Mémoire de Master - Les représentations ville-campagne dans le périurbain aujourd'hui

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E N S A T o u l o u s e - S é m i n a i r e E n v i r o n n e m e n t e t P a y s a g e – S77ENV Les représentations de la ville et de la campagne dans le périurbain aujourd’hui. Vers une prise en compte de la demande sociale Etude d’un cas : Saint-Orens-de-Gameville, dans le périurbain Sud-est de Toulouse /Edouard PROUST /Directeur d’étude : Patrick Pérez /Septembre 2012

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Memoire de Master (septembre 2012) - Seminaire Paysage. Les representations de la ville et de la campagne dans le periurbain aujourd'hui. Vers une prise en compte de la demande sociale. Etude d'un cas : Saint-Orens-de-Gameville dans le periurbain Sud-Est de Toulouse.

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E N S A T o u l o u s e - S é m i n a i r e E n v i r o n n e m e n t e t P a y s a g e – S77ENV

Les représentations de la ville et de la campagne dans le périurbain aujourd’hui. Vers une prise en compte de la demande sociale

Etude d’un cas : Saint-Orens-de-Gameville, dans le périurbain Sud-est de Toulouse /Edouard PROUST /Directeur d’étude : Patrick Pérez /Septembre 2012

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/Edouard PROUST /Directeur d’étude : Patrick Pérez /Mots-clés 1. Représentations 2. Paysage 3. Périurbain 4. Campagne 5. Ville diffuse 6. Tiers-espace 7. Saint-Orens-de-Gameville 8. Toulouse 9. Etude sociologique 10. Développement durable /Résumé Nous nous questionnons sur les représentations de la ville et de la campagne dans le périur-bain aujourd’hui. L’hypothèse est faite que les présentations paysagères interagissent de ma-nière ininterrompue avec les pratiques spatiales. Après avoir rappelé les notions théoriques qui sont en jeu, la politique environnementale et le paysage de Saint-Orens-de-Gameville, commune du périurbain Sud-est de Toulouse, sont étudiés. La confrontation de quelques projets emblématiques et de la réalité du terrain montre que les représentations stéréotypées de la ville et de la campagne d’autrefois (de la part des acteurs) jouent un rôle non négligeable dans l’élaboration de cette politique urbaine. Une étude sociologique permet de confirmer ces observations mais en ce qui concerne les usagers cette fois-ci. L’activité agricole est en retrait et fonde de moins en moins les représentations paysagères de la campagne. Elle est en outre appréciée pour son intérêt paysager, et devient avant tout une image figée, recherchée et jugée au travers de critères stéréotypées du monde agricole d’autrefois.

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« L’homme aime tant l’homme que, quand il fuit la ville, c’est encore pour chercher la foule, c’est-à-dire

pour refaire la ville à la campagne »

(Charles Baudelaire, Mon cœur mis à nu, Journal Intime, 1887)

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/SOMMAIRE INTRODUCTION (Problématique) ………………………………………………………. p.8 CHAPITRE 1 – LA THEORIE D’UN ESPACE EN TRANSITION …………………. p.9 1. Représentations paysagères et réalité du territoire : deux entités indissociables ……………………………………………… p.9 1.1. Le paysage, une affaire de perception ………………………………………………….. p.9 1.2. Interaction entre les représentations paysagères et les pratiques spatiales ………...... p.12 1.3. Interaction entre les représentations et le contexte …………………………………. p.13 2. Le nouveau rapport ville/campagne : la question du « tiers-espace » ...…….… p.14 2.1. Une "crise du paysage" en France ……………………………………………………. p.14 2.2. L’agricole : la mort d’un paysage ? …………………………………………………… p.15 2.2. La fin de la ville ? ……………………………………………………………………... p.17 3. Entre demande sociale et projet de ville …………………………………………. p.27 3.1. Une ville "insoutenable" ……………………………………………………………… p.27 3.2. Pour une évaluation de la demande sociale …………………………………………... p.28 3.3. Reformulation du problème …………………………………………………………... p.31 CHAPITRE 2 – DE LA THEORIE A LA REALITE DU TERRITOIRE : UN URBANISME DE NATURE ………………………………. p.33 1. Choix, situation et contextualisation de la zone d’étude ………………………... p.34 1.1. Choix du site étudié …………………………………………………………………... p.34 1.2. Un contexte de forte croissance démographique : vers un urbanisme diffus ………... p.36 1.3. Le projet urbain de l’agglomération toulousaine : quel rapport ville/campagne ? ….. p.38 2. Analyse paysagère de Saint-Orens-de-Gameville et de ses abords …………….. p.44 2.1. Entre "ville" et "campagne" …………………………………………………………... p.46 2.2. Une politique urbaine volontariste ………………………………………………….... p.51 2.3. Un lieu convoité pour son cadre de vie ………………………………………………. p.56 CHAPITRE 3 – LA PAROLE AUX USAGERS : DES NOUVELLES REPRESENTATION DE LA VILLE ET DE LA CAMPAGNE ……………….…… p.67 1. Le projet de sauvegarde des plantes messicoles ……………………………….… p.68 1.1. Présentation du projet : objectifs et contexte ………………………………………... p.68 1.2. La perception des usagers ……………………………………………………………. p.?? 1.3. Le « retour de la nature en ville » ……………………………………………………. p.?? 2. Entretiens avec les usagers ………………………………………………………… p.72 2.1. Méthodologie …………………………………………………………………...…….. p.72 2.2. Résultats de l’enquête ………………………………………………………………… p.75 2.3. Regroupement des données ………………………………………………………….. p. ?? CONCLUSION …………………………………………………………………………... p.96 Bibliographie ……………………………………………………………………………… p.99 Annexes ………………………………………………………………………………….. p.101

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/INTRODUCTION La ville change en ses marges. Elle se transforme à l’image de nos nouveaux modes de vie sur fond de flux et de mobilités en tous genres, de nos nouveaux rapports à l’espace. Le pé-riurbain marque un désordre, il est entre ville et campagne, fait d’un peu de tout ce qui com-pose nos vies aujourd’hui, lieu de diversité et d’hétérogénéité. La critique s’est souvent mon-trée acerbe à l’égard de cet espace (on a par exemple parlé de « fin de ville ») qui ne semble voué qu’à produire du « non-paysage ». En niant le problème plus qu’ils ne l’ont traité, les professionnels ont participés, dans l’inaction, à l’instauration de ces quartiers périphériques qu’ils décrient pourtant aujourd’hui encore. Car l’avènement du développement durable change la donne et offre une nouvelle jeunesse au débat sur le périurbain. Mais dans le mau-vais sens une fois de plus, puisqu’il apparait comme « insoutenable ». Ces quartiers sont ils si invivables que la critique ne le laisse entendre ? Hypothèse est faite que derrière le confortable concept de « mondialisation » qui tend à uniformiser les faits, se cache une infinité de situations, aux réalités changeantes et d’une richesse inouïe. Nous nous proposons de choisir un lieu et de le visiter afin de voir si oui ou non, tous les périurbains sont si terribles qu’ils ne le laissent paraitre. De toute manière, si des personnes y vivent et apprécient à ce point d’y vivre, c’est que ces espaces, au-delà de leur aspect « ingrat » doivent bien recéler quelques merveilles. Est-il judicieux d’invectiver les être sans goûts qui posent leur maison au beau milieu d’un paysage, nous privant par la même occasion de la qualité de la vue ? Ces quartiers existent et il est question de travailler à les améliorer ; fuir plus longtemps les raisons de leur formation, c'est-à-dire en premier lieu la demande sociale, semble amener à un inévitable échec, c’est ce que nous montrerons durant ces lignes. La crise du paysage qui existe dans le périurbain nous intéresse. Car au-delà des raisons fonctionnelles souvent énoncées pour expliquer l’avènement de ces nouveaux quartiers, il semblerait que la force de l’image et l’engouement pour les paysages aient joué un grand rôle cette fois-ci. Et si les représentations paysagères sont enfouies, nous tenterons de les faire émerger. Assurément, quelles sont les représentations de la ville et de la campagne dans le périurbain aujourd’hui ?

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– CHAPITRE 1 –

LA THEORIE D’UN ESPACE EN TRANSITION

« L’urbanisation planétaire en cours désigne une rupture – dont on a une idée bien incomplète – avec le monde tel qu’on le connaissait. Les relations entre les villes et les campagnes abordent une

nouvelle étape, au cours de laquelle la campagne, elle aussi, sera urbanisée et la ville profondément transformée. »

(Thierry Paquot, L’urbanisme c’est notre affaire !, 2010)

1. Représentations paysagères et réalité du territoire : deux entités indissociables

1.1. Le paysage, une affaire de perception

Rien de mieux, pour commencer un mémoire sur le paysage, qu’une question toute bête. Ou plutôt, qui paraît toute bête puisqu’elle s’intitule ainsi: qu’est ce que le paysage ? Ou encore : qu’est ce qu’un paysage ?

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A vrai dire, la réponse est surement moins évidente qu’elle ne le laisse paraitre, et c’est pour cela que nous tenterons une simple « approche du concept de paysage »1 à défaut de réussir à répondre exactement à cette question.

Pour le Petit Larousse illustré, le paysage est avant tout une « étendue de pays s’offrant à la vue ». Cette définition, largement partagée par les encyclopédies (Tourneux, 1985), pa-rait quelque peu restrictive, mais touche tout de même du doigt la surface du problème. Elle met en scène d’une part, un morceau de territoire et d’autre part, un observateur qui le con-temple : nous avons donc là les deux composants essentiels pour que naisse un paysage. Toute étendue de territoire qui est soumise au regard est susceptible de faire émerger un paysage. De la même manière, il est nécessaire qu’une personne regarde cette portion de territoire pour qu’un paysage en émerge. Le paysage naît donc au travers de l’œil de celui qui le regarde, le « milieu » n’étant que le support physique nécessaire à son émergence. Finalement, ce qui distingue une étendue de pays d’un paysage, c’est que ce dernier, en étant regardé par une personne, est soumis à son jugement. Le « paysage » est donc une version subjectivée du « pays ». Chaque chose que nous regardons est soumise à notre jugement, même la plus banale : si nous reconnaissons cette chose, c’est que nous l’avons déjà vue, elle rentre donc dans en référentiel sensible, un système de représentation qui nous est propre. Pour le paysage, c’est la même chose.2

Dès lors, le paysage n’apparait pas comme une entité « réelle » au sens premier du terme, mais bien comme une entité « fictive », elle est le « rapport sensible entre l’homme et l’organisation de la nature dans l’espace ». Pour Françoise Chenet-Faugeras (1990), le carac-tère essentiel du paysage réside dans « l’assemblage d’éléments disjoints et informes que le regard, c'est-à-dire en fait l’esprit, réunit dans un ensemble signifiant à partir de présupposés cultuels et linguistiques. » Cela permet de mieux comprendre. Car l’espace que nous vivons et percevons est en ce sens si commun, quotidien ou familier que nous oublions que sans notre présence, celui-ci ne serait constitué que d’un agglomérat de formes et d’objets sans ordre particulier ni logique propre : tous ces éléments seraient là, c’est tout. Lorsque nous regardons une « étendue de pays », celle-ci est constituée d’éléments distincts et indépen-dants mais notre esprit, au travers de règles qui nous ont été transmises culturellement, les relie entre eux afin de donner un sens à ce que nous voyons. Qu’il nous plaise ou non, naît alors le paysage.

Le paysage peut donc être considéré comme un fait de culture. Plus encore, on peut

considérer que le rapport esthétique qui émerge entre la personne qui regarde et le morceau de milieu contemplé est estimé essentiellement au travers de cette culture. A ce propos, Mi-chel Conan, dans la cadre de sa « généalogie du paysage » (1991), écrit ceci :

« Le paysage consiste en une forme de représentation de la nature ou, plus précisément, en une manière de la schématiser qui en permet l’appréciation esthétique. Cette définition ne préjuge donc rien du contenu sensoriel ou conceptuel qui fait l’objet de la schématisation, ni de la forme d’expression matérielle de ce processus de schématisation. En revanche, elle propose, contre l’intuition immédiate qui identifie un paysage à des formes d’expression et à des contenus, de les définir par la fonction qu’il remplit dans la culture ».

1 Référence au titre de l’article d’Henri Cueco (1982) qui, lui, est énoncé au pluriel : Approches du concept de paysage 2 Le « milieu », lui, peut exister indépendamment de l’Homme car il fait (tout comme ce dernier d’ailleurs) partie de la « Na-ture » et, que l’Homme soit là ou non pour l’approuver, on le sait, « la nature reprendra toujours ses droits », elle n’a pas besoin de lui pour continuer à exister.

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Dans l’absolu, un paysage est donc toujours jugé au travers d’un référentiel culturel.

En revanche, il n’est pas forcément perçu que visuellement : on peut par exemple parler de paysage olfactif, voir sonore3. Ces différents « types » de paysages se nourrissent parfois les uns les autres : par exemple, un paysage de Provence tel qu’on se l’imagine, est quasiment indissociable du bruit des cigales et de l’odeur de garrigue.

Henri Cueco (1982), au cours d’une démonstration habile sur les représentations paysagères dans le monde paysan, insiste sur le fait que « le paysage est un point de vue intellec-tuel, une abstraction, une fiction. Pour produire du paysage, il faut s’immobiliser, bloquer le regard, cadrer le site. Cette image bloquée, ce temps fictivement arrêté sont des notions de culture savante et qui ne correspondent à aucun vécu habituel des gens. Ces gens circulent, vivent dans un espace multiple et multidimensionnel. »

C’est pourquoi, le paysage, puisque fait de culture, n’est pas nécessairement un con-cept inné. Il ne suffit pas pour qu’il y ait paysage, de porter un jugement sur un morceau de pays ; ce jugement doit être avant tout esthétique, de l’ordre de la contemplation, et non seulement fonctionnel. C’est pour cette raison, que le fait de s’arrêter et de regarder un pay-sage n’est pas une chose si évidente que cela. Aujourd’hui en Europe, nous sommes baignés dans l’imagerie de paysages depuis notre plus tendre enfance et nous sommes habitués à nous émerveiller devant des étendues de cartes postales. Mais si notre société est « paysa-giste »4, cela ne veut pas nécessairement dire que toutes les autres le sont également. Car en tant que fait de culture, le paysage peut bel et bien être absent de certaines : « Je viens de com-prendre : le mot PAYSAGE n’existe pas en occitan (il n’apparait d’ailleurs dans la langue française qu’à la fin du XVIe siècle). L’incompréhension de départ n’était pas seulement due à l’habituelle diffi-

3 On pourrait aller encore plus loin et imaginer des paysages olfactifs ou encore gustatifs. 4 D’après le titre du livre de Pierre Donadieu, 2002, La société paysagiste, Actes Sud Nature

Figure 1- Disposer de l’immensité depuis chez soi, le rêve de tout un chacun ? Mais le paysage est-il seulement un panorama ? – Vue depuis Lauzerville (périurbain Sud-est toulousain) – Photo E.P.

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culté de langage mais à l’incompréhension du concept même de paysage. Le paysage pour lui, pour les gens, c’est le pays. » (Cueco, 1982) 1.2. Interaction entre représentations paysagères et pratiques spatiales

Nous l’avons vu, le paysage est une construction sociale et culturelle du milieu (ou « pays »), avec tout ce que cela comporte (la nature-sujet du paysage); mais il n’en demeure pas moins indissociable de sa « structure naturelle, concrète et objective » première (sa na-ture-objet).5 En effet, le paysage n’existe pas sans le milieu : ces deux entités rétroagissent l’une avec l’autre sous la forme d’un aller-retour quasi-ininterrompu : « Je regarde ce paysage à travers un archétype de représentation qui produit ce paysage comme tel, qui me permet de l’appréhender. Mais, inversement, cet archétype a lui-même servi à construire ce paysage. Il corrobore donc en moi le système culturel qui me permet de le percevoir, et affermit par là mon identité ». Il s’agit ni plus ni moins de la notion de trajection mise en lumière par Augustin Berque au dé-but de son ouvrage Le Sauvage et l’artifice. (Chabason, 1989).

Dès lors, nous apprécions un paysage au travers du système culturelle dans lequel nous avons évolué (une grille de lecture qui donne son sens à la réalité sinon indépendante à l’Homme) et dans le même temps, nous participons aussi à la construction de ce paysage en validant ce patrimoine culturel en nous-mêmes mais aussi auprès de notre entourage. En temps que simple observateur, nous influons alors, dans une certaine mesure et de manière indirecte, sur la nature-objet du paysage, sur sa réalité première et objective.

Il est des paysages que nous souhaitons voir et d’autre que nous rejetons, de la même façon que certaines formes nous révulsent tandis que d’autres éveillent notre convoitise. Une « belle » chose, de la même manière qu’un « beau » paysage répond à des archétypes validés par un système donné de pensée. A ce sujet Cueco (1982) écrit encore : « En fait, la beauté, et ce n’est pas une découverte, n’existe pas en soi, elle s’applique à un objet ou à un être dans lequel se condensent un certain nombre de propriétés attendues. Elle traduit la reconnaissance de ces qualités à un degré évident d’intensité, elle permet d’opérer le passage du particulier, au normal, à une super-normalité qui en fait une sorte de modèle, un archétype. »

En tant qu’ « amateurs de paysages »6, nous partons alors à la recherche de ces ar-chétypes paysagers. Nous payons chers nos billets d’avions et nos appareils photos afin, non seulement de retrouver pour de vrai ces décors de cartes postale, mais aussi pour les créer nous même, une façon de se les approprier et de les faire sien. Parfois, nous décidons d’aller directement habiter à l’intérieur de ces paysages dont nous avons tant besoin, afin de s’en imprégner totalement ; à la campagne, à la montagne, en bord de plage, mais toujours avec un idéal, celui d’un dé-paysement toujours plus grand. Nous cherchons la beauté des paysages puisque nous choisissons nos destinations estivales en partie sur la base de ce critère ; l’Islande pour ses paysages épurés (donc photogéniques), les chutes du Niagara pour leur démesure... Nous choisissons les plus belles ballades, celles avec les plus beaux panoramas, lorsque nous nous promenons en montagne ; nous préférons les hôtels avec vue sur la mer, ou bien sur le désert de sable. Bref, en tant qu’ « amateurs de paysages », nous formulons une demande collective qui dessine indirectement le territoire par adaptation automatique de l’offre : création de circuits touristiques pour les photographes amateurs, traçage de sentiers « pittoresques » et mis en scène, construction en bord de mer, de désert, ou de tout ce que l’on veut, aménagement d’aires « point de vue », etc. Mais, loin de ces grands courants col- 5 Les notions de « nature-objet » et de « nature-sujet » ont été décrites par Georges Bertrand en 1978. 6 Référence à Odile Marcel (1982), « Les aveux d’un amateur de paysages », in Mort du Paysage ?, Champs Vallon [éd]

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lectifs, nous sommes aussi capables d’agir plus directement sur le milieu sous le coup d’un besoin de paysage : abattre un arbre pour dégager la vue, aménager son jardin selon les règles de l’art, etc.

Tout le monde a donc, lorsqu’il part à la recherche de ses stéréotypes paysagers, un impact sur le milieu dans lequel il évolue, directement ou indirectement. Cela fait du plus commun des mortels un paysagiste, dans le sens ou il influe nécessairement sur le réel, et donc sur le paysage. Le lien étroit qui existe entre la réalité du territoire (le « réel ») et les repré-sentations paysagères (l’idéel) apparaît ici noir sur blanc : il existe bien une interaction entre les représentations paysagères et les pratiques spatiales. Ces pratiques spatiales visent prin-cipalement à satisfaire le besoin de paysage soit par l’aménagement du lieu afin qu’il se rap-proche du stéréotype paysager souhaité par la personne, soit par le déplacement de cette même personne vers un lieu de vie qui concentre déjà une partie des composantes paysagères attendues.

Dès lors, comment se forment ces « archétypes » paysagers ? D’où proviennent t-ils ? Nous avons dit qu’ils découlaient avant tout d’un rapport culturel à l’espace. Ainsi, l’ensemble des médias qui traitent du paysage, qu’il s’agisse de la littérature, des représenta-tions picturales, et plus récemment du cinéma et de la culture marketing, ont un impact très fort sur la manière dont nous percevons l’espace qui nous entoure, mais aussi sur la significa-tion que peut prendre cet espace dans notre imaginaire (sa représentation). Les Bucoliques de Virgil, les tableaux de Le Lorrain ou de Constable, les romans de Giono, l’affiche pour l’eau minérale Volvic, le film Avatar de James Cameron… Toutes ces « créations » n’ont d’égal à leur grande disparité que leur capacité impressionnante à transmettre une représentation précise et subjectivée (une image esthétisée ainsi qu’un message qui reflète le point de vue fantasmé de son auteur) d’un paysage particulier (un paysage, dans le sens d’une entité pay-sagère archétypée : la campagne, la ville, la montagne, le désert…). Nous sommes bien évi-demment sensibles à ces images tantôt lyriques, tantôt agréables à l’œil. Certaines œuvres littéraires (nous citions Virgile) fondent même tout un pan de notre culture occidentale et ont en ce sens un impact très fort sur les représentations paysagères. La fin du 20ème siècle a vu le développement massif de la publicité : elle s’insinue aujourd’hui partout et pour tout, où que ce soit ; elle est devenue quasiment omniprésente et est partie prenante du paysage urbain. La publicité, quel que soit son support, utilise à dessein le pay-sage pour vendre voitures ou encore logements ; elle devient alors un puissant outil à créer des archétypes paysagers (Donadieu, 1994) et nous plonge aujourd’hui, dans un flot d’images permanent avec, parmi elles, des images de paysages que nous rêvons de parcourir. 1.3. Interaction entre les représentations et le contexte

Dans un article établissant de la chronologie des représentations du rapport ville/campagne, Nicole Mathieu (1998) précise qu’au-delà de la composante culturelle néces-saire à l’émergence de la notion de paysage, il est important de ne pas minimiser l’impact de ce qu’elle appelle « l’effet du réel » sur les représentations paysagères d’un endroit. Ainsi, tous les aspects fonctionnels et utilitaires d’un lieu (logistique, économique, alimentaire, question de l’emploi, etc.) nourrissent la notion de paysage en ce sens qu’ils orientent de manière non négligeable les représentations de ce lieu de la part des usagers. Par exemple, un paysage campagnard, bien que considéré comme « beau » par des personnes extérieures à la réalité économique du lieu, va disposer d’une représentation plus négative de la part des agriculteurs si l’activité agricole n’y est pas rentable. Au-delà de son aspect esthétique cer-

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tain, le paysage va dans ce cas se doubler d’une autre composante imaginaire pour le moins néfaste au paysage : les problèmes financiers futurs liés à la non productivité du champ vont se greffer à cette image campagnarde, la rendant tout de suite moins agréable. Il en est de même pour une ville pittoresque mais qui n’offre pas d’emplois à ses habitants : ceux-ci au-ront une représentation dégradée du lieu par rapport à celle de simples touristes n’y séjour-nant qu’occasionnellement. Ces quelques exemples dans quel but ? Celui de montrer que l’étude du contexte quel qu’il soit est indispensable à toute analyse ou étude théorique effectuée dans le sens du paysage.

Dans le cadre de ce mémoire comme nous le savons, nous allons nous intéresser da-vantage aux représentations de la « ville » et de la « campagne », deux paysages qui compo-sent une grande partie du territoire français. Et les contextes de crise économique jouent par exemple un rôle non négligeable sur les représentations de ces deux entités. Il en va de même pour la question du logement ou de la sécurité par exemple, mais nous ne rentrerons pas davantage dans ces détails ici. Cela montre bien que le contexte nécessite d’être étudié si nous souhaitons nous lancer dans cette étude.

Pour ce qui est de la partie théorique, nous nous limiterons au cas français, afin de ne pas créer de contresens ni de complexifier le propos inutilement.

2. Le nouveau rapport ville/campagne : la question du « tiers-espace »

2.1. Une « crise du paysage » en France

Très tôt en France (et aujourd’hui encore d’ailleurs), c'est-à-dire dès les années 60, on a pu entendre parler un peu partout d’une « crise du paysage ». Certains discours alar-mistes ne lésinant pas sur les termes, sont même allés jusqu’à parler de « mort du pay-sage »7. En réalité, ce qu’on a pu appeler « crise » ou « mort » à cette époque, ne désignait pas une disparition physique du paysage8, mais plutôt une perte des référents de ce qu’étaient alors communément la « campagne » et la « ville », ces deux espaces qui nous sont pourtant si familiers… Au sortir de la guerre en effet, les paysages urbains et ruraux ont changé de visage, ce qui a amené à un décalage entre d’une part, la représentation de ces espaces et d’autre part, leur réalité. Et lorsque le décalage qui existe entre l’ « idéel » et le « réel » de-vient trop important, alors surviennent perte des repères, incompréhension et donc rejet du nouveau paysage : « Actuellement, l’ajustement de l’archétype au réel ne se fait plus, le passage de l’un à l’autre ne peut plus s’effectuer. De là une crise d’identité, dans un champ du paysage comme partout ! » (Chabason, 1989)

Le paysage est en ce sens différent du matériel qu’il instaure un rapport quasi-existentiel avec la personne qui le regarde. Alors qu’on cherche souvent le progrès et le « dernier cri » dans les objets de la vie courante, pour ce qui est du paysage en revanche, on serait plutôt tentés par son éternité, son immuabilité rassurante. Car lorsqu’on regarde le nouveau visage de nos campagnes et de nos villes, il est rare que nous trouvions encore un quelconque plaisir à ce que nous voyons… et cela ne nous laisse pas indifférents. Assuré-

7 Pour reprendre le nom des célèbres actes du colloque de Lyon dirigé par François Dagognet, Mort du paysage ? Philosophie et esthétique du paysage, Seyssel, Champ Vallon, 1982 8 Ce cas-ci semble en effet difficile à imaginer au regard de la définition même du concept de paysage, à moins toutefois que ne survienne une extinction de masse du genre humain ou bien encore une fin du monde !

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ment, nos stéréotypes paysagers semblent s’être détournés de notre paysage quotidien. A moins que ce ne soit l’inverse. Et cette « crise d’identité » se fait sentir autant à la ville qu’à la campagne. 2.2. L’agricole : la mort d’un paysage ?

« La société occidentale, fidèle aux images de terroirs pittoresques qui ont formé un regard, voudrait figer les campagnes dans des tableaux immuables et arcadiens. Mais d’un autre côté, pour de multiples raisons économiques, politiques et sociales, l’espace rural se transforme. » Pierre Donadieu (2002 :108) confirme par cette phrase que le problème de la « crise du paysage » qui pèse aujourd’hui sur le monde agricole, serait bien la conséquence d’une rupture entre les représentations de la campagne d’une part, et de l’autre, leur réalité « transformée ».

Les faits, ils sont là : les campagnes ne sont plus les mêmes qu’avant. Il faut dire qu’au sortir de la Seconde guerre mondiale, l’Etat français a engagé avec les professionnels de l’agro-alimentaire « un processus d’intensification qui devait lui permettre, non seulement de satisfaire les besoins de la nation, mais d’exporter. » (Donadieu, 2002) Cette politique d’ « agricolisation » des campagnes s’est accompagnée de plusieurs mesures visant à augmenter toujours davantage le rendement des exploitations. Couplé à la mécanisation toujours crois-sante, le remembrement a alors changé de fond en comble l’image que l’on pouvait avoir de nos terroirs : explosion de la surface moyenne des parcelles, retrait du bocage et de la biodi-versité, érosion des sols, généralisation de la monoculture… Fini le temps ou le petit paysan travaillait son champ à la houe et à l’araire ; aujourd’hui, place à l’agriculteur moderne et à ses fabuleuses machines. Et comme le dit si justement Odile Marcel, « si la pelle et la pioche avaient trouvé une esthétique, celle du bulldozer reste à inventer ». (Chabason, 1989 : 270) Trop bruyant, polluant, le tracteur peine à convaincre. Il s’illustre aussi comme un intermé-diaire un peu trop encombrant entre le cultivateur et sa terre : l’automatisation semble les éloigner l’un de l’autre, alors que c’était autrefois de leur union que naissait le paysage de campagne. Aujourd’hui à l’inverse, la machine a fait perdre ce côté « humain » à l’agriculture, ce côté « fait main » (dont pourtant tant de produits du supermarché se targuent à tord et à travers), cette sensibilité vis-à-vis d’une « nature », pour en faire une activité axée vers la production rationnalisée et à but exclusivement alimentaire.

Ainsi, « toutes les activités annexes à l’exploitation du sol, et en particulier celles qui consistaient à gérer les éléments les plus visibles du paysage, comme les haies, les chemins, les ripisylves, échappent de plus en plus aux agriculteurs qui les confient à des opérateurs spécialisés ». (Luginbühl, 1999) Alors qu’avant l’agriculteur, lorsqu’il travaillait la terre, donnait forme aux choses, il se détourne aujourd’hui de son rôle de « jardinier du paysage ». Car le cultivateur ou l’éleveur a ceci de louable qu’il entretien sans frais supplémentaires de la part du contribuable, le cadre paysager de ce dernier. Ce décalage qui s’établit entre le champs et son cultivateur existe aussi entre le champs et l’assiette. Car, au regard du système économique global, les règles de proximité qui existaient entre producteur et consommateur se sont effacées ostensiblement dès la moi-tié du siècle dernier, renforçant par la même, la séparation fonctionnelle instaurée entre la ville et la campagne par la société industrielle. (Vanier, 2007) Les circuits alimentaires longs ont ôté presque toute trace d’existence des cours, s’inscrivant dans les allées et venues inces-santes des transports de marchandise « mondialisés ». Ainsi, il est souvent difficile de trou-ver des produits locaux dans le supermarché du coin, alors que d’autres, cultivés et transfor-

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més dans le monde entier s’y entassent. On pourrait alors croire que se met en place un échange de bons procédés, un juste retour par import-export, un envoi compensatoire par Chronopost un peu comme on faisait du troc autrefois mais à distance cette fois-ci : si nous ne consommons pas ce que nous produisons, alors c’est surement ceux qui nous nourrissent qui le reçoivent ? Assurément non, et l’histoire serait bien trop idyllique ainsi pour être crédible. En réalité, l’agriculture moderne, qui se base sur un système de production et d’échange mondialisé (terme quelque peu galvaudé et ayant perdu une part de sa signification à force d’avoir été employé à tord et à travers) est aujourd’hui la garante d’importantes inégalités mondiales.

Et les effets sur le paysage agricole s’en fait ressentir, et plus particulièrement sur « les paysages qui sont en marge de la grande production de denrées alimentaires de pays où, précisé-ment, celles-ci sont produites avec une main-d’œuvre moins chère, mais dans des conditions sociales et sanitaires douteuses. » La production agricole, de la même manière que celle de nos téléviseurs et de nos cafetières, subit la logique de la délocalisation féroce, la concentrant peu à peu mas-sivement vers de grands « bassins nourriciers » mondiaux, alors que de nombreux produc-teurs locaux se trouvent incapables de répondre à la concurrence et doivent fermer boutique. Les temps sont durs pour nos agriculteurs européens et français et « on peut s’interroger sur ce système qui permet à une grande société de produire, par exemple, dans le département du Lot, des confitures […] avec des fruits importés d’Europe de l’Est ou du Maghreb alors que les producteurs du Sud de la France ont toutes les peines du monde à maintenir leur activité et qu’ainsi, ce sont des pans entiers du paysage de la région qui basculent. » (Luginbühl, 1999). Cette disparition de certains de nos producteurs locaux sous le coup de la grande distribution amène alors inéluctablement le nombre d’agriculteurs et d’éleveurs présents dans nos campagnes à baisser. Cette disparition soudaine de nos « jardiniers du paysage » fait alors émerger une peur panique ; celle de la « désertification » de l’espace rural. Cette peur qui, on le sait maintenant, tient davantage du mythe, provient essentiellement selon Pierre Donadieu (2002) de « l’horreur de l’inculte », c'est-à-dire de la friche, ces « paysages d’abandon qui [semblent] troubler l’ordre éternel des champs ». Car si l’agriculture paysage le pays, la friche, elle, le recouvre ni plus ni moins, lui donnant alors l’image d’un espace dé-laissé, un vide humain sans fonction propre9. Ce paysage laissé pour compte est de ce qu’il y a de pire dans l’imaginaire collectif puisqu’il évoque aussitôt « une rupture entre la terre nourri-cière et les hommes ; [il] marque l’arrêt de la conquête, le renoncement au profit d’une nature incon-trôlable, où pullulent les figures de la répulsion : serpents venimeux, rats et mauvaises herbes. » (Do-nadieu, 2002 : 105)

Enfin, l’agriculture intensive d’aujourd’hui est connue pour les atteintes qu’elle pro-fère à l’encontre de la biodiversité et pour les nuisances qu’elle peut causer : la pollution des sols par l’utilisation massive de produits chimiques (phytosanitaires, intrants, etc.), la carence en eau qu’elle provoque dans certains pays peu développés, l’image douteuse des OGM et de la crise de la vache folle, les poules élevées en batterie… Voici autant d’exemples qui mon-trent le nouveau visage de l’agriculture productiviste d’aujourd’hui. Bien sûr existent de nombreux contre-exemples, mais dans l’ensemble, celle-ci souffre généralement d’une image très dégradée auprès du grand public : perte de la confiance face à la qualité sanitaire des aliments produits (la production ne sert plus à nourrir l’Homme mais bien la production elle-

9 Bien entendu, il ne s’agit là que d’une retranscription des craintes formulées par certains. Nous savons en effet aujourd’hui que les zones dites de « friches » ne sont pas des vides humains, mais trouvent souvent, dans le cadre de projets accompagnés par les pouvoirs publics, de nouvelles fonctions : randonnée, cueillette, chasse, pêche, etc. (Donadieu, 2002) Par ailleurs, les chiffres montrent que la désertification n’est pas un fait avéré puisque lorsqu’un agriculteur part à la retraite, ceux qui restent prennent son champ, limitant alors l’impact de son départ. Seul le remembrement semble être une valeur vraiment fiable.

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même…), mais aussi prise de conscience d’une éthique parfois douteuse du système agro-alimentaire (animaux maltraités, agriculteurs pris à la gorge par un système qu’ils n’ont fina-lement pas choisi, etc.). (Serreau, 2010)

Voici donc pour un petit tour d’horizon de quelques-unes des transformations qui ont secoué et secouent encore la campagne. Pour sûr, ces transformations ne se sont pas faites dans le sens escompté ; elles expliquent pour une bonne part, la crise idéologique qui existe aujourd’hui au sujet du concept de « campagne ». Donadieu finalement, en arrivera à poser cette question : « y aurait-il contradiction entre le dynamisme et la qualité des pay-sages agricoles ? », entendant par là que plus une terre est riche, c'est-à-dire rentable (c’est le cas de la Beauce en France par exemple), plus celle-ci est soumise aux impératifs de la pro-duction de masse qui semble vouée inévitablement à sculpter des paysages en totale rupture avec l’archétype recherché.

Mais finalement, sur quoi repose t-il, cet archétype de la campagne dont nous par-lons depuis un moment ? Sans rentrer dans trop de détails superflus ici, disons seulement que de nombreux chercheurs ont fait état, dès la fin du siècle dernier, d’une idéalisation so-ciale et collective du monde agricole d’autrefois, de la pastorale ; des idylles qui feraient réfé-rence directement à un besoin de retrouver le lien fusionnel entre l’homme et la na-ture aujourd’hui disparu; le mythe de l’Age d’or en somme. (Donadieu, 2002). Pour Odile Marcel, cela est net, l’âge d’Or n’existe pas et n’a jamais existé, il relève d’un imaginaire nourrit par les images idéalisées et "archétypées" du passé afin de compenser les manques du présent (Chabason, 1989). Cette vision édénique et pastorale mise en comparaison de ce que nous laissent voir aujourd’hui nos paysages de campagne, illustre alors bien la crise du pay-sage dont on entend partout parler. 2.3. La fin de la ville ?

2.3.1. Un exode urbain

Assez paradoxalement et contre toute attente, c’est justement à l’époque où l’agriculture vient de rentrer dans sa phase productiviste (années 60), que s’instaure une in-version dans le flux migratoire alors en vigueur entre la ville et l’espace rural. Alors que l’époque industrielle, en faisant de la ville le point de concourance de toutes les aspirations sociales, avait lancé le grand exode rural que nous connaissons tous (celui-ci avait peu à peu vidé les campagnes de leur population), c’est aujourd’hui au tour des campagnes d’attirer toujours plus de citadins. Ce phénomène d’exode urbain a été montré dès 1989 de manière quasi-prophétique par Bernard Kayser dont le livre La renaissance rurale10 a eu un retentisse-ment important auprès de la communauté scientifique d’alors, faisant l’effet d’une bombe en mettant à rude épreuve idées reçues et théories alarmistes faisant état d’une quelconque mort des campagnes et de leur paysage.

Sur fond de stabilisation démographique du pays, les statistiques le confirment très nettement quelques années après: il s’effectue bel et bien un transfert de population depuis le cœur des villes et à destination des campagnes. (Beaucire, 2004), La campagne serait-elle donc en train de se repeupler ? Oui et non, car si les villes dans leurs limites communales perdent bien une partie de leur résidents, les migrations à cette époque ne se traduisent la plupart de temps que par une légère excentration par rapport au centre-ville, faisant alors de

10 Kayser Bernard, 1989, La renaissance rurale. Sociologie des campagnes du monde occidental. Paris, A. Colin, 316p.

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la couronne périphérique (encore « campagnarde » à l’époque) un espace très convoité. Les migrations vers les endroits plus reculés, ceux que l’on appelle aujourd’hui communément le « rural profond », n’auront lieu que plus tard. Assurément, la ville est donc elle aussi soumise à des transformations importantes de sa spatialité du fait de ces transferts de population. Mais contrairement à ce que nous avons eu l’occasion de décrire dans le cadre des mutations des campagnes, ce sont les habitants eux-mêmes qui semblent faire le choix des transforma-tions urbaines. Que cache cet engouement soudain, ce retournement brutal pour les cam-pagnes, alors que celles-là même faisaient l'objet d’un désamour paysager chronique déjà quelques années auparavant ?

2.3.2. Un nouveau contexte technologique

Parallèlement à la mécanisation des campagnes, s’en est produit une toute autre : la mécanisation des foyers, si tant est que nous puissions l’appeler ainsi. Il s’agit ni plus ni moins de l’essor fulgurant de la voiture en tant que mode de déplacement principal au sein des foyers, une véritable démocratisation de son emploi dans le cadre des trajets quotidiens, et notamment dans le cadre des trajets domicile/travail. A l’époque, cette multiplication du nombre de véhicules utilitaires allait de paire avec l’aménagement de nouvelles infrastruc-tures aux abords des villes, dédiées principalement à ce mode de déplacement: rocades, ex-tensions autoroutières et bretelles ont alors été construites massivement. Dans le même temps se développaient les réseaux de transports en commun permettant à tout un chacun d’accéder toujours plus facilement à la périphérie des villes. (Rémy, 2005)

Finalement, toute cette nouvelle offre de mobilité a permis de se déplacer tout d’un

coup beaucoup plus rapidement qu’auparavant et ce, avec une liberté sans précédent quand au choix de la destination. Même la campagne devenait subitement accessible. C’est alors qu’une grande partie des urbains ont migré vers elle et y ont élu domicile, comme si cet accès de mobilité soudaine avait permis de satisfaire un besoin agreste enfoui depuis longtemps. En 1980, Yacov Zahavi11 a mis en lumière un fait tout à fait extraordinaire concernant le lien qui existe entre la vitesse de déplacement et les migrations quotidiennes. Reformulée de ma-nière plus synthétique par Bieber12 15 ans plus tard, cette conjecture donne ceci : « Les pro-grès de la vitesse offerte par l’amélioration des techniques de déplacement et par l’importance des in-vestissements consacrés à l’automobile et aux transports collectifs, permettent, non pas de gagner du temps, mais d’augmenter la portée spatiale des déplacements en maintenant relativement stable le bud-get-temps de transport d’un individu ». En d’autres termes, avec l’accélération des transports permise par le progrès technique tou-jours croissant, ce n’est pas le temps consacré aux déplacements quotidiens qui diminue, mais bien les distances parcourues qui augmentent (La cas de Grenoble, Figure 2, illustre bien ce phénomène). Cela met en avant deux choses. Premièrement que cette évolution soudaine qu’à pu subir la ville s’inscrit probablement dans une logique plus large de développement, tra-duisant par la même un besoin constant de la part du citadin de s’éloigner du centre-ville dense, un besoin de plus d’espace. Et deuxièmement, que la ville ne peut plus être essentiel-lement considérée comme une entité morphologique inerte, mais bien comme un espace de mobilité et de flux en tous genres, comme un espace « au choix »13

11 Zahavi Y. et Talvitie A. (1980) « Regularities in Travel Time and Money Expenditure », in Transportation Research Record, 750, 13-19. 12 Bieber A. (1995) « Temps de déplacement et structures urbaines » in Duhem 13 D’après une définition e Yves Chalas pour la ville émergente : Charmes Eric, Léger Jean-Michel, 2009, « Retour sur « La Ville émergente » », Flux 1/2009 (n° 75), p. 80-98.

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Or, cette grande liberté qui permet à chacun de se déplacer où bon lui semble et de

vivre où son envie le porte, s’est récemment trouvée enrichie par l’émergence de l’internet massif et la banalisation du virtuel : besoin n’est plus aujourd’hui de se déplacer pour aller travailler, d’aller à la bibliothèque pour chercher une quelconque information, au marché pour faire les courses, ou simplement sortir de chez soi pour rencontrer du monde. Des ré-seaux sociaux en ligne font maintenant office d’espace public immatériel où l’on pourra échanger avec nos homologues humains plus facilement qu’en se promenant tout simplement dans la rue. Par conséquent, l’espace public physique lui-même change de statut, tendant à émerger vers un espace fait de cellules séparées les unes des autres, indépendantes spatiale-ment, mais reliées entre elles à distance.14 C’est donc une autre spatialité qui émerge, a-géographique (en opposition à l’espace géographique). Encore une nouvelle « espèce d’espace »15 qui impacte directement le réel et donc le paysage à la fois de nos villes et de nos campagnes.

2.3.3. La ville au choix

Dès lors, ce nouveau contexte technique qui réduit les temps de déplacements phy-sique et rend le transit des informations instantané d’un côté à l’autre de la planète, a un impact sur notre perception du temps et de l’espace sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Le citadin étant de moins en moins contraint16 par les aspects fonctionnels et logistiques liés au contexte, il peut alors pratiquer l’espace (et donc le transformer) beaucoup plus librement que par le passé. Il dispose dorénavant d’un champ d’action quasi illimité et peut donner libre cours à son imagination, satisfaire pleinement ses aspirations paysagères (et donc paysagistes). Maintenant que l’avion existe, il peut voyager où il le souhaite pour découvrir les paysages dont il a tant rêvé. Maintenant que la voiture existe, il peut désormais habiter n’importe quel endroit dès l’instant où il le souhaite (du moment que ce lieu n’est pas trop loin de son lieu de travail). A l’inverse, grâce au flux d’informations toujours plus im-

14 Voir le petit livre de Richard Scoffier dans lequel est évoqué l’impact du virtuel sur l’espace et la façon de le vivre : Les quatre concepts fondamentaux de l’architecture contemporaine, 2011, Norma 15 Référence au livre de Georges Pérec, Espèces d’espaces, 1974, Galilée [éd] 16 Il e existe une cependant. Il s’agit de la limite énergétique que peut fournir la terre pour satisfaire aux « caprices » des ama-teurs de paysage. La finitude écologique a notamment été énoncée par Gilles Clément (2004).

Figure 2- Augmentation de la distance parcourue pour le même investissement en termes de temps de déplacement (Source : Francis Beaucire, 2006/Montage : E.P.)

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portant délivré par les services de télécommunication, par les médias de masse (télévision) et par l’internet, il a maintenant accès à un imaginaire paysager très vaste (mais non moins empreint de stéréotypes). C’est pour ces raisons que le nouveau contexte dans lequel évo-luent nos sociétés, la « mondialisation » comme l’appellent certains, joue un grand rôle dans la manière dont se font et se défont les paysages aujourd’hui : « Les sociétés et les paysages sont entrés dans une période trouble de flux et de tourbillons que l’on nomme communément "mondialisa-tion". […] Il ne faut pas en douter : les transformations du paysage suivront. » (Luginbühl, 1999)

Et finalement, ce nouveau contexte qui est le vecteur de libertés individuelles (au point que nous ne sachions parfois plus trop où nous en sommes, trop de liberté pouvant être néfaste à la liberté elle-même), c’est un peu ça, l’empire de la consommation: « A l’empire de la production, imposé par la révolution industrielle, s’ajoute puissamment à partir des années 1970 l’empire de la consommation, celle de la campagne par la ville, imposé par la révolution urbaine des années 1950-1970. » (Vanier, 2007) Ainsi, de lieu de production rationnalisée de biens alimen-taires, la campagne est devenue lieu de consommation de masse, un lieu dans lequel on con-somme un paysage, un « paysage marchandise » comme l’appelle Henri Cueco (1982). Ces deux modes très différents d’occupation spatiale se sont superposés plus qu’ils ne se sont enchainé dans le temps. La campagne ayant changé de visage environ au même moment que cet intérêt soudain pour le paysage campagnard, on se rend bien compte non seulement de la crise paysagère qui est alors susceptible d’émerger, mais aussi de la puissance que peut avoir l’idéologie paysagère face à la réalité. Sur la base d’une mobilité développée ont alors com-mencées à être « grignotées » les campagnes tout autour de nos villes voir même, plus loin. C’est ce qu’on appelle le phénomène de rurbanisation (un néologisme de 1976, fait d’un peu de rural et d’un peu d’urbain)17.

Dans le but d’expliquer les raisons de ce phénomène, les chercheurs ont bien évi-

demment pointé du doigt le phénomène d’idéalisation des campagnes stimulé par les médias : « Quels visage désirables offrent les paysages sauvages que les médias et le goût du voyage ont contri-bué à former ? Il est inutile de les chercher bien loin car beaucoup sont situés dans l’Hexagone et par-fois même aux portes de nos villes. » (Donadieu, 1998). Mais est également évoquée une fuite de la ville de la part de citadins (Mathieu, 1998). Un désamour pour l’urbain qui remonte aux années 70, lorsque survient une véritable crise de l’emploi en France : le taux de chômage ne cesse d’augmenter, atteignant des seuils critiques. Parallèlement, apparait une légère hausse de la criminalité à l’intérieur des villes. Une hausse qui ne manque pas d’être retransmise massivement par les médias généralistes toujours plus implantés. L’image de la ville s’enrichie alors de toutes ces composantes négatives, et se dégrade en conséquence.

Mais dans le même temps, les inégalités se creusent et les classes moyennes et supé-rieures voient leur niveau de vie augmenter régulièrement dès les années 60. L’image néga-tive de la ville, la promesse de paysage campagnard et la remise en cause dans certaines villes des projets de grands ensembles, invitent peu à peu les classes moyennes des quartiers péri-phériques à prendre le large en s’externalisant par rapport à la ville, venant gonfler la popu-lation des petites bourgades périphériques. De leur côté, les classes supérieures suivent elles aussi ce mouvement ou bien vont repeupler le centre-ville qui connait alors un processus de gentrification. Bien évidemment, il ne s’agit là que de grands principes d’évolution des villes d’alors, et des sous-mouvements contradictoires ont bien sûr également existés. Mais quoi qu’il en soit, la tendance de l’époque est au retour à la campagne. Une tendance qui se voit d’ailleurs renforcées au même moment par une politique mise en place par l’Etat, favorisant l'

17 Le mot apparait pour la toute première fois dans le titre du livre de Gérard Bauer et Jean-Michel Roux, La rurbanisation ou la ville éparpillée, 1976, Edition du Seuil

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accession à la propriété. (Beaucire 2006)

Toutes les circonstances sont réunies à la fin du siècle dernier pour que les villes se dépeuplent et que « renaissent » les campagnes. Le contexte économique, social et technique (développement massif de l’information) a eu un impact retentissant sur la manière de perce-voir la « ville » et la « campagne », faisant alors émerger de nouvelles représentations con-cernant ces deux espaces (l’effet du réel sur l’idéel). Parallèlement, la nouvelle offre de mobili-té a permis aux citadins de retranscrire dans les faits, c'est-à-dire spatialement, ces représen-tations (l’effet de l’idéel sur le réel). S’est alors instauré un déplacement massif depuis un es-pace au paysage dévalorisé (la ville) et à destination d’un autre davantage convoité (l’espace rural). Ces nouvelles migrations ont entrainées les mutations brutales et simultanées du rural et de l’urbain. Celles que nous connaissons bien et que (d’un simple coup de vélo) nous pouvons observer aux abords de nos grandes villes.

2.3.4. La ville diffuse Voici une image figurant une ville au Moyen-âge (Figure 3). Bien entendu, il s’agit là d’une représentation mentale et non figurative de la ville en question. Durant très longtemps, c'est-à-dire jusqu’à la révolution industrielle (pour résumer grandement), nos villes ont res-semblées à ça : un espace bâti au contour très dessiné qui se lit très distinctement en compa-raison de l’espace rural alentour. Constituée exclusivement de maisons blotties les unes contre les autres dans un tissu dense, la ville est ceinte d’un rempart démarquant de manière nette et sans bavures son intérieur de son extérieur. L’espace rural quand à lui est synthétisé par la présence du végétal : une fine couronne de champs tout autour de la ville puis quelques

Figure 3- Représentation d’une ville typique du Moyen-âge au XIIe siècle (Source : http://tnmoyenage.tableau-noir.net)

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arbres au loin, posés ça-et-là dans le paysage. Ici, est transmit une idée d‘ordre et de choses bien rangées, chaque chose semble être à sa place, et lorsqu’on regarde bien rangées, chaque chose semble être à sa place, et lorsque l’on regarde cette image quelque peu naïve, on ne manquerait pas de lui trouver un certain charme désuet.

En revanche, une photographie figurant la périphérie Ouest de Toulouse (Figure 4) nous donne à voir un spectacle tout autre. Ici, plus question de limite nette entre ville et campagne. Bien au contraire, ces deux espaces naissent de leur rencontre floue et indécise. Nous ne somme plus capable ici de dire à quel endroit commence le rural ni à quel autre finit la ville : des espaces « naturels » sont englobé par pans entiers à l’intérieur du tissu urbain tandis que des îlots bâtis se déploient par fragments à l’intérieur de l’espace rural. Le paysage est morcelé, aucune entité n’est clairement visible, nos critères communs pour définir l’espace sont alors mis à rude épreuve. De toute évidence, il ne s’agit de rien d’autre que d’un espace à mi-chemin entre la ville et la campagne, un espace hybride. Cette zone indécise qui émerge tout autour des grands centres urbains, est communément appelée « périurbain »18, un autre néologisme créé par l’INSEE cette fois-ci, à base d’un peu de périphérie et d’un peu d’urbain (afin de marquer son caractère concentrique vis-à-vis du centre-ville qui lui, reste dense).

