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Notes de cours Analyse Réelle V. MILLOT Master 1 de Mathématiques Université Paris Diderot - Paris 7

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Notes de cours

Analyse Réelle

V. MILLOT

Master 1 de MathématiquesUniversité Paris Diderot - Paris 7

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Table des matières

1 Espaces de fonctions continues 51.1 Quelques rappels de topologie générale . . . . . . . . . . . . . . . . 51.2 Ensembles compacts de fonctions continues . . . . . . . . . . . . . . 111.3 Ensembles denses de fonctions continues (rappels) . . . . . . . . . . 13

2 Espaces vectoriels normés 182.1 Normes (rappels) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182.2 Espaces normés de dimension finie (rappels) . . . . . . . . . . . . . . 212.3 Applications linéaires continues (rappels) . . . . . . . . . . . . . . . 232.4 Complément de topologie : le théorème de Baire . . . . . . . . . . . 242.5 Le théorème de Banach-Steinhaus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252.6 Le théorème de l’application ouverte . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272.7 Applications bilinéaires continues (rappels) . . . . . . . . . . . . . . 29

3 Dualité dans les espaces vectoriels normés 323.1 Espace dual et le théorème de Hahn-Banach . . . . . . . . . . . . . . 323.2 Espaces réflexifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 343.3 Identification d’un espace dual . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 373.4 Dualité dans les espaces `p . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 383.5 La convergence faible* . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 413.6 La convergence faible . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43

4 Espaces de Hilbert 474.1 Produit scalaire et orthogonalité (rappels) . . . . . . . . . . . . . . . 474.2 Projection orthogonale (rappels) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 484.3 Dualité dans les espaces de Hilbert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 504.4 Convergence faible dans les espaces de Hilbert . . . . . . . . . . . . 524.5 Bases hilbertiennes (rappels) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53

5 Espaces Lp 585.1 Rappels sur l’intégration de Lebesgue . . . . . . . . . . . . . . . . . 585.2 Rappels sur les espaces Lp . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 605.3 Le théorème de Radon-Nikodym . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 605.4 Mesures réelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 625.5 Dualité dans les espaces Lp . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 665.6 Densité des fonctions continues dans Lp . . . . . . . . . . . . . . . . 70

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Chapitre 1

Espaces de fonctions continues

1.1 Quelques rappels de topologie générale

1.1.1 Fonctions continues sur les espaces métriquesSoient (X, dX) et (F, dF ) deux espaces métriques. On note C0(X,F ) l’ensemble

des fonctions continues deX dans F . On dit qu’une fonction f ∈ C0(X,F ) est bornéesi le diamètre de f(X) est fini, c’est à dire si

diam(f(X)

)= supx,y∈X

dF(f(x), f(y)

)<∞ .

On note alors C0b (X,F ) l’ensemble formé des fonctions continues et bornées de X

dans F . On munit C0b (X,F ) de la distance d∞ appelée distance de la convergence

uniforme et définie par

d∞(f, g) := supx∈X

dF(f(x), g(x)

)∈ [0,∞) . (1.1)

Nous laissons le soin au lecteur de vérifier que d∞ définit bien une distance sur l’en-semble C0

b (X,F ).

Remarque 1. Si f ∈ C0(X,F ) et b ∈ F , la fonction x ∈ X 7→ dF(f(x), b

)∈ [0,∞)

est continue comme composée de fonctions continues. Si l’espaceX est compact, cettefonction est donc bornée. En conséquence, siX est compact, alors toute fonction conti-nue de X dans F est bornée, c’est à dire C0

b (X,F ) = C0(X,F ).

Remarque 2. Si (fn)n∈N est une suite de C0b (X,F ) et f une application de C0

b (X,F ),alors (fn)n∈N converge uniformément vers f si et seulement si d∞(fn, f)→ 0 lorsquen→∞.

Théorème 1.1. Si l’espace métrique F est complet, alors l’espace métrique C0b (X,F )

est complet.

Démonstration. Soit (fn)n∈N ⊂ C0b (X,F ) une suite de Cauchy. Etant de Cauchy, elle

est bornée, et il existe donc une constante C0 > 0 telle que d∞(fn, f0) 6 C0 pour toutn ∈ N. On observe maintenant que pour tout x ∈ X et n,m ∈ N,

dF (fn(x), fm(x)) 6 d∞(fn, fm) .

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En conséquence, la suite (fn(x))n∈N ⊂ F est de Cauchy pour tout x ∈ X , doncconvergente. On note `x ∈ F sa limite, et on considère l’application f : X → Fdéfinie par f(x) := `x. Vérifions que f est continue et bornée. On se donne doncx0 ∈ X et ε > 0 arbitraires. Puisque (fn)n∈N est de Cauchy, Il existe Nε ∈ N tel quepour tout n,m > Nε, d∞(fn, fm) < ε/3. En conséquence, (la fonction distance dFétant continue sur X ×X)

dF (f(x), fNε(x)) = limn→∞

dF (fn(x), fNε(x)) < ε/3 pour tout x ∈ X .

De plus, fNε étant continue, il existe δ > 0 tel que la condition dX(x, x0) < δ impliquedF (fNε(x), fNε(x0)) < ε/3. De ce fait, si dX(x, x0) < δ, alors nous avons

dF (f(x), f(x0)) 6 dF (f(x), fNε(x)) + dF (fNε(x), fNε(x0))

+ dF (fNε(x), f(x0)) < ε/3 + ε/3 + ε/3 = ε .

La fonction f est donc bien continue en x0. De plus, étant donné y ∈ X ,

dF(f(x0), f(y)

)6 dF

(f(x0), f0(x0)

)+ dF

(f0(x0), f0(y)

)+ dF

(f0(y), f(y)

)= limn→∞

dF(fn(x0), f0(x0)

)+ dF

(f0(x0), f0(y)

)+ limn→∞

dF(fn(y), f0(y)

)6 2C0 + diam

(f0(X)

).

Les points x0 et y étant arbitraires, on en conclut que f ∈ C0b (X,F ).

Il ne reste plus qu’à montrer que (fn)n∈N converge vers f dans C0b (X,F ), c’est

à dire que d∞(fn, f) → 0 lorsque n → ∞. On se donne une nouvelle fois ε >0 arbitraire. D’après notre discussion ci-dessus, dès que n,m > Nε, nous avonsdF (fn(x), fm(x)) < ε/3 pour tout x ∈ X . En passant à la limite m → ∞ avecx ∈ X fixé, nous en déduisons que dF (fn(x), f(x)) 6 ε/3 pour tout x ∈ X . Enconséquence, d∞(fn, f) < ε dès que n > Nε.

Remarque 3. Le Théorème 1.1 reste valide siX est un espace topologique quelconque.

Définition 1.2. Une application f : X → F est dite uniformément continue si pour toutε > 0, il existe δ > 0 tel que la condition dX(x, y) < δ implique dF

(f(x), f(y)

)< ε

pour tous x, y ∈ X .

Théorème 1.3 (Heine). Supposons X compact. Si f : X → F est une applicationcontinue, alors f est uniformément continue.

Démonstration. Fixons ε > 0 arbitraire. D’après la continuité de f , pour tout x ∈ X ,il existe δx > 0 tel que si y ∈ X vérifie dX(x, y) < δx, alors dF (f(x), f(y)) < ε/2.La collection B(x, δx/2)x∈X forme un recouvrement ouvert de X qui est compact.En conséquence, il existe une partie finie Z ⊂ X telle que

X =⋃z∈Z

B(z, δz/2) . (1.2)

On pose alors α := minz∈Z δz/2 > 0. On se donne maintenant x, y ∈ X vérifiantdX(x, y) < α. Montrons que dF (f(x), f(y)) < ε. En effet, d’après (1.2), il existez ∈ Z tel que dX(x, z) < δz/2. Mais alors,

dX(y, z) 6 dX(y, x) + dX(x, z) < α+ δz/2 6 δz .

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En conséquence,

dF (f(x), f(y)) 6 dF (f(x), f(z)) + dF (f(z), f(y)) < ε/2 + ε/2 = ε ,

ce qui termine la démonstration.

Une propriété importante des applications uniformément continues (que nous lais-sons en exercice) est donnée par le lemme suivant.

Lemme 1.4 (exercice). Soit f : X → F une application uniformément continue. Si(xn)n∈N ⊂ X est une suite de Cauchy de X , alors (f(xn))n∈N ⊂ F est une suite deCauchy de F .

Théorème 1.5. Supposons F complet. Soit Y ⊂ X une partie dense de X et f : Y →F une application uniformément continue. Il existe une unique application continuef : X → Y telle que f|Y = f . De plus, f est uniformément continue.

Démonstration. Commençons par montrer qu’un tel prolongement est unique. On sedonne deux prolongements continus f1 etf2 de f à X . L’application g : X → F ×F défine par g(x) :=

(f1(x), f2(x)

)est continue comme composée d’applications

continues. La diagonale ∆ := (y1, y2) ∈ F × F : y1 = y2 de F étant fermée dansF , on en déduit que A := x ∈ X : f1(x) = f2(x) = g−1(∆) est un fermé de X . OrY ⊂ A puisque f1 et f2 sont des prolongements de d. On a alors X = Y ⊂ A, ce quimontre que A = X , c’est à dire f1 = f2.

Montrons maintenant l’existence d’un tel prolongement. On se donne a ∈ X etune suite (xn)n∈N ⊂ Y telle que xn → a lorsque n → ∞. Puisque (xn)n∈N ⊂ Yest convergente, elle est de Cauchy. D’après le Lemme 1.4, la suite (f(xn))n∈N est deCauchy dans F , et donc convergente. Montrons que la limite de cette suite ne dépendpas du choix de la suite (xn)n∈N. En effet, si (yn)n∈N ⊂ Y est telle que yn → a,alors (par le même argument) (f(yn))n∈N est convergente. On considère alors la suite(zn)n∈N ⊂ Y définie par z2n := xn et z2n+1 := yn. Nous avons zn → a lorsquen → ∞, et donc (f(zn))n∈N est convergente. Or (f(xn))n∈N et (f(yn))n∈N sont dessous-suites de (f(zn))n∈N. En conséquence, limn f(xn) = limn f(zn) = limn f(yn).

Nous avons donc montré que la limite de (f(xn))n∈N ne dépend que de a, et pasde la suite xn → a. On note f(a) cette limite. On construit ainsi f : X → F en posantpour a ∈ X ,

f(a) :=

f(a) si a ∈ Y ,limn→∞

f(xn) pour une suite xn → a si a 6∈ Y .

Nous allons montrer que f est uniformément continue. On se donne ε > 0. Il existealors δ > 0 tel que pour x, y ∈ Y , dX(x, y) < δ implique dX

(f(x), f(y)

)< ε/2. Pour

a, b ∈ X tels que dX(a, b) < δ, il existe deux suites (xn)n∈N ⊂ Y et (yn)n∈N ⊂ Ytelles que xn → a et yn → b. Par continuité de dX , pour n assez grand nous avonsalors dF (xn, yn) < δ. En conséquence, dF

(f(xn), f(yn)

)< ε/2 pour n assez grand.

En faisant n→∞, nous obtenons donc dF(f(a), f(b)

)6 ε/2 < ε.

1.1.2 Produits d’espaces métriques compactsDéfinition 1.6. Soit (Ek, dk)k∈N une famille dénombrable d’espaces métriques. L’en-semble

E :=∏k∈N

Ek

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est l’ensemble des suites (xk)k∈N telles que xk ∈ Ek pour chaque k ∈ N. On munit Ede la distance (produit)

d((xk)k∈N, (yk)k∈N

):= sup

k∈N

min

(2−k, dk(xk, yk)

). (1.3)

La topologie sur E engendrée par d est appelée topologie produit (ou topologie de laconvergence simple).

Exercice 1. Montrer que d est bien une distance sur E.

Exercice 2 (Convergence simple). Montrer qu’une suite (xn)n∈N =((xnk )k∈N

)n∈N de

points de E converge vers un point x = (xk)k∈N de E si et seulement si

limn→∞

dk(xnk , xk) = 0 pour tout k ∈ N .

Théorème 1.7. Si (Ek, dk)k∈N est une famille dénombrable d’espaces métriques com-pacts, alors l’espace métrique (E,d) est compact.

Avant de procéder à la démonstration de ce théorème, nous allons faire quelquesrappels sur la notion de sous-suite.

Définition 1.8 (Suites et sous-suites). Soient E un ensemble et (xn)n∈N une suitede points de E. Une sous-suite de (xn)n∈N est une suite de points de E de la forme(xj(n))n∈N où j : N→ N est une application strictement croissante.

Remarque 4. Si j : N → N est une application strictement croissante, alors j(N) estune partie infinie de N. Réciproquement, si H ⊂ N est une partie infinie, alors il existeune unique application strictement croissante j : N → N telle que j(N) = H (l’ap-plication j est la numérotation croissante des éléments de H). En conséquence, unesous-suite d’une suite (xn)n∈N de points d’un ensemble E est uniquement déterminéepar la donnée d’une partie infinie H ⊂ N suivant la relation :

“xn est un terme de la sous-suite si et seulement si n ∈ H” .

On pourra alors noter la sous-suite sous la forme (xn)n∈H . Si (E, d) est un espacemétrique, la sous-suite (xn)n∈H converge vers un point x ∈ E si : pour tout ε > 0 ilexiste N ∈ H tel que pour tout n > N , n ∈ H , on a d(xn, x) < ε. Dans ce cas, nouspourrons utiliser la notation

limn→∞,n∈H

xn = x .

Lemme 1.9 (Lemme diagonal de Cantor). Soit (Hk)k∈N une suite décroissante (pourl’inclusion) de parties infinies de N. Il existe une partie infinie H ⊂ N telle que pourtout k ∈ N, l’ensemble H \Hk est fini.

Démonstration. Pour chaque k ∈ N, on note nk le k-ième élément de Hk. On pose

H := nk : k ∈ N .

Pour voir que H est une partie infinie, il suffit d’observer que nk < nk+1 pour toutk ∈ N. En effet, le (k + 1)-ième élément de Hk+1 est plus grand que le (k + 1)-ièmeélément de Hk (puisque Hk+1 ⊂ Hk), qui est lui même strictement plus grand quek-ième élément de Hk. De plus, si l > k, on a nl ∈ Hl ⊂ Hk. Et donc nl ∈ Hk

pour tout l > k. En conséquence, H \Hk ⊂ n0, n1, . . . , nk pour tout k ∈ N, ce quimontre bien que H \Hk est fini.

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Démonstration du Théorème 1.7. Soit (xn)n∈N =((xnk )k∈N

)n∈N une suite arbitraire

de points de E. Pour chaque k ∈ N, (xnk )n∈N est alors une suite de points de l’espacemétrique compact Ek. Pour k = 0, il existe donc une sous-suite de (xn0 )n∈N qui estconvergente. C’est à dire qu’il existe une partie infinie H0 ⊂ N telle que la suite(xn0 )n∈H0 soit convergente vers un point x0 ∈ E0. En d’autres termes, nous avons

limn→∞,n∈H0

d0(xn0 , x0) = 0 .

Maintenant, (xn1 )n∈H0est elle même une suite de l’espace métrique compact E1. Elle

admet donc une sous-suite convergente, c’est à dire qu’il existe une partie infinieH1 ⊂H0 et x1 ∈ E1 tels que

limn→∞,n∈H1

d1(xn1 , x1) = 0 .

Par récurrence, on construit ainsi pour chaque k ∈ N un point xk ∈ Ek et une partieinfinie Hk ⊂ N vérifiant Hk+1 ⊂ Hk et

limn→∞,n∈Hk

dk(xnk , xk) = 0 .

D’après le Lemme 1.9, il existe une partie infinie H ⊂ N telle que H \ Hk est finipour tout k ∈ N. Montrons maintenant que la sous-suite (xn)n∈H =

((xnk )k∈N

)n∈H

converge vers le point x := (xk)k∈N ∈ E. D’après l’Exercice 2, ce ci revient à montrerque dk(xnk , xk) → 0 lorsque n → ∞ avec n ∈ H , ceci pour chaque k ∈ N. Onse fixe donc k ∈ N, et soit ε > 0 arbitraire. Puisque (xnk )n∈Hk converge vers xk, ilexiste un entier Nk ∈ Hk tel que dk(xnk , xk) < ε pour tout n > Nk avec n ∈ Hk.D’autre part, H \Hk est fini. Il existe donc un entier Mk ∈ H tel que n ∈ Hk dès quen > Mk et n ∈ H . En conséquence, pour n > max(Nk,Mk) et n ∈ H , nous avonsdk(xnk , xk) < ε, ce qui montre bien que (xnk )n∈H converge vers xk.

1.1.3 PrécompacitéNous rappelons dans cette section une interaction importante entre compacité et

complétude.

Théorème 1.10. Tout espace métrique compact est complet.

Démonstration. Dans un espace métrique compact, de toute suite de Cauchy on peutextraire une sous-suite convergente. En d’autres termes, toute suite de Cauchy admetune valeur d’adhérence. Et donc toute suite de Cauchy est convergente.

Définition 1.11. Un espace métrique est dit précompact si, pour tout ε > 0, il peut êtrerecouvert par un nombre fini de parties de diamètre inférieur à ε.

Théorème 1.12. Un espace métrique est compact si et seulement si il est précompactet complet.

Démonstration. Si (X, dX) est un espace métrique compact, alors il est complet parle Théorème 1.10. De plus, pour ε > 0 donné, la famille B(x, ε/2)x∈X forme unrecouvrement ouvert de X . On peut donc en extraire un sous-recouvrement fini, quisera alors un recouvrement fini de X par des parties de diamètre inférieur à ε.

Réciproquement, supposonsX précompact et complet, et montrons queX est com-pact. On se donne une suite (xn)n∈N arbitraire, et nous voulons montrer que cette suiteadmet une sous-suite convergente. Puisque X est complet, il suffit de montrer que

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(xn)n∈N admet une sous-suite de Cauchy. Puisque X est précompact, il existe un re-couvrement fini (A1

j )m1j=1 de X par des parties A1

j ⊂ X vérifiant diam(A1j ) < 2−1.

Puisque

N =

m1⋃j=1

n : xn ∈ A1

j

,

il existe j1 ∈ 1, . . . ,m1 tel que

H1 :=n : xn ∈ A1

j1

soit une partie infinie de N. Nous avons alors

dX(xn, xp) < 2−1 ∀n, p ∈ H1 .

On procède ensuite par récurrence sur k > 1 : par précompacité de X , il existe un re-couvrement fini (Ak+1

j )mk+1

j=1 deX par des partiesAk+1j ⊂ X vérifiant diam(Ak+1

j ) <

2−(k+1). Puisque

Hk =

mk+1⋃j=1

n : n ∈ Hk et xn ∈ Ak+1

j

,

il existe jk+1 ∈ 1, . . . ,mk+1 tel que

Hk+1 :=n : n ∈ Hk et xn ∈ A1

jk+1

soit une partie infinie de Hk. On a alors

dX(xn, xp) < 2−(k+1) ∀n, p ∈ Hk+1 .

On a ainsi construit une suite (Hk)k>1 de parties infinies de N telles que Hk+1 ⊂ Hk.D’après le Lemme 1.9, il existe une partie infinie H ⊂ N telle que H \ Hk soit finipour tout k > 1.

Nous allons maintenant montrer que (xn)n∈H est de Cauchy. On se donne doncε > 0 arbitraire. Il existe alors kε > 1 tel que 2−kε < ε. Puisque H \ Hkε est fini,il existe un entier Nε ∈ H tel que n, p ∈ Hkε dès que n, p > Nε. En conséquence,dX(xn, xp) < 2−kε < ε dès que n, p ∈ H et n, p > Nε. La sous-suite (xn)n∈H estdonc bien de Cauchy.

1.1.4 Espaces séparablesDéfinition 1.13. Un espace topologique est dit séparable si il contient une partie dé-nombrable dense.

Remarque 5. Si (X, d) est un espace métrique, alors X est séparable si et seulementsi il existe une suite (xn)n∈N de points de X vérifiant la propriéte suivante : pour toutx ∈ X et tout ε > 0, il existe nx,ε ∈ N tel que d(x, xnx,ε) < ε.

Proposition 1.14. Si (X, dX) est un espace métrique compact, alors il est séparable.

Démonstration. Par compacité deX , pour tout n ∈ N il existe une partie finie Yn ⊂ Xtelle queX =

⋃x∈Yn B(x, 2−n). On poseD :=

⋃n Yn qui est une partie dénombrable

de X . Montrons que D est dense dans X . En effet, pour y ∈ X et ε donnés, il existen0 ∈ N tel que 2−n0 < ε, et x0 ∈ Yn0

tel que y ∈ B(x0, 2−n0). On a alors x0 ∈ D et

dX(y, x0) < ε.

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Lemme 1.15. Soit X un espace topologique séparable. Si (Oi)i∈I est une familled’ouverts non vides disjoints deux à deux, alors cette famille est au plus dénombrable.

Démonstration. Soit (xn)n∈N ⊂ X une suit dense dans X . Pour tout i ∈ I , il existealors n(i) ∈ N tel que xn(i) ∈ Oi. Puis que les ouverts (Oi)i∈I sont disjoints deuxà deux, nous xn(i) 6= xn(j) si i 6= j, si bien que n(i) 6= n(j) si i 6= j. L’applicationi ∈ I 7→ n(i) ∈ N est donc injective, ce qui montre que I est au plus dénombrable.

1.2 Ensembles compacts de fonctions continuesDans toute cette section, nous considérerons un espace métrique compact (X, dX)

et un espace métrique (F, dF ). Nous allons chercher à caractériser les parties com-pactes de l’espace métrique C0(X,F ).

Proposition 1.16. Supposons X compact. Soit H une partie compacte de C0(X,F )et x0 ∈ X . L’ensemble

H(x0) :=f(x0) : f ∈ H

⊂ F

est une partie compacte de F .

Démonstration. Pour f, g ∈ C0(X,F ), nous avons dF(f(x0), g(x0)

)6 d∞(f, g).

L’application e0 : C0(X,F )→ F définie par e0(f) := f(x0) est donc 1-lipschitzienne.En particulier, elle est continue. Or H(x0) = e0(H). Puisque H est compacte, H(x0)est un compact de F .

Définition 1.17. Soit (K, dK) un espace métrique. Une partieH ⊂ C0(K,F ) est diteéquicontinue au point x0 ∈ K si pour tout ε > 0, il existe δ > 0 tel que la conditiondK(x, x0) < δ implique dF

(f(x), f(x0)

)< ε pour tout x ∈ K et tout f ∈ H. La

partieH est dite équicontinue si elle est équicontinue en tout point de K.

Définition 1.18. Soit (K, dK) un espace métrique. Une partieH ⊂ C0(K,F ) est diteuniformément équicontinue si pour tout ε > 0, il existe δ > 0 tel que la conditiondK(x, y) < δ implique dF

(f(x), f(y)

)< ε pour tous x, y ∈ K et tout f ∈ H.

Remarque 6. Si l’espace métrique K est compact, alors toute partie équicontinueH ⊂C0(K,F ) est en fait uniformément équicontinue. La démonstration est identique à ladémonstration du Théorème 1.3, et nous la laissons en exercice.

Théorème 1.19. Supposons X compact. Si H ⊂ C0(X,F ) est compacte, alors H estéquicontinue (et donc uniformément équicontinue).

Démonstration. On se fixe x0 ∈ X et ε > 0 arbitraires. Pour δ > 0 on pose

A(δ) :=f ∈ C0(X,F ) : sup

x∈B(x0,δ)

dF(f(x), f(x0)

)< ε.

