Madame Julie Lavergne et le devoir de la femme contemporaine...

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    MADAME MIlE LAVERGNE

    ET

    LE DEVOIR DE LA FEMME CONTEMPORAINE

  • MADAME

    JULIE LAVE RGNEET LE

    DEVOIR DE LA FEMME CONTEMPORAINE

    rAn

    M mO Marthe RICHARDIÈRE

    Conférence faite à l'institut catholique de Paris)

    PARIS

    A. TAFFINLEFORT, LIBRAIRE-ÉI)ITEURBUE DE SAVOIR, I

    1913

  • MADAME JULIE LAVERGNEEl

    LE DEVOIR DE LA FEMME CONTEMPORAINE

    MESDA1IES, MESSIEURS,

    Madame Julie Lavergne fut une femme très fran-çaise par ses qualités, ardente patriote, mèredévouée, qui sut allier la tendresse et la gaieté de1'eprit à la fermetédu caractère. Ce fut aussi unefemme de lettres et une moraliste qui, sans riennégliger de ses devoirs d'état, sut faire nu travailintellectuel une place honorable et utile dans savie. Il m'a: paru intéressant de vous la présenteraujourd'hui au point de vue du idÉe moral et socialde la Femme contemporaine.

    Elle est bien vraiment pour nous un modèle, etun modèle qu'on aime d'autant plus à proposerqu'il n'est pas loin de nous, ni par le temps, ni

    i. Conférence faite à. l'institut enthotiqiic de Paris, le s" f131agi,, par Mme Marthe Ricbardière.

  • 6 MADAME JULIE LAVEUGNE

    par les conditions d'existence. Mme Lavergne vécutcomme nous vivons, avec le même idéal au coeur etles mêmes devoirs à remplir. Pas n'est besoin, nonplus, de nous transporter au loin pour nous figurerson milieu. Rue d'Assas nous sommes, rue d'Assaselle habita au n° 74, bien connu longtemps parles ateliers de vitraux de Claudius Lavergne.

    Ma tâche a été bien facilitée, puisque j'ai pu mebaser non seulement sur ses oeuvres et sur sa cor-respondance, mais sur sa Vie, écrite par son fils,M. Joseph Lavergne. Personne ne pouvait mieuxconnaître et comprendre cette vie si pleine denoblesse et de simplicité.

    Il est impossible de faire une lecture plus sug-gestive et plus réconfortante, et il est difficile,nous semble-t-il, de n'en pas sortir plus ardent àpoursuivre le but de son perfectionnement moral etintellectuel, oeuvre personnelle primordiale, d'oùdépend le renouvellement de la France par la valeurde ses unités d'élite.

    Une seule chose m'arrête au début de cetteétude. IL faut bien vous la confier C'est qu'en cetemps où l'esprit critique est si bien « de mise n, jen'ai trouvé en moi, pour mon sujet, que des notesadmiratives.. .Je m'excuse de cet esprit (( d'antan fl. -

    Julie Lavergne a résolu le problème d'être de sonsiècle sans en adopter les faiblesses. Sa vie infini-ment vertueuse fut pourtant tout aimable. Mère defamille irréprochable, accomplissant son devoir dans

  • ET LE DEVOIB 1)13 LA FEMME

    toute son étendue, elle fut cependant une femmeintellectuelle, s'intéressant à toutes les questionsde son temps comme à toutes les choses de l'esprit.Elle n'attendait qu'une heure de loisir pour deve-nir écrivain de valeur. -

    Sa correspondance nous la révèle d'avance, peut-on dire, à ce point de vue. M. Joseph Lavergne aeu ce bonheur rare de pouvoir reconstituer en cettecorrespondance toutes les années de la vie de savénéiée mère, depuis l'âge où elle sut écrire, Îus-qu'à ses derniers jours.

    C'est un monument glorieux, tin trésor inépui-sable de jugements de valeur, d'envolées vers lesvues générales, de leçons morales et sociales, don-nées en passant d'une plume toujours alerte et, dontle fond reste toujours et avant tout familial etchrétien.

    Née en 1823, Mme Lavergne était fille de M. Oza-neaux, inspecteur générai de l'Université. Aînée dela famille, dès ses premières années la valeur de sonme et de son intelligence transpercèrent sous les

    voiles de l'enfance. Germes précieux, cultivés avecdes soins éclairés par ses parents, et qui devaientdonner plus tard une si belle moisson. lis s'impo-sèrent en effet la tâche de faire à eux seuls l'éduca-tion de leur fille afuée, et d'eux seuls elle tint toutson savoir. Rêve rarement realisable, mais quipeut donner, quand il est accessible, de bienbeaux résultats,comme nous l'allons voir; et certes,

  • 8 MADAME JULIE LAVEEGNE

    • si la science acquise amène des jouissances avecelle, pouvoir ainsi pétrir seul l'âme et l'intelligencede ses enfants, en est une des plus exquises quisoient, ne vous semble-t-il pas?

    Le don d'imagination qui valut plus tard à.Mme Julie Lavergne ses succès d'écriyain, apparutde bonne, heure chez Julie Ozaneaux et se révélapar la facilité et le plaisir qu'elle avait à raconterdes histoires. » Son style fut cultivé dès l'enfanceen même temps que son raisonnement.

    Son intruction religieuse fut non moins soignée,comme en témoigne un mot de ses catéchistes àl'examen de la première communion: « Mademoi-selle, lui disaient-ils, nous perdons notre tempsavec vous, vous êtes très instruite » Une lettredelte 'n son père pendant la retraite préparatoire, àlaquelle nous reviendrons tout à l'heure, montreque le coeur n'était pas moins formé que l'esprit etdénote une précocité extrême.

    L'admirable lettre que son père, éloigné d'elle àce moment-là, lui répondit, nous montre assezqu'il entrevoyait déjà les dons particuliers de cettebelle intelligence. Nous ne citerons qu'un mot decette réponse, parce qu'il la résume avec force.« Je te dois un avis, ma Julie, que je ne sauraistrop te répéter.: Ne vois jamais autre chose dans leprivilège de savoir plus, que l'obligation de fairemieux. »

    « C'est misère, dit-il encore, quç le plus grand

  • ET LE DEVOIR DE LA FEMME

    savoir! il la modestie est pour nous une si impé-rieuse nécessité, qu'il y a presque de l'orgueil àen faire une vertu... n

    « Sois toujours bonne, rua fille, écrit-il encore,c'est la seule vraie science; c'est en particulier lepremier mérite, la solide beauté pour une femme, ».

    Quand on parcourt la vie de Julie Lavergne, onest émerveillé de voir combien dette enfant sutprofiter de ces admirables leçons; car, chez elle,jamais la vaste intelligence n'amoindrit !a modestie,et tous les actes de sa vie furent marqués au coin delaplus délicate bon-té.

  • II

    JULIE LAVERGNE JEUNE FILLE

    En vérité, à lire la lettre que Julie écrivit à sonpère la veille de sa première communion, on sedemande quand commença pour elle l'éclosion dela vie intérieure de la jeune fille. Aussi en ai-jeréservé la lecture pour la placer au début , de la viede Julie jeune fille:

    u Mon coeur est plein, bien plein d'une surabon-dance de vie et de joie. C'est demain, demain! quemon âme tout entière va s'unir à son Sauveur, à'Celui qui a dit: « Venez à moi, vous tous qui êtes

    affamés de bonheur. » Hier, j'étais trop Fatiguéepourt'écrire,je pleurais; maisaujourdhui mon âme'se double, se ravive, je suis heureuse d'espoir...Quel sera mon bonheur demain! o

    Quelle profondeur et quelle finesse de psycholo-gie: son âme se double, se ravive, elle est heureused'espoir! Que tout cela est bien pensé et bien dit,mais étonnant chez une ' enfant si jeune! Elle étaitlien prédestinée, marquée pour être de l'élite qui'

  • JUL1E LAVERGNE JEUNE FILLEil

    souffre, qui aime en souffrant, et que la souffranceaffine et féconde.-

    Cependant elle devait connaftre aussi tout ce querenferment les joies vraies de'la vie. Ses années dejeune fille nous la montrent pleine de cette gaieté,de cet entrain qui ne devaient jamais la quitter,même après les plus durs coups de la vie, mêmedans 'es souffrances aiguës, qui précédèrent sa fin.Cette belle nature était réagissante et rien ne pou-vait la vaincre, parce qu'elle puisait là où il est,le trésor de joie, d'espérance et de paix, dansl'amour de Dieu, de sa patrie, des siens et l'oublid'elle-mê me.