Un plan de l’agglomération toute entière (Figure 5) nous montre que ce brouillage

spatial se généralise à l’ensemble du territoire. Ici, le tissu urbain n’a jamais de fin à propre-ment parler. La ville n’est jamais totalement absente de l’espace rural tandis que le rural est toujours un peu présent dans la ville, c’est selon. Cette nouvelle forme de ville tranche avec des siècles d’urbanisme dit « compacte ». Ce continuum urbain-rural est une des caractéris-tiques principales de la « ville diffuse », modèle vers lequel nos villes semblent tendre inexo-

18 Il existe aussi le mot « suburbain » pour définir cet endroit entre ville et campagne

Figure 4- Vue aérienne de Toulouse prise en 2004 en survol du quartier Lardenne. (Source : www.survoldefrance.fr)

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rablement aujourd’hui19. Mais au-delà de sa forme inédite, ce nouveau modèle urbain inter-pelle également « un vieux couple épistémologique, classique des sciences de la société et de ses espaces […]: le couple ville / campagne. » (Vanier, 2007) Ce vieux couple que nous pen-sions d’un antagonisme immuable (bien que si proche dans l’espace) semble tendre à fusion-ner aujourd’hui en une seule et même entité spatiale, un « tiers-espace » (Cordobes, Lajarge, Vanier, 2010).

2.3.5. Le continuum urbain/rural

Cette ville diffuse marque donc un effacement des notions communément admises de « ville » et de « campagne ». Ceci se fait non seulement spatialement, par interpénétration des deux tissus, comme nous avons pu le voir, mais aussi fonctionnellement. Donadieu (1999 : 52) nous donne quelques précisions sur ce point : « Aujourd’hui, la mobilité entre le lieu

19 Pour les besoins de ce texte, nous utiliserons le terme de « ville diffuse » qui a été beaucoup employé en France, mais d’autres appellations existent également : « ville éclatée », « ville fragmentée »… D’autres encore : « ville émergente », « ville générique », « Exurbia »,… ne définissent plus l’aspect formel du nouveau modèle de ville, mais bien sa rupture avec la ville d’autrefois.

Figure 5- La « tâche urbaine » toulousaine (Source : IGN/Géoportail - Montage : E.P.)

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de travail et le lieu de résidence est devenue la règle : 50% des urbains, 60% des ruraux travaillent en dehors de leur commune d’habitation principale. A cette tendance lourde s’ajoutent, dans les communes rurales, la création d’activités non-agricoles, l’installation de retraités français et étrangers et le déve-loppement d’emplois liés au tourisme, à l’éducation et à la santé. La France rurale devient inélucta-blement de moins en moins agricole, sans pour autant être abandonnée par les agriculteurs qui ac-croissent leur surface exploitée. »

Aujourd’hui, la plupart des agriculteurs habitent en ville. De la même manière, le nombre de cultivateurs des communes rurales devient quasiment négligeable au regard de leur population totale. Les fonctions sont redistribuées partout sur le territoire : l’endroit où certains cultivent est habité par d’autres, et inversement. Les déplacements devenant la règle prioritaire des modes de vie et d’habiter, la totalité de la population du pays, mis à part quelques rares exceptions, vit aujourd’hui selon des habitudes urbaines. L’image du paysan d’autrefois, habitant à l’endroit de son champs coupé du monde et ne vivant que de sa pro-duction n’existe plus. Pas plus d’ailleurs que des personnes ne restant qu’en ville : au-jourd’hui, la campagne (ou dans une moindre mesure le périurbain) est devenue une base de loisirs très prisée car elle comprend des activités introuvables en ville du fait de l’espace dont elle dispose (randonnée, équitation, golf, karting, etc.) C’est en ce sens que la ville et la cam-pagne apparaissent comme indissociables l’une de l’autre aujourd’hui, tant spatialement que dans la manière dont ils sont vécus. Le rural profond n’existe quasiment plus aujourd’hui.

Ce brouillage généralisé de nos territoires pose aujourd’hui la question de leur défini-tion. Au regard des nouvelles réalités, les termes encore usités de ville et de campagne appa-raissent en effet comme quelque peu obsolètes alors que ces deux entités tendent à se re-joindre en une seule.

Figure 6- Reste-il des zones de « rural profond » dans la ville-territoire ? Cette superposition de maillages de différentes échelles lui laisse peu de chance de survie (Source : Schéma & Montage : E.P/d’après Jean Remy et autres)

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Même les définitions statistiques peinent à se mettre à jour, comme nous l’explique Christine Lamarre: « En France les villes ont reçu très tôt, dès 1846, une définition statistique […] par l’INSEE : elles doivent regrouper plus de 2000 habitants agglomérés. […] La stabilité du critère démographique et, en regard, la mutation profonde du monde urbain, sa croissance et surtout sa dila-tation, constituent déjà un curieux paradoxe pour les historiens. »20.

Aujourd’hui, l’INSEE, a enrichi ses définitions de « ville » et de « campagne » par d’autres notions intermédiaires et a pris en compte la question de la mobilité domicile-travail. Les concepts de « pôle urbain », de « couronne périurbaine » ou encore de « com-munes périurbaines » par exemple marquent un passage progressif de la ville vers la cam-pagne. Cependant, les critères principaux utilisés pour définir ces notions restent essentiel-lement basés sur des principes de continuités de bâti ou de densité de population (Potier, 2007). Cela marque une certaine difficulté, même de la part de certaines institutions, à s’affranchir des critères de compacité pourtant rendus de plus en plus obsolètes. Et Nicole Mathieu de dire : « Les définitions "objectives" de l’espace rural (en particulier les découpages statis-tiques), les dénominations des types d’espace (comme celle de « rural profond »), les modèles des rela-tions ville/campagne ne sont pas sans rapport avec les préférences "idéologiques" des chercheurs qui les produisent. » (Mathieu, 1998)

2.3.6. Le problème périurbain Cette ville diffuse que nous nous sommes efforcés de décrire, fait naître en ses marges des quartiers emblématiques de notre nouveau mode de vie aux contours brouillés. Le périurbain est en quelque sorte le fruit de la diversité (et de l’excès) qui est aujourd’hui de mise à la fois dans les déplacements de chacun, dans les activités, dans les horaires de vie (la chronotopie : une ville vit également la nuit). Cette diversité se traduit dans l’espace par ces nouveaux quartiers fais de toutes sortes de choses et de formes qui semblent avoir été mises les unes à côté des autres sans trop de réflexion. La proximité géographique ne préside bel et bien plus à l’établissement du tissu périurbain et toutes les activités qui ne peuvent prendre place dans le tissu dense de la ville ancienne y sont rejetées : centre commerciaux, zones industrielles, bases de loisir, etc… Le périurbain apparait donc comme un espace foncier et fonctionnel à usage de la ville et de la campagne. C’est aussi pour cela qu’il a été laissé pour compte dans les politiques d’aménagement. Incompris, perçu comme « périphérique », ne répondant aux représentations ni de ville ni de campagne, il a longtemps fait office de lieu de relégation de toutes sortes de fonctions considérées comme « néfastes » ou « incompatibles » avec le centre-ville. Le périurbain apparait alors comme le lieu indispensable et nécessaire à nos modes de vie contemporains survoltés. (Figure 7)

Lors d’un entretien mené par Lucien Chabason, Marcel Odile décrit le paysage de cet espace ou plutôt, son non-paysage : « On peut ainsi parler d’une perturbation de l’espace : par exemple, le passage incertain de la cam-pagne aux banlieues, les publicités le long des routes… Personne n’a mieux saisi le visage de cette « américanisation » que les photographes réunis par la DATAR pour l’exposition « Paysages. Photo-graphies ». Tous ont représenté cette perte de sens des objets posés en désordre dans l’espace, et le ma-laise qui résulte d’un tel spectacle. » (Chabason, 1989 : 268)

20 Lamarre, Christine (1998), « La ville des géographes français de l’époque moderne, XVIIe-XVIIe siècles », in Genèse 33, déc. 1998, pp. 4-27

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Le malaise qui peut parfois être ressenti dans la zone périurbaine de nos villes, c’est

bien de cette absence d’ordre qu’il naît. Cet espace s’oppose à notre esprit rationnel et de-mandeur de clarté spatiale. Pour Barbara Monbureau (2007 : 34-35), ce désordre se couple aussi à une disparition simultanée de « la forme et de l’identification affective du lieu » : « L’ennui pour le paysagiste, c’est de devoir affronter cette chose sans forme, sans identité, c’est d’essayer de déchiffrer un sens inscrit dans cet amas sans figure. Car c’est la forme qui doit révéler le sens de ce que l’on voit. […] L’ordre des choses doit se révéler, simplement, par une image claire et évidente pour tous. C’est bien là la difficulté, l’image claire a disparu. » Des observations confir-mées de tous bords et qui affirment une fois encore la crise paysagère que ces lieux sont ca-pables d’engendrer.

Finalement, ce paysage « américanisé » (Chabason, 1989) reflète à merveille la « pé-riode trouble de flux et de tourbillons » dont nous parle Yves Luginbühl, ce contexte de « mondialisation » dans lequel nous sommes plongés.

2.3.7. Alors, est-ce la fin de la ville ?

Dès les années 70, de nombreux auteurs et mêmes des chercheurs sont montés au créneau devant ce manque d’ordre chronique qui émergeait de nos paysages urbains. Des mots très forts ont alors été proférés, un peu à la manière de ce qui avait pu se produire pour les mutations du paysage agricole. Après la « mort du paysage », on parle alors de la « fin de la ville », cette ville qui se dissout sans fin, jusqu’à en perdre ses caractéristiques mêmes. Aujourd’hui, les zones périurbaines constituent généralement plus de 40% de la surface ur-banisée de nos villes.

Figure 7- Vue aérienne de L’Union, périurbain Nord-est de Toulouse. Lotissements, zones indus-trielles, périphérique, petites rues, champs, entrepôts, lac... un vrai concentré de monde sous la forme de composants morcelés. (Source : Google Earth 2006)

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« Alors, faut-il s’en émouvoir ? »21 S’agit-il de la fin de l’espace tel que nous le connaissions, ou bien est-ce la fin de l’espace, tout court ?

L’émotion suscitée autour de cette nouvelle forme de ville s’explique par les deux as-pects précédemment énoncés, à savoir d’une part, l’effacement des notions de ville et de cam-pagne auxquelles nous nous sommes attachées et d’autre part, la crise du paysage visible non seulement dans les zones périurbaines mais aussi dans l’espace rural (traces de mitage no-tamment).

Yves Chalas, qui a sans doute été l’un des premiers chercheurs à trouver des qualités à ce « méli-mélo urbain » explique que, encore durant les années 90, « on baignait dans cet imaginaire catastrophiste de la fin de la ville, de la ville à la fois partout et nulle part, de la ville pro-liférante, de la ville éclatée, de la chute tragique de l’urbanité et de la densité sociale, de la multiplica-tion des non-lieux, du confinement au foyer, etc. » (Charmes & Léger, 2009). Plus loin : « A l’époque, tous les autres penseurs […] baignaient dans l’épistèmê de la fin de ville, de la fin de l’urbain, avec cette opposition urbain/ville qui me paraissait intenable. » Et finalement de dire : « En cherchant la fin de la ville, je trouve une ville autre, je trouve de la ville, toujours de la ville, encore plus de ville : nous sommes urbains, toujours plus urbain ».

Ainsi, au lieu de ne voir que tristesse et désolation dans les brusques changements urbains auxquels nous assistons, sans doute serait-il préférable d’y regarder à deux fois pour y trouver une opportunité de redessiner une ville davantage centrée sur ses habitants, plus humaine et répondant réellement à leurs besoins. « La ville générique, écrit Koolhaas, est la ville libérée de l’asservissement au centre, débarrassée de la camisole de force de l’identité. La Ville générique rompt avec le cycle destructeur de la dépendance : elle n’est rien d’autre que le reflet des né-cessités du moment et des capacités présentes. C’est la ville sans histoire. »22

La nostalgie de la ville d’autrefois qui nous pousse à reproduire inlassablement des spatialités perdues, tiens donc non seulement de la pure chimère mais nous fait également tourner le dos à l’avenir. Il faut accepter ce qui est, et travailler à l’améliorer, offrant un champ de possibles sans précédant à la discipline urbanistique. L’urbanisme est donc plus que jamais nécessaire ! Mais considérer travailler sur nos villes nécessite en amont de com-prendre les raisons des mutations qu’elles ont récemment connues…

3. Entre demande sociale et projet de ville 3.1. Une ville « insoutenable »

« Viendra-t-il un jour où les lotissements bon marché des grandes couronnes périurbaines prendront le charme désuet des faubourgs hétéroclites de l’avant-dernier siècle, eux aussi si justement dénoncés en leur temps ? L’histoire urbaine est riche de ces espaces de mutation qui adviennent d’abord dans la controverse et la stigmatisation (les quartiers industriels jadis, les grands ensembles naguère, le périurbain aujourd’hui) avant de rejoindre à la deuxième génération le stock patrimonial en perpétuelle transformation qui

21 Question introduisant l’épilogue du petit livre de Richard Scoffier (2011), Les quatre concepts fondamentaux de l’architecture contemporaine, Norma 22 Koolhaas Rem; Mau Bruce, O.M.A. (1995), S,M,L,XL, 010, Rotterdam

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fait la ville et ses territoires. Mais si l’on a coutume de dire qu’en urbanisme les solutions d’aujourd’hui sont les problèmes de demain, il semble que la périurbanisation ne demeure, aux yeux de tous, que le problème d’aujourd’hui, sans guère de promesses pour demain. » (Vanier, 2007)

La ville diffuse peut apparaitre comme un espace de tous les possibles, une occasion pour les habitants de dessiner une ville davantage à leur image. Elle peut être aussi considé-rée comme un espace en transition autant sur le terrain que dans les esprits. En revanche, et au-delà des questions paysagères, la question du développement durable a fait son chemin aujourd’hui et son constat est clair : la ville diffuse n’est pas durable dans le temps parce que trop onéreuse sur tous les niveaux. Pour les urbanistes, architectes et bureaucrates, il est temps de se pencher sur ce problème afin de rendre la ville plus « soutenable », plus économe et respectueuse de son environnement. Faisons un rapide tour des raisons qui poussent les aménageurs du territoire à remettre en cause aujourd’hui ce modèle de ville.

Pour énoncer ces différents points, nous nous baserons sur l’étude de Guillaume

Pouyanne « Des avantages comparatifs de la ville compacte à l’interaction forme urbaine-mobilité », parue en 2004 dans Les Cahiers Scientifiques du Transport, N°45. D’abord, la ville diffuse est mangeuse d’espace ; elle s’étale sur les espaces ruraux qui la jouxtent faisant alors de ses derniers le négatif de son expansion. Ensuite, ce modèle urbain est à la fois la cause et la conséquence de l’utilisation massive de la voiture. Très étalée est reposant sur la mobilité très développée de ses habitants, la ville diffuse apparait comme fortement soumises aux aléas des prix de l’énergie, mais aussi extrêmement polluante. Enfin, cette forme tend aussi à mul-tiplier les réseaux (voies, électricité, eau, etc.) dans le sens où les habitations sont espacées les unes des autres. Les installations nécessaires à l’approvisionnement du mitage est un poids qui pèse lourd sur les épaules des collectivités, tout autant que l’entretien du service mis en place. Lorsque le territoire se maille et que les habitations s’éloignent les unes des autres, la desserte en transports en commun est aussi plus difficile à mettre en place et, qu’il s’agisse du tramway, du bus ou du métro, les moyens de transports collectifs peinent à être performants dans un milieu de faible densité.

Ainsi, en comparaison à la ville compacte d’autrefois, la ville diffuse est énergivore est coûteuse à tous les niveaux. Par conséquent elle est extrêmement soumise aux fluctua-tions du marché de l’énergie, la rendant particulièrement fragile. Or, nous le savons, l’énergie n’est pas illimitée, et lorsque cet apport prendra fin, il sera sans doute un peu tard pour se mettre à reconstruire. Le nouveau contexte de crise économique ne peut que faire craindre le futur si rien n’est fait à temps, les habitants du périurbain étant bien évidemment les plus vulnérables.

La question de la compacité a constituée une préoccupation constante en urbanisme, toutes époques confondues, elle ne nous a jamais quittée (Beaucire, 2006). Alors que la ville diffuse commençait à gagner le cœur de certains, le modèle de la « ville compacte » revient sur le devant de la scène au travers du développement durable. Le mot d’ordre qui se passe alors d’une ville à l’autre, c’est de redensifier le tissu, de stopper l’étalement, de construire du collectif, etc. (voir l’analyse du projet urbain de l’agglomération toulousaine p.36) 3.2. Vers une évaluation de la demande sociale

Avec d’un côté ces aspirations durables qui vont à son encontre, et de l’autre, la dis-parition progressive des images qui nous sont chères de la campagne et de la ville faite « à

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Figure 8- Les habitants de ce genre de quartier seront les premiers touchés en cas de crise éco-nomique ou énergétique ; cela a d’ailleurs déjà commencé - Vue aérienne de Cugnaux, périurbain Sud-ouest de Toulouse. (Source : Google Earth 2006)

Figure 9- La mitage de la campagne - Vue aérienne de Saint-Orens-de-Gameville, périurbain Sud-est de Toulouse (Source : Google Earth 2006)

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l’ancienne », le nouveau modèle vers lequel tendent nos villes n’a pas le vent en poupe auprès des urbanistes, architecte et autres experts. Or, nous avons pu voir au cours de cette partie, que la nouvelle forme émergente de la ville, la ville diffuse, était avant tout liée au mouve-ment de ses habitants. Les transformations spatiales que nous observons tout autour de nous est donc le fruit des choix cumulés des citadins.

Le premier constat qui peut être fait ici, c’est qu’il y a contradiction entre d’une part ce à quoi les usagers aspirent, et d’autre part ce que préconisent les acteurs. Donadieu met d’ailleurs en avant ce fait : « Des nouvelles formes de villes sont aujourd’hui en train de naître : éparpillées, dispersées, décousues, chaotiques, disent les médias comme la plupart des chercheurs. Ce constat ne s’accorde pas avec l’opinion de l’essentiel de la population française qui apprécie son ou ses territoires de vie ou de travail ». (Donadieu, 1998 : 70)

Quand on regarde les paysages de lotissements, l’amalgame de ces formes qui se dé-

gagent aujourd’hui des campagnes urbaines, on serait alors tenté « d’invectiver ces êtres sans goût et sans savoir vivre qui ont planté leur maison là, au beau milieu de cette campagne idyllique. On parle de comportement criminel. » La critique est certes facile, mais « avec un peu d’honnêteté, on se dit qu’on est soi-même comme tous ces habitants, des urbains qui se nourrissent à la source de la ville et aimeraient se ressourcer à la campagne. » (Monbureau, 2007) Alors, faut-il en vouloir aux personnes qui habitent dans ces lieux ? « L’habitat individuel n’est en aucune manière à dénoncer. Vivre dans une maison individuelle est une manière normale de vivre » (Chabason, 1989). Pour Odile Marcel, la faute n’est donc pas aux habitants mais plutôt aux « architectes, urbanistes, ingénieurs et bureaucrates [car ils] s’obstinent à considérer que la ville ne peut se définir que par l’habitat collectif et les espaces publics. La maison apparaît alors comme le parasite de l’urbanisme. Cette façon de voir témoigne d’un véritable refus de la réalité, d’une incapacité à la saisir. […] On a prétendu traiter cette question en la niant, en la dénonçant et en la rejetant, au lieu de l’organiser et de la gérer. » Les professionnels ont en effet eu leur rôle à jouer à un moment donné de cette histoire, mais ils n’ont pas saisi leur chance. A cette époque, la demande sociale a été évincée, refoulée par ces professionnels, la laissant dans l’attente. Et le résultat le voici : « Les marchands de maisons [se sont emparés] de l’intégralité du marché, en leur soufflant leur propre pouvoir. Ces marchands proposent des terrains lotis, viabilisés avec permis de construire et maisons industrialisées "clefs-en-mains". La quasi-intégralité du marché de la maison individuelle est occupée par ce mode de construction et avec lui, l’urbanisation des campagnes. » (Chabason, 1989)

La demande a été la plus forte (comme bien souvent d’ailleurs) et l’offre des construc-teurs, en la satisfaisant dans ses grandes lignes bien que sans vraie réflexion architecturale (c’est plus rentable), ont fait mouche. Comme nous le disions, ce n’est pas moins de 80% des français qui souhaitent posséder une maison et un jardin… Il est donc surement temps de faire quelque chose. Les architectes se doivent de reprendre en mains la gestion de ces terri-toires trop longtemps délaissés. Mais ce n’est surement pas dans le silence que cela pourra se faire, et la prise en compte de la demande sociale apparaît comme nécessaire si ce n’est indis-pensable à cette entreprise ; comprendre ce qui se trame vraiment derrière cette demande de paysages campagnards et cette fuite de la ville…

Tout au long de ces pages nous avons commencé à esquisser quelques réponses, mais celles-ci restent avant tout théoriques et sans attaches particulières à un lieu. Nous pensons qu’il existe des réalités spécifiques à chaque endroit (bien que le contexte mondialisé tende malheureusement à les uniformiser) et qu’une vision d’ensemble telle que celle énoncée jus-qu’ici ne saurait que les effleurer. Nous avons besoin de faire l’expérience du terrain et d’aller à la rencontre de cette demande, de prendre conscience des réalités très locales et du point de

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vue des usagers pour pouvoir enfin approcher ce que peuvent être les représentations de la ville et de la campagne en ces lieux tellement soumis à la critique théorique. 3.3. Reformulation du problème

« Quelles représentations de la ville et de la campagne dans le périurbain aujourd’hui ? » Telle est la question de départ. Elle est suffisamment large pour nous laisser libre. Elle cons-titue en outre un merveilleux prétexte pour parler de paysage. C’est pourquoi cette interroga-tion en cache en réalité plusieurs. Voyons plutôt.

Nous l’avons montré, les représentations des concepts de ville et de campagne influent sur les pratiques spatiales. Inversement, elles sont nourries dans un processus complexe par le contexte économique, social, culturel et technologique mais aussi par la réalité du terri-toire. Au sortir de la guerre, nos campagnes ont changées sous l’effet cumulé d’une productivité agricole accrue et d’un exode rural prolongé. Ces paysages campagnards ont commencés à se détourner de nos archétypes paysagers de ce que pouvait être la campagne, provocant par la même le sursaut de la critique médiatique et scientifique, s’offusquant d’une « mort du pay-sage ». Parallèlement à ce climat de crise paysagère, un exode urbain s’est mis en place, entrainant la rurbanisation. Ces nouvelles tendances migratoires provenaient essentiellement d’une image dégradée de la ville mais aussi d’une certaine idéalisation des campagnes. La contradiction entre la réalité du territoire et les représentations de ce même territoire émerge alors (le décalage fréquent entre idéel et réel). L’hypothèse est formulée qu’à l’époque, les réalités con-cernant le monde agricole n’étaient pas suffisamment anciennes pour influer sur les représen-tations de la campagne, laissant alors intacte son idéalisation. Mais alors que le système agro-alimentaire ne semble toujours pas prêt de changer (et c‘est un euphémisme) et que les premiers pavillons périurbains (autrefois isolés) ont tous été engloutis par l’étalement urbain, on est en droit de se demander si finalement les représentations de l’espace urbain ont chan-gées ou si elles sont restées tenaces. Plus encore, nous notions durant ces quelques pages, le manque terminologique nécessaire à requalifier le tiers-espace qui émerge, cet espace hybride ville/campagne. Ainsi, à quoi les mots ville et campagne font aujourd’hui référence dans l’imaginaire des usagers de ce lieu ? Ont-ils eux aussi changés de sens du fait de la transformation du cadre de vie de ces der-niers?

*** « Le périurbain n’est pas seulement considéré comme un espace non régulé, fruit de l’étalement urbain, consommateur d’énergie voire lieu de relégation. Le périurbain donne également accès à un confort spatial, à l’habitat individuel, à une qualité de vie, à une sorte de compromis entre des aménités encore urbaines et une « atmosphère » rurale de paysage, de forte qualité de vie et de tranquillité. Posée ainsi la question périurbaine dépasse la stérile opposition à laquelle on la cantonne trop souvent – « le pé-riurbain, les gens aiment bien mais c’est mal » –, ou en langage plus savant – « c’est attractif mais ce n’est pas durable » – pour devenir « ce n’est ni bien, ni mal, assurément attractif, comment le rendre durable ? » (Cordobes, Lajarge, Vanier, 2010)

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– CHAPITRE 2 –

DE LA THEORIE A LA REALITE DU TERRITOIRE : UN PROJET DE VILLE-NATURE

« Ce n’est que récemment, avec les programmes de recherche sur la ville et le développement de

l’écologie urbaine que l’on a commencé à se poser la question de l’articulation entre nature et ville. […] Il est nécessaire de repenser la ville et la nature ensemble, d’une autre manière que celle qui con-duit à la métropole actuelle et aux problèmes qu’elle engendre. Il faut chercher à articuler la nature, le

paysage et la société urbaine dans sa diversité, comprendre ce qui fait nature et paysage dans la ville dans sa composition sociale. »

(Yves Luginbühl, 1999) De l’intérêt de l’analyse locale.

Nous avons pu étudier la théorie de l’espace en transition, celle de la campagne et celle de la ville, et mettre en valeur quelques unes des problématiques auxquelles cette tran-sition soumet aujourd’hui l’aménagement du territoire, avec d’un côté une demande sociale marquée et de l’autre, des questions d’ordre environnementale qui complexifient la donne. Cependant, toutes les réflexions précédemment énoncées, bien que se basant sur des réalités additionnées les unes aux autres pour faire émerger une règle générale, ne sauraient se sous-traire à une analyse locale, en vue de parvenir à faire émerger des solutions adaptées à un lieu. Car justement, ce qui est critiqué dans le phénomène de « mondialisation » qui opère

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une grande partie des transformations que subissent actuellement nos territoires, c’est de « refuser ou d’ignorer la diversité des paysages et des sociétés qui les bâtissent » (Luginbühl, 1999). De nos jours, le paysage répond plus qu’autrefois à des règles « mondialisées » du fait des stéréotypes véhiculés par les médias de masse. Cela n’empêche, nous l’avons vu, que le contexte influe de manière importante sur la perception d’un lieu autant que les représenta-tions paysagères généralement partagées de celui-ci. Des contextes à échelle locale existent et, bien que tendant eux aussi à être mondialisés, perpétuent leur diversité malgré tout, dans leur égalité autant que dans leurs inégalités… et même si cela se fait dans une moindre me-sure qu’autrefois.

Finalement, rester à ce stade de la recherche, c’est un peu comme se satisfaire de cette logique qui enlève au lieu sa particularité, c’est un peu comme se substituer à elle. Dès lors, il apparait nécessaire de tenter soit d’affirmer cette « règle générale » brandie à tour de bras, soit de l’infirmer, ou à défaut, de la nuancer (c’est selon) par la connaissance approfon-die d’un lieu, et d’un seul. Cette connaissance pourra alors se greffer à d’autres, s’additionner à elles. C’est même par recoupements et comparaison avec ces autres réalités locales que l’analyse qui va suivre pourra prendre toute sa dimension intellectuelle. Car c’est de la con-tradiction et du contrepoint que naît souvent une meilleure compréhension du réel ; un cadre plat et uniforme ne semblant voué qu’à confirmer une réalité déjà établie. Et nous le savons tous, aucune réalité n’est jamais vraiment établie.

1. Choix, situation et contexte de la zone étudiée 1.1. Choix du site étudié

Le site retenu en vue de cette analyse se situe dans la périphérie sud-est de Toulouse, à l’endroit de ce qu’on pourrait appeler « la limite ville/campagne » (« pourrait appeler » car nous l’avons vu, la limite entre ville et campagne est aujourd’hui rendue floue et donc difficile à situer exactement). Il est centré sur Saint-Orens-de-Gameville mais englobe également les proches abords de la commune (Figure 10), car le paysage ne saurait se limiter à de simples limites communales, celles-ci demeurant fictives à la réalité du territoire.

C’est principalement pour sa position périurbaine que cette zone va concentrer notre attention mais pas uniquement, car sa proximité à Toulouse permet par exemple de faciliter notre étude. Elle permet en outre, de faire émerger des questionnements intéressants au regard de notre problématique puisque l’agglomération toulousaine est aujourd’hui soumise à d’importantes transformations spatiales liées à l’application de nouvelles politiques d’aménagement ; et celles-ci opèrent dans le sens d’un nouveau rapport spatial entre la ville et les territoires ruraux qui la bordent. Or, du fait de l’interaction qui existe entre la réalité du lieu et le niveau de représentation de ce même lieu, la région de Toulouse apparait alors comme étant d’autant plus adaptée à l’étude d’éventuelles évolutions dans les représentations de la ville et de la campagne.

Mais, et cela parait évident, c’est à l’endroit de la jonction entre ce qu’on appel com-munément le rural d’une part et l’urbain d’autre part, c'est-à-dire au niveau de la couronne périurbaine de Toulouse, que les plus profondes transformations devraient se faire sentir. Le périurbain est le premier espace à subir les effets de l’étalement urbain, ce qui lui donne non seulement un visage transitoire de la « campagne » vers la « ville » (ou inversement, c’est selon) mais aussi une importance de tout premier

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Figure 11- Evolution de la population de la commune de Toulouse (et non de l’agglomération toulousaine) (Source : IGN/Géoportail)

Figure 10- Situation du site étudié dans la « tâche urbaine » de l’agglomération toulousaine (Source : IGN, Géoportail – Montage : E.P.)

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ordre pour les politiques d’aménagement visant à faire évoluer le lien qu’entretient la ville avec les espaces ruraux qui l’entourent.

Voici donc pour le choix de la couronne périphérique de Toulouse. Mais qu’en est-il du cas précis de Saint-Orens-de-Gameville et de ses environs ? La périphérie sud-est de Tou-louse, dans laquelle s’inscrit Saint-Orens, est particulièrement réputée pour son dynamisme en termes de politique « agri-urbaine »1, à tel point que cette question est devenue la princi-pale raison d’être de la communauté de villes du SICOVAL qui regroupe aujourd’hui 36 communes (dont certaines sont situées au-delà du « Grand Toulouse ») dans le cadre d’un projet commun. Saint-Orens ne fait pas partie du SICOVAL du fait (entre autres) d’un diffé-rent ayant eu lieu entre l’ancien maire et la communauté.2 Mais la commune n’est pas en reste cependant puisqu’elle a été nommée « Lauréate 2011 des villes de 2000 à 20000 habi-tants » par l’agence NatureParif grâce, entre autres, à la mise en place d’un projet de ZAC innovant, à la gestion différenciée des espaces verts dédiées à la ville, mais surtout grâce à la sauvegarde du paysage agricole dont dispose aujourd’hui la commune. Tout cela révèle un réel effort de la part de la municipalité sur les questions liées au développement durable, à la biodiversité et au paysage. Mais nous reviendrons sur ces quelques points plus tard durant notre analyse du lieu (p.51, paragraphe 2.2).

Plus encore, avant de commencer cette étude, nous avions été mis au courant qu’un projet de réinsertion des plantes messicoles avait vu le jour dans le cadre du projet de gestion différenciée des espaces verts de la ville, celui-ci se doublant de toute une mythologie du monde paysan d’autrefois. Une fois de plus, nous n’en dirons pas davantage ici puisque nous étudierons ce projet de manière plus précise dans le 3ème chapitre de ce mémoire (p.66). Mais quoi qu’il en soit, celui-ci révèlera des questionnements intéressants sur la manière dont le monde agricole, et plus généralement la « nature », sont perçus à cet endroit.

Nous commencerons donc dans un premier temps par définir le contexte large, à sa-

voir le développement urbain de Toulouse, celui-ci impactant de manière évidente notre cadre d’étude. Nous nous intéresserons également à l’orientation générale du projet d’aménagement urbain de l’agglomération, pour ensuite nous concentrer davantage sur celui de Saint-Orens. Enfin, nous serons en mesure de nous attaquer au cœur du problème, avec une succincte analyse paysagère du lieu qui nous intéresse.

1.2. Un contexte de forte croissance démographique : vers un urbanisme « diffus »3

Toulouse n’a globalement cessée de croitre depuis les années 1900 (Figure 11).

Après une augmentation de la population de plus en plus forte durant un peu moins d’un demi-siècle, sa démographie connait une stagnation au sortir de la guerre (il n’y a ici rien de surprenant). Une reprise accélérée a cependant lieu dès le milieu des années 50, et traduit un fort exode rural lié à un véritable engouement pour la ville sur fond de croissance écono-mique.

1 Voir le résumé du DEA Economie du développement (EHESS) de A. Péral, Place de l'agriculture dans la politique urbaine de Toulouse. (Réalisé avec l’INRA-SAD Toulouse. Fin. MATE.). Il est disponible à cette adresse : http://www.inra.fr/dpenv/aurb16.htm 2 Dans un article de la Dépêche du Midi (01/10/2010), l’ancien maire de Saint-Orens, Gustave Plantade explique : « C'est la Sicoval qui m'a mis à l'écart en fait à cause de la construction du lycée Pierre-Paul Riquet. Le Sicoval avait voté contre sa cons-truction car il le voulait à Escalquens à côté de Gaches Chimie. C'est la cause première du divorce avec le Sicoval. » Voici donc pour l’anecdote. (http://www.ladepeche.fr/article/2010/10/01/918307-je-refuse-les-mensonges-de-claude-merono.html) 3 Le modèle de la ville diffuse a été décrit plus tôt, p.19 (Chapitre 1, paragraphe 2.3.4)

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Il faut attendre les années 70 pour que le nombre d’habitants ne cesse d’augmenter puis se mette à diminuer. D’après le S.D.A.T. de l’agglomération toulousaine qui consacre une partie de son introduction à un petit historique de développement urbain de la ville, cette déprise s’explique à la fois par le contexte de « crise économique » qui sévissait alors, « la remise en cause de la politique des "grands ensembles" tel que le Mirail » de la part de la population et la « politique d’accession à la propriété alors encouragée par l’Etat ». En réali-té, ce qui survient à cette époque, c’est un transfert de la population de la commune de Tou-louse vers l’extérieur, c'est-à-dire à destination des communes périphériques ; des communes qui étaient encore à dominante rurale à ce moment là… La population toulousaine est donc venue gonfler ces villages tandis que le centre-ville se vidait, en conséquence, d‘une partie de ses habitants. Sur fond de stabilisation de la démographie nationale (Beaucire, 2004), il s’agit alors bien d’une inversion du phénomène d’exode rural précédemment évoqué, d’un exode urbain, ni plus ni moins.

C’est à cette époque que l’agglomération a commencé à s’étendre, horizontalement et de manière diffuse sur ses territoires limitrophes, lui donnant peu à peu cette forme en « tâche d’encre » (Figure n°10). Cette urbanisation s’est faite principalement sous l’initiative d’entreprises privées, de manière quasi-anarchique et sans réel encadrement de la part ni des dirigeants politiques d’alors, ni des urbanistes. C’est ainsi que s’est développé tout un « ur-banisme de maisons »4 tant caractéristique de la ville rose ; un urbanisme qui aujourd’hui fait son charme auprès de ses habitants mais qui la rend à l’inverse « insoutenable » du point de vue des personnes chargées de son aménagement.

Peu à peu la commune toulousaine a alors englobé par étalement les localités mi-toyennes à l’intérieur de son tissu. Ramonville, Tournefeuille, Colomiers, L’union… : autant de villes qui, autrefois rurales, ne font désormais plus qu’une par continuité de bâti avec la ville-centre. Saint-Orens-de-Gameville que nous étudions, longtemps préservée, s’ajoute aujourd’hui à la liste. Finalement, on pourrait presque dire maintenant que l’agglomération toulousaine, prise dans son ensemble, est composée en majorité de tissu pavillonnaire. Tou-louse apparait alors sous la forme d’un stéréotype : celui de la transcription spatiale directe et collective du mythe de la maison individuelle avec jardin. En témoigne d’ailleurs sa très faible densité (3721 habitants par km²) au regard de celle d’autres villes telles que Bordeaux (4796 hab./km²), Lyon (10023 hab./km²) ou encore Paris, championne toutes catégories avec pas moins de 21196 habitants pour chaque km².

Si l’on se réfère encore une fois au graphique on peut constater que dès le milieu des

années 90, la croissance de la ville a repris, et elle ne touche pas que Toulouse cette fois-ci mais bien l’ensemble de l’agglomération qui gonfle alors d’un seul tenant. Bien que le phé-nomène se soit légèrement ralenti depuis les dix dernières années, les sources officielles font état de 6100 arrivants supplémentaires dans le pôle urbain chaque année, ce qui la place au rang de 2ème ville la plus attractive du pays derrière Paris qui, elle, draine entre ses murs 7900 nouveaux venus par an. Et si le phénomène continue à ce rythme, la ville (intra-muros) pourrait même dépasser Lyon pour venir se placer dans le trio de tête des plus grandes villes françaises.

Cette forte attractivité s’explique non seulement par le dynamisme économique de la ville qui en fait un pôle d’emploi important (principalement lié à l’implantation florissante de la filière aéronautique et à la création de l’Oncopôle), mais aussi pour la qualité de son cadre de vie. Ainsi, pour R. Marconis, spécialiste de l’urbain, « le charme toulousain réside pour beaucoup dans son aspect "grande ville à la campagne" » 5 ; un charme qui est sans doute

4 Expression de Gérard Bauer : Bauer Gérard (1979), Un urbanisme pour les maisons, 10/18 [éd] 5 Toulouse 2012, Naissance d’une métropole, la dépêche du Midi [éd], septembre 2010

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davantage lié à la faible densité de la ville qu’à sa réelle proximité à la « campagne ». Finale-ment, Toulouse n’attire plus seulement localement et la relance de sa croissance démogra-phique instaurée depuis quelques années est liée à l’arrivée de personnes provenances di-verses et plus lointaines : d’autres départements ou régions voir, d’autres pays.

La belle ne risque t’elle pas d’être victime de son succès ? Car cette démographie ga-lopante implique des mutations spatiales évidentes sur l’agglomération tout entière : le mar-ché de l’immobilier ne s’est jamais mieux porté qu’aujourd’hui à Toulouse et ce qui est en cause aujourd’hui, c’est l’urbanisation toujours plus importante des terroirs ruraux alentours. « Corollaire de ce dynamisme, l’aire urbaine toulousaine est particulièrement touchée par le phénomène de péri-urbanisation et ses conséquences en termes de déplacements, de saturation des infrastructures, de spécialisation des territoires, de consommation d’espace par un habitat peu dense (avec 240 hab./km², l’aire urbaine toulousaine est deux fois moins dense que celles de Lyon ou Marseille, et cinq fois moins que celle de Lille) ou de fragilisation des espaces naturels et agricoles. » (Extrait de la présentation du SCoT toulousain6)

Cette ville qui déjà peine à être desservie correctement en termes de transports en communs, pourrait donc connaitre de graves problèmes dans sa gestion si rien n’est fait pour freiner le phénomène d’étalement urbain qui jusque-là était de mise dans son développement. Elle doit donc se préparer à accueillir ce nouvel afflux démographique important par un pro-jet de ville innovant… au risque de perdre une partie de ce qui fait son charme, le charme d’une « ville à la campagne ».

1.3. Le projet d’aménagement urbain de l’agglomération toulousaine : quel

rapport ville/campagne ?

Des mesures sont prises aujourd’hui pour endiguer le phénomène d’étalement et rat-traper des décennies de planification urbaine laxiste. Il est alors question de « redensifier », de « faire la ville sur la ville », de « renouveler l’urbain »… Autant de termes qui montrent une nouvelle tendance : celle de marquer la ville dans ses limites en distinction avec l’espace rural situé autour. Il s’agit là de la volonté pre-mière et, bien qu’elle traduise une certaine longueur à se mettre en place, plusieurs axes émergent aujourd’hui afin de l’appliquer sur le terrain. Voici un petit aperçu de certains d’entre eux. 1.3.1. L’intercommunalité – Un territoire aux échelles indissociables

La planification concertée s’est très largement développée sur l’aire urbaine durant les dernières années. Elle découle d’une prise de conscience que l’intérêt d’une commune est devenu indissociable de celui de l’agglomération toute entière... et inversement. La forme actuelle de la ville (voir Figure 10) oblige à voir l’ensemble des communes composant le pôle urbain comme une seule et même entité. Elle rend également nécessaire une vision transver-sale entre les différentes échelles, allant de la commune à l’aire urbaine toute entière. C’est ainsi que naît la Communauté d’Agglomération du Grand Toulouse dont le principal objectif est de guider l’ensemble des localités la composant (au nombre de 37) dans le cadre 6 La présentation du SCoT toulousain est disponible à l’adresse : http://www.pac.haute-garonne.equipement.gouv.fr/scot-l-aire-urbaine-toulousaine-r117.html

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d’un projet commun, avec pour objectif de faire émerger une nouvelle métropole : Toulouse Métropole. Parallèlement, 2 autres Communautés d’Agglomération voient le jour (le Sicoval, 36 communes, et le Muretain, 14 communes). Des communautés de communes (4 communes en moyenne les composent) existent aussi aujourd’hui au nombre de 6.

Des critiques émergent en ce qui concerne cette organisation quelque peu fragmen-tée de l’aire urbaine : d’après certains, elle accuserait des limites par un manque de communi-cation d’une communauté à l’autre, mettant en avant « un individualisme communal très fort » : « Quand bien même on ne cesse de nous lanciner sur le dynamisme toulousain, on ne peut que regretter que l’aire urbaine toulousaine se développe au fil de l’eau sans projet partagé, sans cohérence, sans réel organisme de régulation, et on doit craindre que cela finisse par se payer plus tard. »7. Mais cela est un autre débat et pour l’heure, ce qu’il est important de noter ici, c’est que cette intercommunalité généralisée crée une interaction ininterrompue (ou tout du moins souhai-tée) entre la plus petite échelle, celle de la commune, et la grande échelle, celle de l’agglomération entière. Ainsi, on comprend mieux pourquoi notre site d’étude est au-jourd’hui contraint par cette intercommunalité et les enjeux qu’elle porte. En somme, les projets communaux réalisés servent le projet global et inversement, c’est le projet global qui dicte les grandes lignes de ce qui se fait à l’intérieur de chaque commune.

Voyons alors les grands axes de la politique urbaines qui seront susceptibles d’impacter notre analyse de Saint-Orens-de-Gameville et de ses environs. 1.3.2. SCoT - La « nature », structure du Grand projet de ville

Le texte qui définit les grandes lignes de la planification de l’aire urbaine s’appelle le SCoT. Ce « Schéma de Cohérence Territorial » vise à inclure toutes les communes de l’aire urbaine (et donc toutes les communautés d’agglomérations présentes à l’intérieur) dans un projet d’aménagement encore plus global et qui se base sur 4 grands axes stratégiques ma-jeurs.

Les 3 premiers touchent principalement à la question du développement de la ville à l’échelle nationale et internationale, à la question du social et de l’habitabilité mais aussi aux problématiques liées à la mobilité. Ils ne nous intéresseront que peu. En revanche, c’est le 4ème axe de ce texte qui va davantage concentrer notre attention dans le cadre de ce mé-moire puisqu’il s’intitule de cette manière : « Valoriser les espaces naturels et agricoles, gérer de manière économe les ressources (sol, air, eau, déchets…) et prévenir les risques majeurs. » (AUAT, 2005)

La charte InterSCOT, qui fait le point sur les orientations majeures du SCoT de l’Aire Urbaine toulousaine, en précise les objectifs sous ces termes : « Le pôle urbain devra œuvrer à la limitation de l’expansion urbaine et favoriser une gestion économe du foncier par la planification territoriale et des interventions publiques volontaristes. » « La couronne périurbaine devra préserver l’activité agricole, notamment dans les vallées, en évitant la dispersion de l’habitat et en renforçant les polarités identifiées dans les bassins d’équilibre. »

Ce dont il est question ici, c’est de renforcer la ville aux endroits où elle est présente

afin de limiter (si ce n’est stopper) son développement sur les espaces « naturels » et agri-coles situées à la fois autour du pôle urbain et à l’intérieur de la couronne périurbaine, révé-lant une réelle prise de conscience quand à l’importance de préserver ces espaces encore libres de toute construction.

7 Article disponible sur le site AgoraVox : http://www.agoravox.fr/actualites/info-locale/article/toulouse-quel-territoire-pour-quel-16909

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Figure 1- Le périmètre du SCoT toulousain (Source : DDE31/SUA/BEGP, Mars 2006 – Modifications : E.P.)

Figure 13- « Le réseau Vert et Bleu, pour la protection et la valorisation du patrimoine naturel », Poster SDAT « Les orientation stratégiques » (mise en conformité 2007). (Source : SDAT/SCoT Grande agglomération toulousaine)

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La charte InterSCOT l’explique ainsi : « L’agriculture bénéficie d’atouts non négligeables dans l’aire urbaine, mais elle est fragilisée, comme l’ensemble de l’agriculture française. » « L’agriculture périurbaine est aujourd’hui un véritable enjeu d’aménagement du territoire. » « Vallées, lignes de crête, espaces boisés, villages et bastides… donnent une identité aux paysages qu’un développement urbain non maîtrisé tendrait à morceler. »

Ainsi, les espaces « naturels » et notamment les parcelles agricoles sont aujourd’hui considérées comme des éléments nécessaires et indispensables au projet de territoire. Plus encore, leur fragilité du fait de la logique générale d’expansion urbaine par étalement, rend d’autant plus urgente leur protection. Il est ici fait référence à leur indéniable capacité à « créer » du paysage, mais d’autres raisons sont également évoquées dans la charte et met-tent en avant le caractère multifonctionnel de ces espaces. Ainsi, l’agriculture périurbaine permet de favoriser les circuits alimentaires courts en réinstaurant le lien nourricier entre la ville et la campagne (aujourd’hui en retrait) tout en favorisant la production à l’échelle locale (et donc une plus grande autonomie locale). Est également pointée du doigt, la capacité des espaces « naturels » à prévenir des risques (par exemple les risques d’inondation) ou encore à constituer un réservoir de biodiversité. C’est pourquoi, dans le cadre du projet de ville, il est question à la fois d’ « organiser l’extension du réseau Vert et Bleu à l’échelle de l’aire urbaine », de « mettre en place une charte forestière pour étendre et valoriser les massifs forestiers », de « créer de nouveaux espaces de loisirs accessibles aux habitants », de sauvegarder les « espaces paysagers » (dont le paysage du Lauragais qui nous intéressera par la suite), de « maintenir des espaces agri-coles de dimension suffisante pour permettre une activité économiquement rentable et dy-namique », et enfin de « préserver les territoires agricoles à forte valeur économique et pa-trimoniale (vignobles, maraîchage, etc.) ». 8

Alors que, quelques années auparavant, on se figurait l’espace rural périphérique aux villes comme un espace transitoire en attente d’une urbanisation prochaine, comme un « vide » donné forcément perdant face au règne du « plein », on constate qu’aujourd’hui ce-lui-ci est devenu une entité qui existe en elle-même. L’espace rural n’est plus considéré uni-quement comme un « vide », loin de là : il a aujourd’hui une fonction qui est reconnue, une fonction qui est même considérée comme indissociable de la ville dite « durable ». « L’Homme est dépendant des espaces naturels et de la biodiversité qu’il abrite. Ils lui rendent no-tamment de nombreux services : dépollution et épuration de l’eau, zones d’expansion des crues, bien-être et santé » peut-on d’ailleurs lire dans la Plan Climat 2011 dédié à la CA du Grand Tou-louse. Mais au-delà de la protection des espaces ruraux9, c’est même leur propagation qui est sou-haitée à l’intérieur de la ville : des nouveaux parcs urbains doivent être créés (projet de Pin-Balma), des espaces forestiers prolongés (Forêt de Bouconne) et des corridors biologiques (Trame verte et bleue) doivent traverser la ville pour recréer des continuités écologiques et reconnecter les poches d’habitat animal aujourd’hui morcelées. La « nature » se propage donc dans la ville pendant que celle-ci se redensifie. C’est même à partir de cette « nature » redécouverte que doit se structurer le nouveau projet de développement urbain : les trames vertes et bleues forment la base du plan tandis que d’autres strates (comme les zones à urba-

8 Voir la note 28 9 L’exemple le plus marquant est surement la limite urbain-rural prévu dans le plan SCoT : au-delà de cette limite se déploie une « ceinture verte » sur laquelle l’urbanisation ne doit pas empiéter.

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niser) viennent ensuite s’y greffer (Figure 13). La ville creuse son tissu pour laisser entrer la « nature » ; c’est aujourd’hui à son tour de s’excuser d’exister. 1.3.3. Un peu d’ordre sur le territoire

En fin de compte, le projet porté par le SCoT (mais aussi par tous les autres textes qui existent en parallèle) ne semble avoir qu’un seul grand objectif à terme : remettre de l’ordre dans ce fatras urbain qu’on avait autrefois refusé d’encadrer. La volonté affichée est donc de reprendre en main le développement de la ville afin de redonner sa lisibilité au terri-toire : lisibilité à l’urbain et lisibilité au rural, simultanément. Mais le territoire concerné étant trop vaste pour mener à bien ce projet d’un seul tenant, des subdivisions intercommu-nales sont mises en places afin de faire appliquer les directives de plus en plus localement.

Aujourd’hui, le modèle « diffus » vers lequel la ville de Toulouse tend toujours plus ne convient plus aux acteurs en charge du projet de ville. L’idée d’un possible continuum urbain/rural est refusée tout d’un bloc tandis que l’hybridité du territoire, sa fragmentation, ne sont pas considérés comme des solutions envisageables sur le long terme. Il n’y a qu’à voir les plans du SDAT : la ville est au centre tandis que les territoires ruraux sont autour, définis dans leurs positions respectives par une limite « urbain-rural ». Refaire de l’urbain d’un côté, et refaire du rural de l’autre, tel est donc le credo. Mais ce n’est pas tout : les espaces « naturels » étant décrits comme « indispensables à l’Homme », ils s’infiltrent et se propagent aussi à l’intérieur de la ville sous forme de coulées vertes ou de poumons tout aussi verts. A l’instar de la ville diffuse, le « vert » se doit d’être omniprésent dans l’espace urbain, mais sous la forme d’une entité bien définie, mieux définie que par le passé, dans sa forme autant que dans sa fonction, afin de favoriser biodiversité, paysage et autonomie alimentaire. Une « nature » rendue collective alors qu’elle était autrefois empri-sonnée dans des jardins individuels. Une « nature » de nouveau d’un seul tenant alors qu’elle était éclatée en autant de fragments que de propriétés privées. Alors, recollons les morceaux. 1.3.4. Rapprochement spatial et éloignement terminologique du couple urbain/rural

Finalement, que peut-on retenir de toute cette longue histoire ?

Que les questions écologiques et environnementales, du fait principal de la « finitude écolo-gique » telle que l’énonce Gilles Clément10, ont fait émerger chez les acteurs de ce projet de ville, une nouvelle représentation de l’espace rural : en voulant le protéger de l’étalement urbain, mais aussi en en faisant le vecteur du renouveau de la ville qui sans lui serait vouée à disparaitre, ces derniers font du rural et de l’urbain deux espaces bien distincts l’un de l’autre, tant dans leur terminologie que dans leurs fonctions. Alors que certains se mettaient déjà à parler de l’émergence d’un espace hybride (mi-ville, mi-campagne) et du besoin de requalifier ce « tiers-espace » par une terminologie plus adap-tée, les aménageurs de l’agglomération toulousaine, devant l’annonce de l’imminente dispari-tion de cette « nature » tant chérie, sonnent l’alerte et entérinent le modèle de la ville com-pacte. Un retour aux sources urbanistique s’il en est, mais qui se base cette fois-ci sur des motivations inédites à ce jour, infiniment révélatrices des enjeux de notre temps. Sur ce point, la réalité du terrain rejoint donc la théorie, et la confirme.