Pour une fonction f ∈ C0(X,F ) donnée, il existe δf > 0 tel que f ∈ A(δf ) (puisquef est continue). En conséquence,

C0(X,F ) =⋃δ>0

A(δ) . (1.4)

11

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Nous allons maintenant montrer que chaque A(δ) est ouvert dans C0(X,F ). En effet,si f ∈ A(δ) et

λ := ε− supx∈B(x0,δ)

dF(f(x), f(x0)

)> 0 ,

alors pour g ∈ B(f, λ/2), nous avons

dF(g(x), g(x0)

)6 dF

(g(x), f(x)

)+ dF

(f(x), f(x0)

)+ dF

(f(x0), g(x0)

)< λ/2 + dF

(f(x), f(x0)

)+ λ/2 6 ε ,

pour tout x ∈ B(x0, δ). Ceci montre que B(f, λ/2) ⊂ A(δ), et A(δ) est bien ouvert.En conséquence de (1.4), A(δ)δ>0 forme un recouvrement ouvert de la partie

H qui est compacte. Nous pouvons donc en extraire un sous-recouvrement fini. End’autres termes, il existe δ1 > 0, . . . , δp > 0 tels que

H ⊂p⋃i=1

A(δi) .

On pose δ := mini δi > 0. Pour f ∈ H et x ∈ B(x0, δ), nous avons f ∈ A(δif ) pourun certain if ∈ 1, . . . , p et dX(x, x0) < δif , si bien que dF

(f(x), f(x0)

)< ε. La

partieH est donc bien équicontinue en x0.

Corollaire 1.20 (exercice). SupposonsX compact. SiH ⊂ C0(X,F ) est relativementcompacte, alors H(x) est relativement compacte dans F pour tout x ∈ X , et H estéquicontinue (et donc uniformément équicontinue).

Théorème 1.21 (d’Arzelà-Ascoli). Supposons X compact et F complet. Soit H ⊂C0(X,F ) une partie vérifiant

(i) H(x) est relativement compacte dans F pour tout x ∈ X ,

(ii) H est équicontinue.

AlorsH est relativement compacte dans C0(X,F ).

Remarque 7. Si on suppose de plus que H est fermée dans C0(X,F ), alorsH est unepartie compacte de C0(X,F ).

Démonstration du Théorème 1.21. Montrer que H est relativement compact revient àmontrer que son adhérenceH est compacte. PuisqueC0(X,F ) est un espace métrique,il suffit donc de montrer que toute suite de H admet une sous-suite convergente (dansC0(X,F )). On se donne donc donc une suite (fn)n∈N ⊂ H. Pour chaque n ∈ N, onconsidère gn ∈ H telle que d∞(gn, fn) < 2−n.

L’espace métrique X étant supposé compact, il est séparable d’après la Proposi-tion 1.14. Nous pouvons donc trouver une suite (xk)k∈N ⊂ X dense dans X . D’aprèsl’hypothèse (i), pour chaque k ∈ N il existe une partie compacte Fk ⊂ F telle queH(xk) ⊂ Fk. Pour tout k ∈ N, l’espace métrique (Fk, dF ) est compact. On pose

E :=∏k∈N

Fk

que l’on munit de la distance produit d définie en (1.3). D’après le Théorème 1.7, l’es-pace métrique (E,d) est compact. On définit maintenant l’application Φ : H → Epar Φ(g) = (g(xk))k∈N. Puisque E est compact, la suite (Φ(gn))n∈N ⊂ E ad-met une sous-suite (Φ(gj(n)))n∈N convergente. En conséquence (voir l’Exercice 2),

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la suite(gj(n)(xk)

)n∈N ⊂ Fk ⊂ F est convergente pour tout k ∈ N. En particulier,(

gj(n)(xk))n∈N est de Cauchy (dans F ) pour tout k ∈ N.

Nous allons maintenant montrer que la suite (gj(n))n∈N est en fait de Cauchy dansC0(X,F ). En effet, puisque H est équicontinue, H est uniformément équicontinued’après la Remarque 6. On se donne ε > 0 arbitraire. Il existe alors δ > 0 tel quepour tout g ∈ H, dX(x, y) < δ implique dF

(g(x), g(y)

)< ε/3. Puisque (xk)k∈N est

dense dansX , la famille B(xk, δ)k∈N forme un recouvrement ouvert deX compact.Il existe donc L ∈ N tel que

X =

L⋃k=0

B(xk, δ) .

De plus, la suite(gj(n)(xk)

)n∈N est de Cauchy pour chaque k = 0, . . . , L. Il existe

donc M ∈ N tel que pour tout n,m >M ,

dF(gj(n)(xk), gj(m)(xk)

)< ε/3 pour k = 0, . . . , L .

Etant donné x ∈ X arbitraire, on peut trouver kx ∈ 0, . . . , L tel que x ∈ B(xkx , δ),si bien que pour n,m >M ,

dF(gj(n)(x), gj(m)(x)

)6 dF

(gj(n)(x), gj(n)(xk)

)+ dF

(gj(n)(xk), gj(m)(xk)

)+ dF

(gj(m)(xk), gj(m)(x)

)< ε/3 + ε/3 + ε/3 = ε .

Le point x étant quelconque, nous avons donc montré que d∞(gj(n), gj(m)

)< ε pour

n,m >M . La suite (gj(n))n∈N est donc bien de Cauchy dans C0(X,F ).D’après le Théorème 1.1, l’espace C0(X,F ) est complet. La suite (gj(n))n∈N

converge donc dans C0(X,F ) vers un certain g ∈ C0(X,F ). Puisque (gj(n))n∈N ⊂H, nous avons g ∈ H. Pour conclure, nous observons que

d∞(fj(n), g) 6 d∞(fj(n), gj(n)) + d∞(gj(n), g)

6 2−j(n) + d∞(gj(n), g) −→n→∞

0 .

La sous-suite (fj(n))n ∈ N est donc convergente (vers g) dans C0(X,F ).

1.3 Ensembles denses de fonctions continues (rappels)Dans toute cette section, nous considérons un espace métrique compact (X, dX).

Notre but sera de déterminer un critère de densité d’une partie de C0(X,R) (ou deC0(X,C)).

Lemme 1.22. Soit a > 0. Il existe une suite de polynômes (Pn)n∈N à coefficients réelsqui converge uniformément sur [−a, a] vers la fonction t 7→ |t|.

Démonstration. On construit la suite (Pn)n∈N par récurrence. On pose P0(t) := 0,puis

Pn+1(t) := Pn(t) +1

2a

(t2 − P 2

n(t)).

Montrons que0 6 Pn(t) 6 Pn+1(t) 6 |t| ∀t ∈ [−a, a] .

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En effet, si t2 − P 2n(t) > 0, alors Pn+1(t) > Pn(t). De plus, pour t ∈ [−a, a],

t2 − P 2n+1(t) =

(|t|+ Pn+1(t)

)(|t| − Pn+1(t)

)=(|t|+ Pn+1(t)

)(|t| − Pn(t)− 1

2a

(|t|+ Pn(t)

)(|t| − Pn(t)

))=(|t|+ Pn+1(t)

)(|t| − Pn(t)

)(1− 1

2a

(|t|+ Pn(t)

))>(|t|+ Pn+1(t)

)(|t| − Pn(t)

)(1− |t|

2a

)>

1

2

(|t|+ Pn+1(t)

)(|t| − Pn(t)

)> 0

Par construction, la suite (Pn)n∈N ⊂ C0([−a, a],R) est donc croissante. En consé-quence, la limite ϕ(t) := limn Pn(t) existe pour tout t ∈ [−a, a], et elle vérifie

ϕ(t) = ϕ(t) +1

2a

(t2 − ϕ2(t)

),

ce qui montre que ϕ(t) = |t| (puisque ϕ(t) > 0). On conclut alors à l’aide du lemmesuivant.

Lemme 1.23 (de Dini). Soit (fn)n∈N ⊂ C0(X,R) une suite croissante (c’est à direfn 6 fn+1) telle que (fn)n∈N converge simplement vers une fonction f ∈ C0(X,R).Alors (fn)n∈N converge uniformément vers f .

Démonstration. On se donne ε > 0 arbitraire. Pour chaque n ∈ N, on pose

Un :=x ∈ X : f(x)− fn(x) < ε

.

Par continuité de fn et f , l’ensemble Un est un ouvert de X . De plus, Un ⊂ Un+1

puisque (fn)n∈N ⊂ C0(X,R) est croissante. De la convergence simple de (fn)n∈N ⊂C0(X,R) vers f , on déduit que X =

⋃n Un. Or X est compact, et il existe donc

N ∈ N tel que X =⋃Nn=0 Un = UN . En conséquence, 0 6 f(x) − fn(x) < ε pour

tout x ∈ X dès que n > N . En d’autres termes, d∞(f, fn) < ε dès que n > N .

Définition 1.24. Soient (F, dF ) un espace métrique, et V ⊂ C0(X,F ). On dit queV sépare les points de X si pour tout x, y ∈ X , x 6= y, il existe f ∈ V telle quef(x) 6= f(y).

Lemme 1.25. Soit V ⊂ C0(X,R) telle que

(i) V contient les fonctions constantes ;

(ii) pour tous x, y ∈ X avec x 6= y, pour tous u, v ∈ R, et pour tout ε > 0, il existef ∈ V telle que |f(x)− u| < ε et |f(y)− v| < ε ;

(iii) pour tous f, g ∈ V , max(f, g) ∈ V et min(f, g) ∈ V .

Alors V est dense dans C0(X,R).

Démonstration. On se donne g ∈ C0(X,R) et ε > 0 arbitraires.Etape 1. On se fixe un point a ∈ X . D’après les hypothèses (i) et (ii), pour tout x ∈ Xil existe fx ∈ C0(X,R) telle que |fx(a)− g(a)| < ε et |fx(x)− g(x)| < ε (si x 6= a

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on utilise (ii), et si x = a on choisit la fonction constante fx = g(a)). On observe alorsque pour tout x ∈ X , l’ensemble

Ux :=y ∈ X : fx(y) < g(y) + ε

est un voisinage ouvert de x. En conséquence, la famille Uxx∈X est un recouvrementouvert de X qui est compact. Il existe donc une partie finie J ⊂ X telle que X =⋃x∈J Ux. On pose alors

ha := minx∈J

fx .

L’hypothèse (iii) nous dit alors que ha ∈ V . Par construction, nous avons

ha(a) > g(a)− ε et ha(y) < g(y) + ε pour tout y ∈ X .

Etape 2. Pour a ∈ X , on pose

Wa :=y ∈ X : ha(y) > g(y)− ε

.

L’ensemble Wa est alors un voisinage ouvert de a d’après l’Etape 1. En particulier, lafamille Waa∈X forme donc un recouvrement ouvert de X compact. Il existe doncune partie finie A ⊂ X telle que X =

⋃a∈AWa. On pose

f := maxa∈A

ha .

Encore une fois, L’hypothèse (iii) nous dit alors que f ∈ V , et par construction nousavons |f(y)− g(y)| < ε pour tout y ∈ X . En conséquence, d∞(f, g) < ε.

Lemme 1.26. Soit V un sous-espace vectoriel de C0(X,R) contenant les fonctionsconstantes et séparant les points de X . Si |f | ∈ V pour tout f ∈ V , alors V est densedans C0(X,R).

Démonstration. Montrons que V vérifie les hypothèses du Lemme 1.25. L’hypothèse(i) nous est donnée, et il reste à vérifier (ii) et (iii).

Pour x, y ∈ X avec x 6= y, et u, v ∈ R, il existe g ∈ V telle que g(x) 6= g(y). Onpose alors

f(z) := u+ (v − u)g(z)− g(x)

g(y)− g(x)∈ V

pour vérifier (ii).Maintenant, si f, g ∈ V , nous avons

max(f, g) =1

2(f + g) +

1

2|f − g| ∈ V ,

etmin(f, g) =

1

2(f + g)− 1

2|f − g| ∈ V ,

ce qui termine la démonstration.

Théorème 1.27 (de Stone-Weierstrass, cas réel). SoitA une sous-algèbre deC0(X,R)contenant les fonctions constantes et séparant les points de X . Alors A est dense dansC0(X,R).

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Démonstration. Il suffit de montrer que A vérifie les hypothèses du Lemme 1.26.Puisque A contient les fonctions constantes, A les contient également. L’ensemble Aétant une sous-algèbre de C0(X,R), A l’est aussi (exercice). En particulier, A est unsous-espace vectoriel de C0(X,R). Enfin, comme A sépare les points de X , A lessépare aussi. Il reste donc à montrer que |f | ∈ A pour tout f ∈ A.

On se donne donc f ∈ A. Puisque f est continue sur X compact, f est bornée. Ilexiste donc a > 0 tel que |f(x)| 6 a pour tout x ∈ X . D’après le Lemme 1.22, il existeune suite de polynômes à coefficients réels telle que (Pn)n∈N converge uniformémentsur [−a, a] vers t 7→ |t|. En conséquence, la suite (Pn f)n∈N converge uniformémentsur X vers |f |. Or A étant une alg‘ebre, Pn f ∈ A pour tout n ∈ N, ce qui montreque |f | ∈ A (puisque A est fermé).

Théorème 1.28 (de Stone-Weierstrass, cas complexe). Soit A une sous-algèbre deC0(X,C) contenant les fonctions constantes et séparant les points de X . Si de plus Aest stable par conjugaison complexe, alors A est dense dans C0(X,C).

Démonstration. On note Re(A) l’ensemble des parties réelles Re(f) des fonctionsf ∈ A. On a alors Re(A) = A ∩ C0(X,R) puisque Re(f) = 1/2(f + f) ∈ A pourtout f ∈ A. Montrons que Re(A) vérifie les hypothèses du Théorème 1.27. Re(A)est bien sûr une sous-algèbre de C0(X,R) contenant les fonctions constantes. De plus,pour x, y ∈ X avec x 6= y, il existe f ∈ A telle que f(x) 6= f(y), si bien queRe(f)(x) 6= Re(f)(y) ou Re(if)(x) 6= Re(if)(y), et Re(A) sépare donc les pointsde X . En conséquence, Re(A) est dense dans C0(X,R).

On se donne maintenant g ∈ C0(X,C) et ε > 0 arbitraire. Il existe alors f1, f2 ∈A telles que d∞

(Re(f1),Re(g)

)< ε/

√2, et d∞

(Re(f2),Re(−ig)

)< ε/

√2. En

posant

f :=1

2(f1 + f1 + if2 + if2) ∈ A ,

nous avons alors d∞(f, g) < ε.

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Chapitre 2

Espaces vectoriels normés

Dans tout ce chapitre, K désigne R ou C, et tout espace vectoriel est considérécomme espace vectoriel sur K.

2.1 Normes (rappels)Définition 2.1. SoitE un espace vectoriel. Une application ‖·‖ : E → [0,∞) vérifiant

(i) ‖x‖ = 0 si et seulement si x = 0 ;

(ii) ‖λx‖ = |λ| ‖x‖ pour tous x ∈ E et λ ∈ K ;

(iii) ‖x+ y‖ 6 ‖x‖+ ‖y‖ pour tous x, y ∈ E ;

est appelée norme sur E. L’espace E muni d’une norme ‖ · ‖ est alors appelé espacevectoriel normé.

Proposition 2.2 (exercice). Soit (E, ‖ · ‖) un espace vectoriel normé. La fonction(x, y) ∈ E × E 7→ ‖x− y‖ ∈ [0,∞) est une distance sur E.

Dans toute la suite, un espace vectoriel normé sera muni de la distance issue de sanorme ainsi que la topologie engendrée par celle-ci. Les espaces vectoriels normés sontdonc des exemples particuliers d’espaces métriques. Lorsque que nous parlerons d’unespace norméE (sans expliciter la norme), nous noterons ‖·‖E la norme implicitementévoquée. Nous notons BE(x, r) la boule ouverte associée de centre x et de rayon r, etBE(x, r) la boule fermée.

Théorème 2.3 (exercice). Soit E un espace vectoriel normé. Les applications (x, y) ∈E × E 7→ x+ y ∈ E et (λ, x) ∈ K× E 7→ λx ∈ E sont continues.

Définition 2.4. Soit E un espace vectoriel normé. On appelle boule unité de E, notéeBE , la boule fermée de E centrée en 0 et de rayon 1.

Définition 2.5. Soit E un espace vectoriel. Deux normes ‖ ·‖1 et ‖ ·‖2 sur E sont diteséquivalentes si il existe deux constantes α > 0 et β > 0 telles que

α‖x‖1 6 ‖x‖2 6 β‖x‖1 pour tout x ∈ E .

Proposition 2.6. Deux normes sur un espace vectoriel E sont équivalentes si et seule-ment si elles engendrent la même topologie sur E.

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Démonstration. Soient ‖ · ‖1 et ‖ · ‖2 deux normes sur E. Si ‖ · ‖1 et ‖ · ‖2 sont équiva-lentes, elles engendrent bien sûr la même topologie (les boules étant comparables, lesdeux normes définissent les mêmes ouverts). Supposons maintenant que ‖ · ‖1 et ‖ · ‖2ne sont pas équivalentes. Quitte à inverser les rôles de ‖ · ‖1 et ‖ · ‖2, on peut supposerque

supx 6=0

‖x‖2‖x‖1

= +∞ .

Il existe donc une suite (xn)n∈N ⊂ E \ 0 telle que

‖xn‖2‖xn‖1

> 2n ∀n ∈ N .

On pose alorsyn :=

xn‖xn‖2

,

si bien que ‖yn‖2 = 1 et ‖yn‖1 < 2−n. En conséquence, yn → 0 dans (E, ‖ · ‖1),mais yn 6→ 0 dans (E, ‖ · ‖2). Les topologies engendrées par ‖ · ‖1 et ‖ · ‖2 sont doncdistinctes.

Définition 2.7. Soient E un espace vectoriel normé, et (xn)n∈N une suite de E.

(i) La série (formelle) de terme général xn est dite normalement convergente si lasérie numérique de terme général ‖xn‖E est convergente, c’est à dire si∑

n∈N‖xn‖E <∞ .

(ii) La série (formelle) de terme général xn est dite convergente si la suite (Sn)n∈Ndes sommes partielles définie par

Sn :=

n∑k=0

xk ∈ E ,

est convergente. La limite des sommes partielles est alors notée

∞∑k=0

xk := limn→∞

Sn .

Définition 2.8. Un espace vectoriel normé complet est appelé espace de Banach.

Théorème 2.9. Soit E un espace vectoriel normé. Alors E est un espace de Banach siet seulement si toute série normalement convergente est convergente.

Démonstration. Supposons que E est un espace de Banach. Soit (xn)n∈N ⊂ E telleque

∑n ‖xn‖E <∞. Par l’inégalité triangulaire, nous avons

‖Sn+p − Sn‖E 6n+p∑k=n+1

‖xk‖E 6∑

k>n+1

‖xk‖E ∀n, p ∈ N .

Puisque le terme de droite tend vers 0 lorsque n → ∞ (comme reste d’une sérieconvergent), on en déduit que la suite des sommes partielles (Sn)n∈N est de Cauchydans E qui est complet. La suite (Sn)n∈N est donc convergente.

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Pour montrer la réciproque, on se donne une suite de Cauchy (xn)n∈N ⊂ E arbi-traire. On définit j : N→ N par j(0) = 0 et

j(n+ 1) = min

m > j(n) + 1 : sup

p∈N‖xm+p − xm‖E 6

1

(n+ 1)2

.

L’application j est alors strictement croissante, si bien que (xj(n))n∈N est une sous-suite de (xn)n∈N. De plus, pour tout n ∈ N nous avons

‖xj(n+2) − xj(n+1)‖E 61

(n+ 1)2.

Pour n > 1, on pose yn := xj(n+1) − xj(n). On a alors∑n>1

‖yn‖E 6∑n>1

1

n2<∞ .

Par hypothèse, la suite des sommes partielles

Sn :=

n∑k=1

yk

est convergente. Or Sn = xj(n+1) − xj(1) pour tout n > 1. La sous-suite (xj(n))n∈Nest donc convergente. La suite (xn)n∈N admet donc une valeur d’adhérence. Etant deCauchy, elle est donc convergente.

Remarque 8. Dans un espace de Banach E, nous venons donc de voir qu’une sérienormalement est convergente. De plus, une série normalement convergente est com-mutativement convergente, ce qui est une autre propriété fondamentale.

Exemple 1. Parmi les exemples les plus importants d’espaces de Banach (de dimensioninfinie), nous avons :

1) Soient X un espace métrique et F un espace de Banach. L’espace C0b (X,F ) est

un espace vectoriel que l’on munit de la norme (dite de la convergence uniforme)

‖f‖∞ := supx∈X‖f(x)‖F .

La distance induite par ‖ · ‖∞ est la distance d∞ de la convergence uniformedéfinie en (1.1). En effet, si f, g ∈ C0

b (X,F ), nous avons

‖f − g‖∞ = supx∈X‖f(x)− g(x)‖F = sup

x∈XdF(f(x), g(x)

)= d∞(f, g) .

D’après le Théorème 1.1, l’espace C0b (X,F ) est un espace de Banach. Dans le

cas X = [0, 1] et F = R, on retrouve le fait que C0([0, 1],R) soit un espace deBanach.

2) L’espace de suites numériques `p avec 1 6 p 6 ∞ que nous étudierons auChapitre 3.

3) L’espace de fonctions Lp(Ω, µ) avec 1 6 p 6 ∞ (appelé espace de Lebesgue)que nous étudierons au Chapitre 5.

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2.2 Espaces normés de dimension finie (rappels)Soit E un espace vectoriel sur K. Rappelons que E est dit de dimension finie si

E admet une partie génératrice finie. La dimension (dite de Hamel) de E est alorsle cardinal de toute famille de vecteurs formant une base de E. Si E n’est pas dedimension finie, on dit que E est de dimension infinie.

Théorème 2.10. Sur Kd, toutes les normes sont équivalentes.

Démonstration. Pour x = (x1, . . . , xd) ∈ Kd, on note ‖x‖∞ := supi |xi|, et S :=x : ‖x‖∞ = 1. L’ensemble S étant fermé borné, il est compact.

Soit ‖ · ‖ une autre norme sur Kd. On désigne par (e1, . . . , ed) la base canoniquede Kd. On a alors

‖x‖ 6d∑i=1

|xi|‖ei‖ 6M‖x‖∞ ∀x ∈ Kd ,

avec M :=∑i ‖ei‖. En particulier,∣∣‖x‖ − ‖y‖∣∣ 6 ‖x− y‖ 6M‖x− y‖∞ ∀x, y ∈ Kd ,

ce qui montre que l’application x 7→ ‖x‖ est M -lipschitzienne, et en conséquencecontinue. L’ensemble S étant compact, l’application x ∈ S 7→ ‖x‖ atteint sa valeurminimale. De plus, cette valeur minimale est non nulle puisque ‖ · ‖ est une norme. Onpose alors

α := minx∈S‖x‖ > 0 .

Pour tout x ∈ Kd \ 0, nous avons

‖x‖ = ‖x‖∞∥∥∥∥ x

‖x‖∞

∥∥∥∥ > α‖x‖∞ .

Nous avons ainsi démontré que α‖ · ‖∞ 6 ‖ · ‖ 6M‖ · ‖∞.

Remarque 9. Pour toute norme ‖ · ‖ sur Kd, l’espace vectoriel normé (Kd, ‖ · ‖) estdonc un espace de Banach.

Proposition 2.11. SoientE un espace vectoriel normé de dimension finie, et (a1, . . . , ad)une base de E. L’application T : Kd → E définie par

T (λ1, . . . , λd) =

d∑j=1

λjaj

est un homéomorphisme de Kd sur E.

Démonstration. L’application T est clairement une application linéaire bijective puisque(a1, . . . , ad) est une base deE. Pour λ ∈ Kd, on pose ‖λ‖∗ := ‖T (λ)‖E , ce qui définitune norme sur Kd. L’application T : (Kd, ‖ · ‖∗)→ (E, ‖ · ‖E) est alors une isométrie,et donc un homéomorphisme. D’après le Théorème 2.10, la norme ‖·‖∗ est équivalenteà ‖ · ‖∞, ce qui montre que T est un homéomorphisme.

Corollaire 2.12 (exercice). Sur un espace vectoriel normé de dimension finie, toutesles normes sont équivalentes.

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Théorème 2.13. Dans un espace vectoriel normé, tout sous-espace vectoriel de di-mension finie est fermé.