    « La gaieté de Julie, nous dit l'auteur de sa vie,la précocité de son intelligence, ses réparties char-mantes et le don qu'elle avait d'animer toutes lesréunions, l'avaient fait surnommer par son entourage• la reine des écoliers». Sa franchise était parfaite• Quelle horrible chose que le mensonge, écrivait-elle à M. Ozaneaux. Oh père je te jure qu'unmensonge, dût-il me sauver la vie, je ne Je feraijamais.

    La vie de jeune fille de Julie s'écoula à Versailleset comme elle savait mettre en valeur tout ce quiétait entre ses mains, il sortit plus tard de ce séjourdans la ville qui évoque pour nous tant de souve-nirs de la grandeur monarchique de notre chèreFrance, les célèbres Légendes de Trianon, dont elleest l'auteur. Elle voulut y dormir son dernier som-

  • JULIE LAVEIGNE JEUNE FILLE

    mcii nous pouvons y visiter Sa tombe et nousréconforter l'a, sous le rayon de ses grandsexemples.

    Laissons-la nous décrire elle-même sa vie defamille, rue Mademoiselle, où clic habitait: « A lamaison, chacun s'occupe deson côté toute la jour--née, écrivait-elle en 1843. Mon père, dans soncabinet de travail, entouré d'un double rempart delivres et de papiers, Lucien à sa pension avec ses x,Clotilde (elle parle de son frère et de sa soeur),avec maman. Le soir toute la famille se réunit autourd'une table gaiement éclairée: on lit, on cause, ontravaille, et cela vaut bien des soirées bruyantesCependant une invitation royale, pour le spectaclede 'I'rianon, est venue la semaine dernière romprecette uniformité. Mon père y est allé avec Clotildeet nous a fait, au retour, cent merveilleux récits surla beauté ravissante et les toilettes des jeunes prin-cesses. n

    Cette évocation de la table de famille où l'on lit,.tout haut, sans doute, où l'on échange ses impres-sions, où l'on coud et où souvent, bien sûr, plusd'un franc rire éclate, n'est-elle pas une bien'attrayante image de ce que peut être la vie defamille le soir?

    Nous ne pouvons, comme l'auteur de sa vie, que-puiser dans ses écrits, pour donner l'idée la plusvraie et la plus vivante de 'notre héroïne. Voicidonc son portrait peint par elle-même, pourrait-on

    's,.-

  • JULIE LAVERGNE JEUNE FILLE13

    dire, dans une lettre adressée à son père à l'âge de,dix-sept ans et demi.

    « J'aime beaucoup toucher à tout, cela multiplieles jouissances, e, grâce à cette espèce de système,j'écoute avec plaisir, tantôt une grave conversation,tantôt une folie. Après avoir raisonné et dérai-sonné avec des vieux, je cours avec des enfants,:tu je joue avec des chiens et des ehâts. Je regardeavec admiration un beau tableau, j'écoute une bellemusique avec grand plaisir; et cela ne m'empêchepas de me faire accompagner par un mirliton etd'en rire de tout rnod coeur. Enfermez-moi avec deslivres sérieux j'étudierai, avec des pasquinadesje rirai toute seule. Enliri je suis aussi disposée àraccommoder des bas qu'à lire les bouquins lesplus enfumés et les plus savants. N'importe où j'irai,je trouverai à m'occuper. Une seule chose -m'esttout à fait étrangère c'est d'aimer la compagniedes gens stupides et ignorants; mais ce qu'il y ade plus agréable au monde, à mon avis, c'est d'être'entourée de gens instruits, bons, spirituels. Cebonheur-là ne m'a jamais manqué et je fais des •voeux pour l'avoir toujours... n

    Ce bonheur—là ne pouvait manquer à Julie La-vergne, car une femme d'élite groupe autour d'elle,par la -force même des choses, aussi bien que parl'instinct, tout ce qui a de la valeur. Toutefois,son coeur et son intelligence étaient trop largespour restreindre cet idéal aux gens purement intel- -

  • JULIE LAVEHGrÇE JEUNE FILLE

    lectuels. Femme lettrée, qui devait devenir écri-vain, elle sut comprendre toute la noblesse aussi dela nature d'un artiste chrétien, c'est-à-dire d'unartiste qui peut élever la hauteur de son idéal jus-qu'à la hauteur 'de ses croyances, et ce fut avec joieet admiration qu'elle accepta de. s'unir à lui. «Clau-dius Lavergue était un chrétien fervent, et la seuleforce de son exemple et le seul entratnement de lasympathie, rions dit son fils, exerça sur la jeunefille une influence d'un caractère essentiellementreligieux. » Nous en trouvons l'aveu dans une des,lettres qu'elle lui adressa pendant ses fiançailles

    « C'est en rougissant que je pourrais vous direcombien, un peu de temps passé dans j e mondeavait affaibli en moi les pures croyances de ma pre-mière jeunesse.

    C'est en vous aimant que je les ai retrouvéeset rien ne saurait exprimer le bonheur que j'ai sentien me retrouvant tout d'un coup digne de prier etde prier pour vous. Soyez mon guide, ami, rendez.moi bonne et pieuse comme vous, et surtout ne medites plus, même en riant, que je ne vous aimepas; croyez que c'est un grand et impérissableamour que celui qui se fonde surie respect, l'estime,

    - et se mêle aux plus saintes croyances. Quelle bellevie que la vôtre, Clauclius! Que de bien déjà fait, enpeu d'années Quelle gloire pour moi que de par-tager votre avenir! »

    Heureuse fiancée que celle qui peut parler ainsi

  • JULIE LAVEBGNE JEUNE FILLE

    au futur compagnon de sa vie! Mais c'est qu'aussielle n'avait pas recherché surtout dans l'alliancequ'elle allait contracter les richesses, le confort, ,lenom, mais bien vraiment un homme, un chrétien,qui pût être, et pour toujours, son chef et sonappui. Beaucoup, sans doute, l'ont désiré et nel'ont pas trouvé, car une alliance chrétienne estun grand don de Dieu. Mais combien confient leuravenir, sans réserves, ii la Providence? Ne sefie-t-on pas trop à ses propres lumières, ne cher-che-t-on point tant de conditions matérielles, defortune, de lieux, de carrière, qu'on n'arrive pasà réunir tout cela et le reste.., c'est-à-dire le prin-cipal. Beaucoup aussi; il est vrai, ont été trompéesdans leur choix, mais ne pouvons-nous pas penseralors que, dans , le plan divin, elles étaient réser-véesà la mission plus haute, mais plus sévère,d'être à la fois le père et la mère d'une famille chré-tienne? Mystères providentiels qui recèlent deprofondes beautés sous la rude écorce de la souf-france, inclinons-nous devant eux!

    Si nous nous sommes attardée au côté mystiquede cette union si admirable, il ne faut pas croirepour cela qu'un bonheur plus humain et plus jeune.en était exclu. Claudius Lavergne était, parait-il,beau garçon, plein d'entrain et chanteur agréable.Quant à sa fiancée, on nous l'a déjà dépeinte commerayonnante de gaieté, et nous pouvons terminercette période dé sa vie par cette page bien moderne,

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    dans le bon sens du mot, puisqu'elle met en hon-neur les soins du ménage comme on commence àle refaire actuellement, en les entourant même,dans nos écoles ménagères, d'une auréole de sciencequ'ils n'avaient pas naguère. Mais nos aïeules fai-saient, et à UI) haut degré en ce genre, de lascience sans le savoir, comme M. Jourdain faisaitde la prose

    Voici donc la déclaration de la jeune fiancée àcet égard « Décidément, je crois que je serai unebonne femme de ménage. Le bonheur intérieur secompose de mille petits détails, insignifiants quandon les sépare, immenses quand on les réunit.(Quelle jolie formule et qu'elle dit bien ce qu'elleveut dire!) Je veux que mon mari, en rentrant,trouve toujours sa maison en ordre, sa femme paréepour le recevoir, son dîner prêt et bon. Vous riez,mon ami? moi aussi; mais cela est très sérieux aufond. Il y a des femmes assez sottes pour méprisertout cela; mais je ne suis pas de cet avis et je saisque les contrariétés de chaque jour aigrissent à lalongue le meilleur caractère. Et puis, je connaisdes dames qui n'ont d'autres conversations avecleurs maris que les embarras domestiques. Je, neveux pas être ainsi, et quand je parlerai ménage,parlez-moi politique, cela me rappellera à l'ordre...))