10 Dans le livre Le jardin planétaire, Ed. Albin Michel, 1999

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Figure 14- La zone commerciale des Champs Pinsons en entrée de ville (Photo : E. P.)

Figure 15- Des objets de plusieurs types se côtoient, ainsi que des spatialités différentes (Photo : E.P.)

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2. Analyse paysagère de Saint-Orens-de-Gameville et de ses abords

Nous avons pris connaissance de la grande échelle. Intéressons nous maintenant à une petite, l’échelle de la commune, car c’est d’elle que naît la réalité du territoire, celle que nous percevons directement chaque jour. Présentation sommaire de la commune

La commune de Saint-Orens fait partie de la Communauté d’Agglomération du Grand Toulouse. Elle est située au Sud-est et à l’intérieur du « pôle urbain » toulousain (se-lon la définition de l’INSEE correspondante11) tout en étant soumise simultanément aux directives imposées par le SCoT toulousain et par le SDAT. Elle rentre donc dans le cadre des projets d’agglomération que nous nous sommes efforcés de décrire plus haut. Ces der-niers vont même orienter de manière significative son propre projet urbain puisque son PLU, notamment, a été modifié récemment en conséquence. Pour l’heure, tentons une présentation sommaire de l’endroit.

Afin de mieux comprendre les lignes qui vont suivre, il est conseillé de se reporter au plan de zonage de Saint-Orens et de ses alentours (Figure 17). La commune est bordée au Nord par Quint-Fonsegrives, à l’Est par Lauzerville, au Sud-est par Auzielle, au Sud par Escalquens, au Sud-ouest par Labège et enfin au Nord-Ouest par Toulouse avec laquelle elle est en quasi-continuité de bâti. Le périphérique A61 a beau mar-quer la limite symbolique de la fin de la « grande ville », il n’en reste pas moins qu’entre celle-ci et l’entrée de Saint-Orens par la route de Revel, les bâtiments se sont développés de manière quasi ininterrompue. Subsistent bien évidemment quelques creux qui marquent le passage d’une commune à l’autre (de cette manière d’ailleurs très caractéristique du périur-bain), mais ceux-ci restent peu nombreux.

L’entrée de ville est par ailleurs caractérisée par la présence de deux zones d’activité majeures. La ZAC des Champs-pinsons située à l’entrée de Saint-Orens (lorsqu’on arrive depuis Toulouse) et l’Innopole de Labège plus au Sud. Ce dernier est un des centres commer-ciaux les plus attractifs de l’agglomération toulousaine, sujet à une attractivité à grande échelle et un afflux important en journée.

La route de Revel (qui devient ensuite la route d’Auzeville) constitue la rue princi-pale de Saint-Orens, elle est en quelque sorte sa « colonne vertébrale » : la ville se développe en majorité le long de cet axe et le centre décisionnel (la Mairie) ainsi que la plupart des commerces de proximité y ont pignon. Le centre historique, en revanche et chose étonnante, ne se trouve pas sur cette rue principale ; car bien qu’il constitue le noyau villageois ancien de la commune, il n’en est plus le « centre » à proprement parler car il se trouve aujourd’hui mis un peu à l’écart de la zone principalement urbanisée (il se trouve au Nord-est de la com-mune).

La route de Revel se ramifie à l’entrée de ville en plusieurs autres voies principales. Nous avons notamment la route de Cayras (qui se prolonge par la route de Lauzerville) qui distribue le hameau de Cayras dans la moitié nord de la commune (puis Lauzerville un peu plus loin), la route de Labège qui permet de desservir la zone d’activité Innopole par le Sud 11 Site internet de l’INSEE. Définition disponible à l’adresse : http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/pole-urbain.htm

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Figure 16- Plan de Bâti/Non-bâti de Saint-Orens et de es environs. Le site est structuré par des cours d’eau "parallèles". (Source : IGN/Géoportail - Montage : E.P.)

Figure 17- Plan de zonage et situation des différents lieux évoqués dans le texte. (Montage E.P. cartographie Google + terrain)

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et enfin, l’avenue de la Marcaissonne qui donne accès à Quint-Fonsegrives au Nord.

La commune est constituée en grande majorité de tissu pavillonnaire (maison indivi-duelle avec jardin). De nouveaux quartiers d’ « habitat groupé » ont cependant vu le jour au cours des années 70 avec la construction des « Chanterelles » au Sud-est de la ville et de « Catala » au Nord de la ZAC des Champs-Pinsons. Quelques collectifs existent également mais restent cependant très rares sur la commune en comparaison de l’écrasante majorité de maisons individuelles qui s’y sont développées.

1.1. Entre "ville" et "campagne"

Le Plan du bâti/non-bâti de la périphérie Sud-est de Toulouse cette fois-ci (Fi-gure 16), montre que la commune est traversée par deux cours d’eaux : la Saune qui fait office de limite communale au Nord, et la Marcaissonne qui sépare la ville en deux parties presque égales12. Ces rivières au faible débit, prennent leur sources toutes deux dans l’Hers-Mort qui contourne Toulouse par le Nord. On peut voir sur ce même plan que ces trois cours d’eau délimitent deux bandes : la première est comprise entre l’Hers-Mort et la Marcais-sonne tandis que la deuxième se déploie entre la Marcaissonne et la Saune. Ces deux bandes révèlent des manières d’occuper le territoire très différentes. En effet, la première est en ma-jorité recouverte de bâti alors que la deuxième est relativement épargnée par l’urbanisation.

Finalement, Saint-Orens, apparait comme étant divisée par la Marcaissonne en deux parties bien distinctes : l’une à dominante urbaine et l’autre à dominant rurale. Ceci pourrait paraitre anodin puisque nous nous trouvons dans le périurbain, c'est-à-dire au niveau du point de jonction entre la ville et l’espace rural. Mais si on jette un œil au reste des territoires situés au Nord et à l’Est de la commune, on voit bien que ceux-là ont été urbani-sés de manière diffuse, sous forme de « tâches » bâties, rendant définitivement floue la limite "ville/campagne" à cet endroit (mais c’est aussi le cas dans l’ensemble du pourtour toulou-sain du fait de la forme « diffuse » de l’agglomération). Dès lors, la partie Nord de Saint-Orens apparait comme étant particulièrement bien préservée en comparaison à ses territoires mitoyens, la Marcaissonne officiant même une limite très nette entre les deux zones. Analysons une photographie (Figure 18) figurant au premier plan l’espace à dominante ru-rale et au deuxième plan, la bande sur laquelle s’est développé la majeure partie de Saint-Orens. Vu de cette manière, la séparation "ville/campagne" est encore plus saisissante et trouve un écho direct à notre problématique. On se demande alors bien comment cet espace à pu être préservé de la sorte jusqu’à aujourd’hui. Il serait tentant d’y voir un lien direct avec la politique urbaine menée par le Grand Toulouse, mais l’ensemble de ces territoires s’étant urbanisés bien avant que des politiques publiques ne se soient intéressées au problème, la raison se trouve sûrement ailleurs. Dans ces conditions, s’agit-il d’un simple concours de circonstances, d’une politique menée indépendamment par la commune ou bien des deux simultanément ? Nous tenterons d’apporter quelques éléments de réponse à cette question en étudiant dans un premier temps le développement urbain qu’ont connu la commune et ses abords durant les dernières décennies, et dans un deuxième temps en analysant plus précisément le projet d’aménagement de la ville.

12 Le ruisseau de Nicol, perpendiculaire au deux autres, est également présent sur le territoire communal et fixe la limite Est de la ville. Celui-ci n’aura cependant pas d’importance dans le cadre de notre étude.

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Figure 18- Analyse photographique de la vallée de la Marcaissonne (Photo et montage : E.P.)

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Figure 19- Evolution de la démographie de Saint-Orens-de-Gameville depuis 1900. (Source : Insee, RP1968 à 1990 dénombrements - RP1999 et RP2008 exploitations principales.)

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1.1.1. Le développement urbain de Saint-Orens

Du fait de la proximité directe avec Toulouse, Saint-Orens est fortement impactée par les fluctuations démographiques de la ville-centre décrites plus haut (p.36, paragraphe 1.2)

La croissance démographique

En se référant au graphique correspondant à l’évolution de la population de Saint-Orens depuis le siècle dernier (Figure 19), on peut voir que la ville a connu un très rapide essor à partir des années 70. Alors que la commune ne possédait encore que 815 habitants en 1960 et n’était qu’un petit village de campagne, sa population passe de 1350 résidents en 1968 à un peu moins de 10000 en 1990. Soit une multiplication par 10 du nombre d’habitants en à peine 20 ans ! Cet engouement soudain pour la commune coïncide exactement avec l’époque de l’important exode urbain qui est survenu entre Toulouse et sa périphérie (Figure 11, p.35). Ainsi, la majorité de ces nouveaux arrivants sont issus de la ville-centre. C’est à ce moment que la ville connait un très fort étalement sous la forme d’un tissu exclusivement pavillonnaire. Le maximum humain est atteint sur la commune en 2006 avec pas moins de 11059 habitants. Ce chiffre a ensuite connu une légère baisse, de l’ordre de 400 habitants de moins par an. Depuis un peu plus d’un an maintenant, la population Saint-orennaise se remet en revanche à grimper. Nous verrons par la suite ce que signifient (et à quoi sont dues) ces fluctuations récentes. L’étalement urbain

La comparaison de photographies aériennes chronologiques (Figure 20) montre bien l’impact qu’a eu cet accroissement soudain de la population de Saint-Orens sur le territoire.

1946

Ainsi, en 1946 seuls quelques petits foyers d’habitat sont présents dans la zone, qui répond alors entièrement à la définition généralement admise du « rural » : des petits ha-meaux plongés dans un territoire entièrement agricole.

On parvient à repérer plusieurs entités, noyaux de l’urbanisation à venir. Sont no-tamment visibles deux cœurs villageois distincts : le premier marque l’emplacement de l’église et de l’actuelle "Maison de retraite", et le deuxième se situe à l’endroit de la mairie que nous connaissons aujourd’hui. Le hameau de Cayras figure déjà un regroupement bâti (bien que celui-ci reste encore très aéré) tandis que quelques exploitations agricoles ainsi que de riches demeures sont éparpillées le long des axes principaux. Les différentes constructions apparaissant sur cette image constituent les uniques bâtiments « historiques » que recèle aujourd’hui la ville.

Les principaux axes structurant du Saint-Orens actuel (les routes de Revel, de Cay-ras, de Labège) sont déjà nettement visibles et bien qu’ils soient ici sous leur forme primitive (de simples routes de campagnes et chemins de terre), leur tracé correspond exactement à celui qu’ils ont aujourd’hui ; même l’emplacement de l’actuel périphérique A61 est marqué à gauche de l’image. Dès 1946, les bases structurelles de l’urbanisation qui va survenir brus-quement moins de trois décennies plus tard sont donc déjà posées.

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Figure 20- Plans chronologiques de développement urbain de Saint-Orens. (Source : 1946 et 1979 : IGN / Géoportail (photos aériennes anciennes) /2012 : Google Maps 2012)

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1979 Sur la photographie de 1979, on peut voir que le développement urbain a déjà large-

ment débuté. Un montage de plusieurs vues réalisées en 1957 (non inclus dan ces pages) montre qu’aucun changement majeur ni construction supplémentaire n’ont vu le jour sur le site d’étude entre 1946 et 1957. C’est donc à partir des années 60 qu’a commencé le dévelop-pement urbain à proprement parler. La commune grossit principalement en son centre (bas de l’image), et plus précisément le long des routes actuelles de Revel et de Labège, (renfor-çant dans le même temps leur tracé). Dans le même temps, de nouvelles voies secondaires se construisent peu à peu, ramifiant ainsi toujours davantage le territoire de la commune. C’est principalement dans la fourche située entre la route de Revel (qui bifurque vers le sud) et l’avenue de la Marqueille que naissent la plupart des nouveaux lotissements. Ce qu’on ob-serve, c’est que l’urbanisation se fait par « tranches » bâties, en « remplissant » une ou plu-sieurs parcelles d’un seul coup.

Ainsi, l’urbanisation de cette époque semble être régie par deux règles majeures : d’abord le rapprochement géographique par rapport aux axes routiers principaux (Revel et Labège) puis la juxtaposition (par « remplissage ») avec le découpage cadastral déjà existant. Il en résulte un effet « patchwork », fruit d’un urbanisme mené au fil des opportunités fon-cières et immobilières plutôt que réellement planifié sur le long terme. L’urbanisation se fait donc centralement à Saint-Orens et non par étalement depuis Toulouse (par l’Ouest), ce qui mène peut à peu à la formation d’un nouveau pôle urbain, distinct spatialement de la ville-centre : il y a encore à cette date, discontinuité bâtie entre Saint-Orens et Toulouse au niveau de l’actuelle rocade.

2012

Aujourd’hui, l’A61 est bien implantée. Le vide laissé entre la commune et Toulouse a été comblé, marquant leur fusion par continuité de bâti. Le principal changement, au-delà de l’épanouissement toujours plus important des zones résidentielles, réside dans la construc-tion des zones d’activités durant les années 80. Celles-ci ont boosté de manière importante le développement urbain du lieu, diversifiant dans le même temps les fonctions par zones ur-baines distinctes (voir le plan de zonage – Figure 17). L’Innopole de Labège s’est notamment développée en un temps record, pendant que la ZAC des Champs-Pinsons, à l’entrée Nord-ouest de Saint-Orens, s’est étendue le long de la Marcaissonne. Cette ZAC qui ôte au cœur urbain de Saint-Orens la possibilité de se tourner vers sa rivière principale, a cependant un mérite : c’est principalement grâce à elle si les terres agricoles situées au Nord de la com-mune ont été protégées de l’urbanisation massive provenant du sud. Car si la Marcaissonne a elle aussi longtemps officié une limite physique face à l’étalement urbain, elle n’aurait sûre-ment pas tenu longtemps face à l’afflux massif de nouveaux résidents dans la zone si la ZAC n’avait pas été là pour prendre le relais : celle-ci double la limite physique créé par la Mar-caissonne et met ainsi en place un écran suffisamment efficace pour contrer l’étalement ur-bain de la zone sud de la ville.

En fin de comptes, la ZAC des Champs Pinsons oriente et canalise le développement urbain de la commune entre la Marcaissonne et sa limite communale Sud (jonction avec l’Innopole). Plus encore, la rocade maintenant construite, limite dans le même temps le dé-veloppement de Toulouse à l’Est (une partie de l’espace rural situé à l’Est de la rocade appar-tient encore à la commune de Toulouse). Finalement, l’espace rural situé entre la Marcais-sonne et la Saune apparait comme protégé des principales sources d’étalement urbain. Seul le quartier Catala a été édifié dans cette partie haute de la ville en 1980, ouvrant une nouvelle brèche au développement urbain sur cet espace qui était jusqu’alors préservé.

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Le développement urbain de Saint-Orens est donc un classique du genre : il répond aux caractéristiques standard des commune périurbaines quand à son mode de développe-ment. La croissance de la ville a suivit le tracé déjà existant, tant au niveau des axes structu-rants qu’au niveau du découpage cadastral. La base du plan était donc déjà écrite bien des années auparavant. La chose qui sort de l’ordinaire cependant, c’est bien cet espace à domi-nante agricole qui a été préservé au Nord d la commune. Un espace qui semble avoir été da-vantage préservé par un heureux concours de circonstance que par un réel appui politique, ce qui lui donne le visage de « rescapé » de ce boom urbain. L’espace rural couvre aujourd’hui encore environ 50% du territoire de Saint-Orens, affichant au niveau de la commune, une stabilité entre « ville et campagne » quasi parfaite.

1.2. Une politique urbaine volontariste

Le caractère particulier de cette zone a mis la puce à l’oreille de la nouvelle municipa-lité. Les directives couplées du grand Toulouse de l’agglomération toulousaine, comme nous l’avons vu, jouent un grand rôle dans la protection des espaces « naturels » et agricoles à l’échelle locale.

Cependant, à Saint-Orens, la préservation des espaces verts et la politique environ-nementale semble particulièrement dynamique au regard de celles des autres communes avoisinantes. L’existence de cette « bande » agricole encore (presque) intacte y est surement pour beaucoup et fait dans le même temps office de symbole de cette politique de développe-ment urbain qui vise à stabiliser les zones non-urbanisées à 50% de la surface communale. « C'est le Grand Toulouse qui décide mais c'est bien la ville qui a pris l'initiative d'y réfléchir dans le contexte du développement de l'agglomération. Nous devons anticiper pour conduire un développement urbain responsable, construire une ville innovante et dynamique, une ville à vivre », explique Robert Artero, adjoint aux travaux effectués sur la commune, dans le cadre de la révision récente du PLU.13 La volonté affichée est de mener une politique exemplaire en matière de développement ur-bain « durable » alors que la commune se trouve pourtant dans un cadre périurbain des plus contraints.

1.2.1. La densification de l’espace urbanisé

Le principal cheval de bataille de la politique d’aménagement de la municipalité saint-orennaise, c’est la densification, n’en déplaise à certains habitants qui auraient préféré profiter encore longtemps de l’aspect « village » de Saint-Orens. Ce souhait de densifier le tissu existant fait directement écho aux grands projets de l’agglomération qui visent à mar-quer la ville à son endroit pour limiter autant que faire se peut, son étalement sur les espaces ruraux alentours. Cette densification se fait sous la forme standard, c'est-à-dire qu’elle passe avant tout par la construction de logements collectifs, qui jusqu’à aujourd’hui étaient absents du paysage de la commune. Assurément, la ville passe un cap dans son développement après des décennies d’urbanisme pavillonnaire. Cependant, ce choix ne se base pas uniquement sur la question de la préservation de l’espace naturel ; il touche aussi à d’autres problématiques auxquelles la ville doit aujourd’hui faire face.

13 « Saint-Orens-de-Gameville. Urbanisme : demain la ville change de visage », in La Dépêche, journal en ligne (ladepeche.fr), article publié le 02/05/12

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« Depuis maintenant 2001/2002, il se construit beaucoup plus de logements en vertical qu’en hori-zontal. C’est pour permettre non seulement d’atteindre les 20% de logements sociaux qui sont obliga-toires dans le cadre des lois [projet d’agglomération]. Et deuxièmement, ça permet aux jeunes de res-ter en ville parce que ça ouvre des locations. Sinon Saint-Orens, c’était plutôt une ville de personnes âgées : ici on était à 38 ans de moyenne d’âge ; on a beaucoup de retraités. Les collectifs font venir des jeunes couples, avec des enfants… et comme ça, on peut remplir les écoles. » (Thierry Albert, direc-teur du service Espace Vert)

La construction de logements collectifs permet une meilleure gestion démographique sur la commune mais elle permet aussi de satisfaire aux exigences émises par la CA du Grand Toulouse en vue de la desserte de la commune par les transports en commun, et no-tamment par le tramway : Saint-Orens doit redensifier son cœur pour pouvoir recevoir de manière efficace cette nouvelle liaison avec le centre-ville toulousain. Et il y a du travail semble t-il, puisque la densité actuelle de la commune ne dépasse que de peu les 600 habi-tants au km² au niveau de sa zone urbanisée… Un projet emblématique à cette question du logement doit d’ailleurs voir le jour (la 1ère tranche est déjà en train d’être construite). Il s’agit du projet Tucard (voir sur le plan de zonage – Figure 17), qui fait couler beaucoup d’encre dans les média locaux et moins locaux. Ce projet de collectifs se veut hautement écologique, basé sur les énergies renouvelables, le plan étant dessiné principalement dans le but d’un corridor biologique prévu dans le cadre du S.D.A.T.

Pendant un temps, la municipalité a stoppé la construction de tout type de loge-ments, afin de se laisser le temps d’ajuster cette nouvelle politique et de dégager l’espace suffisant en cœur de ville afin d’accueillir les nouveaux logements collectifs. Ce blocage net et précis de l’urbanisation est à l’origine de la légère baisse démographique qu’a connue la commune depuis quelques années. Aujourd’hui, alors que les premiers collectifs sont livrés, on peut voir le nombre de résidents grimper de nouveau sur la commune.

1.2.2. La protection des espaces agricoles pour éviter le « mitage »

Nous avons déjà eu l’occasion de le noter, la protection des espaces agricoles est une priorité dans la politique d’aménagement de la commune, l’objectif étant de préserver à terme, et aussi longtemps que possible, la moitié de la surface communale à cette activité considérée d’intérêt public. Plus encore, les espaces « naturels » situés en zone inondable en bordure des cours d’eau de la Marcaissonne et de la Saune correspondent en majorité à la trame verte du SDAT. Dans le cadre du Grand projet de ville, leur enjeu est donc capital. Ils doivent être protégés.

Cette protection se fait de deux manières principalement. D’abord l’achat des terrains situés en zone inondable pour les préserver dans le cadre de l’aménagement des trames bleues/trames vertes. Ensuite, la modification récente du PLU vise à interdire toute cons-truction sur les parcelles agricoles et les espaces « naturels d’intérêt écologique et paysa-ger », tous classés en zone N. « Les dispositions réglementaires pour cette zone visent principalement à : la protection des éléments naturels, du paysage bâti de caractère, les sentiers et la végétation, et l’espace agricole des coteaux par une constructibilité limitée des constructions ; la prise en compte du risque d’inondation ; la protection

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des trames vertes du S.D.A.T. ; la protection du lit majeur de la Marcaissonne, de la Saune et du Nicol. » (Extrait du PLU de Saint-Orens-de-Gameville, rubrique « Caractère de la zone N »)

Résultat des courses, le mitage de la bande agricole comprise entre la Marcaissonne

et la Saune est très réduite, cet espace a pu être correctement sauvegardé. Il n’y a qu’à com-parer avec les communes alentours (telles que Quint-Fonsegrives au Nord) pour constater que la volonté communale de réduire l’avancée urbaine sur ce territoire n’a pas été veine.

Il était également souhaité de la part de la nouvelle municipalité, le rachat de cer-taines parcelles agricoles situées hors-zone inondable, afin de louer ces terres à des agricul-teurs. Par ce geste, il n’était plus seulement question de protéger ces espaces de l’urbanisation à venir, mais bien de pérenniser l’activité agricole qu’ils accueillent au-jourd’hui. La démarche n’ayant pas aboutie pour l’instant, la volonté a cependant le mérite d’avoir existé et met en avant le nouvelle fonction de plus en plus recherchée de l’agriculture contemporaine : celle de « paysager le pays ». Au travers de ce genre de dé-marche, les agriculteurs apparaissent dans ce genre de démarche, comme les « jardiniers de demain » (Monburreau, 2007), mais sont-ils prêts à assumer ce rôle ? Rien n’est moins sur, et le refus de ces mêmes agriculteurs pour le projet de rachat proposé par la commune en dit surement long sur le sujet, au-delà des éventuels questions foncières qui sont également en jeu.

1.2.3. La gestion différenciée pour des espaces verts « écolos »

Dans le cadre d’un entretien plus « écologique » des espaces verts de la commune, la municipalité a instauré la « gestion différenciée ». Cette démarche répond à une définition assez vague qui « consiste à analyser les fonctions de chaque site afin d’adopter des pratiques adaptées aux besoins des utilisateurs »14. Il s’agit en fait de réfléchir au cas par cas à la gestion adaptée aux différents espaces publics verts : tonte régu-lière ou espacées, éradication ou non des « mauvaises herbes » et, d’une manière générale, valoriser la nature « ordinaire » : prairies, talus et même champs agricoles. Dans ce but, et comme le précisent les panneaux explicatifs installés devant chacun des espaces vert concer-né par cette nouvelle gestion (Figue 21), « 5 types de zones » distinctes ont été définies en vue d’un entretien minimum en fonction de l’usage du lieu : la zone de friche, la zone natu-relle, la zone semi-naturelle, la zone semi-horticole et la zone horticole. Plus encore, « à Saint-Orens, cet objectif de gestion différenciée se couple avec une promesse électorale du maire, qui est d’arriver à ne plus utiliser de produits phytosanitaire sur les espaces verts de la commune d’ici la fin de son mandat. » (Duterme, 2010) C’est pourquoi certains espaces sont dorénavant désherbés à la main par les agents d’entretien.

Le maître-mot ici : laisser la « nature » faire son œuvre en l’assistant le moins pos-sible. L’entretien trop massif des espaces verts est considéré comme nocif autant pour la bio-diversité que pour le paysage. Il semble qu’une fois de plus, les questions écologiques aient une incidence forte sur la façon de percevoir l’espace. Un espace moins entretenu serait plus « beau » car plus respectueux de l’environnement. Aurait-on besoin de nature « sauvage » ? Nous tenterons de répondre en analysant dans le cadre de la 3ème partie, un des projets phares de cette démarche de gestion différenciée. Il s’agit de la parcelle de sauvegarde des

14 Dossier « Biodiversité, la nature en ville », in A Toulouse n°8, avril 2010, p.18

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Ces panneaux explicatifs montrent la volonté de la municipalité d’inclure les usagers dans la démarche environ-nementale entreprise. En haut : vue du complexe sportif municipal tondu le moins possible tout en satisfaisant de bonnes conditions de jeu. En bas : la "Coulée verte" qui vient d’être tondue ; celle-ci ne fait l’objet d’une tonte que 4 à 5 fois par an afin d’offrir un confort suffisant pour les promeneurs. Il n’est pas précisé sur les panneaux, dans lequel des « 5 types de zones » nous nous trouvons, ce qui est dommage.

Figure 21- Les panneaux explicatifs de la gestion différenciée, installés devant chaque espace vert concerné par ce mode d’entretien – Saint-Orens

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plantes messicoles dont nous avons déjà parlé. Nous espérons que cette étude amènera à des questionnements intéressants sur les représentations ville/campagne de la part des usagers du site étudié. (p. 68, chapitre 3)

1.2.4. Une ville… à la campagne ?

Ce que l’on peut voir, c’est que Saint-Orens, dans le cadre des son projet de ville ap-plique à la lettre les exigences réunies du SCoT et du S.D.A.T., marquant ainsi le rôle pré-pondérant de l’intercommunalité. Cette politique volontariste en ce qui concerne les ques-tions environnementales est au cœur des préoccupations de la nouvelle municipalité depuis 2008, qui va même au-delà de ce qui est prévu par le Grand Projet de ville : « Si l’on s’en te-nait aux Schémas de cohérence territoriale applicables, nous n’aurions que deux trames bleues qui sont liées aux zones inondables des deux vallées qui traversent la commune. Pour nous, il est aussi impor-tant de recréer d’autres continuités écologiques puisque leur but est de favoriser les échanges entre les populations animales, ce qui est important, et découle d’une prise de conscience nouvelle », nous ex-plique Michel Sarrailh, adjoint au développement durable. Les efforts déployés ont déjà porté leurs fruits puisque la commune s’est « végétalisée » de manière notable ces dernières an-nées. Pour ces raisons, la commune fait parler d’elle, et de plus en plus de monde s’intéresse à sa politique (nous en faisons d’ailleurs partie), ce qui, à coup sûr, conforte les acteurs en charge de ces projets dans la voie qu’ils se sont tracé.

Une fois de plus ici, on souhaite mettre de l’ordre et rendre les choses claires : on remplit les trous, c'est-à-dire les friches laissées libres au cœur de la ville pour densifier ou pour recréer une nature. On travail à faire émerger deux espaces bien distincts, si ce n’est opposés, dans leur fonction et leur forme, avec un rapport de proportion égal et symbolique (50% de ville et 50% d’espace rural) figurant presque une sorte de Ying-Yang urbain/rural ; une stabilité exemplaire. Finalement, la politique menée est à ce point dynamique sur les questions environnementales qu’elle en deviendrait presque un stéréotype de ce qui est en-tendu par le Grand projet urbain de l’agglomération toulousaine.

Derrière la politique de Saint-Orens, se cache encore autre une volonté, plus générale cette fois-ci : celle d’évoluer vers le statut de « ville ». Le dynamisme municipal ne semble plus correspondre à un simple village et il faut dire que Saint-Orens, avec 11000 habitants, ne fait ni figure de petite ville, ni de village. Lorsqu’on demande à Thierry Albert, directeur du service Espaces Verts, de qualifier Saint-Orens, voici ce qu’il nous répond : « C’est une petite ville. Ou un gros bled. Parce qu’on est à 11000 habitants donc… C’est un peut bâtard comme on est là. On aurait 15000, on dirait qu’on est une petite ville. Là, 11000… on est pas une petite ville, on est encore un gros village. » Un gros village donc, qui aimerait devenir ville. Et c’est sans doute pour cela que la commune met les moyens au service de ses ambitions au travers de tous ces projets.

Lorsqu’on compare le site internet de Saint-Orens avec celui de Lauzerville (com-

mune mitoyenne à l’Est), la différence est flagrante (Figure 22). D’un côté nous avons une ville qui montre ses institutions, ses activités, son travail des espaces verts et ses marchés, autrement dit tout le travail effectué en termes politiques, associatifs et environnementaux (gestion différenciée, alimentation bio, etc.). De l’autre, nous voyons un village « de cam-pagne » seul perché en haut de sa colline avec son église. Une image d’Epinal qui valorise cette fois-ci, le cadre paysager du site ainsi que son caractère villageois. La bande de photo triées sur le volet en bas de page (panoramas depuis la commune, le mythe de la maison indi-

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viduelle sous toutes ses formes, etc.) et le choix du gros tourne-sol au premier plan, confirment à eux seuls cette volonté d’appâter le visiteur en répon-dant pleinement à ses stéréo-types paysagers. Cette page d’accueil n’est finalement rien d’autre qu’une publicité camou-flée, un peu à la manière de ce que font les promoteurs (voir page suivante).

Bien que Saint-Orens dispose elle-aussi d’un cadre paysager tout aussi « idéal » que Lauzerville, la communication très différente affichée sur son site, montre ses ambitions : les nouveaux arrivants n’habiteront pas à la campagne… mais bien à la ville. La communication par l’image et le discours sont donc cohérents avec la politique en-treprise.

1.3. Un lieu convoité pour son cadre de vie Faisons maintenant un petit tour dans Saint-Orens, afin de mieux nous rendre compte de l’impact que toute cette politique est susceptible d’avoir sur le cadre de vie des usagers, mais aussi afin de prendre la température du lieu. Les raisons pour lesquelles toujours plus d’habitants souhaitent venir vivre à cet endroit font alors rapidement surface : un cadre de vie urbain aéré, une grande proximité à la campagne et un cadre paysager bien conservé.

1.3.1. Un air de vacances Les noms de rues

Il y a comme un air de vacances qui plane sur Saint-Orens par jour de beau temps. Les noms de rues que l’on peut croiser en se promenant dans la commune sont parfois très évocateurs et donnent le ton de l’endroit où nous nous trouvons : Rue des Acacias, rue de Chê-naie, rue de la Frênaie, avenue des Floralies, rue des Mûriers, rue des Bleuet, rue du Bousquet, rue des Tournesols, rue des Genêts,… Pas moins de la moitié des noms des rues de la commune font référence à une plante, à un arbre, à une fleur ou encore à un champignon. Le quartier des Chanterelles (dont le nom lui-même est fortement connoté), se compose quand à lui de voies aux appellations pour le moins exotiques : rue des Seychelles, avenue des Iles, rue de la Réunion, rue des Antilles, rue des Comores.

Figure 22- Comparaison des sites internet des com-munes de Saint-Orens-de-Gameville et de Lauzerville (pages d’accueil)

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On se demande alors la raison d’être de tous ces noms (pour ce qui est de la rue des Tournesols, on comprend un peu mieux cependant). Alors de deux choses l’une, soit il s’agit d’un simple coup de promoteur (puisque la quasi-totalité des quartiers résidentiels de Saint-Orens sont nés sous forme de programmes immobiliers construits par tranche), soit la com-mune a eu son mot à dire. Dans le premier cas, il s’agit d’une adaptation à la demande géné-rique des personnes souhaitant vivre dans ce genre d’endroit. Dans le second, il est question d’une volonté de la commune de faire valoir et de partager ses qualités de « village à la cam-pagne. » Dans tous les cas, ces noms de rues sont révélateurs d’une tendance.

Ici, pas de noms de personnages célèbres ni de dates que l’on ne connait plus. Non, à cet endroit, tout semble mis en œuvre pour nous faire oublier le quotidien, pour que le cadre de vie nous soit aussi agréable que la vie devrait l’être. En somme, bien que les noms cités plus haut puissent paraitre anodins au premier abord, ils font tout de même émerger une certaine rupture avec la grande ville (Toulouse par exemple) ; peut-être parce que la per-sonne qui vient habiter à cet endroit souhaite justement s’en éloigner, de cette grande ville. Et quitte à ne pas vivre aux Seychelles ou à la Réunion, pourquoi ne pas habiter dans la rue du même nom ? C’est toujours ça de pris !15 Le « vert » omniprésent

Quoi d’autre pour renforcer cette impression de lieu « hors du temps », c'est-à-dire hors des tracas de la vie urbaine ? La présence du vert surement, car celle-ci est partout (Fi-gure 24). Dépassant des clôtures des maisons, le long des trottoirs, en « coulée-verte » ou en bord de ruisseau… Difficile de ne pas y échapper : ce qui distingue vraiment Saint-Orens de Toulouse située non loin, c’est bien sa « verdure ».

Le choix de certains arbres en bordure de route de Revel s’est même porté sur des pins à certains endroits. Ceci est peu commun, mais on comprend vite la raison de cette pré-sence. Il suffit de se promener le long de cette voie pour s’en rendre compte : la présence de ces essences d’arbres confère au lieu un « air de vacances » très prononcé, un côté « village de bord de mer » même, lors de certaines séquences le long de cette rue. A deux endroits notamment (avant d’arriver au niveau de la Mairie depuis Toulouse, et au niveau de la pointe Sud de la ville), tout y est : l’avenue rectiligne, ces pins plantés de part et d’autre, la présence exclusive de pavillonnaire mais aussi la végétation qui s’y développe et se laisse voir de der-rière les clôtures. Les promoteurs

Depuis que la construction de collectifs a été lancée sur la commune afin que Saint-Orens devienne non seulement une « ville », au sens statistique du terme, mais puisse aussi accueillir le tramway (selon les prescriptions de la CA), les chantiers et leurs grues pullulent sr Saint-Orens… tout autant que les publicités aux slogans tapageurs (Figure 25). Les slo-gans sont intéressants en ce sens qu’ils écrivent noir sur blanc et de manière idéaliste ce que les gens veulent entendre : ils sont un résumé stéréotypé de la demande des personnes ve-nant habiter dans un lieu. Ils ne mentent pas. Ils reprennent seulement les grandes caracté-ristiques positives du lieu et communiquent dessus.

15 Les plus mauvaises langues pourraient même voir dans ces noms d’îles un rapport à l’exotisme affiché du Club Méditerranée, qui base une bonne partie de sa communication là-dessus.

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Figure 23- Une rue du quar-tier Catala : de l’habitat groupé à proximité de la campagne.

Figure 24- Avenue Labouilhe. Le « vert » est omniprésent dans les quar-tiers pavillonnaires et donc partout dans Saint-Orens.

Figure 25- « Passez du rêve à la propriété » : le slogan d’un espace en transition ?

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L’annonce pour « les Coteaux de Saint-Orens » (Figure 26) affiche ceci : « Saint-Orens de Gameville est à 15 minutes de la ville rose […] bénéficie du cadre de vie privilégié du Sud-est toulousain. Malgré le développement impressionnant ces dernières années, la ville reste un lieu de grande qualité paysagère, calme et agréable. » Pour sa part, le « Clos Saint-Orens » titre dans sa brochure : « A l’orée de Toulouse, un charme résidentiel » ou encore « adossé à un bois classé ». Les arguments avancés sont les suivants : « Un coteau dominant la vallée », « Grands espaces et vie de village », « A votre porte, tous les plus de la vie quotidienne ». (Source : Cogedim) On lit bien l’importance de la double vie ville/campagne. On est un peu schizophrène alors, on vit dans les deux. La proximité à la ville, mais aussi les charmes de la campagne : les co-teaux et les grands espaces pour le paysage, la forêt pour les activités, la vie de village pour un retour à des rapports humains vrais… Assurément, tout semble y être. Mais il n’agit là que de brochures et de slogans alléchants. Qu’en est-il de la réalité de ce paysage qui semble tant apprécié ?

1.3.2. Le paysage agricole autour de Saint-Orens, l’Eden retrouvé ? Ce paragraphe vise à analyser le paysage agricole visible depuis Saint-Orens. Nombreux sont ceux qui compare ce paysage à celui du Lauragais. En effet, bien que Saint-Orens ne fasse pas, à proprement parler, partie du Pays du Lauragais, elle n’en constitue pas moins la porte. Pré-requis : pourquoi l’agriculture est-elle indispensable au paysage ? « L’agriculteur s’installe en fonction des ressources du lieu : reliefs, qualité du sol, eau, roches, climat, conditionnement au choix du site, le sens du labour, le type du culture, les matériaux de construction. Cette dépendance a entrainée une cohérence paysagère », écrit Barbara Monbureau (2007 : 45). En somme, l’agriculture, en temps qu’activité indissociable du sol, du relief et de la terre, donne une lisibilité au territoire, elle révèle son fonctionnement. Plus encore, elle l’ordonne par un phénomène d’adaptation, ouvre le champ visuel par le défrichage à certains endroits clés. Elle marque l’emplacement des cours d’eau par des ripisylves, nous laisse à voir le relief, détoure la ligne d’horizon, rend compréhensible d’un coup d’œil le parcellaire tout en colorant de manière « patchwork » l’ensemble du territoire, diversifiant ainsi les plaisirs du regard… Bref, l’agriculture ordonne et classe les choses, leur donne à chacune une signification et une fonction particulière. Dans un paysage agricole « normal », les choses qui ne servent à rien sont perçues comme des anomalies, des signes d’un appauvrissement du lieu.

La critique principale faite à l’agriculture contemporaine, c’est de s’être coupée de ce lien viscéral qui l’unie normalement avec le sol. Les nouveaux modes de production mécanique et

Figure 26 - Un exemple d’annonce promoteur. Programme « Les Coteaux de Saint-Orens » (Source : http://www.trouver-un-logement-neuf.com)

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Figure 27- Le jardin anglais par excellence par Capability Brown, à Salisbury Lawn. L’image d’une nature épanouie et sauvage tout e étant contrôlée et maîtrisée par l’homme. Il en ressort une sensation de fusion entre l’homme et la nature.(Source : http://www.visiengland.com)

Figure 28- Relevé des caractéristiques remarquables du paysage. (Photo et montage : E.P.)

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l’utilisation massive de produis chimiques lui ont permis de se détacher de cette dépendance vis-à-vis de la terre, et donc par voie de conséquence, des contrainte liées au site. Il en résulte souvent des paysages sans trop de signification ou même contraires aux logiques des terri-toires concernés. La disparition progressive du bocage est surement un des exemples les plus frappants de cette distanciation qui a eu lieu durant les dernières décennies entre l’activité agricole et son contexte. Il est du principalement à remembrement massif des parcelles, ame-nant à une augmentation de la surface moyenne des exploitations. Résultat, l’érosion des sols est plus importante que jamais et projette les limons au bas des pentes, faisant de la terre restée en haut, une coquille vide.

Au-delà de cette distanciation contextuelle de l’agriculture contemporaine, est montrée du doigt, comme nous l’avons vu dans la partie précédente, la peur de la « désertification ». Celle-ci tient davantage du mythe et trouve son origine dans le rejet que peuvent avoir nos sociétés occidentales pour la friche, très vite comparée à un abandon (signe de pauvreté, de manquement). Plus encore, et contrairement à aux parcelles agricoles, la friche cache le terri-toire sous une couche végétale. Ce qui est recherché au contraire, c’est une certaine « fu-sion » entre l’homme et la nature, la volonté de sentir de nouveau ce lien de dépendance qui semble à la base de notre constitution même. Les jardins anglais typiques (Figure 27) per-mettent à retransmettre cette sensation d’échange entre l’homme et sa nature : bien qu’entièrement travaillés et conçus dans leur ensemble, ils retransmettent un impression d’aléatoire et d’imprévisible si propres à la nature, et devant lesquels nous nous émerveillons. La campagne autrefois (c’est en tout cas ce que nous voulons croire) remplissait cette fonc-tion de médiateur entre l’homme et son milieu naturel, satisfaisant non seulement son besoin d’ordre mais également cette sensation de se sentir épauler par une nature douce et conci-liante. Mais aujourd’hui, cette imaginaire agricole (surement idéalisé) se serait envolé de nos paysages, entend-on dire partout : « Insensiblement, on glisse vers l’idée que l’agriculture d’autrefois serait le signe d’une intelligence perdue entre l’homme et la nature, un idéal d’unité, d’harmonie entre la terre et ses usages. On songe avec regret avec l’époque où l’homme savait dialo-guer avec la nature. » (Monbureau, 2007)

Qu’en est-il réellement du paysage agricole que l’on peut admirer aux alentours de Saint-Orens, ce paysage « du Lauragais » comme on aime à l’appeler en cet endroit ?

Un territoire rendu lisible par l’agriculture

Voici une photographe prise au Nord du hameau de Cayras qui embrasse la vallée de la Saune (Figure 28). Qu’y voit-on ? De la même manière que le jardin de Salisbury Lawn, on y lit des couleurs : parcelles brunes, vertes ou quelques rares jaunes, permettant de com-prendre très vite le contenu et l’organisation de la production. On dispose également d’une vue dégagée grâce à l’agriculture (à l’instar d’un lac) ce qui nous permet d’admirer la courbe de l’horizon (paysage vallonné) ainsi que la composition paysagère. Plusieurs éléments y sont disposés : quelques traces résiduelles de bocage, des masses boisées aux formes géométriques (rectangulaires ou carrées), des alignements d’arbre (notamment la ripisylve qui marque l’emplacement de la rivière Saune, limite communale Nord de Saint-Orens), ainsi que quelques habitations posées ça-et-là. Est-ce que tout est en ordre ? L’image est plutôt agréable à l’œil car aucune monotonie ne transparaît (couleurs, diversité des éléments en présence), la sensation d’espace est nette, le relief donnant cette aspect vivant (comme un mouvement du sol) au paysage.

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Finalement, mis à part les quelques maisons présentes on ne sait pourquoi et dans quel ordre, chaque chose présente dans cette vue semble découler d’une raison bien particu-lière liée au site et avoir une fonction propre. Pour les esprits tatillons : seule l’étendue en-herbée située à gauche de la photo pourrait être susceptible d’être critiquée. Il ne peut pas parler de friche ici mais seulement d’un pré mal lustrée. Ce dégradé de couleur ne lui sied guère ! On aime les surface unies et bien distinctes du reste. Plus encore, cette-parcelle ainsi laissée libre ne semble pas avoir de fonction particulière (élevage de chevaux ?).

Les parcelles sont grandes mais sans plus, aucune friche n’est directement visible, des bocages existent par endroit ainsi que quelques arbres et le relief donne un caractère vivant à la composition. Bref, le paysage de campagne visible depuis Saint-Orens apparaît comme assez bien préservé et d’une qualité appréciable au regard d’autres zones agricoles françaises. Nous sommes à la fois loin du paysage agricole rationnalisé et productif (comme par exemple la Beauce) tout en restant aussi éloigné des images idéales de la campagne. Quand est-il alors, lorsqu’on observe les changements dans la durée ? Le paysage s’est t’il dégradé au fil du temps, comme on peut s’y attendre ? Les transformations du paysage du Lauragais aux abords de Saint-Orens Afin d’étudier les éventuels changements qu’a pu subir le paysage du Lauragais visible de-puis Saint-Orens durant le siècle dernier, comparons deux photographies prises au même endroit mais à des époques différentes. Le cliché est centré sur l’ancien noyau villageois dans lequel se trouve l’Eglise et est orienté vers le Nord. La première prise a eu lieu en 1930, tan-dis que la seconde est actuelle. Il ne reste alors plus qu’à jouer au jeu des 7 erreurs. La désertification ?

Les critiques alarmistes survenues au sortir de la guerre concernant la diminution drastique du nombre d’exploitants avaient principalement pour cause la peur de l’enfrichement. La campagne saint-orennaise s’est elle désertifiée avec le temps ? Sur la première image, peu de constructions, très peu d’arbres et une écrasante majorité de champs. La campagne en 1930 semble très productive ou tout du moins, elle présente des signes d’opulence agricole. Aucun terrain n’est laissé en friche ou même à une activité autre que le travail de la terre. Sur la deuxième image, ce qui saute directement aux yeux, c’est que l’aspect très épuré de la campagne de 1930 s’est atténué. Aujourd’hui, d’autres éléments ont apparus : des maisons avec jardins, des bosquets d’arbres, mais aussi quelques haies entres les parcelles agricoles. Le premier plan quand à lui, marque une urbanisation de la zone (sans être trop marquée) et la végétation qui a poussée à l’endroit des jardins privatifs fait obstruction à la vue sur la campagne, autrefois entièrement dégagée.

Finalement, on observe avant tout une diversification des usages sur ce paysage, ré-pondant ainsi bien à la règle de l’urbanisation des campagnes. L’activité exclusivement agri-cole de 1930 s’est aujourd’hui enrichie d’autres : résidentialisation et activités liées aux es-paces boisées (promenade notamment). Il n’y a donc pas de désertification ici : chaque élé-ment du paysage a sa fonction et aucun ne révèle une quelconque trace d’abandon (pas de friche visible et les espaces boisés sont entretenus). Cette situation correspond plutôt bien à une phrase de Pierre Donnadieu au sujet de la peur de l’enfrichement : « Quand cessent les activités agricoles, comme dans les régions méditerranéennes ou les montagnes, la friche ne devient pas

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un vide humain. […] Elle se transforme ou se maintient selon des projets que peuvent accompagner les pouvoir publics. Là où les uns perçoivent un abandon condamnable, les autres identifient une utilisa-tion légitime qui demande à être reconnue : élevage et sylviculture extensifs, cueillette, pêche, randon-nées pédestres, etc. » (Donadieu, 2002) Par ailleurs, l’activité agricole occupe encore la majorité des espaces ruraux et si l’on jette un œil aux données statistiques correspondantes, on observe une légèrement augmentation de la surface agricole durant les dernières décennies : elle passe de 662ha en 1988 à 770ha en 2000 pour une SAU moyenne de 67ha dans le premier cas et de 87ha dans le second (source : AGRESTE : recensements agricole, 1988 et 2000). On est donc loin d’un cas de désertification. L’intensification de la production agricole

Les critiques sur les nouveaux paysages de campagne portent également sur la dis-tanciation qui s’opère entre l’agriculteur et son champ, soit une séparation entre l’homme et la « nature seconde ». C’est le caractère de l’agriculture intensive qui est remis en question ici, comme une perte des valeurs paysannes. Sur les photos, il est difficile de différencier la taille des parcelles agricoles. Visuellement, celles-ci ont à peu près la même taille, mais la végétation située au premier plan de la deu-xième photo empêche de voir nettement et donc, de conclure sur ce point. Un regard rapide aux cartes chronologiques nous montre cependant que la taille moyenne des parcelles a augmentée depuis 1946. Mais, dans le cadre de ce paysage, rien de choquant en soi : le pay-sage de 2012 ne retransmet pas une image de production menée à outrance. Bien au con-traire, la présence de boisements et la diversification des fonctions ôtent tout doute sur ce point. Plus encore, le relief enlève toute sensation de monotonie à la composition. En revanche, pour ce qui et de la photographie de 1930, c’est presque le cas inverse. C’est surtout l’absence d’arbres qui donne cette impression de vide. Que des champs partout. On pourrait croire ici à une agriculture intensive si n’étaient pas présentes les petites parcelles agricoles et la présence du village d’antan donnant à l’ensemble un certain charme La pastorale et le mythe de l’âge d’or

Dans la photo de 1930, on s’imagine mal se promener dans les champs ni même en-tretenir un quelconque rapport avec la nature : c’est simple, il n’y en a pas. Seules des cul-tures au sol, voilà ce que l’on voit sur cette composition. De la même manière que la pasto-rale trouverait difficilement un décor pour exister à cet endroit, il serait tout aussi difficile d’y voir se dérouler un des romans de Giono. Qu’y a-t-il à faire dans cette campagne à part cultiver ? Le rapport entre l’homme et la nature semble se substituer ici à une domination pure et simple : aucune trace de nature sauvage, de nature vivante.

Sur la photo actuelle, nous l’avons vu, ont pris place des arbres, des bosquets, des haies. Tous ces espaces transmettent une impression de vie plus développée que dans la pho-to précédente, tant au regard de la biodiversité qui s’y développe surement, qu’au niveau des activités disponibles. Ici, est davantage envisageable un lien avec cette nature. Et bien que dans aucune des deux photos ne se retrouvent les archétypes paysagers de l’Age d’or, le paysage actuel semble être davantage susceptible de réinstaurer un minimum de lien entre l’homme et la nature. En revanche, la présence du petit village une fois de plus sur la photo de 1930 réveille notre fibre nostalgique. La végétation idéalisée Lorsque nous interrogeons Michel Sarrailh, adjoint au développement durable de Saint-Orens, sur la question du bocage et de sa préservation, voici ce qu’il nous répond : « Il y a du

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Figure 29- Comparaison de photographies. 1930 et 2012 (Montage : E.P.)

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y avoir des suppressions de haies, même s’il y avait quelques chemins ruraux qui sont eux-mêmes bor-dés de haies qui sont restés. D’ailleurs, on peut voir parfois dans l’habitat pavillonnaire la subsistance de certaines haies de chênes (comment pourrait-on les préserver, je n’en sais trop rien)… On a à ce propos un petit diagnostic qui est en train d’être fait par une association qui s’appelle « Arbres et pay-sages d’autan » pour envisager une éventuelle replantation des haies (on a même commencé à certains endroits), avec naturellement tout ce que cela implique comme conflit avec les agriculteurs : disons qu’il y a quand même un frein de la part de certains exploitants agricoles dans ces coins là… Ca gène, ça fait de l’ombre,… y a plein d’arguments divers et variés. Bref, ce n’est pas considéré comme « ren-table », ou tout du moins, à court terme… »

Se met donc en place des volontés de REplanter, de préserver le patrimoine vert du

paysage agricole au niveau de la commune. Or, à en croire la comparaison des deux photos, il semblerait que ce patrimoine « vert » n’ait jamais vraiment existé… pas plus que le bocage d'ailleurs. Le paysage observé ne semble pas être constitué de bocage à l’origine. Alors que l’on associe la production de masse à la suppression du bocage, il y a donc ici une rupture idéologique avec la campagne d’autrefois que nous aurions imaginé plus verte qu’aujourd’hui. Les photos aériennes (Figure 20), montrent par ailleurs une augmentation très nette de la surface moyenne des parcelles agricoles (remembrement), chose qui n’est pas appréhendable sur ces images (mais confirmé par les données statistiques énoncée plus haut). Les parcelles étant plus restreintes à l’époque, on peut donc imaginer que des fossés existaient entre les champs afin de permettre à l’eau de s’écouler. Mais cela ne règle pas la question du paysage. Michel Sarrailh nous précise en effet qu’une association va replanter les bosquets et les haies. A en croire les photos que nous avons sous les yeux, une retranscription paysagère « d’antan » aurait plutôt opéré dans le sens d’un « défrichage » ! Nous pouvons observer ici que certains acteurs, et surtout certaines associations, disposent eux aussi d'un regard stéréo-typé sur le paysage du Lauraguais entourant Saint-Orens.