Démonstration. Soit F un sous-espace vectoriel de dimension finie de E. On se donne(a1, . . . , ad) une base de F . D’après la Proposition 2.11, l’application T : Kd → F

donnée par T (λ) :=∑dj=1 λjaj est un homéomorphisme. En particulier, l’application

λ ∈ Kd 7→ ‖T (λ)‖E est une norme sur Kd. D’après le Théorème 2.10, il existe uneconstante α > 0 telle que ‖T (λ)‖E > α‖λ‖∞ pour tout λ ∈ Kd. En conséquence,‖T−1(x)‖∞ 6 α−1‖x‖E pour tout x ∈ F .

On se donne maintenant une suite (xn)n∈N ⊂ F telle que xn → x pour une limitex ∈ E. Puisque (xn)n∈N est convergente, elle est de Cauchy. Or

‖T−1(xn)− T−1(xp)‖∞ = ‖T−1(xn − xp)‖∞ 6 α−1‖xn − xp‖E ∀n, p ∈ N ,

ce qui montre que(T−1(xn)

)n∈N est de Cauchy dans Kd. Cette suite est donc conver-

gente vers une limite λ ∈ Kd. Mais par continuité de T−1, nous avons T−1(xn) →T−1(x), ce qui montre que x = T (λ), et donc que x ∈ F .

Théorème 2.14. (de Riesz) La boule unité d’un espace vectoriel normé est compactesi et seulement si cet espace est de dimension finie.

Démonstration. Supposons qui dimE = d < ∞. On considère l’application T :Kd → E donnée par la Proposition 2.11, qui est un homéomorphisme. Comme dansla preuve prcédente, il existe une constante α > 0 telle que ‖T−1(x)‖∞ 6 α−1‖x‖Epour tout x ∈ E. En conséquence, T−1(BE) est un fermé borné de Kd, qui est donccompact. On en déduit alors que BE = T

(T−1(BE)

)est compacte, comme image

d’un compact par une application continue.Supposons maintenant que dimE = ∞. On pose SE := x ∈ E : ‖x‖E = 1.

Soit x0 ∈ SE , et supposons donnés pour n > 1, x0, . . . , xn−1 ∈ SE . On pose Fn :=vect〈x0, . . . , xn−1〉, si bien que dimFn < ∞ et Fn 6= E. D’après le Théorème 2.13,Fn est fermé dans E. Comme Fn 6= E, il existe yn ∈ E \ Fn, et Fn étant fermé,δn := dist(yn, Fn) > 0. Soit zn ∈ Fn tel que ‖zn − yn‖E 6 2δn. On pose

xn :=yn − zn‖yn − zn‖

,

si bien que xn ∈ SE . De plus, pour z ∈ Fn,

xn − z =1

‖yn − zn‖E(yn − (zn + ‖yn − zn‖Ez)

),

de sorte que

dist(xn, Fn) >1

‖yn − zn‖Edist(yn, Fn) >

1

2.

En conséquence, pour p < n, nous avons xp ∈ Fn et donc ‖xn − xp‖E > 1/2.Nous avons ainsi construit une suite (xn)n∈N ⊂ BE telle que ‖xn − xp‖E > 1/2

pour n 6= p. Cette suite ne peut donc admettre une sous-suite convergente. On déduitalors que BE n’est pas compacte.

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2.3 Applications linéaires continues (rappels)Théorème 2.15. Soient E et F deux espaces vectoriels normés, et f : E → F uneapplication linéaire. Les propriétés suivantes sont équivalentes :

(i) f est continue ;

(ii) f est continue en 0 ;

(iii) f est uniformément continue ;

(iv) f est lipschitzienne ;

(v) il existe une constante M > 0 telle que ‖f(x)‖F 6M‖x‖E pour tout x ∈ E.

Démonstration. Par linéarité, nous obtenons simplement (v) ⇒ (iv) ⇒ (iii) ⇒ (i)⇒(ii). Il reste donc à montrer que (ii)⇒ (v). Supposons donc f continue en 0. Il existealors δ > 0 tel que ‖x‖E 6 δ implique ‖f(x)‖F 6 1. On pose alors M := 1/δ. Pourtout x ∈ E \ 0, nous avons∥∥∥∥f ( x

M‖x‖E

)∥∥∥∥F

6 1 =⇒ ‖f(x)‖F 6M‖x‖E ,

ce qui montre bien (v).

Théorème 2.16. Soient E un espace vectoriel normé de dimension finie, et F un es-pace vectoriel normé. Toute application linéaire de E dans F est continue.

Démonstration. Pour x ∈ E, on pose ‖x‖∗ := ‖x‖E+‖f(x)‖F . Puisque f est linéaire,‖ · ‖∗ est une norme sur E. Comme E est de dimension finie, le Corollaire 2.12 nousdit qu’il existe une constante M > 0 telle que ‖x‖∗ 6 M‖x‖E pour tout x ∈ E. Enconséquence, ‖f(x)‖F 6M‖x‖E pour tout x ∈ E. L’application f est donc continued’après le Théorème 2.15.

Remarque 10. Attention : lorsque l’espace de départ E est de dimension infinie, ilexiste des applications linéaires de E dans F qui ne sont pas continues.

Définition 2.17. Soient E et F deux espaces vectoriels normés, et f : E → F uneapplication linéaire continue. On appelle norme d’opérateur de f , notée ‖f‖L (E,F ),l’infimum sur toutes les constantes M > 0 telles que ‖f(x)‖F 6 M‖x‖E pour toutx ∈ E.

Proposition 2.18 (exercice). Soient E et F deux espaces vectoriels normés. Si f :E → F est une application linéaire continue, alors

‖f‖L (E,F ) = sup‖x‖E61

‖f(x)‖F = sup‖x‖E=1

‖f(x)‖F = supx 6=0

‖f(x)‖F‖x‖E

.

Dans toute la suite, nous noterons L (E,F ) l’ensemble des applications linéairescontinues d’un espace vectoriel normé E dans un espace vectoriel normé F . On vérifiesimplement que L (E,F ) est un espace vectoriel. On munit L (E,F ) de la normed’opérateur ‖ · ‖L (E,F ) qui est bien une norme sur L (E,F ) (exercice).

Théorème 2.19. Soient E un espace vectoriel normé et F un espace de Banach. L’es-pace vectoriel normé L (E,F ) est un espace de Banach.

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Démonstration. Soit (fn)n∈N ⊂ L (E,F ) une suite de Cauchy. Pour x ∈ E fixé, nousavons

‖fn(x)− fp(x)‖F = ‖(fn − fp)(x)‖F 6 ‖fn − fp‖L (E,F )‖x‖E ∀n, p ∈ N ,

ce qui montre que (fn(x))n∈N est de Cauchy dans F , et donc convergente. On posef(x) := limn fn(x), et on vérifie simplement que l’application f : E → F est linéaire.De plus, comme (fn(x))n∈N est de Cauchy, elle est bornée. Il existe donc une constanteM > 0 telle que ‖f‖L (E,F ) 6M . Nous avons alors pour chaque x ∈ BE ,

‖f(x)‖F = limn→∞

‖fn(x)‖F 6M ,

ce qui montre que f ∈ L (E,F ).On se donne maintenant ε > 0 arbitraire. Il existe alors un entier Nε ∈ N tel que

‖fn − fp‖L (E,F ) 6 ε pour tout n, p > Nε. En conséquence, pour x ∈ BE fixé,

‖fn(x)− fp(x)‖F 6 ε ∀n, p > Nε .

En faisant p → ∞, nous obtenons ‖fn(x) − f(x)‖F 6 ε pour tout n > Nε et toutx ∈ BE . En conséquence, ‖fn − f‖L (E,F ) 6 ε pour n > Nε, ce qui montre quefn → f dans L (E,F ).

Théorème 2.20. Soient E un espace vectoriel normé, F un espace de Banach, etG unsous-espace vectoriel dense de E. Si f ∈ L (G,F ), il existe un unique f ∈ L (E,F )

telle que f(x) = f(x) pour tout x ∈ G. De plus, ‖f‖L (E,F ) = ‖f‖L (G,F ).

Démonstration. D’après le Théorème 2.15, f est uniformément continue. Le Théo-rème 1.5 nous dit alors qu’il existe une unique application continue f : E → F telleque f(x) = f(x) pour tout x ∈ G. Montrons que f est linéaire. En effet pour x, y ∈ Fet λ ∈ K, il existe (xn)n∈N ⊂ G et (yn)n∈N ⊂ G telles que xn → x et yn → y. On aalors xn + λyn → x+ λy lorsque n→∞. En conséquence,

f(x+ λy) = limn→∞

f(xn + λy) = limn→∞

(f(xn) + λf(yn)

)= f(x) + λf(y) ,

et donc f est linéaire. De plus, comme G est dense dans E,

‖f‖L (E,F ) = supx 6=0

‖f(x)‖F‖x‖E

= supx∈G\0

‖f(x)‖F‖x‖E

= ‖f‖L (G,F ) ,

d’après la Proposition 2.18.

Exercice 3. Soient E, F et G trois espaces vectoriel normés, f ∈ L (E,F ) et g ∈L (F,G). Montrer que g f ∈ L (E,G) et ‖g f‖L (E,G) 6 ‖g‖L (F,G)‖f‖L (E,F ).

2.4 Complément de topologie : le théorème de BairePour la suite de ce cours, nous aurons besoin du (très important) Lemme de Baire.

Définition 2.21. Soit X un espace topologique.

(i) Une partie R ⊂ X est dite rare si elle est contenue dans un fermé d’intérieurvide.

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(ii) Une partie M ⊂ X est dite maigre si elle est réunion dénombrable de partiesrares.

Théorème 2.22 (de Baire). Soit (X, d) un espace métrique complet. Pour toute partiemaigreM deX , l’ensembleX\M est dense dansX (c’est à dire queM est d’intérieurvide). En particulier, si X 6= ∅ et X est réunion dénombrable de fermés, alors l’und’entre eux est d’intérieur non vide.

Démonstration. On peut bien sûr supposer que X 6= ∅. Si M ⊂ X est maigre, il existeune suite (Rn)n∈N de fermés d’intérieur vide telle que M ⊂

⋃nRn. Il suffit alors de

monter que l’ensemble G := X \ (∪nRn) est dense dans X . On se donne x0 ∈ X etε > 0 arbitraires, et nous devons montrer que B(x0, ε) ∩G 6= ∅.

Montrons dans un premier temps qu’il existe une suite (xn)n∈N ⊂ X et une suitede rayons (rn)n∈N ⊂ R∗+ telles que

(i) r0 = ε ;(ii) rn+1 6 rn/2 ;

(iii) B(xn+1, rn+1) ⊂ B(xn, rn) \Rn.En effet, on commence par se donner x0 ∈ X . On procède ensuite par récurrenceen supposant que xn et rn sont donnés. Puisque Rn est d’intérieur vide, nous avonsB(xn, rn) 6⊂ Rn. Il existe donc xn+1 ∈ B(xn, rn) \Rn. L’ensemble B(xn, rn) \Rnétant ouvert, il existe donc un rayon 0 < rn+1 6 rn/2 tel que B(xn+1, rn+1) ⊂B(xn, rn) \Rn.

Puisque B(xn+1, rn+1) ⊂ B(xn, rn), nous avons xp ∈ B(xn, rn) pour tout p >n. En conséquence,

d(xp, xn) 6 rn 6 2−nr0 ∀p > n ,

ce qui montre que la suite (xn)n∈N est de Cauchy. La suite (xn)n∈N converge doncvers un point a ∈ X . Puisque B(xn, rn) est fermée et (xp)p>n+1 ⊂ B(xn+1, rn+1),nous avons a ∈ B(xn+1, rn+1) pour tout n ∈ N. En conséquence, a 6∈ Rn pour toutn ∈ N et a ∈ B(x0, r0), ce qui montre que a ∈ G ∩ B(x0, ε). Nous avons donc bienG ∩B(x0, ε) 6= ∅.

Pour conclure, si X pouvait s’écrire comme X =⋃n∈N Fn avec Fn fermé d’inté-

rieur pour chaque n ∈ N, alors l’intérieur de X , qui est X lui-même, serait vide, ce quiest absurde.

Exercice 4. Montrer qu’il existe une fonction continue de [0, 1] dans R qui n’est dé-rivable nulle part. (Indication : montrer que l’ensemble des fonctions continues de[0, 1] dans R qui sont dérivables en au moins un point forme un ensemble maigre deC0([0, 1],R).)

2.5 Le théorème de Banach-SteinhausThéorème 2.23 (de Banach-Steinhaus). Soient E un espace de Banach et F un espacevectoriel normé. Si une partie A ⊂ L (E,F ) vérifie

supf∈A‖f(x)‖F <∞ pour tout x ∈ E , (2.1)

alors A est bornée, c’est à dire

supf∈A‖f‖L (E,F ) <∞ .

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Démonstration. Pour n ∈ N, on pose

Fn :=x ∈ E : ‖f(x)‖F 6 n ∀f ∈ A

.

Alors Fn est fermé dans E comme intersection de parties fermées de E :

Fn =⋂f∈A

x ∈ E : ‖f(x)‖F 6 n

.

Puisque f(0) = 0 pour chaque f ∈ A, nous avons 0 ∈ Fn, et donc chaque Fn est nonvide. De plus, l’hypothèse (2.1) nous dit que

E =⋃n∈N

Fn .

D’après le Théorème 2.22 (que l’on applique àE complet), il existe n0 ∈ N tel que Fn0

soit d’intérieur non vide. On peut alors trouver x0 ∈ Fn0et r > 0 tels queBE(x0, r) ⊂

Fn0 . On a alors

‖f(x0 + ry)‖F 6 n0 ∀f ∈ A , ∀y ∈ BE(0, 1) .

En conséquence (par linéarité de f et l’inégalité triangulaire),

r‖f(y)‖F 6 n0 + ‖f(x0)‖F 6 2n0 ∀f ∈ A , ∀y ∈ BE(0, 1) ,

ce qui montre que

sup‖y‖E61

‖f(y)‖F 62n0

r∀f ∈ A .

Nous avons donc montré que ‖f‖L (E,F ) 6 2n0/r pour tout f ∈ A.

Corollaire 2.24. Soient E un espace de Banach et F un espace vectoriel normé. Soit(fn)n∈N une suite de L (E,F ) telle que

(fn(x)

)n∈N soit une suite convergente de F

pour tout x ∈ E. Si f : E → F est la limite simple de (fn)n∈N, alors f ∈ L (E,F ).De plus, (fn)n∈N est bornée dans L (E,F ), et

‖f‖L (E,F ) 6 lim infn→∞

‖fn‖L (E,F ) . (2.2)

Démonstration. On vérifie simplement que f est linéaire. Etant donné x ∈ E, la suite(fn(x)

)n∈N ⊂ F est convergente donc bornée. En conséquence,

supn∈N‖fn(x)‖F <∞ ∀x ∈ E .

D’après le Théorème 2.23, nous avons supn ‖fn‖L (E,F ) 6 M pour une constanteM > 0. Nous avons alors pour tout x ∈ BE ,

‖f(x)‖F = limn→∞

‖fn(x)‖F 6 lim infn→∞

‖fn‖L (E,F ) 6M , (2.3)

ce qui montre que f ∈ L (E,F ). En passant au supremum en x ∈ BE dans (2.3),nous obtenons (2.2).

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2.6 Le théorème de l’application ouverteThéorème 2.25 (de l’application ouverte). Soient E et F deux espaces de Banach. Sif ∈ L (E,F ) est une application surjective, alors f(U) est un ouvert de F pour toutouvert U de E.

Démonstration. Observons que par linéarité de f , il suffit de montrer qu’il existe ρ > 0tel que

BF (0, ρ) ⊂ f(BE(0, 1)

). (2.4)

Pour simplifier la notation, on pose B := BE , et

C := f(B) ⊂ F .

Puisque f est surjective (et linéaire),

F = f(E) = f

⋃n>1

nB

=⋃n>1

f(nB) =⋃n>1

nf(B) ⊂⋃n>1

nC .

Nous avons donc F =⋃n>1 nC où chaque nC est un fermé non vide de F . L’espace

F étant complet, on déduit du Théorème 2.22 l’existence de n0 > 1 tel que n0Csoit d’intérieur non vide. Il existe alors b ∈ F et r > 0 tels que BF (b, r) ⊂ n0C.En conséquence, pour tout y ∈ F tel que ‖y‖F 6 r nous avons b + y ∈ n0C etb− y ∈ n0C. Remarquons maintenant que n0C est un convexe symétrique par rapportà l’origine. En effet, n0B étant convexe symétrique par rapport à l’origine (c’est uneboule) et f linéaire, l’ensemble f(n0B) = n0f(B) est un convexe symétrique parrapport à l’origine. En passant à l’adhérance, on en déduit que n0C est un convexesymétrique par rapport à l’origine. Par symétrie, nous avons y − b = −(b− y) ∈ n0Cpour tout y ∈ F tel que ‖y‖F 6 r, et nous déduisons maintenant de la convexité den0C que

y =1

2

((b+ y) + (y − b)

)∈ n0C ∀y ∈ BF (0, r) .

Nous avons doncBF (0, ρ) ⊂ C pour ρ :=

r

n0.

Nous allons maintenant démontrer que (2.4) est vérifiée pour notre choix de ρ. Onse fixe y ∈ BF (0, ρ) arbitraire, et nous allons montrer qu’il existe z ∈ BE(0, 1) tel quey = f(z).

On fixe un nombre q ∈ (0, 1) de sorte que ‖y‖F < (1− q)2ρ. On a alors

y0 :=y

(1− q)2∈ C = f(B) .

Il existe donc x0 ∈ B tel que, en posant

y1 := y0 − f(x0) ,

on ait ‖y1‖F < qρ. On a alors q−1y1 ∈ C = f(B), et il existe donc x1 ∈ B telque y2 := q−1y1 − f(x1) ∈ BF (0, qρ). Par récurrence, on construit ainsi deux suites(xn)n∈N ⊂ B et (yn)∈N ⊂ C telle que ‖yn‖F < qρ pour n > 1, et vérifiant

yn+1 = q−1yn − f(xn) ∀n > 1 .

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De cette dernière relation, nous déduisons

y0 = y1 + f(x0) = qnyn+1 +

n∑k=0

qkf(xk) = qnyn+1 + f

(n∑k=0

qkxk

)∀n ∈ N .

(2.5)Puisque ‖xn‖E 6 1 et q ∈ (0, 1), la série

∑n q

nxn converge normalement dans E quiest un espace de Banach. D’après le Théorème 2.9, cette série est convergente dans E.On pose alors

x∗ :=∑n∈N

qnxn ,

qui vérifie

‖x∗‖E = limn→∞

∥∥∥∥∥n∑k=0

qkxk

∥∥∥∥∥E

6∑n∈N

qn‖xn‖E 6∑n∈N

qn =1

1− q.

D’autre part, ‖qnyn+1‖F 6 qn+1 → 0 quand n→∞, et nous déduisons de (2.5) quey0 = f(x∗). En conséquence, y = (1 − q)2f(x∗) = f

((1 − q)2x∗

). En posant z :=

(1− q)2x∗, nous avons donc ‖z‖E = (1− q)2‖x∗‖E 6 (1− q) < 1 et y = f(z).

Corollaire 2.26 (théorème de Banach). Soient E et F deux espaces de Banach. Sif ∈ L (E,F ) est une application bijective, alors f−1 ∈ L (F,E) (en d’autres termes,f est un isomorphisme de E sur F ).

Démonstration. La linéarité de f−1 est évidente. On se donne maintenant un ouvertarbitraire U de E. D’après le Théorème 2.25, f(U) = (f−1)−1(U) est un ouvert deF . L’application f−1 : F → E est donc continue.

Exemple 2. Soit (E, ‖·‖E) un espace de Banach. Si ‖·‖∗ est une autre norme surE telleque (E, ‖ · ‖∗) soit un espace de Banach, et qu’il existe une constante β > 0 telle que‖x‖∗ 6 β‖x‖E pour tout x ∈ E, alors il existe une constante α > 0 telle que α‖x‖E 6‖x‖∗ pour tout x ∈ E (autrement dit, les deux normes sont équivalentes). En effet, ilsuffit pour cela de considérer l’application identité ı : (E, ‖·‖E)→ (E, ‖·‖∗) (donnéepar ı(x) = x). On a alors ‖ı(x)‖∗ 6 β‖x‖E , si bien que ı est linéaire continue. Or ıest trivialement bijective, et le Corollaire 2.26 nous dit que ı−1 est (linéaire) continue.En d’autres termes, il existe α > 0 telle que ‖x‖E = ‖ı−1(x)‖E 6 α‖x‖∗ pour toutx ∈ E.

Corollaire 2.27 (théorème du graphe fermé). Soient E et F deux espaces de Banach,et f : E → F une application linéaire. Si le graphe de F , donné par

G(f) :=

(x, y) ∈ E × F : y = f(x),

est fermé dans E × F , alors f est continue.

Démonstration. Pour x ∈ E, on pose

‖x‖∗ := ‖x‖E + ‖f(x)‖F .

On vérifie simplement que ‖ · ‖∗ est une norme sur E. Montrons que (E, ‖ · ‖∗) estun espace de Banach. En effet, si (xn)n∈N est une suite de Cauchy dans (E, ‖ · ‖∗),alors (xn)n∈N est une suite de Cauchy dans (E, ‖ · ‖E) et (f(xn))n∈N est une suitede Cauchy dans (F, ‖ · ‖F ). Ces deux suites sont donc convergentes, c’est à dire qu’il

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existe x ∈ E et y ∈ F tels que ‖xn−x‖E → 0 et ‖f(xn)−y‖F → 0. En conséquence,la suite (xn, f(xn))n∈N ⊂ G converge vers (x, y) dans E × F . Puisque G est supposéfermé, nous avons (x, y) ∈ G, c’est à dire que y = f(x). Nous avons alors

‖xn−x‖∗ = ‖xn−x‖E + ‖f(xn)− f(x)‖F = ‖xn−x‖E + ‖f(xn)− y‖F −→n→∞

0 ,

et nous avons donc montré que (xn)n∈N est convergente dans (E, ‖ · ‖∗).L’espace (E, ‖ · ‖∗) étant de Banach, on obtient de l’Exemple 2 l’existence d’une

constante α > 0 telle que

‖f(x)‖F 6 ‖x‖∗ 6 α‖x‖E ∀x ∈ E .

L’application f est donc continue.

2.7 Applications bilinéaires continues (rappels)Pour deux espaces vectoriels normés E et F , on munit l’espace vectoriel (produit)

E × F de la norme (dite produit)∥∥(x, y)∥∥E×F := sup

‖x‖E , ‖y‖F

.

Remarque 11. Le choix de cette norme sur E×F vient du fait que la topologie qu’elleengendre est exactement la topologie produit (la topologie la moins fine sur E × Ftelles que les projections canoniques (x, y) 7→ x et (x, y) 7→ y soient continues). Touteautre norme engendrant la topologie produit (et qui sera donc équivalente) peut biensûr être utilisée.

Définition 2.28. Soient E, F , et G trois espaces vectoriels. Une application f : E ×F → G est dite bilinéaire si

(i) x 7→ f(x, y) est linéaire pour tout y ∈ F ;

(ii) y 7→ f(x, y) est linéaire pour tout x ∈ E.

Théorème 2.29. Soient E, F , et G trois espaces vectoriels normés, et f : E×F → Gune application bilinéaire. Les propriétés suivantes sont équivalentes :

(i) f est continue ;

(ii) f est continue en (0, 0) ;

(iii) il existe une constante M > 0 telle que ‖f(x, y)‖G 6 M‖x‖E‖y‖F pour tout(x, y) ∈ E × F .

Démonstration. L’implication (i)⇒ (ii) est évidente.Montrons que (ii) ⇒ (iii). En effet, si f est continue en (0, 0), alors il existe δ >

0 tel que ‖(x, y)‖E×F 6 δ implique ‖f(x, y)‖G 6 1. On pose M := 1/δ2. Pour(x, y) ∈ E × F avec x 6= 0 et y 6= 0, nous avons∥∥∥∥f ( δx

‖x‖E,δy

‖y‖F

)∥∥∥∥G

=⇒ ‖f(x, y)‖G 6M‖x‖E‖y‖F ,

ce qui montre bien (iii).Montrons que (iii)⇒ (i). Pour (x, y), (a, b) ∈ E × F , nous avons

f(x, y)− f(a, b) = f(x− a, b) + f(a, y − b) + f(x− a, y − b) ,

29

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si bien que

‖f(x, y)− f(a, b)‖G 6M(‖b‖F ‖x− a‖E + ‖a‖E‖y − b‖F + ‖x− a‖E‖y − b‖F

).