    Il semble d'après cela que Julie Lavergne, jeunefille, partageait le peu de goût des femmes de sontemps pour les discussions politiques. En ce temps-

  • JULIE LÀVERGNE JEUNE FILLE

    là, la crise n'était pas aussi aiguë que maintenant.Et, pour peu qu'on fermât les yeux, on pouvaitcroire que la politique restait la politique, la reli-gion, la religion, et que la liberté de conscienceétait autre chose qu'un vain mot. Cette fameusepolitique ne semblait pas alors attaquer directe-ment pour les femmes tout ce qui leur est le pluscher, elle n'entamait pas aussi visiblement jusqu'àla cellule familiale, jusqu'à la conscience person-nelle. Le moyen maintenant qu'une femme se désin-téresse de la politique sans se désintéresser dumême coup de l'âme des siens, de leur honneur,de leur avenir et aussi de leur bien-être matériel,attaqué par la tyrannie dans le fonctionnarisme,par l'abus des impôts et par un socialisme dange-reux.

    Julie Lavergne était trop intelligente, trop pa-triote et trop clairvoyante pour en rester longtempsà cette impression de jeune fille, et personne plusqu'elle, au contraire, ne laissa percer h chaqueinstant, dans sa vie journalière, le souci du biengénéral, politique et religieux. Mais n'anticiponspas et suivons—la d'abord dans S vie de jeunefemme, qui commence en 1844.

    M

  • 1F'

    JULIE LAVERGNE ÉPOUSE ET MÈRE

    Nous trouvons dans ses Recettes de ménàge à safille llose, manuscrit inédit dont la majeure partienous n été heureusement livrée dans sa Vie, un

    • véritable code de vie morale et pratique pour lesjeunes femmes. Laissez-moi vous en citer quelquesextraits

    «Ce qui manque à la plupart desjeunes épouses,écrit-elle, c'est de s'être préparées à leur vocation,c'est d'avoir envisagé sérieusement l'état qu'elleschoisissent. Les jeunes filles passent des poupéesaux enfants, sans autre transition que d'avoir jouéelles-mêmes le rôle de poupées entre les mains demères trop tendres; elles s'imaginent trouver chez-un mari l'indulgence maternelle, jouir d'une grandeliberté, être chéries, admirées, s'y prendre si bienqu'elles ne souffriront ni ne vieilliront jamais.Hélas! n

    Et plus loin o Dieu veut être aimé, et nous aussinous voulons être aimées; et c'est là, souvent, la

  • F!

    JULIE LAVEBGNE ÉPOUSE ET MÈREi

    èpierre d'achoppement de notre bonheur. Fternel-ilement d'amour, c'est un effrt de vertupour nous que de laisser à Dieu la première placedans le coeur que nous voulons posséder. Etd'abord il faut faire ceteWort,.ne pas prétendre êtreadorées, servies, comme un Dieu seul doit l'êtré;ne pas exiger que l'on, nous aime aveuglément,avec nos défauts, nos taches, nos rides, tout ce quiest répréhensible eu nous. Et puis, il lut êtreaimables, et à mesure que les années nous enlèvent

    grâces fugitives dont le passage est si rapide,il faut qu'à ces fleurs printanières succèdent lesépis de l'été, les fruits de l'automne; c'est là legrand art...

    Julie Lavergne devait réaliser pleinement pourelle—même l'idéal qu'elle avait si biendéfini!

    « Chez les païens, écrit-elle encorepour sa fille,la maison était, elle est encore pour la femme unesorte de prison. Chez les chrétiens, elle est sonroyaume, et pourtant il est peu de chrétiennes de-nos jours à qui pourraient s'appliquer les deuxmots qui résumèrent la vie d'une matrone romaine:Domum serpavit (Elle fut la gardienne du foyer).Ma fille, je te recommande et te souhaite de toutes.les forces de mon coeur de mériter cet éloge. DèsJe premier jour, que ton logis soit grand ou petit,élégant ou pauvre, n'importe! restesy et rends-leaimable.

    « Oublie plutôt la maison paternelle que de

  • ,oJULIE LAVÊBGNE ÉPOUSE ET MÈRE

    négliger la tienne. Que tout ce qui peut plaire àton mari se trouve rassemblé par tes soins. Queses amis y soient reçus en frères. -.

    « Ne ferme jamais ta porte. Il vaut mieux subirvingt visites importunes que d'en congédier unebonne. J'ai horreur des portes closes, des inté-rieurs murés, de ces maisons qui ne s'ouvrent qu'àcertaines heures, de ces foyers qu'on n'entrevoitque masqués et déguisés, de ces femmes vaniteusesqui se cachent pour raccommoder leur linge ettraînent des savates et des papillotes six jours parsemaine, pour s'habiller en princesse le septième,et tenir salon. La femme chrétienne doit être tou-jours proprement et dignement vêtue et toujoursprête à recevoir l'hôte que la Providence lui envoie.Rien de désagréable aux gens sensés, comme devoir ces changements perpétuels d'accoutrementsde jeunes femmes tantôt chenilles et tantôt papiirIons. Il faut avoir dans sa mise une certaine égalité,aussi éloignée du luxe que de la négligence...Sors le moins possible sans ton mari. Même pour'e service de Dieu, choisis de préférence les oeuvresque tu pourras faire chez toi. Travaille pour lespauvres dans ta maison, va tous les matins de trèsbonne heure à une messe basse. Une femme mariéedoit prier chez elle plus longtemps qu'à l'église.Notre-Seigneur se plaft dans les maisons où on lesert, où on travaille, où son image est 'a la placed'honneur, ce n'est pas le temple, mais l'atelier de

  • JULIE LAVERGNE ÉPOUSE ET MÈRE21

    Nazareth, il y vient invisiblement et le 'foyer chré-tien est sacré... -

    u Tu as trop 'de bon sens pour jamais imiter cesdames désoeuvrées qui vont, de magasin en . maga-5m, remuer les chiffons et ennuyer les gens. Rien•de plus sot que de faire une affaire d'état du choixd'un couvre-chef ou d'un cotillon. Pour peu qu'onait quelques notionsd'art, et l'esprit de son âge etde son état, on a vite discerné ce qui sied et ce quiconvient. )'

    Julie Lavergne passe ainsi eprevùe d'une façontrès concise, mais très complète, les devoirs d'unejeune femme. Nous sommes obligée de nous borner.Notons seulement au passage quelques . unes de sesréflexions qui s'adaptent plus particulièrement àl'heure actuelle.-

    Remarquons d'abord sa recommandation d'avoirun Christ à la place d'honneur, c'est-à-dire dans sonsalon. Si, en ce temps-là, c'était polir marquer qu'ilest le makre du loyer, n'est-ce pas encore plusindiqué de le rattacher au nôtre à l'heure où onl'arrache de tousies murs, de porter sa croix surnos poitrines, pour qu'il passe du moins partout oùnous passons!

    La maison, dit-elle, doit èlic hospitalière et ladame du logis doit être chez elle. Difficile problèmeI l'heure où nous vivons! Pour les Parisiennes, lenombre dès obligations sociales, religieuses etfamiliales, sans parler de celles du monde, les

  • 22JULIE LAVERGNE ÉPOUSE ET MÉBE

    appellent au dehors. Puis, pour toutes, le tempsactuel demande un particulier dévouement à la vieparoissiale et si chacune s'en tenait Uniquement aubien qu'elle peut faire chez elle, quel vide terribleet dangereux se ferait dans les oeuvres!

    Mais autre temps, autres besoins; ne doutons.pas que Mine Lavergne, en l'année 1912, n'eût.encouragé sa fille à être dame catéchiste, et n'eûtcouru elle-même par la pluie, le vent et la bouejusqu'aux pires faubourgs des extrémités de la capi-tale pour panser la plaie morale de la laïcisation;.ne sut-elle pas se dépenser sans compter clans les épi-démies.de choléra et de petite vérole pendant les-.quelles elle fut simplement admirable.

    Notons encore sa recommandation de commencerchaque journée par l'assistance à une messe mati-nale. Mme Lavergne renaissait ainsi chaque matin.à la vie morale comme à la vie physique, s'em-plissant les poumons d'oxygène et l'âme de souille.divin qu'elle répandait ensuite autour d'elle dans.ses multiples occupations. Elle ne pensait pointnuire à ses devoirs en leur dérobant cette heurematinale. Et pourtant combien n'étaient-ils pasnombreux en sa maternité, qui fut neuf fois renou-velée!

    Forte et bien portante d'ailleurs, elle avait com-pris qu'-elle puisait dans la vie surnaturelle ce qu'illui fallait d'énergie pour suffire à tout. Et, de fait,il semble que ses forces en aient été accrues, si

  • JULIE LAVERGNE ÉPOUSE ET MÈBE23

    nous en jugeons par] a manière dont ces nombreusesnaissances étaient accueillies. u Ce cher enfant,écrit-elle à ce sujet, et il s'agit du huitième, a étéreçu par nous avec la même joie qu'un fils aîné, etses frères et soeurs ont entouré son berceau avecallégresse et des expressions dignes des bergersde Bethléem.

