Forcément coupable

Un projet de

Michel Martens

&

Peter Kassovitz

Librement inspiré de l’ouvrage de Pierre Birnbaum

UN MEURTRE RITUEL AU GRAND SIECLE

Editions Fayard

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RESUME Un enfant a disparu. On accuse un homme de meurtre. On l'arrête. Il a un procès. Il est condamné. On l'exécute. Il est juif, donc forcément coupable de meurtre rituel. Nous sommes en 1669 à Metz.

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SYNOPSIS EN CINQ ACTES Nous sommes dans un tableau de Breughel. La grande salle d'audience où siège le tribunal est une pièce aux hautes fenêtres rempli de monde. On y rentre et on en sort comme dans une auberge. D'ailleurs beaucoup mangent, qui une tranche de lard, qui un quignon de pain, d'autres boivent du vin chaud. Dehors il neige, et dans la salle il fait glacial. On se regroupe autour du poêle au charbon de bois qui fait il lusion. A huit heure du matin, il fait encore sombre, les torches éclairent le public qui se presse au premier jour du procès. C'est un agrégat composite d'hommes et de femmes qui s'échangent les dernières nouvelles en attendant que le spectacle commence : Il paraîtrait que la halle au blé de Nancy a brûlé, avec toutes les provisions pour l'hiver. La famine menace Metz. La rumeur gonfle... Mais le silence se fait soudain. Quatre hommes viennent d'entrer, portant un fauteuil dans lequel est assis le juge qui souffre de la goutte. Puis les autres acteurs de la tragédie judiciaire prennent place à leur tour. (Le public est debout, mais les "protagonistes" du procès occupent des estrades pareilles à celles que nous connaissons aujourd'hui, dans un certain décorum.) Pierre Mainhulle, le Procureur glabre et sec, Sainton, le greffier, petit bonhomme chafouin perdu derrière un monceau de paperasses et Maître Beausire l’avocat de la défense, un homme nerveux et vif. Enfin, on amène l'accusé qui apparaît enchaîné. Raphaël Lévy, la quarantaine trapue, au teint mât, à la chevelure noire et bouclée, au regard intelligent et inquiet à la fois, agité d’un tic qui consiste à porter à intervalles réguliers sa main droite au visage, comme pour s’essuyer sa joue. Le public, les yeux rivés sur lui, en fait de gorges chaudes. C’est le criminel qui essuie le sang qui lui a giclé au visage lorsqu’il poignarda l’enfant. (Shakespeare n’est pas loin avec Lady Macbeth s’essuyant ses mains immaculées qu’elle croit imbibées du sang du roi.) Car une légende hante depuis le début de l’ère chrétienne l’imaginaire européen : on accuse le Juif de tuer un enfant, de le vider de son sang et d’utiliser ce sang pour la célébration de ses propres rites religieux. Les acteurs du drame sont en place. La pièce peut commencer.

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1ER ACTE Le juge rappelle les faits : Le mercredi 25 septembre le petit Didier disparaît dans les bois, près de Glatigny, un petit bourg à une vingtzine de kilomètres de Metz. Une semaine plus tard, Gilles Le Moyne et sa femme, les parents de Didier, ont déposé plainte contre le juif Raphaël Lévy qu’ils accusent d’enlèvement en appuyant leurs allégations sur les dires d'un cavalier qui affirme l'avoir vu portant un petit enfant sur son cheval. La bataille juridique entre le procureur et l'avocat commence dès le début du procès. Ils vont s’affronter avec toutes les armes à leur répertoire : raisonnement, points de droit, appel aux émotions. Ils interprèteront leurs "partitions" en grands artistes qu’ils sont. Mieux, avec sincérité : Le procureur croit à la culpabilité de Raphaël Lévy, Beausire est convaincu de son innocence. Les deux doivent persuader le juge, mais seulement un y parviendra. Au départ le spectateur peut penser que les adversaires partent à armes égales et donc que la vérité va éclater. Malheureusement pour Levy, comme on verra plus tard, les deux plateaux de la balance vont être faussés. Les témoins à charge défilent à la barre : on a reconnu Raphaël et son cheval dans le bois, on l'a vu avec l'enfant à Metz, il le cachait sous son manteau... Avec l'aide de Maître Beausire, Levy se défend pied à pied. Chaque détail est décortiqué : son emploi de temps, la couleur de son cheval, les vêtements qu'il portait ce jour, ou la forme de son chapeau. Ils soulignent par exemple qu’à trois heures, on avait encore vu l’enfant vivant, qu’il était donc impossible que Raphaël l'ait conduit à Metz tout en ayant le temps d’être de retour chez lui à Boulay à quatre heures. (La fête du nouvel an juif, commençant alors) Autre exemple : la femme du boucher qui affirme l'avoir aperçu en portant l’enfant, ne pouvait rien voir, étant alitée après son accouchement. Ou encore : au témoin qui prétend qu'il dissimulait l'enfant sous un grand manteau, Raphaël prouve qu'il ne portait qu'un justeaucorps. L'avocat relève que les témoins les plus véhéments sont ceux qui doivent de l'argent à Levy où sont en relation d'affaire avec lui et ont donc un intérêt direct à le voir condamné. Mais il insiste surtout sur le fait qu'il n'y a pas de cadavre. On ne peut donc pas accuser Levy de meurtre.