Pour ε > 0 arbitraire, si ‖(x− a, y − b)‖E×F < min(1, ε/(3M(‖(a, b)‖E×F + 1))

),

nous avons

‖f(x, y)− f(a, b)‖G <(‖b‖F + ‖a‖E)ε

3(‖(a, b)‖E×F + 1)+ε

36 ε ,

ce qui montre que f est continue (a, b).

Définition 2.30. Soient E, F , et G trois espaces vectoriels normés, et f : E×F → Gune application bilinéaire continue. On appelle norme de f , notée ‖f‖, l’infimum surtoutes les constantes M > 0 telles que ‖f(x, y)‖G 6 M‖x‖E‖y‖F pour tout couple(x, y) ∈ E × F .

Proposition 2.31 (exercice). Soient E, F , et G trois espaces vectoriels normés. Sif : E × F → G est une application bilinéaire continue, alors

‖f‖ = sup‖(x,y)‖E×F61

‖f(x, y)‖G .

Théorème 2.32 (exercice). Soient E et F deux espaces vectoriel normés et G un es-pace de Banach. L’espace vectoriel normé des applications bilinéaires continues deE × F dans G est un espace de Banach.

30

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Chapitre 3

Dualité dans les espacesvectoriels normés

Dans tout ce chapitre, K désigne R ou C, et tout espace vectoriel est considérécomme espace vectoriel sur K.

3.1 Espace dual et le théorème de Hahn-BanachDéfinition 3.1. Soit E un espace vectoriel normé. On appelle dual topologique de El’espace des formes linéaires continues L (E,K) sur E, que l’on note E′. On munitE′ de sa norme d’opérateur,

‖`‖E′ := sup‖x‖E61

|`(x)| .

Remarque 12. D’après le Théorème 2.19, E′ est un espace de Banach.

Proposition 3.2. Soit E un espace vectoriel normé. L’application 〈·, ·〉 : E′×E → Kdéfinie par

〈`, x〉 := `(x) ,

est une forme bilinéaire continue. On l’appelle crochet de dualité.

Démonstration. La bilinéarité est élementaire. Pour la continuité, nous avons l’estima-tion ∣∣〈`, x〉∣∣ = |`(x)| 6 ‖`‖E′‖x‖E ∀` ∈ E′ , ∀x ∈ E ,

par définition de la norme d’opérateur.

Théorème 3.3 (de Hahn-Banach, admis). Soient E un espace vectoriel normé et F unsous-espace vectoriel deE. Soit ` : F → K une forme linéaire continue sur F . Il existe˜∈ E′ telle que ˜(x) = `(x) pour tout x ∈ F , et ‖˜‖E′ = ‖`‖F ′ .

Corollaire 3.4. Soit E un espace vectoriel normé. Pour tout x ∈ E, x 6= 0 , il existe` ∈ E′ telle que ‖`‖E′ = 1 et `(x) = ‖x‖E .

Démonstration. Soit F le sous-espace vectoriel engendré par le vecteur x. On posepour t ∈ K,

g(tx) = t‖x‖E .

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On a alors g ∈ F ′. De plus, |g(y)| = |t|‖x‖E = ‖y‖E pour y = tx ∈ F , si bien que‖g‖F ′ = 1. D’après le Théorème 3.3, il existe ` ∈ E′ telle que ‖`‖E′ = ‖g‖F ′ = 1 et`(y) = g(y) pour tout y ∈ F . En particulier, `(x) = g(x) = ‖x‖E .

Corollaire 3.5. Soit E un espace vectoriel normé. Pour tout x ∈ E,

‖x‖E = sup‖`‖E′61

|〈`, x〉| .

Démonstration. Si x = 0, le résultat est évident. On suppose donc que x 6= 0. Pardéfinition de la norme d’opérateur,

sup‖`‖E′61

|〈`, x〉| 6 ‖x‖E .

D’après le Corollaire 3.4, il existe `x ∈ E′, ‖`x‖E′ = 1, telle que `x(x) = ‖x‖E . Enconséquence,

‖x‖E = 〈`x, x〉 6 sup‖`‖E′61

|〈`, x〉| ,

ce qui montre l’inégalité voulue.

Théorème 3.6. SoientE un espace vectoriel normé et F ⊂ E un sous-espace vectorielfermé distinct de E. Il existe ` ∈ E′ telle que ‖`‖E′ = 1 et `(x) = 0 pour tout x ∈ F .

Démonstration. Puisque F 6= E, il existe un élément z0 ∈ E \ F (en particulier,z0 6= 0). Comme F est fermé et z0 6∈ F , nous avons dist(z0, F ) =: α > 0.

On considère le sous-espace vectoriel

G := F ⊕ vect〈z0〉 ,

où vect〈z0〉 désigne le sous-espace vectoriel engendré par z0 (on remarque que toutz ∈ G s’écrit de façon unique sous la forme z = y + λz0 avec y ∈ F et λ ∈ K). Ondéfinit maintenant l’application f : G→ K par

f(y + λz0) = λ ∀y ∈ F , ∀λ ∈ K .

On vérifie simplement que l’application f est linéaire. De plus, f(y) = 0 pour touty ∈ F .

Pour y ∈ F et λ 6= 0, nous avons

‖y + λz0‖E = |λ|∥∥∥ yλ− z0

∥∥∥E> |λ|dist(z0, F ) = α|λ| = α|f(y + λz0)| .

En conséquence,

|f(z)| 6 1

α‖z‖E ∀z ∈ G ,

ce qui montre que f ∈ G′. Puisque f(z0) = 1, nous avons f 6= 0.D’après leThéorème 3.3, il existe ˜∈ E′ telle que ‖˜‖E′ = ‖f‖G′ 6= 0 et ˜(z) =

f(z) pour tout z ∈ G. En particulier, ˜(y) = 0 pour tout y ∈ F . On conclut alors enposant ` := ˜/‖˜‖E′ .

Remarque 13. La démonstration du Théorème 3.6 montre également le fait suivant :Soient E un espace vectoriel normé et F ⊂ E un sous-espace vectoriel fermé distinctde E. Pour tout z0 ∈ E \ F , il existe ˜∈ E′ telle que ˜(z0) = 1 et ˜(y) = 0 pour touty ∈ F .

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Corollaire 3.7. Soit E un espace vectoriel normé tel que E′ soit séparable. Alors Eest séparable.

Démonstration. Soit (`n)n∈N une suite dense d’éléments deE′. De la définition mêmede la norme d’opérateur, on trouver pour chaque n ∈ N un élément xn ∈ E tel que‖xn‖E = 1 et `n(xn) > 1/2‖`n‖E′ . On considère alors le sous-espace vectorielY ⊂ E engendré par les éléments de la suite (xn)n∈N (les éléments de Y sont descombinaisons linéaires d’un nombre fini de termes de la suite (xn)n∈N).

On pose F := Y , et nous allons montrer que F = E. Supposons par contradictionque F 6= E. D’après le Théorème 3.6 (notons que F est par construction fermé), ilexiste ` ∈ E′, ‖`‖E′ = 1, telle que `(y) = 0 pour tout y ∈ F . En particulier, `(xn) = 0pour tout n ∈ N, ce qui implique

1

2‖`n‖E′ 6 |`n(xn)| = |`n(xn)−`(xn)| 6 ‖`n−`‖E′‖xn‖E = ‖`n−`‖E′ ∀n ∈ N .

D’autre part, ‖`n‖E′ > ‖`‖E′ − ‖`n − `‖E′ , si bien que

‖`‖E′ 6 3‖`n − `‖E′ ∀n ∈ N .

La suite (`n)n∈N étant dense dans E′, nous pouvons trouver un entier N ∈ N tel que‖`N−`‖E′ < 1/6. L’inégalité ci-dessus nous donne alors ‖`‖E′ 6 3‖`N−`‖E′ < 1/2,ce qui contredit ‖`‖E′ = 1. Nous avons donc bien F = E.

On désigne maintenant par Y0 l’espace vectoriel sur Q si K = R, ou sur C ∩ Q2

si K = C, engendré par les éléments de (xn)n∈N (les éléments de de Y0 sont descombinaisons linéaires finies à coefficients dans Q, ou C∩Q2, d’éléments de (xn)n∈N).Puisque Q est dense dans R, Y0 est dense dans Y , et donc Y 0 = Y = E. Pour conclurela démonstration, il nous suffit de montrer que Y0 est dénombrable. A cette fin, on écrit

Y0 =⋃n∈N

Λn ,

où Λn désigne l’espace vectoriel sur Q, ou sur C ∩ Q2, engendré par les élémentsx0, . . . , xn. L’ensemble Λn est clairement en correspondance bijective avec un sous-ensemble de Qn+1, ou Q2n+2. Il est donc dénombrable.

3.2 Espaces réflexifsDéfinition 3.8. Soit E un espace vectoriel normé. On appelle bidual de E, noté E′′, ledual topologique de E′.

Remarque 14. L’espace E′′ étant un espace dual, c’est un espace de Banach.

Proposition 3.9. Soit E un espace vectoriel normé. L’application ıE : E → E′′

définie par〈ıE(x), `〉 = 〈`, x〉 pour tout ` ∈ E′ , (3.1)

est linéaire continue. De plus, ‖ıE(x)‖E′′ = ‖x‖E pour tout x ∈ E. En d’autrestermes, ıE est une injection isométrique de E dans E′′.

Démonstration. L’application ıE est clairment linéaire. De plus,

|〈ıE(x), `〉| = |〈`, x〉| 6 ‖x‖E‖`‖E′ ∀x ∈ E , ∀` ∈ E′ ,

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si bien que ‖ıE(x)‖E′′ 6 ‖x‖E pour tout x ∈ E. Ceci montre en particulier que ıE estcontinue avec ‖ıE‖L (E,E′′) 6 1.

On se fixe maintenant x ∈ E, x 6= 0. D’après le Corollaire 3.4, il existe `x ∈ E′,‖`x‖E′ = 1, telle que 〈ıE(x), `x〉 = 〈`x, x〉 = ‖x‖E . En conséquence, nous avons‖ıE(x)‖E′′ > ‖x‖E . Ceci montre donc que ‖ıE(x)‖E′′ = ‖x‖E pour tout x ∈ E.

Remarque 15. Attention : dans la définition (3.1) de ıE , le terme de gauche est uncrochet de dualité sur E′′ × E′, alors que le terme de droite est un crochet de dualitésur E′ × E.

Remarque 16. Attention : en général, l’application ıE n’est pas bijective.

Proposition 3.10. Si E est un espace de Banach, alors ıE(E) est un sous-espacevectoriel fermé de E′′.

Démonstration. Soit (yn)n∈N ⊂ ıE(E) telle que yn → y dans E′′. Pour chaque n ∈N, on considère xn ∈ E tel que ıE(xn) = yn. Puisque la suite (yn)n∈N est convergentedans E′′, elle est de Cauchy. Puisque ıE est isométrique, nous avons

‖yn − ym‖E′′ = ‖ıE(xn)− ıE(xm)‖E′′ = ‖ıE(xn − xm)‖E′′ = ‖xn − xm‖E ,

et on en déduit que (xn)n∈N est de Cauchy dansE. L’espaceE étant complet, (xn)n∈Nconverge dans E vers un élément x ∈ E. Par continuité de ıE , nous avons ıE(x) =limn ıE(xn) = limn yn = y, ce qui montre que y ∈ ıE(E).

Définition 3.11. On dit qu’un espace vectoriel normé E est réflexif si ıE(E) = E′′

(c’est à dire si ıE est bijective).

Remarque 17. D’après la Remarque 14 et le caractère isométrique de ıE , si un espacevectoriel normé est réflexif, alors c’est un espace de Banach.

Remarque 18. Si l’espace vectoriel normé E est réflexif, alors E′′ est isométriquementisomorphe àE (par l’application ıE). On dit par abus de language que E′′ = E (ce quenous ne ferons pas).

Lemme 3.12. Soit E un espace réflexif. Si F est un espace vectoriel normé isomorpheà E, alors F est réflexif.

Démonstration. Soit T ∈ L (E,F ) un isomorphisme de E sur F (c’est à dire que Test inversible et T−1 ∈ L (F,E)). On définit la transposée de T comme étant l’appli-cation tT : F ′ → E′ donnée pour g ∈ F ′ par

〈 tT (g), x〉 = 〈`, T (x)〉 ∀x ∈ E .

On vérifie simplement que tT ∈ L (F ′, E′). De même, on définit t(T−1) : E′ → F ′

en posant pour ` ∈ E′,

〈 t(T−1)(`), y〉 = 〈`, T−1(y)〉 ∀y ∈ F ,

et t(T−1) ∈ L (E′, F ′). Remarquons enfin que

t(T−1)(tT (g)

)= g ∀g ∈ F ′ . (3.2)

En effet, si g ∈ F ′, alors pour tout y ∈ F , nous avons⟨t(T−1)

(tT (g)

), y⟩

= 〈 tT (g), T−1(y)〉 = 〈g, T (T−1(y))〉 = 〈g, y〉 .

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On se donne maintenant ϕ ∈ F ′′ arbitraire. On considère l’application

ψ := ϕ t(T−1) ∈ E′′ .

Puisque E est réflexif, il existe x ∈ E tel que ψ = ıE(x). Pour g ∈ F ′ quelconque, enposant ` := tT (g) nous avons d’après (3.2),

〈ıF T (x), g〉 = 〈g, T (x)〉 = 〈`, x〉 = 〈ıE(x), `〉= 〈ψ, `〉 = 〈ϕ, t(T−1)(`)〉 = 〈ϕ, g〉 .

Ceci montre que ϕ = ıF T (x) ∈ iF (F ), et donc F ′′ = iF (F ).

Exercice 5. Montrer qu’un espace vectoriel normé de dimension finie est réflexif.

Proposition 3.13. Soit E un espace réflexif. Si F ⊂ E est un sous-espace vectorielfermé, alors F est réflexif.

Démonstration. On peut bien sûr supposer que F 6= E, sinon le résultat est trivial. Soitπ : E′ → F ′ l’application définie pour ` ∈ E′ par

〈π(`), y〉 := 〈`, y〉 ∀y ∈ F .

Remarquons que π est surjective. En effet, d’après le Théorème 3.3 si g ∈ F ′, il existe˜∈ E′ telle que ˜(y) = g(y) pour tout y ∈ F . En conséquence, π(˜) = g.On se donne maintenant ϕ ∈ F ′′. Alors ϕ π ∈ E′′, et il existe donc x ∈ E tel

que ıE(x) = ϕ π. Nous allons montrer que x ∈ F . Supposons par contradiction quex 6∈ F . D’après la Remarque 13, il existe f ∈ E′ telle que f(x) = 1 et f(y) = 0 pourtout y ∈ F . En particulier, π(f) = 0. Mais alors,

1 = f(x) = 〈ıE(x), f〉 = 〈ϕ π, f〉 = 〈ϕ, π(f)〉 = 0 ,

contradiction (et donc x ∈ F ). Pour conclure, il suffit maintenant de voir que ıF (x) =

ϕ. En effet, si on se donne g ∈ F ′ arbitraire, alors on peut trouver ˜ ∈ E′ telle queπ(˜) = g, si bien que

〈iF (x), g〉 = 〈g, x〉 = 〈π(˜), x〉 = 〈˜, x〉= 〈iE(x), ˜〉 = 〈ϕ π, ˜〉 = 〈ϕ, π(˜)〉 = 〈ϕ, g〉 .

Et donc iF (x) = ϕ, ce qui montre que iF (F ) = F ′′ puisque ϕ est arbitraire.

Théorème 3.14. Soit E un espace de Banach. Alors E est réflexif si et seulement si E′

est réflexif.

Démonstration. Montrons dans un premier temps que si E est réflexif, alors E′ estréflexif. Pour ce faire, on pose Z := E′. On a alors Z ′ = E′′, et donc Z ′′ = (E′′)′. Onse donne ϕ ∈ Z ′′ arbitraire. On remarque alors que ϕ ıE ∈ E′ puisque Z ′′ = (E′′)′.Pour h ∈ Z ′ = E′′ quelconque, nous pouvons trouver x ∈ E tel que h = ıE(x)(puisque E est réflexif), si bien que

〈ıZ(ϕ ıE), h〉 = 〈h, ϕ ıE〉 = 〈ıE(x), ϕ ıE〉 = 〈ϕ ıE , x〉 = 〈ϕ, ıE(x)〉 = 〈ϕ, h〉 .

Ceci montre que ϕ = ıZ(ϕ ıE) ∈ ıZ(Z), et donc Z ′′ = ıZ(Z) (c’est à dire que E′

est réflexif).

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On suppose maintenant que E′ est réflexif, et nous allons montrer que E est ré-flexif. D’après ce que nous venons de faire, E′′ = (E′)′ est donc réflexif. D’aprèsla Proposition 3.10, ıE(E) est un sous-espace fermé de E′′. ıE(E) est donc réflexifpar la Proposition 3.13. Or E est isomorphe à ıE(E) d’après la Proposition 3.9. LeLemme 3.12 nous dit alors que E est réflexif.

Corollaire 3.15. Soit E un espace de Banach. Alors E est réflexif séparable si etseulement si E′ est réflexif séparable.

Démonstration. Si E′ est réflexif séparable, alors E est réflexif séparable d’après leCorollaire 3.7 et le Théorème 3.14. Réciproquement, si E est réflexif séparable, alorsE′′ = ıE(E) est séparable puisque ı est un isomorphisme isométrique, et réflexifd’après le Lemme 3.12. Puisque E′′ = (E′)′, on en déduit que E′ est réflexif sépa-rable.

3.3 Identification d’un espace dualProposition 3.16. Soient E et F deux espaces de Banach, et B : F × E → K uneforme bilinéaire continue. L’application δB : F → E′ définie par

〈δB(y), x〉 = B(y, x) pour tout x ∈ E ,

est un élément de L (F,E′), et ‖δB‖L (F,E′) = ‖B‖.

Démonstration. La linéarité de δB est évidente. Pour y ∈ F , nous avons

|〈δB(y), x〉| = |B(y, x)| 6 ‖B‖‖y‖F ‖x‖E ∀x ∈ E ,

si bien que ‖δB(y)‖E′ 6 ‖B‖‖y‖F . Ceci montre que δB ∈ L (F,E′) avec l’estima-tion ‖δB‖L (F,E′) 6 ‖B‖.

On se donne maintenant ε > 0 arbitraire. D’après la Proposition 2.31, il existexε ∈ E, ‖xε‖E 6 1, et yε ∈ F , ‖yε‖F 6 1, tels que B(yε, xε) > ‖B‖ − ε. Enconséquence,

‖δB‖L (F,E′) > ‖δB(yε)‖E′ > 〈δB(yε), xε〉 = B(yε, xε) > ‖B‖ − ε .

Puisque ε est arbitraire, on en déduit que ‖δB‖L (F,E′) > ‖B‖, et donc ‖δB‖L (F,E′) =‖B‖.

Définition 3.17. Soient E et F deux espaces de Banach, etB : F ×E → K une formebilinéaire continue. On dit que B identifie E′ à F si l’application δB ci-dessus est unisomorphisme de F sur E′ (c’est à dire si δB est bijective et δ−1

B ∈ L (E′, F )), ou end’autres termes, si : pour tout ` ∈ E′, il existe un unique y ∈ F tel que

〈`, x〉 = B(y, x) pour tout x ∈ E ,

et1

c‖y‖F 6 ‖`‖E′ 6 c‖y‖F

pour une constante c > 0 qui ne dépend que de B.

Remarque 19. En pratique, il suffit de vérifier que δB est bijective puisque le théorèmede Banach (Corollaire 2.26) nous assure que δ−1

B est continue.

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3.4 Dualité dans les espaces `p

Soient 1 6 p 6∞ et p′ son exposant conjugué défini par

1

p+

1

p′= 1

avec la convention 1/∞ = 0. L’espace `p est le sous-espace vectoriel de KN (l’espacevectoriel des suites de scalaires) défini par

`p :=x = (xk)k∈N : xk ∈ K et

∑k

|xk|p <∞

si p <∞ ,

et`∞ :=

x = (xk)k∈N : xk ∈ K et sup

k|xk| <∞

.

On munit `p de la norme

‖x‖`p :=

(∑k∈N|xk|p

)1/p

si p <∞ ,

et‖x‖`∞ := sup

k∈N|xk| .

Nous invitons le lecteur à vérifier à titre d’exercice :

Exercice 6. On suppose que 1 < p <∞.

1. Montrer que `1 est espace vectoriel, et que ‖ · ‖`1 est une norme.

2. Montrer que `∞ est espace vectoriel, et que ‖ · ‖`∞ est une norme.

3. Soient x, y ∈ `p. Vérifier que |xk +yk|p 6 |xk +yk|p/p′ |xk|+ |xk +yk|p/p

′ |yk|pour tout k ∈ N, et en déduire que

‖x+ y‖p`p 6(‖x‖`p + ‖y‖`p

)‖x+ y‖p−1

`p

à l’aide de l’inégalité de Hölder.

4. Déduire de la question précédente que `p est un espace vectoriel, et que ‖ · ‖`pest une norme.

L’intérêt principal des espaces `p vient du fait qu’ils font partie des exemples lesplus “simples” d’espaces de Banach (de dimenson infinie), et sont la source de nom-breux exemples et contre-exemples.

Exercice 7. Montrer que pour tout 1 6 p 6∞, l’espace `p est de Banach.

Comme nous le verrons dans la section suivante, la séparabilité d’un espace deBanach est une propriété très importante. En ce qui concerne les espaces `p, il estimportant de connaître les résultats suivants.

Exercice 8. On suppose que 1 6 p <∞. Montrer que l’espace `p est séparable.(Indication : on pourra montrer le sous-espace vectoriel formé des suites qui sont nullesà partir d’un certain rang est dense dans `p.)

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Remarque 20. L’espace `∞ n’est pas séparable. En effet, pour le montrer il suffit deconsidérer le sous-ensemble 0, 1N de `∞ formé des suites dont tous les termes sontégaux à 0 ou 1. Cet ensemble n’est pas dénombrable (il a le même cardinal que R). Pourx ∈ 0, 1N, on note par Ox := B(x, 1/2) la boule ouverte (pour la norme ‖ · ‖`∞ )centrée en x et de rayon 1/2. Si x, y ∈ 0, 1N avec x 6= y, alorsOx∩Oy = ∅. En effet,puisque x 6= y, il existe k ∈ N tel que xk 6= yk, si bien que ‖x− y‖`∞ > |xk − yk| =1 > 1/2, et les boules Ox et Oy sont donc bien disjointes. La famille (Ox)x∈0,1Nforme donc une famille non dénombrable d’ouverts non vides de `∞ disjoints deux àdeux. Le Lemme 1.15 nous dit alors que `∞ n’est pas séparable.

Théorème 3.18. Pour 1 6 p <∞, l’application Bp : `p′ × `p → K définie par

Bp(y, x) :=∑k∈N

ykxk

est bilinéaire continue, et elle identifie isométriquement (`p)′ à `p′

(c’est à dire queδBp est bijective, et ‖δBp(y)‖(`p)′ = ‖y‖`p′ pour tout y ∈ `p′ ).

Avant de démontrer ce théorème, donnons en un corollaire important.

Corollaire 3.19. Pour 1 < p <∞, l’espace `p est réflexif.

Démonstration. Soit ϕ ∈ (`p)′′ arbitraire. Alors ϕ δBp ∈ (`p′)′. Puisque (p′)′ = p,le Théorème 3.18 nous donne l’existence de xϕ ∈ `p tel que ϕ δBp = δBp′ (xϕ).

