Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

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Les Humas Juin 2010 Projet Personnel en Humanités Médias de masse, médias alternatifs et traitement de l’actualité sur Internet Saad BENBOUZID, 5e année, Département Informatique INSA Lyon

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Les internautes sont de plus en plus noyés par de l’information et de la sur-information médiatique. Sites Internet d’information que l’on trouve à profusion, contenus audiovisuels sur Internet et diffusion de flux d'actualités sont autant de moyens qui se banalisent et sollicitent l'attention de beaucoup d'internautes. A l'heure où les médias de masse sur plateformes traditionnelles demeurent (télévision, radio, journaux, etc.), le nomadisme et le numérique jouent des rôles également non négligeables, ce qui justifie aussi leur intérêt pour le marché d'Internet (petits et grands journaux disponibles en téléchargement en versions numériques, journaux d’information télévisés des grandes chaînes en ligne, radios de grandes écoutes accessibles sur le web, etc.). De plus, on voit y émerger de nouvelles méthodes de diffusion d’informations et de sollicitation d’attention (dessins, vidéos, buzz Internet, etc.) et les messages sont de plus en plus simples et formatés, afin de jouer sur l'adhésion du public internaute quant à l'information transmise. Cependant, bien que les contenus soient riches et variés, ces sources s'accordent généralement sur les mêmes informations que celles proposées par les autres moyens de diffusion tels que presse écrite, radio et télévision de masse. Le sujet portera en partie sur la problématique de savoir si la présence sur Internet des médias de masse permet ou non de répondre à la crise des médias à laquelle ils sont généralement victimes au travers des moyens de diffusion classiques. Pour ce faire, nous étudierons comment et pourquoi des autres médias dits alternatifs (presses associatives, journalistes indépendants, etc.) jouent un rôle également important sur la toile, en exposant des informations aux contenus et sous un regard différents de ceux donnés par les médias de masse. Ces presses invitent à l'activisme médiatique, à la participation, à l’échange et à la critique de la part de journalistes et d’intellectuels indépendants mais aussi de la part des internautes consommateurs de contenus, a contrario par exemple des médias de masse qui semblent avoir conservé une part de distance. On analysera les rôles joués par ces deux types de médias sur Internet, en levant ou confirmant les idées reçues concernant le contrôle qu'exerce les médias de masses sur la manière avec laquelle le public peut penser et critiquer l'actualité, mais en discutant aussi de la (sur)indépendance, des intérêts, de la part de neutralité, et du professionnalisme de la presse alternative. Pour cela, le rapport propose tout au long de sa rédaction de comparer les traitements mass-médiatiques et alternatifs d'un événement d'actualité, en commençant par avancer les points négatifs de des médias de masse sur Internet, puis en distinguant dans quelles mesures les médias alternatifs s'en démarquent, et enfin en concluant sur les problèmes de neutralité relativement difficiles à obtenir de la part des deux parties. Cela se fera au travers d'analyses déjà établies dans la littérature (cf. bibliographie) et de mes réflexions et expériences personnelles. Ce sujet tient lieu de ma curiosité à analyser depuis quelques années ces deux types de médias sur Internet, et à distinguer les habitudes des internautes à en consulter un plutôt qu’un autre

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Les Humas

Juin 2010

Projet Personnel en Humanités Médias de masse, médias alternatifs

et traitement de l’actualité sur

Internet

Saad BENBOUZID, 5e année, Département Informatique

INSA Lyon

Page 2: Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

Sommaire

Introduction ............................................................................................................................................. 3

La presse sur Internet .............................................................................................................................. 4

Particularités des médias sur Internet ................................................................................................ 4

L’information sur Internet ................................................................................................................... 6

Facteurs d’expansion ........................................................................................................................... 8

Médias de masse sur Internet ................................................................................................................. 9

Economie et marché de l’Internet ...................................................................................................... 9

Popularité des médias de masse ....................................................................................................... 10

Information et journalisme ............................................................................................................... 13

Médias alternatifs sur Internet ............................................................................................................. 15

Analyses et objectifs du journalisme alternatif ................................................................................. 15

Types de médias et particularités ..................................................................................................... 16

Critique de l’activité .......................................................................................................................... 18

Bilan de l’état des lieux sur Internet ..................................................................................................... 20

Similarités et différences entre les deux professions ....................................................................... 20

Neutralité de la presse sur Internet .................................................................................................. 20

Libertés, censures et menaces sur Internet ...................................................................................... 21

Conclusion ............................................................................................................................................. 22

Références bibliographiques ................................................................................................................. 23

Page 3: Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

Introduction

Si l’histoire des médias en tant que véhicule d’information a débuté avec l’avènement de la presse au

XVe siècle, celle des médias de masse a commencé à voir le jour au rythme des révolutions

technologiques et de l’information dès le début du XXe siècle. Les supports à l’initiation du courant

médiatique de masse ont en effet été en étroite corrélation avec le développement des techniques

de diffusion d’idées contemporaines (télévision, radiodiffusion, presse écrite à grand tirage, etc.).

Marshall McLuhan, théoricien du XXe siècle, définit en tant que médias de masse tout média capable

de véhiculer une information alors à même de toucher une large audience. C’est la définition que

l’on continue de lui accorder et sur laquelle je m’entends lorsque je fais mention de ce terme dans ce

document. Cette propriété leurs confère les caractères hégémoniques voire propagandistes, faisant

l’objet de critiques de certains analystes des médias mais aussi consommateurs. Alors que, dans

notre société occidentale, les courants de pensée opposés aux messages et aux modèles

économiques et de diffusion des médias ne commencent à émerger vraiment qu’à partir des années

1960, en réponse au parti pris de ces médias de masse en faveur des guerres (Viêt-Nam, Indochine,

etc.), ces mouvements protestataires et dénonciateurs n’ont à partir de là pas désempli. Au début

essentiellement composés de personnes engagées et militantes (écologistes, féministes,

antinucléaires, altermondialistes, etc.), ces mouvements et courants de pensée ont su se faire

entendre en faisant part de leurs idéaux et en communiquant des informations chargées de couvrir

ou de rectifier celles véhiculées en masse par les médias dominants.

Cette communication a commencé avec l’utilisation de moyens d’information et de communication

similaires à ceux utilisés par les entreprises des médias de masse, mais à une échelle beaucoup plus

faible (quelques chaînes de télévision et de radiodiffusion, magazines et journaux indépendants,

etc.). Dans l’optique de l'alignement des supports utilisés par les médias avec les (nouvelles)

technologies de l’information et de la communication, un véhicule pour la diffusion d’information,

mais aussi un marché, a commencé à être utilisé par les groupes médiatiques : Internet. Cependant,

par les caractéristiques sociales, publiques et interpersonnelles qui lui sont attribuées, ainsi que par

d’autres que ce document reprendra, ce support permet à la fois d’être utilisé en tant que vecteur de

communication par les entreprises des médias de masse traditionnels (déjà dominants dans la

télévision, la radio et la presse écrite) mais aussi par les mouvements qui se veulent critiques : les

médias alternatifs.

Dans le souci de limiter la frontière de l’étude dans l’espace et dans le temps, en centrant

strictement sur un seul support d’information et de communication la problématique - déjà

complexe - concernant la primauté des médias de masse dans nos sociétés, j’ai choisi de présenter, à

partir de ma réflexion personnelle et de recherches documentaires, ce sujet qui porte sur la présence

des médias de masse et des médias alternatifs sur Internet. Il tentera de comparer et de critiquer les

médias de masse et alternatifs sur Internet, mais également les types de journalismes qui les

représentent au travers de leurs activités et de leur champ d’action. Cette synthèse introduira en

premier lieu une étude générale sur les attributs, avantages et inconvénients qu’offre Internet pour

la diffusion et la consommation d’information, mais qu’il apporte aussi ; ce dans le but de

comprendre sa complémentarité avec les supports médiatiques classiques. Cette première approche

aura pour finalité de présenter ces deux types de médias sur Internet, avant de conclure sur la

situation actuelle et future de la sphère médiatique dans ce même contexte.