Nous avons donc ici une très belle illustration de la manière dont les stéréotypes du

paysage d’antan, basés essentiellement sur les images pastorales (idéalisation du monde agri-cole d’autrefois), influent sur la réalité du lieu. Le paysage se transforme donc pour ressem-bler davantage à ces archétypes (ici : plantation de bosquets et de haies bocagères). De cette manière, lorsqu’une personne regardera le paysage revu et corrigé, elle le préfèrera surement à l’ancien, celle-ci l’appréciant au travers des même archétypes que les paysagistes (ici : l’association « Arbres et paysages d’autan »). Voici une mise en situation de la notion de tra-jection mise en évidence par Augustin Berque dont nous parlions tout au début de ce mé-moire.

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– CHAPITRE 3 –

LA PAROLE AUX USAGERS : DE NOUVELLES REPRESENTATIONS DE LA VILLE

ET DE LA CAMPAGNE

« C’est beau toute cette verdure. Il y a des plantations, je vois y a la vie. Les cultivateurs, ils ont laissé leur travail là, ils ont fait le travail pour leur vie

mais ils ont sculpté un spectacle pour moi. » (Phù, 69 ans, rencontré sur le long de l’Espace naturel de la Marcaissonne)

Dans le cadre de ce dernier chapitre, nous allons nous consacrer plus précisément à l’analyse des représentations paysagères des habitants du site étudié. Dans un premier temps, nous analyserons un projet remarquable que la municipalité de Saint-Orens mène en partenariat avec le Conservatoire botanique de Midi-Pyrénées, un pro-jet qui pose des questions intéressantes en termes de représentations paysagères de « ville » et de « campagne ». Dans un deuxième temps, nous tenterons de recueillir l’ensemble des informations recueillies auprès des personnes entretenues, afin d’en faire émerger des pistes de réflexion.

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1. Le projet messicoles 1.1. Présentation du projet : objectifs et contexte

Nous avons pu le voir lors de l’analyse menée à Saint-Orens de Gameville, la rivière Marcaissonne marque une limite entre ville et campagne. Or, il est une parcelle qui va rete-nir plus précisément notre attention… Il s’agit d’une parcelle agricole mise en place par la commune à la suite à une demande formulée par le conservatoire botanique de Midi-Pyrénées. Son objectif : la réinsertion de plantes messicoles (i.e. : plantes habitant dans les moissons) locales de manière « naturelle », c'est-à-dire sans usage d’intrants ni de produits phytosanitaires d’aucune sorte de issu du commerce. Ces plantes, coquelicots, bleuets, etc. disparaissent peu à peu de nos champs du fait d’une utilisation massive de traitements herbi-cides et du tri performant des semences (ce qui augmente nettement le rendement agricole).

Cette réimplantation de 7 espèces de messicoles triées sur le volet par le Conserva-toire botanique, s’est faite par le biais d’une parcelle agricole entretenue « comme autrefois » donnant un aspect très « revival » (pour reprendre les termes d’un employé du service tech-nique de la ville) aux moissons.

A la suite d’un entretien mené au CTM (Centre Technique Municipal), Michel Sar-

railh, adjoint au développement durable, nous a confié que la parcelle était déjà propriété de la ville lors de la mise en place du champ. En effet, celle-ci, située en zone inondable avait fait l’objet d’une acquisition préalable par la mairie (Elle est incluse sur le tracé de la trame bleue de la Marcaissonne prévue par le SDAT. Sa position inondable lui a permis d’être préservée très tôt de l’urbanisation, puisque classée en zone non-habitable dans le cadre du PLU. Elle était jusque là régulièrement entretenue par le service Espaces Verts en tant qu’espace vert public : dans un premier temps sous la forme d’une prairie tondue toutes les 2 à 3 semaines, puis de manière beaucoup plus espacée (de l’ordre de 2 à 3 fois par an) dans le cadre de la gestion différenciée dont nous avons déjà parlé. Cette gestion, nous le rappelons, est une initiative émanant de certains élus). Protégée de toute urbanisation dans un temps proche comme lointain, la parcelle a été placée en zone « protégées » (et non « conservée », auquel cas son statut aurait été susceptible de changer, ce qui n’est pas le cas ici). La mairie pouvait donc en disposer comme bon lui semblait. C’est dans ce contexte, que celle-ci répondit favo-rablement à la proposition du Conservatoire Botanique.

Selon Pierre Donadieu, (2002), il existe deux processus d’évolution agricole distincts sur la territoire français. « D’une part, une agriculture patrimoniale et paysagère gère un héritage dans le cadre d’un économie du bien être, du loisir et du tourisme, fortement aidée par les pouvoir publics. D’autre part, une agro-industrie dépendante surtout des marchés, produit des biens agro-alimentaires. » Le projet messicoles se rapproche donc du premier, puisque l’intérêt recherché est avant tout scientifique (valorisation un héritage culturel qui serait disqualifié puis-qu’incapable de répondre à al concurrence en matière de production alimentaire) et paysager (cadre urbain). Ce projet permet donc d’agir sur plusieurs plans simultanément, mettant une fois de plus en avant le caractère multifonctionnel de l’agriculture en milieu urbain. Voici la chronologie de mise en place du projet : - Octobre 2009 : semis de blé (variété ancienne : la bladette de Puylaurens) et mise en cul-

ture biologique. - Juillet 2010 : récolte via une moisson à l’ancienne avec l’association « Pastel » (voir pho-

to - au dessus) puis battage des blés lors de la campestrale d’Auzeville (Sud-est de Saint-Orens).

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- Octobre 2010 : Semis d’orge (variété d’automne brassicole) - Juillet 2011 : récolte par une moisson mécanique (800 kg - Octobre 2011 : tondo-broyage du chaume pour mise au repos de la parcelle jusqu’en oc-

tobre 2012

Ainsi, nous voilà en 2012 et la parcelle que nous avons pu visiter ne laisse rien voir d’une ex-parcelle agricole. Il s’agit d’une prairie tout ce qu’il y a de plus banal et cela ne facilitera su-rement en rien les parcours commentés d’usagers que nous nous chargeons de mener dans le cadre de cette étude... L’an prochain, sera décidé un nouveau type de récolte sur cette terre. Le projet messicoles s’inscrit dans un projet plus vaste et qui consiste en l’aménagement d’un chemin le long de la Marcaissonne. Lorsqu’on se promène au fil de l’eau on croise ainsi la parcelle dont nous avons parlé, mais également une clairière fruitière. Celle-ci a pour but, à terme, d’offrir aux promeneurs des fruits à cueillir librement.

Photo de la moisson à l’ancienne 2010 par l’association PASTEL (Photo : Patrick Lanneau)

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Une coupure presse issue de Mém’Orens, magazine communal annuel

La prairie fleurie par excellence de la Forêt de Sokeda (Israël). Les boisements ouverts sont favorables au développement des plantes messicoles, tels que les coquelicots ici, plante messicoles la plus connue.

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Cette partie se base principalement sur le travail de C. Duterme réalisé pour le conservatoire bota-nique de Midi –Pyrénées. Ce travail consistait à… Mise en place d’un Tiers-paysage. Selon Gilles Clément, dans un monde où la presque totalité des territoires ont été artialisés. Ici, il s’agit d’une réserve. Cet espace est en effet protégé comme nous le confirme M. Sarrailh, adjoint au développement durable. La moisson à l’ancienne Nostalgie d’un temps mythique ?

- « Scène de reconstitution historique » d’un passé campagnard idéal où l’homme vit en ccord avec son environnement. Etc… Association des messicoles à des espèces disparues ? Marginalisation de l’espace agricole en ville ?

- Contrepoint : volonté de réserver certaines parcelles de gestion différenciée pour les agriculteurs, de préférence bio [bas p. 2 C. Duterme) Ou simple réponse à demande sociale de campagne « à l’ancienne » en vue de faire accepter et rendre accessible le projet ? (en répondant aux phantasmes de la population, c’est toujours plus parlant, plus percutant > travail sur l’émotion)

- La population est vieille et est peu être nostalgique de leur temps ou la campagne était cultivée de cette manière… ?

- Le blé = élément symbolique fort de notre civilisation. P24-25 C. Duterme. Le point de vue des techniciens Réception par les habitants Se base essentiellement sur le rapport de C. Duterme

- Raisons de l’usage de ce sentier - Accent mis sur le sentier et les installations visibles (banc, tables, panneaux, etc) - L’aspect sauvage apprécié. « propice au repos de l’âme » Un espace sauvage manquait à Saint-Orens

p.13 Certains (voir Phù) le trouvent encore trop travaillé par l’homme > souhait d’un petit chemin de montagne (idem que citation bas p. 12)

- Tranquillité et convivialité en cœur de ville, associé à la campagne (Duterme, 2010 : 12) > absence de voiture + sécurité

- La mesure du sauvage : sauvage c’est bien, mais pas trop (Duterme, 2010 : 14) + plaintes de serpents (espèces appréciées : coccinelles, abeilles,… et d’autres refusée : serpents) > adaptation de la municipa-lité : tonte tous les mois autour des mobiliers au lieu d’un an pour le reste.

- Contrepoint : le projet messicoles à Gaillac « Le retour de la nature en ville » « La campagne vient à l’aide de la ville » , « le retour de la nature en ville ». Cela montre plusieurs choses intéressantes :

- D’une part une séparation dans les représentations « ville » et « campagne » assez présente qui se fait dans le sens d’une campagne bienfaitrice. Ce n’est pas l’iverse

- La nature est ici vue comme une entité bienfaitrice, à la fois source de biodiversité et de lien entre les hommes. Nature = aspect sauvage de biodiversité + vie collective

- La campagne, au travers de la parcelle messicoles est assimilée à la nature eau travers de ces critères, elles ne font plus qu’une. La campagne devient nature si elle prend un visage multifonctionnel, c'est-à-dire qu’elle n’est plus uniquement tournée vers la production alimentaire mais aussi vers l’humain. Elle devient alors bienfaitrice, donc « nature ».

o Soucis de préservation, patrimonialisation de se qu’on est sur le point de perdre.

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o Le grand penseur disait : « C’est lorsqu’une personne est sur le point de mourir qu’on se rend compte à quel point elle nous est chère ! »

- Au travers du projet de « parcelle messicoles », le constat qui est fait est plus complexe qu’un simple « retour de la nature en ville » car il est plusieurs données en actions :

o La parcelle messicoles reste un espace vert dans la ville, de taille finalement relativement modeste en comparaison à un champ d’aujourd’hui. Cette parcelle s’inscrit dans le cadre de la gestion différenciée des espaces verts. C’est donc un espace vert avant tout et figure davantage une « incrustation de na-ture » dans la ville qu’autre chose, afin d’apporter un cadre plus agréable aux habitants, tant sociale-ment, que d’un point de vue paysager, de l’ambiance, etc. Bien évidemment, ce projet s’inscrit à terme dans un projet plus vaste et il n’est peut être qu’à son commencement. A Gaillac, la parcelle a été un échec. A Saint-Orens, ce fut un succès important. Bien évi-demment de nombreuses circonstances ont joué. Mais la différence la plus flagrante entre les deux villes réside dans leurs positions respectives. Ainsi, tandis que Saint-Orens est en prise avec une urbanisation féroce et joue le futur de ses champs en ce moment, Gaillac, elle, est une ville « plongée » dans la campagne. Ainsi, il semblerait que plus la ville se rapproche et plus il y ait un rapport valorisant avec les champs. Sous-tend la théorie de l’espace en voie de disparition.

2. Entretien avec les usagers 2.1. Méthodologie et lieux d’analyse La méthode d’investigation par questionnaires a été considérée comme trop directive, et n’a donc pas été retenue.. En effet, avant de commencer l’analyse de terrain, il nous est apparu que les représentations paysagères sont très variables d’une personne à l’autre. Bien qu’il y ait sans doutes un fond commun (et c’est ce fond commun que nus essayons justement de révéler), le paysage est aussi affaire de goût et dépend du parcours de chacun, de ce qu’il a pu voir ou ne pas voir, apprécier ou non durant sa vie, de l’influence de son entourage sur sa façon de voir et de comprendre, etc. Nous nous sommes donc tournés vers une méthode plus « qualitative » : des entretiens réali-sés sur le terrain, directement avec les usagers du lieu d’étude. Ces entretiens ne sont pas totalement libres ; ils sont semi-dirigés au travers d’une grille de quelques questions essen-tielles. Cette grille d’entretien a été élaborée au fur et à mesure des lectures et dans l’optique de fournir des réponses satisfaisantes à la problématique choisie, c'est-à-dire de mieux saisir représentations de la « ville » et de la « campagne » que peuvent avoir les usagers de Saint-Orens de Gameville et de ses environs proches. 2.1.1. Précautions particulières liées aux entretiens Sujet du mémoire Il n’est jamais vraiment explicité le sujet du mémoire, afin de ne pas orienter les personnes entretenues dans leurs réponses. Dévoiler le sujet pourrait en rienter certains dans le sens Questions ouvertes

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Les questions proposées sont simples et volontairement vagues afin de laisser la personne interrogée exprimer d’elle-même ce qu’elle ressent. Ainsi, il est une attention à ne pas orien-ter le sens de la question. Par exemple la question n’est pas : « Trouvez-vous ce paysage beau ? » Mais « Comment trouvez-vous ce paysage ? » : la première question va inciter la personne interrogée à répondre dans le sens de la question et influer sr les résultats. La tournure ouverte de la deuxième, quand à elle, est à privilégier puisque qu’elle laisse totale-ment libre et sans aprioris le choix de la réponse par l’interrogé. Entretien La difficulté de ce genre d’entretien réside surtout sur ce point : alimenter l’entretien et don-ner du suivit Il a été remarqué durant les conversations, qu’un blanc, même très cours peut être perçu comme gênant. Plus encore, la maîtrise de la grille de question est un atout essen-tielle durant l’entretien, cela permet de gagner en fluidité et les réponses sont souvent plus libérées, plus longues, plus vivantes. Et c’est à ce moment là souvent qu’elles deviennent intéressantes. Plus encore, il apparait qu’un bout d’un certain moment de l’entretien, la per-sonne qui était rétissente au premier abord, se laisse prendre au jeu et commence à raconter davantage de choses. Ceci a été observé très longtemps. Après la première méfiances, les entretiens devenaient tout de suite plus intéressant. Il a alors était mis en premiers les ques-tions généralistes personnelles, qui ne nécessitaient que peu de dialogue. Les autres étaient énoncées à la fin. 2.1.2. Déroulement d’un entretien

Les premières questions ont pour objet de définir l’endroit où habite la personne in-

terrogée, depuis combien de temps elle y habite et pour quelle raison elle a fait le choix de ce lieu de résidence. Viennent ensuite les questions qui nous intéressent à proprement parler, c'est-à-dire ce à quoi fait référence la ville, ce à quoi fait référence à campagne, ce que représente Saint-Orens, le parcours futur souhaité, description du paysage, etc. La difficulté de mise en commun des informations a été complexifiée par l’impossibilité de poser exactement la même grille de question à chacune des personnes rencontrées. En effet, un contexte particulier était susceptible de jouer : personnes pressées, malentendantes, etc. Plus encore l’environnement empêchait parfois certaines questions d’être posées. Par exemple la question consistant à décrire la vue était incomprise dans e cadre d’un environ-nement fermé (absence de vue). Enfin, il est demandé à la personne, son prénom, son âge et si elle a un quelconque lien avec le monde agricole. Ces précisions ont pour principal objectif de faire émerger plusieurs caté-gories d’usagers et de mettre en résonnance des catégories avec les réponses formulées du-rant l’entretien. Voici un aperçu de quelques questions posées à la majorité des personnes rencontrées. Cer-taines comme dit plus haut n’étaient pas adapté au contexte. Parfois d’autres venaient au fil de la conversation pour préciser un point. Q1 – Où habitez-vous ? Q2 - Depuis combien de temps habitez vous à cet endroit ? Q3 - Pour quelles raisons êtes vous venus habiter ici ?

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Q4 – Aimez-vous l’endroit où vous habitez ? Q4- Où travaillez-vous ? (si actif) Q5- Pensez vous toujours habiter ici ? Q5b – (Si déménagement prévu) Pour aller où ? Pour quelle raison ? Q6- Que serait votre endroit idéal pour construire sa maison ? Q5- Si je vous dit « campagne », à quoi cela vous fait-il penser ? Q6- Si je vous dit « ville », à quoi cela vous fait-il penser ? Q7- Qu’y a-t-il de plus ou de moins à la campagne qu’à la ville ? Q7- Si je vous dit « Paysage », qu’imaginez vous ? Q7- Comment décririez-vous Saint-Orens en quelques mots ? Q8- Pouvez-vous me décrire la vue ? Q9 – Est-ce que vous aimez ce que vous voyez ? Pour quelle raison ? Q10- Connaissez-vous des agriculteurs près de Saint-Orens ? Q10b – (Si présence d’un champs à côté de l’habitation) Connaissez-vous l’agriculteur qui entretien la parcelle d’à côté ?

Photo 1 Photo 2 Photo 3

Enfin, lors des derniers entretiens réalisés sur le site (4), ces photos prises sur le site d’étude, ont été montrées aux usagers. Les questions étaient de ce type, toujours très simple : « Est-ce que vous aimez ? ». La personne était ensuite invitée à expliquer sont choix. Ces quelques résultats n’ont pas été directement mentionnés dans les résultats de l’enquête, mais ils sont venus confirmer ou infléchir les tendances déjà observées. Lieu des entretiens Les emplacements des entretiens éclairs ont été choisis de manière à être suffisamment espa-cés les un des autres, couvrant ainsi la majorité des situations présentes sur le lieu d’étude. Trois types d’usagers ont également été ciblés : les habitants (la majorité des entretiens réa-lisés), les promeneurs au bord de la Marcaissonne et les jardiniers (jardins partagés). On peut trouver à la page suivante, un plan situant l’emplacement de chaque entretien réalisé. Les numéros correspondent à ceux des retranscriptions consultables en annexe. Ils sont réperto-riés par une pastille rouge pour les habitants, orange pour les jardiniers et afin, verte pour les jardiniers. Le nombre de personnes interrogées est précisé entre (…) Les habitants (11) - rouge

- Commune de Saint-Orens-de-Gameville

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o Quartier Les Chanterelles (2) o Quartier Catala (2) o Pavillonnaire majoritaire (3) o Immeubles (2)

- Lauzerville o Lotissement (2)

Les jardiniers (3) - vert - Commune de Toulouse – Les jardins Alain de Savignac (2) - Sains-Orens de Gameville – Les jardins d’En Prunet (1)

Les promeneurs (5) - orange

- Parcours commentés sur l’Espace naturel de la Marcaissonne (5)

2.2. Résultats de l’enquête

Au total on compte 4h05min d’entretiens enregistrés pour 21 personnes rencontrées. On peut trouver les retranscriptions de chaque entretien en annexe. Des conversations in-formelles avaient également été menée avant les entretiens afin notamment de prendre la température du lieu auprès des habitants et dans le but d’orienter les recherches.

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Pour les besoins de la retranscription linéaire inhérente à tous textes tels que celui-ci, les résultats des entretiens effectués sur le terrain seront formulés au travers de points successifs, ceux-ci correspondants aux thèmes abordés dans la grille de questions posées aux usagers. Il n’est pas rare que des idées explicitées dans un thème refassent surface dans un autre, du fait de l’étroite correspondance qui existe entre eux. L’image de la ville, celle de la campagne, les raisons qui ont poussées à habiter à cet endroit, le rapport au monde agricole, la mobilité, etc. sont en effet tous reliés d’une manière ou d’une autre. Cela témoigne par ailleurs, de l’interaction qui existe entre représentations et pratiques spatiales ; une interac-tion dont nous avons déjà parlé plus tôt dans ce texte. Ces différents thèmes seront alors mis en confrontation en vue de faire émerger certaines caractéristiques communes ou pourquoi pas, quelques contradictions.

2.2.1. Le parcours des usagers

Sur ce point, et au vu des informations recueillies, il est difficile de marquer une ten-dance. Bien au contraire, c’est la diversité des parcours et des histoires personnelles qui saute aux yeux, reflétant bien l’importance du brassage local, national, voir planétaire permis au-jourd’hui par l’importante offre de transport. « J’ai fais presque tous les pays du monde, sauf… [Sur un ton rieur] sauf Iraq ! Iraq, Iran, les pays qui sont encore en guerre… là, je n’y suis pas encore allé ! » me confira Phù sur le chemin de la Marcaissonne. Un peu moins de la moitié des personnes interrogées sont arrivées dans les années 70, époque qui marque justement le début de la forte croissance en nombre d’habitants de Saint-Orens. Les statistiques démographiques de la commune correspondent donc avec le panel interrogé. Cependant, les dates d’arrivées énoncées par les autres personnes rencontrées sont ensuite réparties de manière homogène sur les décennies suivantes : Saint-Orens a été, du fait d’un manque en logements sur la commune, le théâtre d’un brassage démographique impor-tant (la demande augmentant et les prix montant en conséquence, un nombre important de logements ont été vendus et rachetés durant les dernières années). Les personnes qui habi-tent en appartement sont, quand à elles, arrivées il y a moins de 10 ans, au moment où les collectifs ont commencés à se construire sur la commune. A Lauzerville enfin, commune mitoyenne de Saint-Orens, les deux personnes rencontrées ont emménagé il y a à seulement 2 ans, au moment de la construction du lotissement. Les provenances sont diverses également, avec bien évidemment une prédominance nette pour Toulouse. Certains sont arrivés d’un autre département (Tarn, Lot-et-Garonne,…), d’une autre région (Montpellier, Paris). Parmi les personnes interrogées, certaines étaient également d’origine étrangère. Ainsi, Georges a grandi aux Etats-Unis tandis que Phù est né au Vietnam. Bref, les représentations paysagères des usagers du lieu devraient, à coup sûr, être aussi va-riées que ne le laissent sous-entendre la diversité de leurs provenances… Cependant un point commun émerge au beau milieu de la diversité des parcours de ces usagers : avant d’emménager dans la région de Saint-Orens, ils venaient tous d’une ville, que celle-ci soit située à l’intérieur de la zone urbaine toulousaine ou en dehors. Nous avons donc devant les yeux une confirmation de l’inversion des migrations urbain/ rural que nous avions évoquées en première partie.

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2.2.2. Pourquoi être venu habiter là ? Rapprochement du lieu de travail L’attractivité de Toulouse en tant que pôle d’emploi dynamique n’est pas étrangère à l’afflux massif de nouveaux arrivants à Saint-Orens durant les dernières décennies. En effet, le rap-prochement géographique au lieu de travail est souvent cité durant les entretiens, comme la principale raison à l’emménagement dans cette zone. Les résidents disposant d’une capacité de déplacement très développée (ils possèdent tous au moins une voiture, parfois deux) sans être pour autant infinie, ils habitent à une distance qu’ils jugent raisonnable par rapport au lieu de leur emploi. La majorité des personnes actives travaillent sur Toulouse directement effectuant ainsi des déplacements périphérie/centre-ville tous les jours. Labège Colomiers ou Muret ont pu être également cités dans le cadre de migrations domicile-travail quotidiennes de périphérie à périphérie tout en restant dans le rayon du pôle urbain toulousain. Dans tous les cas, la plupart des personnes actives interrogées (hors retraités) ont une mobilité quoti-dienne très développée. Certains travaillent même assez loin. C’est par exemple le cas de d’Alain, 42 ans, qui se rend chaque matin à Revel, situé à une distance d’environ 50km de Saint-Orens. Une situation qu’il explique ainsi:

« Ma femme, elle travaille de l’autre côté de Toulouse. Donc heu ça permet de trouver un mi-lieu… Et à l’époque on est venu sur la région toulousaine pour profiter du service urbain, transport urbain. […] Ca permettait d’avoir qu’une seule voiture et pour la gestion des en-fants, c’est plus facile. »

Ainsi, habiter non-loin de Toulouse permet donc non seulement de se rapprocher de son lieu de travail mais aussi de profiter des transports urbains qui relient Saint-Orens à la ville centre en même temps que toutes les autres commodités que cette dernière offre :

« Tout en étant à l’extérieur de la ville, j’aime bien quand même aller en ville et profiter de tout ça quoi… » (Marie-Christine)

Le caractère « hybride » du périurbain

Finalement, ce qui apparait, et cela semble somme toute évident, c’est que Saint-Orens offre un cadre de vie paisible « hors de la ville » tout en permettant une accessibilité privilégiée et directe à Toulouse. Les usagers peuvent alors profiter, de part leur situation géographique intermédiaire, des avantages de la « ville » et de ceux de la « campagne » si-multanément. Dans ces conditions, lorsqu’il est question d’habiter soit en ville, soit à la cam-pagne, le choix est parfois difficile… Alors l’entre-deux prime souvent, imposant le choix du périurbain tel Saint-Orens comme lieu de résidence, résultat d’un jeu de pour et de contre :

« La campagne c’est bien, mais j’ai d’autres contraintes, c’est par rapport à la scolarité : la campagne, c’est obligation de deux voitures, c’est obligation de… Donc heu c’est le côté liberté et puis y a des contraintes derrière. Donc la ville a ses commodités aussi… ».

Et pour Mathieu et Marie-Ange, 27 et 80 ans : « -L’avantage ici, c’est qu’on est proche du centre-ville. - Oui voilà, et en même temps, on est à côté de la campagne ».

Ainsi, si le rapprochement du lieu de travail explique amplement l’emménagement dans l’aire urbaine de Toulousaine, il n’explique cependant pas le choix exacte du périurbain Saint-orennais. Une question supplémentaire aux habitants permet souvent de mieux comprendre. Car c’est bel et bien cette « hybridité » géographique qui les a fait pencher, dans la majorité

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des cas, pour cet endroit. Entre « ville » et « campagne », le périurbain semble avoir tout pour séduire. Accession à la propriété

A Toulouse, les terrains sont chers en comparaison de Saint-Orens. L’ensemble des personnes interrogées habitant aujourd’hui dans des pavillons ou autres masions indivi-duelles avec jardins, ont exprimé leur souhait passé de devenir propriétaire. La recherche d’espace et d’indépendance est notamment citée, de même que celle d’une plus grande liber-té ; la liberté de posséder un chien ou d’avoir un jardin à soi, par exemple. Autant de souhaits qui demeuraient jusque-là irréalisables dans le cadre trop contraint et onéreux de la ville. En témoigne alors les nombreuses pubs pour des programmes de promoteurs qui pullulent par-tout dans Saint-Orens aujourd’hui, affichant des slogans tels que : « Passez du rêve à la réali-té : devenez propriétaire ! ». Plus on se rapproche de la campagne et plus on s’éloigne de la ville, plus on dispose de l’espace nécessaire pour réaliser ce que l’on avait jusque là toujours espéré… Même pour les personnes habitant dans un appartement, et dans une moindre me-sure que dans le cas d’une maison, la question de la surface habitable est un argument récur-rent :

« Avant, on était à Lardennes. Et c’était un petit bâtiment. Mais ici c’est grand… T4, on a un T4 et là-bas on avait… T2. Du coup on a changé pour la taille. »

Les commodités et les transports de la ville d’une part, l’espace et l’indépendance de

la campagne d’autre part… Il n’y a jusque là, ni scoops ni grandes surprises. Les raisons énoncées ici confirment en effet celles évoquées à l’occasion de la première partie de ce mé-moire, des raisons bien connues : le rêve d’accéder à la propriété, la situation « entre ville et campagne » et donc par extension l’aspect multifonctionnel du périurbain sont toujours au-tant plébiscités que dans les années 60 et Saint-Orens ne déroge pas à la règle, bien au con-traire. Fuite de la ville ou envie de campagne ?

Si les aspects fonctionnels et logistiques, de part la spontanéité avec laquelle ils sont énoncés, semblent à première vue présider quand au choix de ce nouveau lieu de résidence par les personnes interrogées, nous ne souhaitons pas pour autant en rester là. En effet, ces aspects étant à la fois quantifiables (les trajets et les activités quotidiennes) et palpables (la question de l’espace), leur prédominance apparente découle peut-être davantage d’une grande facilité à les exprimer de la part des usagers que d’une réelle prédominance, celle-ci pouvant alors se révéler trompeuse. A l’inverse, ce qui nous intéresse ici, c’est bel et bien l’impact que peuvent avoir les représen-tations spatiales sur le choix de ce nouveau lieu de résidence. Et il n’est pas étonnant que ces raisons soient dans un premier temps passées sous silence par les personnes interrogées : tout ce qui est affaire de ressenti et de perception est toujours plus difficilement formulable puisqu’il demande un regard introspectif auquel nous ne consacrons généralement que peut de temps. Le travail, à partir de ce point, consistait donc à faire émerger par le biais d’autres questions, les représentations enfouies et exprimées avec difficulté de la part des usagers. Les questions posées variaient dans leur forme et dans leur ordre en fonctions de la personne interrogée et du déroulement parfois imprévu de l’entretien.

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Sur l’ensemble des personnes interrogées, aucune ne travaille (pour les actifs) ou n’a

travaillé (pour les retraités) à Saint-Orens. Et bien qu’ils y habitent, plusieurs ont énoncé le rapprochement au lieu de travail comme étant la principale raison quand au choix de ce nou-veau lieu de résidence :

« - Vous êtes venu pour quelle raison principalement ? - Pour le travail, vu que je travaille à Toulouse ».

Le rapprochement du lieu de travail est donc une explication valable sur une large

échelle, mais le choix de l’endroit exact, à savoir Saint-Orens et ses environs, relève forcé-ment d’autres raisons : pourquoi alors ne pas avoir habité directement à Toulouse ou sur le lieu précis de leur travail ? Les réponses à cette question se font timides le plus souvent :

« Parce que bon… non, habiter en ville, ça ne nous intéressait pas ». (Marie-Christine, centre de Saint-Orens) « Ah oui, on cherchait à Saint-Orens, Escalquens… dans ces environs là. Parce que… [Hé-sitation] j’aimais bien ! » (Sylvie, Lauzerville) « On cherchait dans la région d’Auzielle et de Saint-Orens. Parce que c’est sympa ici. […] et la ville ? Je peux plus y vivre ! » (Philippe, Lauzerville)

Voici autant de réponses vagues qui laissent à la fois présager d’un intérêt pour le lieu et son cadre (c’est le cas de Sylvie), d’un évitement de la « ville » (Marie-Christine), voir, des deux simultanément (Philippe), mais toujours en ne donnant guère d’indices supplémentaires.

Un autre cas de figure se présente cependant. Plusieurs personnes m’ont confiées avoir travaillé et habité à Toulouse pour ensuite déménager à Saint-Orens tout en conser-vant leur emploi au « centre-ville ». Il ne s’agit alors plus d’un « rapprochement » mais d’un éloignement par rapport au lieu de travail cette fois-ci. Lorsqu’est demandée la raison de ce brusque déplacement, les réponses se font souvent cinglantes :

« Toulouse ! C’est pas une vie » (Michel, 72 ans, Saint-Orens centre-ville) « La ville ? Aucuns regrets hein ! J’ai toujours travaillé dans Toulouse, et quand j’y vais maintenant, j’ai peur ! […] Ca ne m’intéresse pas d’aller en ville. » (Gilbert, 75 ans, centre ville de Saint-Orens) « Ma maman, elle n’aimait pas Toulouse. Elle disait que c’était trop la ville » (Kévin, 10 ans)

Ces réponses très spontanées confirment bien pour leur part un refus net de remettre les pieds en ville.

Nous observons donc deux tendances migratoires opposées sur le lieu étudié, les uns venants de l’extérieur de l’aire urbaine et les autres de son cœur. Et, bien que le rejet de la ville et l’envie de campagne se laissent approcher dans les différents témoignages retrans-crits plus haut, un regard transversal aux différents entretiens réalisés montre que le désa-mour pour la ville prend bien souvent le pas sur une éventuelle poursuite du bonheur agreste. La totalité des usagers interrogés ont en effet déjà habité en « ville » ; ils connais-sent donc l’expérience et, pour la majorité d’entre eux, celle-ci n’a pas été dans le sens de leurs espérances. Ainsi, le « cauchemar urbain » est évoqué plus volontiers que les qualités de la zone étudiée et est cité bien souvent avant celles-ci. Plus encore, lorsqu’il est question de la ville, c’est avec davantage de conviction que cela est fait, et parfois sur un ton passion-né, comme c’est le cas de Mathieu qui me raconte alors ses mésaventures en ville :

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« J’ai vécu pendant un an dans un appart, je me sentais pas bien, étouffant, tu vois. Les cloi-sons, c’est du papier, donc on entend le voisin d’à côté. Et justement, tu les entends, sans les connaître… ».

Comme nous le verrons dans la suite de ce texte, tout cela ne saurait arguer d’une quel-conque manière dans le sens d’une possible mort de la campagne dans les représentations paysagères des usagers. Il révèlera surtout (une fois n’est pas coutume) une plus grande faci-lité de la part des usagers à opposer le lieu dans lequel ils vivent à la « ville », plutôt qu’à le rapprocher de ce qu’ils appellent communément « la campagne ».

Alors, fuite de la ville ou envie de campagne ? Ce qui apparait ici de manière évi-dente, c’est que Saint-Orens a été choisie par ses habitants principalement parce qu’étant avant tout perçue comme une entité autre que « la ville », gageant alors de ses qualités par déduction des inconvénients urbains. 2.2.3. L’image de la ville Une image consensuelle et dégradée

La « ville », pour la grande majorité des habitants de Saint-Orens, c’est Toulouse. Pour d’autres, puisque venant de ces villes, le mot fait davantage référence à Paris ou encore à Montpellier1. Comme nous l’avons vu, la « ville » à cet endroit est autant appréciée pour son côté utilitaire que boudée pour ce qu’elle représente, car lorsqu’il est demandé aux usa-gers de décrire la ville, les qualificatifs ne sont pas forts élogieux.. Voyons plutôt un échantil-lon de réponses :

« Heu ben… le bruit, la circulation… et tout ça on le fuyais un peu » (Marie-Christine) « Le bruit, la pollution… » (Sylvie) « Les villes, c’est trop polluant, heu… atmosphérique et sonorité » (Phù) « ‘‘Voiture’’… ‘‘Bruit’’. » (Lili) « Heu… ‘‘Toxique’’, ‘‘contaminé’’, heu… Ya des immeubles aussi ! ‘‘Pollué’’. » (Louis et Kévin) « ‘’Ville’’ ça me fait penser à Toulouse ! […] L’ambiance, y a des places à boire, y a des restaus, y a beaucoup de monde et y a trop de voitures, et oui… oui. » (Georges)

Sont régulièrement évoqués dans un premier temps certains objets, considérés

comme représentatifs de l’espace urbain : d’abord les « voitures » qui sont citées comme étant « trop nombreuses », « les bâtiments » ensuite avec en tête « les immeubles » et leurs « appartements », puis viennent les « les routes » et enfin « le béton » en temps que matériau de base. A quasiment chaque entretiens, il est également fait référence au caractère cinétique de la ville qui est souvent mal vécu car perçu comme trop agressif et mené à l’excès : il est cou-ramment fait allusion à « la circulation » qui est trop présente, au trop-plein de « monde » ainsi qu’à leur conséquence directe, l’omniprésence du « bruit ». Kévin et Louis iront même jusqu’à qualifier l’espace urbain de « pollué », « contaminé » et de « toxique » ; des mots aussi forts que révélateurs puisqu’ils font une fois de plus référence aux conséquences né-fastes du flux trop important de véhicules motorisés. Tellement néfastes que Phù s’amuse à

1 Philippe et Sylvie respectivement

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Vue de Lauzerville

Une tour, au point culminant de Saint-Orens

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comparer la ville à un « miroir aux alouettes » géant dans lequel « les gens viennent se sui-cider ». Alain, pour sa part et avec plus de mesure, y voit seulement un gage de « con-traintes ». D’autres remarques plus isolées ont aussi mis l’accent sur le manque d’espace (un « petit balcon » au lieu d’un jardin) ainsi que le caractère « anti-naturelle » de la ville (celle-ci relève en effet d’une très faible diversité animale : « Les seuls animaux que tu vois là-bas, c’est les pi-geons ! »). Gilbert, enfin, relève pour sa part, le nombre important de « clodos couchés par terre »…

Bref, sans grande surprise une fois de plus, les résultats sont bien ceux escomptés. Les habitants de Saint-Orens ne portent pas la « ville » dans leur cœur. Ceci expliquant cela, ils ne l’ont donc pas quittée (pour certains) ni évitée (pour d’autres) sans aucunes explica-tions. Car celles recueillies durant les entretiens ont en tout cas le mérite d’être claires.

Seules deux personnes sur le panel interrogé trouvent en revanche des mots plus

doux pour la ville. Il s’agit des deux personnes habitant en logement collectif : hasard ou coïncidence ? Nous ne répondrons pas à cela, pensant que le chiffre de deux est bien trop réduit pour pouvoir tirer de cela une quelconque conclusion ; elle restera donc posée. Georges évoque en priorité les « places à boire », les « restaus » mis aussi « le monde » d’une manière positive ce coup-ci ; finalement, seul le nombre trop important de voitures le gène vraiment. Pour lui, la ville est avant tout un espace vivant, propice à la fête et à l’amusement. Pour Nadia, c’est la même chose, mais en mettant davantage l’accent sur l’âge des personnes qui y vivent, ce qui en fait donc un lieu de rencontre privilégié avec des gens de son âge (il faut également y voir un pied de nez avec Saint-Orens où elle habite depuis peu et où la moyenne d’âge de la population est relativement élevée). Pour ces deux personnes, la ville relève donc des mêmes caractéristiques formelles et cinétiques que celle évoquées par la grande majorité des personnes interrogées. La différence réside cependant en ceci qu’ils s’appesantissent moins sur les conséquences négatives que ces caractéristiques peuvent avoir sur l’espace urbain pour au contraire leur en trouver d’autres, plus positives. Dans ce cas, la présence trop importante des flux, se traduisant par le bruit, la pollution et le stress, devient alors le vecteur de dynamisme et d’activité. Ceci est donc laissé au goût de chacun et montre la polyvalence des critères personnels. Quoi qu’il en soit, cette vision plus « idyllique » de la ville, qui méritait d’être évoquée en contre-point puisque existante, reste largement minori-taire au regard du panel entretenu.

Tout n’est donc ni tout blanc ni tout noir, et les avis peuvent diverger sur la ville. Mais quel que soit le point de vue sur cet espace, les représentations se recoupent et sont homogènes sur l’ensemble du panel d’étude. La ville semble être une entité bien définie et relativement claire dans l’esprit des personnes interrogées, sa représentation allant vers un espace très peu valorisé, et non convoité. Bien au contraire : son image pousse avec d’autant plus de force à le fuir. Fuite de la densité et des flux

Les témoignages sur la ville présentés plus haut se concentrent donc principalement sur deux de ses aspects : sa morphologie d’une part, et son mouvement d’autre part. Ainsi, la ville est imaginée sous l’empire de la densité, qu’elle soit humaine ou construite (pour Nadia, « les constructions sont plus serrées » en ville), et des flux. Deux ombres qui semblent planer sur elle…

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La densité est rejetée et s’illustre le plus souvent par la présence d’immeubles, des « clapiers à lapins » comme les nomme Mathieu. La référence aux barres modernes et à l’ « entassement » humain réalisé à la va vite est sans doute proche. Bien que le quartier du Mirail par exemple ait une densité effective moindre qu’un tissu pavillonnaire standard (nous ne reviendrons pas là-dessus2), c’est bien la densité perçue qui est en cause ici. Ainsi, ce qui semble fuit par les gens n’est pas tant la densité moyenne d’une zone bâtie prise dans sa tota-lité, mais davantage la densité qui existe au saint d’un même bâtiment, par empilement. Elle peut faire non seulement référence à une image de promiscuité mais aussi d’insécurité, en lien direct avec les quartiers de type « Mirail » qui n’ont que rarement connu leur heure de gloire. Il ne s’agit surement là que de poncifs, de résumés et de constatations sur base de médias généralistes, mais les faits sont là pour la majorité des personnes interrogées : quand on le peut, mieux vaut s’éloigner de la ville qui s’est trop vite emballée dans ses travers.

« J’ai vécu en appartement en ville : tu connais pas tes voisins, tu les croises dans l’ascenseur, un « Bonjour » et c’est tout. En ville, les gens ont l’habitude de prendre le métro, le bus, et y a personne qui se regarde, y a personne qui se parle. »

Un espace donc, où l’on vit très proche (trop proche) des gens mais sans les connaitre ; un espace d’individualité par excellence dans lequel les inconvénients des uns prennent souvent le dessus sur ce que nous apportent les autres. En ville, nous semblons plus seuls au milieu d’une foule que si nous étions abandonnés à nous-mêmes dans un endroit désert… C’est ce qui semble ressortir de certaines conversations menées sur le terrain.

L’autre point concerne les flux. La ville est, comme nous l’avons évoqué en première partie de ce mémoire, une entité faite essentiellement de flux en tous genres. Ces flux ont leurs conséquences, largement citées par les habitants de Saint-Orens et de Lauzerville dans des termes peu élogieux. Ils sont donc, de la même manière que la densité mal perçue, à la base de la fuite des villes : « Nos sociétés sont désormais traversées par des flux de nature diverses (flux de biens, d’information et de communication, flux financiers et flux migratoire). […] Un monde qui tourne à 100 à l’heure. Pas étonnant que les français aient envie d’un peu de calme et de tranquillité. » (Ghorra-Gobin, 2006 : 149)3

Plus encore, quand la densité humaine et bâtie augmente, la présence des flux est perçue d’autant plus violemment. Ces deux notions interagissent l’une avec l’autre. Nous avons eu l’occasion de le voir durant notre analyse de Saint-Orens que cette commune périurbaine est le lieu par excellence de la voiture, son paradis en quelque sorte : chaque foyer possède souvent deux voitures afin de permettre à la famille de se déplacer plus libre-ment. A Saint-Orens (et c’est la principale critique formulé par les urbanistes et politique concernant ces zones) il est quasi-impossible lorsqu’on est actif de se déplacer uniquement par voie de transport doux et collectif. De ce fait, l’impact de la voiture par personne est beaucoup plus important à Saint-Orens qu’à Toulouse, où les transports collectifs font (diffi-cilement) leur travail. En revanche, et vu la faible densité de Saint-Orens en comparaison à celle du centre-ville, la présence de la voiture est comme « diluée » dans l’espace, lui donnant alors un impact moindre, bien que davantage présente dans la réalité des faits. Cynthia Ghorra-Gobin, à l’occasion du colloque de Cerisy-la-Salle (L’habiter dans sa poétique première), défini alors le choix du périurbain comme lieu de résidence de cette manière : « L’habité exige désormais de s’inscrire dans un lieu résidentiel, soit un espace délimité et défini au-

2 On pourra pour plus de précisions, se référer à l’article de E. Charmes, A. Touati et X. Desjardins, « La densification en débat », études foncières n°145, mai-juin 2010 3 Coll., (2008), L’habiter dans sa poétique première. Actes du colloque de Cerisy-la-Salle, sous la dir. D’Augustin Berque, Ales-sia de Biase et Philippe Bonin, Editions « Donner lieu ».

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tant par sa connexion aux réseaux de flux que par sa capacité à s’en extraire. » En d’autres termes, un espace desservi par les flux, mais dont la faible densité permet de les vivre (et donc de les percevoir) de manière moins négative, dans une proportion considérée comme plus « accep-table » par les habitants. 2.2.4. L’image de la campagne La diversité des points de vue

Il y a tellement à dire sur le sujet que nous commencerons simplement par présenter quelques réponses formulées par les personnes rencontrées. Ces réponses sont issues d’une question simple formulée durant les entretiens: « Quand je vous dis « campagne », à quoi cela vous fait-il penser ? ». La plupart des gens répondent alors la plupart du temps, de la même manière que pour la ville, par de simples mots. De simples mots certes, mais particu-lièrement évocateurs une fois de plus :

« Les champs, les bois, les lacs… Enfin, la nature quoi. L’espace. » (Mathieu) « Le calme, le repos… oui, le calme principalement. » (Marie-Christine) « Ben je sais pas… ‘’Animaux’’ heu… ‘’Chevaux’’ heu… ‘’Pêche’’, ‘’champignons’’… Oui voilà… des activités, se promener, le grand air. » (Michel) « ‘‘Loisir’’ heu… ‘‘Liberté’’ heu haha ! » (Alain) « La « campagne » c’est les paysans, qui d’autre s’occupe de la campagne ? » (René)

Ce léger aperçu montre bien une chose : c’est la diversité des réponses. Contrairement au concept de « ville » qui met à peu près tout le monde d’accord, celui de « campagne » est, quand à lui, beaucoup plus variable d’une personne à l’autre, chacun le définissant au travers de sa sensibilité propre et de son expérience personnelle. Voici donc un petit tour des ré-ponses formulées par les personnes rencontrées. Un espace « naturel »

La campagne est tout d’abord décrite dans sa forme par les personnes interrogées. Cela se fait le plus souvent par une liste des éléments les plus emblématiques la composant. Par exemple, la majorité des répondants évoque la « végétation », la « nature », les « arbres », les « bois », les « champs » ou encore une « prairie » comme autant d’éléments constitutifs de ce qu’ils nomment communément la « campagne ». D’autre font plus simplement référence à la « verdure » et au « vert », donnant ainsi une couleur dominante à cet espace. D’autres encore citent la présence de « lacs », de « ruisseaux » ou encore de « canaux » afin de com-pléter le tableau avec la présence de l’eau. Finalement, pour la totalité du panel interrogé, pour que l’on puisse décemment parler de « campagne », le caractère « naturel » du lieu semble indispensable. Caractère qui se trouve d’ailleurs confirmé par la présence d’animaux. En tête de file, les « vaches » qui sont régulièrement citées et faisant par la même référence au monde agricole : « ‘‘Bestioles’’, ‘‘Bêtes’’. Tout ce qu’il y a plus maintenant. […] ‘‘Vaches’’. » (Lili). Mathieu quand à lui a pu faire allusion aux « oiseaux » qui viennent dans les arbres ou bien encore aux « in-sectes ». Un espace lointain

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Un autre aspect évoqué par Georges est la situation géographique de cet espace : « Les gens qui habitent dans la campagne, y habitent loin. ». Ainsi, la « campagne » correspond à un lieu lointain. On est alors en droit de se demander à partir de quel point est calculée cette distance. Il s’agit bien évidemment de la ville, qui fait alors à la fois office d’origine et de point de repère. Pour résumer, la "campagne" c’est ce qui est situé loin de la "ville", à une distance suffisamment importante tout du moins. Cette caractéristique géographique de la campagne est notamment reprise par les personnes interrogées lorsqu’il leur est demandé d’expliquer les raisons de leur incapacité à habiter dans la campagne : « Non, je ne me sentirais pas à l’aise dans la campagne. Parce que tout en étant à l’extérieur de la ville, j’aime bien quand même aller en ville et profiter de tout ça quoi. » Le souhait d’une proximité à « la ville » est donc un obstacle à l’emménagement dans la « campagne », ce qui confirme la définition donnée par Georges. Un lieu de loisir et de repos

Le « calme », la « tranquillité », « pas de voitures » : voici encore quelques-unes des composantes de la campagne largement partagées par le panel d'étude, mais qui mettent cette fois-ci l’accent sur l’ambiance du lieu. Cette ambiance est majoritairement décrite pas une absence de bruit, notamment l’absence de celui des voitures. Le fait qu’il n’y ait « pas de monde » y est aussi pour beaucoup tout en expliquant la sensation d’ « espace » que certains imaginent. Finalement, la campagne, c’est l’endroit où l’on s’extirpe totalement des flux et de ce par quoi ils se traduisent généralement : bruit, vitesse, monde, etc… C’est pour cette rai-son notamment, qu’il est aussi décrit par certaines personnes comme un espace de « liberté » et de moindres contraintes ou encore comme un lieu propice au « repos ». Gilbert quand à lui, donne comme condition nécessaire pour qu’il soit question de « cam-pagne », la possibilité de s’y promener sans entrave, d’y cueillir des champignons ou encore d’aller y pêcher. Il en fait alors un lieu de loisir par excellence pour sa retraite. René partage cet avis : « La campagne, c’est boisé, y a de tout… par exemple des noyers sauvages. Alors on ramasse des noix ou tout plein de choses comme ça. ». Plusieurs personnes nous ont alors confié aller de temps en temps se promener dans la Mon-tagne noire. Et ceci n’est pas anodin puisque ce lieu concentre d’une bien belle manière la totalité des caractéristiques évoquées durant ces trois derniers paragraphes : en temps qu’endroit « naturel », reculé, à l’écart des flux et du monde, tout en étant propice à la bal-lade, la Montagne noire constitue une illustration pertinente de ce que peut représenter la "campagne" pour la grande majorité des personnes entretenues jusqu’ici. Le lieu de la production agricole Alors que nous nous attendions à trouver cette caractéristique parmi les plus souvent citées, nous avons été surpris de voir que dans la réalité des faits il n’en est rien. Il s’agit la plupart du temps des personnes les plus âgées qui font état de la composante agricole de la cam-pagne. La plupart du temps se sont ces personnes qui ont eu un lien à un moment donné de leur vie avec le monde agricole et qui ont eu le temps de le voir se transformer au cours des dernières décennies. C’est pour cette raison, que lorsqu’à lieu le rapprochement entre cam-pagne et monde agricole, cela se fait rarement sans nostalgie de la part du locuteur. Ainsi, Gilbert et René imaginent automatiquement « les paysans » (et non les agriculteurs) pendant que Lili évoque les laiteries qui n’existent plus : « Vous ne voyez plus de gens qui font des laiteries […] Dans la campagne, dans le temps on faisait des vaches. » Bien que la campagne fasse tou-

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jours référence pour eux à ces images de l’ancien temps auxquelles ils se sont attachés et habitués étant plus jeunes, ils ont aujourd’hui conscience que la campagne n’est plus la même et ne réponds surement plus à leur définition : « La campagne ? Heu, vous savez, c’est très diffi-cile pour moi. Si je vous explique, vous savez que je suis un vieux couillon moi [en riant], on est pas de la même époque ! » Pourtant, ils ne sont pas les seuls à faire échos du travail de la terre lorsqu’il est question de "campagne". Ainsi, jeunes et moins jeunes en parlent. Pour Kévin, cela est clair : « Ben… les champs, les tracteurs, fermiers… fermes. ». Quand à Laetitia, 8 ans, c’est un de ces livres sur la ferme qui la fait vivement réagir à la question posée : « Les vaches, les fermes… les ca-nards !» L’image de la campagne d’antan semble donc être encore transmise aux nouvelles générations. Un endroit empreint de localité Pour finir, quelques entretiens seulement font écho d’une autre caractéristique du concept de « campagne » :

« Le côté « tout le monde se connait ». L’entraide aussi […] Y a tout un côté culturel aussi dans la campagne, des petits marchés de village où tu trouve des légumes du coin. C’est tou-jours mieux que des fruits surgelés à Leclerc. » (Mathieu)

De la même manière, René explique : « Je vais chaque année à la campagne, dans un petit ha-meau dans le Lot-et-Garonne, l’endroit d’où sont originaires mes parents. […] Je vais y passer 3 semaines. […] A cet endroit là, je vis vraiment à la campagne. Parce que je me souviens quand j’étais un peu plus jeune que vous, j’allais chercher le lait, les œufs à la ferme. » Et plus loin : « C’est un village de 300 habitants là : c’est vraiment la campagne ! » Sans rentrer davantage dans les détails ici, la campagne est donc illustrée par certains au travers d’un noyau villageois de petite taille dans lequel l’échange est de mise et les denrées telles que les légumes, le laits ou les œufs viennent du coin. En sommes, la campagne c’est aussi l’image du petit bourg faisant l’apologie de la localité transmettrice de valeurs saines et authentiques autant que de rapports humains vrais. Cette image se base surement davantage sur une vision idéalisée de la campagne d’autrefois que de ce qu’elle était réellement. Ce point confirme donc une tendance que nous avons fait déjà émerger de l’analyse menée sur la par-celle de sauvegarde des messicoles de Saint-Orens ; c’est pourquoi nous reviendrons sur ce point plus en détails dans la suite de ce texte.