Pour f ∈ (`p)′ quelconque, il existe yf ∈ `p′

tel que f = δBp(yf ) d’après leThéorème 3.18, et donc

〈ı`p(xϕ), f〉 = 〈f, xϕ〉 = 〈δBp(yf ), xϕ〉 = Bp(yf , xϕ)

= Bp′(xϕ, yf ) = 〈δBp′ (xϕ), yf 〉 = 〈ϕ δBp , yf 〉 = 〈ϕ, δBp(yf )〉 = 〈ϕ, f〉 .

Ceci montre que ϕ = ı`p(xϕ) ∈ ı`p(`p), et donc (`p)′′ = ı`p(`p).

Remarque 21. Nous utiliserons l’écriture (classique) (`p)′ = `p′

pour 1 6 p < ∞.Encore une fois, il s’agit d’un abus de language, et cette identité doit être comprise ausens du Théorème 3.18.Remarque 22. Le dual de `∞ ne s’identifie pas à `1 (toutefois `1 peut s’identifier àun sous-espace strict de (`∞)′). En effet, si (`∞)′ était isomorphe à `1, alors (`∞)′

serait séparable, et donc `∞ serait séparable aussi d’après le Corollaire 3.7. Or nousavons vu que `∞ n’est pas séparable. Puisque (`1)′ est isomorphe à `∞ (au moyen deδB1 ), nous en déduisons que (`1)′′ est isomorphe à (`∞)′. L’espace (`1)′′ n’est doncpas isomorphe à `1, et donc `1 n’est pas réflexif (sinon ı`1 serait un isomorphisme de`1 sur (`1)′′). Le Théorème 3.14 nous dit alors que (`1)′ n’est pas réflexif. Encore unefois, puisque (`1)′ est isomorphe à `∞, on déduit du Lemme 3.12 que `∞ n’est pasréflexif non plus.

Démonstration du Théorème 3.18. Observons dans un premier temps la série numé-rique qui définit B(y, x) est absolument convergente, et que

|B(y, x)| 6 ‖y‖`p′‖x‖`p ∀y ∈ `p′ , ∀x ∈ `p ,

tout ceci d’après l’inégalité de Hölder. En conséquence, B est bilinéaire continue (labilinéarité étant évidente), et

‖δB(y)‖(`p)′ 6 ‖y‖`p′ ∀y ∈ `p′ .

39

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Montrons que cette dernière inégalité est en fait une égalité. Pour ce faire, nous distin-guons les cas p > 1 et p = 1.Cas p > 1. On se donne y ∈ `′, y 6= 0. On considère alors la suite x = (xk)k∈N donnéepar

xk :=

|yk|(2−p)/(p−1) yk si yk 6= 0 ,

0 sinon .

On a alors |xk| = |yk|p′/p, si bien que x ∈ `p et ‖x‖`p = ‖y‖p

′/p

`p′. De plus,

‖y‖p′

`p′= B(y, x) 6 ‖δB(y)‖(`p)′‖x‖`p = ‖δB(y)‖(`p)′‖y‖

p′/p

`p′.

En divisant cette inégalite par ‖y‖p′/p

`p′, nous obtenons ‖y‖`p′ 6 ‖δB(y)‖(`p)′ .

Cas p = 1. On se donne y ∈ `∞, y 6= 0, et 0 < ε < ‖y‖`∞ arbitraire. On peut alorstrouver kε ∈ N tel que |ykε | > ‖y‖`∞−ε > 0. On considère alors la suite x = (xk)k∈Ndonnée par

xk :=

yk/|yk| si k = kε ,

0 sinon .

On a alors x ∈ `1 et ‖x‖`1 = 1. De plus,

‖y‖`∞ − ε < |ykε | = B(y, x) 6 ‖δB(y)‖(`1)′‖x‖`1 = ‖δB(y)‖(`1)′ .

Puisque ε est arbitraire, on en déduit que ‖δB(y)‖(`1)′ > ‖y‖`∞ .En conclusion, nous avons montré (pour tout p) que ‖δB(y)‖(`p)′ = ‖y‖`p′ pour

tout y ∈ `p′. Ainsi l’application δB est isométrique, et donc injective. Il nous reste

maintenant à montrer que δB est surjective. Nous distinguerons encore une fois les casp > 1 et p = 1. On se donne donc ϕ ∈ (`p)′, et nous allons chercher y ∈ `p′ vérifiantδB(y) = ϕ, c’est à dire tel que

B(y, x) = ϕ(x) ∀x ∈ `p . (3.3)

Pour chaque n ∈ N, on note en := (δk,n)k∈N ∈ `p la suite définie par δk,n = 1 sik = n, et δk,n = 0 si k 6= n. On considère alors la suite y = (yk)k∈N définie par

yk := ϕ(ek) .

Montrons que y ∈ `p′ :Cas p = 1. Nous avons pour tout k ∈ N,

|yk| = |ϕ(ek)| 6 ‖ϕ‖(`1)′‖ek‖`1 = ‖ϕ‖(`1)′ ,

si bien que ‖y‖`∞ 6 ‖ϕ‖(`1)′ <∞.Cas p > 1. Pour n ∈ N, on note zn = (zk,n)k∈N ∈ `p la suite donnée par

zk,n :=

|yk|(2−p)/(p−1) yk si yk 6= 0 et k 6 n ,0 sinon .

Nous avons alors

ϕ(zn) =∑

k∈0,...,nyk 6=0

|yk|(2−p)/(p−1) yk ϕ(ek) =

n∑k=0

|yk|p′.

40

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En conséquence, nous avons

n∑k=0

|yk|p′6 ‖ϕ‖(`p)′‖zn‖`p = ‖ϕ‖(`p)′

(n∑k=0

|yk|p′

)1/p

,

et nous en déduisons que(n∑k=0

|yk|p′

)1/p′

6 ‖ϕ‖(`p)′ ∀n ∈ N .

En faisant tendre n→∞, nous obtenons que y ∈ `p′ avec ‖y‖`p′ 6 ‖ϕ‖(`p)′ .Pour conclure, il nous reste maintenant à montrer que y vérifie (3.3). On se donne

donc x = (xk)k∈N ∈ `p arbitraire, et pour n ∈ N, on note xn = (xk,n)k∈N ∈ `p lasuite donnée par xk,n = xk si k 6 n et xk,n = 0 si k > n. Observons que

‖x− xn‖p`p =∑k>n

|xk|p −→n→∞

0 ,

puisque x ∈ `p. En d’autres termes, xn → x dans `p quand n→∞. En conséquence,B(y, xn) → B(y, x) et ϕ(xn) → ϕ(x) quand n → ∞ par continuité de B et ϕ.D’autre part,

B(y, xn) =

n∑k=0

ykxk =

n∑k=0

xkϕ(ek) = ϕ

(n∑k=0

xkek

)= ϕ(xn) .

En faisant n → ∞ dans cette égalité, nous obtenons B(y, x) = ϕ(x), et (3.3) estdémontrée.

3.5 La convergence faible*Définition 3.20. Soit E un espace vectoriel normé. Soient (`n)n∈N une suite de E′ et` ∈ E′. On dit que que la suite (`n)n∈N converge faible* vers `, et on note `n

∗`, si

limn→∞

〈`n, x〉 = 〈`, x〉 pour tout x ∈ E .

Remarque 23. La limite faible* d’une suite (`n)n∈N ⊂ E′, lorsqu’elle existe, estunique. En effet, si `n

∗`1 et `n

∗`2, alors 〈`1−`2, x〉 = limn(〈`n, x〉−〈`n, x〉) = 0

pour tout x ∈ E. En prenant le supremum sur x ∈ E avec ‖x‖E 6 1, on obtient alors‖`1 − `2‖E′ = 0, c’est à dire `1 = `2.

Remarque 24. La notion de convergence faible* est issue d’une topologie séparée surE′ appelée topologie faible* que nous n’étudierons pas plus dans ce cours. Il s’agitde la topologie la moins fine sur E′ rendant continues toutes les applications ıE(x) :E′ → K avec x ∈ E. Cette topologie est donc moins fine que la topologie de la normed’opérateur (sauf en dimension finie), et elle n’est pas métrisable.

Remarque 25. Si une suite (`n)n∈N ⊂ E′ converge vers ` ∈ E′ au sens de la norme,c’est à dire ‖`n − `‖E′ → 0, on dit que (`n)n∈N converge fortement vers ` (par oppo-sition à faible).

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Lemme 3.21. Si une suite (`n)n∈N ⊂ E′ est fortement convergente, alors elle estfaible* convergente.

Démonstration. En effet, si `n → ` fortement, alors pour x ∈ E fixé,∣∣〈`n, x〉 − 〈`, x〉∣∣ =∣∣〈`n − `, x〉∣∣ 6 ‖`n − `‖E′‖x‖E −→

n→∞0 ,

ce qui montre que `n∗`.

Remarque 26. Attention : la convergence faible* n’implique pas la convergence forted’une suite (sauf en dimension finie).

Exemple 3. Dans (`p)′ avec 1 6 p < ∞, on considère la suite(δBp(en)

)n∈N ⊂

(`p)′ où (en)n∈N ⊂ `p′

est la suite définie par en = (δk,n)k∈N avec δk,n = 1 sik = n, et δk,n = 0 si k 6= n. On vérifie simplement que δBp(en)

∗ 0. D’autre part,

‖δBp(en)‖(`p)′ = ‖en‖`p′ = 1 pour tout n, si bien que(δBp(en)

)n∈N ne converge pas

fortement vers 0.

Exercice 9. Montrer que si E est de dimension finie, alors toute suite faible* conver-gente est fortement convergente.

Lemme 3.22. Soit E un espace de Banach. Si (`n)n∈N ⊂ E′ est une suite faible*convergente vers ` ∈ E′, alors (`n)n∈N est bornée et

‖`‖E′ 6 lim infn→∞

‖`n‖E′ .

Démonstration. Il s’agit d’un cas particulier du Corollaire 2.24 (avec F = K).

Proposition 3.23. Soit E un espace de Banach. Soient (xn)n∈E et (`n)n∈N ⊂ E′

telles que ‖xn − x‖E → 0 et `n∗` pour un x ∈ E et une forme linéaire ` ∈ E′.

Alors,limn→∞

〈`n, xn〉 = 〈`, x〉 .

Démonstration. D’après le Lemme 3.22, la suite (`n)n∈N est bornée. Il existe donc uneconstante C telle que ‖`n‖E′ 6 C pour tout n ∈ N. En conséquence,∣∣〈`n, xn − x〉∣∣ 6 ‖`n‖E′‖xn − x‖E 6 C‖xn − x‖E −→

n→∞0 .

On en déduit alors que

〈`n, xn〉 = 〈`n, x〉+ 〈`n, xn − x〉 −→n→∞

〈`, x〉 ,

ce qui termine la démonstration.

Lemme 3.24. Soient E un espace vectoriel normé, et D une partie dense de E. Soient(`n)n∈N ⊂ E′ une suite bornée et ` ∈ E′ telles que

limn→∞

〈`n, x〉 = 〈`, x〉 pour tout x ∈ D .

Alors `n∗` .

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Démonstration. On considère M > 0 telle que supn ‖`n − `‖E′ 6 M . Soient x ∈ Eet ε > 0 arbitraire. Par densité de D, il existe xε ∈ D tel que ‖x − xε‖E < ε/M .Puisque

〈`n, x〉 − 〈`, x〉 = 〈`n − `, x− xε〉+ 〈`n, xε〉 − 〈`, xε〉 ,nous avons∣∣〈`n, x〉−〈`, x〉∣∣ 6 ‖`n−`‖E′‖x−xε‖E+

∣∣〈`n, xε〉−〈`, xε〉∣∣ < ε+∣∣〈`n, xε〉−〈`, xε〉∣∣ .

En faisant n → ∞, nous obtenons lim supn∣∣〈`n, x〉 − 〈`, x〉∣∣ 6 ε. Comme ε est

arbitraire, on en conclut que limn〈`n, x〉 = 〈`, x〉, et donc `n∗` .

Théorème 3.25 (de Banach-Alaoglu). Soit E un espace vectoriel normé séparable.Si (`n)n∈N est une suite bornée de E′, alors (`n)n∈N admet une sous-suite faible*convergente.

Démonstration. Soit (xk)k∈N une suite dense de E. Puisque (`n)n∈N est une suitebornée de E′, (`n(xk))n∈N est une suite bornée de K pour tout k ∈ N. Pour chaquek ∈ N, il existe donc un compact Xk ⊂ K tel que (`n(xk))n∈N ⊂ Xk. On pose

X :=∏k∈N

Xk ,

que l’on munit de la distance produit, ce qui en fait un espace métrique compactd’après le Théorème 1.7. La suite

(`n(xk)k∈N

)n∈N ⊂ X admet donc une sous-suite(

(`j(n)(xk))k∈N)n∈N convergente pour la topologie produit. En d’autres termes (voir

Exercice 2), il existe (αk)k∈N ∈ X tel que `j(n)(xk) → αk lorsque n → ∞ pourchaque k ∈ N.

Soit F le sous-espace vectoriel engendré par les termes de la suite (xk)k∈N (les élé-ments de F sont des combinaisons linéaires d’un nombre finie de termes de (xk)k∈N).Puisque (xk)k∈N est dense dans E, F est aussi dense dans E. Pour x ∈ F , il existeKx ∈ N et λ0, . . . , λKx ∈ K tels que x = λ0x0 + . . .+ λKxxKx , si bien que

`j(n)(x) =

Kx∑k=0

λk`j(n)(xk) −→n→∞

Kx∑k=0

λkαk .

Ceci montre que (`j(n)(x))n∈N est convergente pour tout x ∈ F , et on note `(x) salimite. On vérifie alors simplement que l’application ` : F → K est linéaire. De plus,si M := supn ‖`n‖E′ <∞, alors

|`(x)| = limn→∞

|`j(n)(x)| 6M‖x‖E ∀x ∈ F ,

ce qui montre que ` ∈ F ′. Comme F est dense dans E, le Théorème 2.20 nous donnel’existence d’une unique application ˜ ∈ E′ telle que ˜(x) = `(x) pour tout x ∈ F .Nous avons donc 〈`j(n), x〉 → 〈˜, x〉 pour tout x ∈ F . Le Lemme 3.24 nous montrealors que `j(n)

∗ ˜.

3.6 La convergence faibleDéfinition 3.26. Soit E un espace vectoriel normé. Soient (xn)n∈N une suite de E etx ∈ E. On dit que que la suite (xn)n∈N converge faiblement vers x, et on note xn x,si

limn→∞

〈`, xn〉 = 〈`, x〉 pour tout ` ∈ E′ .

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Remarque 27. La limite faible d’une suite (xn)n∈N deE, lorsqu’elle existe, est unique.En effet, si xn x1 et xn x2, alors 〈`, x1 − x2〉 = limn(〈`, xn〉 − 〈`, xn〉) = 0pour tout ` ∈ E′. En prenant le supremum sur ` ∈ E′ avec ‖`‖E′ 6 1, on obtient alors‖x1 − x2‖E = 0 (voir Corollaire 3.5), c’est à dire x1 = x2.

Remarque 28. La notion de convergence faible est issue d’une topologie séparée surE appelée topologie faible que nous n’étudierons pas plus dans ce cours. Il s’agit de latopologie la moins fine sur E rendant continues toutes les applications ` ∈ E′. Cettetopologie est donc moins fine que la topologie de la norme (sauf en dimension finie),et elle n’est pas métrisable.

Remarque 29. Si une suite (xn)n∈N de E converge vers x ∈ E au sens de la norme,c’est à dire ‖xn − x‖E → 0, on dit que (xn)n∈N converge fortement vers x (paropposition à faible).

Remarque 30. Si une suite (xn)n∈N de E est fortement convergente, alors elle estfaiblement convergente.

Remarque 31. Attention : la convergence faible n’implique pas la convergence forted’une suite (sauf en dimension finie).

Exemple 4. Dans `p(N) avec 1 < p < ∞, on considère la suite (en)n∈N définie paren = (δk,n)k∈N avec δk,n = 1 si k = n, et δk,n = 0 si k 6= n. On vérifie simplementque en 0. D’autre part, ‖en‖p = 1 pour tout n, si bien que (en)n∈N ne converge pasfortement vers 0 dans `p.

Exercice 10. La suite (en)n∈N définie dans l’exemple précédent est-elle faiblementconvergente dans `1 ? (Indication : la réponse est non.)

Exercice 11. Montrer que si E est de dimension finie, alors toute suite faiblementconvergente est fortement convergente.

Remarque 32. Une suite (xn)n∈N ⊂ E converge faiblement vers x ∈ E si et seulementsi (ıE(xn))n∈N ⊂ E′′ converge faible* vers ıE(x).

Lemme 3.27. SoitE un espace réflexif. Une suite (xn)n∈N ⊂ E est faiblement conver-gente si et seulement si (ı(xn))n∈N ⊂ E′′ est faible* convergente.

Démonstration. Si (xn)n∈N ⊂ E est faiblement convergente, alors (ı(xn))n∈N ⊂ E′′

est faible* convergente d’après la remarque précédente. Réciproquement, si ı(xn)∗ϕ

pour ϕ ∈ E′′, alors pour x := ı−1E (ϕ), nous avons

〈`, xn〉 = 〈iE(xn), `〉 −→n→∞

〈ϕ, `〉 = 〈`, x〉 ∀` ∈ E′ ,

si bien que xn x.

Remarque 33. Attention : si E n’est pas réflexif, (ı(xn))n∈N ⊂ E′′ peut être faible*convergente sans que (xn)n∈N soit faiblement convergente.

Lemme 3.28. Soit E un espace vectoriel normé. Si (xn)n∈N ⊂ E est une suite faible-ment convergente vers x ∈ E, alors (xn)n∈N est bornée et

‖x‖E 6 lim infn→∞

‖xn‖E .

Démonstration. Puisque ıE(xn)∗ıE(x) dans E′′, la conclusion est obtenue par le

Lemme 3.22 et le caractère isométrique de ıE (rappelons que E′ est un espace deBanach).

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Proposition 3.29. SoitE un espace vectoriel normé. Soient (xn)n∈N ⊂ E et (`n)n∈N ⊂E′ telles que xn x et ‖`n − `‖E′ → 0 pour un x ∈ E et une forme linéaire ` ∈ E′.Alors,

limn→∞

〈`n, xn〉 = 〈`, x〉 .

Démonstration. Puisque ıE(xn)∗ıE(x) dans E′′, il suffit d’appliquer la Proposi-

tion 3.23 à la suite (ıE(xn))n∈N.

Mentionnons également un résultat très utile dans les applications.

Proposition 3.30. Soient E et F deux espaces vectoriels normés, et T ∈ L (E,F ).Si (xn)n∈N ⊂ E est une suite faiblement convergente vers x ∈ E, alors (T (xn))n∈Nconverge faiblement vers T (x).

Démonstration. Soit ` ∈ F ′ arbitraire. L’application x ∈ E 7→ 〈`, T (x)〉 est une formelinéaire continue sur E (c’est à dire un élément de E′). En conséquence, 〈`, T (xn)〉 →〈`, T (x)〉, et on en conclut que T (xn) T (x).

Théorème 3.31. Soit E un espace réflexif. Si (xn)n∈N est une suite bornée de E, alors(xn)n∈N admet une sous-suite faiblement convergente.

Démonstration. Soit F0 le sous-espace vectoriel engendré par les éléments de la suite(xn)n∈N, et F := F 0. Alors F est séparable (voir la démonstration du Corollaire3.7).De plus, F est réflexif d’après la Proposition 3.13. On déduit alors du Corollaire 3.15que F ′ est réflexif séparable. D’après le Théorème 3.25, nous pouvons trouver unesous-suite (xj(n))n∈N telle que (ıF (xj(n)))n∈N soit faible* convergente. Le Lemme 3.27nous dit alors que (xj(n))n∈N converge faiblement dans F vers un élément x ∈ F . Fi-nalement, si ` ∈ E′, alors la restriction de ` à F est linéaire continue (c’est à dire unélément de F ′), si bien que `(xj(n))→ `(x). Ceci qui montre bien que xj(n) x.

Remarque 34. Soient E un espace vectoriel normé, et D une partie dense de E′. Si(xn)n∈N ⊂ E une suite bornée et x ∈ E sont tels que

limn→∞

〈`, xn〉 = 〈`, x〉 pour tout ` ∈ D ,

alors xn x. La démonstration est essentiellement identique à celle du Lemme 3.24.

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Chapitre 4

Espaces de Hilbert

Dans tout ce chapitre, K désigne R ou C, et tout espace vectoriel est considérécomme espace vectoriel sur K.

4.1 Produit scalaire et orthogonalité (rappels)Définition 4.1.

1) Un produit scalaire (hermitien si K = C) sur H est une application (·, ·) : H ×H → K vérifiant• x 7→ (x, y) est linéaire pour tout y ∈ H ;• (x, y) = (y, x) pour tous x, y ∈ H ;• (x, x) ∈ R+ pour tout x ∈ H ;• (x, x) = 0 si et seulement si x = 0.

L’application x ∈ H 7→√

(x, x) est alors une norme sur H (par l’inégalité deCauchy-Schwarz) appelée norme hilbertienne. Elle est notée ‖ · ‖H .

2) On appelle espace préhilbertien un espace vectoriel H muni d’un produit sca-laire et de la norme hilbertienne associée.

3) On appelle espace de Hilbert un espace préhilbertien complet.

Théorème 4.2 (inégalité de Cauchy-Schwarz, exercice). Soit H un espace préhilber-tien. Alors, ∣∣(x, y)

∣∣2 6 (x, x) (y, y) ∀x, y ∈ H .

De plus, cette inégalité est une égalité si et seulement si x et y sont colinéaires.

Corollaire 4.3 (exercice). Soit H un espace préhilbertien. Alors (·, ·) : H ×H → Kest continue.

Théorème 4.4 (identité de polarisation, exercice). Soit H un espace préhilbertien.(i) Si K = R, alors

(x, y) =1

4

(‖x+ y‖2H − ‖x− y‖2H

)∀x, y ∈ H .

(i) Si K = C, alors

(x, y) =1

4

(‖x+y‖2H + i‖x+ iy‖2H−‖x−y‖2H− i‖x− iy‖2H

)∀x, y ∈ H .

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Théorème 4.5 (identité de la médiane, exercice). SoitH un espace préhilbertien. Pourtous x, y, z ∈ H et u := (x+ y)/2,

‖z − x‖2H + ‖z − y‖2H = 2‖z − u‖2H +1

2‖x− y‖2H .

Exemple 5. L’espace de suites `2 (vu au Chapitre 3, Section 3.4), est un espace deHilbert dont le produit scalaire est donné par

(x, y) =∑n∈N

xnyn .

On vérifiera simplement que la série numérique ci-dessus converge absolument.

Définition 4.6. SoitH un espace préhilbertien. On dit que x, y ∈ H sont orthogonaux,ce que l’on note x ⊥ y, si (x, y) = 0.

Remarque 35. La relation ⊥ est symétrique. De plus, si x ⊥ y, alors ‖x + y‖2 =‖x‖2 + ‖y‖2, identité connue sous le nom de théorème de Pythagore.

Définition 4.7. Soient H un espace préhilbertien. Pour A ⊂ H , on appelle orthogonalde A, noté A⊥, l’ensemble

A⊥ :=x ∈ H : (y, x) = 0 pour tout y ∈ A

.

Proposition 4.8. Soient H un espace préhilbertien, et A une partie de H . Alors A⊥

est un sous-espace vectoriel fermé de H .

Démonstration. On remarque que x⊥ est le noyau de la forme linéaire continuey 7→ (y, x), et donc x⊥ est sous-espace vectoriel fermé pour tout x ∈ A. Puisque

A⊥ =⋂x∈Ax⊥ ,

on en déduit que A⊥ est un sous-espace vectoriel fermé.

4.2 Projection orthogonale (rappels)Théorème 4.9. Soient H un espace de Hilbert, et A une partie non vide, convexe, etfermée de H . Alors

(i) pour tout x ∈ H , il existe un unique y ∈ A, appelé projeté orthogonal de xsur A, tel que ‖x− y‖H = dist(x,A) ;

(ii) le point y est caractérisé par la relation

Re((x− y, z − y)

)6 0 pour tout z ∈ A .