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Le procureur répond par des persiflages et le juge qui souffre le martyre avec la goutte se contente d'opiner. A la fin de chaque audience, il se fait porter chez lui, alors que le procureur regagne ses appartements situés dans le palais même. Quant à Raphaël Levy, il regagne sa cellule glaciale où il se confie à la petite servante de son geôlier, Marie, une jeune catholique, originaire de Boulay, proche de Glatiny. Il se sent abandonné de tous, car il n'a aucune possibilité de communiquer avec l'extérieur. Même son fils qui lui apporte un repas koscher chaque jour, ne peut pas lui parler. 2ME ACTE Un coup de théâtre fait changer le procès de nature : à la surprise générale, un témoin (Demange Mathieu, un bûcheron) affirme que l'enfant serait toujours vivant, enfermé dans un tonneau pour être saigné. On ne cherche pas à vérifier, l’image suffit. Le procès pour sorcellerie, disparu de la scène judiciaire depuis le moyen âge, ressurgit et le Juif hérite du rôle satanique. Raphaël a beau se débattre, demander qu'on retrouve ce fameux tonneau, désormais il n'est pas seulement accusé d'enlèvement et d'assassinat, il est aussi accusé de meurtre rituel : Les juifs ont besoin du sang d'un innocent pour confectionner leur pain azyme qu'ils mangent au cours de leurs fêtes, c'est bien connu. Et le procureur qui voyait déjà Raphaël s'en sortir, s'engouffre dans cette brèche. Pourquoi cet acharnement d'un homme de loi ? Parce que derrière le procès criminel, il y a un procès "politique" : La disette menace, une jacquerie se prépare et les dignitaires messins vont utiliser le procès pour détourner la tension qui monte, vers le juif. Car il y a un troisième "acteur" qui arbitre le duel procureur / avocat. C'est le public, la vox populi. Et la pression du public augmente en même temps que la menace de la faim. Le procureur ne peut pas être celui qui suit la meute, il lui faut être, en bon politique, celui qui montre la voie et qui entraîne la meute dans la bonne direction. Il ne s'agit plus de trouver la vérité, mais de fournir une victime expiatoire. Raphaël Levy essaye de revenir vers la rationalité, il explique : Jamais les Juifs ne se servent de sang, ni humain, ni même animal. Il souligne, comme preuve de son innocence, le rejet de tout aliment contenant du sang dans la nourriture Koscher. Utiliser du sang pour confectionner du pain azyme, serait une hérésie monstrueuse dans sa propre religion.

