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A cette occasion, avait été effectuée une série d’interviews collectives et d’entretiens individuels avec les différents acteurs de la formation : les différentes administrations centrales du Ministère, les organisations syndicales représentatives du personnel, des directeurs régionaux et départementaux, des directeurs adjoints, des maîtres de stage, des inspecteurs du travail en fonction, des chefs de projets, des formateurs et des inspecteurs- élèves du travail en formation à l’INTEFP. Avec l’accord des différents acteurs, deux types d’informations avaient été recueillis. Le premier type de données collectées concernait l’évaluation des différentes composantes du dispositif de la formation initiale au métier d’inspecteur du travail ; il a donné lieu à un document qui a servi de base à la refonte de la formation en question et à l’accompagnement de ses acteurs dans le processus de sa conception. Le deuxième type de renseignements rassemblés était relatif aux dynamiques identitaires des inspecteurs du travail, à la conception qu’ils avaient de leur métier et au processus de leur professionnalisation. Ce deuxième type d’information a fait l’objet d’une exploitation tardive et a conduit à la rédaction d’un rapport de recherche (Kaddouri, 2007) dont seront extraits quelques fragments d’interview, pour illustrer le propos de cette contribution à l’appréhension des dynamiques identitaires. Trois principaux points seront ici abordés : 1. Le premier est centré sur les recompositions sociales du métier d’inspecteur du travail ; 2. Le second est plus particulièrement dédié aux dynamiques identitaires des inspecteurs-élèves du travail, alors que le troisième, en référence aux deux précédentes questions traite de leur rapport à la formation initiale qui était organisée antérieurement à cette réforme, pour les préparer à l’exercice de leurs nouvelles fonctions. 1 Doutor em Letras e Ciências Humanas – Ciências da Educação (Université de Nanterre - Paris X/1994). Chaire de Formation des Adultes, LISE (Laboratoire Interdisciplinaire de Sociologie Economique), CNAM, Centre de Recherche sur la Formation (EA.1410). [email protected]. 2 Les enjeux de métier et d’identité des inspecteurs chargés du contrôle de la formation professionnelle ne seront pas analysés dans le cadre de cette contribution. Mots-clés: dynamiques identitaires; formation professionnelle; reorganization du travail. Key words: identity dynamics; professional formation; work reorganization. 1 LA RECOMPOSITION SOCIALE DU MÉTIER D’INSPECTEUR DU TRAVAIL L’inspection du travail a été créée en 1892, avant même l’apparition du ministère du Travail et de la prévoyance, auquel elle a été rattachée, à sa création en 1906. Il s’agit d’un service de l’État que régit, en tant que corps interministériel, un statut particulier de 1975 (décret du 21 avril, permettant la fusion des trois corps d’inspection des Ministères du Travail, de l’Agriculture et des Transports). Si la gestion de ce nouveau corps fut attribuée à la Direction de l’Administration Générale et de la Modernisation (DAGEMO), ses agents sont placés, selon leur fonction, sous l’autorité respective de chacun des trois ministères en question. Selon le journal le Monde du 16/03/06, les effectifs de ce corps de fonctionnaires sont au nombre de 340 inspecteurs au ministère de l’Agriculture, 210 aux Transports et 1 400 (950 contrôleurs et 450 inspecteurs) au ministère du Travail, ce qui donne un total de moins de 2 000 agents, pour 1,5 million d’entreprises et 15 millions de salariés. Rien qu’au Ministère du Travail, en question ici, chaque inspecteur ou contrôleur avait, en 2003, une charge moyenne de 1 133 établissements et de 11 250 salariés (le Monde du 21/ 03/06). Les inspecteurs y sont affectés sur l’une des trois fonctions suivantes: le contrôle de la formation professionnelle 2 ; le contrôle de l’application de la législation du travail, dont la charge revient aux Recebido em: 8/07/2008; Aceito em: 21/12/2008. Educ. Tecnol., Belo Horizonte, v. 13, n.3, p. 15-28, set./dez. 2008

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L’inspecteur du travail: dynamiques identitaires desinspecteurs-élèves du travail en formationWork inspector: identity dynamics of work student inspectors under formation

Mokhtar Kaddour1

Les données empiriques mobilisées dans le cadre de cet article proviennent des résultats d’uneétude commanditée, en 1998-1999, au Centre de Recherche sur la Formation du CNAM, parl’Institut National du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle ( INTEFP ) du Ministèredu Travail. Cette étude avait pour objectif l’évaluation de la formation initiale des inspecteurs dutravail, en vue d’une refonte en profondeur. A cette occasion, avait été effectuée une séried’interviews collectives et d’entretiens individuels avec les différents acteurs de la formation : lesdifférentes administrations centrales du Ministère, les organisations syndicales représentatives dupersonnel, des directeurs régionaux et départementaux, des directeurs adjoints, des maîtres destage, des inspecteurs du travail en fonction, des chefs de projets, des formateurs et des inspecteurs-élèves du travail en formation à l’INTEFP. Avec l’accord des différents acteurs, deux typesd’informations avaient été recueillis. Le premier type de données collectées concernait l’évaluationdes différentes composantes du dispositif de la formation initiale au métier d’inspecteur du travail ;il a donné lieu à un document qui a servi de base à la refonte de la formation en question et àl’accompagnement de ses acteurs dans le processus de sa conception. Le deuxième type derenseignements rassemblés était relatif aux dynamiques identitaires des inspecteurs du travail, àla conception qu’ils avaient de leur métier et au processus de leur professionnalisation. Ce deuxièmetype d’information a fait l’objet d’une exploitation tardive et a conduit à la rédaction d’un rapport derecherche (Kaddouri, 2007) dont seront extraits quelques fragments d’interview, pour illustrer lepropos de cette contribution à l’appréhension des dynamiques identitaires. Trois principaux pointsseront ici abordés : 1. Le premier est centré sur les recompositions sociales du métier d’inspecteurdu travail ; 2. Le second est plus particulièrement dédié aux dynamiques identitaires desinspecteurs-élèves du travail, alors que le troisième, en référence aux deux précédentes questionstraite de leur rapport à la formation initiale qui était organisée antérieurement à cette réforme, pourles préparer à l’exercice de leurs nouvelles fonctions.