Démonstration. Nous allons montrer le point (i), et nous laissons (ii) à titre d’exercice.On peut bien sûr supposer que x 6∈ A, et on pose δ := dist(x,A) > 0 (puisque A estfermée). Pour chaque n ∈ N, on pose

Cn :=z ∈ A : ‖z − x‖2H 6 δ2 + 2−n

.

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Alors (Cn)n∈N est une suite décroissante (pour l’inclusion) de parties non vides fer-mées de H . Comme H est complet, il suffit de montrer 1 que diamCn → 0, ce quinous permettra de conclure qu’il existe un unique y ∈

⋂n Cn. Ce point y vérifie alors

par construction y ∈ A et ‖y−x‖H = δ. De plus, tout autre point vérifiant ces relationsest dans

⋂n Cn, ce qui montre l’unicité du projeté orthogonal de x sur A.

Montrons donc que diamCn → 0. Pour z, w ∈ Cn arbitraires, on pose u :=(z + w)/2 ∈ A (par convexité de A). Puisque ‖x− u‖H > δ, en appliquant l’identitéde la médiane nous obtenons

2δ2 +1

2‖z − w‖2H 6 2‖x− u‖2H +

1

2‖z − w‖2H = ‖x− z‖2H + ‖x− w‖2H

6 2δ2 + 2−n+1 .

En conséquence, ‖z−w‖2H 6 2−n+2, ce qui montre que diamCn 6 2−n+2 → 0.

Corollaire 4.10. Soient H un espace de Hilbert et F un sous-espace vectoriel ferméde H . Pour tout x ∈ H , il existe un unique couple (y, z) ∈ F ×F⊥ tel que x = y+ z.De plus, ce couple vérifie ‖y‖H 6 ‖x‖H et ‖z‖H 6 ‖x‖H .

Démonstration. PuisqueF est un sous-espace vectoriel fermé,F est une partie convexefermée non vide deH . Soit x ∈ H . D’après le Théorème 4.9, il existe un unique y ∈ Ftel que ‖y − x‖H = dist(x,H). De plus, on déduit simplement de la caractérisation(ii) que (x− y, w) = 0 pour tout w ∈ F . En d’autres termes, z := x− y ∈ F⊥, ce quiimplique que x = y + z et ‖x‖2H = ‖y‖2H + ‖z‖2H . En particulier, ‖y‖H 6 ‖x‖H et‖z‖H 6 ‖x‖H .

Finalement, si x = y′ + z′ avec y′ ∈ F et z′ ∈ F⊥, alors y − y′ = z − z′ ∈F ∩ F⊥ = 0. Donc y = y′ et z = z′.

Corollaire 4.11. Soit H un espace de Hilbert. Si F est un sous-espace vectoriel ferméde H , alors (F⊥)⊥ = F .

Démonstration. De façon évidente nous avons F ⊂ (F⊥)⊥. Réciproquement, si x ∈(F⊥)⊥, alors x = y+z avec y ∈ F et z ∈ F⊥ d’après le Corollaire 4.10. Mais commex ∈ (F⊥)⊥ et z ∈ F⊥, nous avons 0 = (x, z) = (y, z) + ‖z‖2H , si bien que z = 0.Nous avons donc montré que x ∈ F .

Corollaire 4.12. Soit H un espace de Hilbert. Un sous-espace vectoriel F de H estdense si et seulement si F⊥ = 0.

Démonstration. Supposons que F soit dense. Si y ∈ F⊥, alors F ⊂ y⊥. Commey⊥ est fermée, nous avons H = F ⊂ y⊥. En particulier, ‖y‖2H = (y, y) = 0, etdonc y = 0.

Réciproquement, supposons F⊥ = 0. Puisque (F )⊥ ⊂ F⊥ = 0, nous avonsH = 0⊥ ⊂ (F )⊥⊥ = F d’après le Corollaire 4.11.

Théorème 4.13. SoientH un espace de Hilbert, etF un sous-espace vectoriel fermé deH non réduit à 0. Il existe un unique PF ∈ L (H,H), appelé projecteur orthogonalsur F , vérifiant ‖PF ‖L (H,H) = 1, PF (x) ∈ F pour tout x ∈ H , et PF (x) = x pourtout x ∈ F . De plus, PF (x) = 0 pour tout x ∈ F⊥.

1. Rappelons que dans un espace métrique complet, toute suite décroissante de fermés non vides dont lediamètre tend vers 0 a une intersection réduite à un singleton. Il s’agit d’une application directe de la notionde suite de Cauchy.

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Démonstration. D’après le Corollaire 4.10, pour tout x ∈ H , il existe un unique couple(x, y) ∈ F×F⊥ tel que x = y+z. On pose alors PF (x) := y, et on vérifie simplementque PF vérifie les conclusions du théorème.

Maintenant, soit P1 ∈ L (H,H) vérifiant ‖P1‖L (H,H) = 1, P1(x) ∈ F pour toutx ∈ H , et P1(x) = x pour tout x ∈ F . Soit z ∈ F⊥, et y := P1(z). Pour tout t ∈ R,nous avons P1(z + ty) = (1 + t)y, et puisque ‖P1‖L (H,H) = 1,

0 6 ‖z + ty‖2H − ‖P1(z + ty)‖2H = ‖z‖2H − (1 + 2t)‖y‖2H ∀t ∈ R .

On en déduit alors que ‖y‖2H = 0, c’est à dire y = 0. Nous avons ainsi montré queP1(z) = 0 pour tout z ∈ F⊥. Finalement, pour x ∈ H avec x = y + z, (y, z) ∈F × F⊥, nous avons P1(x) = P1(y) = y = PF (x), et donc P1 = PF .

4.3 Dualité dans les espaces de HilbertThéorème 4.14 (de Riesz-Fréchet). Soit H un espace de Hilbert.

(i) Pour tout ` ∈ H ′, il existe un unique y ∈ H tel que `(x) = (x, y) pour toutx ∈ H . De plus, ‖`‖H′ = ‖y‖H .

(ii) L’application δH : H → H ′ définie par 〈δH(y), x〉 = (x, y) pour x ∈ H , estune bijection isométrique linéaire si K = R, et semi-linéaire si K = C.

Remarque 36. Rappelons qu’une application f : E → F entre C-espaces vectorielsest dite semi-linéaire si f(x + λy) = f(x) + λf(y) pour tous x, y ∈ H et λ ∈ C. End’autres termes, f est semi-linéaire si sa conjuguée f est linéaire.

Démonstration du Théorème 4.14. Commençons par montrer que δH est isométrique(et donc injective), la (semi) linéarité étant évidente. En effet, d’après l’inégalité deCauchy-Schwarz, nous avons pour y ∈ H ,∣∣〈δH(y), x〉

∣∣ =∣∣(x, y)

∣∣ 6 ‖y‖H‖x‖H ∀x ∈ H ,

si bien que ‖δH(y)‖H′ 6 ‖y‖H . Or 〈δH(y), y〉 = ‖y‖2H , et donc ‖δH(y)‖H′ = ‖y‖H .Montrons maintenant que δH est surjective. On se donne ` ∈ H ′, et nous pouvons

supposer ` 6= 0. Alors le noyau de `, noté F := Ker `, est un sous-espace vectorielfermé de H , distinct de H . Soit a ∈ H \ F , et α := `(a) 6= 0. On considère alorsb := PF (a), la projection orthogonale de a sur F donnée par le Théorème 4.13 (siF = 0, on pose b = 0). Alors a− b ∈ F⊥, si bien que

y :=α

‖a− b‖2H(a− b) ∈ F⊥ .

Montrons maintenant que δH(y) = `. En effet,

〈δH(y), a〉 = (a, y) =α

‖a− b‖2H(a− b, a− b) = α = `(a) .

De plus, si z ∈ H , alors en posant λ := `(z)/α, nous avons z = λa + z avec z ∈ F .Puisque y ∈ F⊥, nous avons

〈δH(y), z〉 = λ〈δH(y), a〉+ (z, y) = λ`(a) = `(z) ,

ce qui montre bien que δH(y) = `.

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Corollaire 4.15. Si H est un espace de Hilbert, alors H est réflexif.

Démonstration. Soit ϕ ∈ H ′′. D’après le Théorème 4.14, ϕ δH ∈ H ′. Il existe doncxϕ ∈ H tel que ϕ δH = δH(xϕ). Montrons que ıH(xϕ) = ϕ. En effet, si ` ∈ H ′, ilexiste y` ∈ H tel que ` = δH(y`), si bien que

〈ıH(xϕ), `〉 = 〈`, xϕ〉 = (xϕ, y`) = (y`, xϕ)

= 〈δH(xϕ), y`〉 = 〈ϕ δH , y`〉 = 〈ϕ, `〉 ,

ce qui termine la démonstration.

Définition 4.16. Soit E un C-espace vectoriel. Une application B : E × E → Cest appelée forme sesquilinéaire si x 7→ B(x, y) est linéaire pour tout y ∈ E, ety 7→ B(x, y) est semi-linéaire pour tout x ∈ E.

Proposition 4.17. Soient H un espace de Hilbert, et B : H×H → K une applicationcontinue telle que : (i) B est bilinéaire si K = R ; (ii) B est sesquilinéaire si K = C.Alors il existe un unique T ∈ L (H,H) tel queB(x, y) = (T (x), y) pour tout (x, y) ∈H ×H .

Démonstration. Pour tout x ∈ H fixé, l’application y 7→ B(x, y) est linéaire continue.D’après le Théorème 4.14, il existe un unique vecteur T (x) ∈ H tel que B(x, y) =(y, T (x)) pour tout y ∈ H . En conséquence, B(x, y) = (T (x), y) pour tout y ∈H . On vérifie simplement que l’opérateur T : H → H est linéaire. Comme pour leThéorème 2.29, la continuité deB nous donne l’existence d’une constanteM > 0 telleque |B(x, y)| 6 M‖x‖H‖y‖H pour tout x, y ∈ H . Nous avons donc

∣∣(y, T (x))∣∣ 6

M‖x‖H‖y‖H pour tout x, y ∈ H , ce qui montre que ‖T (x)‖H = ‖δH(T (x))‖H′ 6M‖x‖H pour tout x ∈ H . En conclusion, T ∈ L (H,H).

Théorème 4.18 (de Lax-Milgram). Soit H un espace de Hilbert sur K = R, et soita : H ×H → R une forme bilinéaire continue telle que

a(x, x) > α‖x‖2H pour tout x ∈ H ,

pour une constante α > 0 (on dit alors que a est coercive). Pour tout ` ∈ H ′, il existeun unique x` ∈ H tel que

a(x`, y) = `(y) pour tout y ∈ H . (4.1)

De plus, l’application δa : ` 7→ x` est linéaire continue et ‖δa‖L (H′,H) 6 1/α.Finalement, si a est symétrique, alors pour tout ` ∈ H ′, x` est caractérisé par

1

2a(x`, x`)− `(x`) = min

x∈H

1

2a(x, x)− `(x)

.

Démonstration. D’après la Proposition 4.17, il existe un unique T ∈ L (H,H) tel quea(x, y) = (T (x), y) pour tout x, y ∈ H . Nous avons alors (T (x), x) > α‖x‖2H pourtout x ∈ H , ce qui montre que T est injective. De plus, par l’inégalité de Cauchy-Schwarz, nous obtenons ‖x‖H 6 α−1‖T (x)‖H pour tout x ∈ H . En posant F :=T (H), l’application T : H → F est donc un isomorphisme vérifiant ‖T−1‖L (F,H) 6α−1. En particulier, le sous-espace vectoriel F est complet, et donc fermé dans H .D’après le Corollaire 4.10, nous avons H = F ⊕ F⊥. Pour z ∈ F⊥, nous avons alors0 = (T (z), z) > α‖z‖2H , ce qui montre que F⊥ = 0. D’après le Corollaire 4.12, F

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est dense dans H . Mais puisque F est fermé, nous obtenons F = H , et on en déduitque T est un isomorphisme.

On définit maintenant δa : H ′ → H par δa := T−1 δH où δH est donnée par leThéorème 4.14. Alors δa est un isomorphisme et ‖δa‖L (H′,H) 6 α−1 puisque δH estisométrique. On se donne maintenant ` ∈ H ′. Nous avons alors pour x` := δa(`),

a(x`, y) = (T (x`), y) = (δH(`), y) = (y, δH(`)) = `(y) ∀y ∈ H .

De plus, si x` ∈ H vérifie (4.1), alors z` := x` − x` vérifie a(z`, y) = 0 pour touty ∈ H . En particulier, 0 = a(z`, z`) > α‖z`‖2H ce qui montre que x` = x`.

Supposons maintenant que a est symétrique. En posant J(x) := 12a(x, x) − `(x),

nous avons

J(x` + y) = J(x`) + a(x`, y)− `(y) +1

2a(y, y) > J(x`) +

α

2‖y‖2H ∀y ∈ H ,

si bien que J(x`) 6 J(x) pour tout x ∈ H avec égalité si et seulement si x = x`.

4.4 Convergence faible dans les espaces de HilbertProposition 4.19. Soit H un espace de Hilbert. Une suite (xn)n∈N ⊂ H convergefaiblement vers x ∈ H si et seulement si

(xn, y) −→n→∞

(x, y) pour tout y ∈ H .

Démonstration. D’après le Théorème 4.14, δH est un isomorphisme entre H ′ et H .En conséquence, (xn)n∈N ⊂ H converge faiblement vers x ∈ H si et seulement si(xn, y) = 〈δH(y), xn〉 → 〈δH(y), x〉 = (x, y) pour tout y ∈ H .

Proposition 4.20. Soit H un espace de Hilbert, et (xn)n∈N ⊂ H une suite faiblementconvergente vers x ∈ H . Si

lim supn→∞

‖xn‖H 6 ‖x‖H ,

alors xn → x fortement dans H .

Démonstration. D’après le Lemme 3.28, nous avons lim infn ‖xn‖H > ‖x‖H . Enconséquence ‖xn‖2H → ‖x‖2H . A l’aide de la Proposition 4.19, nous avons alors

‖xn − x‖2H = ‖xn‖2H − 2Re((xn, x)

)+ ‖x‖2H −→

n→∞2‖x‖2H − 2(x, x) = 0 ,

et donc xn → x fortement.

Proposition 4.21. SoitH un espace de Hilbert. Soient (xn)n∈N ⊂ H et (yn)n∈N ⊂ Htelles que xn x et ‖yn − y‖H → 0 pour un x ∈ H et un y ∈ H . Alors,

limn→∞

(xn, y) = (x, y) .

Démonstration. D’après le Théorème 4.14, δH est un isomorphisme entre H ′ et H ,si bien que ‖δH(yn) − δH(y)‖H′ → 0. D’après la Proposition 3.29, nous avons(xn, yn) = 〈δH(yn), xn〉 → 〈δH(y), x〉 = (x, y).

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Théorème 4.22. Soit H un espace de Hilbert. Si (xn)n∈N est une suite bornée de H ,alors (xn)n∈N admet une sous-suite faiblement convergente.

Démonstration. D’après le Corollaire 4.15, H est un espace réflexif. La conclusion estdonc donnée par le Théorème 3.31.

Exercice 12. Soient H un espace de Hilbert et A ⊂ H une partie convexe fermée.Montrer que si (xn)n∈N ⊂ A est une suite convergeant faiblement vers un point x ∈ H ,alors x ∈ A.

4.5 Bases hilbertiennes (rappels)Théorème 4.23. SoientH un espace de Hilbert, et (xn)n∈N ⊂ H une suite d’élémentsdeux à deux orthogonaux. Alors :

(i) si∑n ‖xn‖2H < ∞, alors la série de terme général (xn) converge commutati-

vement (c’est à dire que∑n xσ(n) =

∑n xn pour tout bijection σ : N → N)

vers un élément x ∈ H vérifiant ‖x‖2H =∑n ‖xn‖2H ;

(ii) si∑n ‖xn‖2H =∞, alors limn

∥∥∑nk=0 xk

∥∥H

=∞.

Démonstration. Par orthogonalité des xn, nous avons∥∥∥ n∑k=0

xn

∥∥∥2

H=

n∑k=0

‖xn‖2H ∀n ∈ N .

De ce fait, si la série de terme général (‖xn‖2H) est divergente, alors la suite numérique(‖∑nk=0 xk‖2H)n∈N est divergente.

Supposons maintenant que∑n ‖xn‖2H < ∞. Nous allons tout d’abord montrer

que la suite des sommes partielles

Sn :=

n∑k=0

xk

est de Cauchy. En effet, si n, p ∈ N, nous avons

‖Sn+p − Sn‖2H =

n+p∑k=n+1

‖xk‖2H 6∞∑

k=n+1

‖xk‖2H .

Le dernier terme étant le reste d’une série convergente, cette inégalité montre bien lecaractère Cauchy de (Sn)n∈N. Puisque H est complet, il existe donc x∗ ∈ H tel queSn → x∗ lorsque n → ∞. De plus, comme ‖Sn‖2H =

∑nk=0 ‖xk‖2H , nous obtenons

‖x∗‖2H =∑k>0 ‖xk‖2H en faisant n→∞.

Nous allons maintenant montrer que

∀ε > 0 , ∃Jε partie finie de N telle que

∀J ⊂ N partie finie avec Jε ⊂ J ,∥∥∥x∗ −∑

k∈J

xk

∥∥∥H< ε . (4.2)

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On se donne donc ε > 0 arbitraire. Puisque Sn → x∗ et∑n ‖xn‖2H < ∞, il existe

Nε ∈ N tel que ‖x∗ − SNε‖H < ε/2 et∑k>Nε

‖xk‖2H < ε2/4. On pose alorsJε := 0, 1, . . . , Nε. Maintenant, si J ⊂ N est une partie finie vérifiant Jε ⊂ J , alors∥∥∥x∗−∑

k∈J

xk

∥∥∥H6∥∥∥x∗−SNε∥∥∥

H+∥∥∥SNε−∑

k∈J

xk

∥∥∥H<ε

2+( ∑k>Nε

‖xk‖2H)1/2

< ε ,

ce qui montre bien (4.2).Pour conclure, on se donne une bijection σ : N→ N, et on pose

Sn :=

n∑k=0

xσ(k) =

n∑k∈σ(0,1,...,n)

xk .

Nous allons montrer que Sn → x∗. Pour cela, on fixe ε > 0 arbitraire. On considère lapartie finie Jε ⊂ N donnée par (4.2), et on note Mε le plus grand entier de σ−1(Jε).On a alors Jε ⊂ σ(0, 1, . . . , n) dès que n > Mε. En appliquant (4.2) avec J =

σ(0, 1, . . . , n), on en déduit que ‖Sn − x∗‖H < ε dès que n > Mε, et nous avonsdonc montré que Sn → x∗.

Théorème 4.24. Soient H un espace de Hilbert, et (en)n∈N ⊂ H une suite orthonor-male (c’est à dire d’éléments de norme 1 deux à deux orthogonaux). Alors :

(i) pour toute suite (λn)n∈N ⊂ K, la série∑n λnen converge si et seulement si

(λn)n∈N ∈ `2 ;

(ii) si F ⊂ H désigne l’adhérence du sous-espace vectoriel engendré par les termesde (en)n∈N, alors pour tout x ∈ F il existe une unique suite (λn)n∈N ∈ `2 telleque x =

∑n λnen, et cette suite est donnée par λn = (x, en).

Démonstration. Puisque ‖λnen‖2H = |λn|2, la partie (i) du théorème est donnée parle Théorème 4.23. Pour montrer la partie (ii), on considère l’application Ψ : `2 → Hdéfinie par

Ψ((λn)n∈N

):=∑n∈N

λnen .

On vérifie simplement que Ψ est linéaire. D’après le Théorème 4.23,

‖Ψ((λn)n∈N

)‖2H =

∑n∈N|λn|2 = ‖(λn)n∈N|2`2 ,

et donc ‖Ψ((λn)n∈N

)‖H = ‖(λn)n∈N‖`2 pour tout (λn)n∈N ∈ `2. L’application li-

néaire Ψ est donc continue, et Ψ est même une injection isométrique de `2 dans H .On pose V := Ψ(`2) qui est alors un sous-espace vectoriel de H . En reproduisant lapreuve de la Proposition 3.10 (avec Ψ au lieu de ıE), on montre que V est fermé.

On considère maintenant W le sous-espace vectoriel engendré par les termes de(en)n∈N, si bien que F = W . Remarquons que W ⊂ V . En effet, si x ∈ W alors ilexisteN ∈ N et α0, α1, . . . , αN ∈ K tels que x =

∑Nn=0 αnen. La suite (λxn)n∈N ∈ `2

donnée par λxn = αn si n > N , et λn = 0 si n > N , vérifie alors Ψ((λxn)n∈N) = x, sibien que x ∈ V . Comme V est fermé, nous avons donc F = W ⊂ V . D’autre part, sion note `20 le sous-espace vectoriel (de `2) formé des suites nulles à partir d’un certainrang, alors Ψ(`20) ⊂ W ⊂ F . En conséquence, Ψ(`20) ⊂ F puisque F est fermé. Deplus, on vérifie simplement que Ψ

(`20)⊂ Ψ(`20), si bien que Ψ

(`20)⊂ F . Or `20 = `2

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(exercice), et donc V = Ψ(`2) ⊂ F . Nous avons donc montré que V = F . PuisqueΨ : `2 → F est isométrique, elle est injective. Ψ : `2 → F est donc une bijection. End’autres termes, si x ∈ F alors il existe un unique (λn)n∈N ∈ `2 tel que x =

∑n λnen.

Enfin, si p ∈ N, nous avons

(x, ep) = limN→∞

(N∑n=0

λnen, ep

)= limN→∞

N∑n=0

λn(en, ep) .

Or (en, ep) = 0 si n 6= p, et (ep, ep) = 1. En conséquence,∑Nn=0 λn(en, ep) = λp, et

on en déduit que (x, ep) = λp.

Définition 4.25. Soit H un espace de Hilbert. On appelle base hilbertienne de H toutesuite orthonormale (en)n∈N ⊂ H engendrant un sous-espace vectoriel dense dans H .

Théorème 4.26. Tout espace de Hilbert séparable H admet une base hilbertienne.

Démonstration. Soit (xn)n∈N une suite dense de H . On peut supposer que x0 6= 0.En appliquant la méthode d’orthonormalisation de Gram-Schmidt à la suite (xn), onobtient une suite orthonormale (en)n∈N. Si dimH < ∞, ceci est évident. On supposedonc que dimH =∞. On pose alors j(0) = 0, e0 := x0/‖x0‖H , et par récurrence ondéfinit

j(n+ 1) := mink > k(n) + 1 : xk 6∈ vect〈e0, . . . , en〉

en+1 := xj(n+1) −

j(n)∑k=0

(xj(n+1), ek)ek , en+1:=en+1

‖en+1‖H.

Par construction, nous avons alors vect〈e0, . . . , en〉 = vect〈xj(0), . . . , xj(n)〉 pour toutn ∈ N, si bien que le sous-espace vectoriel engendré par les termes de la suite (en)n∈Nest égal au sous-espace vectoriel engendré par les termes de la suite (xn)n∈N. Ce der-nier étant dense dansH , on en conclut que (en)n∈N est une base hilbertienne deH .

Corollaire 4.27. Tout espace de Hilbert séparable est isométriquement isomorphe à `2.

Démonstration. D’aprè le théorème précédent, il existe une base hilbertienne (en)n∈Nde H . On considère alors l’application Φ : H → `2 donnée par Φ(x) :=

((x, en)

)n∈N.

Notons que, d’après le Théorème 4.24, nous avons bien Φ(x) ∈ `2 pour tout élémentx ∈ H . Puisque (en)n∈N est une base hilbertienne, ce même théorème nous dit quepour tout (λn)n∈N ∈ `2, il existe un unique x ∈ H tel que Φ(x) = (λn)n∈N. Deplus, ‖Φ(x)‖`2 = ‖x‖H d’après le Théorème 4.23. L’application Φ (qui est clairementlinéaire) est donc un isomorphisme isométrique.

Exemple 6 (Séries de Fourier). L’espace de Lebesgue L2([0, 1];C) (voir chapitre sui-vant) est un espace de Hilbert pour le produit scalaire

(f, g) :=

∫ 1

0

f(t)g(t) dt .