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La presse sur Internet

Particularités des médias sur Internet L’heure actuelle est aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, au travers

d’outils et de gadgets, comme les ordinateurs et la téléphonie mobile, qui permettent de se

connecter à Internet.

Internet est un immense réseau communication mondiale, apparue à des fins militaires dans les

années 1960, dans le but de communiquer de manière sécurisée. Le projet s’est étendu au domaine

civil et permet d’interconnecter « des réseaux avec des réseaux », dans la finalité de relier et de faire

communiquer entre eux un ensemble d’utilisateurs. C’est de ces utilisateurs qu’il est question

lorsqu’il s’agit de qualifier à la fois les acteurs (médias de masse et alternatifs) et les consommateurs

de médias. Basé sur un ensemble de protocoles permettant divers usages, on a pour habitude

d’associer à Internet la notion de « toile », dans la mesure où elle permet de relier à des sites et des

pages Web tout équipement connecté – un ordinateur par exemple. On doit dès 1989 au laboratoire

du CERN de Genève, le standard « World Wide Web » (www) qui permet l’hypertextualisation ainsi

que la mise en page d’informations sous forme de textes, sons, vidéos et images, ce qui permet de

pousser les limites de la communication traditionnelle par télédiffusion, radiodiffusion et presse

écrite. Les modalités de lecture et les postures de réception apportées au travers de l’hypertexte

appliqué à l’information sont entre autres les suivantes :

- L’accès à des documents qui ne présentent pas forcément un contenu textuel (photos,

images mobiles, vidéos, bandes sonores). Il s’agit de liens d’accès.

- L’accès hiérarchisée, voire guidée, à des rubriques (politique, sociologie, musique,…), des

genres (reportages, portraits, interviews,…) ou des thèmes (écologie, tendances

musicales,…). Il s’agit de liens de consultation.

- L’accès en différé dans le temps aux différents médias proposés (avances et retours en

arrière dans la lecture d’une information). Il s’agit de liens de progression.

- L’accès à de plus amples informations, à la demande, qui sont proposées pour une

information donnée (définitions, explications,…). Il s’agit de liens d’enrichissement.

Les pages web proposées sur les sites Internet ont l’avantage sur les supports classiques de n’être

contraints ni en temps ni en espace, dans la mesure où l’information mise à disposition ne dépend

que de la capacité d’hébergement du site ; condition qui dans la majorité des cas est toujours

satisfaite étant donnés la capacité et le moindre coût des hébergements et des stockages

numériques. Ainsi, une première page de presse sur Internet peut présenter jusqu’à trente

informations là où un quotidien écrit n’en livrera que quatre ou cinq. Bien entendu, dans un souci de

captation du public, les sites Internet travaillent également la forme et le contenu de leur

information afin de satisfaire à certains critères – point développé plus en détail dans la suite du

document.

Ainsi, Internet est en mesure de proposer les mêmes fonctionnalités que celles qu’offrent les

supports classiques, en partie grâce à la télévision numérique et aux radios web que proposent déjà

la plupart des grands groupes médiatiques de masse surtout présent dans ces derniers. C’est le cas

de bons nombre d’entre eux, dont par exemple tf1, bfm, france televisions ou encore rmc. Par

ailleurs, en dépit du fait qu’Internet livre des fonctionnalités nettement plus riches et attractives que

Page 5: Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

celles offertes par les médias classiques, il n’y a pas une très forte immixtion de leur part « dans

Internet ». En effet, mise à part certaines émissions sur les grandes chaînes nationales (le Grand

Journal de Canal+ par exemple), la télévision semble avoir occulté l’existence d’Internet dans le cadre

de par exemple des programmes destinés au cyberespace et au multimédia. Et lorsqu’elle les aborde,

c’est en général via de courts reportages, souvent superficiels, et dans le but d’en souligner les

risques ou le côté inquiétant (le téléchargement, la sécurité des mineurs, l’apparition d’un virus

informatique, les réseaux pédophiles, etc.). Alors que, notons-le, l’inverse est beaucoup plus

fréquent voire complémentaire de cette lacune : les médias traditionnels demeurent une source non

négligeable et jamais tarie, qui nourrit blogs et forums de discussion – consacrés par exemple à des

émissions télévisées ou à l’analyse de ces médias.

L’usage d’Internet en tant que véhicule d’information divise l’opinion publique, car la pluralité des

contenus et des utilisateurs, alors à la fois diffuseurs et consommateurs, ne garantit pas l’information

qu’ils véhiculent. En effet, la publication sur la toile est moins contrôlée et identifiée que sur les

médias traditionnels pour la bonne et simple raison qu’elle est offerte à absolument tout utilisateur

disposant d’une connexion à Internet. Tout internaute a la possibilité de communiquer publiquement

une information plus ou moins pertinente et riche en contenu, devenant alors potentiellement

accessible à tout internaute. Ces publications se font généralement via les réseaux sociaux à

condition de disposer d’un « profil », et peuvent se présenter sous différentes formes (partage de

contenu textuel, vidéo, image ou sonore). Les principaux réseaux sociaux étant facebook, myspace,

ou encore live spaces. Une autre méthode de publication consiste pour un internaute quelconque de

disposer de son propre site web ou blog d’information au sein duquel il mettra publiquement à

disposition une série d’articles qu’il aura rédigés. Ces plateformes sont d’autant plus nombreuses

que les offres d’hébergement de blogs sont faciles d’accès, tant sur les plans techniques que

financiers – bien qu’en réalité seuls les hébergements privés sont réellement sources de coûts. Les

principales plateformes porteuses de ces offres sont, en plus des hébergeurs proposant gratuitement

ou à très moindre coût de l’espace de stockage limité et un nom de domaine, comme webhost.com :

blogspot, wordpress, skyrock et over-blog.

Bien que la profusion de contenus sur Internet soit difficile à maîtriser, en partie lorsque l’on

recherche une information en particulier, les moteurs de recherche garantissent l’indexation, le

référencement et la catégorisation des sites Web1. Ainsi, les sites les plus pertinents2 seront les

premiers proposés par les moteurs de recherche, et donc a priori les sites les plus méritoires se

verront être visités le plus et ses informations seront les plus largement diffusées.

Selon les chiffres Ipsos (2008), la France dénombre environ 30 millions d’internautes, soit près de la

moitié de la population. Bien qu’une fracture numérique sur les générations se pose, ce qui ne sera

pas plus développé dans le document dans lequel on parlera plutôt de fracture sociale, on peut

considérer Internet comme un support de large diffusion médiatique, potentiellement vecteur de

médias de masse. Il est important de souligner que le surf sur Internet n’est pas exclusif de la

fréquentation des médias traditionnels. En effet, les « gros internautes » consacrant plus de 31

1 En réalité, cela dépend de l’administrateur ou du propriétaire du site qui a la possibilité de rendre ou non disponible son

site sur les annuaires publics (Google, Yahoo, Bing, etc.). Auquel cas le site ne se verra consultable que par ceux qui en connaissent l’adresse. 2 Sur internet, la pertinence est mesurée à partir d’algorithmes inconnus du public, propres à chaque moteur de recherche.

Le critère de classement de Google se base sur le pagerank d’un site, prenant en compte en partie la dynamique, le nombre de visiteurs et la fréquence de mots-clés dans son contenu.

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heures mensuelles sur Internet passent également beaucoup de temps à l’écoute de la télévision, de

la radio ou à la lecture de la presse.

Chiffes Ipsos, 2008

En tout état de cause, les exemples ne manquent pas et démontrent de façon quasi quotidienne

qu’un très grand nombre de gens se tournent vers Internet pour suivre en détail et en direct les

événements majeurs de l’actualité mondiale.

L’information sur Internet Notre société de l’information a des sphères d’intérêts très larges tant sur les plans géographiques

que disciplinaires, auxquelles l’ubiquité et l’universalité d’Internet sont à même de répondre.