    « Le nombre de ces petits pensionnaires du bonDieu ne nous effraye pas. Il est assez riche pour lesnourrir, assez bon pour les maintenir dans 'e droitchemin, et peut-être nous fera-t-il l'honneur d'enprendre quelqu'un tout à ('ait pour Lui. Enfin,je lesaime trop pour ne pas être persuadée qu'ilsseront tous d'honnêtes gens, et ce siècle en a grandbesoin... » Reposons ici un instant notre regardsur la lignée de Mme Lavergne, dont un des filsa eu quinze enfants et qui compte des prêtres et desreligieuses. Son souhait fut exaucé

    Que nous voilà loin du langage entendu tropsouvent actuellement; loin des ' calculs matérielsinquiets; loin de la défiance de l'avenir; loin sur-tout de la crainte de la gêne et de la souffrance quifait si tristement gémir les jeunes femmes sitôtqu'un troisième enfant paraît à l'horizon, quand cen'est pas dès le premier, dans certainsmilieux!loin de ce déplorable état d'esprit qui fait trop sou-vent maintenant annoncer les naissances, quandelles sont nombreuses, sur Id ton d'un terriblecataclysme arrivé dans une famille! L'enfant, en

  • 24JULIE . LAVERGNE ÉPOUSE ET MLIiI3

    effet, n'est-il pas le petit gêneur du plaisir, de lamondanité et de la coquetterie?

    Oui, c'est vrai? mïs si !e plaisir reste à la porte, lajoie entre au foyer, la joie quotidienne, et le rire dansles familles nombreuses sonne plus vrai et dure centfois plus que dans les distractions mondaines et fac-tices. La coquetterie n'est plus de mise, c'est vrai,mais elle est remplacée par la grâce souriante et ladignité de la mère, fière d'avoir mis au monde unenfant avec l'espoir plus noble encore d'eu faire unhomme digue de ce nom, un chrétien capable degrandes choses. C'est ce que sentait admirablementle coeur de Julie Lavergne. Plus haut encore, elleallait jusqu'au désir de donner ses enfants à Dieu;et Dieu, qui savait jusqu'où cette me pouvait monter,lui demanda ce sacrifice jusqu'à l'héroïsme, commenous le verrons plus tard.

    C'était bien vraiment un coeur évangélique que• celai de Julie Lavergne-: « Aux petits des oiseaux

    Dieu donne la pâture », u su dire le grand poètechrétien. « Dieu est assez riche pour nourrir sespetits pensionnaires », dit simplement Julie La-vergne. Et de fait sa confiance ne fut jamais troni-pée,.car, après des débuts fort modestes, elle vitle succès des oeuvres de son mH grandir et se dé-velopper au delà de tout ce qu'on aurait pu pré-voir; ce qui faisait dire au P. Lacordaire h la nais-sance d'un 'nouvel enfant : «. Je vois que Dieun'augmente pas vos charges sans augmenter vos

  • JULIE LAVERGNE ÉPOUSE ET MÈRE25

    ressources. Vous le méritez bien. n Le fait n'estpas rare dans les familles chrétiennes nombreijse's,nous l'avons pu constater souvent.-

    Entrée dans la vie avec cette belle confiance enDieu et cet abandon total, Mme Lavergne ne pou-vait qu'y marcher bravement et allègrement. Aussifut-elle la compagne idéale de l'artiste qui a besoinde s'élever Librement au-dessus des considérationsmatérielles pourarriver à la plénitude de sontalent.

    Mme Lavergne n'avait que des besoins vrais;cela en épargne beaucoup. Avouez que ceux quisont factices tiennent, au foyer d'aujourd'hui, uneplace vraiment encombrante.

    Son mari ne fut jamais torturé par la misérablequestion d'argent qui ronge tant de bons ménagesSoucieux de son devoir, il chercha cependant tou-jours à faire face aux nécessités de sa famille, sansqueson idéal ysombrtit, et quand il fonda cette entre-prisede vitraux qui le initaupremier rang des peiii--tres-verriers de son temps, ce ne fut qu'après biendes années d'un travail préparatoire l'ait dans la soli-tude, ou pour mieux dire dans la solitude à deux,-où, ensemble, ils étudièrent au point de vue litur-gique, historique et artistique, - bon nombre de su-jets qui devaient faire sa réputation. Et puis leurs.ânies étaient profondément religieuses, et c'est undes privilèges des enfants de Dieu que de savoir fairerayonner sa pensée dans leurs oeuvres. Mme La-

  • 26JULIE LAVEIIGNE t.POIJSE ET MÈRE

    vergne s'était dès longtemps préparée à seconderainsi son mari. N'écrivait-elle pas déjà 'n son fiancéu Aimez—moi bien, maii pas seulement commevotre femme; aimez-moi comme votre amie, commecelle dont l'intelligence peut vous comprendre. -C'est là la meilleure part, voyez—vous; celle querien n'altère:))

    Rapprochons de cesouhait cette page qui nousen donne la réalisation après plusieurs années detravail en commun :a Parmi les heures de bonheurqui nous furent accordées, il en est une dont jevoudrais fixer le souvenir d'une manière ineffaçableentre toutes. Ce sont ces heures d'étude, de trayaitpassées dans le silence des nuits d'hiver... Lelabeur du jour était fini, nous étions seuls, en paixavec Dieu; alors, au lien de nous abandonner aurepos, nous nous mettions à l'oeuvre, et, soldatsd'une noble cause, pour bien la servir, nous nousefforcions de la connaitre. Alors, à nos yeux ravisapparaissaient les saints, ces héros des temps écou-.lés, et nous les appelions à notre aide pour raviverla foi, l'amour du beau, dans ce siècle attiédi, pourdéfendre ceux qui combattent pour la vérité, pourencourage- les faibles et repousser les traitres! Etsouventun souffle d'enthousiasme passa et entraînanotre pensée. Et le coeur ému, la main tremblante,(le nobles pages Turent tracées par l'un, transcritespar l'autre. Qui comprendra ces heures? Ellesfurent rapides, mais renfermèrent plus de joies

  • JULIE LAVERGNE ÉPOUSE ET MilE

    intimes que les fêtes les pins brillantes n'en offri-rent jamais. »

    C'est de ces heures aussi que devaient sortir ces.compositions de vitraux qui devaient rendre l'ate-lier de Claudius aussi achalandé que célèbre. Danscette seconde phase de la vie de l'artiste, nous re-trouvons comme toujours sa vaillante compagne àses côtés. Là elle lui épargne ce qui aurait pu dé-.forer et amoindrir sa pensée. Dans cette entreprisede vitraux, il y avait forcément une partie commer-ciale.

    Mme Lavergne se chargea, pendant des an-nées, de la partie ingrate des comptes, laissantà son artiste tout soit pour ses composi-tions:

    Elle dominait alors en elle une répulsion très.vive, elle appelait cela « faire son purgatoireCombien de fois dut-elle aligner des additionsavecla forte tentation d'aligner plutôt ses pensées!Avec quelle -bonne grâce et quelle gaîté elle SCflacquittait, nous le voyons dans son compte mémo-rable à leur ami Louis Veuillot,. pour un vitrailde saint Louis dont, depuis longtemps, il demandaitle mémoire; et qui fut l'objet d'une correspon-dance digne de deux personnages aussi spirituels.Nous ne pouvons nous attarder à citer ici tout cepassage si amusant; quelques mots seulementde la fin de ce mémoire pour vous en donner uneidée:

  • 28JULIE LAVEBGNE ÉPOUSE ET MÈBE

    Avoir cuit saint Louis bu compagnie de plu-sieurs autres ............o 5o

    Lavoir recuit tout seul. . . . . . . . .1 -L'avoir emballé ..........iAvec soins et difficultés ........o 55Dans une caisse. . . . . .. .1 75De sapin ..............Paille supérieure - - - - - - - - - - -- ,13 clous dont â vis - - - - - - - - - -o ,Plus iutér& dis créd It à 6 P . -ne .....4

    u Sans compter les [rois généraux, l'écIirage,iesimpositions, les étrennes du concierge, le casse-ment de tête et la scie prolongée.

    u Le caissier de la manufactureu M'ame Grisppiasou. o

    Je regrette de ne pouvoir prendre le temps devous lire la spirituelle réponse de Veuillot, maisvous le voyez, Mme Lavergne savait rire des chosesqui l'ennuyaient c'est une grande vertu

    On est émerveillé, lorsqu'on parcourt la vie deMme Lavergne de constater tout ce que contenaientses journées. Elle recevait les clients, faisait lescomptes, la correspondance d'affaires artistiques;u les questions les plus abstraites d'hagiographie,d'esthétique, d'archéologie ou d'histoire étaienttraitées par elle avec une telle science et dans unstyle si lumineux, que les critiques et les éruditsn'y pouvaient contredire n. Or, cette part dans savie n'ôtait rien à l'exercice de ses fonctions mater-nelles dans leur régularité. -