La suite (en)n∈Z définie paren(t) := e2iπnt ,

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est orthonormale (exercice). Elle engendre le sous-espace vectoriel P formé des poly-nômes trigonométriques : les fonctions de la forme

P (t) :=

N∑k=−N

λke2iπkt

où N ∈ N et λk ∈ C.La famille (en)n∈Z est une base hilbertienne de L2([0, 1];C). Pour montrer cela,

il faut montrer que le sous-espace P est dense dans L2([0, 1];C). On se donne doncf ∈ L2([0, 1];C) et ε > 0. Nous allons revoir au chapitre suivant que le sous-espacevectorielC0([0, 1];C) est dense dans L2([0, 1];C). Il existe donc fε ∈ C0([0, 1];C) telque ‖f − fε‖L2([0,1]) < ε/2. D’autre part, l’espace P ⊂ C0([0, 1];C) est dense dansl’espace de Banach

(C0([0, 1];C), ‖ · ‖∞

)d’après le Théorème de Stone-Weierstrass

(Théorème 1.28). Il existe donc Pε ∈P tel que

|fε(x)− Pε(x)| 6 ε/2 ∀x ∈ [0, 1] .

En conséquence, ‖fε − Pε‖L2([0,1]) 6 ε/2, et on en conclut que

‖f − Pε‖L2([0,1]) 6 ‖f − fε‖L2([0,1]) + ‖fε − Pε‖L2([0,1]) < ε .

Nous avons donc bien montré que P est dense dans L2([0, 1];C).Pour f ∈ L2([0, 1];C), la suite (λn)n∈Z ∈ `2 donnée par

λn := (f, en) =

∫ 1

0

f(t)e−2iπnt dt ,

est appelée suite des coefficients de Fourier de f . Nous avons alors

f(t) =∑n∈Z

λne2iπnt

(en tant que fonction de L2([0, 1];C)), cette série étant appelée série de Fourier de f .L’identité

‖f‖2L2([0,1];C) =∑n∈Z|λn|2

est appelée identité de Parseval.

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Chapitre 5

Espaces Lp

Dans tout ce chapitre, nous désignons par Ω un ouvert de Rd et par B(Ω) la tribuborélienne sur Ω. Une mesure µ sur Ω sera considérée comme une mesure sur l’espacemesurable

(Ω,B(Ω)

). La mesurabilité de fonctions de Ω dans R sera comprise au

sens des tribus boréliennes sur Ω et R. Etant donné une mesure µ sur Ω et 1 6 p <∞,l’ensemble Lp(Ω, µ) désigne l’espace vectoriel des fonctions mesurables f : Ω → Rtelles que

∫Ω|f |p dµ < ∞. Dans le cas p = ∞, L∞(Ω, µ) est l’espace vectoriel des

fonctions mesurables f : Ω → R µ-essentiellement bornées, c’est à dire vérifiant|f | 6 λ µ-presque partout dans Ω pour une certaine constante λ. Rappelons enfinque l’espace vectoriel Lp(Ω, µ) est l’espace des classes d’équivalences sur Lp(Ω, µ)suivant la relation d’équivalence f ∼ g si f = g µ-presque partout dans Ω. Pour1 6 p <∞, on munit Lp(Ω, µ) de la norme

‖f‖Lp(Ω,µ) :=

(∫Ω

|f |p dµ)1/p

.

L’espace L∞(Ω, µ) est lui muni de la norme

‖f‖L∞(Ω,µ) := infλ : |f | 6 λ µ-presque partout dans Ω

.

Comme il est de coutume, nous identifierons un élément de Lp(Ω, µ), qui est donc uneclasse d’équivalence, avec un représentant dans Lp(Ω, µ) de cette classe d’équivalence(qui est donc une fonction). En particulier, nous identifierons deux fonctions si ellessont égales µ-presque partout.

Dans toute la suite, nous noterons L d (et dx au lieu de dL d) la mesure de deLebesgue sur Rd. Dans le cas µ = L d, nous noterons également Lp(Ω) au lieu deLp(Ω,L d).

5.1 Rappels sur l’intégration de LebesgueThéorème 5.1 (convergence monotone). Soit (fn)n∈N une suite croissante de fonc-tions mesurables de Ω dans [0,∞]. Si f : Ω → [0,∞] désigne la limite simple de lasuite (fn)n∈N, alors f est mesurable et

limn→∞

∫Ω

fn dµ =

∫Ω

f dµ .

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Lemme 5.2 (de Fatou). Soit (fn)n∈N une suite de fonctions mesurables de Ω dans[0,∞]. Si f : Ω→ [0,∞] désigne la limite inférieure simple de la suite (fn)n∈N (c’està dire f(x) = lim infn fn(x)), alors f est mesurable et∫

Ω

f dµ 6 lim infn→∞

fn dµ .

Théorème 5.3 (convergence dominée). Soit (fn)n∈N une suite de L1(Ω, µ) telle que :(i) fn → f µ-presque partout dans Ω ;

(ii) il existe g ∈ L1(Ω, µ) telle que |fn| 6 g µ-presque partout dans Ω pour toutn ∈ N.

Alors f ∈ L1(Ω, µ) et ‖fn − f‖L1(Ω,µ) → 0.

Théorème 5.4 (de Tonelli). Soient Ω1 ⊂ Rd1 et Ω2 ⊂ Rd2 deux ouverts, µ1 unemesure σ-finie sur Ω1, µ2 une mesure σ-finie sur Ω2. Si F : Ω1 × Ω2 → R uneapplication mesurable telle que∫

Ω2

|F (x, y)| dµ2(y) <∞ pour µ1-presque tout x ∈ Ω1 ,

et que ∫Ω1

(∫Ω2

|F (x, y)| dµ2(y)

)dµ1(x) <∞ .

Alors F ∈ L1(Ω1 × Ω2, µ1 ⊗ µ2).

Théorème 5.5 (de Fubini). Sous les hypothèses du Théorème 5.4, si F ∈ L1(Ω1 ×Ω2, µ1 ⊗ µ2), alors F (x, ·) ∈ L1(Ω2, µ2) pour µ1-presque tout x ∈ Ω1, et∫

Ω2

F (·, y) dµ2(y) ∈ L1(Ω1, µ1) .

De même, F (·, y) ∈ L1(Ω1, µ1) pour µ2-presque tout y ∈ Ω1, et∫Ω1

F (x, ·) dµ1(x) ∈ L1(Ω2, µ2) .

De plus,∫Ω1

(∫Ω2

F (x, y) dµ2(y)

)dµ1(x) =

∫Ω2

(∫Ω1

F (x, y) dµ1(x)

)dµ2(y)

=

∫∫Ω1×Ω2

F (x, y) dµ1 ⊗ µ2 .

Définition 5.6.(i) Soit ϕ ∈ C0(Ω;R). On appelle support de ϕ, noté sptϕ, le complémentaire du

plus grand ouvert de Ω sur lequel ϕ = 0. Il s’agit d’un fermé relatif de Ω.(ii) On dit que ϕ ∈ C0(Ω;R) est à support compact dans Ω, si sptϕ est un compact

de Ω.(iii) On note C0

c (Ω;R) l’ensemble des fonctions continues sur Ω à support compact.Il s’agit d’un espace vectoriel.

Théorème 5.7. Soit µ une mesure sur Ω qui est finie sur les compacts de Ω. L’espaceC0c (Ω;R) est dense dans L1(Ω, µ). En d’autres termes, pour tout f ∈ L1(Ω, µ) et tout

ε > 0, il existe ϕε ∈ C0c (Ω;R) telle que ‖f − ϕε‖L1(Ω,µ) < ε.

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5.2 Rappels sur les espaces Lp

Théorème 5.8 (Inégalité de Hölder). Soient f ∈ Lp(Ω, µ) et g ∈ Lp′(Ω, µ) avec

1/p+ 1/p′ = 1. Alors fg ∈ L1(Ω, µ) et

‖fg‖L1(Ω,µ) 6 ‖f‖Lp(Ω,µ)‖g‖Lp′ (Ω,µ) .

Corollaire 5.9. Lp(Ω, µ) est un espace vectoriel, et ‖ · ‖Lp(Ω,µ) est une norme pourtout 1 6 p 6∞.

Théorème 5.10 (Fischer-Riesz). L’espace Lp(Ω, µ) est un espace de Banach pour tout1 6 p 6∞.

Théorème 5.11. L’espace L2(Ω, µ) est un espace de Hilbert pour le produit scalaire

(f, g) :=

∫Ω

fg dµ .

Pour le théorème suivant, rappelons qu’une fonction mesurable f : Ω→ R est diteétagée si f(Ω) est fini. Si f est étagée avec f(Ω) = α1, . . . , αN, alors

f =

N∑k=1

αiχAi ,

où Ai := f−1(αi) et χAi est la fonction charactéristique de Ai.

Théorème 5.12. Pour 1 6 p 6 ∞, soit f ∈ Lp(Ω, µ). Il existe une suite de fonctionsétagées (fn)n∈N ⊂ Lp(Ω, µ) telle que fn → f dans Lp(Ω, µ).

5.3 Le théorème de Radon-NikodymThéorème 5.13 (Radon-Nikodym). Soient µ une mesure σ-finie sur Ω, et ν une mesurefinie sur Ω. Si pour tout A ∈ B(Ω) vérifiant µ(A) = 0, on a ν(A) = 0, alors il existeune unique fonction positive f ∈ L1(Ω, µ) telle que

ν(B) =

∫B

f dµ ∀B ∈ B(Ω) . (5.1)

Démonstration. Etape 1 : Unicité. Supposons que f1, f2 ∈ L1(Ω, µ) vérifient 5.1.Alors, ∫

B

(f1 − f2) dµ = 0 ∀B ∈ B(Ω) .

En choisissant B = f1 − f2 > 0, on obtient alors µ(f1 − f2 > 0) = 0, et doncf1 6 f2 µ-p.p. dans Ω. De la même façon, nous obtenons f2 6 f1 µ-p.p. dans Ω, etdonc f1 = f2 µ-p.p. dans Ω.Etape 2 : existence pour µ(Ω) < ∞. On pose ν := µ + ν. La mesure ν est alorsune mesure finie sur Ω. On considère l’espace de Hilbert L2(Ω, ν), et l’application` : L2(Ω, ν)→ R définie par

`(g) :=

∫Ω

g dν .

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On remarque que pour g ∈ L2(Ω, ν), l’inégalité de Hölder nous donne

|`(g)| 6∫

Ω

|g| dν 6∫

Ω

|g| dν 6(ν(Ω)

)1/2‖g‖L2(Ω,ν) .

L’application ` étant clairement linéaire, nous avons donc ` ∈(L2(Ω, ν)

)′. D’après le

Théorème 4.14, il existe h ∈ L2(Ω, ν) telle que

`(g) =

∫Ω

gh dν ∀g ∈ L2(Ω, ν) .

Or, pour g ∈ L2(Ω, ν), ∫Ω

gh dν =

∫Ω

gh dµ+

∫Ω

gh dν ,

si bien que ∫Ω

g dν =

∫Ω

gh dµ+

∫Ω

gh dν .

Nous avons donc obtenu∫Ω

g(1− h) dν =

∫Ω

gh dµ ∀g ∈ L2(Ω, ν) . (5.2)

Pour B ∈ B(Ω), nous avons χB ∈ L2(Ω, ν) (où χB désigne la fonction indicatrice del’ensemble B), et donc∫

B

(1− h) dν =

∫B

h dµ ∀B ∈ B(Ω) .

En choisissant B = h < 0 ou B = h > 1, nous déduisons de cette identité que0 6 h 6 1 µ-p.p. dans Ω, et donc 0 6 h 6 1 ν-p.p. dans Ω par hypothèse sur ν. Enconséquence, 0 6 h 6 1 ν-p.p. dans Ω. On pose alors

R := h−1([0, 1[

)et S := h−1

(1),

si bien que Ω = R ∪ S ∪N avec unions disjointes et ν(N) = 0. De plus,

µ(S) =

∫S

h dµ =

∫S

(1− h) dν = 0 .

Par hypothèse sur ν, nous avons donc ν(S) = 0.On se donne B ∈ B(Ω) et K ∈ N. Puisque h ∈ L∞(Ω, ν), nous avons

( K∑k=0

hk)χB ∈ L2(Ω, ν) .

En utilisant cette dernière fonction dans (5.2), nous obtenons (puisque ν(S ∪N) = 0)∫B

(1−hK+1) dν =

∫B∩R

(1−hK+1) dν =

∫B

(K+1∑k=1

hk)dµ =

∫B∩R

(K+1∑k=1

hk)dµ .

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Or pour x ∈ R, nous avons hK+1(x) → 0 lorsque K → ∞. Par le théorème deconvergence dominée, nous en déduisons que∫

B∩R(1− hK+1) dν −→

K→∞ν(B ∩R) = ν(B) .

D’un autre coté, pour x ∈ R, la suite(∑K=1

k=1 hk(x))K∈N est croissante et positive, et

f(x) := limK→∞

K=1∑k=1

hk(x) ∈ [0,∞) .

Par convergence monotone, nous avons alors

limK→∞

∫B∩R

(K+1∑k=1

hk)dµ =

∫B∩R

f dµ =

∫B

f dµ

(puisque µ(S ∪N) = 0). Nous avons ainsi montre que

ν(B) =

∫B

f dµ ∀B ∈ B(Ω) .

En choisissant B = Ω, nous déduisons également que f ∈ L1(Ω, µ).Etape 3 : existence pour µ(Ω) = +∞. Puisque µ est σ-finie, il existe une suite crois-sante (pour l’inclusion) de parties (Kn)n∈N ⊂ B(Ω) telle que µ(Kn) < ∞ pourchaque n, et

⋃nKn = Ω. On considère alors les mesures finies µn et νn sur Ω dé-

finies par µn(B) := µ(B ∩ Kn) et νn(B) := (B ∩ Kn). On remarque alors que siµn(A) = 0, alors µ(A∩Kn) = 0, et donc ν(A∩Kn) = 0, c’est à dire νn(A) = 0. Onpeut donc appliquer l’étape 2 à µn et νn, et en déduire l’existence pour chaque n ∈ Nd’une fonction positive fn ∈ L1(Ω, µn) telle que

ν(B ∩Kn) = νn(B) =

∫B

fn dµn =

∫B∩Kn

fn dµ ∀B ∈ B(Ω) .

De plus, pour m > n, nous avons∫B∩Kn

fn dµ = ν(B∩Kn) = ν((B∩Kn)∩Km

)=

∫B∩Kn

fm dµ ∀B ∈ B(Ω) .

D’après l’unicité de l’étape 1, nous avons donc χKnfn = χKnfm pour tout m >n. Il existe donc une fonction mesurable positive f telle que χKnfn = χKnf . Parconvergence monotone, nous obtenons alors pour tout B ∈ B(Ω),

ν(B) = limn→∞

ν(B ∩Kn) = limn→∞

∫B∩Kn

f dµ =

∫B

f dµ .

En particulier, pour B = Ω nous obtenons ∞ > ν(Ω) =∫

Ωf dµ, si bien que f ∈

L1(Ω, µ).

5.4 Mesures réellesDéfinition 5.14. Une mesure réelle ν sur Ω est une application ν : B(Ω)→ R vérifiant

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(i) ν(∅) = 0 ;

(ii) pour toute suite (An)n∈N de B(Ω) telle que An ∩Am = ∅ pour n 6= m, la sérienumérique

∑n ν(An) converge absolument (c’est à dire

∑n |ν(An)| <∞) et

ν(∪n An

)=∑n∈N

ν(An) .

Théorème 5.15. Soit ν une mesure réelle sur Ω. Pour A ∈ B(Ω), on pose

|ν|(A) := sup∑j∈J

∣∣ν(Aj)∣∣ : (Aj)j∈J ∈ B(Ω) , J dénombrable ,

∪j Aj = A , Ai ∩Aj = ∅ si i 6= j.

Alors |ν| est une mesure finie sur Ω, appelée variation totale de ν. De plus,∣∣ν(A)∣∣ 6 |ν|(A) pour tout A ∈ B(Ω) .

Démonstration. Etape 1. Nous allons montrer que |ν| est une mesure sur Ω. De façonévidente, |ν|(∅) = 0. On se donne maintenant une suite (An)n∈N ⊂ B(Ω) telle queAn ∩Am = ∅ si n 6= m, et on pose A :=

⋃nAn.

On se donne ε ∈ (0, 1) arbitraire. Par définition de |ν|(An), pour chaque n ∈ Nil existe une famille dénombrable (Ak,n)k∈N ⊂ B(Ω) telle que Ak,n ∩ Al,n = ∅ sik 6= l,

⋃k Ak,n = An, et ∑

k∈N

∣∣ν(Ak,n)∣∣ > (1− ε)|ν|(An) .

On remarque alors que la famille dénombrable de parties (Ak,n)(k,n)∈N2 ⊂ B(Ω)vérifie Ak,n ∩Al,m = ∅ si (k, n) 6= (l,m), et

⋃(k,n)Ak,n = A. Nous avons donc

|ν|(A) >∑

(k,n)∈N2

∣∣ν(Ak,n)∣∣ =

∑n∈N

(∑k∈N

∣∣ν(Ak,n)∣∣) > (1− ε)

∑n∈N|ν|(An) .

En faisant ε ↓ 0, nous en déduisons que |ν|(A) >∑n |ν|(An).

Réciproquement, pour une famille arbitraire (Bk)k∈N ⊂ B(Ω) vérifiant Bn ∩Bm = ∅ si n 6= m, et

⋃k Bk = A, nous avons

∑k∈N|ν(Bk| =

∑k∈N

∣∣∣∑n∈N

ν(Bk ∩An)∣∣∣ 6∑

k∈N

(∑n∈N|ν(Bk ∩An)|

)

=∑n∈N

(∑k∈N|ν(Bk ∩An)|

)6∑n∈N|ν(An)| ,

puisque lesBk∩An sont deux à deux disjoints, et⋃k Bk∩An = An. En conséquence,

|ν|(A) 6∑n |ν|(An), et nous avons donc égalité.

Etape 2. Nous allons maintenant montrer que |ν| est une mesure finie. Pour cela, nousaurons besoin du lemme suivant.

Lemme 5.16. Si A ∈ B(Ω) vérifie |ν|(A) = +∞, alors il existe B,C ∈ B(Ω) tellesque B ∩ C = ∅, A = B ∪ C, |ν(B)| > 1, et |ν|(C) = +∞.

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Démonstration. Puisque |ν|(A) = +∞, il existe (An)n∈N ⊂ B(Ω) telle que An ∩Am = ∅ si n 6= m,

⋃nAn = A, et∑

n∈N|ν(An)| > 2

(1 + |ν(A)|

).

En posant ν(An)+ := max(ν(An), 0) et ν(An)− := max(−ν(An), 0), nous avons|ν(An)| = ν(An)+ + ν(An)−, et donc∑

n∈Nν(An)+ +

∑n∈N

ν(An)− > 2(1 + |ν(A)|

).

Une des deux sommes du membre de droite est alors strictement plus grande que lavaleur 1 + |ν(A)|. Supposons par exemple que∑

n∈Nν(An)+ > 1 + |ν(A)| ,

l’autre cas se traitant de la même façon. On pose

B :=⋃

n∈N : ν(An)>0

An .

Les An étant disjoints deux à deux, nous avons

ν(B) =∑

n∈N : ν(An)>0

ν(An) =∑n∈N

ν(An)+ > 1 + |ν(A)| > 1 .

Pour C := A \B, nous obtenons

|ν(C)| = |ν(A)− ν(B)| > ν(B)− |ν(A)| > 1 .

Comme A = B ∪ C avec B ∩ C = ∅, et |ν| est une mesure, nous avons

|ν|(B) + |ν|(C) = |ν|(A) = +∞ .

Ceci montre que |ν|(B) = +∞ ou |ν|(C) = +∞, d’où la conclusion (quitte à échan-ger les rôles de B et C).

Fin de la démonstration du Théorème 5.15. Supposons par contradiction que |ν|(Ω) =+∞. D’après le Lemme 5.16, il existe B0, C0 ∈ B(Ω) telles que B0 ∩ C0 = ∅,Ω = B0 ∪C0, |ν(B0)| > 1 et |ν|(C0) = +∞. On applique alors le Lemme 5.16 à C0.Il existe donc B1, C1 ∈ B(Ω) telles que B1 ∩C1 = ∅, C0 = B1 ∪C1, |ν(B1)| > 1 et|ν|(C1) = +∞. En procédant par récurrence, on construit ainsi une suite (Bn)n∈N ⊂B(Ω) telle que Bn ∩Bm = ∅ si n 6= m et |ν(Bn)| > 1. Mais alors

⋃nBn ∈ B(Ω) et

ν(∪nBn) ∈ R. La série∑n ν(Bn) converge donc absolument, contradiction (puisque∑

n |ν(Bn)| >∑n 1 = +∞).

Théorème 5.17 (Radon-Nikodym). Soient µ une mesure σ-finie sur Ω, et ν une mesureréelle sur Ω. Les propriétés suivantes sont équivalentes.

(i) Pour tout A ∈ B(Ω), µ(A) = 0⇒ ν(A) = 0 ;

(ii) pour tout ε > 0, il existe δ > 0 tel que

pour tout A ∈ B(Ω), µ(A) 6 δ⇒ |ν|(A) 6 ε ;

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(iii) il existe f ∈ L1(Ω, µ) telle que

ν(A) =

∫A

f dµ ∀A ∈ B(Ω) .

Démonstration. Etape 1. L’implication (ii)⇒ (i) est évidente. Nous allons montrer que(i)⇒ (iii). On commence par montrer que

pour tout A ∈ B(Ω), µ(A) = 0⇒ |ν|(A) = 0 .

En effet, on se donneA ∈ B(Ω) vérifiant µ(A) = 0, et une suite arbitraire (An)n∈N ⊂B(Ω) telle que An ∩ Am = ∅ si n 6= m, et

⋃nAn = A. On a alors µ(An) = 0, et

donc ν(An) = 0 pour tout n, si bien que∑n |ν(An)| = 0. En passant au sup sur de

telles suites (An), nous obtenons |ν|(A) = 0.On considère maintenant ν± : B(Ω)→ R définies par

ν+ :=|ν|+ ν

2et ν− :=

|ν| − ν2

,

et nous allons montrer que ν± sont des mesures finies (classiques). On vérifie d’abordsimplement que ν±(∅) = 0. PourA ∈ B(Ω), nous avons ν±(A) > |ν(A)|±ν(A) > 0.Maintenant si (An)n∈N ⊂ B(Ω) est telle que An ∩ Am = ∅ si n 6= m, alors pourA :=

⋃nAn nous avons (par convergence absolue des séries ci-dessous)

ν±(A) =1

2

(|ν|(A)± ν(A)

)=

1

2

∑n∈N|ν|(An)± 1

2

∑n∈N

ν(An)

=1

2

∑n∈N|ν|(An)± ν(An) =

∑n∈N

ν±(An) ,

et donc ν± est bien une mesure finie sur Ω.On déduit de l’hypothèse (ii) que µ(A) = 0 ⇒ ν±(A) = 0. En appliquent le

Théorème 5.13 à ν+ et ν−, on obtient deux fonctions positives f+, f− ∈ L1(Ω, µ)telles que

ν±(A) =

∫A

f± dµ ∀A ∈ B(Ω) .

En posant f := f+ − f− ∈ L1(Ω, µ), nous avons alors

ν(A) = ν+(A)− ν−(A) =

∫A

f dµ ∀A ∈ B(Ω) .

Etape 3. Il ne reste plus qu’à montrer (iii)⇒ (ii). Nous allons commencer par montrerque

|ν|(A) =

∫A

|f | dµ ∀A ∈ B(Ω) . (5.3)

A cet effet, posons P := f > 0 et N := f < 0, si bien que Ω = P ∪ N etP ∩N = ∅. PourA ∈ B(Ω), nous avonsA = (A∩P )∪ (A∩N) avec union disjointe.En conséquence,

|ν|(A) > |ν(A ∩ P )|+ |ν(A ∩N)| =∫A∩P

f dµ−∫A∩N

f dµ =

∫A

|f | dµ .