Parallèlement, les informations qui nous parviennent nécessitent des internautes des connaissances,

ou du moins des bases, dans différents domaines : dans celui des nouvelles technologies ne serait-ce

que pour la maîtrise des outils et du multimédia Internet d’une part, et dans les sciences techniques,

naturelles et humaines d’autre part (l’astronomie, l’épidémiologie ou encore la géopolitique par

exemple). Les informations et leurs diversités foisonnent sur Internet, et l’internaute a besoin de

maîtriser un minimum de règles et de connaissances pour chercher, sélectionner et trouver

l’information qui lui correspond. Pour celui qui ne les maîtrise pas, son processus d’information peut

conduire à de l’aliénation, sous le poids de la diversité et de la densité d’information, ou à de la

malformation dans le cas où il n’est pas à même de confronter une information avec d’autres points

de vue ou de savoir s’auto-garantir de la fiabilité d’une information.

L’information est une marchandise à part entière, avec ses coûts et ses enjeux, mais aussi ses

bénéfices. Comme dans les autres médias traditionnels, l’information est un produit qu’il faut

travailler et mettre en forme afin de pouvoir être « vendu ». Dans les médias traditionnels, les

bénéfices se comprennent par rapport à la vente de journaux et de magazines ou à la diffusion de

journaux télévisés, dont le lectorat et l’audimat garantissent les revenus selon respectivement la

marge sur les ventes, la publicité et la redevance télé. A la différence de ceux-ci, les médias sur

Internet ont un modèle économique essentiellement basé sur les bannières de publicité, dont les

gains dépendent directement du nombre de visiteurs. La finalité demeure la même : attirer un public

internaute sur un site, améliorer ses statistiques3 et faire en sorte de le fidéliser afin qu’il y revienne.

3 L’utilité principale étant d’améliorer le pagerank d’un site et donc de le faire sortir parmi les premiers résultats des

moteurs de recherche. Elles comptent : le pourcentage de nouvelles visites, le taux de rebond (temps passé sur une page sans en parcourir d’autres sur le même site), le nombre moyen de pages vues par visiteur, et le nombre de visiteurs (uniques).

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Il y a par ailleurs une deuxième, ou une autre fonction4, qui est, pour un site d’information

participatif, de fidéliser un public internaute dans le but de garantir le dynamisme, la richesse et ainsi

d’améliorer la crédibilité et le pagerank d’un site. Le caractère multimédia d’Internet peut aussi être

un facteur perturbateur dans la volonté d’informer, dans la mesure où il permet, encore plus que

pour la télévision, de mélanger divertissement et information.

Internet est un support plus à même que les médias traditionnels dans la mission de sélectionner et

d’expliquer une information, en partie par la richesse du contenu qu’il propose et peut proposer (en

plus il n’est limité ni en temps ni en espace). Il se complète par exemple à la règle des 5W (who,

what, where, when, why) auquel doit se soumettre tout travail journalistique, grâce à

l’hypertextualisation qui permettent d’acquérir une information plus rapidement tout en laissant la

possibilité au consommateur de l’approfondir. Alors que les informations dans un journal télévisé ou

dans un article de presse sont mises en forme afin de satisfaire à des exigences commerciales

(augmenter et garantir un audimat et un lectorat), nous verrons comment les éléments suivants

qu’on leur reproche ne sont plus sur Internet :

- La taille des journaux, des articles et la durée des émissions télévisées sont bien définies, et

doivent répondre à des exigences beaucoup plus strictes.

- La part laissée à l’émotion et à la publicité (sponsors) au sein même des bulletins.

- La catégorisation et sélection des informations dont on va parler, afin de respecter les

contraintes en temps (durée d’un journal, durée que se permet de consacrer un lecteur

presse écrite) et en taille (longueur d’un article mesuré au nombre de mots, voire au nombre

de caractères).

- On favorise les faits sur l’explication. C’est une fausse-objectivité qui entrave la mise en

contexte au dépend d’une analyse approfondie.

Cependant, Internet et ses technologies sont aussi porteurs d’une promesse de rapidité (cf. le

« shivel journalism ») où les nouvelles « tombent » avant d’arriver dans les médias traditionnels. Et

rappelons que les grands dérapages de l’information sont souvent liés à la précipitation. Par ailleurs,

il comporte un paradoxe qui est la volatilité de l’information sur Internet (en particulier permise par

le « copié-collé » et par le dynamisme des sites qui se répercute sur les résultats des moteurs de

recherche). En effet, sur les réseaux sociaux par exemple, « l’info va vite ». Alors qu'en moyenne la

moitié des cinq principaux sujets qui « font » l’agenda des médias traditionnels sur une semaine type

étaient déjà présents la semaine précédente, ce taux est d'à peine de 5% sur Twitter5, 13% sur les

blogs et 9% sur la plateforme de partage vidéo YouTube, prise comme objet d’étude par le Pew

Research Center. La conséquence est que sur les 49 semaines (durée de l’étude), le premier sujet

discuté en ligne n'a que très rarement coïncidé avec celui occupant les médias traditionnels : 13

semaines sur 49 pour les blogs, quatre (sur 29 semaines étudiées) pour Twitter, et huit dans le cas

des vidéos. Internet se complète avec l’actualité médiatique des médias de masse traditionnels, dans

la mesure où les sujets diffusés en ligne ne sont pas ceux qui font leur une ; d’ailleurs tous les réseaux

sociaux ne parlent pas de la même chose.

4 Certains sites d’information sont exempts de toute publicité, c’est le cas par exemple de lemonde.fr ou de blogs.

5 Réseau social de micro-blogging, créé en 2006, qui permet d’échanger des informations sous formes de brèves limitées à 140 caractères, accompagné ou non d’une référence vers un article qui les approfondissent. Slogan : « Discover what’s happening right now, anywhere in the world ». Les sujets les plus discutés sont mis en valeur par l’indexation d’une brève au moyen de hashtags.

Page 8: Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

Couverture médiatique des blogs et de la presse traditionnelle

Alors que les plateformes communautaires et sociales comme Twitter ou encore Facebook diffusent

de l’information qui se distingue des événements des médias classiques (technologies et sciences en

particulier), les blogs ont l’agenda qui colle le mieux avec celui des médias traditionnels. Cependant,

ces supports informatifs présents sur Internet se focalisent souvent sur des sujets importants et

préoccupants, quand l’agenda des médias traditionnels demeure à dominante institutionnelle et très

largement centré sur les événements.

Facteurs d’expansion Internet est un vecteur essentiel des nouvelles technologies de l’information et de la communication

sur lequel elles s’appuient. En effet, les périphériques numériques tels les ordinateurs, les

smartphones, les PDA ou les téléphones portables dont les derniers sont équipés de technologies en

mesure d’utiliser pleinement toutes les fonctionnalités multimédia d’Internet (sons, images, vidéos,

mais aussi fils d’actualités et messagerie), permettent désormais, au travers du nomadisme, la

mobilité et l’ubiquité du consommateur. Ainsi, alors qu’auparavant la consommation des médias

traditionnels était séparée de celle d’Internet (les ordinateurs, seuls points d’accès, étaient dans des

chambres cloisonnées des postes de télévision et de radio, surtout écoutée en automobiles), les

nouvelles technologies s’immiscent désormais dans ces derniers en franchissant cette frontière. Il est

désormais courant de naviguer sur Internet depuis son ordinateur portable tout en regardant la

télévision, ou de lire un article de presse papier alors qu’on écoute une web-radio depuis son

téléphone mobile.

De plus, l’émergence des réseaux sociaux sur Internet et la large communauté d’utilisateurs qui en

font partie contribuent également à l’engouement des individus pour la consommation et l’échange

d’information sur Internet.

Deux tiers des Français âgés de 15 ans et plus déclarent se connecter à Internet, pour un temps

moyen passé de 10-11 heures par semaine. De plus, le lien avec Internet se consolide car plus d’un

internaute sur deux est utilisateur du web depuis plus de 5 ans.

Page 9: Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

Les services pratiques et l’actualité restent les deux usages les plus répandus, mais on note un clivage

qui apparaît selon l’âge, car ce sont les jeunes qui sont les plus forts consommateurs de contenus

blogs et vidéos en ligne, à raison de respectivement 64% et 60% d’entre eux (chiffres Ipsos 2009).