  • JULIE LAVEBGNE ÉPOUSE' • ET MERE2

    Voici l'horaire qu'elle nous en fait elle-mêmeu De neuf heures à midi, je fais la classe. Le

    reste du temps est employé à la promenade, auménage et à la correspondance. Je n'ai plus letemps dé faire des visites, et je n'en souhaite plusque quand les enfants sont couchés. » Inclinons—nous devant cette belle résistance physique quisecondait si hier, sa vaillance morale. C'est unebien agréable grâce à recevoir, que de pou'oirêtre et faire ce que l'on veut! Mais si la Providenceavait choisi une autre voie pour Mme Lavergne,ne doutons pas qu'elle y fût entrée. Son attitudeeu face des maladies qui traversèrent sa vie, leprouve et se résume dans son admirable parole« J'aime mieux la maladie que 1e moindre péché.D'ailleurs les maladies sont des cadeaux du bonDieu! n

    Mais une des causes de ce bel équilibre que sutgardèr Mine Lavergne, ce fut, outre sa bonnesanté naturelle, Lavoir banni de sa vie les besoinsfactices en même temps que les occupations mon-daines.

    Cependant son hospitalière maison s'ouvrait en-core le soir, pour grouper un noyau d'amis d'éliteet se transformer en un intéressant salon artis-tique, religieux et littéraire. De fortune modeste,elle ne visait point au luxe, ni dans l'éclairage, nidans la tenue de la maîtresse de maison, ni dansdes rafraîchissements raffinés, servis de manière

  • 3eJULIE LAVERGNE ÉPOUSE ET MÈRE

    plus raffinée enèore. Point de laquais. non pluspour ouvrir la porte et sonner bien haut les nomsde marque! La porte s'ouvrait aux amis simple-ment; le sourire, un rayon de paix chrétienne, etla vraie gaièté de l'esprit français illuminaient lesalon assez brillamment pour attirer des hommestels que le R. P. Lacordaire, Mgr Mermillod, Fré-.dérie Ozanam, Louis Veuillot, Hippolyte Flandrin,l'abbé de Dreux—Brêzé, Mgi Gay, l'abbé Perreyveet Mgr d'Hulst; des archéologues, Étienne Cartier.et Pan! Durand; des docteurs, journalistes, pein-tres, sculpteurs; des femmes de lettres, telles que.Julie Gouraud et Zénaïde Fleuriot, etc. Au milieude tous ces hôtes, Mme Lavergne se mouvait àl'aise :. femmesdê lettres avec les littéraires, femmed'artiste avec les artistes, âme de grande chré-tienne avec les prêtres, mère de famille avec lesmères, la profondeur de son intelligence, la cha-leur de son coeur et l'enjouement de son espritles captivaient tous!

  • IV

    JULIE LAVERGNE PATIIJOTE

    Les heures tragiques de 1870 et de la Commune,allaient venir troubler cet intérieur de travail etde paix.

    Déjà, en x848, Mme Lavergne avait pu fairel'épreuve de sa bravoure. En -1870, se révéla sonâme d'héroïne. Le plus simplement du monde, ellefit et dit des choses sublimes « Pleurer et blâmerla guerre, c'est se faire l'alliée des Prussiens »,écrivait-elle à sa fille, religieuse, Marie-Stella deSion, et elle lance à son fils partant pour lafrontière de l'Est, cette sublime devise « Le devoirveut qu'on parte, et l'honneur veut qu'on chante! »

    Son devoir à elle, elle trouva qu'if était de resterii Paris. Elle fit de sa maison, une ambulance pen-dant la guerre, un refuge pendant la Commune,-et, pendant tout le temps, un dispensaire où l'ondistribuait des vivres et des paroles, et des exem-ples plus vivifiants encore. Elle fait passer les-nouvelles au journal l'Univers, imprimé à Ver- -sailles. Elle cache un jésuite, le P. Miliériot,

  • 32JULIE LAVERONE PATRIOTE

    pendant lit Elle entend les sifflementsdes obus au-dessus de son jardin, et crie simple-ment chaque fois « Saint Joseph, garde à vous »Elle partage sans cesse, jusqu'à ses dernières pro-visions avec les blessés, avec ses voisins, trouvantque la « protection de la Sainte Vierge est sivisible, qu'il ne faut s'inquiéter de rien », et defait, ses provisions se renouvellent toujours.

    Son énergie est indomptable, malgré sa sautetrès éprouvée, et l'absence de nouvelles de sortenrôlé dans l'armée. Elle écrit e On parle depaix, d'armistice, j'espère que cela ne sera pas.Et plus loin o il faut s'attendre à tout et n'avoirpeur de rien.Et - voici comment elle reçoit les

    • . insurgés « Une fois mes garçons hors d'ici, jetins ma porte ouverte; mais j'eus bien soin de

    • répandre de l'eau bénite sur le seuil. Bien m'enprit, ils vinrent trois fois pour perquisitionner. Jeleur dis Vous pouvez aller partout, et d'eux-mêmes ils s'arrêtèrent près de la fontaine. Il sem-blait qu'une main invisible les arrêtait.

    Puis, le feu est mis de l'autre côté de la rue et- la poudrière va sauter. Mmc. Lavergnc calme la

    panique, entraîne les siens et éteint l'incendie touten chantant l'Ave Maris Stella avec ses enfaùts.La poudrière saute! Atteinte elle-même, elle panseles blessés. L'état-major arrive Ses deux fillescourent bravement au milieu des chevaux et offrentau général de Rivière une rose en disant : « Gé-

    n

  • JULIE LAVERGt PATRIOTE33

    'néral, c'est la France qui vous l'oflre » Et legénéral de remercier et de dire « C'est la pre-mière fois que nous sommes ainsi reçus, et voilàtrois jours que nous sommes dans Paris! »

    Quelque temps après, au moment où les fils deMme Lavergne allaient, sur son ordre et sous lefeu des deux partis, remplacer au sommet de labarricade le drapeau rouge par le drapeau trico-lore, quelqu'un lui crie : ( C Ah I Madame retenezces jeunes gens, ils vont se faire massacrer! - Cesont mes enfants, répond-elle, et s'ils n'y allaientpas, je les y mènerais! » Et voici les lignes su-blimes qui résument cette période, et qu'ontrouva, jetées au hasard, sur les pages d'un agenda,d'où elles ne semblaient ne devoir jamais sortir

    « Épargner toute peine à ceux que nous aimons,c'est hiiïr leur ârne.i'aurais pu facilement éviter àmes enfants les épreuves et les souffrances de laguerre, et je ne l'ai point fait. Chrétiens, ils doi-vent combattre avec l'Église militante; Français,ils doivent souffrir quand la patrie souffre.

    « De tels tableaux ne sont point faits pour lesyeux des jeunes filles, disent les mères dégénéréesde ce siècle. Je veux, moi, que les yeux de mesfilles sachent se fixer sur le sang, sur le feu, sur lamort, si le devoir l'exige. Je veux, qu'au besoin,elles puissent gravir les degrés de l'échafaud,comme ont fait des centaines de Françaises aussijeunes, aussi délicates qu'elles-mêmes.

    3

  • 34JULIIS LAVEhGNE. PATBIOTE

    u Je fuis à cause de mes filles, mtont dit mes..amies. Je reste à cause de. mes enfants; ai-jeré-pondu. Tous ' doivnt être braves, les. 611es comme-les garçons, et je veux les voir au- feu. Je les y aivus, et grâces en soient;rendues à Dieu, aucund'eux n?a fléchi, aucun d'eux n'a fait àla canailleet au canon, Uhonneur de les craindre.

    u C'est la-- prudence de la chair qui nous tue1c'est elle qui a diminué la population de laFronce,c'est elle qui a enfanté les fuyards, honte et déses-poir de notre malheureuse patrie. C'est elle quinous fait abandonner la plus sainte des causes,parce qu'hurnainement elle est perdue; c'est elle(lui amoindrit le sentiment du devoir i et effacetoute notion de-l'honneur.

    u Oh-! mort, ton froid s'étend . di coeur desmères aux bras des enfants i et ils ne savent pluscombattre, parce qu'on leur a appris à compterleurs ennemis, à calculer leurs chances, à délibérer.

    u Mères des cavaliers de Reichshoffen et deszouaves de Patay, vous dont les larmes coulent ensilence sur des tombes sanglantes, priez pournous, priez pour la France, et que l'action degrâces se mêle à vos sanglots, car vos enfantsvèrent l'honneur, et leur exemple ranimera l'âmede la patrie! . -

    Si toutes les Françaises s'imprégnaient de cessentiments, la France serait vite régénérée, bientôt:victorieuse!