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D’un autre coté, pour une suite arbitraire (An)n∈N ⊂ B(Ω) telle que An ∩Am = ∅ sin 6= m, et

⋃nAn = A, nous avons∑

n∈N|ν(An)| 6

∑n∈N

∫An

|f | dµ =

∫A

|f | dµ .

Ainsi, |ν|(A) 6∫A|f | dµ, et (5.3) est démontrée.

On se donne maintenant ε > 0. Puisque f ∈ L1(Ω, µ), nous obtenons par conver-gence dominée que

limn→∞

∫|f |>n

|f | dµ = 0 .

Il existe donc un entier N > 1 tel que∫|f |>N

|f | dµ 6 ε

2.

En posant δ := ε/(2N), pour tout A ∈ B(Ω) vérifiant µ(A) 6 δ,

|ν|(A) =

∫A∩|f |>N

|f | dµ+

∫A∩|f |<N

|f | dµ 6 ε

2+Nµ(A) 6 ε ,

ce qui termine la démonstration.

5.5 Dualité dans les espaces Lp

Théorème 5.18. Soient µ une mesure σ-finie sur Ω, 1 6 p < ∞, et p′ l’exposantconjugué de p. L’application Bp : Lp

′(Ω, µ)× Lp(Ω, µ)→ R définie par

Bp(g, f) :=

∫Ω

fg dµ .

est bilinéaire continue, et elle identifie isométriquement(Lp(Ω, µ)

)′à Lp

′(Ω, µ) (c’est

à dire que l’application δBp : Lp′(Ω, µ) →

(Lp(Ω, µ)

)′, définie dans la Proposi-

tion 3.16, est bijective, et ‖δBp(g)‖(Lp(Ω,µ))′ = ‖g‖Lp′ (Ω,µ) pour tout g ∈ Lp′(Ω, µ)).

Démonstration. Etape 1. D’après l’inégalité de Hölder,

|Bp(g, f)| 6 ‖g‖Lp′ (Ω,µ)‖f‖Lp(Ω,µ) ,

ce qui montre que Bp est bilinéaire continue (la bilinéarité étant évidente), et

‖δBp(g)‖(Lp(Ω,µ))′ 6 ‖g‖Lp′ (Ω,µ) ∀g ∈ Lp′(Ω, µ) .

Montrons que cette dernière inégalité est en fait une égalité.Cas p > 1. Si g ∈ Lp′(Ω, µ), alors fg := |g|p′−2g ∈ Lp(Ω, µ), si bien que

〈δBp(g), fg〉 =

∫Ω

|g|p′dµ = ‖g‖Lp′ (Ω,µ)‖g‖

p′−1

Lp′ (Ω,µ)= ‖g‖Lp′ (Ω,µ)‖fg‖Lp(Ω,µ) .

Et donc ‖δBp(g)‖(Lp(Ω,µ))′ > ‖g‖Lp′ (Ω,µ).

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Cas p = 1. Soit g ∈ L∞(Ω, µ), g 6= 0. Comme µ est σ-finie, il existe une suitecroissante (Kn)n∈N ⊂ B(Ω) telles que µ(Kn) <∞ et

⋃nKn = Ω. On se fixe ε > 0.

Puisque µ(|g| > ‖g‖L∞(Ω,µ) − ε) > 0 et limn µ(|g| > ‖g‖L∞(Ω,µ) − ε ∩Kn) =µ(|g| > ‖g‖L∞(Ω,µ) − ε) (par convergence monotone), il existe N ∈ N tel que

µ(|g| > ‖g‖L∞(Ω,µ) − ε ∩KN

)> 0 .

On posef := χg>‖g‖L∞(Ω,µ)−ε∩KN − χg6−‖g‖L∞(Ω,µ)+ε∩KN .

On a alors f ∈ L1(Ω, µ), et ‖f‖L1(Ω,µ) = µ(|g| > ‖g‖L∞(Ω,µ) − ε ∩ KN ) > 0.Nous avons alors,

‖δB1(g)‖(L1(Ω,µ))′‖f‖L1(Ω,µ) > 〈δB1

(g), f〉

=

∫|g|>‖g‖L∞(Ω,µ)−ε∩KN

|g| dµ >(‖g‖L∞(Ω,µ) − ε

)‖f‖L1(Ω,µ) ,

et donc ‖δB1(g)‖(L1(Ω,µ))′ > ‖g‖L∞(Ω,µ) − ε. En faisant maintenant ε ↓ 0, nousconcluons que ‖δB1(g)‖(L1(Ω,µ))′ > ‖g‖L∞(Ω,µ).

Nous avons ainsi montrer que ‖δBp(g)‖(Lp(Ω,µ))′ = ‖g‖Lp′ (Ω,µ) pour tout 1 6p <∞. Et en particulier que δBp est injective.Etape 2. Il reste à montrer que δBp est surjective. On suppose dans cette étape queµ(Ω) < ∞.. On se donne ` ∈ (Lp(Ω, µ))′. Pour A ∈ B(Ω), nous avons χA ∈Lp(Ω, µ). On peut ainsi définir ν : B(Ω)→ R par

ν(A) := `(χA) .

Nous allons montrer que ν est une mesure réelle sur Ω. Tout d’abord, remarquons queν(∅) = `(χ∅) = `(0) = 0. Ensuite pour A,B ∈ B(Ω) telles que A ∩ B = ∅, nousavons χA∪B = χA + χB , et donc ν(A ∪ B) = `(χA + χB) = `(χA) + `(χB) =ν(A) + ν(B). Maintenant, soit (An)n∈N ⊂ B(Ω) telle que An ∩ Am = ∅ si n 6= m.On pose A :=

⋃nAn, et

Bn =

n⋃k=0

Ak ,

de sorte que Bn ⊂ Bn+1 et A =⋃nBn. Nous avons ainsi |χA(x) − χBn(x)|p → 0

pour tout x ∈ Ω. De plus, |χA(x)−χBn(x)|p 6 1 pour tout x ∈ Ω, et par convergencedominée,

‖χA − χBn‖Lp(Ω,µ) =

(∫Ω

|χA(x)− χBn(x)|p dµ)1/p

−→n→∞

0 .

En conséquence, ν(Bn) = `(χBn)→ `(χA) = ν(A), et donc

n∑k=0

ν(Ak) = ν(Bn) −→n→∞

ν(A) .

Montrons que la série de terme général ν(An) est absolument convergente, c’est à direque

∑n∈N |ν(An)| < ∞. En effet, en posant An = An si ν(An) > 0, et An = ∅ si

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ν(An) < 0, alors An ∩ Am = ∅ si n 6= m. Pour A :=⋃n An, l’argument ci-dessus

(appliqué à An au lieu de An) montre que

∞∑k=0

ν(Ak) = limn→∞

n∑k=0

ν(Ak) = ν(A) <∞ .

Nous avons donc ∑n∈N : ν(An)>0

ν(An) <∞ .

De la même façon, nous obtenons que∑n∈N : ν(An)<0

(−ν(An)) <∞ ,

et donc∑n |ν(An)| <∞. De cette convergence absolue, nous concluons que

∞∑k=0

ν(Ak) = limn→∞

n∑k=0

ν(Ak) = ν(A) ,

et nous avons montré que ν est une mesure réelle.On observe maintenant que pour A ∈ B(Ω) vérifiant µ(A) = 0, χA = 0 dans

Lp(Ω, µ), si bien que ν(A) = `(χA) = `(0) = 0. D’après le Théorème 5.17, il existeg ∈ L1(Ω, µ) telle que ν(A) =

∫Ag dµ pour tout A ∈ B(Ω).

Puisque µ est finie, nous avons L∞(Ω, µ) ⊂ Lp(Ω, µ). Nous allons montrer que

`(f) =

∫Ω

fg dµ ∀f ∈ L∞(Ω, µ) . (5.4)

On se donne donc f ∈ L∞(Ω, µ). D’après le Théorème 5.12, il existe une suite defonctions étagées (fn)n∈N ⊂ L∞(Ω, µ) telle que ‖f−fn‖L∞(Ω,µ) → 0. En particulier,‖f − fn‖Lp(Ω,µ) → 0 puisque µ est finie. Pour chaque n ∈ N, il existe des partiesdisjointes deux à deux A1, . . . , ANn ⊂ B(Ω) et α1, . . . , αNn ∈ R telles que

fn =

Nn∑k=0

αkχAk .

En conséquence,

`(fn) =

Nn∑k=0

αkν(Ak) =

Nn∑k=0

αk

∫Ak

g dµ =

∫Ω

fng dµ .

On a ensuite `(fn)→ `(f) puisque fn → f dans Lp(Ω, µ), et∣∣∣∣∫Ω

fg dµ−∫

Ω

fng dµ

∣∣∣∣ 6 ∫Ω

|f − fn||g| dµ 6 ‖g‖L1(Ω,µ)‖f − fn‖L∞(Ω,µ) −→ 0 ,

ce qui montre bien (5.4).Montrons maintenant que g ∈ Lp′(Ω, µ).

Cas 1 : p = 1. On se donne ε > 0. En utilisant la fonction

fε := χg>‖`‖(L1(Ω,µ))′+ε − χg<−‖`‖(L1(Ω,µ))′−ε ∈ L∞(Ω, µ)

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dans (5.4), nous obtenons(‖`‖(L1(Ω,µ))′ + ε

)µ(|g| > ‖`‖(L1(Ω,µ))′ + ε

)6∫

|g|>‖`‖(L1(Ω,µ))′+ε|g| dµ = `(fε) 6 ‖`‖(L1(Ω,µ))′‖fε‖L1(Ω,µ)

= ‖`‖(L1(Ω,µ))′µ(|g| > ‖`‖(L1(Ω,µ))′ + ε

).

En conséquence, µ(|g| > ‖`‖(L1(Ω,µ))′ + ε

)= 0. Puisque ε est arbitraire, on en

conclut que ‖g‖L∞(Ω,µ) 6 ‖`‖(L1(Ω,µ))′ .Cas 2 : p > 1. On se donne k ∈ N et on utilise la fonction

fk := χ|g|6k|g|p′−2g ∈ L∞(Ω, µ)

dans (5.4). Nous obtenons∫g6k

|g|p′ dµ = `(fk) 6 ‖`‖(Lp(Ω,µ))′‖fn‖Lp(Ω,µ)

= ‖`‖(Lp(Ω,µ))′

(∫g6k

|g|p′ dµ

)1−1/p′

,

si bien que (∫g6k

|g|p′ dµ

)1/p′

6 ‖`‖(Lp(Ω,µ))′ .

Par convergence monotone, le terme de gauche converge vers ‖g‖Lp′ (Ω,µ) quand k →∞, et donc ‖g‖Lp′ (Ω,µ) 6 ‖`‖(Lp(Ω,µ))′ .

Nous pouvons maintenant montrer que

`(f) =

∫Ω

fg dµ ∀f ∈ Lp(Ω, µ) . (5.5)

En effet, pour f ∈ Lp(Ω, µ), fk := χ|f |6kf ∈ L∞(Ω, µ), fk → f µ-p.p., et|fk − f |p 6 |f |p. Par convergence dominée, nous avons donc fk → f dans Lp(Ω, µ)quand k →∞. Par continuité de Bp, nous en déduisons∫

Ω

fg dµ = Bp(g, f)←− Bp(g, fk) =

∫Ω

fkg dµ = `(fk) −→ `(f) ,

et (5.5) est démontrée, c’est à dire δBp(g) = `.Etape 3. On considère dans cette dernière étape le cas µ(Ω) = +∞. Puisque µ est σ-finie, il existe une suite croissante (pour l’inclusion) de parties (Kn)n∈N ⊂ B(Ω) telleque µ(Kn) < ∞ pour chaque n, et

⋃nKn = Ω. On considère maintenant la mesure

finie µn définie par µn(A) := µn(A ∩Kn) pour A ∈ B(Ω). On considère l’opérateurTn : Lp(Ω, µn)→ Lp(Ω, µ) défini par

Tnf(x) :=

f(x) si x ∈ Kn ,

0 sinon .

On vérifie simplement que Tn ∈ L (Lp(Ω, µn), Lp(Ω, µ)), et ‖Tn‖ 6 1. On définitensuite `n := ` Tn ∈ (Lp(Ω, µn))′ avec ‖`n‖(Lp(Ω,µn))′ 6 ‖`‖(Lp(Ω,µ))′‖Tn‖ 6

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‖`‖(Lp(Ω,µ))′ . D’après l’étape 2, il existe une unique fonction gn ∈ Lp′(Ω, µn) telle

que

`n(f) =

∫Kn

fgn dµ ∀f ∈ Lp(Ω, µn) .

Pour un entier m > n et f ∈ Lp(Ω, µn) arbitraire, nous avons χKnf ∈ Lp(Ω, µm), sibien que∫

Kn

fgm dµ =

∫Km

χKnfgm dµ = `m(χKnf) = ` Tm(χKnf)

= ` Tn(f) = `n(f) =

∫Kn

fgn dµ .

Par unicité, nous en déduisons que χKngm = gn pour tout m > n. Il existe donc unefonction mesurable g : Ω → R telle que gn = χKng pour tout n ∈ N. Or d’aprèsl’étape 1, ‖gn‖Lp′ (Ω,µn) = ‖`n‖(Lp(Ω,µn))′ 6 ‖`‖(Lp(Ω,µ))′ , et donc(∫

Kn

|g|p′dµ

)1/p′

6 ‖`‖(Lp(Ω,µ))′ .

En faisant n → ∞, on conclut par convergence monotone que g ∈ Lp′(Ω, µ) avec

‖g‖Lp′ (Ω,µ) 6 ‖`‖(Lp(Ω,µ))′ .Pour terminer la démonstration, on se donne f ∈ Lp(Ω, µ) arbitraire. Par conver-

gence dominée, on obtient simplement que χKnf → f dans Lp(Ω, µ). En consé-quence, `(χKnf)→ `(f) et Bp(g, χKnf)→ Bp(g, f). Or, puisque f ∈ Lp(Ω, µn),

`(χKnf) = `n(f) =

∫Ω

χKnfg dµ→∫

Ω

fg dµ ,

si bien que `(f) = Bp(g, f), c’est ‘a dire δBp(g) = `.

Corollaire 5.19. Soient µ une mesure σ-finie sur Ω. Pour tout 1 < p < ∞, l’espaceLp(Ω, µ) est réflexif.

Démonstration. La démonstration est identique à celle du Corollaire 3.19, en utilisantle Théorème 5.18.

Remarque 37. Le dual de L∞(Ω, µ) ne s’identifie pas à L1(Ω, µ) (dans la grandemajorité des cas, par exemple lorsque µ est la mesure de Lebesgue). En effet, commenous le verrons dans la section suivante, L1(Ω, µ) est séparable alors que L∞(Ω, µ)ne l’est pas. Comme pour la Remarque 22, il en découle que ni L1(Ω, µ) ni L∞(Ω, µ)n’est réflexif.

5.6 Densité des fonctions continues dans Lp

Lemme 5.20. Soient µ une mesure sur Ω qui est finie sur les compacts de Ω. L’espaceC0c (Ω;R) est un sous-espace vectoriel de Lp(Ω, µ) pour tout 1 6 p <∞.

Démonstration. En effet, si f ∈ C0c (Ω;R), alors spt f est un compact de Ω, et donc

µ(spt f) <∞. De plus, f ∈ C0b (Ω,R) si bien que ‖f‖∞ <∞. En conséquence,∫

Ω

|f |p dµ =

∫spt f

|f |p dµ 6 µ(spt f)‖f‖p∞ <∞ ,

et donc f ∈ Lp(Ω, µ).

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Théorème 5.21. Soient µ une mesure sur Ω qui est finie sur les compacts de Ω, et1 6 p <∞. L’espace C0

c (Ω;R) est dense dans Lp(Ω, µ).

Pour montrer ce théorème, nous aurons besoin du lemme suivant.

Lemme 5.22. Soient µ une mesure finie sur Ω et g ∈ L1(Ω, µ). Si∫Ω

fg dµ = 0 ∀f ∈ C0c (Ω;R) ,

Alors g = 0.

Démonstration. On se donne ε > 0. D’après le Théorème 5.7, il existe gε ∈ C0c (Ω;R)

telle que ‖g − gε‖L1(Ω,µ) < ε. Pour tout f ∈ C0c (Ω;R), nous avons donc∣∣∣∣∫

Ω

fgε dµ

∣∣∣∣ =

∣∣∣∣∫Ω

f(gε − g) dµ

∣∣∣∣ 6 ‖f‖∞‖g − gε‖L1(Ω,µ) < ε‖f‖∞ .

On posePε := gε > ε et Nε := gε 6 −ε ,

si bien que Pε etNε sont deux compacts disjoints de Ω. On pose également pour δ > 0,

Kδ := x ∈ Rd : dist(x, spt gε) 6 δ .

Comme spt gε est un compact de Ω, on peut trouver δ = δε > 0 tel que Kδ soit uncompact de Ω. On considère alors la fonction

fε(x) :=

(1− 2

dist(x, Pε)

dist(x, Pε) + dist(x,Nε)

)max

(0, 1− δ−1dist(x, spt fε)

).

Par construction, fε ∈ C0c (Ω,R), spt fε ⊂ Kδ , ‖fε‖∞ 6 1, fε = 1 sur Pε, et fε = −1

sur Nε. On a donc∫Ω

fεgε dµ =

∫Pε∪Nε

fεgε dµ+

∫Ω\(Pε∪Nε)

fεgε dµ

=

∫Pε∪Nε

|gε| dµ+

∫Ω\(Pε∪Nε)

fεgε dµ ,

et en conséquence,∫Pε∪Nε

|gε| dµ 6∣∣∣∣∫

Ω

fεgε dµ

∣∣∣∣+

∫Ω\(Pε∪Nε)

|fε||gε| dµ 6 ε+

∫Ω\(Pε∪Nε)

|gε| dµ ,

puisque ‖fε‖∞ 6 1. De plus, |gε| 6 ε sur Ω \ (Pε ∪Nε), et donc∫Ω

|gε| dµ 6 ε+ 2

∫Ω\(Pε∪Nε)

|gε| dµ 6(1 + 2µ(Ω)

)ε .

En conclusion,

‖g‖L1(Ω,µ) 6 ‖gε‖L1(Ω,µ) + ‖g − gε‖L1(Ω,µ) 6 2(1 + µ(Ω))ε .

En faisant maintenant ε ↓ 0, on obtient ‖g‖L1(Ω,µ) = 0, c’est à dire g = 0.

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Démonstration du Théorème 5.21. Pour p = 1, il s’agit du Théorème 5.7. On peutdonc supposer que 1 < p < ∞. On note F l’adhérence de C0

c (Ω;R) dans Lp(Ω, µ).Il s’agit donc d’un sous-espace vectoriel fermé de Lp(Ω, µ). On procède par contra-diction en supposant que F 6= Lp(Ω, µ). D’après le Théorème 3.6, il existe ` ∈(Lp(Ω, µ))′ telle que ‖`‖(Lp(Ω,µ))′ = 1 et `(f) = 0 pour tout f ∈ F . En particu-lier, `(f) = 0 f ∈ C0

c (Ω;R). D’après le Théorème 5.18, il existe une unique fonctiong ∈ Lp′(Ω, µ) telle que ` = δBp(g). On a donc∫

Ω

fg dµ = 0 ∀f ∈ C0c (Ω;R) .

Pour n ∈ N, on considère l’ouvert

Ωn :=x ∈ Ω : dist(x,Rd \ Ω) > 2−n et |x| < n

. (5.6)

On a alors Ωn ⊂ Ωn+1,⋃n Ωn = Ω, et Ωn est compact. En particulier, µ(Ωn) < ∞.

On a alors g ∈ Lp′(Ωn, µ) ⊂ L1(Ωn, µ) (puisque µ(Ωn) <∞), et∫Ωn

fg dµ = 0 ∀f ∈ C0c (Ωn;R) .

D’après le Lemme 5.22, nous avons donc g = 0 µ-p.p. dans Ωn pour chaque n ∈ N. Etdonc g = 0 µ-p.p. dans Ω, c’est à dire g = 0 dans Lp

′(Ω, µ). Mais alors ` = δBp(0) =

0, ce qui contredit ‖`‖(Lp(Ω,µ))′ = 1.

Théorème 5.23. Soient µ une mesure sur Ω qui est finie sur les compacts de Ω. L’es-pace Lp(Ω, µ) est séparable pour tout 1 6 p <∞.

Démonstration. On considère la suite d’ouverts (Ωn)n∈N donnée par (5.6). Pour chaquen ∈ N, on pose

ψn(x) :=dist(x,Ω \ Ωn+1)

dist(x,Ωn) + dist(x,Ω \ Ωn+1),

si bien que ψn ∈ C0c (Ω;R), 0 6 ψn 6 1, ψn = 1 sur Ωn, et sptψn ⊂ Ωn+1.

On considère

D :=ψnP : n ∈ N , P polynôme réel de d variables

,

et

DQ :=ψnP : n ∈ N , P polynôme à coefficients dans Q de d variables

,

Nous allons montrer que DQ est dense dans Lp(Ω, µ). En effet, pour f ∈ Lp(Ω, µ)et ε > 0, il existe fε ∈ C0

c (Ω;R) telle que ‖f − fε‖Lp(Ω,µ) < ε/2, d’après le Théo-rème 5.21. On fixe alors n0 ∈ N de sorte que spt fε ⊂ Ωn. D’après le Théorème 1.27(que l’on applique à C0(Ωn+1;R)), il existe un polynôme réel Pε tel que

supx∈Ωn+1

|fε(x)− Pε(x)| < ε

4(1 + µ(Ωn+1))1/p.

D’un autre coté, puisque Q est dense dans R, on peut trouver un polynôme Pε à coef-ficients dans Q tel que

supx∈Ωn+1

|Pε(x)− Pε(x)| < ε

4(1 + µ(Ωn+1))1/p,

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si bien quesup

x∈Ωn+1

|fε(x)− Pε(x)| < ε

2(1 + µ(Ωn+1))1/p.

On a alors (puisque fε = 0 sur Ωn+1 \ Ωn),∫Ω

|fε − ψn0Pε|p dµ =

∫Ωn+1\Ωn

ψpn0|Pε|p dµ+

∫Ωn

|fε − Pε|p dµ

6εpµ(Ωn+1 \ Ωn)

2p(1 + µ(Ωn+1))+

εpµ(Ωn)

2p(1 + µ(Ωn+1))6εp

2p,

et donc ‖ψn0Pε − fε‖Lp(Ω,µ) 6 ε/2. En conclusion,

‖f − ψn0Pε‖Lp(Ω,µ) 6 ‖f − fε‖Lp(Ω,µ) + ‖ψn0

Pε − fε‖Lp(Ω,µ) < ε ,

et donc DQ est dense dans Lp(Ω, µ).Pour conclure, il reste à montrer que DQ est dénombrable. Pour cela, on observe

queDQ =

⋃N∈N

DQN ,

DQN :=

ψnP : n ∈ N , P polynôme à coefficients dans Q

de d variables de degré au plus N.

Par construction, DQN est en bijection avec N × QK pour un entier K = K(N, d).

L’ensemble DQN est donc dénombrable, ce qui montre que DQ est dénombrable.

Remarque 38. L’espace L∞(Ω, µ) n’est pas séparable (pour la plupart des mesures µ).Dans le cas µ = L d, il suffit de raisonner comme suit. Pour chaque a ∈ Ω, on sedonne ra > 0 tel que B(a, ra) ⊂ Ω, et on pose fa := χB(a,ra) ∈ L∞(Ω),

Oa :=f ∈ L∞(Ω) : ‖f − fa‖L∞(Ω) < 1/2

.

La famille (Oa)a∈Ω est alors une famille d’ouverts non vides disjoints deux à deux, etcette famille n’est pas dénombrable (puisque Ω ne l’est pas). D’après le Lemme 1.15,L∞(Ω) ne peut pas être séparable.

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Bibliographie

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[R1] W. RUDIN. Analyse réelle et complexe. Masson, 1980.

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[SR] J. SAINT RAYMOND. Topologie, calcul différentiel et variable complexe.Calvage et Mounet, 2008.

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