Médias de masse sur Internet

Economie et marché de l’Internet Comme nous l’avons vu, Internet permet la diffusion et la réception de contenu multimédia très

diversifié. Cependant, Internet n’est pas un service de communication audiovisuelle mais un support

de diffusion qui peut être utilisé pour véhiculer des services audiovisuels, de la télévision, de la

radiodiffusion mais également du courrier électronique, des conversations téléphoniques ou des

services d’hébergement de sites, dont l’usage principal dans le cadre de l’étude est à des fins

d’actualités et d’informations.

Le marché de l’information n’est pas un marché tout à fait comme les autres. Si les médias sont bien

des entreprises – sur Internet notamment (rédactions, annonceurs, publicitaires, sociétés de

référencement, etc.) – certaines étant même cotées en bourse, la « marchandise » qu’elles

proposent au public possède des caractéristiques propres et elles doivent s’adapter à une logique

commerciale particulière. Par définition, l’information est une marchandise périssable, qui doit être

consommée rapidement, sous peine de perdre de sa valeur. L’enjeu en est d’autant plus grand que

l’information sur Internet est volatile (référencement par les robots des moteurs de recherches très

rapide, « copié-collé », etc.).

Les médias de masse, c’est-à-dire capables de toucher une large audience, sont dans les médias

traditionnels généralement détenus par des grosses entreprises, des holdings, ou par l’état (Hachette

Filipacchi, Lagardère Active, TF1, France Televisions, etc.). Bien que tous ces groupes médiatiques (de

la télévision à la radio, en passant par les presses magazine et quotidienne) aient leurs vitrines sur

Internet dans laquelle ils présentent une partie sinon l’intégralité voire plus de ce qu’ils proposent

dans les médias traditionnels, l’inverse n’est pas toujours le cas pour les « médias de masse » dans le

sens où la définition l’entend. C’est par exemple le cas de sites d’actualités à fortes visites comme

lepost.fr, clubic ou les blogs les plus prisés sur la plateforme la plus populaire comme over-blog.com6,

qui ne sont présents que sur Internet.

Etant donné que des médias alternatifs peuvent également faire l’objet d’une forte audience

(nombre de visiteurs internautes), et donc être considérés comme médias de masse, il est désormais

nécessaire d’enrichir la notion de « médias de masse » pour la suite. Sauf mention explicite, on

distinguera à présent comme médias de masse sur Internet également les « média-entreprises »,

aussi appelés « médias dominants », qui font référence à la production et à la distribution des médias

de masse mais aussi en tant que propriétés financées et sources de revenus de grandes entreprises.

Leurs modèles économiques suivent des impératifs capitalistes (maximisation des bénéfices pour ses

investisseurs, ses actionnaires et ses annonceurs).

Alors que ces médias de masse s’engagent dans le marché d’Internet dans le seul but de véhiculer

des idées et donc de « vendre à perte » leur information (économiques et politiques, cf. média en

6 Source : sitedelannee.fr, 2009

Page 10: Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

tant que « 4e pouvoir » et connivence média/politique) outre les supports traditionnels, d’autres ont

gardé une approche purement lucrative au travers des modèles de revenus qu’offrent Internet.

La principale source de bénéfices provient de la publicité au travers de bannières statiques ou

dynamiques, et de spots vidéo. Elles sont gérées par des régies internes (TF1 Publicité pour son

propre site Internet tf1.fr) ou externes comme Google Adsense par exemple. Les valorisations

boursières des acteurs médias prouvent que l’intérêt des investisseurs pour leurs stratégies est bien

réel. Le chiffre d’affaire de la presse en ligne atteint 840 millions d’euros en début 2010, et la part de

publicité en ligne augmente de 10 à 12% par an en raison du développement de l’ « effort d’offre »

qui rendent les sites dignes d’intérêts (étude Precepta, 2009). Dès lors, les activités en ligne de la part

de ces médias de masse peuvent s’avérer extrêmement rentable, à raison que les coûts soient

maîtrisés. Mais la publicité en ligne séduit les annonceurs car elle démontre ses avantages

concurrentiels dont les principaux sont l’audience quantifiable, la possibilité de mesurer avec

précision le retour sur investissement et la maîtrise des techniques de ciblage.

Alors que ce modèle économique basé sur la publicité apporte bénéfices croissants et pérennes, le

marché de l’information sur Internet n’en est pas moins exonéré du contexte concurrentiel. Ce

dernier étant notamment régi par les moteurs de recherche et les annonceurs, mais aussi par des

partenariats entre différents sites (au moyen de « back links » (liens de retours) entre des articles ou

des sites externes).

Popularité des médias de masse L’utilisation coordonnée et simultanée de plusieurs médias transportant un message unique vers un

même public cible permet d’en multiplier l’impact. Il s’agit là de la principale connotation que l’on

associe aux médias dominants, aussi appelés « mainstream media » pour reprendre le terme anglais.

Par ailleurs, les médiats-entreprises qui concernent la majorité des médias dominants ont longtemps

fait l’objet de nombreuses critiques dans la mesure où lorsqu’ils sont à même d’être les médias

dominants, ils sont manipulés par les entreprises, souvent affiliées à des grandes banques, qui les

possèdent afin de satisfaire leurs propres intérêts, bien souvent politiques et économiques. Cette

connivence entre les médias, la politique et le modèle libéralo-capitaliste occidental et le rôle exercé

sur l’opinion publique ont été montrés au travers de nombreux exemples et analyses.7

Sur Internet, à l’exception notable des vidéos, où la catégorie « amateur » est largement présente, ce

sont avant tout des sujets produits par des journalistes professionnels qui alimentent les sujets en

ligne. De plus, d’après une étude américaine, plus de 99% des sujets traités sur les blogs et les

plateformes communautaires ont au préalable été traités par des médias professionnels.

Pour couvrir la popularité des médias de masse sur Internet (à la fois en terme d’utilisation et de

confiance qu’on leurs consacrent), toujours dominés8 par les média-entreprises comme lemonde,

l’express ou encore liberation, nous mettrons en avant quelques données statistiques issues d’un

7Je renvoie le lecteur aux nombreux travaux des analystes des médias Noam Chomsky, Robert McChesney (américains) ou

encore Armand Mattelard et Hervé Coutau-Bégarie (dont son livre Les médias et la guerre, Economica, octobre 2005).

8 Selon une étude menée par le très sérieux institut américain Pew Research Center qui a eu les honneurs d'une courte

dépêche AFP, 95 % des "informations nouvelles" sont produites et publiées par les médias traditionnels, quotidiens en tête. Seules 4 % des actualités proviendraient réellement des nouveaux médias de l'internet (sites d'infos "pure player", blogs, réseaux sociaux, etc.).

Page 11: Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

sondage TNS-SOFRES réalisé en janvier 2010, sur un échantillon national de 1000 personnes

représentatif de l’ensemble de la population âgée de 18 ans et plus.

Evaluation : En général, à propos des nouvelles que vous lisez dans un journal / entendez à la radio / voyez à la télévision / Internet, est-ce que vous vous dites :

Selon l’étude, la radio reste le média le plus crédible, Internet l’étant le moins malgré une nette

amélioration depuis 5 ans. A noter que la proportion de stations de radio « alternatives » est très

faible par rapport aux grandes stations des grandes sociétés, ou gouvernementales.

Evaluation : Crédibilité des médias selon l’âge et l’utilisation d’Internet

Les chiffres sont sans appels, Internet demeure le mauvais élève en termes de support médiatique,

alors placé en dernière position en ce qui concerne la crédibilité.

Evaluation : De quelle(s) manière(s) vous tenez-vous au courant de l’actualité nationale et internationale ?

La télévision reste le 1er canal d’information, devant la radio, la presse écrite et en dernière position encore une fois, Internet. Les Américains sont cependant plus ouverts à l’information sur Internet,

Page 12: Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

avec des chiffres en hausse. A noter par ailleurs que la blogosphère française ne couvre qu’un tiers des événements et de l’information de la blogosphère anglophone.

Evaluation : Pour chacun des media suivants, diriez-vous que dans 10 ans on l'utilisera davantage ou moins que

maintenant pour s'informer sur l'actualité nationale et internationale ?