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Mais les arguments "raisonnables" n'ont plus vraiment cour. Devant le juge qui parait encourager ce genre de récit, les témoins évoquent les contes les plus abracadabrants pour accabler Levy : Un homme a vu une tête d’enfant voler alors qu’il traversait la rue des Juifs; un chirurgien confirme que les femmes juives ne peuvent pas accoucher sans avoir une ceinture faite de la peau d’un chrétien; d'autres affirment que les Juifs ont besoin de vierges chrétiennes pour leur tirer du sang, etc... Et le procureur d'en remettre une couche. Peu à peu Levy réalise que son sort a été scellé d'avance. Qu'il est dans un "procès politique". Il devra payer pour ce crime qu’il n’a pas commis, car c’est ainsi que parfois marche la justice des hommes qui a besoin de faire régner la paix et qui, pour ce faire, jette en pâture l’agneau sacrificiel. Désespéré, Raphaël tente d’entrer en contact avec sa famille. Il envoie, grâce à la complicité de Marie la petite servante, des billets. Mais même cette démarche se retourne contre lui : Le substitut saisit les billets et en ordonne une traduction. (Raphaël écrit dans une sorte de judéo allemand.) Le traducteur, un Juif converti qui a tout intérêt à se montrer docile, déclare que Raphaël a écrit: "l’enfant était garrotté" (gebunden). Raphaël a beau expliquer que c’est le verbe "retrouvé" (gefunden) qu'il a employé, les juges préfèrent la version du traducteur. 3ME ACTE Les choses s’accélèrent le jour où des gardiens de cochon retrouvent dans le bois de Glatigny la tête et les ossements de l’enfant, ainsi que ses vêtements. On présente "les pièces à conviction" au tribunal. Une bataille d'experts s'engage : A quand remonte la mort, pourquoi les vêtements semblent intacts, etc... On consulte des chirurgiens qui rendent un rapport concluant au meurtre rituel : l’enfant serait demeuré vivant après la date de son enlèvement. Ils détruisent ainsi l’hypothèse le plus probable défendue par Beausire selon laquelle l’enfant, une fois perdu, a été dévoré par des animaux. Maître Beausire suggère alors une autre hypothèse : peut être bien que l'enfant a été assassiné, mais en condamnant Raphaël, on laisse en liberté un coupable. Et de coupable potentiel il y en a beaucoup, ne serait-ce que parmi les témoins : Par exemple ce Demange Mathieu, si pressé d'envoyer Levy sur le bûcher et qui était lui-même sur les lieux du drame au moment où l'enfant a disparu... Ou

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pourquoi pas Gilles Le Moyne ou sa femme, les parents de l'enfant. La misère explique beaucoup de choses. Ces supputations soulèvent l' indignation du public qui se fait de plus en plus menaçant. Le procureur se rend compte qu'il faut frapper les esprits et il sort l'artil lerie lourde, l'accusation traditionnelle : les juifs veulent dominer le monde avec leur argent. Il produit des témoins qui accusent des juifs d'avoir voulu les soudoyer pour qu'ils détruisent des preuves. Ainsi l 'accusation glisse doucement du juif Raphaël Levy, aux Juifs en général. On arrête et met aux fers d'autres membres de la communauté. Ainsi les juifs Gedeon Levy, un prêteur sur gage et Abraham Spire, un commerçant, se retrouvent en prison aux côtés de Raphaël, qui a enfin des nouvelles de l'extérieur. Ils sont soumis à la torture, mais résistent et ne se dénoncent pas. Ils ont confiance que la justice du roi triomphera. Ils ont tort : la disette a gagné Metz et la rumeur court que ce sont les juifs qui ont incendié le grenier à grain de Nancy pour augmenter les prix. Un pogrome se prépare et les juifs ne doivent leur salut qu'à l'intervention de l'intendant du roi Louis XIV. Les accusés emprisonnés, assistent, depuis la fenêtre de leur cellule, aux clameurs de la foule qui réclame des têtes. 4ME ACTE Un événement va faire monter la tension encore d'un cran. Des témoins "spontanés" racontent un incident qui n'est pas lié directement au procès, mais qui lui donne un éclairage nouveau : on aurait aperçu des Juifs en arme, assemblés chez un notable (Mayer Schwab) qui se moquaient de la passion du Christ et s’apprêtaient à assassiner une vierge en la disposant sur le crucifix afin de répéter, en la souillant, la passion. On assiste alors à une nouvelle métamorphose de l’accusation : de meurtre rituel on passe à la profanation du corps de Jésus-Christ. L’affaire Lévy change de registre. Si les Juifs peuvent immoler une victime pour dénigrer la passion du Christ, alors la culpabilité de Raphaël Lévy, dans le meurtre rituel du petit Didier, ne saurait faire aucun doute. Désormais, le procureur poursuit le "déicide". La mort du Christ prend la place de celle de l’enfant chrétien. Il appelle comme témoin un religieux afin de démontrer, talmud en main, d'une manière savante, le caractère foncièrement satanique de la religion juive, n'hésitant pas à évoquer Hérode, l'ancien roi des juifs qui immolait tant d'enfants, ainsi qu'Abraham prêt à tuer son propre fils.