*** La campagne est donc faite de représentations multiples qui à la fois se superposent et se complètent. Ainsi, l’éloignement par rapport à la ville nourrit (et confirme) l’imaginaire d’une endroit empreint de « localité » et donc faiblement peuplé. Cette absence de monde explique quand à elle le côté reposant et "calme" du lieu. A l’inverse, ce "calme", principalement expli-cité de la part des habitants par l’absence de véhicules motorisés, confirme alors l’idée d’un espace situé à bonne distance de la ville (les voitures sont considérées comme l’élément em-blématique de la ville, voir p. ???). La boucle est donc

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Figure – Vue de l’Hers-mort bouclée… mais il ne s’agit que d’une parmi d’autres. Et finalement, tout ce système se tient assez bien et confirme une chose laissée au stade de sous-entendu plus haut dans ce texte4 : la campagne est avant tout définie par opposition à la ville. La "campagne", par opposition à la "ville" Les entretiens menés précédemment ont permis de montrer que la campagne est définit à la fois formellement (elle est à dominante « naturelle », « verte », etc.), géographiquement (elle est située à distance de la ville), culturellement (elle relève d’authenticités locales, villa-geoises, paysannes, etc.) et fonctionnellement (espace dédié à la production agricole ou bien de repos). Toutes ces définitions dans leur thèmes respectifs et au regard de la définition de la ville que les personnes interrogées formulent en parallèle (se référer au paragraphe 2.4, « L’image de la ville »), montrent bien que la campagne se définit moins par des caractéris-tiques qui lui seraient propres que par la négation de celles de l’espace urbain. La campagne est « verte » et « naturelle » parce que la ville est bétonnée, grise et polluée. Elle est le lieu de la production agricole parce que la ville se consacre davantage au tertiaire. Elle est un espace de « repos » parce que la ville est bruyante et stressante ; espace de loisir parce que la ville est laborieuse ; lieu dans lequel les rapports humains sont entiers parce que personne ne se regarde ni ne se parle dans l’espace urbain… La liste est sans doute encore longue mais une chose est sûre : la « ville » et la « campagne », dans ce que ces deux entités représentent dans l’imaginaire des personnes rencontrées à Saint-Orens et dans ses environs, semblent en tout point opposées et ne jamais se rejoindre. La séparation ville/campagne semble aussi présente dans notre esprit qu’au premier jour.

4 Voir la conclusion du paragraphe 2.3

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Mais si dans les représentations spatiales, la campagne s’oppose à la ville, il semble alors évident que la ville s’oppose dans les mêmes proportions à la campagne : si la règle s’applique un sens, pourquoi ne s’appliquerait-elle pas dans l’autre ? Les images de ces deux entités spatiales semblent se nourrir l’une et l’autre, mais toujours au travers d’un raisonnement dichotomique : la campagne apparait comme le négatif de la ville et la ville, comme celui de la campagne. Les deux entités évoluent donc dans une interdépendance systémique sans qu’aucune des deux ne soit réellement à l’origine de l’autre, un peu à la manière de l’œuf et de la poule (voir l’illustration n° ???). Il semble même que lorsque l’une se conforte dans ses caractéristiques propres, l’autre se précisera en conséquence dans les siennes, mais toujours dans le sens opposé à la première…5

Laquelle est à l’origine de l’autre? La représentation de la ville ou la représentation de la campagne? (Note: Toute référence éventuelle au monde agricole ne serait ici que fortuite). /Montage : E.P. L’espace rural, c’est la campagne Nous avons montré que dans l’imaginaire des personnes interrogées, tout ce qui n’est pas la ville se rapproche de la campagne, et inversement. La campagne qui autrefois se définissait essentiellement au travers du monde agricole, s’est aujourd’hui enrichie d’autres connota-tions que nous avons pris le temps d’énumérer. Spatialement, elle ne fait donc plus seulement référence aux territoires cultivés, ni plus que dans sa forme d’ailleurs. Fonctionnellement, elle ne connote plus uniquement le travail de la terre et la production alimentaire. Bien au contraire, la campagne pour la grande majorité des gens, c’est tout ce qui n’est pas la ville, tout ce qui ne représente pas la ville, tout ce qui n’est pas l’espace urbain. La campagne de-vient alors dans l’imaginaire social, le synonyme d’"espace rural". Le rural, d’après la définition de l’INSEE, désigne « l’ensemble des communes n’appartenant pas à l’espace à dominante urbaine ». Il est alors évalué à plus de 70% de la surface du terri-

5 Il s’agit bien évidemment ici d’un raisonnement théorique mené dans un cadre très absolu !

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toire français par déduction de la surface des villes.6 Il s’agit là d’une définition uniquement spatiale mais qui peut être élargit à d’autres domaines par déduction des caractéristiques correspondantes de la ville. On obtient alors la définition généralement partagée de ce qu’est la campagne. Cette tendance observée dans les entretiens trouve un écho auprès de Nicole Mathieu (1998) qui explique que « partout revient le terme de campagne, préféré dans le discours circulant à celui d’espace rural qui n’est plus utilisé que dans les textes scientifiques et par les ministères techniques. La ruralité française devient campagne au sens anglais (countryside). » Un phénomène qui selon elle, est d’autant plus marqué que la campagne est de moins en moins connotée à l’agricole. 2.2.5. Le monde agricole L’agricole en retrait Nous nous somme alors attaché à étudier plus précisément le lien qui pouvait exister entre les habitants et le monde agricole à Saint-Orens-de-Gameville ; des questions ont alors été posées dans ce sens. Parmi elles, celle-ci, très simple : « Connaissez-vous l’agriculteur qui s’occupe du champ d’à côté ? ». Ou bien, si aucun terrain agricole n’était présent dans les abords proches, comme c’est le cas au centre-ville de Saint-Orens par exemple, c’est une autre qui était posée, très proche de la première : « Connaissez-vous un agriculteur dans les environs ? ». Les résultats sont sans appel puisqu’aucune personne présente sur le lieu d’étude n’a été ca-pable de nous fournir le nom d’un seul agriculteur travaillant sur les parcelles visibles aux alentours de la commune. Lorsque les personnes interrogées sont issu de près ou de loin d’un milieu agricole, ils connaissent souvent quelques agriculteurs mais toujours à l’endroit d’où ils sont originaires :

« Non, je connaissais un gars, mais pas à Saint-Orens vraiment. Si vous voulez en rencon-trer, il faudrait que vous fassiez directement les marchés. A Ramonville le samedi, y a plein de producteurs. » (Lili) « Oui mais moi je viens de Bretagne, donc heu… les seuls agriculteurs que je connais, ils sont plus par là-bas, hé hé hé ! Nan ici, j’ai pas du tout de… je suis pas du tout dans le milieu agricole donc je connais pas d’agriculteurs. » (Alain)

Une des raisons tient bien évidemment au très faible nombre d’exploitants présents sur le site étudié : nous avons pu voir7 sur la base des statistiques INSEE réservé à la commune, seuls 10 exploitants étaient recensés en 2008. Un chiffre bas s’il en est, et qui depuis a sure-ment été amené à baisser encore.8 « Voyez-vous souvent la personne travailler dans le champs ? » est-il alors demandé aux personnes présentes sur les jardins partagés (ces der-niers sont situés en bordure d’un champ). Mais une fois encore la réponse se révèle être né-gative. On se demande alors bien ont pu passer les agriculteurs, car la surface agricole de la commune est loin de disparaitre. Bien au contraire, on est ici loin des théories alarmistes de désertification du rural car la surface agricole n’a fait que grimper depuis 15 ans (SAU)9. Des explications émergent alors :

6 Source : site internet de l’INSEE. http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/espace-rural.htm 7 Dans la deuxième partie de ce mémoire. Voir p. ??? 8 Nous avons tenté de joindre joindre un exploitant agricole par pure curiosité car celui-ci était référencé dans l’annuaire télé-phonique. Il nous a confié être aujourd’hui à la retraite. Il n’est sans doute pas le seul dans ce cas-là. 9 Voir la note 7

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« Pour les champs autour de Saint-Orens, ça appartient à la ville et ils le louent à des paysans qui viennent cultiver. Le gars qui produit dans le champ là (en montrant du doigt le champ mi-toyen aux jardins), il vient du Gers. Il a une propriété qui fait de l’ail et en même temps, il se loue avec ses tracteurs et ses machines et il vient travailler là. Par contre je ne sais pas à qui va la pro-duction après. » (Lili) « Y avait 3 tracteurs en tout dans tout le village et 5 agriculteurs. Parce que ils avaient tous les propriétés des terrains, ils sont tous milliardaires maintenant, oh bien sûr, ils ont tout vendu ! Les paysans au ras des villes sont tous milliardaires maintenant ! Voilà, donc maintenant, y a plus de campagne. Et j’appelle pas ça la campagne maintenant. Au fond là-bas je les entends travailler le soir en été, parce que je suis à la terrasse tout le temps. Je les entends, y travaillent 15 jours par an hein, avec leurs gros tracteurs et puis on les voit plus. » (Gilbert)

Les transformations récentes du monde agricole que nous avons évoquée durant la première partie de ce mémoire et que nous avons ensuite confirmé sur le terrain lors de l’analyse pay-sagère de Saint-Orens (bien que dans une mesure moindre), s’illustrent une nouvelle fois ici. Mais c’est par une absence qu’elles se font sentir cette fois-ci, par une non-présence, celle des agriculteurs. Cette absence de personnes travaillant la terre nous la sentons également lorsque Philippe, du haut de son lotissement lauzervillois, nous parle de l’endroit dans lequel il vit :

« C’est pas la "vraie" campagne. Je ne sais pas comment vous expliquer ça ! En gros, c’est la campagne sans être la campagne : on vit pas avec le vaches et y a pas de fermes… toutes ces choses là quoi ! » .

Pour lui, la « vraie campagne » est celle où existe une certaine vie dans les champs, celle du travail et du labour, du mouvement de bêtes dans les pâturages… la « fausse » est donc l’autre, celle qu’il a sous les yeux et dans laquelle peu de choses bougent finalement, une campagne qui demeure muette et immobile. Cela est-il dommage ? « Ah non non, je n’ai pas dis ça ! Moi j’aime tout. Moi, j’aime la vue », répond-il alors en se tournant vers le paysage qu’il contemple souvent depuis chez lui. Philippe a pris conscience que la campagne n’est plus la même qu’avant et, bien qu’il n’ait jamais vécu dans l’ancienne (celle qu’il qualifie de « vraie »), il se la figure au travers des images généralement transmises autour de nous de ce que peut être le monde agricole (en témoignera Laetitia et son livre sur la ferme). Donc, pour lui, pas de nostalgie, il apprécie l’ancienne comme la nouvelle, du moment que la vue s’offre à lui, large et dégagée. Pour Sylvie qui habite à quelques pas de là, la fascination pour la vue semble plus en retrait bien qu’elle l’apprécie tout de même. En revanche, pour elle, le monde agricole relève d’une véritable incompréhension :

« Ah moi, c’est sûr que c’est pas du tout mon truc [en parlant de l’agriculture]. Après, si y pren-nent du plaisir la dedans, c’est leur choix… [en parlant des agriculteurs] Après je les plains, parce que ça doit pas être facile comme métier. Je préfère autant jardiner, faire mon petit jardin tranquillement. »

Superpositions des représentations de la campagne au travers de l’agricole Sur le lieu étudié, se côtoient deux manières de définir fonctionnellement la « campagne ». Ainsi, certains décrivent l’activité agricole comme étant l’activité campagnarde par excel-lence tandis que d’autres y voient davantage un lieu propice au repos et aux loisirs. Cette divergence dans la fonction maitresse de la campagne s’explique par les changements qu’a connu le monde agricole durant les dernières décennies et sur lesquels nous avons déjà énon-

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cés plusieurs fois au cours de ce mémoire (nous ne reviendrons donc pas dessus). Ainsi, alors que les premiers continuent à voir cet espace au travers de l’image qu’elle avait autrefois. Ces personnes ont souvent pris conscience que cette conception de la « campagne » devenait aujourd’hui obsolète au regard de la réalité du terrain. - Nouvelles fonctions : repos, etc… la campagne n’est plus un lieu de vie mais un lieu éloi-

gné, mort et calme. Alors qu’autrefois il semblait vivre : « citation de certain vieux ». Il y adonc superposition des représentations sur la campagne sur la base de celles du monde agricole. Mais cette superposition ne semble plus être que terminologique puisque même les anciens, ceux qui avaient un rapport avec l’agriculture etc , ont entériné le fait du changement.

- Une nouvelle fonction de l’agricole o Espace de loisir et de détente o Superposition de deux visions : activité agricole liée aux paysans (vie des

campagnes), CONTINUER ! Nostalgie du monde agricole ?

- La cause de la nostalgie : nous l’avons vu, l’espce agricole n’a que peu changé à Saint-Orens en comparaison d’autres endroits : augmentations de la surface des parcelles et présence très ponctuelle des agriculteurs. En revanche, le paysage agricole autour de Saint-Orens a vu se développer un léger bocage, alors qu’il n’existait déjà pas en 1946 (voir Chapitre 2). Finalement, la seule différence vraiment importante qui soit survenue depuis l’arrivée des « pionniers » du lieu (arrivée dans les années 60), c’est l’urbanisation massive et rapide de la surface communale.

- Diversité : nostalgie ou non (2 cas) > Philippe=satisfaction de la « fausse » cam-pagne aussi.

« Parce que bon, l’agriculture d’ici n’est pas tout à fait celle de la Bretagne… Bon, le fait qu’il n’y ait pas d’animaux, moi ça me gène pas, y a pas que l’agriculteur avec les animaux, y a l’agriculteur sans animaux hein, y a les céréaliers et tout ça hein, ils n’ont pas forcément… Dans la Beauce, ils n’ont pas d’animaux, et pourtant c’est de l’agriculture [Rire] » (Alain) Accoutumance paysagère ?… ou désintérêt pour la réalité du territoire ?

2.2.6. La campagne devient un paysage Phù qui regarde. Des habitants de Lauzerville qui n’ont aucun rapport à la terre et totale-ment déconnecté du territoire.

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La vue depuis Lauzerville 2.2.7. Stéréotypes du monde paysans d’antan Pour les plus jeunes, on n’a pas connu la campagne telle qu’elle était vraiment autrefois. Alors on se l’imagine plus qu’on ne sait ce à quoi elle ressemblait vraiment. Plus par un refus du présent (surement commun à toutes les époques) que par réelle nostalgie du monde pay-san d’autrefois, on se tourne alors vers le passé, le fameux « c’était mieux avant ». Cette demande en ancien revisité au goût d’aujourd’hui, est largement alimentée par les mé-dias généralistes : reportages où l’on va rencontrer les paysans et les savoirs-faires locaux en « voie de disparition », publicité tournée vers le «vrai goût authentique », etc. Le cerveau du consommateur d’images a donc tôt fait de faire la moyenne. On prend alors le meilleurs de ce qu’il pouvait y avoir autrefois et on enlève les dures traces de la réalité. Etc…

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2.2.8. Le point de vue su Saint-Orens

Partagés : Des avis positifs, des avis négatifs Les raisons des avis positifs Les raisons des avis négatifs : se « rapproche de la ville ».

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Les questions visant à connaitre l’appréciation des habitants concernant leur lieu de vie ont trouvé des réponses très diverses. Certains apprécient pleinement leur cadre de vie e tne souhaiteraient pour iren au monde en partir. C’est notamment le cas de Marie-Ange : « cita-tion… » Dans ce cas-ci, les qualités mises en avant sont principalement celles du « vivre ensemble » : « l’aspect tout le monde se connait »10. + AUTRES : « on papote », etc… Pour les retraités souvent laissés pour compte en ville, il s’agit là d’un gage sûr de qualité en effet. Mais d’autres sont davantage partagés. La raison principale qui émerge des transformations survenues récemment en comparaison de l’ancien village. C’est poruquoi ce point de vue est particulièrement énoncé par les personnes d’un certain âge, celles qui sont arrivée lorsque l’urbanisation de la commune n’était encore que peut développée. Un « village » qui devient « ville » La description de photographies par les habitants de Saint-Orens a montré quelque chose d’intéressant. La grande majorité a décrit la photo 2 comme étant la campagne. Il était alors demandé à la personne d’expliciter la raison pour laquelle elle voyait la campagne au travers de cette image. Plusieurs ont alors raisonné par soustraction des éléments emblématiques de la ville :

« Ben oui, du moment que c’est… y a pas de maisons, moi ça me plaît beaucoup. » « Parce que y a pas de routes, ya pas d’immeubles, y a pas de circulations, y a pas de voi-tures ».

La photo 1 quand à elle donnait lieu à des réponses plus partagées, les uns y voyant la ville tandis que les autres, dans une moindre mesure, y lisaient un espace hybride à la fois ville et campagne. Voici un aperçu de justifications :

« Le dortoir et heu… bah rien du tout quoi. Y a rien d’intéressant la dessus. » « Je préfère celle d’avant hein. C’est, voilà… La, ça me rappelle l’urbanisation et tout ça. Certes y a des champs, mais on sait que dans les années à venir ben ils vont être grignotés, donc heu on voit les maisons préconstruites déjà là, ha ha, dans 20 ans, c'est-à-dire que cette ville-là va se rapprocher quoi. Y a de fortes chances »

Gilbert, quand à lui qui a reconnu Saint-Orens au 2ème plan. Il explique alors la raison pour laquelle ce qu’il voit est un village et non une ville :

« C’est un village je suppose… parce que c’est très étendu, on fait pas de buildings. » Dans tous les cas, ce qu’on remarque ici, c’est que le vide est décrit au travers de l’absence de bâti. Plus encore, lorsque du bâti est présent, celui-ci est alors montré du doigt ou décrit par l’absence d’une trace bâtie faisant encore plus « ville » (par exemple les buildings dont parle Gilbert). Tous les indices sont là pour montrer un prédominance une fois de plus du bâti sur le non-bâti, du plein sur du vide dans les représentations spatiales, entérinant une logique ininter-rompue depuis que urbanisation des territoires existe. Mais ce qui est intéressant également, c’est qu’Alain se projette même dans le futur, imagi-nant « les maisons préconstruites » se multiplier au milieu des champs.

10 Mathieu, 27 ans, proche quartier des Chanterelles

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- CONCLUSION -

Bien sûr, il y a des contre-exemples à toutes les théories. C’est d’ailleurs cela qui les caractérise le plus souvent : leurs propres limites. Toute théorie absolue étant fausse (et ce n’est pas faute de l’avoir rappelé durant ce mémoire1), nous préférions faire ces quelques pré-cisions avant de commencer notre conclusion pour le moins « globalisante ». Mais l’exercice nous y contraint, et il est l’heure de regrouper toutes les informations recueillies au cours de cette recherche en une seule principale. Les rapports ville/campagne à l’heure du développement durable

Nous avions fait émerger, en fin de première partie, une contradiction qui ne laissait rien présager de bon quand au futur du périurbain. Un contradiction qui a été largement confirmée au cours de cette analyse de site avec, d’un côté les acteurs qui opèrent pour une ville plus dense (traversée par la « nature » certes, mais plus dense tout de même) et de l’autre, les habitants de ces lieux qui apprécient pour la plupart leur lieu de résidence, princi-palement pour son espace (cité presque à chaque entretien2).

Alors, on se demande bien comment satisfaire les deux parties en vu des projets vi-sant l’émergence d’une ville plus durable. D’autant que certains périurbain, tels que celui que nous avons étudié, ont toujours autant de succès. Cela montre bien que le problème est toujours autant d’actualité que par le passé.3 Cependant, ces aspirations spatiales divergentes des uns et des autres, semblent naitre de la même racine. En effet, la question environnementale a contribué à faire émerger l’image d’une nature fragile et en perdition sous la main de l’homme. Le « développement durable » qu’on nous à tous coin de rue, et d’une manière parfois quelque peu culpabilisante4, a fini par faire son chemin dans l’imaginaire social. Et alors que pour les acteurs ces questions envi-ronnementales se traduisent par une protection accrue de la nature (donc la construction de la « ville sur elle-même) et sa propagation en contexte urbain5, pour les citadins, c’est l’inverse qui se produit. En effet, cette thèse d’une nature détruite, fragilisée et souillée par l’homme tend à faire de la ville, au travers d’un raisonnement dichotomique courant entre la « ville » et la « campagne » (nous l’avons montrée au travers de nos entretiens), la cause de tous les problèmes. Une image qui est renforcée et confirmée par la crise de l’emploi toujours présente, la criminalité urbaine plus forte que jamais, etc.6, Tout concoure donc dans le sens d’une image « hostile » de la ville.

Et tandis que les acteurs travaillent de leur côté à l’amélioration du cadre de vie ur-bain, pour les habitants en revanche, la solution est sans appel : il était nécessaire de s’extirper à tout pris de ce lieu néfaste. Car s’il l’est pour la nature, il l’est pour l’Homme également. Plus encore, et avant que ce même Homme ne finisse par tout détruire sur son

1 Voir l’introduction de la Partie 2, « De l’intérêt de l’analyse locale », p. 2 Les critiques formulées contres Saint-Orens allaient également dans le même sens : elles évoquaient un changement, celui de la densification, donc du moindre espace. 3 Montré autant au travers de l’exemple de Toulouse qui attire pour son aspect de « grande ville à la campagne « que de celui de Saint-Orens qui toujours autant de succès qu’autrefois. 4 Oui, nous le crions haut et fort, Yann Arthus Bertrand (et son Home) peut se venter d’avoir donné au périurbain de beaux jours devant lui ! Mais peut-être que cela était voulu, en fin de compte. 5 Nous avons montré cette tendance dans la partie 2 de ce mémoire, au travers des projets urbains de l’agglomération toulou-saine mais aussi de Saint-Orens. 6 Il suffit de regarder juste un peu le journal télévisé pour se rendre compte de l’image retransmise par la ville.

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passage, il revient à chacun de profiter des derniers instants que cette nature en voie d’extinction a à lui offrir. Retour vers le passé idéalisé

La ville apparait donc dans tous ses travers les plus marqués, comme le reflet le plus néfaste de ce que sait faire l’Homme. Et ce lieu, toujours à la pointe du progrès, nous montre que la technologie ne fera pas notre bonheur. De manière assez simpliste et toute autant dichotomique (il faut dire que de tels raisonne-ments sont moins fatigants à élaborer), on dit alors halte au futur et embrasse le passé. Mais que cette entreprise est périlleuse ! Car savons-nous vraiment comment cela était avant ?

Nous avons pu voir au cours de l’analyse paysagère de Saint-Orens-de-Gameville, une certaine fascination pour le monde agricole d’antan : des associations replantent les arbres d’autrefois bien qu’il n’y en ait jamais eu à cet endroit (se dessine alors un paysage à la fois archétypée et producteur d’archétypes), les jardins partagés valorisent des valeurs pay-sannes et villageoises idéalisées (partage, vivre ensemble, harmonie avec la nature, etc.) et on se ressource à la base en contemplant le paysage campagnard bien préservé de Saint-Orens7. Et le monde agricole dans tout ça ?

Personne n’en parle vraiment en ces lieux. Seuls quelques « anciens » l’évoquent tou-jours, mais sur le ton de la nostalgie cette fois-ci. Une nostalgie par ailleurs teintée de rési-gnation, marquant de manière volontaire un certain dédain pour l’agriculture contemporaine. Ceux-là semblent avoir accepté ses changements et ne montrent plus aucun lien, pas plus que d’intérêt, pour le monde agricole d’aujourd’hui. Les plus jeunes, ou ceux n’ayant pas eu de lien avec la société paysanne d’autrefois, apparaissent eux aussi comme totalement déconnec-tés des réalités agricoles. En même temps, on comprend aisément pourquoi : les agriculteurs sont les grands absents du tableau campagnard, les champs ne demandant qu’une main d’œuvre très réduite.

Finalement, l’agricole semble être oublié en tant qu’activité pour devenir un paysage, qui lui est très visible et particulièrement bien sauvegardé à l’endroit de notre étude. Par ailleurs, la campagne se diversifie dans l’activité8, et connote d’autres choses, diverses et va-riées ; elle est avant tout marquée par la présence de « végétation » et son opposition à la ville, que ce soit fonctionnellement, géographiquement ou formellement. Elle apparait en conséquence comme l’endroit du repos, du calme et du loisir, une terre d’accueil, un refuge pour tous les malheureux de la ville. Finalement, la campagne à Saint-Orens, semble faire référence à l’espace rural dans son ensemble plus qu’au seul monde agricole qui lui, apparait en retrait. Plus encore, l’agriculture semble9 appréciée pour son paysage, elle apparait même comme indispensable à la « mise en ordre » du territoire et donc à son appréciation; c’est donc avant tout un outil de mise en forme que de production alimentaire. L’observation faite va donc dans le sens de nombreuses recherches posant les agriculteurs comme les nouveaux « jardiniers du paysages ».

7 Sans doute mieux « préservé » qu’il ne l’était autrefois (c’est un comble) si on réfléchit a travers des stéréotypes paysagers. Voir p. et p. (dernière partie des entretiens > la question du paysage) 8 Voir la comparaison de photographies (Partie 2.) de 1930 et 2012 9 Ce constat se basant sur un nombre d’entretien assez restreint, nous ne marquons pas ce soit comme une certitude. Cependant les réponses reçues vont dans le sens de la « désagricolisation » du paysage que nous pouvons lire dans certains articles scienti-fiques, notamment ceux de Yves Luginbühl.

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Un espace d’hybridité consumériste Lorsqu’on s’éloigne de la ville et qu’on va habiter à la campagne, on se rapproche de la « na-ture », sa composante première : on se rapproche alors de l’aventure autant on s’éloigne de la civilisation. Mais en est-on vraiment coupé ? Le périurbain est à la fois cause et conséquence de la mobilité ultra développée de notre société mondialisée. Le caractère d’hybridité est la caractéristique principale de ce lieu. C’est d’ailleurs une des qualités de Saint-Orens souvent évoquée par ses habitants. Le périurbain apparait comme le lieu où l’on peut être urbain et laisser divaguer ses aspirations agrestes stéréotypées. Car habiter dans le périurbain, n’est-ce pas, dans une certaine mesure, une façon de jouer au fermier et à la fermière ? Et même si on ne joue pas (on regarde, on ne touche pas10 !), on se rapprocher de toutes ces images qu’on a en tête. Celles-ci sont teintés verdure, de sillons riches et gras dans lesquels on vient à man-ger à même le champ, frottant les blés au creux de notre paume11 (le paysage est aussi tac-tile), le tout sous un soleil iridescent. La parcelle de sauvegarde des plantes messicoles mise en place à Saint-Orens tente, en un sens, de se rapprocher de ces images mais sans toutefois y parvenir tout à fait (peut-on y parvenir vraiment ?) Mais qu’importe finalement, que le pay-sage agricole d’aujourd’hui ne corresponde pas parfaitement (voir moins parfaitement) aux images que nous avons en tête, car il en a au moins une partie des attributs, il est fait des mêmes composants (il est toujours plus aisé de décrire un paysage par ces différents compo-sants que par leurs disposition les unes par rapport aux autres) mêmes si ceux-là ont un peu changés et ne sont plus tout à fait dans le bon ordre. Et en comparaison de la ville, il n’y a pas photo : on se rapproche bel et bien d’une pastorale, même si ce n’est pas tout à fait celle escomptée au début. On devient donc un peu fermier à son tour lorsqu’on s’éloigne de cette ville néfaste mais dont on continue pourtant à se nourrir à la source. On consomme donc ces paysages comme on consomme le reste. On se rapproche de la nature tout en restant dans le cadre rassurant et calfeutré de la ville, une nature pas trop sauvage comme on l‘aime.

10 Les personnes interrogées ont une interaction très faible avec la campagne 11 Une scène du film Gladiator met en valeur cette sensation de pureté originelle retrouvée, loin des hommes et de leur vio-lence. On touche le blé et le temps s’arrête.

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– ANNEXES –

Cette partie répertorie toutes les retranscriptions des entretiens (usagers et acteurs) réalisés pour le besoin de ce mémoire. Les parties non porteuses des entretiens ont été omises de cette retranscription. Nous remercions tous les personnes qui ont bien voulu prendre de leur temps pour répondre à nos questions parfois trop peu marrantes. Le prénom et l’âge des personnes rencontrées sont indiqués en en-tête de chaque entretien (ainsi que le lieu de rési-dence pour les entretiens réalisés auprès des résidents).

ANNEXE 1- Entretiens réalisés auprès des habitants (Saint-Orens et Lauzerville)

1- Alain, 42 ans (quartier Catala) 2- Louis et Kévin, 9 et10 ans (quartier Les Chanterelles) 3- Marie-Ange et Mathieu, 80 et 27 ans (quartier des Chanterelles) 4- Michel, 72 ans (centre de Saint-Orens) 5- Gilbert, 75 ans (centre de Saint-Orens, quartier Nord) 6- Marie-Christine, 42 ans (centre de Saint-Orens, quartier Nord) 7- Georges, 49 ans (résidence, proche Catala) 8- Nadia, 23 ans (Appartement, immeubles à l’extrême Ouest de Saint-Orens) 9- Philippe, 36 ans (Lauzerville, lotissement orienté Sud) 10- Sylvie, 50 ans (Lauzerville, lotissement orienté Sud)

ANNEXE 2- Entretiens auprès des promeneurs (Espace Naturel de la Marcaissonne)

11- Annie et Madeleine, 76 et 84 ans 12- Louis et Priscilla, 68 et 63 ans 13- Phù, 69 ans

ANNEXE 3- Entretiens réalisés auprès des jardiniers (Jardins partagés)

14- René, 76 ans (jardins de Savignac) 15- Lili, 63 ans (jardins de Savignac) 16- Catherine et Laurent, 35 et 40 ans - et Laëtitia, 7 ans (Jardins d’En Prunet)

ANNEXE 4- Entretiens menés au Centre Technique Municipal (acteurs des projets)

17- Michel Sarrailh adjoint au développement durable (CTM) 18- Thierry Albert et Jean-François Robic (CTM)

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ANNEXE 1 ENTRETIENS REALISES AUPRES DES HABITANTS

1- Alain, 42 ans (quartier Catala) Thierry répond sur un ton très calme tout au long de l’entretien.

- Vous habitez ici depuis combien de temps ? Heu… ça va faire 14 ans.

- D’où veniez-vous, avant ? De la région de Mazamet.

- Et pourquoi avez-vous déménagé ? Heu tout simplement pour le travail.

- Pour le travail, d’accord. Et vous travaillez-où ? Je travaille à Revel. C’est à 50km en… [Hésitation] en partant sur Castres

- Et pourquoi ne pas avoir choisit plus proche de Revel alors ? Ben tout simplement, ma femme elle travaille de l’autre côté de Toulouse. Donc heu ça permet de séparer… Et a l’époque on est venu sur la région toulousaine pour profiter du service urbain, trans-port urbain. Voilà et on économisait une voiture, c’est à die au lieu d’avoir deux voitures eh ben ça permettait d’avoir qu’une seule voiture et pour la gestion des enfants, c’est plus facile.

- Avez-vous la vue de l’autre côté de la maison. Ha non, [sur un ton rieur] on a la vue chez le voisin !

- Et est-ce que cela vous manque ? Hum… C’est pas que ça me manque parce qu’on est dans un lotissement quand même très calme et heu ça fait un petit peu bourg quoi… et heu et puis c’est juste à côté donc ça va, on a la campagne juste derrière là-bas [en faisant un geste dépassant la rangée de maison située derrière la sienne].

- Est-ce que vous allez souvent vous promener dans la campagne ? Heu pas ici. Parce que j’ai mon beau-père qui est sur Mazamet donc on va plutôt sur Mazamet dans la montagne noire. [Sourire]

- Au niveau de l’ambiance dans le quartier comme ça se passe ? Ben nous oui on s’entend bien là [en montrant le petit espace vert avec quelques arbres au milieu des maisons], autour du rond-point. On s’entend bien avec 5/6 familles là hum… donc nous ça nous va très bien. [Rire]

- J’ai vu que ce quartier est fait d’habitat groupé, enfin, ils appelent ça comme ça. Ca a été construit heu…

Initialement par les services HLM. - Et avec les habitants ?

Oui oui, il y a eu de la location-vente à une époque mais bon [sur un ton rieur] c’était pas la mienne. La voisin lui, à fait parti des premières années heu… à maison de construction, lui il a fait de la loca-tion-vente et il est propriétaire grâces aux années de location.

- Et combien êtes-vous dans la maison ? On est 4.

- Si je vous dis « campagne », ça vous fait penser à quoi ? « Loisir » heu… « Liberté » heu haha [Rire]

- Et « ville » ? C’est heu… Bah… plus de contraintes pour moi. Ouais, moi je viens d’un milieu agricole déjà donc heu pour moi je préfère… C’est vrai. Mais après y a des avantages à la ville, c’est les commodités par rapport à l’école, les supermarchés, les transports urbains et tout ça. La campagne c’est bien, mais j’ai d’autres con-traintes, c’est par rapport à la scolarité, c’est obligation de deux voitures, c’est obligation de… Donc heu c’est le côté liberté et puis y a des contraintes derrière. Donc la ville a ses commodités mais heu… héhé [Rire]

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- Pourquoi la « liberté » ? Bah heu c’est l’espace, pas de voisinage. ‘fin ou des voisinages plus espacés heu… possibilité d’avoir des animaux, plus de terrain heu voilà, donc pour moi c’est…

- Vous dites qu’il y a moins de voisinage, mais vous êtes quand même avec vos voisins… Oui, y une très bonne ambiance heu… Maintenant c’est sûr qu’on me proposerait à 5 km une maison en pleine campagne, j’y réfléchirais ! [Rire]

- Ah ? Vous préfèreriez ? Heu… j’y réfléchirais parce que y a les commodités qu’on a ici heu… Dans le lotissement on a l’avantage aussi d’avoir le Leclerc à côté, on a les… les bus qui passent heu à côté du lotissement, on l’école dans le lotissement, on a le boulanger dans le lotissement… Donc heu y a quand même des commodités que heu j’aurais pas en campagne, même à 5km.

- Et l’avantage donc d’aller plus loin, ça serait ? D’aller plus loi ? Ben c’est de trouver une sorte d’indépendance, d’avoir un peu de terrain, d’avoir des animaux… Ce qu’on peut difficilement avoir ici. On peut en avoir hein ! On peut avoir un chien et tout ça hein, mais il a peu de terrain, il a pas trop… et puis bon, de suite, on dépend des voisins si le chien aboie, le bruit ça gène les voisins et tout ça donc heu… On a pas la même heu… Bon l’un a ses avan-tages et ses inconvénients et l’autre aussi.

- Et pour vous Saint-Orens, c’est plus une ville ou plus la campagne ? Ah… alors… On a une petite variante parce que… le quartier Catala, en fait on est plus un bourg. Catala est une entité presque en elle-même heu… Saint-Orens est complètement extérieur puis tous ces magasins sont ici, donc en fait on a pas l’impression d’appartenir à Saint-Orens. On fait plutôt partie de la périphérie de Toulouse, mais… ce serait peut-être un petit bourg en lui-même quoi, héhé [Rires]… Et c’est vrai que, on a pas beaucoup heu… l’occasion d’aller au centre-ville de Saint-Orens, hormis la Mairie et heu… si on enlève ça et ben, on fait plus partie de Saint-Orens quoi… On est une entité, Catala, qui est propre à elle-même. Hein, nous on se suffit à nous-mêmes avec le Leclerc, le Castorama qui est juste à côté et heu… c’est vrai que Saint-Orens pour nous, on… on y va jamais quoi. On y va jamais, on a tout là, donc… c’est la commodité.

- Si je vous montre cette photo là… [Photo 2] C’est pas le champ de derrière là non !? [Rire]

- Oui, c’est pas loin, c’est des photos du coin en fait ! [Sur un ton rieur] Ha, ha d’accord ouais ouais. Donc pour moi, c’est un champ de tournesols hein, c’est la campagne. Voilà, c’est la liberté, c’est heu le grand espace… [Rire] Voilà !

- Et est-ce que vous aimeriez vivre à cet endroit ? Ah oui ! Ca oui, sans problèmes ! Je suis bien là hein, mais… moi, pour moi, sans problèmes ouais. C'est-à-dire qu’on prend la maison, on la met dos aux champs là-bas… C’est encore mieux, mais hé-hé [Rires] Voilà, ouais !

- Et ça alors, ça donne quoi ? Vous aimez plus, moins… [Photo 1] [très spontanément] Alors là j’aime moins. Vous voyez, cette vue de derrière là héhé, c’est … Je pré-fère celle d’avant hein. C’est, voilà… Là, ça me rappelle l’urbanisation et tout ça. Certes y a des champs, mais on sait que dans les années à venir ben ils vont être grignotés, donc heu on voit les mai-sons préconstruites heu là déjà, haha [Rires], dans 20 ans, c'est-à-dire que cette ville-là va se rappro-cher quoi. Y a de fortes chances.

- Et vous ne trouvez pas ça dommage ? Ah ben si, vous rigolez. Moi personnellement, je préfère le champ, à ça héhé [en montrant du doigt la ville au deuxième plan].

- Est-ce que vous connaissez des agriculteurs dans le coin ? [Spontanément] Nan. Nan j’ai aucun contact avec l’agriculture dans le coin.

- Ah d’accord, parce que vous disiez que vous étiez issu du monde agricole… Oui mais moi je viens de Bretagne, donc heu… les seuls agriculteurs que je connais, ils sont plus par là-bas, hé hé hé ! Nan ici, j’ai pas du tout de… je suis pas du tout dans le milieu agricole donc je con-nais pas d’agriculteurs.

- Oui, parce que j’en ai parlé déjà avec plusieurs personnes du coin, et certains regrettent qu’il n’y ait pas de fermes, pas d’animaux…

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Oui certes ! Mais c’est pas tellement… Parce que bon, l’agriculture d’ici n’est pas tout à fait celle de la Bretagne… Bon, le fait qu’il n’y ait pas d’animaux, moi ça me gène pas, y a pas que l’agriculteur avec les animaux, y a l’agriculteur sans animaux hein, y a les céréaliers et tout ça hein, il n’ont pas forcé-ment… Dans la Beauce, ils ont pas d’animaux, et pourtant c’est de l’agriculture [Rire] Bon donc, non après c’est juste l’espace, c’est l’impression de liberté, c’est heu… l’impression de non-pollution… quoi que là avec la chique à côté [sur le ton de la plaisanterie, en rigolant], on peu pas… Mais, mais c’est un autre paysage.

- Et si je vous montre ça ? [Photo 3] Bon une fois de plus, c’est pris à Saint-Orens, c’est pas bien loin ! [Rire] Bon non, mais… Là, y un parc ? [En montrant le début de bois à gauche de la photo]. Hum [Une hésitation], elle ne me dérange pas, c’est juste que pour moi ça, ça me rappelle le petit village quoi, ça ne me rappelle pas forcément la grande ville heu… y a des arbres, y a un tallus, je suppose que là y a un parc à côté (je sais pas où c’est ça)… Donc heu bon, voilà c’est pas une vue qui me dérange [Avec une expression partagée sur le visage]. On sens que ici y a de l’habitation hein, mais bon on sens que ici, y a aussi cette verdure, cette heu… C’est bien arboré aussi à droite et à gauche… Donc voilà, c’est pas que de la maison. C’est de la maison mais c’est du pavillon, donc moi c’est pas une vue qui me dérange.

- Dernière question, si je vous demande ce que c’est le « Paysage » pour vous, avec un grand P ? Ah, le « Paysage » [Rire] ! Eh ben, moi je retournerais sur le champ de tournesol là ha ha ha [Rire], voilà ! C’est ça. C’est pas que la vue. Pour moi quand on parle de paysage, c’est plus la campagne, la montagne heu… la mer à la limite, des grands espaces. Pourtant c’est un paysage ça [En rigolant et en montrant la rue ou nous nous trouvons], mais heu… moi quand même, je me réfèrerais de suite aux grand espaces. Bref, vous l’avez vu, je n’aime pas rester enfermé ! [Rires].

***

2- Louis et Kévin, 9 et 10 ans (quartier Les chanterelles)

- Où habitez-vous ? Kévin : A Saint-Orens, juste ici (En montrant du doigt autour d’eux - situation précise : à l’Est du quartier des Chanterelles, sud de Saint-Orens)

- Comment définiriez-vous Saint-Orens ? Louis : C’est joli, sympa… c’est génial. - Pourquoi « joli » et « génial » ? L : Parce que c’est paisible, y a pas beaucoup de bruit K : Oui, c’est calme, on peut faire de la trottinette tranquillement.

- Si je vous parle de « campagne », ça vous fait penser à quoi ? K : Ben... les champs, les tracteurs, fermiers… fermes.

- Et la « ville » ? L : Heu… « Toxique », « contaminé », heu… K : Y a des immeubles aussi ! « Pollué »…

- Vous êtes arrivé dans ce quartier il y a longtemps ? L : Ben là… en 2000 K : Y a 8 ans- Et vous savez pour quelles raisons vos parents sont venus habiter ici, à Saint-Orens ? K : Ben, parce que ma maman, elle n’aimait pas Toulouse. Elle disait que c’était trop la ville et on était dans un petit appartement aussi et… on est 4 enfants, donc y a plus de place. L : Moi, c’était pareil, enfin… On était ma mère, mon père et mon frère, ils étaient dans un studio et ils sont venus ici parce que c’était trop petit, y a un jardin. Y a tout.

- Donc vous êtes contents d’habiter ici ? K : Oui. L : Oui, mais moi j’étais un peu petit donc je m’en souviens pas trop d’avant...

***

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3- Marie-Ange et Mathieu, 80 et 27 ans – (Quartier des Chante-relles)

Mathieu est plutôt calme et assez bavard dans ses réponses tandis que Marie-Ange répond de manière plus courte et émotionnelle. On sent directement chez elle un véritable attachement au quartier. Au début de l’entretien, elle s’est d’abord montrée peu enthousiaste à l’idée de répondre à mes questions, mais l’arrivée de son petit-fils l’a ensuite rassurée.

- Si vous deviez qualifier Saint-Orens, comment le feriez-vous ? Marie-Ange : Saint-Orens, c’est super. Tout le monde est bien agréable. Je ne partirais pas d’ici.

- Si vous regardez la rue, que voyez-vous ? Est-ce que vous aimez 1 ? M-A : Eh ben la rue, je l’aime maintenant qu’il y a plus de travaux… Y a quelques temps, vous aviez les gros bulldozers là devant, ça faisait du bruit et tout…

Contexte : Arrivé de Mathieu, petit-fils de Marie-Ange, rendu curieux par ma présence. Il décide fina-lement de participer lui aussi à l’entretien.

Mathieu : Ici c’est cool, bonne ambiance. L’avantage ici, c’est qu’on est proche du centre-ville. M-A : Ah oui, c’est tout près, ça se touche avec Toulouse M : Oui voilà, et en même temps on est à côté de la campagne quoi, donc… Tout l monde se connait, les voisins, tout ça.

- Il y a vraiment une bonne ambiance dans le quartier ? M : Ouais, y a que des gens que je connais. Tout le monde se connait ; y a des barbecues… Tout ça, ça fait vivre le quartier. Par exemple, là, à côté, y a le quartier des Chanterelles, ils font le feu de la Saint-Jean… Dès qu’il y a une occasion de faire la fête… M-A : Catala2, c’est pareil. M : Catala c’est pareil. Les gens ils aiment bien être ensemble. M-A : Depuis 1971, on se connait tous ici

- Vous êtes arrivés en 1971 ? M-A : Oui, moi j’habite dans ce quartier. Tout le monde est à peu près arrivé à ce moment là.

- Donc tout le monde est arrivé en même temps, quand ça s’est construit… M : Ben, quasiment… M-A : Oui, quand le lotissement s’est fait, parce qu’ici c’est fait par tranche, mais bon… 3 M : Bon après, y en a qui déménagent, y en a d’autres qui arrivent. Mais bon, vu l’ambiance générale du quartier, les gens s’intègrent facilement. M-A : Oui, même ceux qui ne sont pas de là, ils ne repartiraient plus maintenant…

- Et en ville, vous pensez que c’est aussi facile de s’intégrer qu’ici ? M-A : Oh ! Oh là, non ! M : Non, moi que pense qu’en ville c’est… Par exemple moi, j’ai vécu en appartement en ville : tu connais pas tes voisins, tu les croises dans l’ascenseur, un « Bonjour » et c’est tout. En ville, les gens ont l’habitude de prendre le métro, le bus, et y a personne qui se regarde, y a personne qui se parle. M-A : Dans les apparts, tu les voies pas, les gens ! M : Si, peut-être ton voisin de palier, les étages au dessus, les étages en dessous… Mais bon, ça va pas bien loin. M-A : Ben non Mathieu, même voisins de palier, on se connait pas ! C’est parce que tout le monde travaille, alors vous savez quand on rentre, on a pas le temps de papoter. Tandis qu’ici quand on rentre, on papote quand il y a quelqu’un dans le coin.

- Par exemple, quand vous rentrez du boulot, vous aller parler avec les gens ?

1 La question est mal posée, et les gens ne se questionnent pas sur la « vue », « le cadre », mais u l’aménagement de la voie… ce qui ne nous intéresse pas ici 2 Les quartiers Catala et Les Chanterelles sont d’une même typologie, puisqu’il s’agit d’habitat individuel groupé. Ils semblent connus pour leur vie de quartier. 3 Le ton de Marie-Ange en fin de phrase montre que quelque chose la gêne. Sans doute la construction par tranches s’éloigne t’elle du village souhaitée… Peut-être renvoie-t-elle une image préfabriquée du quartier qu’elle n’aime pas me transmettre ? Ceci est bien évidemment une supposition.

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M : Ben… moi en fait, je ne suis pas vraiment ici. J’habite à (nom du village non retrouvé), encore plus la campagne.

- Encore plus la campagne… M-A : (rires)4 M : Ouais. Mais j’ai pas mal habité de temps ici, surtout pendant mes études. Et quand je rentrais de l’école, souvent j’allais voir les potes. Y avait plein d’enfants partout, les petits-enfants, les enfants… M-A : Maintenant, y a plus que des petits enfants. (Soupir) M : On allait à pleins d’endroits. Du skate, du roller, du vélo… Les gens nous lâchaient ici, parce que tout le monde se connait. Tandis qu’en ville, avec les gamins… et avec la circulation en plus. Mais surtout, y a personne qui surveille en ville. Tandis que là, tout le monde surveille tout le monde. Donc quand tout le monde surveille les enfants de tout le monde, c’est plus sécurisé… M-A : Maintenant, on surveille même les maisons des cambrioleurs ! (rires) Si les gens s’en vont, y a toujours quelqu’un qui reste. Parce que là, y a un cambrioleur qui est rentré dans plusieurs maisons… dans la matinée même. Y avait le gamin qui était dedans, au lit… Il faut le faire…

- Vous m’avez dit tout à l’heure que vous étiez prêt de la campagne ici. Qu’est-ce que vous entendez par « campagne » ?

M-A : Les champs. M : Les champs, les bois, les lacs… Enfin, la nature quoi. L’espace. M-A : Oui, parce qu’on a quand même du bois, des espaces verts. M : Quand on sort de Saint-O, lorsque vous prenez la direction d’Auzielle et tout ça, dès que vous avez dépassé les limites de Saint-Orens… vous êtes dans les champs.

- Vous allez souvent vous promener dans la campagne ? M-A : Oui, en voiture. (Rire)

- Mais, à pied, en vélo ? M-A : Oh à pied, non hé ! M : Après si... Moi, ça m’arrive de prendre la voiture et d’aller un peu dans la campagne, aller au lac de Saint-Ferréol pour me baigner, ou dans un autre petit village pour voir, ou j’en sais rien, mais voi-là… ou même pour aller dans un bois à se balader tranquilou. M-A : On est loin de rien, de par le fait. Parce que le lac aussi à Labège, c’est super.

Contexte : Arrivée du bus et départ de Marie-Ange. Je reste un instant avec Mathieu. La discussion s’oriente architecture et prend ensuite assez rapidement fin.

- Aujourd’hui, Saint-Orens s’oriente vers la construction de collectifs en vue de densifier la ville. Tu en

penses quoi ? M : Je trouve ça dommage… C’est des clapiers à lapins… Forcément : j’ai vécu pendant un an dans un appart, je me sentais pas bien, étouffant, tu vois. Les cloisons, c’est du papier, donc on entend le voisin d’à côté. Et justement, tu les entends, sans les connaître, c’est ce qu’on disait tout à l’heure. T’as que le mauvais des voisins, en fait, dans les apparts. Donc bon, je ne m’y suis pas fait.

- Pour quelle raison aurais-tu le plus envie d’habiter à la campagne ? M : C’est d’avoir un jardin. Ouais, c’est ça. Même sans forcément cultiver : un endroit d’herbe, de l’herbe, où je peux me poser quand il fait beau, à l’ombre, avec un arbre. Enfin, un peu de cette ver-dure. Parce que le béton… J’ai travaillé dans le bâtiment pendant un moment. Toute la journée à tourner le gravier, dans la poussière… Tu vois ici (en montrant le jardin d’en face, et notamment l’arbre qu’il s’apprête à tailler pour les voisins), les gens ils ont un arbre fruitier où ils peuvent avoir leurs propres fruits, et où il peut y venir des oiseaux. C’est sûr que c’est plus agréable que du béton et juste un petit balcon en ville… et les seuls animaux que tu vois là bas, c’est des pigeons !

- Tu as un avis sur la production agricole d’aujourd’hui ? M : Ah ouais. Moi, j’ai un peu travaillé dans les champs aussi. Et je peux te dire qu’il y a des choses, si il fallait toutes les faire à la main… alors là, chapeau bas à tous les agriculteurs, parce qu’à la faux, à la main ou à la fourche, c’est un boulot de dingue ! Donc, je salut quand même ce genre d’engin là (en montrant la tronçonneuse qu’il a dans la main en vue de tailler l’arbre d’en face). Après, d’un point de vue écologique, ce que je reproche surtout moi, c’est le choix de l’agriculture unique, enfin je ne sais

4 Faisant surement au côté « paysan » de la campagne.

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pas trop comment l’appeler hum… Le plus gros problème que j’ai, c’est si le gars a 150 hectares, un truc énorme tu vois, et ben il va faire que du blé par exemple. Donc ça tue un peu tout l’écosystème : il ne fait rien d’autre, donc il va tuer toutes les autres plantes... Ou les insectes : par exemple, dans le blé, y a pas d’abeilles… Donc ce qui m’intéresse plus, c’est le gars qui va faire plusieurs espèces, plutôt du côté « diversité » et qui évite les pesticides, tout ça.