  • V

    FIN DE SON OEUVRE MATERNELLE

    Cependant les années s'étaient écuulees, et lamère allait voir les chers oiseaux s'envoler du nid.Que souhaitait-elle pour eux? Laissons-la nous ledire elle-même:- -

    (c Chaque état à ses inconvénients, et le: pire estde n'en pas avoir. On peut se sanctifier dans tous, -assurément, mais il me semble qu'après celui deprêtre, qui est incomparablement le meilleur,celui d'un artiste chrétien qui passe sa vie àadmirer et à reproduire les oeuvres de Dieu et àprêcher par son art la divine vérité, est l'état leplus beau et le plus souhaitable. Quant à la gloire:et aux biens temporels, je crois fermement qu'il.estde notre devoir de n'y pas songer, et que c'est aussice que nous pouvons faire de mieux pour notrebonheur. n Elle en avait laissé pour elle-même lesoin Dieu, et cela lui avait bien réussi

    Peut-être trouverez-vous, Mesdames, ce choix.de earrière un peu exclusif. Mais n'émane-t-il pas

  • 36 MADAME JULIE LAVERGNE

    de la plus délicate fidélité chez cette femme d'ar-tiste, et, à ce titre seul, n'est-il pas sympathiqueet « plaisant n à rappeler ici?

    Obligée de voir se disperser ses enfants qu'elleavait élevés avec tant de sollicitude vaillante, elleles suivait encore et les fortifiait de loin. C'estainsi qu'on possède d'elle un grand nombre de•lettres à son fils Noël, devenu artiste comme sonpère, et dont la nature droite et pure souffraitétrangement à la caserne.

    « Les soldats sont vicieux, grossiers, dis-tu.Hélas I les civilsvalent-ils mieux? Tu ne connaispas le monde, mon enfant; tu crois que tous lesvices sont au régiment. Dans la vie civile, c'estencore pis, car l'hypocrisie, les formes élégantesvoilent des plaies hideuses. Toutee qui n'est paschrétien est endiablé Remercions Dieu dene l'êtrepas, et tremblons, car il sera demandé à chacunselon ce qu'il aura reçu. A la place de ces malheu-reux, nous ferions peut-être pis qu'eux. Sachonsadmirer ce qui est au-dessus de nous, compatir àce qui est ah-dessous, mais, pour Dieu, n'imitonspas le bourgeois satisfait de lui-même Allons,mon cher garçon, Sursum corda! Saint François deSales dit que nous combattons en esprit les mons-tres d'Afrique, mais qu'en réalité nous nous lais-sons arrêter par de fort petites bêtes I Tiens-toi enétat de grâce d'abord, et cela fait, que ta dévotionsoit celle qui bâche. Mets les obstacles, les sauf-

  • FIN DE SON OEUVRE MATERNELLE37

    frances, les misères sous tes pieds et chante lachanson des hussards! Après tout, c'est de la gaietéfrançaise de boit aloi!

    o Les consignes multipliées sont très sages. .11faut briser les volontés, dresser les hommes à l'at-tention soutenue. Tu vois tout cela sous un mauvaisjour; les jurons et les blasphèmes te révoltent ette font mal juger les choses elles-mêmes. Ensomme, jamais consigne ne fut plus absurde quecelle donnée par saint Pacôme à son disciple• Plante cc bâton sec, va chercher de Veau au'• Jourdain, à une Lieue d'ici, et arrose-le. Demain tuu en feras autant, et ainsi de suite jusqu'à ce que le

    bâton fleurisse. » Le petit novice obéit, et au boutde trois années le bâton 'se couvrit de fleurs et lenovice était devenu un saint. Or donc, bien que toncaporal, ne ressemble pas plus à saint Pacôme queton b 2 lai â un palmier du désert, il faut arroser lebâton sec de bonne grâce et de belle humeur! n

    Ces paroles, pleines de sens chrétien, doiventêtre soulignées en ce temps où l'on glorifie l'indé-pendance et la libré pensée de la jeunesse et del'enfant lui-même, hélas! et oit l'on semble oublierque les plus grands chefs furent toujours 'ceux quiavaient d'abord donné l'exemple de la soumission.Nous autres, catholiques, ne sommes-nous pas aussides soldats? N'avons-nous pas besoin de l'esprit dediscipline et plus encore dans les heures difficilesque nous traversons. Ce soufflé impétueux d'iodé-

  • 'MADAME. JULIE LAVERGNE

    'perfdance religieuse, qui procède de l'orgueil, apassé -parmi nous. La science (avec un grand S) atenté de diminuer en nousje r.oyaumede Dieu. Pourbeaucoup, , surtout pour les jeunes, la tentation

    .n'est-elle pas grande .de se laisser attirer par lesséduisantes théories qui cachent l'abîme de l'hérésie.L'obéissance seule nous sauvera. , Beaucoup decatholiques paraissent trouver que les ordres venusde haut ressemblent aux conseils de saint.Pacôme.Mais ne l'oublions jamais pour nous-mêmes et -redisons-le, bien fort : « Le bâton du novice desaint- Pacôme,- un jour, se couvrit ' de fleurs!L'esprit d'obéissance et de discipline ne trompentjamais, sources de forces insoupçonnées. Remer--cions Julie Lavergne de nous l'avoir rappelé.

    Gèlle 'qui donnait de si vaillantes leçons à sesenfants devait, elle-même, passer par l'épreuve dufeu. Dieu, qui sait mesurer les forces de ses servi-teurs, l'avaitjugée digne d'alierjusqu'à l'héroïsme,dans l'holocauste du sacrifice. Mais il lui tenait enréserve desgrâces inépuisables comme ses douleursmêmes. Non seulement elle avait vu partir 'au cielplusieurs de 'ses enfants .en bas Age, mais elle duthure le sacrifice de ses deux délicieuses filles enles donnant à Dieu dans la vie religieuse, et sonsacrifice fut renouvelé par leur fin prématurée, finsi sereine et déjà si céleste qu 1 à peine peut-n luiconserver le nom de mort ! Elle apparaît plutôtcomme une nouvelle naissance, comme un épa-

  • FIN DE SONUV.BE MATEIINELLE3g

    nouissement de vie plus complet u Chantez leMagnificat sitôt que j'aurai rendu le dernier sou-pir n, disait la plus jeune à ses compagnes, et la'mort de l'aînée avait été plus souriante encore.

    C'est ce qui explique comment cette mère si ai-mante ne sombra pas dans l'épreuve, car, malgrésa belle énergie, il ne faut pas nous figurerMme Lavergne comme une héroïne d'airain qu'onadmire de loin, sur un piédestal. Elle était trèshumaine en sa douleur, très femme, très sensible;

    u Ma fille Lucie est toujours devant mes yeux,écrivait-elle avec sa simplicité accoutumée: Jepassedes heures ii pleurer dans la chapelle (le Sion. n

    Nous le voyons, cette femme de devoir n'avaitrien de janséniste dansie coeur, elle avait même,disons-le en passant, l'aversion du jansénisme. Ellene craint pas de pleurer, mais à la chapelle, 'pourpuiser toujours, avec l'apaisement, la douce sou-mission.

    u Certes, éei'it.elle, le bon Dieu m'a laissé degrandes consolations. Mes autres enfants men-,tourent, me caressent, veulent me consoler. Je suisune heureuse mère (héroïque parole 1), je le sens, etpourtant je ne fais que pleurer n

    Elle ne devait pas toujours pourtant s'atiarder-è ses larmes. Le travail qui avait si. fortement trempé-cette âme devait aussi la consoler.-

  • VI

    JULIE LAVERGNE ÉCRIVAIN

    Déjà,, lorsque l'âge de ses enfants lui avait laiss&un peu de loisir, Mme Lavergne s'était essayée danscette, voie de conteur moraliste. Que ce terme,Mesdemoiselles, ne vous fasse pas peur! Les oeuvresde Julie Lavergue, toutes revêtues du charme fée-rique d'une riche imagination, ne présentent rien.de morose ni de suranné. Son esprit prime-sautier,sa fine gaîté qui ne craint pas d'être parfois un peu.caustique, sa forte documentation historique quirend ses personnages vivants dans leur véritablecadre, l'ont préservée de ce qu'on appelle, avec si.peu de pitié, des « berquinades

    La vertu, dans ses contes, n'est rendue ni ridi-cule ni fastidieuse, elle ne lait pas de phrases; c'est.une vertu alerte,- vivante, bien française ; elle faitredescendre ses héros du domaine éthéré db rêve.Jugez-en, plutôt par ce petit passage des .1Vdges.d'antan, un de ses ouvrages les plus connus«il courut jusqu'au bois de Satory, se jeta parterre

    n

  • JULIE, LAVEIIGNE ÉCRIVAIN Ai

    dans un taillis et pleura longtemps. Et quand ileut bien pleuré et que l'ombre des arbres, s'allon-geant sur la mousse, l'avertit que le soir appro-chait, il redescendit vers la ville, soupa d'un petitpain, et reprit le coche pour revenir à Paris. Unhéros de roman n'eét pas soupé du tout, ni penséà l'heure du coche, mais Adrien n'était pas' unhéros, et ceci, lecteur, est une histoire vraie. »

    Nous nous sommes tant attardée au développe-ment des étapes successives, et si' captivantes enleur simplicité, de hi vie de Julie Lavergne, qu'ilne nous est pas possible de mire la part aussi largeque nous l'aimerions à l'écrivain. Nous avouonsd'ailleurs, ne pas regretter notre, procédé. Parl'étude psychologique de la personnalité de JulieLavergne, nous avons été aux sources; ses oeuvressont les ruisseaux qui en découlent. Nous gardonsl'espoir quenous vous avons donné l'envie de suivreleurs pentes fleuries.