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Raphaël, qui a une bonne connaissance des textes essaye de réfuter ces arguments, mais son savoir ne pèse pas lourd face aux paroles d'un religieux. De son côté, l'avocat essaye de rester sur le plan légal, dénonçant les "irrégularités". Il s’élève par exemple contre la non-communication de pièces dont on lui refuse la connaissance en violant la légalité de la procédure. De même, il proteste qu'on lui dénie de faire paraître des témoins à décharge comme par exemple le Meunier qui était sans cesse aux côtés de Levy durant son trajet de Boulay à Metz. Mais quand le juge lui accorde enfin la possibilité de faire parler les témoins à décharge, ceux-ci ont changé leur témoignage, sans doute intimidés ou ridiculisés par le procureur à la plus grande joie du public... Sans parler des témoins juifs, suspects de complicité en raison de leur appartenance à la même religion, donc écartés d'office. La machine à broyer est en marche. Le juge reste sourd aux arguments de Beausire et emprunte la route tracée par l'accusation. 5ME ACTE Le jour de Noël, les audiences sont suspendues pour honorer la naissance du petit Jésus. Cette fête qui dédouble la ferveur religieuse attise la flamme de l'intégrisme catholique contre les juifs déicides. (A noter cependant que l'église en tant que telle ne s'est jamais mêlée de ce procès.) Seul dans sa cellule, Raphaël entend les cantiques chantés par les processions. Au même moment, nous assistons à la rencontre du procureur et de Mathieu Demange. Celui-ci lui confesse être le véritable assassin du petit garçon. Ce coup de théâtre, le procureur l'étouffe dans l'œuf. Il lui ordonne de se taire. Le juif doit être condamné ! Il a cependant un cas de conscience et traverse une période de doutes. Il hésite, mais les notables messins le persuadent qu'il doit aller à l'avant. Le 12 janvier, le procureur lit son réquisitoire campant sur le terrain religieux, tonnant contre le juif déicide. C'est aussi le jour de la plaidoirie de Maître Beausire qui démontre l’ampleur des contradictions dans nombre de témoignages et dénonce "tout ce que le zèle de la religion et la haine qu’on a

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contre les Juifs ont suggéré pour les faire périr. Il suffit aujourd’hui à Metz d’être juif pour être condamné". Le juge et ses assesseurs se retirent dans le petit cabinet attenant et délibèrent tout en profitant d'un bon repas apporté par l'aubergiste voisin. C'est la version du procureur qui sera retenue par le tribunal. Le jeudi 16 janvier 1670, Raphaël Levy attend dans sa cellule que le Parlement de Metz, assemblé en cour de justice, prononce son verdict. C'est le geôlier qui lui apprendra qu'il a été déclaré coupable. On ne lynche pas en France, c’est bon pour les peuples incultes. Dans le tribunal de Metz, la justice a été dite. Raphaël Lévy doit subir (sur la "sellette") les tortures de la question ordinaire et extraordinaire afin de le faire avouer et confirmer du coup la justesse du jugement. (Maintenant qu'il a été condamné, ses juges voudraient bien qu'il leur donne raison, ne serait-ce que pour apaiser leur conscience.) Mais soutenu par sa foi, il résiste et se déclare jusqu’au bout innocent en dépit des souffrances. (Un exemple de sa persévérance : lorsqu'on lui offre du vin pour le "fortifier", afin que la torture puisse reprendre, il le refuse parce qu’il n’est pas koscher.) Un innocent a été condamné à Metz cette année-là. Le véritable crime rituel c'est la mise à mort légale d’un innocent par une justice qui se pique d’observer scrupuleusement le Droit. Un crime légal en quelque sorte. L'EPILOGUE nous sera raconté avec émotion par Maître Beausire : le 17 janvier, à deux heures de l’après-midi, Raphaël s'et rendu à pied au bûcher en refusant d’empoigner un cierge (signe d'une conversion). Le bourreau l'étrangla (par pitié) juste avant de le précipiter dans les flammes.