Point positif, l’avenir des médias sur Internet est celui qui se voit du meilleur œil. Parmi les événements les plus couverts en 2009 sur Internet par les média dominants, la même étude a listé :

- La grippe A - Le décès de Mickael Jackson - La main de Thierry Henry - L’affaire Polanski - La cavale de J.P Treiber - La burqa - …

Alors que les sujets qui, selon les sondés, auraient pu et dû faire l’objet d’une couverture médiatique plus importante, ont été en 2009 :

- Les grèves en Guadeloupe - La Loi HADOPI - Le thème de l’environnement et du réchauffement climatique - L’élection présidentielle iranienne - La mise en place du RSA - La réforme des collectivités locales - Le sommet de la FAO sur la faim dans le monde - …

Page 13: Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

Evaluation : La remise en cause de l’indépendance des journalistes

Il s’agit de sujets plutôt « à gauche » politiquement, voire altermondialistes en ce qui concerne

l’écologie ou la faim dans le monde. Ce sont naturellement des idéaux que les médias dominants aux

soldes d’entreprises capitalistes et libérales défendent moins vigoureusement, et donc couvrent

moins médiatiquement… Relativisons cependant la chose, car les médias-entreprises se basent aussi

sur les attentes de ses consommateurs, ne serait-ce que pour satisfaire au modèle économique de

l’offre et de la demande.

Information et journalisme Le journaliste des médias de masse est avant tout un salarié permanent de l’entreprise de presse

dont il dépend. Il peut travailler au sein de la rédaction ou être pigiste, c’est-à-dire salarié mais payé

à la tâche. Alors qu’il est de plus en plus demandé dans les écoles de journalistes qu’ils soient

capables de rapporter et de produire du contenu multimédia, les acteurs de la presse de masse sur

Internet possèdent souvent cette polyvalence (on les trouve rédiger des articles pour le site Internet

de l’éditeur ou pour la presse papier, comme on peut les voir participer à des émissions télévisées ou

radios, tout en tenant un blog sur Internet à leur propre nom). C’est le cas par exemple de célèbres

journalistes-reporters comme Eric Laurent.

On ne peut qualifier de médias dominants l’ensemble de la communauté des journalistes

professionnels, étant donné que des médias alternatifs peuvent être amenés à employer une partie

de leur personnel, comme par exemple le site d’actualités « alternatives », bien que discutables,

rue89.

Comme nous l’avons vu, les informations publiées ou diffusées par des médias traditionnels guident

les sujets qui vont dominer l’actualité sur Internet. Cette victoire sans appel de la vieille presse – on

gardera le terme dans la mesure où les revues papiers sont présentes intégralement au format

numérique sur leurs portails web respectifs - sur les nouveaux médias (les blogs et autres formes de

médias alternatifs dont que développerons dans la suite du document) s’explique en partie par la

disproportion des moyens mis en œuvre. En effet, un « desk web » employant une poignée de jeunes

journalistes à tout faire ne peut pas rivaliser avec une équipe de rédaction d’une centaine de

« rubricards », certes souvent lents à réagir en ligne, mais disposant d’un gros carnet d’adresse et

d’une certaine notoriété.

Page 14: Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

Les chercheurs du Pew Research Center ont par ailleurs constaté que sur Internet, « le modèle

économique sur lequel est fondé le journalisme professionnel tend à disparaître », ce qui a pour

conséquence de baisser le nombre de personnes dont le métier est de chercher et de trier

l’information (journalisme d’enquête par exemple). C’est généralement le résultat de plans sociaux

et de démarche commerciale courant après la productivité, qui ont pour ainsi dire décimé les

rédactions. La conséquence nécessaire de cet appauvrissement journalistique est donc la

standardisation de l’information sous des formes et contenus souvent contraints et limités, ce qui

aurait pour conséquence de moins en moins bien informer les internautes alors qu’ils ont

paradoxalement l’impression de crouler sous une avalanche d’informations en temps réel.

Dans un article paru sur lemonde.fr9 en mai 2009, une description est faite de ses nouveaux

journalistes du web dont le surnom de « OS de l’info » ou encore « journalistes low cost » leur a été

attribué par l’auteur du livre La fin des journaux et l’avenir de l’information, Bernard Poulet. J’invite

le lecteur à se référer à cet article pour comprendre la situation du journalisme web qui travaille pour

les médias dominants (LExpress.fr, LeNouvelObservateur.fr, etc.). Les éléments à retenir sont

notamment les suivants :

- Les conditions et contrats de travail sont nettement moins attractifs que pour les rédacteurs

de la presse papier.

- Le travail est souvent « bâclé » faute de temps ou sous la pression des rédacteurs en chefs,

étant donné que le modèle économique et technique du web (volatilité de l’information en

parallèle avec la concurrence) répond à des exigences de rapidité. Il faut être le premier à

publier et mettre en ligne une information afin d’être les premiers référencés par les

moteurs de recherche.

- La vérification de l’information n’est pas la priorité. Il arrive parfois même de voir des erreurs

aberrantes en ligne un certain nombre d’heures avant d’être recorrigées (soit par la

rédaction, soit par les réactions des visiteurs).

- Les journalistes sont relativement jeunes (moyenne d’âge de 34 ans contre 44 pour la presse

papier), et pour la plupart stagiaires, CDD ou CDI.

Ajoutons à cela la précarité de ces emplois, ayant fait l’objet de plaintes de la part de syndicaux de

presse. Il faut en plus mentionner l’usage de pigistes qui sont des journalistes rémunérés à la tâche

(rédaction d’articles en particulier) dont la situation peut être d’une extrême précarité10.

« En reconnaissance de nombreuses années de service, nous aimerions vous offrir un salaire »

Ceci peut être une raison pour le journaliste en contrat de travail de travailler à son nom, afin de

pouvoir exercer librement et pleinement son activité. C’est le cas de bloggeurs non amateurs, qui ont

9 http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2009/05/25/les-forcats-de-l-info_1197692_3236.html

10 http://www.rue89.com/cabinet-de-lecture/2009/04/14/les-galeres-des-intellos-precaires-prolos-du-savoir

Page 15: Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

préféré se lancer dans des pure players, c’est-à-dire des entreprises ayant démarré et exerçant leurs

activités uniquement sur Internet – en rappelant que les astuces pour générer du revenu de la

publicité en ligne sur un site web ne manquent pas et les résultats sont sans appel. Les journalistes

peuvent alors rédiger leurs articles au rythme et au contenu qu’ils désirent, selon la manière dont ils

gèrent leur site (souvent blog) : en maîtrisant bénéfices liés à la publicité et intérêt personnel pour la

rédaction et la volonté d’informer au-delà des méthodes « formatées », « rapides » et « contrôlées »

des médias de masse pour lesquels ils travaillaient. Ce type de journalisme peut alors constituer une

forme de média alternatif sur Internet.

Médias alternatifs sur Internet

Analyses et objectifs du journalisme alternatif Un média alternatif se présente par définition comme un média pouvant utiliser les mêmes supports

que les médias de masse, mais à ceci près que leur budget et leur notoriété sont nettement

moindres, et que les informations qu’ils communiquent se revendiquent souvent désintéressées

financièrement et à contre-courant des tendances dominantes (et ce sur presque tous les domaines :

géopolitique, santé, économie, sciences, etc.). Par ailleurs, l’information alternative se caractérise

comme plus engagée, plus critique et plus militante, et se charge de couvrir ce qu’elle estime que les

médias dominants ne couvrent pas suffisamment, biaisent voire passent sous silence. Ils estiment

faire passer un message que les médias dominants, accusés d’être ligotés de par leur appartenance à

de grands groupes financiers, ne diffuseraient pas.

Les caractéristiques d’Internet que l’on a vu précédemment font remarquer combien il est facile pour

un internaute de s’engager dans une démarche de diffuser de l’information au contenu

« alternatif », au moyen des plateformes sociales ou des blogs qui invitent à la participation. Mais les

médias alternatifs sur Internet (sites web à part entière, blogs personnels, web-radios, télévision en

ligne, etc.) ont aussi pour origine un ou plusieurs autres supports traditionnels, et ont vu le jour avant

l’apparition et l’utilisation massive d’Internet dans les ménages (début des années 1990).