    De sa Correspondance, dont les qualités du stylerappellent Mme de Sévigné, et la sagesse de lapensée Mme de Maintenon, nous avons dit unmot dès le début, car elle devait s'incorporer,en quelque sorte, à notre sujet et l'accompngner'dans tout son développement. La ((correspondance n,pour les femmes surtout, est la grande révélatricede l'âme. On trouve, dans celle de Mme Lavergnenon seulement le don bien féminin de la sensibi-lité du coeur et de l'imagination, mais le don plus

  • -A2JULIE' -LAVERGIVE ÉCRIVAIN

    rare 4e la force, de l'intelligence et de la fermetéde Ja logique. Et-cependant -Mute Laver.gne laisse,

    ,en chacune -de ses lettres, l'impression que si elle aplané -ai-n instant, ce n'est que pour redescendre-avec plus d'ardeur et de sollicitude, aux soins ,quil'attendent-au lever et au coucher des enfants, -à lasurvèillance de ses poules ou du pot-au-feu dontelle ne craint pas de donner la recette dans une deses lettres, très -fière qu'il soit trouvé bon. 'Seschappées sur les questions générales se mêlent

    ainsi toujours aux événements de la vie intime etménagère. Et pourtant sa correspondance forme unadmirable ensemble de vues et de j.ugernents surles questions politiques, religieuses, sociales etlittéraires.

    Royaliste inébranlable, la chute de la royautél'atteint- jusqu'au coeur, et sa fidélité à Monsieur leComte de ChambordIe suit jusqu'à la fin. Vibrantependant la guerre, plus qu'ejamais, elle en perçoites causes etentrevoitles périls futurs de la Répu-blique. Très nette dans ses attitudes, les grands-noms ne lui en imposent-pas aveuglément. Elle saitse séparer de Montalembert dans son erreur finalesur l'infaillibilité du Pape et suivre M. de Mun -dnsla fondation des Cercles catholiques d'ouvriers.'Nous devinons alors tout ce qu'elle eût été si sontemps l'avait entraînée, comme le nôtre, vers lesoeuvres sociales..

    Ndus la trouvons, 'n la date du premierjuitiet iSSo

  • JULIE LAVEBGNE ÉCRIVAIN43

    tristement mémorable par le renvoi des Jésuites,catholique militante et,. brave. Elle ne craint pointde se montrer, et terinin1:ainsi le récit qu'elle fajtde cette journée z « Je me repose avec 'les livresd'avoir crié et manifesté rue de Sèvres, fait factionà Saint-Sulpice et lu chaque jour les exploits descrocheteurs dont.nous subissons l'agréable gouver-cément. Moralement il ne faut pas nous en tour-menter et laisser les mâtins aboyer à la lune,.,maiseffectivement il faut les fouailler tant que faire se

    -pourra, et, chez nous on n'y manque pas. »Elle fustige Zola, Victor Hugo, Musset, la litté-

    ratureet le théâtre moderns dans ce qu'ils ont detepréhensible, et demande déjà, ce que nos liguesde femmes demandent aujourd'hui, que les femmes-qui se respectent s'abstiennent absolument de pa-rattre aux pièces malsaines et immorales.-

    Elle.est intransigeante dans ses principes, celaperce dans toute sa correspondance, et elle suit lavoie du beau et du bien sans concessions ni tergi-versations.

    Jetons un rapide coup d'oeil maintenant sur lesContes de Julie Lavergne, renonçant d'avance à endégager toutes les leçons de morale sociale qu'ilsrenferment, car c'est à chaque page qu'il faudraitnous arrêter

    Le nombre de ses productions nous. a d'abordéblouie, et davantage encore par le nombre d'an-nées relativement restreint qu'elle y consacra.

  • 44 •JULIE LAVEUGNI; ÉCRIVAIN

    Pourquoi écrivit-elle, et pourquoi choisit-elle de-faire des doutes? Elle nous le dit dans une lettre-adressée à MgrMermillod. Son but est - ((de dis-.traire, de consoler, d'amener des rêves gracieux n,.et, du même coup, de se distraire et de se consoler.- Bien souvent en est-il ainsi dans le bien qu'on.essaye de faire. Ce fut dans ce labeur assidu qu'elletrouva la possibilité de porter ses lourdes épreuves,avec la sérénité qu'elle conserva jusqu'à la fin.

    Son bai et ses procédés de travail, nous en trou--vons encore la révélation dans la préface des.Chroniques parisiennes,.si belle et si vihrahte quenous aimerions la citer d'un bout à-l'autre.

    « Heureux qui peut apporter, ne fût-ce qu'unetoute petite pierre, ou quelques grains de sable, àcette oeuvre de réédification de la France. Mais.qu'on ne s'y trompe pas, ce n'est pas de constaterl'état des ruines, ni de pleurer sur elles, qui con-tribuera à les réparer. Avant que l'édifice s'élèvedans les airs, avant même que les fondations soientcreusées, il faut qu'il apparaisse complet, réspien--dissant, dans la pensée de celui qui est appelé à lereconstruire. Un peuple qui veut reconquérir sa.grandeur doit d'abord comprendre ce qu'elle fut.,,

    La moindre de nos provinces, dit-elle ailleurs,est une mine inépuisable de traditions, de légendes.merveilleuses, et, glanant au hasard, je découvreà chaque pas des fleurs admirables. Je montreraila route, et, pendant le peu de temps qui me reste-

  • JULIE LAVEUGNE ÉCRIVAIN65

    vivre, je commencerai une flore de France, »Nous voyous percer ici la préoccupation constantede Mme Julie Lavergne. , de remettre en honneurl'histoire vraie. Ses contes, surtout les Légendes-de Trianon, sont contes brodés sur fond histo-tique. Pour elle sort de cette étude de rhistoire,non seulement la vérité, mais la vie qu'elle coin-inunique à ses oeuvres. Rien, par exemple, qui ne-soit vérifié dans les moindres détails, aux sourcesles plus authentiques, notamment dans les archivesdei Pères Capucins et dans celles de la Visitation,-en ce qui concerne ic roman extraordinaire duChevalier de Trélon et le récit du séjour-des der-niers Sluarts eu France. La falsification de l'his--toire était déj à la plaie de son temps; elle voulutréagir et faire rentrer l'histoire dans la vérité parfine exacte reconstitution du passé. - Puisse sonexemple êtr& suivi par les conteurs et les éduca-teurs modernes. -

    Comment composait-elle ses contes? Cette ques-tion lui fut posée par la fille d'Ozanam, -et voici cequ'elle répondit

    « Vous m'avez demandé où je prenais cescontes... Où je les prends? hélas! mon enfant, je!es prends où je les trouve, et ils éclosent pour moi-dans un chant, dans un nuage, dans une fleur, dansun souvenir. »- -

    « Le bon Dieu, lit-elle plus tard, m'a octroyé ledon d'invention. Toutes proportions gardées, je

  • 46JULIE' LAVERGNE. ÉCRIVAIN

    porte mes contes comme La Fontaine portait sesfables. J'ai eu neuf enfants, je suis trois fois grand'-mère; quand l'arbre adonné ses fleurs et ses fruits,il . .nelui reste plus qu'à disperser ses feuilles; laProvidence en sait encore tirer quelque chose. i

    Néus ne . pouvons nous faire une plus juste idéede son oeuvre, qu'en lisant l'article paru dans lesÉtudes, revue rédigée par les Pères Jésuites,.article dû à la plume du fin critique qu'est leP. Henri l3rémond