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NOTE D'INTENTION L’histoire humaine ne manque pas de procès d’intention. Ils rythment la vie des peuples et donnent le substrat du discours politique, religieux, philosophique. Il y a toujours un avant et un après. Après Jeanne d’Arc, Louis XVI, Dreyfus, les procès staliniens ou les Rosenberg, la vision qu’a le monde sur lui-même a évolué. Le procès de Raphaël Lévy qui s’est déroulée en 1669 sous le règne de Louis XIV, dans la bonne ville de Metz est véridique et exemplaire. L’affaire Raphaël Lévy est en quelque sorte une affaire Dreyfus avant la lettre. Elle a des échos jusqu'à aujourd'hui. La mise en accusation de toute une communauté à la suite d'un fait divers tragique est hélas d'actualité encore. Dans notre script, nous allons montrer l’engrenage implacable se mettre en place. Nous allons voir comment la machine à tuer légalement bâtit sa mécanique. Nous nous sommes inspirés de l'ouvrage de Pierre Birnbaum qui propose une analyse des fondements psychologiques, religieux, sociaux, culturels du rôle du juif comme bouc émissaire depuis la nuit des temps. Mais notre principal source dans ce travail ce sont les "MINUTES DU PROCES". Car tous les interrogatoires, tous les témoignages ou derapports d'expert ont été consignés. Ces documents, d'une précision formidable, serviront donc de base non seulement pour le déroulement du procès, mais également pour les caractères, les dialogues et le langage de l'époque. Nous avons là tous les éléments d'un "thril ler" judiciaire. Et nous allons utiliser les ressorts dramaturgiques qu'offrent les "films de procès", popularisés surtout par le cinéma américain. Depuis Témoin à Charge, jusqu’à La Conférence de Valladolid, en passant par La vérité, ou L'autopsie d'un meurtre et le Retour de Martin Guèrre, d’innombrables films ont été situés dans l’enceinte d’un prétoire avec sa théâtralité. Nous avons donc fait le choix de nous confiner dans un tribunal (et de ses dépendances, tels que la salle de torture, le logement du juge et du geôlier). C'est dans ce huis clos que se nouent touts les fils du drame. D'autant que les rumeurs de la ville y parviennent par les fenêtres et que les témoins y transportent leur monde. Ce choix se justifie également d'un point de vue économique. S'il est difficile de reconstituer les rues d'une ville de moyen âge ou même un village misérable, on peut trouver (sur les lieux même où le drame s'est joué) des décors naturels.

