Mettre la violence à la porte

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magazine éducation WWW.EDUCATIONMAGAZINE.FR numéro 13 / Novembre-décembre 2011 LA REVUE dEs pAREnts Et dEs EnsEignAnts CINÉDUC des collégiens font leur cinéma 3:HIKRMF=^UYWU^:?k@k@b@d@a; M 07259 - 13 - F: 4,20 E - RD L’ÉCOLE AILLEURS L’Afrique du Sud par Naledi Pandor Ministre des Sciences et des Technologies INSÉCURITÉ Mettre la violence à la porte de l’école ENTRETIEN La machine à trier ou comment la France divise sa jeunesse

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Mettre la violence à la porte des écoles

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n u m é r o 1 3 / N o v e m b r e - d é c e m b r e 2 0 1 1

LA REVUE dEs pAREnts Et dEs EnsEignAnts

cinéduc

des collégiensfont leur cinéma3:HIKRMF=^UYWU^:?k@k@b@d@a;

M 07259 - 13 - F: 4,20 E - RD

l’école ailleurs

L’Afrique du Sudpar Naledi PandorMinistre des Scienceset des Technologies

insécuritéMettre la violence à la porte de l’école

entretienLa machine à trier ou comment la France divise sa jeunesse

La sécurité à L’écoLe

n.13 ❙ éducation magazine - 19

Mettre la violence à la porteVictimes d’une paupérisation grandissante, certains quartiers de Marseille voient leur école menacée dans les fondements mêmes de l’école républicaine. Confrontés à une insécurité accrue, les établissements résistent tant bien que mal à cette violence de plus en plus pesante. Solidaires, les équipes pédagogiques prouvent pourtant au quotidien que l’école peut encore redonner de l’ambition et assurer la réussite de tous les élèves.

enseigner dans Les quartiers difficiLes

Délinquance, insécurité, ces derniers mois Marseille a souvent fait les gros titres de la presse nationale. No-tamment avec les images du parking à ciel ouvert de

la porte d’Aix, exploité pendant quelques jours par une bande de jeunes rançonnant les automobilistes. Ce fait divers révèle ef-fectivement une recrudescence de la petite délinquance qui gangrène, en particulier, les quartiers les plus pauvres de la capitale provençale. L’explosion du chômage, dans un contexte d’accélération des processus de désindustrialisation, a fragilisé une part im-portante de la population. Marseille figure ainsi, parmi les grandes agglomérations françaises, comme l’une de celles où les iné-galités sociales se manifestent avec le plus d’ampleur. Cette paupérisation, y compris du centre - car Marseille ne possède pas de ban-lieues au sens parisien du terme qui repous-serait ces problèmes à la périphérie - ajoutée à un schéma d’urbanisation profondément inégalitaire aggravent les phénomènes d’in-sécurité.

UNE ENQUêTE DE THIERRY PETRAULT

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L’école en jeuCette violence concerne particulièrement la jeu-nesse. Se pose dès lors clairement la question de l’absentéisme et de la déscolarisation de ces jeunes. Dans un article sur la « Relation entre abandon scolaire et délinquance », Maryse Es-terle Hedibel, sociologue qui a analysé les pro-cessus d’entrée dans la délinquance, met en évi-dence les conséquences du décrochage scolaire. Elle rappelle que si « certains élèves ne sont pas spécialement opposés à l’école au début de leur scolarité, les difficultés scolaires, l’intériorisa-tion du stigmate de « mauvais élève », finissent par les conduire à adopter des pratiques dévian-tes les éloignant largement des normes scolaires. » Un constat partagé sur le terrain par Séverine Vernet, ensei-gnante au collège Prévert, un établissement classé Ambition Réussite situé dans le quartier populaire de Frais-Vallon, une cité « champignon » consti-tuée de quatorze bâtiments. « La précarité, le chômage, la grande difficulté des familles, le collège, de par son recrute-ment, cumule les handicaps. Mais nous refusons de baisser les bras ». Situé dans un quar-tier identifié comme la plaque tournante du trafic de drogue à Marseille, les équipes multi-

plient les actions pour que « cette violence s’ar-rête aux portes de l’établissement ». « Pour lutter contre les agressions, essentiellement commises sur le trajet de l’école, le plan Pédibus a permis, avec des médiateurs, de sécuriser le retour au métro. Nous travaillons également beaucoup avec les associations de quartier pour éteindre rapidement les incendies ». Néanmoins, le plus important se joue dans les murs de l’école. En amont. C’est tout l’enjeu de l’école républicaine. « Repérer les signes de démobilisation, l’ab-sentéisme, les décrochages est une nécessité absolue pour éviter que ces enfants ne tombent