    « Pour Mme Julie Lavegne, la vie réelle et la vielittéraire se fondent en une harmonie. Elle traiteses héros, elle les écoute, elle, les comprend, elleles aime; elle les devine, comme elle a compr%,aimé, deviné, toutes les personnes qui ont traversésa vie. Son, œuvre littéraire n'était pas la décou-verte de fleurs nouvelles sur une terre inconnue;c'était seulement l'heure venue.de faire un bouquetde celles qui avaient laissé un tel parfum à ses.enfants et à ses amis. »

    « Son oeuvre, a dit récemment .k.chanoine Leci••gne, dans la bibliographie qu'il vient de faire parai-tre, peut se résumer en d'eux mots Elle voulaitfaire bien et du bien. n

    La prudence et la modestie de Julie Lavergue'mirent leur sceau sur son talent d'écrivain. Notisvoyons, dans une de ses lettres, combien elle seméfiait d'elle-même « J'ai voulu yoir si mes contessupporteraient l'impression, cette ((chose étrange»,

  • JULIE LAVEUGNE ÉCRIVAIN

    comme disait Madame de Sévigné, et qui avait tanbfait perdre, dans son esprit, aux 'Rondeaux de Ben-serade: J'ai fait tirer à cinquanite exemplaires monHistoire d'une dentelle, et le bien qu'on m'en ditme décidera,,peut --étre, à publier mes Légendes de.Trianon, mes Nouvelles, et mes chroniques deMonthriant. Mais je suis si difficile, je retouche et'je polis telleriient, que je ne nie risquerai pas avantd'avoir étudié encore la question et consulté despersonnes compétentes. r

    Elle demande des corrections. Elle écrit aucomte de Lansade-Jonquières, en 1877 «Il y a, deparle monde,' une demi-douzaine de personnes quiforment pour moi la majorité absolue, un « Conseildes Dix », une Cour de cassation, enfin: un, tribunalauquel j'obéiraisjusqu'à la potence inclusivement!

    Prudente et modeste dans ses publications,Mme Lavergne ne l'élait pas moins dans la façondont elle préparait son esprit aux compliments

    « Les Neiges d'antan, écrit-elle en 1877, me valenttant de compliments, tant de lettres charmantes,que je les relis pour vérifier si quelque lutin duMongol ne les u pas accommodées à mon insu chezle libraire. On m'appelle écrivain; abeille, sirène,peintresse, charmeresse, enchanteresse, etc. Celame met de fort belle humeur, et voici que • machère et incomparable maîtresse de l'art d'écrire,Mine, de Sévigné, me fournit un point pour resterdans les limites de l'humilité et du bon sens. J'ai

  • 48JULIE LAVERGNE ÉCRIVAIN

    copié ceci dans une de ses lettres inédites retrou-vées à Dijon par cet heureux M. Capmas... n

    Suit cette lettre que je ne passe pas sans regret,-car clii est exquise de finesse, de bon sens et dedouce sagesse, mais je ne suis point ici aujourd'huipour admirer avec vous Mme de Sévigné et je veuxhi'en tenir à Mine Julie Uvergne, trouvant qu'ellepeut nous suffire. -

    - - - Je lis, relis, et copie cela, poursuit Mine La-vergne, et j'en fais autant pour la Vie des Saints,moyennant quoi je m'estime ne valant guère etbousillant, tandis que si on lit les journaux on secroit des aigles 1 Puis j'ai mes poules à consulter.Ces honnêtes créatures, quand elles ont pondu, seréjouissent et m'avertissent par leur joyeuse chan-son. Elles ne font point la roue, elles ne sont point

    • fières, et pourtant le divin Maître s'est comparé àelles. --- Elles sont, tout naïvement contentes de -leurs beaux oeufs blancs, si doux aux malades, si

    • sains pour les petits enfants. Oh que je voudraisressembler à une poule

    Ne trouvons-nous pas là l'esprit de saint Frangoisde Sales?

    La conteuse, lieus le voyons, aima la critique etfut difficile pour elle—même; et c'est pour celaqu'elle nous légua de véritables petits chefs-d'oeuvreque nous devons lire et mettre entre les mains denos enfants pour qu'ils apprennent comment onparle et comment on pense en vrai français.

  • mam

    VII --

    DERNIÈRES ANNÉES

    • Les îàmes immortelles ne s'emprisonnent pasdans les ruines et les regrets. Les nids et les fleursdu printemps n'existent plus, la moisson est faite,l'hiver va venir et le soleil se couche. Mais en s'éle-vant bien haut l'alouette le voit encore à l'heure oùses rayons n'atteignent plus le faite des temples etdes palais... »

    Celle qui écrivait ces lignes avait le droit deIes«écrire. Jusqu'à la fin, elle plana au-dessus des-épreuves, des ruines de sa vie, se donnant, s'ou-bliant dans une pensée plus large : l'amour de laFrance, de ses semblables et de son -Dieu. Elleavait magnifiquement réalisé la belle devise: « Leseul bonheur en ce monde est -de faire son devoir

    n aimant Dieu. nCe devoir, il avait souvent dépassé pour , elle les

    -devoirs ordinaires de la femme ; elle, en cavait tou-jours suivi les indications providentielles de quelquenature. qu'il fût. « N'enferme rien da,ns la tombe

    - -4-

  • 50MADAME .IIJLIE LAVEBGNE

    qui t'attend, écrivait-elle pour elle-même ; rienque ta propre poussière; tu sais qu'elle se ranimera fet répands dans l'espacé tout ce que ton Ame peutdonner de riants souvenirs et d'immortelles espé-.rances. ,, Et elle donnait ce conseil à une femmepoète: Si tu as reçu l'étincelle du feu sacré, si ta.main sait fixei ta pensée, entrafuer avec elle ceuxqui liront ces pages dictées par l'harmonieusevoix d'une intelligence, d'une muse invisible, les-entraîner vers le Beau, n'hésite pas. »

    N'y a-t-il pas dans ces lignes, pour celles dernous qui sont appelées à travailler intellectuelle-ment; et par l'apostolat, un. encouragement précieuxà oser? Il est vrai, qu'en. compensation, nousrecueillons le sage avertissement suivant, commeconclusion d'une théorie sur le style,petit chef-d'oeuvre encore inédit que nous avons le plaisird'avoir entre les mains: « Si l'ispiration n'existe-pas, si vous en-êtes réduit à vous creuser la tété, àcopier, à piller:, à ressasser vingt fois- la même idée,

    - pour Dieu, n'écrivez point! Il y a tant d'autres:moyens d'ennuyer le prochain, de gagner sa vie et,de- tuer le temps I » -

    Mme Lavergné devait :s?éteindre en 1886, aprèstrois ans de souffrances supportées avec la plusdouce résignation. Voici, en effet, -ce qu'elle écri-vait à sou fils Joseph au cours .de sa longue maladie:« A- bientôt, dïagon chéri, je t'envoie, des coupletssur l'air de Tonton, tontaine,-tonton le souffrais

  • DERNIÈRES ANNÉES 5r

    bien quand je les ai faits. Mais vive la gaieté fran-çaise, qu'on soit à pied, à cheval, ou au lit. Je neyeux point obéir à Dieu en rechignant comme uneservante mal payée! C'est sainte Thérèse qui a ditcela, et elle avait bien raison. »

    Et yoici les vers qu'elle jeta sur le papier un mois.ayant sa mort, dernier souffle poétique d'une grandeâme chrétienne

    Entre languir, ou guérir, ou mourir,S'il 'ne fallait opter, je perdrais le dormir

    A réfléchir.Tou, le, trois ont du bon qui sait si l'avenirNe nie réserve point tel chagrin, que mourirMe vaudrait bien mieux que guérir!On peut gagner le ciel en td laissant languir,Sans révolte et sa,t cris il ne faut qu 'obéi r,Vous elansficz pour iii ai, mon Diet, je vo,, x sabirD'un coeur touons. l'arrêt de vivre ou de mourir.

    Coin 'u e un petit en fais t, dans vos bru t, an 'cii d crin h',Sans r leu cmi ridçe et sans rien choisir I

    Ainsi, jusqu'à son dernier souffle, cette belle âmedonna tout ce qu'elle pouvait donner.

    La France serait sauvée, a dit Jules Lemaitre,si chacun valait tout ce qu'il peut et doit valoir. »

    J'aime à relever 'cette pensée en finissant et àl'appliquer à Mme Julie Lavergne, cette femme desi haute valeur religieuse, morale et intellectuelle,qui sut vraiment valoir tout ce qu'elle pouvaitvaloir.

    Marthe RtcïlÀnDaitnE.

    Écolo profes,ioantlle d'imprimerie, à Noisy-le-Grand. - 552.12.12.