L’existence de ces médias revendiqués indépendants, objectifs, critiques et autocritiques, révèlent de

l’éveil d’un phénomène social, dissident et critique, malgré les efforts déployés par les média

dominants de diffusion en masse pour maîtriser la pensée et fabriquer le consentement11. En dépit

de tout, les gens développent et veulent développer leur capacité et leur volonté de réfléchir en

profondeur. Le scepticisme envers les médias dominants et le pouvoir s’accroît et les attitudes se

sont transformées. Grâce à Internet et aux nombreux médias alternatifs qu’il dénombre, le travail

journalistique critique, participatif voire collaboratif porte ses fruits, et à contrario des médias

traditionnels dont les moyens de communication ne le permettaient que très peu, les individus

découvrent qu’ils ne sont plus seuls et que d’autres pensent comme eux12. Il devient possible de

renforcer ses propres opinions et d’en apprendre davantage sur ce que l’on pense et sur ce en quoi

l’on croit. Certains des auteurs ou consommateurs de médias alternatifs n’appartiennent pas

forcément à des mouvements politiques ni se revendiquent d’un courant de pensée particulier ; il

11

Noam Chomsky, La fabrique du consentement, 1988. 12

Je renvoie le lecteur par exemple aux termes de contre-culture, de mouvements alternatifs aussi dits « libres penseurs », et aux courants dissidents voire subversifs.

Page 16: Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

s’agit simplement d’un état d’esprit qui favorise les échanges, la réflexion, la volonté de s’informer et

l’esprit critique sur l’actualité dominante.

"En France, la propriété des grands médias est concentrée entre les mains de groupes industriels et

financiers, dont deux fabricants d'armes : Lagardère (via Hachette) et Dassault (via la Socpresse)."

Ignacio Ramonet - Monde diplomatique, janvier 2007

A la différence des média dominants, ils sont pour la plupart désintéressés financièrement, ce qui fait

qu’ils ne suivent pas les mêmes modèles économiques, et la conséquence en est la plus forte part

d’argumentation et de documentation dans les articles et les informations qu’ils proposent.

« There is no alternative » était un slogan politique attribué à Margaret Tchatcher qui signifie que le

marché , le capitalisme et la mondialisation sont des phénomènes nécessaires et bénéfiques, et que

tout régime qui prend une autre voie court à l’échec. C’est par exemple ce genre d’état de pensée,

couramment associé à la tendance des médias dominants détenus par les entreprises capitalistes et

les gouvernements, que les médias alternatifs veulent « attaquer » et défier. La réponse est claire :

« créer une alternative à ce qui semblait ne pas y avoir d’alternative ». Ils se veulent critiques vis-à-

vis de l’uniformisation de la pensée unique, du moins du message unique, véhiculé(e) par les médias

de masse. Les médias alternatifs, dans cette optique-là, sont donc initiés par une démarche critique

et une analyse de l’information dominante, au travers d’informations nouvelles, dans la finalité de

répondre à cette « propagande » dans laquelle ils ne veulent pas se fondre et ne peuvent pas

adhérer.

C’est par exemple le cas d’individus non professionnels ou professionnels dans le métier du

journalisme qui choisissent de s’engager dans l’entretien ou la participation à des médias alternatifs

(sites web, etc.).

Les médias alternatifs peuvent aussi être nés d’une colère13 vis-à-vis de la profession de journalisme

pour les médias de masse et de la manière dont ils traitent l’information sur Internet (cf. la partie

précédente). Ils estiment par ailleurs qu’une « guerre au savoir »14 est faite - via le modèle

économique des médias de masse sur Internet et le manque de contenu accordé à leur information

voire à l’aliénation -, car le savoir est ce qui est censé amené tout citoyen à pouvoir émettre une

critique et remettre en question l’information. Les médias alternatifs se revendiquent donc

également de produire un contenu qui amène à la réflexion et à la participation citoyenne et

ouverte, et de leur redonner foi en des médias qui sont « toujours » là et qui existent.

Types de médias et particularités Les médias alternatifs se présentent aussi comme un moyen de s’attarder sur un point qui apparaît

comme un détail ou dont la couverture est raccourcie dans l’information courante (des médias de

masse), en se donnant les moyens de développer une thématique donnée à partir d’un travail de

fond et de la participation de rédacteurs expérimentés et d’anonymes dont chacun apporte sa

contribution et son regard critique. Ils ont pour la plupart la chance de se doter de la capacité d’écrire

13

Vis-à-vis : du modèle économique commercial et intéressé, de la réduction de la taille des articles et de la part d’analyse

qu’on lui accorde, diminution du nombre d’articles d’investigation, travail du contenu multimédia qui se place plus en tant que «communication» qu’en tant qu’invitation à la réflexion, etc. 14

Propos recueilli de Thierry Delaveau, directeur du site Internet et journal alternatif L’Etranger.

Page 17: Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

(travail littéraire), on parle aussi d' « artisans de l’information », ce qui contribue aussi à améliorer

l’image de leur discours.

Ce par rapport à quoi ils se distinguent également des médias de masse, c’est de produire, traiter et

rendre disponible de l’information « sans moyens », ou du moins avec des moyens relativement

faibles15, tout en ne la considérant pas comme « une marchandise ».

Le modèle de revenus de ces médias sur Internet, nourris en information par les internautes

visiteurs, par des bénévoles, par des journalistes freelance indépendants lorsqu’ils peuvent se le

permettre ou par des employés pour des structures plus importantes, est basé sur les dons des

visiteurs ou sur les revenus générés par les annonces publicitaires qu’ils hébergent. Cependant, ceci

apporte un certain nombre de paradoxes sur lesquels les médias alternatifs ne s’accordent pas tous :

- Pour diffuser ses idées, un média alternatif devrait prendre de l'importance et grandir en

diffusion, en influence. Mais si cela arrivait, il serait considéré par le milieu alternatif comme

traitre à la cause car intégrant désormais le camp de l'hégémonie (des médias dominants).

L'accès à une certaine massivité est l'objet d'une polémique dans le milieu alternatif entre

ceux qui voudraient y arriver, ceux qui la rejettent et ceux qui pensent qu’elle est de toute

façon inaccessible.

- Pour pouvoir développer un discours différent, il faut être indépendant. Pour cela, il faut

garantir que personne ne manipule l’information, et pas moins les pressions financières ou

objectifs lucratifs. Ainsi, le rapport à l'argent pour les médias alternatifs est primordial car il

touche à la légitimité du média et de son discours. Pour certains médias, le simple fait

d'accepter un financement, est préjudiciable à l'intégrité du média. Toute aide financière est

vécue comme une tentative d'ingérence et de prise de contrôle de celui-ci.

Pour d'autres, plus pragmatique, la publicité et les subventions de l'état ou d'une fondation,

sont une source de revenus tout à fait acceptables du moment qu'ils ne déterminent pas le

contenu du média.

On recense différents types de ressources alternatives sur Internet, hormis leurs supports (site, blog,

web-radio, etc.), et leurs contenus sont parfois spécialisés sur quelques thématiques bien précises,

alors que d’autres sont beaucoup plus diversifiés. Par exemple des médias alternatifs, comme

alternatives-economiques.fr sont engagés dans des optiques altermondialistes, dans le but de faire

connaître au public et au plus grand nombre, des alternatives économiques, sociales, culturelles et

environnementales, alors que d’autres par exemple se chargent essentiellement de proposer une

critique politique et économique sur la couverture de l’actualité par les média-entreprises, comme

par exemple alterinfo.net, ou encore de se présenter comme vitrine d’analyse des médias dominants

sur Internet pour en corriger le message et en dénoncer les abus et dérives (désinformation et

malformation) : acrimed.org ou encore michelcollon.info.

Les médias alternatifs ont l’avantage de privilégier la participation, ce que les plateformes blogs

comme blogspot.com, over-blog.com ou encore wordpress.com sont à même de proposer au moyen

d’articles que l’auteur, généralement administrateur du site, peut proposer et laisser commenter par

ses visiteurs, ou encore peut également laisser publier par les visiteurs. Bien qu’elles n’aient pas

15

Sauf cas exceptionnels de médias alternatifs qui ont percé, grâce aux dons et aux revenus générés par les quelques bannières publicitaires, dont l’archétype est HuffingtonPost.com, capable de faire concurrence avec le WashingtonPost.com et NewYorkTimes.com.