dans la délinquance. » Malgré un manque criant en termes de moyens, qu’ils soient humains ou pédagogiques, les équipes parviennent « encore » à donner envie aux élèves les plus en dif-ficulté de se raccrocher à un pro-jet. « Ils attendent beaucoup de nous » confie cette enseignante de lettres en poste depuis dix ans, qui, bien que parfois dé-moralisée « en apprenant une mise en garde à vue d’un élève », prend toujours « beaucoup de plaisir à enseigner ». « Ils me disent souvent : Madame, Soyez exigeante avec nous. « Ici, ils se sentent en sécurité, échappent au quotidien de la cité. » Celui

Ici, ils se sentent en

sécurité, échappent au quotidien de la cité, celui d’une enfance volée lorsqu’ils sont

propulsés dans le monde des adultes

qui les utilisent comme guetteurs. »

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d’une enfance volée lorsqu’ils sont propulsés dans le monde des adultes qui les utilisent, par-fois dès la 6ème, comme guetteurs. »

Créer pour valoriserIntéresser, motiver ces élèves figurent donc parmi les priorités des enseignants. Tout l’art de motiver les plus faibles. Car sans l’adhésion réelle des élèves, il n’y a point d’apprentissage. L’art, juste-ment, représente le meilleur vecteur pour remplir cette mission de l’école. L’équipe de Prévert fournit un très gros travail « d’ouverture culturel-le ». « Sur un ailleurs » aime-t-elle à dire. « Il faut faire voyager ces élèves, les sortir de leur quotidien » estime Serge Jourdan, pro-fesseur depuis 26 ans au lycée Diderot, classé ZEP et lui aussi situé dans un quartier diffi-cile. Théâtre, cinéma, littérature mais aussi sport et bien entendu voyages sont autant de supports pour « rendre la culture accessible à tous ». Il s’agit donc de mettre ces élèves en situation de réussir et de leur redonner une

ambition. « Les jeunes de nos quartiers ne sont pas moins intelligents que les autres. Ils le démontrent chaque année par leurs réalisa-tions dont ils sont - nous sommes - très fiers. » Le film, Nous, Princesses de Clèves, tourné au lycée (voir page suivante) traduit cette vita-lité culturelle. Au collège « l’écriture d’un pe-tit livre, de poèmes, des visites » sont autant

d’activités pédagogiques qui révèlent des qualités insoup-çonnées. Outre de redonner du goût au savoir, ces travaux ont l’intérêt de mobiliser les équipes, par ailleurs très sol-licitées. Séverine Vernet parle « d’une véritable respiration ». Les enseignants trouvent dans

ce travail en équipe un ciment fédérateur qui permet souvent « de tenir » dans un environne-ment parfois pesant. L’instabilité des équipes, les réductions de moyens, les dégradations autour de l’établis-sement et des réponses qui interviennent sou-vent trop tard viennent néanmoins altérer ce qui s’apparente de plus en plus à une mission impossible. ❙

Le plus important se joue

dans les murs de l’école. »

‘‘Exiger l’exigenceSeule l’école constitue le moyen de préparer un meilleur avenir pour les enfants. Les parents attachent donc une très grande importance à l’école en tant que moyen de promotion sociale.« Les Mamans ne veulent surtout pas d’une école au rabais sous prétexte qu’elle est immergée dans un quartier difficile. » Ces mêmes parents qui ont récemment manifesté pour refuser une école à deux vitesses et que ce label Réseau Ambition Réussite (RAR) soit autre chose qu’un effet d’annonce. Pourtant, les résultats actuels du collège

sont « bons ». De Frais Vallon sont sortis des médecins, des ingénieurs, des BTS, des Bac + 4 ou + 5, nombreux, et un ancien élève a même intégré l’Ecole normale supérieure. Néanmoins, la fin de la mixité sociale par le jeu des dérogations risque non seulement d’accentuer le phénomène de ghettoïsation mais également de mettre à mal ces succès scolaires.

On est tous victime« Dans le but de désacraliser l’école et pour renouer le dialogue, nous sommes allés à la rencontre des familles pour leur

signifier que le collège n’est pas coupé du quartier, leur dire que nous partageons les mêmes problèmes. »Cette expérience qui s’appuie également sur une intense vie associative et l’ensemble des partenaires sociaux donne des résultats très positifs. La dernière action qui s’intitule « avec les mamans » réunissait une centaine de familles pour exiger la même ambition pour tous. Les études montrent en effet que la famille est très souvent le lieu de reproduction de la pauvreté malgré les efforts entrepris par celle-ci pour s’en sortir.

téMoIgnage

séverine verneta Prévert, il existe une réelle volonté de s’intégrer au quartier. « trop de parents ont encore un sentiment d’appréhension face à l’institution. » Leur propre vécu pèse assez lourd sur leur perception. Se mêlent les souvenirs douloureux d’un passé scolaire souvent difficile, un grand sentiment d’incompétence et une suspicion d’être jugé, évalué par les acteurs du monde scolaire.