- Tu connais quelques agriculteurs ? M : Oui, j’en connais quelques-uns, mais as ici : plus loin, vers chez moi. Heu… ici, je ne sais pas à qui appartiennent les champs en fait.

- Donc pour résumer, la campagne pour toi c’est… M : La nature, et puis aussi le côté « tout le monde se connait ». L’entraide aussi, ce qui n’existe plus dans la ville. Ya tout un côté culturel aussi dans la campagne, des petits marchés de village où tu trouves des légumes du coin. C’est toujours mieux que des fruits surgelés à Leclerc. C’est sûr que pour avoir une bonne ratatouille, il faut les bons légumes !

***

4- Michel, 72 ans (centre de Saint-Orens) (Rencontré dans un espace vert –bassin de rétention d’eau en cas de crue- près de la Marcaissonne) Michel s’est avéré particulièrement négatif durant tout l’entretien, son visage trahissant une perplexité constante.

- Vous habitez ici ? Oui, j’habite à Saint-Orens, près d’ici.

- Depuis combien d temps vous habitez là ? Depuis heu… 83.

- Depuis 83 d’accord. Et heu… pour quelles raisons principalement vous êtes venu habiter là ? Pour travailler. J’étais… je travaillais à la Sncf… J’ai suivi ma femme qui travaillait ici à Toulouse heu… Moi j’étais du Tarn, elle aussi mais comme elle travaillait ici… Je me suis rapproché, parce que moi j’avais la possibilité de me rapprocher.

- Et à Saint-Orens précisément parce que elle habitait là ? Non, pas parce qu’elle habitait là… Parce qu’elle travaillait à Toulouse, et elle perdait son emploie si elle venait dans le Tarn. Et moi en tant que cheminot, je pouvais demander une mutation à la gare de Toulouse.

- Ah d’accord, et pourquoi ne pas avoir habité dans Toulouse-même alors ? [Avec une légère expression de dégout] Bof ! Parce que Toulouse ! C’est pas une vie !

- Vous aimez pas la ville de Toulouse ? Boh boh… non, moi il me faut de l’air, il me faut un jardin, il me faut un chien [En montrant son chien qu’il est justement en train de promener]… Pour tout, pour tout ! [En appuyant sur les derniers mots] Y faut pas habiter dans un appartement ! Non, non… J’ai déjà habité dans un appartement, heu… 7 ans.

- Et vous n’avez pas aimé ? Ben… non ! Non mais j’étais obligé, pour pouvoir mettre un peu d’argent de côté et acheter… une maison.

- Vous avez un jardin aussi ? Oui, une maison avec un jardin. Mais bon, là ça m’va plus parce que c’est trop petit mon jardin.

- Ah ? Alors vous voulez plus grand ? Je veux plus grand oui… Alors je crois que je vais partir dans la campagne. Ou revenir chez moi dans le Tarn.

- Vous préférez habiter dans la campagne ? Oh oui… Bof… Y a rien d’intéressant là [En désignant Saint-Orens d’un signe de tête]

- Ah ok, et en quoi la campagne est mieux ? Oh ben parce que y a plein de choses à faire, on peut se promener, on peut aller aux champignons, on peut aller…. On peut faire plein de choses.

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- Vous vous promenez souvent ? Ah… eh oui… Je vais ici ! Mai c’est pas terrible ! Nan, on peut pas aller loin…

- Si vous deviez décrire Saint-Orens en quelques mots, ça donnerait quoi ? Ben… C’est… une ville dortoir, voilà [Avec un peu de dédain dans la voix]. Ben oui hein… c’est les gens qui travaillent à Toulouse… Toulouse, ils peuvent pas acheter, c’est trop cher. C’est un peu ce qu’on a fait, on aurait pu chercher dans la périphérie de Toulouse, mais bon, c’était deux fois plus cher qu’ici.

- Et pour vous, Saint-Orens, c’est la ville ou plutôt la campagne ? Pfff… Ca devient la ville hein ! Ouais, y a 30 an c’étais la campagne un peu, maintenant ça devient la ville, maintenant pfff… y a des voitures partout, des embouteillages… Je supporte de moins en moins. Qu’en on va acheter le pain, on peut pas se garer. J’ai vu, on fait des travaux derrière là en ville, ben on fat des travaux maison supprime des laces de parking qui avait, on fait des pistes cyclables et je vois jamais de vélos moi… mais on fais es pistes cyclables partout !

- Ben le vélo c’est plutôt pas mal, non ? Ben oui mais… eh ! On supprime les places de parking qui sont heu…

- Et si je vous demande ce que c’est la « campagne », comme ça de façon instinctive vous me répondez quoi ?

Ben je sais pas… « Animaux » heu… « Chevaux » heu… « Pêche », « champignons »… Oui voilà… des activités. Se promener, le grand air.

- Et ici, y a pas ça ? Ici non, tout est pollué, on peut pas se garer. Vous venez ici … [En montrant l’espace vert autour de lui] On m’a dit que je peux pas venir avec le chien parce que si jamais y fait des crottes, ça va gêner les gens. Ah bon ? Qui vous a dit ça ? Les gens de la mairie, ceux qui coupent, tout ça. Ca les dérange que je promène le chien là… Comme j’étais là hein, on m’a dit qu’il fallait pas venir ici avec le chien parce qu’y fait des crottes après, bon alors…

- Et vous pensez quoi du paysage autour, là ? [En montrant les champs situés non loin, qu’on voit dé-passer derrière le club de Squash]

Boff… - Ah, vous n’aimez pas ?

Non, non… y a rien. Y a rien d’intéressant hein, y a pas de jolis paysages… - Et pourquoi il n’y a pas de « jolis paysages » ? [Hésitation de sa part] Par exemple, si je vous montre

cette vue [Photo 2] qui a été prise près d’ici, qu’est-ce qui vous plait là dedans ? Oui… Pfff. Oui… Non rien. Y a rien non… Moi j’aime les bois heu… des trucs pour me promener heu… là je peux pas me promener ! Non y a pas de chemins, y a rien, y a pas d’ombre, y a pas de… y a pas de rivières, y a pas de canal, y a rien du tout. [Avec insistance] Y a rien à faire, bon… qu’est ce que je vous dis, c’est tout.

- Et avant, il y avait tout ça ici ? Ah avant, je sais pas trop…

- Et où vous habitiez, chez vous, dans le Tarn ? Ah ! [En changeant de ton] Y a des lacs, y a des bois, y a de la campagne, y a de tout quoi ! Y a des vaches, ici on voit jamais de vaches, heu…

- Et si je vous montre ça ? [Photo 1] Y a… y a rien à voir la dedans. Le dortoir et heu… bah rien du tout quoi. Y a rien d’intéressant là dessus.

- Et ce qu’on voit au premier plan ? [En montrant les champs du premier plan] Ca c’est bon pour l’agriculteur, mais c’est tout. Ca sert à rien ça. Enfin, pour les gens quoi. Y manque la verdure, les bois, les ruisseaux… un petit lac.

- Et ça, c’est plus la ville ou la campagne ? C’est un « dortoir » comme on dit.

- Et quand je vous montre cette photo [Photo 3], est ce qu vous aimeriez habiter là ? Est-ce que vous aimez ?

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Pfff… Oui pourquoi pas… Ca dépend ce qu’il y a autour. Ca dépend si il y a de la verdure, si… [En montrant la voiture et les plots vert présents sur l’image] Pfff, voilà… c’est quoi ça ? Ces plots en plein milieu de la voie là ?

- [Sur un ton rieur] Ben c’est pour que les gens puissent se garer justement ! Mais y a besoin de plots là, pour se garer ? Ca les protège, les plots ?

- Vous aimeriez habiter là ? Bof…

- Vous avez la vue depuis chez vous ? Moi j’ai la vue sur les maisons autour de chez moi.

- Et quand vous êtes arrivé à Saint-Orens, avant vous aviez la vue ? Non, quand je sui arrivé y avait déjà les maisons. Je le savais qu’y avait les maisons…

- Et vous auriez aimé habiter plus loin alors ? Eh… plus loin, non. Plus grand oui, plus « campagne » oui, mais c’est hors de prix ! C’était hors de prix d’acheter des grands terrains tout ça… Il fallait partir loin ! Mais quand on part loin, y a les écoles, les commerces heu… y faut… quand on a de jeunes enfants, c’est plus dur. Pour les courses c’est bien d’habiter là mais quand on a des enfants. Maintenant moi je m’en fous moi Leclerc là… Je vais y faire les courses mais bon, s’il n’y était pas se serait pareil moi…

- Et le « paysage » pour vous, ça évoque quoi ? Ah ben moi, c’est la campagne, la montagne heu… Ca [en montrant les arbres à côté de nous] les arbres, la verdure… Ici c’est plein de moustiques [En enlevant d’un coup de main les moucherons qui tourne autour de son visage].

- [Sur un ton rieur] Ben, à la campagne, y en a aussi des moustiques ! Ah oui, mais… moins qu’ici ! Ici, c‘est les égouts là , qui se déversent dans la Marcaissonne là [En désignant du doigt le cours d’eau] Ouais, la Marcaissonne, c’est les égouts de Leclerc là hein… Vous allez voir là, c’est les bouches [un peu amusé] qui arrivent là… avec de l’eau un peu bizarre.5 Mais à Saint-Orens maintenant ils détruisent des maisons pour mettre des immeubles, alors…

- Ah, ils détruisent carrément des maisons ? Oui oui, ils l’ont détruit là… cette maison individuelle là qu’il y a en montant [en montrant la route qui monte vers le centre de Saint-Orens] pour faire des immeubles, voilà !

- Vous n’aimez pas les immeubles ? Si, mis a pas de places de parking. Les gens, ils se garent sur le trottoir et après on se plaint… Bien sûr, les gens y savent pas où se garer. On fait des immeubles on fait 3 places de parking et voilà…

- Est-ce que vous connaissez des agriculteurs dans le coin ? Non. Je sais même pas si y en a ici. [en riant] Ben, des champs… y a des chevaux… Y a pas beaucoup de champs cultivés ici.

***

5- Gilbert, 75 ans (centre de Saint-Orens, quartier Nord) (Maison avec jardin - entièrement ouvert) Gilbert est en train de réparer un roue de vélo, dans son atelier remplis de vélos, vélos électriques et scooters au Rez-de-chaussée de a maison. Il s’agit de son passe-temps favoris.

- Depuis combien de temps habitez-vous ici ? Heu… ici 10 ans et 40 à 100m. C’était là où y a un parking là. [En montrant la direction des lotisse-ments situés derrière avec un signe de tête] Y a un grand immeuble là, avec un grand parking et ben ma maison était sur le parking. Donc ça fait 50 ans que je suis à Saint-Orens… enfin… 45 ans on va dire plutôt.

5 En effet, un cou d’œil rapide sur le cour d’eau suite à l’entretien m’a permis de confirmer ces dires : des eaux usées blanches avaient été déversées à cet endroit, mais par sceaux.

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- Ah, donc ça fait longtemps que vous êtes ici puisque la majorité des personnes avec qui j’ai parlé jus-qu’à maintenant sont arrivée il y a 30 ou 40 ans…

Oui, en général oui parce que quand je suis venu, y avait 700 habitants et comme là y en a… de 7000 à 10000 heu je sais plus.

- Et vous êtes venus habiter à Saint-Orens pour quelles raisons principalement ? Parce que j’habitais au Pont des demoiselles et je trouvais que c’était heu… trop dans la ville et en plus je voulais devenir propriétaire. Et… voilà, c’est tout. C’est la seule raison parce que je pouvait pas être à Toulouse, c’était trop cher, je trouvais pas.

- Vous étiez en appartement à Toulouse ? Oui. Rue de la Butte, c’est au Pont des Demoiselles… Presqu’ici hein, presque à Montaudran. Ca m’a pas trop dépaysé, c’était déjà la route de Revel à Toulouse.

- Et pourquoi avoir changé de maison 100m de distance seulement ? Beh parce que… ma maison avait 50 ans, je l’avais acheté elle avait 10 ou 15 ans déjà. Donc j’avais refait des travaux dessus et j’avais demandé un devis, parce qu’ici la mode c’était d’acheter, de vendre… J’avais aucune intention de vendre, mais j’ai quand même fait un devis. Et le gars est venu, un ami qui est marchand, et y m’a dit : « Mais vous pouvez pas vendre votre maison. » Je lui ais dit « Pourquoi ? ». « Ben, elle n’est pas aux normes, y faut refaire une homologation avec l’électricité, avec le chauffage, etc. » Que j’avais refait moi-même [Le système de chauffage] et qui marchait à la perfection. Et ben, j’ai dit « Ca va ». Je savais qu’on allait vendre le truc, je lui ai dit : « Eh ben la mai-son, vous la mettez par terre, elle sera toute homologuée ». Donc le gars qui a acheté le terrain, il en a fait ce qu’il a voulu et je lui ai demande assez d’argent puisqu’il y avait de la surface pour faire cette maison sans… A mon âge, j’avais pas envie de payer… Ah, elle est solide, c’est pas…

- Vous l’avez construite vous-même ? Cette maison ? Ah… ! [Avec de la fierté dans la voix] Cette maison a été fabriqué à 70km d’ici et puis transportée. Sur des camions, 3 semi-remorques… non, 4 avec la terrasses et ses blocs. Le garage d’abord, vous voyez : il fait 32 m², ça fait un semi-remorque. Tout le reste pareil et on a posé tout ça sur des déchets de béton. Ca par exemple [en montrant un cylindre de béton près du garage, planté dans le sol] ce sont les déchets de ciment qu’on enroule pour pas que ça fasse trop de place et ça fait 10 tonnes à chaque truc. Donc vous voyez ça tient, c’est costaud ! Donc la maison a été fabriquée dans le temps, à Graulhet, et transportée ici et vous voyez, pour vous donner un détail, cette ampoule-là, je ne l’ai jamais vue, elle est venue avec la maison, et je ne l’ai jamais changée depuis ! [En montrant l’ampoule à l’entrée du garage]. Donc je l’ai commandée en octobre quand j’ai eu signé mes papiers de vente et elle m’a été livrée le 8 Janvier, et le 10 Janvier [en appuyant sur cette date], j’habitais dedans. 2 jours après. Bon elle a été faite, pendant les 2 ou 3 mois avant, mais dès qu’on me l’a portée, dans la même semaine, on a fait les fondations et c’était bon. Il y avait 17 arbres vous voyez ici, et dans le trimestre avant, je les ais coupés, tronçonnés et y ont même fait le feu de cheminée. On ne perd rien ici !

- Vous aviez une opportunité de prendre ce terrain ? Non, ce terrain je ne pouvais pas l’avoir. Il a une histoire. [Rire] Ce terrain, il était destiné à ces lotis-sements qu’il y a derrière, 44 logements, et la sortie devait se faire ici [en montrant l’emplacement de la maison]. Alors il fallait qu’ils coupent tous les arbres et faire un passage qui sorte 40/50 bagnoles en plein coustou là : vous vous voyez en plein hiver sortir par là, avec le verglas et tout ? [En effet, la pente est assez raide] Alors j’ai proposé au maire d’acheter ce terrain pour y mettre une maison, il était tout content, il m’a dit oui de suite. Alors que c’est un bois classé… mais y a pas de « classé » quand ça intéresse une municipalité. Donc je l’ai acheté le prix du passage moi.

- Vous avez la vue sur le paysage d’ici ? Oh, j’ai… boh [Signifiant que ce n’est quand même pas terrible] au fond là-haut [En montrant du doigt l’angle de sa terrasse]. Mais bon, on perd beaucoup : on peut as avoir la vue à travers une forêt [Le bois situé à côté filtre en effet la vue en grande partie bien que la maison soit dans la pente et surélevée], donc il n’y a que cet endroit.

- Vous la regardez de temps en temps la vue quand-même ? Hé oui, pas plus tard qu’hier soir, quand j’ai mangé sur la terrasse, parce que je n’y mange que le soir, il fait top chaud sinon le midi. [Rire] Oui, en ce moment ! Donc le soir, je me met pour manger à l’endroit où j’ai la vue, j’ai mon petit coin là-haut pour ça. Et puis, vous savez, tous les vélos que vous

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voyez là [En montrant les vélos dans son garage], leurs roues connaissent les routes qu’y a derrière hein, là-bas [En pontant le menton en direction de la vue et des champs].

- Ah ? Vous allez souvent vous promener ? Ah, tous les jours ! Pratiquement tous les jours. Hé ! [Sur un ton marquant l’évidence] Je suis retraité donc je n’ai que ça à faire ! Je suis retraité maintenant, j’ai assez fait de boulot en ville, maintenant je profite de la campagne.

- La campagne ? Ca représente quoi exactement pour vous, la « campagne » ? La campagne ? Heu, c’est très difficile pour moi. Si je vous explique, vous savez je suis un vieux couil-lon moi [en riant], c’est pas la même… on n’est pas de la même époque et tout !

- Non mais justement, c’est intéressant ! [Rire] Ah bon, d’accord ! Pour moi, la campagne, y en a plus. Parce que la vraie campagne, c’était ici. Les maisons s’arrêtaient en haut ici, y avait pas d’autres maisons. Ici ce n’était qu’une rue, y avait rien là, j’étais le premier de la rangée… enfin, pas avec celle-cela, ais avec l’ancienne à 100m, j’étais le premier de tout le lotissement, y avait personne. Y avait rien de construit ici [En montrant les mai-sons construites devant chez lui, en contrebas], c’était ls champs et les vaches montaient ici à travers le bois et à la place de l’immeuble derrière, y avait une ferme avec des vaches. C’était vraiment la cam-pagne. Y avait 3 tracteurs en tout dans tout le village et 5 agriculteurs. Parce que ils avaient tous les propriétés des terrains, ils sont tous milliardaires maintenant, oh bien sûr, ils ont tout vendu ! Les paysans au ras des villes sont tous milliardaires maintenant ! Voilà, donc maintenant, y a plus de cam-pagne. Et j’appelle pas ça la campagne maintenant. Au fond là-bas je les entends travailler le soir en été [En parlant des agriculteurs], parce que je suis à la terrasse tout le temps. Je les entends, y tra-vaillent 15 jours par an hein, avec leurs gros tracteurs et puis on les voit plus.

- Le lien avec l’agriculture alors, il existe quand même ? Non, y pas. Y a pas d’agriculteurs. Quand je vais me promener, je ne vois jamais un paysans dans un champ hein, jamais… alors que je vais en vélo presque tous les jours. Donc y a plus de, ni agriculteurs, ni rien. Et ce n’est ni de la ville, ni de la campagne parce que y a des maisons partout. Et chaque mai-son, il faut qu’y ait une ou deux voitures pour aller se ravitailler parce que eux, ils n’ont pas l’autobus devant la porte !

- Ces deux voitures par exemple, sont à vous ? Oui, j’étais taxi avant justement, j’ai fais un peu ça à un moment. Je suis conservateur vous voyez, je les ais toujours. Et je fais les extrêmes avec le diesel le plus pollueur du monde, c'est-à-dire à fines particules c’est celui qui empoisonne le plus, ou alors le vélo, le moins polluant ! [En montrant ses vélos dans le garage]

- Et alors, c’est dommage pour vous que la campagne ait un peu disparue ? Hé, évidemment ! [Sur un ton lent, tirant sur le nostalgique] Bah, y a plus de campagne, allons ! Hé, montrez moi un paysan, n’importe où… Vous n’en trouverez pas. Il [L’agriculteur] a 3 tracteur qui valent 100 briques chacun, il a un élevage avec des machines automatiques qui nourrissent le bétail, moi je vois pas… c’est pas la campagne ça ! La campagne ça peut être un petit coin des Pyrénées ou y a un berger encore… voilà, ça c’est la campagne. C’est tout. C’est mon point de vue, hein ! Mais je suis bien content d’aller acheter les œufs à côté hein6… je suis bien obligé d’en manger… y sont pas ter-ribles mais enfin.

- Est-ce que vous aimeriez habiter plus loin dans la campagne si vous en avez l’occasion ? Non. Maintenant je bouge plus moi hein. Parce que après il faudrait que j’aille chez… Je ne vais jamais au supermarché hein ! Parce que c’est trop gros pour moi, je suis tout seul maintenant, donc j’en ais pas besoin. Mais je vais chez, si le petit épicier du coin pouvait y rester, je suis son client pour essayer de la garder. Ben évidemment, qu’est ce que vous voulez… je vais à la station service ici aussi pour le garder parce que sinon il faudrait que j’aille faire 10km pour aller chercher 3 litres de gazoil, y va me couter cher. Quoi que je roule de moins en moins, alors…

- Et si je vous dit « ville », ça vous fait penser à quoi ? La ville ? Aucun regrets hein ! J’ai toujours travaillé dans Toulouse, et quand j’y vais maintenant, j’ai peur [Rire] Héhé, je vais rue Bayard, je reconnais plus alors que pourtant j’ai travaillé 20 ans à la gare qui est en face, je connaissais bien la rue Bayard. Et là, je ne reconnais plus rien, je vois que les clodos

6 Faisant surement référence à de la nourriture qui n’a pas été faite localement, de manière « paysanne ».

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couchés partout, je vois la tour de Babel qui est couchée par terre, bon. Ca m’intéresse pas d’aller en ville hein, voilà. Alors, vous voyez que je suis bien à la semi, à la semi-campagne [Un appuie sur « se-mi » pour marquer le terme]. Y a plus de campagne et y a plus de ville, c’est triste hein ?

- Mais vous dites « y a plus de campagne, y a plus de ville », c’est partout ou juste ici ? C’est partout. Ben bien sûr. Partout en… en Europe disons.

- Et pas dans le Tarn et dans la Lot-et-Garonne par exemple… ? Ah… Ah ! [Après un bref instant de réflexion] Je sais pas. Dans les Pyrénées, dans le Massif-central, c’est possible. Je suis allé chercher ce vélo [En montrant celui qu’il est en train de réparer] dans le Puy-de-Dôme, à côté d’Issoire, pas Clermont-Ferrand hein, les petits bled, c’est encore la campagne hein parce que y que des petites routes, y a pas… sortis de l’autoroute, parce qu’y a une autoroute aussi bien sûr.

- Et si je vous dis « paysage », ça vous fait penser à quoi ? [Rire] Ah ben, d’un château d’eau à l’autre, tout va bien hein ! Le paysage, on voit que les châteaux d’eau maintenant. Donc de l’un à l’autre ça va bien, et puis pour ms vélo c’est bien aussi puisque ça me repère, y a pas besoin de Google ni de rien !

- Mais pour vous quel serait l’endroit qui reflèterait le mieux le paysage ? Pfff… Le paysage… Au sommet du Mont-Blanc, des truc comme ça. Mais vous savez ici, le paysage… [Sur un ton ironique], les « collines ondoyantes » …

- J’ai quelques photos de Saint-Orens. Si je vous montre ça, vous en pensez quoi ? [Photo 2] Ben oui, du moment que c’est… y a pas de maisons, moi ça me plaît beaucoup.

- [Il regarde alors directement la Photo 1] Là, ça me plaît moins, vous voyez. Ouais bon… je suis d’accords, qu’il faut bien habiter quelque part, mais enfin l’idéal ce serait ça [En montrant la photo 2], là au moins on pet respirer dessus. Après quand y a que des maisons, y a d’autres problèmes hein.

- [En désignant la photo 1] Ca c’est la campagne pour vous ou non ? On dirait le Lauraguais… mais il est bien plat, il est pas trop… [Il ne semble pas être sous le charme]

- [En revenant sur la photo 1] Ca c’est la ville ou la campagne ? Ca c’est mixte, c’est les deux. Mais ça [en montrant Saint-Orens au deuxième plan], c’est un village je suppose… parce que c’est très étendu, on fait pas de buildings enfin… maintenant on va en faire ici. Mais pas exemple dans la région ici, on fait pas de building, on en faisait jamais. On faisait des maisons à 1 étage maxi, et maintenant on arrive à 4 étages et… nous on a l’autorisation 9m ici [En désignant son terrain], donc 3 étages et ça va venir à 5 étages comme en ville hein, ou à 6. Autrement dit, on revient à une ville.

- Et ça, c’est dommage ? Eh… c’est dommageable pour les habitants de l’ancienne génération qui étaient habitués à un vil-lage… ou à la campagne, un peu comme moi !

- Et qu’est ce qui est mieux à la campagne qu’à la ville ? Ben... la vie commune. On connait heu… moi je vais chercher le pain le matin, mon bras est bien parce que je le lève plusieurs fois vous voyez…7 Tandis qu’en ville, y faut mettre un masque, un casque et puis [sur un ton rieur] on dt bonjour à personne.

- Ici, y a une vie de quartier ? Hein ? Non, pas tellement parce qu’ici ils sont tous morts. [Sur un ton rieur] Tous ceux que je con-naissais, y sont tous morts, ou à moitié morts, ou… Et les nouveaux non, ils passent là [En désignant la rue en pente devant chez lui], y disent bonjour et tout mais bon… c’est très bien.8

- Y a plus de fête de quartier, tout ça ? Non. Non, y en a plus. Je l’ai fait pendant 30 ans ou 40 ans, mais ça s’est perdu. Y a un fête du village, de l’autre côté-là-bas [En montrant la direction du versant sud de Saint-Orens, faisant référence au quartier des Chanterelles et ses environs], mais je bouge pus parce que je ne connais plus personne… y a que des nouveaux arrivants et, ma foie, y ot pas besoin de moi.

- Et ça alors [Photo 3], c’est pris à Saint-Orens aussi, est-ce que vous aimez ?

7 Manière humoristique de faire comprendre qu’il serre des mains, donc qu’il rencontre des personnes qu’il connait sur le che-min. 8 Intonation montante sur la fin, marquant un peu de déception. Le fait de dire bonjour est bien, mais pas suffisant : il manque autre chose.

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C’est à Sant-O ça aussi ? Pfff, qu’est ce que vous me demandez là ? [rieur] J’en ai rien à faire moi !9 Non, absolument pas, y a un peu de verdure, y a des arbres, c’est très bien Saint-O vous voyez, pourvu que ça reste avec des arbres et de la verdure. Ben ! Là, c’est encore un village, y a pas de grandes mai-sons, ça va très bien. Y a pas 300 voitures encore là, mais elles vont y être puisque tout le monde en a une ou deux…

***

6- Marie-Christine, 42 ans (centre de Saint-Orens, quartier Nord)

Entretien au niveau du Château d’eau, proche du point Culminant de Saint-Orens. Marie-Christine revenait des courses : elle portait des paquets dans les mains. Cela expliquait sans doutes sa certaine réserve à me répondre puisque formulant des réponses très courtes et souvent peu enrichissantes au regard de la problématique. Il était alors besoin de poser des questions toujours plus précises pour obtenir plus d’informations.

- A quel endroit habitez-vous ? Juste un peu plus bas, dans les maisons [En montrant les maisons pavillonnaires en contrebas, versant nord de Saint-Orens]

- Et vous avez la vue depuis chez vous ? Non, y a des maisons tout autour, on ne voit pas la campagne.

- Vous habitez depuis longtemps ici ? Ici depuis… 24 ans.

- D’accord, vous êtes venus principalement pour quelle raison principalement ? Pour le travail, vue que je travaille à Toulouse…

- Pourquoi ne pas être allé habiter à Toulouse directement alors ? Parce que bon… non, habiter en ville, ça nous intéressait pas.

- Ah, et pourquoi vous n’aviez pas envie d’habiter en ville ? Ca représente quoi la « ville » pour vous ? Heu ben… le bruit, la circulation… et tout ça on le fuyais un peu.

- Et alors ici, comment c’est ? C’est plus calme heu… y a moins de circulation…

- Et si vous deviez dire si Saint-Orens c’est la ville ou la campagne, qu’est ce que vous diriez ? Heu… C’est intermédiaire quand même hein. Maintenant ça se rapproche effectivement de la ville hein. En même temps il faut dire, Toulouse, c’est juste à côté.

- Et quels attributs de la ville est en train de prendre Saint-Orens ? Ben… il y a beaucoup d’habitants. Beaucoup de commerces heu… 10 et donc il y a de la circulation.

- Est-ce que vous êtes contente d’habiter ici ? Ouais, ouais. Ben c’est… c’est pas très loin de Toulouse très simplement, ça c’est bien. Tout en habi-tant à l’extérieur, eh bien on est à côté de la ville.

- Et est-ce que vous pensez rester longtemps ici ? Heu oui, a priori oui. On a pas envie de déménager.

- Pour vous la « campagne », ça vous fait penser à quoi ? « Calme », « repos »… oui, le calme principalement.

- Et vous dites que vous n’avez pas la vue depuis chez vous, vous trouvez ça dommage ? Pfff… [Expression partagée] « Dommage » non, parce que je suis pas souvent sur la terrasse donc non, ça me manque pas tant que ça faut dire…

- Quand vous voyez le paysage là-bas, est-ce que ça vous plaît par exemple de voir ça ? Oui, bien sûr… parce que y beaucoup d’espace, y a une impression de liberté, on voit loin…

- Qu’est ce que vous voyez sur ce paysage, si vous le décrivez un peu ? 9 Ce dédain forcé montre une fois de plus la déception du changement que connait Saint-Orens. On pourrait aisément reformu-ler sa réponse ainsi : « Saint-Orens change, qu’est ce que vous voulez que j’y fasse ? Ce qu’il y a sur la photo est bien, y a de la verdure et des arbres, pourvu que ça dure. Mais ça ne durera pas, c’est bien triste. ». 10 En parlant des zones commerciales et industrielles en entrée de ville.

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Des champs, heu… Ben là, la nature. Oui, ça c’est sympa oui. - Est-ce que vous connaissez des agriculteurs dans le coin ?

Non. Non, j’en connais pas. - Vous en voyez des fois en train de cultiver ?

Non, jamais. - Si je vous dis « paysage » ? Un paysage ça fait référence à quoi pour vous ?

A des arbres. Ouais heu… verdure heu… - Si je vous montre cette image [Photo 2], qu’est ce que vous en pensez ?

Qu’est ce que j’en pense… j’aime bien ouais. - C’est la campagne pour vous ?

Oui. - Pour quelle raisons ?

Parce que y a pas de routes, y a pas d’immeubles, y a pas de circulation, y a pas de voitures 11 - Et celle-ci ? [Photo 1]

Ah, c’est… oui, c’est intermédiaire oui. On voit le champ mais après on voit… un gros village, der-rière.

- C’est plus un village qu’une ville ? Oui, oui surement… J’aime vraiment pas.

- Et si je vous montre ça [Photo 3], est-ce que ça vous donne envie d’habiter là ? Ca c’est les rues de Saint-Orens, ça non ?

- Exactement oui, c’est des photos prises ici. Ben disons qu’on habite à peu près dans ce genre d’endroit. Ouais, à peut près ouais. Mais par contre on a pas de bois [tout en montrant le bois à gauche de la photo]

- Ca vous fait davantage penser à la ville ou à la campagne ? Oui, c’est pas la grosse ville. On voit quand même le bois... la verdure… c’est pas la ville hein.

- Et si vous aviez la possibilité d’habiter plus loin dans la campagne, est-ce que ça vous plairait ? Heu… non, parce qu’après c’est un problème de trajet.

- Et si on met de côté les problèmes de trajets, la vie à la campagne, ça vous plairait ? Heu… non, non plus, je me sentirais pas à l’aise dans la campagne. Parce que tout en étant à l’extérieur de la ville, j’aime bien quand même aller en ville et profiter de tout ça quoi.

***

7- Georges, 49 ans (Appartement, résidence proche Catala) L’entretien se fait avec une grille nous séparant. Ils s‘agit de la grille qui entoure le parking et le groupemet d’immeubles. Elle semble être là pour sécuriser la propriété. Georges m’apprendra au court de l’entretien qu’il est d’origine américaine, donc toute la retranscription qui suit est à imaginer avec l’accent correspondant. Cela explique quelques hésitations, dûes parfois à des pertes de vocabulaire et les fautes de français qui sont susceptibles de survenir

- Où habitez-vous ? Ici, dans un appartement [en montrant la résidence située juste derrière]

- Et où travaillez-vous ? Heu… J’ai… une entreprise de nettoyage. Le siège, c’est ici, c’est moi le patron [avec une note de fierté dans la voix].

- Ah… Donc vous habitez à l’endroit où vous travaillez en somme… On peut dire ça comme ça ? Heu… Ben… On peut dire ça comme ça. C’est parce que hum moi, hum, c’est moi le patron et j’habite là. Heu… J’ai des autres résidences. Et c’est moi qui s’occupe de ici aussi. Et j’habite dans celle-ci.

11 Description de la campagne au travers de la non-présence des attributs de la ville

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- Et vous vous déplacez beaucoup pour aller d’une résidence à l’autre ? [Hésitation de sa part] Vous al-lez loin ?

Heu… loin… Muret, Montauban, Albi… - Quand est-ce que vous êtes venus habiter ici ?

Y a 9 ans. En fait, la résidence a été construite il y a 17 ans je crois, mais y a deux nouveau bâtiments qui sont construits y a 3 ans. Mais moi je suis dans les plus anciens. Avant y avait 4 résidences et après y ont ajouté 2…

- Et vous êtes venu habiter ici pour quelle raison principalement ? Ben… on a déménagé ici… Parce qu’avant on était à Lardennes. Et c’était une petite bâtiment. Mais ici c’est grand… T4, on a un T4 et là-bas on avait… T2. Du coup on a changé pour la taille.

- Est-ce que c’est pour la cadre aussi ? Pour l’endroit aussi ouais.

- Par exemple quand vous regardez la vue, vous aimez ce que vous voyez ? Ah oui, c’est très bon ça. Mais depuis chez moi j’ai la vue aussi mais c’est de l’autre côté et c’est bien oui, c’est comme ici. [En montrant la vue du côté des jardins partagés]

- Vous pouvez me décrire rapidement ce que vous voyez ? Heu, je vois des arbres et des jardins… heu… des stades. Heu oui. Des pelouses

- Pour quelle raisons vous aimez cette vue ? Parce que c’est là… c’est la nature. [Sur un ton rieur] Ha ha oui ! Ca c’est mieux que les gens qui habitent au milieu de Toulouse ! Maintenant y fait chaud et quand y fait chaud… Ici, à cause de la nature c’est plus frais.

- Si je vous dis, par exemple, « paysage », ça vous fait penser à quoi ? « Paysage » ça me fait penser à ça [en montrant la vue]. Parce que c’est la nature !

- D’accord. Et la campagne pour vous c’est quoi ? Là c’est… pas la campagne hein. C’est… parce que la campagne c’est à l’intérieur, c’est… là, c’est pas la campagne. Mais les gens ils disent que c’est la campagne, mais pour nous c’est pas la campagne hein ! C’est un petit peu… [hésitation] à côté de la campagne.

- C’est à côté de la campagne ? Oui, mais c’est pas… tout à fait la campagne, on peut pas dire qu’ici c’est la campagne. Parce que… parce que on est pas trop loin de la périph, on est pas trop loin de la ville de Toulouse. Haaa… oui. Les gens qui habitent dans la campagne, y habitent loin. Oui, y habitent loin.

- Et est-ce qu’il manque quelque chose par rapport à la campagne ? Par rapport à la campagne ? Heu… dans la campagne, y a pas beaucoup des maisons, y a pas beaucoup des appartements.

- C’est moins construit ? Heu oui.

- Et si je vous dis « ville », ça vous fait penser à quoi ? Ah ben.. ; à Toulouse héhé [Rire léger], « ville » ça me fait penser à Toulouse.

- Et au niveau de l’ambiance ? L’ambiance, y a des places à boire, y a des restaus, y a aussi beaucoup de monde et y a trop de voitures, et oui… oui.

- Si je vous montre par exemple cette photo [Photo 2], pour vous, c’est la ville ou la campagne ? C’est la ville ! [Se reprenant] Heu… pfff, on peut pas dire que c’est la ville exactement parce que y a des champs, y a pas du monde, y a des arbres, trop désert. Mais c’est pas la campagne, parce que c’est juste à côté la ville et comme je vous avais dit, la campagne c’est beaucoup loin.

- Et donc ça [en montrant Saint-Orens au second plan], c’est une ville ou un village ? Heu… une ville.

- Pourquoi ? Parce que y a beaucoup de maisons. C’est grand c’est pas un village.

- Et si je montre ça par exemple [Photo 2]? Ah, ça c’est la campagne.

- Vous aimez cette image ? Oui. Y a la nature. Je dirais quand même… j’aimerais pas habiter dans la campagne.

- Vous aimeriez habiter là ?

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Non. Parce que moi j’aime habiter dans un endroit où y a du monde. Pas comme la ville mais aussi pas comme ici ; par exemple le matin des fois on se retrouve sans gens. Et moi j’aime bien habiter avec des gens, pour parler, pour tout ça.

- Et est-ce que vous trouvez qu’en ville y a autant d’échange qu’à la campagne ? Oui. [N’a pas compris la question. Réfléchi et se reprend] Ahhh… non ça dépend hein ! Dans la cam-pagne, les gens sont beaucoup plus sympas. Dans la ville c’est un peu… Mais même, quand on voit des gens… Moi j’aime la ville. Mais ici quand on voit des gens, on peut dire bonjour ou pas, y a des gens qui disent bonjour, y en a qui disent pas. Mais bon quand même, ça fait… ça fait bouger la ville haha [Sur un ton rieur] vous voyez ? Par ce que moi j’aime bien bouger, voilà.

- Et enfin, si je vous montre cette image, ça vous plairait d’habiter là ? Heu mmm… oui je pense heu… oui.

- Pour quelle raison ? Qu’et- ce vous aimez ou n’aimez pas dans cette photo ? Ben, c’est pas comme la campagne parce que y a des maisons qui se trouvent à côté et y a des nature aussi. Y a beaucoup des arbres, j’aime bien ça.

- Donc la proximité des maisons entre elles et la nature, ça c’est bien… Oui.

- Les immeubles où ont se trouve sont entourés d’une barrière, pour quelle raison ? Oui oui, mais les trucs comme ça, ça se trouve en France. Partout en France maintenant y a des por-tails, mais pas dans tous les pays. Aux Etats-Unis il y a pas … Y a pas ça aux Etats-Unis, Angleterre, c’est que ici.

- Vous êtes originaire des Etat-Unis non, parce que j’entends l’accent ! Oui [Rire]. Ca fait 12 ans que je suis en France.

- Si vous deviez décrire Saint-Orens en quelques mots ? C’est une belle ville hein oui. C c’est parce que… J’aime bien Saint-Orens. Parce que c’est pas comme Toulouse, c’est parce que y a moins des habitants et aussi y a la nature. Mais ça bouge pas trop quand même, c’est pas come Toulouse. J’aime bien Saint-Orens, c’est parce que c’est pas trop loin de Tou-louse. On peut rentrer, qu’est ce qu’on fait, ah ben une petite fête à Toulouse. C’est pas comme si on rentrait à 50km et là on serait tous seuls vraiment.

- Et quand vous sortez avec des amis, vous allez plutôt à Saint-Orens ou à Toulouse ? A Toulouse, bien sûr. A Saint-Orens il n’y a pas des endroits pour…

- Et est-ce que vous vous promenez de temps en temps dans la campagne ? Heu non, mais pas contre je fais des jogging. Pas dans la campagne, plutôt ici. Y a là [Il montre l’espace vert situé devant, entre les collectifs t les jardins partagés.] et autour aussi, y a… y a quelque chose aussi. Par contre dans les champs nan, je me promène pas dans les champs mais j’aime bien, j’aime bien regarder dans les champs tout ça, ça fait plaisir.

- Est-ce que vous aimeriez avoir un jardin comme les gens là-bas ? [En montrant les jardins partagés] Ah, j’aime bien les jardins oui, mais pour voir parce que je pense pas que j’aimerais avoir un jardin.

***

8- Nadia, 23 ans (Appartement, immeubles à l’extrême Ouest de Saint-Orens)

Nadia est sur le point de rentrer dans sa voiture. Elle m’apprendra durant l’entretien que la campagne n’est pas vraiment sa tasse de thé… Elle préfère la ville, plus active et regroupant plus de jeunes gens.

- Vous habitez dans les immeubles ici ? Oui, j’habite juste là [En montrant un des immeubles près des champs de tournessols]

- Mais alors, pour quel raison principale êtes-vous venu habiter ici ? C’est mes parents qui habitent ici.

- Ah d’accord, et vous habitez où en général ?

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J’ai fais mes études à Auch jusqu’à maintenant. Et comme mes parent ont un appartement ici, c’est pour ça que je suis venu.

- Hum, est-ce que vous aimez cet endroit ? Heu… pfff… non, pas tellement non.

- Pour quelle raison ? Ben pfff, tu sors de chez toi et puis, ben… y a rien à faire. Ouais, tu sors dans l’allée ici et y a rien en fait, y a pas d’activités.

- Et est-ce que vous avez la vue ? Ah non.

- Pas la vue sur le champ derrière ? Ah oui sur le champ oui.

- Et ça vous trouvez ça bien ou pas ? Moui… enfin, c’est déjà mieux que la rue en face là [En montrant le passage entre les deux im-meubles]

- Vous regardez de temps en temps ? Non, c’est mes parents qui ont la chambre de ce côté.

- Et comment trouvez-vous les champs à cet endroit là ? [Expression étonnée] Alors là… c’est vraiment pas le truc qui me…

- Ca ne vous intéresse pas… Ah ouais non…

- Vous ne vous promenez pas de temps en temps ? Ah non, pas du tout non.

- Ici, on est encore à Saint-Orens [nous nous trouvons tout au bout est de la ville], si vous deviez décrire la ville en quelques mots vous le feriez comment ?

Calme. Oui voilà… c’est calme et vieux quoi, c’est surtout ça. Saint-Orens c’est vieux, y a beaucoup de personnes âgées, y a… enfin y a des jeunes, puisqu’il y a un lycée, mais y en a pas beaucoup. C’est plus vieux qu’autre chose quoi. A Auch, c’est sûr que c’est pas la même ambiance, là-bas j’avais mon appart et tout ça, donc c’était plutôt soirées étudiantes tout ça. Et Auch aussi est assez vieux mais bon, j’avais mes copains là-bas, c’est pas pareil.

- Si je vous dit « campagne », ça vous fait penser à quoi ? [Avec une expression peue enchantée] Hum… les champs. Ouais [Rire]

- Et la « ville » ? Les bâtiments.

- Bâtiment, donc dans la campagne, y a pas de bâtiment. Ben quand on me dit ce mot, je pense à ça, après, je n’ai pas di que dans la campagne y en a pas…

- Heu, la campagne apparemment ça ne vous dit rien, pour vous c’est la ville ? [Sur un ton persuadé] Ah oui ! Moi c’est la ville, la campagne je ne pourrais pas !

- Et « paysage », ça vous fait penser à quoi ? [hésitante] Heu… « paysage » heu… pfff, je sais pas. La verdure peut-être. Ouais, c’est ça, la verdure.

- Et un endroit en particulier ? Non. [Rire] Non ! Je suis pas trop dans ce trip donc heu… non ça ne me dit rien tout ce qui est pay-sage, verdure, tout ça... Ah si ! Peut-être éventuellement la mer alors.

- Si je vous montre cette photo [Photo 2], par exemple, est-ce que ça vous plaît ? [Un silence lié à l’analyse de l’image] Heu… oui, elle est jolie. Mais je ne pourrais pas habiter à côté quoi… parce que c’est vide. Oui, c’est trop vide, pour moi ça c’est vraiment la campagne [avec une expression de désapprobation sur le visage] Attendez, mais… mais c’est pas derrière chez moi ça non ?

- Eh ben si justement. Enfin non, pas tout à fait, c’est pris à Saint-Orens, mais un peu plus loin à l’Ouest.

[Surprise] Ah ? Ah… ben ouais, j’aurais pas cru. Oui mais c’est que la campagne vu comme ça, mais si on prend un autre angle peut-être que… Enfin quand je vous disais que je ne pourrais pas habiter là tout à l’heure, j’avais pensé qu’il s’agissait de vivre dans ces petites maisons, là. [En montrant su doigt les traces de mitage visibles sur la photo].

- Et si je vous montre cette autre photo [Photo 1] ?

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Ouais si ça à la limite oui, ça pourrait aller. Ca fait moins la campagne que l’autre, parce que c’est cons-truit.

- C’est une ville ou un village qu’on voit derrière ? C’est un village, parce qu’y a que des maisons, des petites maisons, ouais.

- Et qu’est ce qui manque par rapport à une ville ? Oh ben, des bâtiments. Dans une ville c’est plus serré quoi, tandis que là on voit que c’est assez large. Enfin, je vois pas ça à côté de la ville quoi.

- Et vous aimez l’endroit ? Oui si, là pourquoi pas. Oui parce que je sais pas, y a un peu les deux, la ville et la campagne en même temps. L’image est jolie aussi, y a ça qui joue.

***

9- Philippe, 36 ans (Lauzerville, lotissement orienté Sud)

- Depuis combien de temps habitez-vous ici ? 2 ans. - Pour quelles raisons avez-vous déménagé ?

J'étais à Paris. Et Paris, je ne peux plus ! - Pourquoi avoir décidé d'habiter ici précisément à Lauzerville ?

On cherchait dans la région d'Auzielle et de Saint-Orens. Parce que c'est sympa ici. Mais à Saint-Orens, y a plus de place. Non, y en a plus, ils ont tout bloqué. Allez-y, cherchez, vous ne trouverez pas !

- Vous êtes satisfait de l'endroit où vous vivez ? On a une belle vue. Ah oui ça, on est bien !

- Vous pourriez me décrire la vue ? Qu'est-ce que vous voyez ? De la verdure. Aujourd'hui c'est un peu couvert, mais sinon la plupart du temps, quand il fait beau, on voit les Pyrénées. C'est très beau. La nuit aussi, c'est tout éclairé, on voit les lumière dans la vallée.

- Vous connaissez des agriculteurs dans le coin ? Non. - A quel endroit travaillez-vous ? A Toulouse ?

A Colomiers. Du coup je fais la navette chaque jour. - Est-ce que vous avez des loisirs en dehors de la maison ?

Je fais du sport. Je fais du squash à Saint-Orens. Il y a une salle. - Si je vous dis « campagne », ça vous fait penser à quoi ?

« Campagne » ? A la vraie campagne, aux champs. Après c'est sûr, y a « campagne et « campagne » ; ça dépend de quoi on parle...Il y a par exemple celle avec les vaches, les champs, celle où on trouve les fermes aussi. Là (en montrant le paysage) c'est la campagne...(Une hésitation) Mais c'est pas la « vraie » campagne. Je ne sais pas comment vous expliquer ça ! En gros, c'est la campagne sans être la campagne : on vit pas avec les vaches et y a pas de fermes...toutes ces choses là quoi ! (rires)

- Et cela vous gêne qu'il n'y ait pas tout ça ? Pas du tout ! - Vous préférez donc ne pas vivre avec les vaches …

Ah non, non, je n'ai pas dis ça ! Moi j'aime tout. Moi j'aime bien la vue. - Vous regardez souvent le paysage depuis chez vous ?

Oui. Depuis la fenêtre. Dans les chambres et le salon. - Et qu'est-ce qui vous plaît dans cette vue ?

Les arbres, le vert, les champs. - Tout ce qu'il n'y a pas à Paris en somme !

Ben, moi où j'étais, c'était en Seine-et-Marne. Donc c'est quand même plus vert que le reste de Paris. Mais y a pas de vue comme celle-là, c'est sûr !

- Si je vous dis « ville », à quoi pensez-vous ? « Ville » ? Je veux plus y vivre ! Trop de monde, trop de bruit.

- Et maintenant, si je vous dis « paysage », à quoi est-ce que vous pensez directement ? « Paysage » !? Le voilà (en montrant la vue dégagée). Vous l'avez là, le paysage !

- Vous comptez habiter encore longtemps ici ? Non. - Où souhaitez-vous aller ensuite ?

Pas loin . La maison est trop grande. On est 6, alors une fois que les enfants seront partis, on trouvera une maison plus petite. Mais que ça reste dans les alentours. Si ça doit être plus loin dans la campagne, ce sera plus loin. Mais pas plus que dans les 20 km.

- Est-ce que vous voyagez souvent ?

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Pas trop, pour des raisons financières forcément. On est parti pendant 3 ans en Tunisie ; c'est moins cher. Sinon, on aimerait bien évidemment faire la Grèce, le Canada, l'Australie... Pour la découverte, voir une autre culture. Mais bon, le problème, c'est le budget.

- Est-ce que vous faîtes le jardin de temps en temps ? Moi, j'ai un gazon synthétique, c'est plus facile à entretenir. Et pour que ça reste vert. Par contre ce qui me manque, c'est l'odeur de la tonte.

- Vous aimez tondre la pelouse ? Ah, j'adore ! Mais c'est vraiment l'odeur de la pelouse que j'aime le plus. Parce que sinon, il n'y aurait plus aucun plaisir à tondre finalement : tondre pour tondre...J'ai aussi un petit potager, tout petit. Mais tous mes arbres sont vrais (rire) ! Il n'y a que la pelouse qui est synthétique. Mais bon, avoir un jardin comme ça. C'est agréable.

*** 10- Sylvie, 50 ans

- Vous habitez ici depuis longtemps ?

Depuis 2 ans et demi. C'est à peu près au moment où le quartier a été créé ; nous étions dans les pre-miers à nous installer. En fait, on a d'abord acheté la parcelle, puis ensuite on a envoyé les plans à plusieurs entrepreneurs.

- Où habitiez-vous avant de venir ici ? Et pourquoi avoir choisi exactement cet endroit ? On habitait à Montpellier. On est venu à cause d'une mutation de mon mari pour Carrefour. Il tra-vaille sur les 3 Carrefours ; mais c'est surtout pour le prix du terrain que nous sommes venus à cet endroit précis ; plus que pour la proximité à son travail. On a donc déménagé ici tous les trois.

- Et pour le cadre un petit peu aussi ? Ah oui, puisqu'on cherchait Saint-Orens, Escalquens...dans ces environs là. Parce que (Hésitation) j'aimais bien !

- Qu'y a-t-il de plus ou de moins ici qu'à Montpellier ? Y à moins de soleil ici ! (Rire) Mais les gens sont plus sympas ici, je trouve. On discute un petit peu avec les voisins de temps en temps, et on fait un repas de quartier.

- Se je vous dis « paysage », à quoi pensez-vous ? Ah là, déjà la vue (se retournant et englobant d'un geste, le paysage et la vallée).

- Et est-ce que vous aimez ce que vous voyez ? Ben oui ! C'est la campagne. Et puis on est aux portes de Toulouse. C'est plus agréable, c'est calme.

- Et si vous me le décrivez... Ces champs...des champs. Et puis, c'est vallonné.

- La « ville », ça vous évoque quoi ? Le bruit, la pollution... (un chat arrive) Vous voyez, ça c'est mon chat, pour elle aussi c'est merveilleux, la campagne !

- Pensez-vous toujours habiter ici ? Oui, j'espère. C'est surtout à cause des déménagements, c'est très fatiguant. Y en a ras-le-bol, donc si on peut rester ici longtemps, c'est l’iléal.