Page 18: Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

toujours comme première utilité l’échange d’information « utiles » (terme je juge à caractères ni

commerciaux ni ludiques) sur des sujets donnés, les plateformes de réseaux sociaux en proposent

également les fonctionnalités (il existe par exemple des profils et pages facebook spécialisés dans la

diffusion d’informations alternatives, qui sont suivis et invitent à l’échange avec des dizaines de

milliers d’utilisateurs réguliers).

Critique de l’activité Si les médias alternatifs, participatifs et partants d’une bonne volonté sont plutôt florissants pour

garantir la liberté d’expression et d’opinion sur Internet16, le travail de ses acteurs n’en est pas moins

exempt de critiques sujettes à polémiques.

Le fait que de nombreux journalistes citoyens soient souvent des militants pour une cause ou une

idéologie en particulier peut prêter à caution (idéologie : politique, religieuse, etc.). Les médias

traditionnels reprochent aux médias alternatifs de manquer de l’objectivité nécessaire à la pratique

du journalisme.

« L’avantage, c’est qu’un citoyen journaliste sera capable de publier quelque chose qu’un journal aura peur

d’imprimer. L’inconvénient, c’est que la vérification des faits se fait après publication »

Craig Alexander Newmark, fondateur du site d’annonces craigslist.org

En effet, la création d’un site web, ou plus particulièrement d’un blog, est une opération à porter de

main de tout internaute. Internet n’étant pas encore, du moins pas complètement (cf. la partie qui

suit), une zone très bien contrôlée, dans laquelle une information peut se communiquer et se

propager aussi rapidement que facilement, la crédibilité et l’objectivité des blogs par rapport aux

intérêts et idéaux (implicites ou explicites) de leurs auteurs ne sont pas toujours garantis. Ou alors, ils

ne le sont que par les réactions des visiteurs qui peuvent les exprimer à ce sujet – mais pour cela il

faudrait encore également être sûr de l’objectivité de cette critique, ce qui conduirait à un cercle

vicieux. A moins que la véritable garantie puisse, après tout, être assurée par l’ensemble des

critiques des visiteurs, sous réserve qu’ils représentent une part suffisamment représentative et

hétéroclite de points de vue ? Mais encore faudrait-il aussi que le visiteur perdu prenne le temps

d’analyser l’ensemble de ces critiques, ce qui représente un travail beaucoup trop conséquent.

Il y a toutefois des outils qui le permettent, comme par exemple MyWot.com (Web Of Trust). Il s’agit

d’un outil mis à la disposition des navigateurs (Chrome, Firefox et Safari) sous la forme d’une

extension, qui avertit les utilisateurs quant au contenu d’un site. MyWot est communautaire et

revendique l’évaluation de millions de sites Internet, et l’inscription de millions d’utilisateurs alors

évaluateurs. Il vous avertit des sites qui sont connus comme « escroquerie » sur Internet, vendeurs

de faux, etc. Mais il peut également être appliqué pour les sites d’actualités.

16

On parle également de « journalisme citoyen », dont le média alternatif agoravox.fr s’en revendique en permettant à

tout internaute de témoigner sur ce qu’il voit, entend et constate dans le cadre d’articles et de commentaires dont la forme, le contenu et la longueur est à la libre appréciation de son auteur. Il ne s’agit que rarement, rappelons-le, de journalistes professionnels ou en en ayant suivi la formation.

Page 19: Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

Résultats d’une recherche Google : le site est classé « en vert » (les sites faisant l’objet de plaintes et de critiques accompagnés sont accompagnés d’une icône orange ou rouge), et est classé 28

e meilleur site francophone dans la

catégorie «Economie» parmi les sites ajoutés en favoris (uniquement pour les utilisateurs du gestionnaire de favoris XMarks, ayant des millions d’utilisateurs également). Un clic sur l’icône donne accès aux notes par critère (fiabilité,

sécurité des mineurs, crédibilité, etc.) et à des commentaires argumentés d’utilisateurs.

On reproche également aux médias alternatifs de se contenter de relayer une information déjà

donnée sur une autre source, au risque d’apparaître comme des agrégateurs de sites (un nouvel

article d’un blog reprendrait mot pour mot celui paru dans un autre média, alternatif ou dominant,

soit de manière manuelle, soit automatique (cf. les agrégateurs de fils RSS), ou alors en ferait la

transcription dans une autre langue). Comme nous avons déjà pu le voir (cf. note numéro 8), une

forte majorité des médias alternatifs relaieraient les informations des médias traditionnels. « La

pluralité des médias en ligne peut générer l’unicité de l’information » affirme Simon Piel dans un

article paru en juin 2009, dans lequel il traite au travers d’un cas réel (le crash d’un avion entre Paris

et Rio) la redondance de l’information et le circuit fermé du net17.

Les acteurs des médias alternatifs se plaignent notamment d’un manque de collaboration au sein des

différents supports, dont une agence de presse, en réponse à l’AFP ou à Reuters, serait

particulièrement profitable. Bien que des réseaux de collectifs indépendants existent déjà

(Independant Media Center - Inymedia.org ou encore Alternative Media Global Project –

ourmedianetwork.org), leur influence est encore très limité.

Les médias alternatifs d’aujourd’hui, alors de plus en plus nombreux grâce à Internet, ne s’inscrivent

plus exclusivement dans la critique et la correction de l’information donnée par les médias de masse,

ce qui leur permet de se détacher progressivement du caractère d’opposition avec la pensée

dominante qu’on a pour habitude de leurs associer. Cela contribue aussi à leur conférer une nouvelle

forme de notoriété.

17

http://www.bakchich.info/Infos-le-net-en-circuit-ferme,07902.html

Page 20: Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

Bilan de l’état des lieux sur Internet

Similarités et différences entre les deux professions Nous avons fait les portraits des formes de journalisme et de consommation qu’il y a dans les deux

médias, de masse et alternatifs, sur Internet.

Cependant, par la proximité et l’immédiateté offertes par Internet dans la recherche et la diffusion

d’information, ces deux médias peuvent être amenés à collaborer, même si généralement (cf. étude

Pew Research Center, 2008) cette collaboration s’effectue surtout dans le sens où les médias

alternatifs puisent leur source d’information dans les médias de masse (surtout par manque de

moyens de se « rendre sur le terrain » et d’effectuer le travail d’investigation que peuvent se

permettre les grosses structures médiatiques).

Au travers de la profession de journalistes indépendants, ces derniers peuvent être amenés à

proposer leurs travaux dans les deux plateformes, où bien souvent leur contribution « alternative »

émane de leur propre volonté, souvent désintéressée financièrement mais néanmoins pas toujours

sur le plan de la notoriété et l’image de marque qu’ils veulent se donner sur Internet (c’est le cas par

exemple du blog johnpilger.com du journaliste éponyme).

Neutralité de la presse sur Internet Dans une démocratie, il est toujours difficile de gérer au mieux l’existence d’un journalisme

démocratique assez souple et ouvert pour couvrir à la fois les questions d’intérêt public et l’actualité.

Dans la mesure où le journalisme traite de politique, il donne toujours naissance à des controverses.

Ajoutons à cela que dans les cas des médias-entreprises, il ne peut pas se passer d’appuis et de

financement institutionnels, et qu’il reflète les choix conscients des rédacteurs en chef et des

reporters, et donc de ceux qui l’emploient et le congédient. Le journalisme ne peut jamais être

complètement neutre. Or, la tâche devient difficile lorsqu’on cherche à minimiser l’exigence de la

neutralité pour le journaliste avec plus de précision, lorsqu’il se veut de refléter tout l’éventail des

opinions dans une société. En tenant compte de cela et de la complexité de nos sociétés modernes

dans laquelle on vit, en en ajoutant la diversité et la densité d’Internet, il semble bien qu’il n’existe

pas de « solution » unique au problème de journaliste, si ce n’est en commençant par le décharger

des pressions (rapidité, forme, contenu mais aussi conservation de son emploi) auxquelles il est

soumis lors de la rédaction d’un article.