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Le projet du lycée Diderot autour de l’œuvre classique La princesse de Clèves illustre parfaitement ces initiatives pédagogiques culturelles. L’étude en

classe a fait l’objet d’un film dans lequel les élèves se révèlent en tant qu’acteurs. Une version revue et corrigée intitulée Nous, Princesses de Clèves.

Comment le roman de Madame de La Fayette, souvent considéré comme le premier roman français, peut-il résonner chez des adolescents à l’heure du bac, dans un lycée classé ZEP des quartiers nord de Marseille? C’est à cette question qu’essaie de répondre le

réalisateur Régis Sauder, en les interrogeant, ainsi que leurs parents et leurs professeurs, et en les regardant vivre. Ces élèves de 1ère et terminale ont donc étudié le roman rendu célèbre par Nicolas Sarkozy, traduisant la soif de culture de cette jeunesse des banlieues que l’on associe bien plus volontiers aux faits divers qu’à la littérature. L’enseignante à l’origine du projet n’est autre que l’épouse de Régis Sauder. « Il fallait faire quelque chose sur le lycée et tout naturellement cet atelier s’est imposé comme le prisme par lequel nous allions filmer cet environnement » explique Anne Tesson.

zoom sur la culture

nous, princesses de clèves, un film qui fait la fierté des élèves du lycée diderot

Ce type de travail est exactement celui qui est capable de

métamorphoser la relation d’un adolescent avec la

culture. »

‘‘

Une rencontre avec la littératureL’atelier pédagogique d’un an a été mis en place. Les élèves filmés ont été recrutés sur la base du volontariat pour participer à des sessions qui se sont déroulées en dehors du cadre scolaire. Une vingtaine d’élèves, certains brillants, d’autres en échec, « dont plusieurs en détresse scolaire avec beaucoup d’absentéisme », ont participé à cette expérience collective, qui redonne foi en l’école. La rencontre avec le roman a d’abord eu lieu dans le cadre du cours. Le film s’est construit sur l’idée qu’on a tous en mémoire une rencontre avec un personnage littéraire. Les jeunes se sont emparés de La Princesse de Clèves pour parler d’eux. Les thèmes abordés font, en effet, très fortement écho à ce que traversent ces jeunes adolescents. « C’est en lisant, disant, apprenant et jouant le texte que ces élèves se sont posés les bonnes questions et sont allés naturellement vers l’évocation de leur situation personnelle » souligne l’enseignante. « Je savais que le roman allait faire resurgir ces émotions ». L’ouvrage les a tout simplement aidés à penser. Le film essaie de proposer de l’espoir à travers ces jeunes pleins de ressources, qui composent en permanence avec leur environnement familial et social. Des séquences ont donc également été tournées avec les familles.

Miroir de leur viePas moins de quatre registres de langage accompagnent le film et le parcours des élèves. « La langue de La princesse de Clèves, celle de l’institution scolaire, celle de l’examen du bac français que ces jeunes passaient à la fin de l’année ; la langue de la famille ; et la langue des jeunes, cette langue estampillée Réseaux sociaux qu’ils utilisent pour parler entre eux d’amour, de la classe, de leur vie. Tout cela se mêle. » expliquait Régis Sauder, en mars dernier, au moment de la sortie du film. Ce type de travail est exactement celui qui est capable de métamorphoser la relation d’un adolescent avec la culture, en lui montrant qu’il peut accéder aux grands textes du patrimoine, les faire siens, les faire travailler en lui, et qu’il est capable d’aller au-delà de lui-même et des limites sociales et culturelles qu’on lui impose. « Et même si cela ne s’est par forcément concrétisé par des résultats probants aux examens, le bilan reste très positif » estime Anne Tesson. Et l’enseignante de conclure par les témoignages des spectateurs, car si « le film n’a rien résolu dans le sens où le métier d’enseignant reste très difficile » en plongeant au coeur des pratiques et en redonnant de l’espoir aux jeunes, « il a rappelé à beaucoup pourquoi ils avaient choisi ce métier ». Le plus beau des hommages. ❙