indifférence à mon égard pour ne pas dire un oubli et un mépris absolu
entre deux prières où mon souvenir revenait alors hanter, à temps croyait-elle, sa
conscience. C’était une prise de contact assez abrupte, il fallait bien le reconnaître : je
n’avais pas mon comptant de sommeil et déjà mes bonnes résolutions commençaient
d’être soumises à rude épreuve.
C’était une mise-en-bouche, un décrassage matinal pour apprécier à sa juste valeur le
champ dans les limites duquel mes pouvoirs allaient s’exercer. Je ne connaissais pas
encore leur étendue qui m’aurait permis de faire preuve d’une saine relativité, mais je
concevais nettement, avant même de m’y engager, qu’il y avait loin entre les dimensions
de l’univers et l’étroitesse de la pensée de mes adorateurs.
C’était étrange. Au moment où ma désignation comme Dieu allait être annoncée urbi
et orbi, je faisais encore partie de cette fraction non négligeable de la population de
notre beau pays qui ne croyait ni à Dieu, ni à Diable. Or, et sans émettre la moindre
réserve, je venais de passer sans coup férir de l’état d’incroyance… euh… pardon,
d’incrédulité voulais-je dire, à l’incarnation, toute métaphysique cela allait de soi, en
celui à qui je déniais farouchement toute consistance la seconde précédente.
Cette constatation stupéfiante méritait que je m’attarde un moment sur cette
métamorphose existentielle.
Une foule de concepts moraux dans lesquels avait baigné ma jeune conscience me
revenait en mémoire. Dans le silence majestueux autant que céleste qui m’assourdissait,
il me fallait immédiatement trouver des repères et des points d’appui. Je sentais que
j’allais devoir mettre en application ce qui m’avait été si bien enseigné au cours de ma
vie, soit par l’exemple, soit à l’aide de leçons de morale laïque et républicaine.
Le bref désarroi qui venait de me déstabiliser avait pris fin. Cette évocation
émouvante m’avait aidé à me ressaisir, du moins partiellement. Encore titubant, mes
pensées s’arrimant tant bien que mal, je commençais à les combiner avec une certaine
logique.
Résigné, ployant déjà sous le poids de mes futures responsabilités, mais toujours
obéissant comme le bon élève sans histoire que j’avais toujours été, je m’étais mis au
travail aussitôt après.