Par ailleurs, l’information sur Internet, très volatile, est dans une zone de non droit peu surveillée, ou

du moins permet d’être contournée ou de récidiver tout « manquement à la règle » assez facilement.

C’est actuellement le seul support qui revendique une liberté d’expression et d’opinion aussi

importante, ce qui peut laisser place, lorsqu’il y a manque d’autocensure et de sérieux dans le travail

d’informer, à la subjectivité et à l’engagement plus ou moins démesurés (sous couvert militantiste ou

autre). Ce sont tant de points qui portent et continueront de porter sérieusement atteinte à la

« neutralité » de la presse, alternative et masse-médiatique, sur Internet.

Page 21: Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

Libertés, censures et menaces sur Internet Au début des années 2000, l’idée même d’une régulation des nouveaux médias sur Internet

paraissait inconcevable et, dans le grand public comme chez les professionnels, prévalait l’image

d’une liberté absolue, où le sens de la responsabilité des internautes suffirait à assurer le respect

d’un ensemble de comportements déontologiques et d’une véritable étiquette du net dont personne

ne s’écarterait car elle serait fondée sur des valeurs partagées par tous18.

Depuis lors, 10 ans se sont écoulées et une série de mesures ont été et sont prévues d’être mises en

œuvre afin de surveiller et limiter l’utilisation d’Internet en tant que média alternatif.

Une nouvelle loi en préparation aux Etats-Unis pourrait couper le robinet aux internautes. Par

exemple, la Cybersecurity Act of 2009 puis Cybersecurity Act Of 2010, permet de limiter ou de couper

l'Internet aux USA. Il s'agit de la section 18 de la loi S 773 proposée par le sénateur John (Jay)

Rockefeller et la sénatrice Olympia Jean Snowe : « Le président peut déclarer un état d'urgence en

cybersécurité et ordonner la limitation ou la fermeture du trafic internet en provenance ou vers tout

gouvernement fédéral compromis ou tout système réseau critique ». Une loi du même type est

passée en 2010 au Royaume-Uni (Internet Censorship and Disconnection Law19).

Il est apparu que 4 personnes sur 5 jugent l’accès à Internet comme un droit humain fondamental20.

« Internet doit être considéré comme une infrastructure fondamentale, tout comme les routes et

l’eau » affirme Hamadoun Toure, secrétaire général de l’union de la télécommunication

internationale. Selon la même étude, la majorité des sondés estiment qu’Internet ne doit jamais être

régulé par aucun niveau de gouvernement et nulle part dans le monde.

Bien que les organismes de régulation avancent la protection des utilisateurs dans le cadre de la lutte

contre le terrorisme, le racisme et la pédophilie, beaucoup voit cette intrusion comme un faux

argument à l’instauration d’une police de la pensée. Grâce à la « loi pour la confiance dans

l’économie numérique » de 2004, bons nombre de blogs et de vidéos amateurs ont été victimes de la

censure et fermés, alors que les conditions d’utilisation étaient respectés, et que les auteurs de ces

coupures osent à peine dire, à demi-mot, qu’il y a apparemment des sujets qui dérangent, dès lors

que l’on sort de la pensée dominante et bien-pensante21.

Par ailleurs, les sites des médias dominants, bien qu’ils proposent quelquefois à leurs visiteurs de

participer aux articles dans le cadre de commentaires (souvent limités en taille), les soumettent à

modération. Bien qu’il y ait nécessité de ne pas publier systématiquement tout type de

commentaire, qui lorsqu’à caractères déplacés ou ouvertement outrageants peuvent mettre en

cause la notoriété du site voire de l’enseigne jusqu’à ses supports traditionnels qu’il représente, c’est

un point qui nuit fortement à la liberté d’expression et clos ces média dans l’image de médias

dominants (« de un vers plusieurs ») dont ils font déjà et continuent de faire l’objet. Des modérateurs

sont chargés de valider ou non la publication d’un commentaire, sans en informer l’auteur lorsque

son contenu ne satisfait pas certaines « règles » - règles qu’eux seuls connaîtraient… Bons nombre de

commentaires que j’ai moi-même voulu publier sur des sites Internet des médias-entreprises n’ont

18

C’est l’idée ressortie du Sommet mondial des régulateurs sur Internet et les nouveaux médias, décembre 1999. 19

http://www.eff.org/deeplinks/2010/04/u-k-passes-internet-disconnection-law 20

Etude américaine menée en 2008, conduite par la BBC sur 27 000 sondés (http://refreshingnews9.blogspot.com/2010/03/four-in-five-believe-internet-access-is.html) 21

http://bellaciao.org/fr/spip.php?article70946, http://observatoiredelacensure.over-blog.com, http://www.alterinfo.net/Dailymotion-censure-les-membres-qui-derangent-le-pouvoir-en-place_a42436.html

Page 22: Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

jamais franchi l’étape de la modération. Comble, des sites qui ont pour habitude d’ouvrir leurs

articles aux commentaires les ferment systématiquement sur des sujets sur lesquels ils ne veulent

pas entendre d’autres points de vue, même s’il s’agit d’approbations ou d’encouragements (sur la

thématique géopolitique surtout). C’est par exemple le cas du site 20minutes.fr, qui dès lors qu’il

publie un article sur la thématique du Proche-Orient ne laisse d’emblée place à aucun commentaire ;

ce qui n’est pas le cas dans les plateformes (sites et blogs) d’informations alternatives, pour lesquels

tous sujets ont vocation d’être discutés et analysés avec et/ou par le public.

Message remplaçant la zone de texte d’édition de commentaire sur le site 20minutes.fr pour certains articles

Dans le modèle économique de marché qu’adopte les média-entreprises sur Internet (publicité,

mesure d’audience, etc.), ils s’octroient également le droit de charger des organismes privés et

spécialisés dans la modération de commentaires. C’est le cas par exemple du NouvelObservateur.fr

et du figaro.fr, qui sous-traitent la modération de leur site à la société spécialisée Conciléo. La

modération parfois injustifiée et abusive, pour ne pas parler de censure, a fait l’objet de plusieurs

plaintes de la part des internautes22.

Conclusion Si Internet foisonne de ressources de médias à large diffusion, les médias-entreprises, ou médias de

masse, et les médias alternatifs se partagent à la fois ses supports (sites Internet, etc.) et ses

internautes. Alors que le marché d’Internet regorge de potentiels, sur les plans publicitaires et

technologiques notamment, le modèle économique des médias de masse sur Internet a de quoi

garantir encore de beaux jours à leurs sites Internet, ce qui n’est pas forcément le cas des médias

alternatifs qui, bien que certains d’entre eux arrivent à gagner et fidéliser un nombre croissant de

visiteurs, d’autres disparaissent. C’est un phénomène récurrent dans la blogosphère d’actualités dite

« citoyenne ».

Pour reprendre les mots de l’auteur d’un article23 à ce sujet, cette blogosphère peut aussi être la

victime d’une « épidémie de baisse de bras ». Il déplore le nombre de blogs d’information alternative

qui partant du principe de demeurer et de se faire connaître, ont fini par se voir être abandonné - et

ce qu’il s’agisse de « projets » pure players, c’est-à-dire à des fins lucratives (par la publicité surtout)

ou non. Les principales causes seraient dues à la double-vie (virtuelle et réelle) difficilement

maîtrisable des bloggeurs « amateurs » et rédacteurs d’articles ou de commentaires, mais aussi au

culte de la peur (peur de la censure et la fermeture d’un site et donc l’effondrement de tout un

projet, peur d’être poursuivi pour ses opinions qui diffèrent de la tendance dominante, conduite en

justice pour diffamation dont les politiques ont recours assez facilement, etc.) entretenue par les

médias de masse « se faisant propagandistes de la répression de nos dirigeants ».

22

http://www.betapolitique.fr/Concileo-et-la-censure-sur-02209.html 23

http://forget.e-monsite.com/rubrique,epidemie-de-baisses-de-bras,1129747.html

Page 23: Médias alternatifs et médias de masse sur Internet

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