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ANNEXE LE CONTEXTE HISTORIQUE Dans ce dix-septième siècle finissant, au moment où se décide le sort de l’infortuné Raphaël Lévy le roi Louis XIV agrandit augmente le lustre de Versaille. La Fontaine publie Les amours de Psyché et de Cupidon, Pascal fait paraître ses Pensées, Racine donne Britannicus tandis que Molière joue Tartuffe. On s’apprête à inaugurer le premier opéra, des savants se rassemblent pour constituer l’Académie des sciences. Le temps de la Raison est venu... Même si cette décennie bénie des Dieux est également celle où s’affirme un catholicisme militant et intransigeant. La Lorraine, duché indépendant, prise entre le Saint Empire Romain Germanique et le Royaume de France, est une région hétérogène au statut incertain marquée par des occupations successives qui renforcent la misère de ses habitants meurtris par tous les conflits. Les années qui précèdent le procès ont vu s'abattre sur la population de cette région famines, épidémies, peste. Ce sont des hivers si rigoureux où l’on meurt de froid, ce sont des brigands qui parcourent les campagnes, les soldats en maraude qui pillent et violent. La petite communauté juive subit de plein fouet ces malheurs. Dans cette Lorraine lointaine où le pouvoir local dispute l'autorité au roi, les juifs se retrouvent dans un non-droit. Le roi est trop loin pour étendre sa protection sur leur communauté. Leur présence provoque la vive hostilité de la population. Ils ne peuvent posséder de terres et l’entrée dans les diverses corporations leur est interdite. Ils se contentent donc de la vente de produits de première nécessité, deviennent marchands de bestiaux, bouchers ou prêteurs. C’est dire la fragilité de leur statut à Boulay dans cette petite bourgade à une vingtaine de kilomètres de Metz où réside Raphaël Lévy (50 juifs sur 700 habitants) Peu avant que ne survienne l’accusation de meurtre rituel formulée contre lui, les habitants de Boulay souhaitent déjà ouvertement l’expulsion des Juifs, devenus à leurs yeux trop nombreux, portant atteinte à leurs intérêts économiques. Après l'exécution de Raphaël Lévy, le roi Louis XIV, dans une lettre patente, adressée aux corps constitués – et au-delà au peuple français – étend la protection de l'état envers la communauté juive. Cette lettre patente du roi, changera radicalement le statut légal des juifs en France. L'exécution de Raphaël Lévy sera la dernière fois qu'un juif sera condamné par un tribunal français, parce que juif. Ainsi en France c'est l'Etat qui protège les juifs, quand l'état est défaillant (comme sous Vichy) ils sont en danger.

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En guise d'exemple : EXTRAIT DES MINUTES DU PROCES sur lesquels nous fonderons les dialogues : ... lui ayant fait prononcer l’arrêt par lequel il est condamné à la question ordinaire et extraordinaire, l’avons admonesté de dire la vérité auparavant que d’être appliqué à la question, A quoi il a fait répondre qu’il était entre les mains de la justice mais qu’il était innocent, Et l’ayant fait appliquer à la question ordinaire pendant qu’on le serrait, l’avons admonesté de dire la vérité et s’il n’a pas apporté de Metz la tête et les hardes de l’enfant, A dit que non, qu’il ne l’a jamais vu ni touché, S’il ne pria pas Gondrecourt d’aller dans le bois sur le bord du ruisseau et qu’il trouverait quelque chose, A dit que non, S’il ne l’avait pas quand il passa dans le bois avec sa hotte, A dit que non, Et l’ayant admonesté d’avouer qui avait porté l’enfant et les hardes dans le bois, A dit qu’il n’en sait rien et qu’il en est innocent, et invoquant le nom de Dieu en langue allemande, a persisté en ses dénégations, S’il n’a pas été au devin, A dit que non, Et lui ayant fait mettre la jarretière aux jambeset averti de dire la vérité, il a persisté et soutenu qu’il était innocent, Et après l’avoir admonesté plusieurs fois d’avouer la vérité, ayant toujours dit qu’il était innocent, l’avons fait appliquer à la question extraordinaire et interrogé s’il n’avait pas porté le dit enfant et ses hardes, A dit que non et qu’il était innocent, qu’il ne l’avait jamais vu ni touché, ni les Juifs qui allaient chez lui,

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Nous l’avons fait descendre et mettre aux pieds de plus gros poids qui servent pour la question extraordinaire, étant élevé et admonesté toujours de dire la vérité s’il est pas vrai qu’il avait porté dans le bois la tête et les hardes de l’enfant, A dit en criant et invoquant le nom de Dieu qu’il avait dit la vérité etqu’il était innocent, Et étant pressé d’avouer la vérité et s’il ne savait pas qui avait porté les dites hardes et la tête de l’enfant dans le bois, A dit que ce n’avait été personne, Et après que Jean Mathieu dit Morisé, maître chirurgien et chirurgien ordinaire de la conciergerie, nous a dit qu’il ne pouvait pas souffrir plus longtemps de tourment sans péril de sa vie nous l’avons fait descendre et ordonné au dit Morisé de le médicamenter, Attendu qu’il était six heures sonnées, nous avons sursis l’exécution de l’arrêt à l’égard de Raphaël Lévy jusques à demain huit heures du matin.