- Pour vous, y a-t-il un endroit rêvé pour bâtir sa maison ? Non, je ne pense pas. Il suffit de se sentir bien où on est. Non, ici moi ça me va. (Rire).

- Entretenez-vous le jardin de temps en temps ? Oui, c'est moi qui le fais. Derrière on a mis un petit potager, mais c'est surtout pour le plaisir .

- Connaissez-vous des agriculteurs dans le coin ? Non. - Et quelle image de l'agriculture avez-vous aujourd'hui ?

Ah moi, c'est sur que c'est pas du out mon truc. Après, si ils prennent du plaisir là-dedans, c'est leur choix...Après, je les plains, parce que ça ne doit pas être facile comme métier. Je préfère autant jardi-ner, faire mon petit jardin tranquillement.

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ANNEXE 2 ENTRETIENS REALISES AUPRES DES PROMENEURS

(Espace Naturel de la Marcaissonne)

1- Annie et Madeleine, 76 et 84 ans Rencontrée sur le chemin de la Marcaissonne durant leur promenade, nous faisons un bout de chemin ensemble. Elles me parlent de ce qu’elles voient et de ce qu’elles savent sur l’endroit. J’essaie de les laisser parler seule le plus possible. Leur mouvement retrace principalement le chemin du fait de leur peur des serpents dans les hautes herbes. Elles ne parleront pas du paysage agricole sur le côté droit, la rypysilve de la Marcaissonne créant un filtre à la vue et guidant le regard de l’autre côté, sur la zone industrielle et ses stocks. Elles s’empressent d’ailleurs à deux reprises de mentionner leur présence, ce qu’elle trouve dommage. M : C’est fréquenté de ce qu’on peut dire. A : C’est de bonne heure là, on rencontre du monde. Nous, on vient ici tous les matins… nous oui, on marche. M : Et ça nous va très bien ! A : Il faut marcher un petit peu, on est… maintenant vous savez… Par contre on ne vient pas l’après-midi. Ah non, pas l’après-midi ! Y fait trop chaud, les personnes de notre âge elles ne peuvent pas avec cette chaleur l’après-midi. M : Moi j’aime toute cette promenade, je suis d’ici, j’habite à Saint-Orens, depuis 1958. Alors vous voyez ! [Rire] A : On est d’ici oui. M : Oui, moi je suis née à Montaudran… alors hein… moi je quitterais pas ma région vous savez. A : Bon sinon, au niveau des ambiances heu… à part les arbres, les machins, les trucs, qu’est ce que vous voulez qu’on vous dise… M : Quand on se promène, y a des gens qui vous disent bonjour et d’autres qui vous disent rien…

[Un silence] M : Enfin bon, ce qu’il y a c’est que… je crois qu’y a des serpents. A : Ah oui là, faites attention ! M : Oui, n’allez pas là-bas, là [En montrant les hautes herbes] A : Marchez pas dans les grandes herbes. M : Parce que y a l’eau là, et heu… et on les voit pas. Quand vous voyez sur le chemin, y a… y a des zigzags sur la route, comme ça [En dessinant du doigt un zigzag dans l’air], c’est les serpents qui sont passés. A : [En s’arrêtant et en se retournant]. Sinon, vous pouvez aller jusqu’au bout là-bas hein. [En mon-trant une colline au loin ou se retourne le chemin] C’est long hein, vous pouvez aller jusqu’au bout, vous pouvez aller monter là, y a toute une heu… Ca monte et alors là vous serrez à travers champs là. M : Oui, ça va du Leclerc, jusqu’à la colline là-bas. Y a du monde qui y va hein ! A : Après, c’est des champs, de la culture, bon… vous el voyez ce que c’est… M : C’est un coin très fréquenté par là, y a beaucoup de monde. A : Et là [En se retournant de nouveau et en pointant le doigt dans la direction du chemin], vous allez jusqu’à Leclerc. Vous y êtes allé là ?

[J’acquiesce] M : Et après Leclerc ! Parce que après ça continue… A : Bref ça nous détend, on peu prendre l’air. Enfin c’est bien fait, y a des chemins piétonniers de par-tout. M : Et moi j’aime particulièrement cet endroit parce que y pas de voitures ! On est tranquilles [en insistance sur le mot « tranquilles »]

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A : Vous savez le chemin il est pas fait depuis longtemps hein, ça fait 3 ou 4 ans. Ca fait peut de temps là. Là y ont fait le chemin… le Grand Toulouse qui a fait ça.

[Un silence] A : Et au niveau de l’aménagement vous voyez, c’est bien ce qu’ils ont fait. Y ont mis des bancs un peu partout. M : Y en a pas assez d’ombre mais bon enfin, tant pis. A : Si y a de l’ombre mais juste à partir de là-bas [En montrant la ligne d’arbres perpendiculaire au chemin, marquant l’emplacement d’un ruisseau issu de la Marcaissonne] M : De ce côté aussi [En montrant la rypisylve de la Marcaissonne], parce que le soir le soleil, il se couche de ce côté [en montrant l’Ouest du doigt] A : Donc c’est bien qu’il y ait des bancs… Ils auraient aussi pu mettre des poubelles pour les gens qui mettent leurs trucs par terre hein… mais autrement non, c’est bien. [Un silence] Pour nous c’est très bien parce que ça monte pas et… au moins on peut marcher bien comme il faut. M : [En montrant la table de pic-nic avec les bancs qui portent un sigle handicapés bleu] Ca c’est pour les handicapés hein… Ca c’est déjà par mal. A : Bon, par contre au niveau de la vue… eh ben on a ça [En montrant la zone industrielle qui borde le chemin], y a tous ces trucs là, qu’est ce que vous voulez qu’on y fasse ? Là par contre, hein, qu’on aime ou qu’on aime pas [Rire]on peut rien y faire. M : Oui, qu’on aime ou qu’on aime pas, c’est là de toute façon !

[Un silence] A : A un moment y en avait un qui avait mis une tente, après y a eu quelque fois les… les gitans qui sont venus. Enfin, y ont pas le droit, mais bon, ils le prennent, y continuent. M : Oui, à un moment, il y en avait partout ! [Silence de marche] A : Maintenant oui, c’est joli parce qu’ils ont laissé pousser partout les petites fleurs, les… c’est vrai que… M : C’est bien agréable. A : Ah oui, c’est agréable. Après là-bas [En montrant les petites installations en bord de chemin], ils ont mis des petites maisonnettes pour les abeilles… Enfin, pas pour les abeilles, mais les petits oi-seaux… les papillons. Si si, c’est pas mal. M : On vient tous les jours faire notre marche, comme des grandes ! mais l’hiver, c’est l’après-midi. A : Ah ben oui, l’hiver on est pas obliger de se lever à 7h du matin hein [Rire], l’hiver on peut venir l’après-midi ! Parce comme on est fragiles maintenant, on est obligées de marcher pendant que… pendant qu’y fait frais. On sort tous es jours mais avec la chaleur qu’il fait en ce moment, on sort pas toute la journée hein. Ben comme il faut marcher, ben on marche, voilà. Un peu, une heure, le temps d’aller… vous voyez[En essayant de me montrer l’endroit], on va vous montrer l’endroit et puis après on revient nous. M : Y a quelques années, on allait jusqu’à Leclerc, mais maintenant ça fait trop loin [Rires] A : Oui, on est vite fatiguées maintenant. Alors on s’assoit sur des bancs, sur le retour, on s’assoit un peu.

[Un silence assez long, je relance avec quelques question pour ne pas les mettre trop mal à l’aise]

Q- Et si vous deviez décrire Saint-Orens en quelques mots ? M : Oh, Saint-Orens, c’est le Bordel ! A : C’est devenu une ville heu… [Rires] M : Ils sont en train de construire partout. Y a plus de places pour stationner… A : Ah oui ça, si on pouvait partir… Q- Et ou est-ce que vous souhaiteriez partir ? A : Ouh ! Si on étaient plus jeunes, ça ferait longtemps qu’on serait parties. M : Du côté de Caraman, moi. A : Nous on habite dans l’avenue du « Saint Nabouille », je peux vous dire que… M : Oh là, c’est infernal, ça n’arrête pas !

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A : C’est infernal, in-fer-nal ! Y avaient mis des ralentisseurs, ça freine un petit peu [accentuation sur le « un petit peu »] les voitures… Ils les ont enlevés et à la place ils ont mis des coussins berlinois, ça ralentis pas du tout… C’est le bazar, Saint-Orens, c’est le bazar ! A : Ah ! Vous voyez là ? [En passant les arbres marquant le ruisseau] Les arbres sont jolis quand même de ce côté. Bon après là… [En parlant de la zone industrielle] ben oui, mais qu’est ce que vous voulez faire…

[Un silence] M : Bon et puis là, on arrive sur la prairie. [En montrant l’emplacement de la parcelle messicoles] A : Oui, elle est bien cette prairie ! M : Parce que cette année, y ont rien fait, mais l’année dernière, c’est là qu’ils avaient fait le blé. Ils étaient venus moissonner, comme à l’ancien temps et tout. Bon, nous on était pas venues voir parce que c’était l’après-midi je crois qu’il l’ont fait, et nous vous savez, on devait pas être là. Mais bon, on le sait quoi hein, parce que tout le monde en a pas mal parlé à l’époque et les gens ont bien aimé, donc on le sait. A : Y avait tout ça là [En embrassant la parcelle d’un geste] M : Tout ça était… du blé. Ils l’ont moissonné, ils l’ont entaillé, ils l’ont mis en botte… comme autre-fois. Mais de toute manières, c’est marqué sur les… [En montrant les panneaux d’information placés tout le long du chemin] y a despetits machins là qui vous indiquent. A : Et puis bon, c’est bien. C’est mieux qu’il y ait du blé plutôt qu’ils nous construisent des maisons là hein ! [Rire] M : Oui, cette année y a pas de blé, ils l’on laissé en jachère. A : Ah oui ! Il vaut mieux voir des fleurs que des constructions hein ! Y en a assez de l’autre côté… c’est de la folie.

[Arrêt sur le panneau d’information] A : Vous voyez, c’est là que c’est marqué tout ce qu’y ont fait. Y ont fauchés comme autrefois, à la main… à l’ancienne ils ont fait ça, ils sont venus avec des charettes et… Toutes ces initiatives là, moi je trouve ça bien, si on pouvait revenir à l’ancien temps M : Oui, c’est bien… Moi je dis que tout ce qu’y font pour faire revenir la nature, c’est bien. Parce que pour moi qui suis d’ici eh ben, je peux vous dire que ça a drôlement changé hein ! A : Ya avait plus de papillons, y avait plus de coccinelles, y avait plus d’abeilles, y avait plus de… plus de coccinelles ! Alors que maintenant ça revient ! M : Surtout les papillons. A : [Sur un ton rieur] Et puis les serpents ! Ah ça, les serpents y en a, comme vous avez l’eau là… des aspics ou des espèces de serpents… Enfin nous, on en a jamais vu mais bon, y parait qu’y a des petits zigzags… M : Moi non plus je n’en ai jamais vu, bon... mais on nous a dit qu’y en avait.

[Un silence] A : Bon ben on va vous quitter ici nous, c’est ici le point de retour pour nous ! J’espère qu’on vous a aidé quand même… Vous savez nous on connait pas grand-chose de tout ça [Rire] !

***

2- Louis et Priscilla, 68 et 63 ans L : Nous on vient se promener pratiquement tous les jours ici… parce que le circuit est agréable heu… une partie du circuit est protégée du soleil et… P : Et puis il est plat, ya pas de côtes à monter. L : Pour des raisons de santé aussi, ça fait du bien de marcher.

- Pourquoi est-il « agréable » ce chemin ?

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L : Oh ben parce que… y a plus agréable parce que il n’y aurait pas la zone industrielle, ce serait en-core plus joli. Mais c’est agréable parce que heu… le chemin est verdoyant quand même. On y fait des rencontres, heu… on y voit parfois des animaux… parce que… P : Ca a été bien aménagé quand même. L : L’individu se plaît bien, en général, dans un espace vert. Y a de la tranquillité…

- -Et l’aménagement, vous le trouvez bien oui ? P : Oui, moi je trouve qu’il est pas mal oui, l’aménagement. L : Bon, le paysage n’est pas… extraordinaire ! On est quand même près d’une ville, on est près de Toulouse, donc heu… c’est rare de trouver ce type d’aménagements, mais… c’est une tendance qui se manifeste de plus en plus… la recherche de cadres comme celui-ci, agréables. Y a une prise de cons-cience chez les individus, les responsables, qui apporte de plus en plus ce type d’approche.

- Donc vous trouve ça bien. L : Ah oui ! oui, oui on peut pas dire que c’est pas mal. P : Bon après… c’est vrai qu’on est proches de la zone industrielle, donc heu… c’est pas très agréable à voir. L : Oui bon… on peut pas… les municipalités n’ont pas les moyens d’aménager, par exemple, une partie végétale, arborée, qui cacherait. Boh… mais bon, c’est pas mal quand même. C’est vrai qu’au plan… comment dirais-je… au plan environnemental, c’est pas l’idéel cette zone industrielle à côté, c’est sûr. P : Mais enfin, c’est déjà pas mal, je trouve. L : C’est pas mal oui.

- Bon parce que là y a la zone industrielle, et puis de l’autre côté y a autre chose aussi… [En voulant parler du paysage de campagne…]

P : Oui, y a les voitures aussi de ce côté. L : On entend quelques voitures venant de la route là-bas oui…

- Vous habitez sur Saint-Orens ? L : Oui, dans la ville, pas loin, à 20 minutes d’ici

- Et vous trouvez ça bien d’habiter ici ? L : D’habiter à Saint-Orens ? Haaa… P : [Rire] C’était mieux quand on est venu parce qu’y avait pas autant de monde L : Et oui, oui ça a évolué. Ca… ça n’évolue pas comme on voudrait. Ca devient un entonnoir où l’on est piégé par la circulation de plus en plus. Ca c’est une remarque qu’on a du… vous déjà faire.

- Et vous êtes arrivés quand ? P : En 70. Donc…

- Et pour quelles raisons principalement ? L : Eh ben parce que y fallait construire et on a cherché un terrain et on a trouvé ici. Et… à l’époque, Saint-Orens nous a plu parce que c’est une petite ville. P : Un peu un village même. L : Un village, de 1500 habitants, et tout ça n’existait pas [en montrant la zone industrielle] Mais malheureusement… P : Oui, c’était la campagne à l’époque. Maintenant, c’est plus la campagne.

***

3- Phù, 69 ans Phù se repose sur un banc lorsque je viens lui parler. Nous partons ensuite dans le sens inverse. Il m’apprendra durant la conversation qu’il est d’origine vietnamienne ; il me parlera alors avec… beaucoup de philosophie ! Que pensez-vous le l’aménagement de l’espace naturel ? Je trouve que le chemin est bien aménagé la… pour les randonnées et y a beaucoup de pédagogie sur les arbres et… sur les herbes, les poteaux là [en me désignant un panneau du doigt]. Et… y faudrait développer un peu plus sur la pédagogie, parce que les gens marchent et ils ne connaissent pas le nom

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des fleurs… des abeilles, des insectes tout ça. J’aimerais qu’il y ai plus de connaissances, comme ça au moins, ça travaille les neurones [Rires] Ca donne une certaine culture. Et vous venez souvent marcher ici ? Oui, oui, tous les matins… pour la santé. Et vous aimez le cadre ? Oui… pas terrible, parce qu’y a les voitures à côté. Sinon heu… si y avait pas les voitures ça serait bien. Je marche jusqu’au sommet de la colline, c’est là que c’est bien, c’est plus sauvage, c’est plus isolé. Ouais, j’aime bien les coin isolés, on entend pas le bruit des voitures. C’est l’essentiel hein, c’est pour le calme de l’esprit [Rire]. Et vous habitez où ? A Saint-Orens, dans la ville, au centre, sur le boulevard principal, oui. Et au niveau de l’aménagement, vous en pensez quoi ? Heu… c’est pas trop bien entretenu. Par exemple, les mauvaises herbes là [en montrant les herbes hautes]. Oui ça… ça manque un peu d’argent quoi, d’entretien. Par rapport aux autres pays, je voyage beaucoup, et… la nature en France, c’est un peu négligé. Ce serait bien si c’était plus développé, comme je le disais, sur le plan pédagogique, enseigner les gens sur les flores, les faunes y en a pas beaucoup ici, mais les flores. Et l’aménagement, beaucoup de… pistes, là y en a une seule. Je pense que c’est parce que c’est à côté d’une ville, on peut pas développer plus. Les autres pays sont plus favorisés par la nature, comme heu… Hawaï… donc favorisé par les pistes [comprendre : les chemins] aux abords de la mer… Vous êtes arrivé quand à Saint-Orens ? Heu… 70. Vous n’étiez pas né ! [Rire] Et vous êtes venu habiter ici pour quelle raison principalement ? Je faisais les études à Paris, agrégé de maths et je suis descendu à Toulouse pour enseigner. Et j’ai enseigné pendant 40 ans à Toulouse, 70 jusqu’à… je suis parti à la retraite en 2009. Donc j’ai beau-coup le temps pour marcher… marcher, voyager beaucoup. Vous allez vous promener un peu dans la campagne ? Oui, un peu en haut là [en me montrant les collines où se termine le chemin]. Y a plus de verdure… Et pourquoi ne pas avoir habité à Toulouse directement ? Non, c’est pas… Les villes, c’est trop polluant, heu… atmosphérique et sonorité. Et donc Saint-Orens, c’est bien… Oui. Oui, c’est bien mais… ça va devenir moins bien. [Sur un ton rieur] Parce que les gens toulou-sains vont émigrer tous à Saint-O et voilà ! Et vous pensez quoi de la campagne ici ? La campagne... c’est bien mais faut aller dans le Gers, pas ici. Je suis allé dans le Gers, à… Saint-Martin, hum….. Auch, aux alentours, j’ai marché beaucoup là. Et là-bas c’est bien, il y a des côteaux, des vallons, beaucoup de… cultures, de… Et ici, y en a pas assez. C'est-à-dire, il faut aller là-bas, der-rière [comprendre : derrière les collines d’en face]. Souvent avec les amis, on a pris la voiture pour aller jusqu’à… Montdragon dans le… en traversant le… Castres… et heu… on gare la voiture heu… sur le parking du… de la mairie et on marche sur la montagne noire. Ca c’est bien oui, c’est joli. Si vous deviez habiter à un endroit maintenant, hors impératifs financiers, vous iriez à un endroit en particu-lier ?

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Le plus reculé possible. Le plus loin de la civilisation. [Rires] Le plus loin possible des voitures. [Un temps] C’est source de… je sais pas, l’essence augmente mais les gens ne savent pas maîtriser leurs dépenses et ils veulent tout. C’est comme les… les miroirs d’alouettes1, ils vont tous dans un miroir, ils se crèvent et ils crient « pourquoi ? », alors qu’ils vont se suicider dedans. Et les gens c’est pareil dans la ville, en dépensant énormément pour l’essence et puis ils crient que ça coûte cher. Mais heu… moi je trouve toujours une solution, ça vient de la volonté de l’homme, c’est de dire… comme un exemple qui me frappe à l’œil c’est hum, les joueurs de foot ; je regarde plus les matchs de foot parce que plus les gens regardent le match de foot, plus y a de l’argent, plus ils gagnent des sous, et plus ils sont heu, arrogants. Moi j’aime bien les joueurs de rugby, ils sont costauds, ils ont l’air bruts mais ils sont sympas quoi. [un temps] Revenons sur l’essence : au lieu de crier « c’est trop cher », il faut éco-nomiser au contraire, il faut plus rouler quoi… ou rouler à plusieurs pour aller au travail. Alors que dans un embouteillage, quand je compte le nombre de voitures, y a une personne par voiture. Il vaut mieux être très écologique, c’est la meilleure façon de contrer l’augmentation des prix hein. Mais moi je suis que à pied… pas à vélo, parce que à vélo, on est toujours embêté par les voitures, par les feux rouges… Du coup y faut porter le vélo sur la toiture d’une voiture et aller loin pour pédaler… là, on consomme de l’essence et ça, je suis contre. Si je vous dis « paysage », ça vous fait penser à quoi ? A l’oiseau, au chant des oiseaux. A la brise. Et c’est tout quoi, et le reste eh ben… Ici, y en a des oi-seaux, mais y en a pas beaucoup, ils son effrayés par le bruit des voitures, et puis y a pas assez d’arbres pour qu’ils se couchent. Vous êtes originaire d’où à la base ? Heu, Vietnam. [Un silence] Je suis venu ici à 18 ans, à Paris à 18 ans. Vous regardez un peu le paysage ici ? Oui, beaucoup. En marchant, j’ai que ça, admirer. Ca me fait la paix dans l’âme quand je vois le pay-sage. Les arbres qui poussent, c’est que pour moi il y a quelque chose qi est vivant. Et quand je vois quelque chose qui est vivant, moi je vis. [Rire] Quand on voit le désert, y a des gens qui aiment le désert… C’est un paysage, c’est superbe, c’est beau surtout le soir au crépuscule. Mais sinon, c’est un peu aride quoi, y a pas beaucoup de choses à voir sauf les dunes. Je suis allé voir le désert au Maroc, Agadir. J’ai fais presque tous les pays du monde, sauf… [Sur un ton rieur] sauf Iraq ! Iraq, Iran, les pays qui sont encore en guerre là, je n’y suis pas encore allé. Par exemple quand vous voyez ce paysage, qu’est ce que vous ressentez ? [En montrant la vue sur le chemin en bord de Marcaissonne] Si vous me le décrivez, ça donne quoi ? Ce paysage là ? Heu… des fois, j’ai vu dans mes rêves… j’ai rêvé d’être seul sur un sentier, isolé comme ça. Ca me donne le dépaysement, le… hum… d’être vivant parmi la nature, c’est ça qui me fait… qui me donne le bonheur de vivre. C’est dû à l’isolement et au calme aussi. Et, il fait beaucoup de verdure hein, le calme et l’isolement au désert on peut en trouver aussi, mais il n’y a pas beaucoup de verdure. Aussi, y faut la couleur, en gros, y faut la couleur. Et là, y a la couleur qu’il faut ? [En montrant l’espace naturel] Là oui, y en a. Tout en marchant, vous pouvez me décrire le chemin ? Me dire ce que vous ressentez… J’aimerais que ce soit un peu plus naturel, c'est-à-dire… moins de travail heu humain [en montrant le chemin aménagé de l’espace naturel], j’aime bien marcher dans les sentiers naturels, sur le flan des montagnes, des collines… comme ça je me sens plus proche de la nature que de l’artificiel fait par l’homme. Le sentier, pour qu’il soit romantique et beau, il faut qu’il soit naturel. C’est mieux que de marcher sur les sentier goudronnés, même ça [en montrant de nouveau le chemin], c’est encore trop travaillé par l’homme.

1 Phù fait référence à l’expression « le miroir aux alouettes ».

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[Un temps de silence pendant la marche] Là vous voyez [en montrant un banc à droite du chemin], j’aime bien me suis arrêté souvent pour contempler le paysage. Vous vous asseyez là et vous contemplez. Oui, ça c’est beau [En regardant le paysage de la photo 2 : il s’est arrêté exactement à l’endroit où la photo a été prise. Il y a a cet endroit une trouée dans la végétation en bord de Marcaissonne. S’ajoute à cela une courbe dans le chemin qui laisse à voir le chemin frontalement quand on arrive. Un banc, celui donc parle Phù est posi-tionné juste en face de la trouée, justement pour profiter de ce cadrage sur la campagne]. Pourquoi « c’est beau » ? Parce que y a la verdure, y a des plantations, je vois y a la vie, les cultivateurs ils ont laissé leur travail là. Ils ont fait le travail pour leur vie mais ils ont sculpté un spectacle pour moi. [Rires. Je ris aussi, il faut dire que la phrase valait le détour !] J’aime bien m’arrêter comme ça quand j’ai envie, c’est comme dans mes voyages, je n’aime pas tout prévoir… il faut laisser de la découverte, un peu d’imprévu. [Un temps] Moi je vais jusque là-bas [en montrant le hut de la colline dans les champs] et après je fait le tour comme ça, je prend la route de Cayras et je revient par le Leclerc pour rentrer chez moi après. Je re-viens par la route… oui c’est moins agréable mais bon. Il me parlera ensuite de quelques-uns de ses voyage, mais ceci n’est pas transcrit ici puisque s’éloignant de notre sujet d’étude.

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ANNEXE 3 ENTRETIENS REALISES AUPRES DES JARDINIERS

(Jardins partagés)

1- René, 76 ans Jardins partagés « Alain de Savignac » (sur la commune de Toulouse, en bordure de Saint-Orens) Appartement (Toulouse) Depuis combien de temps cultivez-vous ? On a déménagé ici il y à peu près 8 ans. Mais moi, ça doit faire 11/12 ans, à peu près. Oh oui, ça fait longtemps. Mais pas l’hiver. J’ai quand même quelques choux, des poireaux pour la plupart, des trucs comme ça, des trucs d’hiver. Certains font pousser aussi des salades d’hiver, mais moi je n’en fait pas. J’ai surtout des trucs d’été. Pour avoir une parcelle ici, quels sont les critères de sélection. Là, je crois que la plupart des cabanons sont pris. Ils sont tous complets maintenant. Ca appartient à un organisme qui en a plusieurs sur Toulouse, « Association des jardins familiaux de la Garonne ». Y en a 5 en tout. Mais c’est à Paris que tout se passe, c’est là-bas qu’ils gèrent tout. Puis dans chaque département, ils ont leur bureau spécifique. Donc c’est bien organisé. Cultivez-vous bio ? Moi, je ne cultive pas 100% bio. Mais je ne mets pas des engrais en veux-tu en voilà. Mon seul prin-cipe moi, c’est arroser, ni plus ni moins. Pour moi, c’est la nature qui fait son affaire, mais de toute façon ça coûte cher aussi tous ces produits. Pour quelles raisons cultivez-vous ? Pour moi. Pour la plupart ici, on est à la retraite, donc ça fait une occupation. Et après, on mange ce qu’on produit, donc on sait d’où ça vient. Est-ce qu’il y a une perte de confiance par rapport à la production agricole en général ? Un peu oui. Quand vous voyez ce qu’il se passe en Espagne, la façon dont ils font les produits et tout… ça vous fait peur un peu. Les fraises par exemple. Et dans certains pays, c’est rendement avant de faire la qualité. Et quand la qualité est pas bonne, on fait plus attention. Mais bon, moi, je ne suis pas 100% bio quand même. J’aime ce qui est sain, mais le bio carrément, je ne suis pas un fanatique. Cultiver, ça vous fait du bien ? Oui. Ben, on vit dans la nature, dehors. Et il vaut mieux vivre dehors que vivre dedans. Où habitez-vous ? Ici, à Toulouse, dans un appartement d’une petite résidence. La plupart des gens qui ont ici leur jardin sont sur Toulouse. A Saint-Orens, ils ont fait des jardins aussi les jardins d’En Prunet y a pas long-temps. Mais le terrain où nous sommes, c’est encore Toulouse, c’est pour ça que souvent on habite à Toulouse. La limite, elle est là-bas (en montrant une ligne d’arbres) à l’endroit de la Saune. Derrière un peu à gauche c’est Saint-Orens normalement. Comment est l’ambiance ? Là, on est toute une bande de copains, alors on vient là et on défait, on refait la France et comment marche le monde (rire) ! On s’assoit là et on fait la pause café, on boit les deux ou trois trucs qu’il y a et on discute.

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Vous avez cette parcelle pour vous tout seul ? Non, on est deux par parcelle. Le collège est parti juste avant que vous veniez, c’est dommage. C’était l’ancien responsable mais il a démissionné parce qu’il en avait marre. Les responsables ne sont pas là. C’est avant tout social. En plus d’une majorité de retraités, il y a aussi une petite moitié des gens sui cultivent ici qui viennent d’Afrique du Nord. Il y a à peu près 60 cahutes sur le terrain, avec deux personnes par parcelles, comptez à peut-près une soixantaine de nord-africains. Surtout algériens, et quelques marocains et tunisiens. Et d’ailleurs, dans quelques jours, ils organisent un méchoui, vers le 25 Août par là. Si je vous dis le mot « campagne », ça vous fait penser à quoi ? Ben à quoi ! Aux paysans ! Oui, la campagne, c’est les paysans, qui d’autre s’occupe de la campagne ? Mais je vais vous dire une chose : j’ai toujours vécu plus ou moins en ville. Par contre, je m’en vais chaque année A LA CAMPAGNE1, c'est-à-dire dans un petit hameau dans le Lot-et-Garonne, à l’endroit d’où sont originaires mes parents. Ca s’appelle Moncrabeau, en patois ça veut dire « le mont des chèvres ». Je vais y passer 3 semaines. Alors à cet endroit là, je vis vraiment la campagne. Parce que je me souviens, quand j’étais un peu plus jeune que vous, j’allais chercher le lait, les œufs à la ferme. Tandis que maintenant ces gens là (les paysans, ndlr) ont vieillis ; ils sont à la retraite. Et main-tenant, les jeunes qui ont repris, ils ne font plus ça. Ca a beaucoup changé. Ma grand-mère (du côté maternel) habitait dans un petit hameau où il y avait tout : la poste, le marchand de journaux, le bou-cher, le boulanger et tout. Maintenant, il y plu rien. Il n’y a plus que la mairie, c’est dommage. Pourquoi trouver-vous ça dommage ? Parce que tout ça, ça faisait vivre. Les gens venaient, il y avait le café aussi, un restaurant. Maintenant, plus rien, c’est mort. Il y a bien des gens qui sont revenus s’y installer, mais ce n’est que des vieux et des retraités. Il y avait une école avant, mais maintenant, il y plus beaucoup de jeunes, 2 ou 3 classes tout au plus. Parce que c’est un village de 300 habitants là : c’est vraiment la « campagne ». Alors, quand j’y vais, avec les autres retraités, on fait une petite partie de pétanque le dimanche. Mais cer-tains jeunes ont repris la propriété de leurs parents et font le blé, la vigne, ils font tout.2 Est-ce que vous pensez pouvoir habiter encore à Toulouse si vous n’aviez pas cette parcelle à cultiver ? Oui. Moi, oui. C’est parce qu’on a plus de commodités en ville qu’à la campagne. Par exemple, j’ai eu un problème une fois, j’ai failli décéder : j’ai l’aorte qui a éclatée, j’avais du sang partout, dans tout le corps. C’était justement en revenant du jardin, en entrant dans l’appartement, j’ai dit à ma femme : « je me sens pas bien ». Je lui ai dit, appelle le Samu ou les pompiers. Alors les pompiers sont venus, ils m’ont emmené directement à Rangueil et là-bas, ils m’ont sauvé. Si j’avais été à Moncrabeau à ce mo-ment là, c’est sûr que, le temps qu’ils m’emmènent à Agen ou à Bordeaux, à plus de 150km, j’y serais passé ! Donc voilà, il y a des avantages à vivre en ville. En tout cas pour moi, vue ces circonstances, j’y suis obligé. Et enfin, si je vous dis « paysage », à quoi cela vous fait-il penser ? « Paysage » ? Pas ici non. Mais le paysage, si on prend pas loin, c’est les Pyrénées. Le paysage, c’est les montagnes. Vous avez vécu un peu là-bas ? J’y ai vécu un peu puisque j’ai habité un temps à Pamiers et à Saint-Gaudens. J’allais beaucoup en montagne à ce moment là. Et que ce soit l’hiver ou l’été, c’est super beau.

1 Il y a une insistance sur ces mots, sans doute dans le but de signifier « la vraie campagne ». Cela est sans doute dit de manière à différencier cette « vraie campagne », de celle des environs (autour de Saint-Orens) qui en conséquence n’en serait pas vrai-ment une… 2 Grâce à une rapide recherche sur internet, il est aisé de trouver que le village possède en réalité 800 habitants. Il fait en effet « rural » en ce sens que la grande majorité des maisons sont ancienne. On est bien ici, dans ce qu’on appelle communément le « rural profond ». Les statistiques montrent une stagnation de la population. En revanche, la moyenne d’âge reste aux alen-tour des 40 ans, du à une arrivée massive de jeunes récemment.

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Et la campagne, est-ce que c’est beau ? La campagne… Bon, avec les anciens paysans oui ; ils faisaient leur terrain. Mais maintenant avec les jeunes, il faut faire rendement sur rendement. Alors, ils font du maïs, du blé… bof ! Vous savez, moi, la campagne… [Expression de désapprobation] Ou alors, avec madame, pas loin le matin à 8h, on va faire une promenade. On se promène, mais c’est pas la campagne « campagne » : c’est boisé, y a de tout… par exemple des noyers sauvages. Alors on ramasse des noix, et tout plein de choses comme ça, en bordure de chemin. Où se trouve l’endroit dont vous parlez ? Dans le Lot-et-Garonne encore. Mais là-bas c’est vert, c’est pour ça qu’on y va. C’est beaucoup plus vert qu’ici. C’est « vert »… ? Bien oui, ça veut dire qu’il y a plus de terriens qui travaillent la terre. Tandis qu’ici, oui y a des agri-culteurs mais il faut partir un peu plus loin, parce que la ville bouffe tout. Y a des champs mais il y en a de moins en moins, parce que petit à petit ils sont mangé. On construit partout. Vous voyez le bâti-ment là-bas (en montrant du doigt un immeuble rouge de l’autre côté de la Saune), il est pas vieux, avant, ça n’y était pas. Et nous on a de la chance quand même, par ce que vous voyez de l’autre côté (en montrant la forêt derrière les champs), on a un bois. Et il était convenu à un moment de construire à cet endroit une clinique parce que Toulouse c’est trop englué. Mais finalement, ils l’ont mise à côté de l’Hers, là-bas, plus loin. L’épouvantail que vous avez installé à l’entrée, c’est pour faire peur aux oiseaux ? Ah non, ça c’est le collègue qui l’a mis. Normalement c’est pour faire beau (rire), alors il a eu une idée, il a mis ça, comme ça ! Bof moi c’est pas trop mon truc ! Par contre, si vous cherchez un épouvantail, là y en a un en face. Là, c’est un vrai, ça c’est la forme ! Si vous allez à côté, un peu plus loin, vous trouverez un autre jardin partagé. Mais celui-ci c’est pour les employés d’Air France. C’est pas vieux, ça vient de se mettre là. Allez leur poser des questions aussi, ils vous répondront. Avant, ils étaient en bordure de rocade, et ils sont partis à cause du bruit. Donc ils sont venus là.

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2- Lili, 63 ans Jardins partagés « Alain de Savignac » Appartement (Toulouse, le Grand-Rond) Je vous fais visiter. J’ai 220 m². C’est très grand. Normalement nous sommes 2 ou 3 par parcelle, sinon c’est trop grand. On essayé de faire pousser des fruitiers, mais sinon on fait pousser un peu comme tout le monde, de légumes : salade, tomates, aubergine, courgettes… Où habitez-vous ? A Toulouse, dans un appartement. Vous cultivez essentiellement bio ici ? Oui, moi oui. Je ne mets que du cuivre, très peu. Du cuivre c’est tout. Pour quelles raisons faites-vous le jardin ? Qu’est ce que cela vous apporte ? (Soupir de soulagement) La tranquillité. Enormément de tranquillité. Ca nous nourrit aussi puisqu’on mange ce qu’on produit. On sait ce qu’on mange. Et puis, c’est convivial, on discute avec les autres, on se motive. Vraiment, j’aime bien. Ca me permet de prend l’air : par exemple il a fait un cagnasse pas possible toute la journée, et là, j’arrive et je peux prendre l’air.

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Vous dites que vous savez ce que vous mangez en cultivant ici. Est-ce qu’il y a une perte de confiance dans la production agricole courante ? Oui, énormément. Pour quelles raisons ? Parce qu’ils nous mentent. Je suis d’origine agricole, donc je peux vous en parler ! Je ne suis pas agri-cultrice, je vends juste des produits, la prune et tout ça. J’ai du terrain à la campagne, à Marmande, mais on ne fait que des arbres fruitiers. (Un temps) Bref, si je viens ici, c’est vraiment parce que je sais ce que je mange. Ca vient à maturité. Là, je viens de ramasser les tomates, elles sont mûres. Je vous en donnerais quelques unes si vous voulez, ce sont des variétés anciennes. Moi, je donne beaucoup. Si on en a, c’est pour donner. D’ailleurs, je plante certaines variétés exprès pour les donner aux gens. Mais vous arrivez un peu trop tard, hier j’ai donné à tout le monde, il ne reste plus grand-chose là. Ca représente beaucoup de travail un tel jardin ? Ah, je ne comte pas. Ca fait beaucoup de travail, mais bon, comme je prends du plaisir à le faire, je ne compte pas. Le plus dur, c’est une fois qu’on a le motoculteur, quand il faut le nettoyer, l’entretenir. Après ça va vite : en une demi-heure, je fais mes rangs sas problèmes. Le plus dur c’est de ramasser, d’arroser,… Bon, les tomates, ce n’est pas dur à ramasser, c’est pratique. Connaissez-vous des agriculteurs sur Saint-Orens ? Non, je connaissais un gars, mais pas à Saint-Orens vraiment. Si vous voulez en rencontrer, il faudrait que vous fassiez directement les marchés. A Ramonville le samedi, y a plein de producteurs. Mais pour ce qui est des champs autour de Saint-Orens, ça appartient à la ville et ils le louent à des paysans qui viennent cultiver. Le gars qui produit dans le champ là (en montrant du doigt le champ mitoyen aux jardins), il vient du Gers. Il a une propriété qui fait de l’ail et en même temps, il se loue avec ses trac-teurs et ses machines et il vient travailler là. Par contre je ne sais pas à qui va la production après. Donc c’est la mairie qui paie les paysans. Ca permet d’entretenir le paysage, par l’agriculture… Si je vous dis « campagne », vous pensez à quoi ? « Bestioles », « bêtes ». Tout ce qu’il y a plus maintenant. C'est-à-dire… ? « Vaches ». Y en a plus. Vous ne voyez plus de gens qui font de laiteries. Bon… (Une hésitation) d’accord, c’est la ville ici maintenant, mais même moi dans la campagne, dans le temps on faisait des vaches. Mais maintenant y a plus une, parce que c’est le lapin qui l’a bouffée. (Rire). Ah le salaud, on va bouffer les lapins bientôt. Et « ville », ça vous fait penser à quoi ? « Voiture ». « Bruit ». Mais c’est là que vous habitez. Ca vous gène ? Oui. Vous aimeriez habiter autre part ? Oui. Enfin, c'est-à-dire… J’aime les deux. Y a des choses bien à la vile qui sont pas dans la campagne. Mais vous avez le jardin. Oui c’est vrai. Et si je ne l’avais pas, je ne pourrais pas rester en ville. San jardin, c’est sûr que je ne pourrais pas. J’habite en centre ville, au niveau du Grand-rond, là où il y a le jardin des plantes. Et à cet endroit là, ça n’arrête pas de passer sans arrêt. Et puis, il fait chaud en ce moment ! C’est pour a, je viens ici un peu le soir, ça me fait du bien. Si vos deviez habiter à un endroit dans l’idéal. Vous iriez où ?

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Dans le pays basque. Parce que je connais un peu. Et puis le paysage : c’est bien vert, et il y a des ani-maux, c’est montagneux… Non, c’est bien le pays basque. Est-ce que les espèces que vous plantez son toutes dans la catalogue « officiel » ? Heu non pas toutes, on fait des récupérations de graines aussi. Et moi, j’essaie d’avoir des variétés qu’on ne connait pas trop. Je trouve ça à Sainte-Marthe. Par exemple ça, c’est un mélange poire-pomme, ça s’appelle nashi. C’est japonais. Sinon les semences kokopelli, on ne fait pas, ils vendent trop cher. Donc j’ai fait le jardin pour manger, et puis après pour donner aussi. Je tiens à peu près tout l’année avec ça, ça fait presque tout. Par exemple les haricots et les patates, j’en ai même beaucoup trop. Des citrouilles aussi… Vous payez un loyer pour cette parcelle ? Oui, 110€ je crois, à peu près, par an. C’est vraiment pas beaucoup comparé à ce que ça apporte en vrai. Si je vous dis « paysage », vous pensez à quoi ? (Un silence de réflexion) A une prairie. Oui, tout simplement, une prairie.

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3- Catherine et Laurent, 35 et 40 ans (et Laëtitia, 7 ans) Jardins partagés d’ « En Prunet » (commune de Saint-Orens) C : Les jardins font partis de la mairie. Ca appartient à la mairie et on loue la parcelle, tout simple-ment. Cette partie existe depuis l’année dernière, juin. Mais il y a eu la première partie là-bas (en mon-trant la deuxième tranche), qui a été livrée en 2010 je crois, il y a deux ans à peine. Et là, nus sommes sur la deuxième partie. Y a-t-il une extension de prévue ? C : Non, pas ici, non. Parce que demande a été faite pour faire de la pomme de terre en collectif, pour les jardiniers d’ici. Après, à la mairie, il y a eu d’autres demandes, pour d’autres jardins, mais ils ne pourront pas les mettre ici. Ils les mettront ailleurs sur Saint-Orens. Le champ là-bas appartient à un agriculteur ? C : Oui, M. Gers. C’est le monsieur qui est à la ferme là-bas, qui gère les terres. Cultivez-vous de manière écologique ? C : Ah oui, il n’y a aucun produit. Aucuns produits ne doivent rentrer. L : C’est censé être tout bio. Mais il y a une charte à peu plus loin là-bas sur le cabanon. C : Il faut rien faire rentrer, ne pas mettre de produits et de pesticides. Ils n’en veulent pas. Donc ça marche au compost et au moyen du bord. Plantez-vous des variétés anciennes ? C : Oui, il y a plusieurs jardiniers qui essaient de faire revenir des variétés anciennes, justement. Et par contre, on se les passe d’un jardinier à l’autre quand ça nous intéresse. Ca c’est vraiment bien, il y a une entraide. L : Et si on voulait monter un commerce, à priori je ne pense pas que ce soit permis. Le principal, c’est d’avoir sa propre variété, triée localement. Et ce qui marche, c’est de se les repasser les uns les autres. Au niveau des vols, il n’y a pas de problèmes ?

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L : Y en a un peu. Mais franchement, y a pas trop de problème. Seulement un peu pour les premiers haricots verts, et surtout pour les citrouilles quand il y a Halloween. Et oui, forcément… c’est tentant vu que c’est pas fermé. Pour les gamins… Après, il y a eu quelques petits vols de légumes en pleine saison, mais rien de très important. Ce que vous cultivez constitue un apport important à votre consommation ? C : Ben par exemple, l’année dernière, toutes les tomates et tous les haricots verts sont venus du jar-din. L : On a passé tout l’été, on a pas acheté une seul tomate. C : Du coup on a fait du coulis de tomate pour cette année, tellement on en avait. Pour les haricots verts pareil. Mais cette année on a commencé à mettre plus de choses. J’ai commencé à mettre quelques pommes de terre, des courgettes, des petits pois. L : Bon, ça ne fait pas toute la consommation annuelle, mais une grande partie quand même. La patate par exemple, ça ne nous fait pas la consommation annuelle, c’est sûr. Par contre les tomates, on a réus-sit à avoir une cinquantaine de kilos. Ca nous permet de faire des conserves de ratatouille… Et l’avantage, c’est qu’on sait d’où ça vient, ça c’est très important. Quelle est a taille de la parcelle ? C : Ca, c’est 100m². L’an dernier on avait une parcelle plus petite, de 50m². Mais déjà une petite par-celle, c’est déjà très productif. Y a deux types de parcelles, 50 et 100 m ². Donc en consommation d’été, ça doit faire près de 100%, parce qu’on avait mis des tomates, haricots verts, courgettes, heu… Laetitia : Des salades… C : Oui voilà oui, des salades… heu… des blettes, des céleris… Laetitia : des choux ! L : Et en plus si on a trop d’une chose, on peu échanger avec la voisine. Si j’ai trop de blette ou de tomate, elle me donnera autre chose qu’il me manque. Comme ça on se complète ! Et ensuite, si les conserves sont bien faites, ça peut des fois faire 50% de l’hiver. C : Après, on compte rajouter encore quelques petites choses sur l’espace qui reste, mais les semences , c’est pas donné ! Donc cette année, j’ai décidé de faire les semis moi-même, faire les plants, parce que c’est un budget, quand-même sinon. Une fois qu’on est passé à la coopérative, on peut parfois y laisser des sous ! Si je vous dis « campagne », vous pensez à quoi ? C : Les champs, l’espace, l’air pur. Laetitia : Les vaches, les fermes… des canards. C : Haha oui, ça c’est parce qu’elle a un livre sur la ferme. [Toujours sur un ton rieur] Bon après je sais pas si c’est très réaliste maintenant, mais bon ! Pour quelle raison ce n’est « plus réaliste » ? C : Ben c’est un peu la campagne comme autrefois, maintenant y a plus trop ça si on regarde autour, et même plus loin je suis pas sûre qu’on trouve ça à un moment. Bon… c’est dommage c’est sûr… c’est différent en tout cas ! Et la « ville » ? L : Ou là, c’est plus trop notre truc la ville. On a déménagé de Toulouse il y a 6 ans quand est née Laëtitia. Et maintenant, on est bien ici. C : Oui, on repartirait pas dans le bruit et la pollution. Sentez l’air ici ça a rien à voir. Si vous deviez décrire Saint-Orens en quelques mots ? C : C’est sympa. Les gens sont agréables, accessibles, pas comme en ville. C’est reposant et on est près de tout. Ca c’est vraiment bien. Et « paysage » ? C : La campagne. Une grande vue sur la campagne. Avec beaucoup de vert et des champs partout.

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L : Ah oui tiens, moi je voyais la plage, avec la mer et le soleil. Une île ! C : Ah oui… maintenant que tu le dit. Mais en même temps, vous en avez plein des paysages… Ca dépend de quoi on parle en fait… Et quel est celui qui vous fait le plus rêver ? C : Ben, vous savez on est bien ici, alors… La campagne on aime bien, vraiment. Après les autres paysages c’est plus pour les voyages.

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ANNEXE 4 ENTRETIENS MENES AU CENTRE TECHNIQUE MUNICIPAL

(acteurs des projets)

1- Michel Sarrailh adjoint au développement durable (CTM) Mardi 3 avril 2012 – 15h (durée : 1h15)

Question : M. Sarrailh, vous êtes adjoint au Développement durable de la ville de Saint-Orens de Gameville. Vous avez donc travaillé, par l’intermédiaire du CTM (Centre Technique Municipal), à la mise en service d’une parcelle agricole qui est travaillée (semis, labourage, etc…) selon des modes favorisant l’épanouissement des plantes messicoles, et plus généralement favorisant la biodiversité. La parcelle prend part à un projet plus large appelé « Espace Naturel de Marcaissonne » dont le principe est un enchainement en bord de rivière, de plusieurs espaces agricoles de types et de vocations différentes. Une promenade en somme, dont le but est à la fois éducatif et démonstratif. D’où vous est venue l’idée de cette parcelle, quelle en a été la motivation première ? Et comment le projet s’est-il mis en place au fil du temps ?

Michel Sarrailh : Au départ, il s’agissait d’une parcelle privée. Dans un premier temps, ça s’est fait dans le cadre d’un réseau vert de cheminements pédestres ou cyclables. Il y a eu des acquisitions de morceaux de parcelles en bordure de la rivière sur lesquelles ont eu lieu des aménagements, puis au fil des négociations d’autres parcelles sont devenues propriété de la ville, dont cette fameuse parcelle. A l’époque, elle était uniquement fauchée et tondue régulièrement (comme on entretenait jusqu’à présent l’ensemble des espaces verts soit en régie, soit par des entreprises sous-traitantes spécialisées dans les espaces verts). Donc entretien : dès que l’herbe poussait, on fauchait et on tondait, etc.

Donc on a évolué dans ce domaine, et cela s’est surtout fait par des contacts (un peu informels) avec le conservatoire botanique. Nous avions déjà été en relation avec eux par le passé parce qu’il y avait eu identification d’une plante endémique, la jacinthe romaine dans la vallée de la Saune : des contacts s’étaient établis en vue de préserver cette espèce endémique caractéristique des prairies humides. Le conservatoire qui avait un programme de préservation, de réimplantation des espèces messicoles (bleuets, coquelicots et compagnie, espèces associées à des cultures céréalières qui avaient disparues à cause de l’utilisation des produits phytosanitaires) nous a donc proposé de faire des semis et dans le même temps de voir comment étaient appréhendées ces plantes en bordure du chemin, qui est devenu maintenant assez fréquenté.

Q : Cette proposition de la part du conservatoire botanique était-elle spécifique à Saint-Orens ou a-t-elle aussi été faite à d’autres villes ?

Je ne sais pas s’il y a eu d’autres propositions mais d’autres essais de réimplantation ont eu lieu… Ils avaient notamment un axe de réimplantation en zone périurbaine mais je n’ai pas trop souvenir de leurs autres cibles. A la limite, nous pourrions vous donner les contacts des personnes qui ont géré le projet si cela vous intéresse, comme ça vous pourrez avoir plus d’informations à ce sujet.

Q : Pour quelle raison y avez-vous répondu favorablement ?

Disons que nous sommes toujours assez dynamiques sur ce genre de projet. Le fait d’enrichir la biodi-versité est pour nous un enjeu fort, nous étions donc favorable. D’autant que cela ne posait aucuns problèmes : il n’y avait pas d’impact financier pour nous, pratiquement pas d’impact non plus en termes de temps passé à travailler sur le projet.

Il y a eu cependant après la réflexion de se dire : « nous voulons des plantes messicoles, des plantes qui sont associées à la culture de céréales, mais nous n’avons pas de céréales… ». Nous nous sommes alors

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dit que nous disposions de ces 0,8 hectares de terres libres en friche et qui étaient alors tondus et fau-chés (comme je vous l’ai dit). Nous voulions des plantes associées à des céréales : « et si on plantait des céréales ? ». On est alors partis sur un projet un peu nouveau, qui s’est fait un peu de bric et de broc, même si un peu risqué, notamment à cause des délais... Ce qu’on s’est dit après tout c’est d’essayer de trouver des grains, faire de la culture bio, sans intrants et avec des variétés anciennes. Variétés qu’on a eu du mal à trouver et qu’on a trouvées juste au moment opportun pour semer : donc on a bien failli rater le coche, parce que pour trouver suffisamment de graines, un sac de blé pour ensemencer, cela n’est pas facile, surtout à partir du moment où on sort des espèces présentes dans le catalogue officiel.

Q : Le fait de sortir du catalogue officiel est considéré comme illégal me semble t-il. Cela ne vous a t-il pas posé problèmes?

Oui, c’est illégal, enfin normalement. En fait, le projet s’est fait en dehors de toute règle officielle… Moi, j’étais prêt à l’assumer, devant n’importe quelle attaque. Après, tout est défendable : se sont les juges qui tranchent ! Mais ce n’est pas moi qui pourrais préjuger d’un éventuel jugement ! [Rires] Après, cela dépend de qui traite le lieu, qui argumente le lieu !

Q : Une question un peu plus générale, concernant la ville cette fois-ci : comment s’est faite l’évolution urbaine de Saint-Orens ? Plus exactement : depuis quand Saint-Orens est entré dans l’espace périurbain de Toulouse ?

Il y a eu une forte croissance de la commune à partir des années 60. Celle-ci s’est prolongé dans les années 80-90 avec un développement classique, propre à l’étalement urbain : exclusivement pavillon-naire, sans réelle vision globale et un aménagement qui s’est fait surtout en fonction de l’intérêt des propriétaires terriens et des ententes avec les municipalités antérieures. Des parcelles d’îlots qui se sont mis en place sans qu’il y est de réelle cohérence d’ensemble : on pouvait certes en trouver au niveau des lots eux-mêmes (donc sur une surface de quelques hectares) mais pas entre eux : on peut voir des boulevards qui débouchent en cul de sac, des voiries surdimensionnées dans certains quar-tiers… Du pavillonnaire des années 60 donc, qui s’est développé du fait de la proximité à la ville centre. C’est d’ailleurs ce que l’on voit partout autour de Toulouse. Prenez par exemple L’Union : en terme de typologie d’habitat, vous verrez qu’il s’agit là de pavillonnaire dans sa pureté originelle [Rires]. La parcelle, la maison au milieu et voilà le plan terminé.

Ici à Saint-Orens, il y a des variétés typologiques : par exemple Catala, un quartier d’habitat social (proche de la limite de Toulouse, à l’Ouest de la commune) avec accession à la propriété est composé de maisons mitoyennes. Il y a des choses comme ça aussi dans le quartier des Chanterelles. Pour voir apparaître du collectif, il a en revanche fallu attendre la fin des années 90 : de l’habitat social notam-ment, situé près de la mairie.

Q : Le grossissement de la ville couplé à cette demande en maisons individuelle correspondrait-il à un déplace-ment de la population de Toulouse fuyant la densité pour s’installer à l’extérieur et ainsi se rapprocher de la campagne?

Nous n’avons pas de statistiques permettant de savoir où habitaient les gens auparavant. Mais oui, il y a sans doute eu pas mal de gens possédant dans un premier temps un appartement à Toulouse qui ont migré par la suite pour racheter du pavillonnaire, surtout vu le prix accessible… Ce qui est sûr, c’est que c’était le type d’habitat préféré des français. Et ça le reste encore aujourd’hui, il n’y a qu’à voir les statistiques… il s’agit du rêve de la maison individuelle, celui de devenir propriétaire. Ce modèle do-minant dans les têtes est toujours bien présent.

Q : Ces modifications soudaines ont-elles amené à des questionnements en termes d’aménagement ?

Alors, cela a posé des questionnements bien entendu, notamment avec l’élaboration du nouveau Sché-ma de cohérence territoriale qui acte le fait que nous avons trop consommé d’espace, agricole notam-ment, l’espace naturel et qui maintenant contraint à réduire de moitié la surface consommée annuel-lement: on devait utiliser 640 hectares par an, on doit être maintenant à 320 si je ne me trompe pas… Mais il vaut mieux vérifier sur les documents du Scott qui sont en ligne : « Scott toulousain » sur

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Google et vous trouverez les chiffres exacts. Bref, il s’agit donc là d’une injonction forte qui demande bien évidemment à être suivi, ce n’est pas seulement un vœu pieux…Cela implique bien évidemment la révision de certains points, notamment dans les PLU, puisque en plus des Schémas de cohérence nous sommes aussi soumis au Plan local d’habitat qui, selon des projections, imposent à la ville de Saint-Orens de construire plus de 200 logements par an. Nous devons donc répondre à tout ça, bien que nous puissions aussi émettre quelques bémols dans le cas où les infrastructures/transports ne seraient pas adaptés à la croissance en nombre de logements que nous sommes en train de mettre en place. Après, il y a encore d’autres documents qui doivent être phasés… Mais ce n’est pas tout puisque lorsqu’on crée des logements il est important d’assurer un certain nombre de services, notamment la possibilité de se déplacer facilement, sans parler des autres services associés, l’école, etc. Le métro aussi, qui sera un important levier de croissance va arriver à Saint-Orens en 2019 (ou tout du moins c’est la date que donne la planification). Donc il reste 7 ans à attendre. Il faudra à ce moment là que nous mettions en place des systèmes de rabattement des flux au travers de nouvelles lignes de bus supplémentaires… En fait, une des grandes erreurs qui a été commise, c’est qu’on a consommé de l’espace agricole, mais aussi des bonnes terres. C'est-à-dire qu’on n’a pas fait de distinguo quand on disait : « Cette zone va permettre le développement économique », on ne s’est jamais posé la question de la valeur des terres agricoles qu’on était en train de détruire. Alors que pourtant nous avons des outils, comme par exemple des cartes de la qualité des sols, etc. De la même manière dans le choix des bâtiments, que ce soit pour de l’habitat ou bien pour des infrastructures en vue d’un développement économique d’une zone, on n’a jamais corrélé la valeur agricole du terrain avec la perte éventuelle que pouvait constituer son changement de fonction. Il faut quand même préciser que la qualité des terres dépend aussi de ce qu’on va y faire pousser : la qualité de terre n’est pas la même pour la vigne que pour les céréales, le soja ou encore le maraichage car les contraintes et les besoins à es différents types de production sont différents. Cependant, on peut tout de même fixer des valeurs différentes selon les terrains, certains sols étant restés plus riches que d’autres, etc. Pour prendre un exemple de ce qui se passe, nous sommes en train de revoir le Plan local d’urbanisme et dans le document nous avons la carte « Qualité de sol » (bonne terre, moyen, etc.) mais personne n’a jamais pris en compte cet aspect qualitatif des sols dans le choix des implantations, alors que le document est bien présent, il a été ana-lysé et un diagnostic sérieux a été fait…

Dans le document du Scot cette fois-ci, sont mentionnées les terres qui sont protégées. Petite préci-sion cependant concernant ce terme : il y a les terres qui sont dites « protégées » et celles que l’on appelle « préservées », ce qui n’a pas du tout le même sens. « Protégées » veut dire que l’on ne doit pas y toucher (sauf lorsqu’elles ont besoin d’infrastructures prioritaires), alors que les terres « préser-vées »peuvent, elles, évoluer dans le temps. Par exemple, elles peuvent être préservées jusqu’à 2030, et on peut ensuite se reposer la question de continuer à conserver ou non ces terres agricoles. C’est donc une question de sémantique sur laquelle le commun des mortels sera incapable d’y voir une quel-conque différence. Il y a aussi tout un type de langage technique sur lequel il faut être très attentif et qui demande à aller voir les définitions très précises.

Q : La parcelle en question est-elle alors « protégée » ou « conservée » ?

Elle est protégée puisqu’elle est située en zone inondable. Le fait que les terrains soient en zone inon-dable constitue la meilleure des protections. Les zones inondables ont été revues en prenant en compte, face à l’expansion, les niveaux des crues décennales et centennales. Cela permet aussi de pro-téger un certain nombre de secteurs qui sans cela auraient pu être considérés comme constructibles. Ils l’ont d’ailleurs été par le passé : des remblaies ont été faits en zone inondable ce qui nous oblige maintenant à décaisser pour créer des bassins de rétention et d’écrêtage de crue. C’était très intelli-gent au final, puisque cela nous a fait dépenser quelques centaines de millions d’euros pour assurer ces bassins, justement parce que ces remblais avaient été fait dans le lit majeur de certaines rivières.

Q : En ce qui concerne le paysage agricole maintenant, avez-vous observé des transformations dans l’esthétique et l’image des campagnes entourant Saint-Orens ?

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Sur les transformations, il faudrait revoir (chose que j’ai commencé à faire puisque la question m’intéresse) les photographies aériennes depuis les années 50. Vous les avez en ligne sur Géoportail, elles sont en Jpeg 2, il faut chercher un peu et vous pourrez alors comparer les évolutions : les zones de forêt, les haies, etc.

Parce que c’est comme toujours : les exploitants cherchent toujours à avoir des parcelles de la plus grande étendue possible. Des parcelles toujours de plus en plus grandes pour faciliter les labourages, les bordages et tous les autres travaux. Et cela a évidemment un impact et va changer fondamentale-ment la vision qu’on va avoir de ces collines dans le Lauraguais.

Ce serait donc intéressant de pouvoir comparer à différentes époques : il y a du y avoir des suppression de haies, même si il y avait quelques chemins ruraux qui sont eux-même bordés de haies qui sont res-tés. D’ailleurs, on peut voir parfois dans l’habitat pavilonnaires la subsistance de certaines haies de chênes (comment pourrait-on les préserver, je n’en sais trop rien)… On a ce propos un petit diagnostic qui est en train d’être fait par une association qui s’appelle « Arbres et paysages d’autant » pour envi-sager une éventuelle replantation des haies (on a même commencé à certains endroits), avec naturel-lement tout ce que cela implique comme conflit avec les agriculteurs : disons qu’il y a quand même un frein de la part de certains exploitants agricoles dans ces coins là… Ca gène, ça fait de l’ombre,… y a plein d’arguments divers et variés. Bref, ce n’est pas considéré comme « rentable », ou tout du moins, à court terme…

Après, une manière de leur justifier l’action, est de dire que ces haies peuvent permettre une protection et feront que les gens aillent moins piétiner leurs céréales, etc. On peut donc trouver comme ça, des argumentaires détournés mais tout en montrant l’avantage de ces haies, tout comme leur intérêt en terme d’érosion des sols : quand les sillons sont bien dans le sens de la pente, en cas de forte crue et (surtout avec ce type de terre) les limons s’en vont. On peut le voir puisque la terre est beaucoup moins fertile en hauteur de crête que dans le fond des vallons (même si ce n’est pas en zone inondable). Limon a été emporté avec les pluies en l’absence de retenues. A ce propos, nous sommes impliqués dans les communes ou il y a des syndicats de ce que l’on appelle les « bassins versants » avec les SAGE (Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux, ndlr), etc. Sur l’Hers notamment (le Syndicat Mixte du Bassin Versant de l’Hers, ndlr), des documents opposables peuvent être mis en place pour pouvoir obliger dans les zones à forte érosion, à des replantations de haies en bordure de rivière, etc.

Donc l’intérêt de ce genre de travail est avant tout écologique : retenue des terres, filtration,… Et donc cela a un rôle non-négligeable et n’a donc pas un intérêt uniquement paysager. Cela peut avoir aussi un rôle au niveau du bois de taille, constituer un apport aussi en terme d’énergie renouvelable (récupérer le bois éventuellement) en tant que ressource énergétique d’appoint. Sans parler encore de tout ce qui est auxiliaire des cultures, faune et flore, qui ont aussi leur rôle à jouer dans la fertilisation des sols, etc. Donc convaincre les agriculteurs des intérêts de replantations de telles haies, suppose tout un travail pour les convaincre, cela demande également de les sensibiliser à des questions, des problématiques qu’ils n’avaient même parfois pas envisagées…

Q : Vous parliez de l’importance de ces zones de séparation entre les champs en tant que zones de biodiversité… Y a-t-il des politiques mises en place à Saint-Orens ? > ????

Oui, des espaces qui sont à l’abandon, des friches, des parcelles qui en attente d’appropriation sont laissés en friche, où la végétation et le boisement redémarre : ce sont des domaines qui sont assez riches, on le sait bien… Même sur des zones industrielles abandonnées, en bord de voie férrée aban-donnée, ces zones là sont considérées maintenant comme des possibilités de corridor dans certains cas, de continuité écologique… Donc nous essayons d’être actifs là-dessus : nous avons essayé de travailler (un petit peu à la marge quand même car peu de gens travaillent là-dessus) sur la mise en place des trames vertes et bleues dans les documents d’urbanisme, dans les nouveaux PLU. Il y a des nouvelles contraintes maintenant, liées au Grenelle, et un décret est paru en février 2012 (donc qui est quand même récent) qui permet d’avoir au niveau de la cartographie des PLU, une couche supplémentaire définissant les continuités écologiques sur le territoire concerné et ensuite, de décliner au niveau ré-

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glementaire, soit des préconisations, soit des obligations. Concernant les obligations, je ne sais pas encore trop ce que l’on peut faire, mais je suis de mon côté encore à la recherche d’informations dans ce domaine : on navigue sans trop d’éléments pour pouvoir justement préconiser ou imposer certains types d’aménagements qui favorisent le déplacement des espèces, là où les continuités écologiques sont définies. Mais là encore, on est dans la nouveauté et il est difficile de voir où cela nous mène réel-lement.

Ce mouvement découle d’une prise de conscience, qui est d’ailleurs impulsé par le ministère du déve-loppement durable... Notre ministre en ce moment est censé activer ce qu’on appelle les SRCE (‘les Schémas Régionaux de Continuité écologique’ ou quelque chose de genre) : c'est-à-dire que toutes les régions doivent définir ces continuités écologiques (ces trames vertes ou ces trames bleues) sur l’ensemble du territoire. Le problème est qu’on a un peu procédé dans le désordre et tout le monde n’est pas au même niveau d’avancement, donc ça reste un peu bordélique dans ce domaine : normale-ment il y a des schémas régionaux qui donnent les grands axes (l’axe Garonne par exemple, d’autres rivières, d’autres axes marqués par des continuités existantes entre différents boisements, etc.), cela se décline ensuite au niveau des schémas de cohérence territoriaux, et descend ensuite à l’échelle com-munale ou intercommunale (Si on est dans les PLU). Mais actuellement, on est dans le désordre le plus total : le SRCE n’est pas encore sorti, le Scot a défini quelques trames… Nous en avons justement eu une sur notre territoire à un moment, une autre est apparue avant de disparaitre… Donc est-ce que cela est du à du lobbying pour favoriser certains projets qui sinon seraient arrêtés ? Disons qu’on est en droit de se questionner…

Sur la commune nous sommes davantage volontaristes. Et si l’on s’en tenait aux Schémas de cohé-rence territoriale applicables, nous n’aurions que deux trames bleues qui sont liées aux zones inon-dables des deux vallées qui traversent la commune. Pour nous, ile est aussi important de recréer d’autres continuités écologiques puisque leur but est de favoriser les échanges entre les populations animales, ce qui est important, et découle d’une prise de conscience nouvelle. Jusque dans les années 80-90, on était dans une protection sous forme de réserves à l’emplacement de zones riches en espèces rares (parcs naturels et autres : il existe tout un ensemble de possibilité de protection) mais qui ris-quaient de se retrouver comme des isolats : risques de dégénérescence, appauvrissement, dispari-tion,… Les naturalistes préconisent donc maintenant qu’il y est des trames vertes et bleues afin qu’il y est des échanges. Sur la commune, nous avons donc deux axes qui sont Est-Ouest (pour simplifier) et le but est de favoriser d’autres possibilités de déplacement Nord-Sud. Donc nous essayons de recréer des continuités sur des voies qui se sont retrouvées complètement enclavées à cause des voies rou-tières et ferrées. La difficulté ici, est qu’il ne suffit pas d’établir une cartographie, mais aussi de vérifier que le dispositif mis en place est réellement fonctionnel : j’ai souvent vu de très jolis corridors écolo-giques tracés au marqueur sur des plans de nouvelles zones d’urbanisation, mais je m’interroge à chaque fois sur l’intérêt au-delà de l’aspect esthétique de la chose.

Q : Concernant le paysage agricole qui est en train de se transformer, avez-vous enregistré des demandes parti-culières, des plaintes, des avis de la part des habitants ? Sous quelle forme vous sont elles formulées ?

Nous n’avons jamais interrogé les gens pour savoir vraiment ce qu’il en pense, à vrai dire. Mais, on peut voir que les réactions qu’on rencontre sont très diffuses. La perception du paysage n’est pas de toutes manières une chose sur laquelle le commun des mortels est capable de répondre. Il y a bien entendu un phénomène de popularisation par le biais des médias, etc. mais je ne pense pas que cela soit si marqué que cela. Alors bien sûr, il y a toujours le souhait partagé de retrouver un paysage naturel, non perturbé par l’homme (bien que tout soit perturbé, il ne faut pas se faire d’illusions !) et le choix du pavillonnaire découle aussi de cela : profiter d’une belle vue, d’un environnement arboré, idéal même… Il y a donc toujours cette perception que l’on ressent très vivement chez les habitants.

En France, l’appréciation des paysages et la façon de faire des jardins ont été très formatés depuis la renaissance (puis cela a évolué au cours du 18ème-19ème siècles) au travers d’une maîtrise totale de la nature par l’homme, le pire résultat étant le jardin à la française. On y est encore confronté, mais je sens tout de même que les idées évoluent à travers notamment quelques exemples qui se produisent

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souvent à toute petite échelle. Il y a le cas notamment d’un cimetière dont l’aménagement paysager il y a un an et demi devait être revu : il s’agissait principalement de haies taillées vieillissantes qu’il fallait changer. Nous avons donc donné le choix aux habitants au travers d’un petit questionnaire de ce qu’ils préféraient : aménager sur la base de matériaux synthétiques, refaire à l’identique, ou encore mettre en place des haies variées qu’on laisse se développer tout en taillant un peu de temps en temps (pour éviter que la végétation n’envahisse trop les allées). Et c’est cette dernière solution (qui pré-voyait également de supprimer totalement l’utilisation de désherbants chimique pour l’entretien des allées) qui a été choisie par une majorité de gens. La condition de ce choix était que cela continue à rester propre, avec un espace toujours « maîtrisé » par l’homme, mais en acceptant cette fois-ci, d’autres formes de gestion et d’esthétique paysagère. Donc l’exemple est limité et la portée restreinte, mais plusieurs évènements de ce genre m’ont montré une évolution dans le rapport qu’entretiennent les habitants avec leur environnement.

La démarche mise en place dans le cas du cimetière et consistant à rechercher de nouveaux modes de gestion des espaces verts a été poussée davantage en ce qui concerne la parcelle de messicoles. Il s’agit cette de ce qu’on appelle la gestion différenciée, alors que jusqu’à présent les espaces verts étaient systématiquement tondus (dès que le niveau de l’herbe dépassait 7cm, on passait la tondeuse). C’était le résultat évident de la mécanisation des années 60 : tondeuses portées, autoportées, etc. Sur les zones commerciales également, nous étions aussi sur des aménagements reposant sur des pelouses bien vertes quelle que soit la saison et coupées à ras et avec accessoirement quelques massifs par-ci par-là… quand la totalité de l’espace n’était pas aménagé pour les bagnoles !

Pour les espaces naturels nous avons décidé d’arrêter de tondre. Là où les gens doivent se déplacer on nettoie (au niveau des sentiers ou des réseaux cyclables) mais pour le reste, nous laissons monter et ne coupons plus qu’une à deux fois par an (alors que normalement cela devrait être fait tous les 15 jours environ, avec des variations selon la pluviométrie et de la nature du sol). Cela donne lieu à une carto-graphie et une classification précise (sous forme de plans à codes couleurs) des espaces verts à entrete-nir et cela va de la friche, espaces naturel, semi-naturel, semi-horticole, horticole. Cette année, nous sommes sur des zones expérimentales et si cela marche, nous l’étendrons à l’échelle de la commune. Pour l’instant, nous avons déjà eu quelques critiques liées au « non-entretien » (ces critique peuvent-être aussi bien formulée par lettre que par téléphone, par contact avec les agences et les services con-cernés): certaines personnes exigent par exemple un entretien rigoureux en retour de la paie de leurs impôts, d’autres craignent que des serpents se cachent dans les herbes hautes… C’est pour cela que nous prenons la précaution de tondre en bordure des propriétés quel que soit le type d’espace pour éviter de susciter de telles craintes (même si elles sont, pour la grande majorité, infondées). D’autres critiques également, davantage naturalistes, énonçant une baisse du nombre d’espèces, qui nécessitent une réponse argumentée puisque un des arguments pour la gestion différenciée est de permettre (par une fauche plus tardive par exemple) à certaines espèces d’orchidées d’arriver à floraison : si nous fauchions tous les 15 jours, ce genre de plantes n’aurait pas la possibilité de subsister sur ces terrains.

Nous espérons en effet, par ces procédés, de voir des plantes ressurgir sur des parcelles qui étaient en prairie ou autre, de voir ressortir des espèces, voir même des colonies d’oiseaux, etc. Nous devons donc faire des points zéros en vue d’inventaires botaniques pour voir ensuite si il y a enrichissement des populations et du nombre d’espèces. Là aussi, il y a des soucis d’entretiens puisque dans certains cas il est plus intéressant d’appauvrir certaines prairies si on veut obtenir une plus grande diversité… Cela peut paraître un peu surprenant mais nous nous posons parfois la question de savoir s’il vaut mieux laisser ou emporter ce qui a été fauché, dans le but d’appauvrir le terrain et d’obtenir une plus grande variété floristique.

Je reviens aux critiques formulées par usagers. Nous avons déjà eu deux réunions avec les riverains et il n’est pas rare de recevoir de façon vive et frontale les réactions des habitants dès qu’on modifie l’habitus : il est une sorte de conservatisme qu’il n’est pas trop en mon pouvoir d’expliquer. On a eu des questions, mais pour la majorité celles-ci étaient en dehors du champ exposé qui consiste à une réduction de l’utilisation d’ intrants, de produits phytos-sanitaires, plus de pesticides, plus

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d’herbicides, une gestion incohérente des voiries également, économies de moyens, économies d’eau et de ressources (puisque plus d’essence pour les tondeuses, etc.),… Donc tout cela a l’air d’être accepté.

Q : Une sensibilisation sur ces questions est-elle menée auprès des habitants afin de parvenir à ce genre de con-sensus ?

Oui, elle est faite dans un premier temps à travers toutes ces réunions auxquelles tous les riverains sont invités à participer. Ensuite nous mettons en place une démarche visant à informer les prome-neurs. Par exemple, ceci se traduit sous la forme d’un parcours ponctué par des panneaux explicatifs dans le cadre de l’Espace naturel : L’idée est de travailler à chaque étape sur un thème, de l’illustrer et dans le même temps de questionner le lecteur à la façon dont il peut lui aussi contribuer à cette dé-marche par l’intermédiaire de son propre jardin (l’entretenir de manière écologiquement valable, avec par exemple l’utilisation de méthode biologiques de lutte contre les ravageurs et essayer de privilégier des écosystèmes équilibrés au lieu d’utiliser un produit phyto large gamme qui va tuer tout ce qui bouge dans le périmètre). Des évènements ont lieu également comme par exemple lors de la moisson, comme c’était le cas avec l’association Pastel. Des marches commentées avaient été organisées avec l’aide de service de communication de la mairie et auquelles tous les habitants de la commune et d’ailleurs étaient invitées. Des rendez-vous annuels aussi, comme par exemple l’évènement Avenir Durable qui dure un jour, avec tout un programme, mais là on est plus large car il s’agit de parler de gestes écologiques qui ne sont pas directement en lien avec les mesures prises par la mairie, une sensi-bilisation un peu plus générale donc.

Q : Auriez vous plus de précisions sur la clairière fruitière car je suis passé et n’ai pas vu d’arbres…

Des arbres fruitiers sont présents entre les caravanes des gens du voyage. Ils se sont installés là et nous espérons que l’endroit n’a pas été trop dévasté. Ce sont des jeunes fruitiers, c’est pour cela aussi qu’on ne les voit pas beaucoup pour l’instant, il faut compter 5 ans pour qu’il y est des fruits. Il va y avoir des rajouts de fait, cela fait parti des choses que l’on fait petit à petit : comme je vous le disais au début, le projet s’est monté de lui-même au fur et à mesure (demande de la part du conservatoire, décision de faire du bio, puis mise en place d’une parcelle agricole cultivée à l’ancienne, etc.), cela n’a pas été fait dans une programmation, dans une vision à long terme, et nous avons davantage démarré sur des coûts raisonnables et une organisation par tranches, pour se permettre une évolution, renfor-cer les aspects qui marchent et trouver d’autre solutions facilement et avec le moins de pertes finan-cières possible lorsque les résultats sont moins bons.

Q : La démarche de produire de la bière n’est pas banale pour une commune. Pourquoi s’être orienté vers ce type de production ?

C’est la même chose pour la bière : cela ne provient pas d’une programmation pluriannuelle mais plu-tôt de l’agriculteur qui nous a fournit la bladette de puylaurens (le blé que nous avons semé la pre-mière année) car il était aussi brasseur… Car la deuxième année, nous nous sommes demandé ce que nous allions bien pouvoir replanter mais comme à chaque fois ce n’était pas évident de trouver les graines pour les espèces anciennes... A un moment nous avions même envisagé de planter des pastels ce qui avait l’avantage de l’intérêt symbolique avec Toulouse à côté. Mais nous avions également pen-sé à l’orge et l’idée a été lancée de faire de la bière avec puisque nous connaissions le brasseur. Nous pouvions également utiliser l’eau de la Montanoire (nom ???) qui nous alimente et qui est une eau de bonne qualité (pas traitée comme l’eau de la Garonne et comme une grande partie des rivières de l’agglomération). En plus, cet agriculteur est bio… (le semis ayant été fait par un autre agriculteur du coin qui travaille souvent avec nous). Donc c’est de cette manière que le choix s’est fait.

Donc ce sont des projets qui ont été assez lourds à mener, puisque pour le blé, nous avons fait appel à une association qui répare du vieux matériel agricole et qui organise la campestral d’Aureville. Donc nous avons avancé pas à pas. Et cela n’a pas été triste puisque le blé avait été récolté à la faux, puis avec une faucheuse lieuse tractée par un vieux tracteur ; il a ensuite fallut que l’association transporte la récolte à Aureville pour aller le battre… Mais ce n’est pas tout puisque une fois qu’on a le blé, il faut le battre, puis en faire de la farine donc le sécher … Fort heureusement l’association avait un moulin

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pour réaliser ce travail. Ils sont enfin venus sur un marché pour le cuire et en faire du pain qui a aussi été vendu lors de la journée du Développement durable. Donc ce sont des choses qui vous mobilisent sans vous laisser vraiment le temps de penser à ce que vous allez faire l’année suivante (d’autant plus qu’il faut faire des assolements, etc.) : chaque étape doit être inventée et suivie pas à pas. Mais mainte-nant que les bases sont fixées nous essayons d’anticiper un peu, surtout que le projet de fabriquer de la bière avait donné lieu à des discutions et ce, même au sein des élus puisque certains se sont demandé si une municipalité avait bien le droit de produire de l’alcool… bref toutes sortes de débats que nous n’avions pas forcément envisagés.

Q : Le choix d’une association réparant du matériel agricole ancien a-t-il été fait dans un but de communiquer autour de l’évènement qu’est la moisson ?

C'est-à-dire que tout joue dans ce domaine bien entendu. Mais cela s’est fait après coup car comme je vous l’ai dit, tout a du être négocié à chaque étape du projet. Même avec les associations nous étions obligés de négocier : dans quelles conditions ils travaillent, qui vend le pain, à quoi sert le bénéfice de la vente, etc. Il faut à chaque fois s’interroger car on engage de l’argent public et nous sommes comp-tables vis-à-vis des administrés, ceux qui payent les impôts locaux.

Après, il est évident que cela crée une image très forte, un peu « revival ». C’est, sans être le principal, un des éléments du projet, au niveau culturel notamment : faire connaitre comment on vivait autrefois, avec quelle technique on parvenait à produire des céréales malgré tout, autrement qu’avec les outils actuels. Donc faire redécouvrir cela car il y avait parmi ceux qui ont travaillé sur la parcelle de vieux agriculteurs dont le témoignage est intéressant à connaître d’un point de vu historique. Bien évidem-ment, maintenant ces paysans se sont renouvelés dans les méthodes modernes (à part ceux qui sont dans l’agriculture biologique qui peuvent parfois encore utiliser la traction animale ou d’autres tech-niques anciennes)…

Q : Finalement et avec un peu de recul, qu’est parvenue à montrer cette initiative de parcelle cultivée à l’ancienne ?

Tout d’abord que c’était faisable. Bien évidemment, nous n’avons pas eu des rendements comparables aux plus grandes entreprises céréalières, mais certains agriculteurs du coin ont été étonnés des résul-tats de notre production. Ensuite, ce que je recherche de mon côté, c’est le moyen de faire de l’agriculture périurbaine en circuit court. La communauté urbaine commence à s’y intéresser mais ce n’est pas simple car il faut trouver le bon montage, à la fois l’exploitant et la diffusion (comment com-mercialiser). Il y a un exemple qui m’intéresse c’est à Sarpil (nom???), une petite commune près de Nice, qui exploite ses terrains pour la cantine scolaire. Pour mettre en place cela, ils ont embauché un agriculteur (une femme ou un homme, je ne m’en souviens plus) pour produire des patates, des lé-gumes, etc. afin d’alimenter la cuisine centrale. Nous-mêmes à Saint-Orens, nous avons des terres qui s’y prêteraient ; c’est une possibilité pour utiliser ces terrains. Un autre exemple de ce type est le ra-chat de terres par la régie agricole de Toulouse dans le cadre de projets d’urbanisation. Ces terrains qui étaient exploités de manière totalement classique sont en train de muter : ils produisent des cé-réales, du vin (qui est d’ailleurs infecte). Le domaine de Candie, pour citer un nom, qui est lui aussi en train d’évoluer vers la production bio. Donc encore une fois, la problématique a été ici de mettre en place toute la structure permettant d’aller de la production jusqu’au produit fini : comme c’était le cas pour nous, il ne s’agit pas que d’avoir les céréales, mais il faut aussi produire la farine et fabriquer les petits pains pour ensuite alimenter directement les écoles. Le problème est donc d’aller du point A au point B. Le point A ce n’est pas trop difficile : si on a des terres, que l’on est agriculteur et que l’on peut proposer un bail, c’est encore jouable. D’autant que les communes peuvent essayer de préempter des terres agricoles (à condition qu’ils aient un projet agricole) et peuvent être élus par la SAFER dans ce but. La SAFER peut donc aider dans le cas d’acquisitions de terres et décider de mettre quel-qu’un en bail, produisant ainsi pour d’autres destinations, en circuit court par exemple.

En revanche pour le point B, on accumule les contraintes. A cause de normes sanitaires diverses et variées, beaucoup de cuisines centrales ou même de collectivités se retrouvent démunies si on leur

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apporte des carottes, des patates ou de la salade tout justes sortis de terre : pour toute production froide par exemple, les légumes sont passés dans des bains de chlore (ils sont « javelisés » si on peut dire). Le producteur est-il alors à même d’assurer cette préparation ? Car dans les cuisines centrales, vous avez les circuits propres, les circuits sales, et tout est organisé pour qu’il n’y est aucune prépara-tion ou tout du moins, très légère : il y a réception des légumes dans leur jus et sous poche plastique et il suffit de détacher le sac, de verser le tout dans le chaudron, et c’est terminé. Donc pour faire du circuit court il faut favoriser la transformation sur place. Mais le problème est ensuite de connaitre l’échelle de cette transformation… Car nous sommes dans des systèmes agro-industriels tellement industrialisés que les salades passent par Avignon (où il y a de grosses légumeries) puis sont emme-nées par camion à destination ou même parfois par avion. Bon, c’est sûr, il s’agit aussi de ne pas être borné et de ne pas exiger des circuits courts trop exigeants : il existe de « locavores » capables de survivre dans un rayon de 5km, mais une autonomie locale à l’échelle de la région est déjà un grand pas et permettrait de gagner sur tout ce qui est émission des gaz à effet de serre, etc. en supprimant tout un tas de transports.

Q : La parcelle a-t-elle vocation à devenir à terme un espace public, un lieu d’échange social, ouvert à tout le monde ?

Un espace public, non, puisqu’il ne faut pas que ce soit piétiné. Ouvert, oui, puisque cet espace n’est pas enclos. Il profite à tout le monde également au niveau de la vue qu’il dégage ou qu’il offre…

Q : La question du vol ne concerne que peu la parcelle de réimplantation des messicoles puisqu’elle produit des céréales… En revanche, qu’en est il de la clairière fruitière, car il semble que cet espace doit devenir un espace de cueillette ouvert à tous ?

Pour la parcelle de messicoles il y a toujours le risque de piétinement qui est craint, pour l’instant il n’y a pas eu de dégâts à déplorer. Pour le vol, c’est sûr qu’on craint moins que si on y faisait pousser des citrouilles ou des tomates...

En ce qui concerne la clairière fruitière, il est en effet prévu que les gens viennent cueillir les fruits sur l’arbre. Après, il y a toujours ce risque d’appropriation par quelques uns, des destructions, des bris de branches, etc. C’est un risque, il s’agit ensuite de tout un problème d’éducation, de citoyenneté qui n’ont rien à voir avec le projet en lui-même. On peut le voir : les clairières fruitières sont déjà soumises à des problèmes d’appropriation illégale par des gens qui y ont posé leur caravane et qui se baladent sur le terrain toute la journée. J’ai essayé de voir s’il y avait eu des bris d’arbres, quelqu’un m’a dit que deux avaient été cassés. Il y a des risques à tous niveaux, dès que vous mettez en place un espace pu-blic, tout est possible… Donc on expérimente en espérant que cela marchera.

Dans une autre zone, des jardins partagés ont été mis en place. Et c’est la même chose : la question clôture/pas clôture a donnée lieu à des débats assez forts (parce que conflictuels). Nous étions partis sur l’idée de ne pas mettre de clôtures mais après coup, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait les chiens qui venaient manger. Donc finalement, il va surement y avoir une clôture. Mais là aussi, il y a eu un plantation d’arbres fruitiers pour les jardiniers, mais ils se gèrent et c’est à l’association de régler les problème si certains prennent une trop grande possession de ces arbres qui appartiennent à tous les autres jardiniers. Ce n’est pas à nous d’assurer la bonne distribution, la récolte, etc. Cela oblige à un certain savoir-vivre ensemble.

Q : Pensez-vous que cette initiative qui consiste à protéger des terrains agricoles dans la ville peut se générali-ser ?

La clairière fruitière, j’en suis persuadé. Si on prend l’exemple du maraîchage, on a besoin de très peu de terre pour faire vivre quelqu’un (qui vit au Smic). Cela va bien sûr à l’encontre du discours domi-nant, celui des chambres de l’agriculture ou des agriculteurs céréaliers. Si vous leur dites qu’avec 1hectare ou 2 vous pouvez vivre, ils vont vous prendre pour un fou ou dans le meilleur des cas pour un soixante-huitard attardé qui vit sur une autre planète…

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Q : Qu’en est-il du lien entre l’agriculteur et sa terre : Y a-t-il un attachement encore de nos jours ou bien celui-ci se perd-il ?

Oui bien sûr, mais on n’est plus dans le même attachement viscéral, atavique, familiale. La valeur fi-nancière est là et ne peut que monter, surtout en bordure de ville. Il y a toujours un côté « skyzo-phrène » chez les agriculteurs entre d’une part, conserver l’outil de travail (et essayer de l’étendre : une tendance à l’expansion pour s’insérer dans le creux des marché, pour des raisons de coûts, etc.) et d’autre part, le souhait toujours présent de le vendre comme terrain à construire afin de réaliser une bonne plus-value. Donc pris entre deux discours qui sont opposés au niveau de résultats. Certains le justifient en disant que les retraites des agriculteurs sont faibles : pour eux la vente de terrains en zone urbaine ou périurbaine constitue finalement une aubaine pour constituer un capital et pouvoir vivre confortablement leur retraite. Mais ils sont dans des situations très contradictoires en zone périurbaine, c’est clair. A Saint-Jory par exemple, qui est une zone très maraichère donc avec de toutes petites parcelles, il y a bien évidemment le discours officiel mais lorsque vous voyez le nombre de gens faisant la queue pour demander auprès du commissaire enquêteur l’évolution de la parcelle en cons-tructible, vous voyez bien qu’il y a un conflit interne. Ici, c’est une situation très différente puisqu’il y a 4 agriculteurs. Donc statistiquement, je ne peux pas juger par rapport aux agriculteurs de Saint-Orens (ce ne serait pas très pertinent). En revanche, ils ont également tendance à vouloir toujours agrandir leurs terrains, nous l’avons notamment vu sur des problèmes d’affectation de terres pour des baux. Le problème sur ces secteurs là étant que nous avons de plus en plus d’entreprises extérieures qui vien-nent travailler les terres ; ce n’est donc plus des agriculteurs exploitants. Ceci est surtout lié au vieil-lissement et il y a une transformation dans les modes d’exploitation, un transfert par sous-traitance.

Q : Si on envisage une éventuelle généralisation de la démarche entreprise par la parcelle des messicoles qui consiste à protéger des terrains agricoles dans le périurbain, quels sont les outils à votre disposition pour la mener à bien ?

Une fois que nous sommes propriétaires, nous pouvons en faire tout ce que nous voulons comme changer l’affectation, etc. Nous disposons d’autres terrains situés en zone naturelle qui pourraient permettre d’implanter d’autres jardins partagés par exemple ou éventuellement utiliser des parcelles pour faire de l’agriculture et mettre à disposition des maraîchers. Cette année, nous devons d’ailleurs acquérir dans la cadre de la création d’une ZAC, les terrains permettant la création d’un parc urbain au niveau communal dont la gestion est à définir. Donc pourquoi ne pas y implanter des îlots de cul-ture sous forme de jardins partagés puisqu’il s’agit de logements collectifs.

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2- Thierry Albert et Jean-François Robic (CTM)

Mardi 20/3/12 (14h30-15h30) Lieu : Service espaces publics et biodiversité (CMT de Saint-Orens de Gameville) M. Jean-François Robic, directeur adjoint du CTM M. Thierry Albert, Directeur du services « Espaces verts » Premier contact avec le projet d’ « Espace Naturel de la Marcaissonne » : parcelle agricole test pour la sauvegarde des plantes messicoles et clairière fruitière. Situation et description, ques-tions générales sur les enjeux de ce projet et les motivations, mise en place, etc…

Les phrases et bouts de phrases entre «… » sont des citations issues de l’entretien.

L’absence d’appareil d’enregistrement a été un manque, qu’il faudra combler lors des prochaines rencontres, ceci obligeant à prendre des notes et amenant à une perte d’informations…

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Ambiance générale agréable, les personnes se sont montrées concernées par ma demande et ont fait preuve d’attention. Ceci lié sans doute à la passion qui semble animer les personnages dans le travail. Il m’est apparu un investissement important de leur part dans les différents travaux menés par le service. Ceci car : ils pensent profondément que ces travaux sont importants et novateurs, et donc jalonnent le terrain. L’impression que quelque chose se joue en ce moment pour le futur.

Ceux-ci n’ont pu m’accorder qu’une heure par manque de temps et nombreuses de mes questions sont restées sans réponses.

Sur la fin de l’entretien le ton est devenu de plus en plus passionné (les langues qui se délient !) et d’un début davantage professionnel (réponses simples aux questions posées), on est passé à l’émission d’idées plus idéalistes à long terme, et de visions davantage tourné vers le nostalgique et l’aspect politique des travaux menés (c’est là que m’est apparu le manque de magnétophone car la réécoute aurait été enrichissante)

- Documents fournis : o Une note technique (A4 recto-verso) a été fournie, décrivant « Objectifs » du projet,

la « Chronologie du plan de culture de la parcelle agricole », et détaille « Le projet de transformation des produits bruts »

o Un prospectus « Avenir durable » d’avril 2011 qui liste les différents évènements de sensibilisation auprès du public autour du projet

- Chronologie/détails :

Mise en place de la clairière fruitière « il y a 2/3 ans ». Nous la mettons de côté pour l’instant, mais elle méritera plus de détails par la suite. Le projet est cependant intéressant puisqu’ « à terme, le pro-jet vise à permettre à chacun, les enfants et les mamies de se promener librement et de cueillir des bananes [avec l’accent + rires] et autres fruits dans les arbres ». Un projet qui peut donc se révéler être un apport d’autant plus intéressant pour le mémoire qu’il semble légèrement idéaliste.

Il exit également une AMAP sur la ville. Sa liste d’attente affiche complet, signe que la demande est là.

Le centre de l’attention a été davantage porté sur le projet messicoles durant le reste de l’entretien.

- Parcelle de 8000m² en bordure de la Marcaissonne (petite rivière se jettant dans l’Hers). « 80m de long pour 20m de large à peu près »

- 2009 : semis de blé d’espèces anciennes. Ensuite récolté « à l’ancienne » : faux, bateuse lieuses d’époque, bottes de blés, etc… Battage des blé toujours à l’ancienne au Campes-tral d’Aureville (voir site internet, très intéressant : « un village où il fait bon vivre », « où les valeurs de l'Occitanie sont présentées : Théâtre, musique, patrimoine agri-cole ») : regroupement massif de personnes pour battage collectif (comme autrefois, be-soin de beaucoup de main d’œuvre, occasion de festivités, perte importante de 20% de production en moyenne par rapport au procédés mécanisés actuels). Meulé pour faire la farine.

- 2010 : vente sur le marché de Saint-Orens. M. Albert et Robic rapportent un « véritable succès ». M. Albert : « Les gens ont pu voir que le pain était aussi bon voir meilleur que dans les boulangeries de maintenant, sauf qu’en plus ils ont pu le conservé très long-temps, comme le pain qu’on mangeait dans les campagnes et pour le même prix». Le bé-néfice n’est pas recherché dans l’opération, ceci ayant une vocation plus large.

- 2011 : Semis d’orge sur la parcelle. Puis récolte (800kg) et analyses phyto-toxine pour supprimer tout risque. Puis réalisation d’1 tonne de bière (2700 bouteilles 75cl). La bière n’a pas été encore vendue ni consommée. Ce sera le cas lors d’évènements organisés par

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la municipalité. Ex : Avenir durable, le 7 avril prochain / la fête locale les 11 à 13 mai, des manifestations, etc.

- Motivations et naissance du plan de sauvegarde :

Sur ce point, peu d’informations et à prendre avec des pincettes (le discours a aussi pour but de vendre le travail accompli). D’après M. Albert, cela vient principalement d’une prise de consciences des élus locaux concernant la qualité de la nourriture. Pas de détails précis sur la génèse du projet (l’étincelle, qui a lancé l’idée, directives venues d’en haut ?, etc…) mais l’intérêt de mettre en place une tracabilité des produits con-sommé par les habitants de la ville a joué un grand rôle : relocalisation de la production, mise en place de circuits court et favorisation du bio, etc… sont sans doute à la base de la politique agricole mis en place par la ville depuis quelques années.

M. Albert souligne un rapport évident entre production du terroire et qualité de la nourriture. Ceci n’est pas sans rappeler la renaissance des produits locaux à la suite de la création des parcs naturels dans les années 90 (voir Donnadieu) : « C’est même existentiel : lorsque rien ne va, le boulot, les rela-tions tout ça, lorsqu’on a plus grand intérêt à vivre, il nous reste quoi hein ? Ben la nourriture ! ».

Il a d’ailleurs été rappelé à ce propos que l’intérêt pour une consommation plus saine et plus « sûre » est directement lié à des enjeux d’ordre « paysagers, économiques, et humains, sociaux », « créer des échanges, une vie de quartier ».

En sommes, la motivation première se résume à ce que l’on entend un peu partout concernant l’agriculture urbaine (voir article internet de la définition), ce qu’on appelle généralement « dans l’air du temps » (voir schémas B. Monbureau, master urbanisme). Non que ce soit un mal, bien au con-traire. Disons, qu’il s’agit surement d’une prise de conscience très tôt de certains élus : on ne peut pas non plus parler ici de projet « novateur » ni « avant-gardiste », mais il faut reconnaitre à la municipa-lité de Saint-Orens une grande implication dans ces questions liées à la biodiversité et à l’importance de l’aménagement du territoire sur les aspects sociaux, économiques et paysagers.

Ces efforts ont été récompensés par des prix : elle a été notamment nommée « Capitale française de la biodiversité dans la catégorie des villes de 2000 à 20 000 habitants » (article : Saint-Orens-de-Gameville. Sempé : "La biodiversité passe par la zone de Tucard").

Point important !

A la fin de l’échange, il a été évoqué que dans « l’idéal, on imagine carrément des charrues tirées par les chevaux dans les champs. Et pourquoi pas des moutons paître, ce serait génial. En fait, je crois qu’on est un peu fou [rires], mais je crois qu’on ne fait rien si on est pas un peu fou ».

- « Un échange de bons-procédés » :

Le semis a été fait par un agriculteur du coin (pas de nom). La commune met à disposition la parcelle sans aucun retour financier : l’agriculteur sert ici à la main d’œuvre et à l’apport des machines néces-saire à la réalisation de ce travail (ici, le semis).L’agriculteur d’après M. Albert n’ « a pas spécialement cru en le projet de la mairie, mais a davantage vu en cette dernière un client potentiel ». Ainsi, l’agriculteur n’a pas semblé autant sensible aux objectifs du projet qu’aux retombées financières poten-tielles liées.

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Concernant les associations, certaines ont été citées, et ont joué un rôle primordiale dans la mise en place du projet : association « PASTEL » et « Arbres et paysage d’autant » (un nom qui en dit long) entre autres. Ces associations regroupent des passionnés qui semblent motivés par un attachement aux paysages et valeurs « d’autrefois », cultivent à l’ancienne et organisent des évènements autour de leurs actions. Mais ceci est bien trop flou et mérite plus de précisions quand à ce qui anime réellement ces associations. Des rencontres peuvent être prévues pour mieux comprendre tout cela. Par ailleurs, les projets tels que celui de Saint-Orens (sur lequel des associations ont travaillé) sont un support de publicité non négligeable : largement relayés par la presse locale et faisant l’objet d’une communica-tion de la part du service spécialisé de la ville, ces travaux sont une opportunité pour ces association de se faire connaitre davantage ou tout du moins de faire parler d’elles. En sommes, il s’agit dans chacun des cas d’un « échange de bons procédés ». Chacun y tirant avan-tage : la ville qui dispose ainsi sans frais des compétences qui lui manquent, celles liées au travail de la terre notamment. Les agriculteurs un apport financier et un travail de la terre sans location de terrain (donc tout bénef). Les associations un endroit pour réaliser leur actions et un support de communica-tion automatique. « Ceci correspond bien au travail mené qui est avant tout à vocation humaine et sociale, basé sur l’échange et la bonne volonté de chacun ».

- La communication

Elle est apparue comme un point fondamental du projet, par une sensibilisation des différents acteurs, « les principaux intéressés » : agriculteurs et surtout des habitants : « c’est surtout pour eux qu’on fait ça ». Des panneaux sont implantés tout le long du parcours, des évènements sont organisés lors du travail des associations (but éducatif pour les écoles, personnes intéressées), festivités, prospectus distribuées pour ces évènements. En revanche, je n’ai pas trouvé de site internet ayant pour but de sensibiliser les habitants, ce qui se fait fréquemment avec les initiatives de ce genre.

La communication sur les projets quels qu’ils soient est réalisée par le service présent dans le bâtiment central de la mairie (« Il faut que ce soit le plus proche possible du centre décisionnel »). Un entretien avec la personne chargée de la com du projet est prévu si besoin en est. (contact : M. Neveu. Pas de tel)

- Projet de territoire / politique d’aménagement :

M. Robic est la personne chargée de cette question au sein du CMT, mais manque de temps pour poser ces questions. Apparemment, des révisions des textes sont fais (PLU) mais rien de plus n’a été précisé.

Bref, tous ces travaux visent à mettre en place des espaces agricoles protégés. La prise de conscience est là. Mais la question se pose sur le long terme. Mise en place de « réserves », zones protégées vi-sant au maintient d’un patrimoine ou parcelles agricoles avec subventions pour les agriculteurs avec pour but l’entretien paysager de ces espaces ?

Entretien particulier avec M. Thiery Albert En fait, y avait des volontés d’acquérir des terrains agricoles et d’éventuellement les mener nous-mêmes ou de les faire mener par des agriculteurs, mais pour l’instant c’est… c’est status quo. C’est par des définitions de parcelles… Les ZN, les ZNa, les ZNu et après, tout ce qui est trame verte, trame bleue, tout ce qui est Scot, les Pixel Ya t’il des plaintes concernant la gestion différenciée ? Y en a un peu mais c’est pas… non, y en a une deux. Y a personne qui râlent vraiment. Et sur le ré-seau vert, c’est même le contraire… mais là ça déjà 5/6 ans qu’on travaille là-dessus donc on com-mence à être rôdés. Et puis là, on est plus ans un espace naturel, donc ça se comprend mieux.

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C’est étiqueté « Espace naturel ». Ouais. Donc ça se comprend mieux de suite, parce qu’on est loin des habitations. Ce qui est difficile, c’est d’avoir la même gestion près des maisons. Là c’est vachement plus compliqué, à cause des ser-pents, les bestioles, tout ça. Si je vous montre cette photo ? J’imagine que vous savez où c’est, est-ce que vous aimez ? Moi ce que j’aime là-dessus, c’est… le côté vallon. Donc là, on est… on est sur le bas de la Jurge, avec la vue sur le Lauraguais. Ce qui est intéressant, c’est qu’on mélange la culture heu… agricole avec heu un peu d’arboricole et surtout on est sur un paysage valonné quoi. C’est ça qui est intéressant…. Dans le sens du paysage. Et si je vous montre ça ? [Photo 2] Ca… je pense qu’on peut considérer que c’est un espace rural, ouais. Alors qu’on a des maisons juste derrière. On lit vraiment deux choses, d’un côté la ville et de l’autre, l’espace rural. Dans d’autres pé-riurbain, c’est plus morcelé oui… Alors que nous ça a été densifié par rapport à un cœur de village et y a toute une partie au nord de la rivière Marcaissonne qui est restée rurale, très agricole. Et si je vous montre ça ? [Photo 1] Ben… sur le premier plan, on est toujours à la campagne, et après sur le fond beh… on peut pas con-sidérer que c’est la campagne puisque on voit bien qu’il y a une densité urbaine qui est beaucoup plus importante. C’est plutôt une ville ou un village pour vous ? [Silence] C’est une petite ville. Ou un gros bled. Parce qu’on est à 11000 habitants donc… 11000 habitants, c’est pas petit, c’est pas grand. C’est pas évident ! C’est un peut bâtard comme on est là. On aurait 15000, on dirait qu’on est une petite ville. Là, 11000… on est pas une petite ville, on est encore un gros village, c’est… c’est bâtard quoi. Si vous deviez décrire Saint-Orens en quelques mots ? Au niveau de l’ambiance, du cadre de vie ? On est quand même, un secteur très pavillonnaire qui est en train de changer. C'est-à-dire que depuis maintenant 2001/2002, il se construit beaucoup plus de logements en vertical qu’en horizontal. Donc le paysage urbain est en train de changer. C’est pour permettre non seulement d’atteindre les 20% de logements sociaux qui sont obligatoires là, dans le cadre des lois. Et deuxièmement, ça permet aux jeunes de rester en ville parce que ça ouvre des locations. Voilà, parce que sinon Saint-Orens, c’était plutôt une ville de personnes âgées. Hein , parce que la moyenne d’âge sur le territoire, elle est à peu près de 32 ans, et ici on était à 38 ans. Moyenne d’âge hein.[Pour préciser] On a beaucoup de retrai-tés. Les collectifs font venir des jeunes couples, avec des enfants… on peut remplir les écoles heu… tout ça c’est pas mal. Est-ce qu’il y a des plaintes par rapport aux collectifs ? Bon encore une fois, ça c’est pas trop mon domaine, il faudrait que vous alliez voir le service logement. Mais pense que comme dans toutes les villes qui ont dans une métamorphose, les gens qui sont là depuis 20 ans, qui ont là dans une maison et qui voient à côté d’eux un immeuble se monter… automa-tiquement, ils sont pas contents. Après, il faut leur expliquer la démarche et petit à petit, ils peuvent être dans la compréhension. On s’habitue à tout quoi du moment que c’est bien expliqué et logique.