1 Doutor em Letras e Ciências Humanas – Ciências da Educação (Université de Nanterre - Paris X/1994). Chaire de Formation des Adultes, LISE (Laboratoire Interdisciplinairede Sociologie Economique), CNAM, Centre de Recherche sur la Formation (EA.1410). [email protected] Les enjeux de métier et d’identité des inspecteurs chargés du contrôle de la formation professionnelle ne seront pas analysés dans le cadre de cette contribution.

Mots-clés: dynamiques identitaires; formation professionnelle; reorganization du travail.Key words: identity dynamics; professional formation; work reorganization.

1 LA RECOMPOSITION SOCIALE DU MÉTIER D’INSPECTEURDU TRAVAIL

L’inspection du travail a été créée en 1892,avant même l’apparition du ministère du Travail etde la prévoyance, auquel elle a été rattachée, à sacréation en 1906. Il s’agit d’un service de l’État querégit, en tant que corps interministériel, un statutparticulier de 1975 (décret du 21 avril, permettant lafusion des trois corps d’inspection des Ministères duTravail, de l’Agriculture et des Transports). Si la gestionde ce nouveau corps fut attribuée à la Direction del’Administration Générale et de la Modernisation(DAGEMO), ses agents sont placés, selon leur fonction,

sous l’autorité respective de chacun des troisministères en question. Selon le journal le Mondedu 16/03/06, les effectifs de ce corps de fonctionnairessont au nombre de 340 inspecteurs au ministère del’Agriculture, 210 aux Transports et 1 400 (950contrôleurs et 450 inspecteurs) au ministère duTravail, ce qui donne un total de moins de 2 000agents, pour 1,5 million d’entreprises et 15 millionsde salariés. Rien qu’au Ministère du Travail, enquestion ici, chaque inspecteur ou contrôleur avait,en 2003, une charge moyenne de 1 133établissements et de 11 250 salariés (le Monde du 21/03/06). Les inspecteurs y sont affectés sur l’une destrois fonctions suivantes: le contrôle de la formationprofessionnelle2; le contrôle de l’application de lalégislation du travail, dont la charge revient aux

Recebido em: 8/07/2008; Aceito em: 21/12/2008. Educ. Tecnol., Belo Horizonte, v. 13, n.3, p. 15-28, set./dez. 2008

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inspecteurs du travail en section; la mise en œuvredes polit iques d’emploi et de la formationprofessionnelle, fonction dévolue aux inspecteurs dutravail hors section. Ce troisième type d’inspecteurest né d’un plan ministériel qu’il convient de présentermaintenant.

1.1 Le plan de transformation des emplois

Jusqu’au début des années 1990, l’inspectiondu travail avait pour mission l’exercice de la fonctionoriginelle du corps, à savoir la défense des travailleursexploités et mis en danger par de mauvaises conditionsde travail. Dans un premier temps, aux XIX° et débutdu XX° siècles, cette mission a consisté en la luttecontre l’exploitation des enfants3 et des femmes autravail4, pour s’étendre par la suite à la protection del’ensemble des travailleurs. Dès sa naissance, cettecharge a été conçue

[...] comme un service de contrôle et de coercitiondestiné à assurer l’application des dispositions, tantlégales que réglementaires, concernant la protectiondes travailleurs […] (PRÉVESTEAU, 1998, p.67);

elle a été consacrée par

[...] les textes fondateurs (loi du 2 novembre 1892),fondamentaux (convention OIT n° 81 du 11 juillet1947, articles L. 611 et suivants du Code du travail)et organisationnels (décret du 28 novembre 1994)(BESSIÈRE, 2006, p. 1).

Le plan de transformation de l ’emploid’inspecteur du travail, mis en place par le Ministèreen 1992, a fortement contribué à “brouiller” cettemission. Ce plan avait un double objectif: répondreaux revendications de carrières des contrôleurs dutravail et accompagner la politique gouvernementaleen matière d’emploi et de formation professionnelle.Il a consisté en la transformation de 325 postesd’agents de catégorie B auxquels il a permis l’accès àla catégorie A (inspecteurs du travail) en trois ans,sous condition de réussir à un concours interneexceptionnel ou de bénéficier d’une promotion au

choix, sur liste d’aptitude. Ces 325 postes ont étédénommés, par défaut, “inspecteur de travail horssection” ou “inspecteurs dit non inspectant”. Ils ontexclusivement servi au renforcement des secteursautres que les sections d’inspection.

L’émergence de ce nouveau type d’inspecteurset la forte implication des services extérieurs duMinistère dans la mise en œuvre des politiquesd’emploi ont déplacé le “centre de gravité” desDirections Départementales du Travail, de l’Emploiet de la Formation Professionnelle (DDTEFP), ainsique le point d’ancrage de leur légitimité. En effet,

[...] les enjeux les plus sensibles de la sociétécontemporaine se jouent désormais autant (voire plus?)hors des relations de travail classiques qu’à l’intérieur.Bref, l’Administration du travail, placée au cœur duvis-à-vis droit du travail/droit au travail, a désormaisdeux publics de référence: les travailleurs qui ont dutravail et ceux qui n’en ont pas ou plus [...](CHRISTIAN LENOIR, 96/97, p. 150).

1.2 La nouvelle réorganisation de l’inspection du travail

Le plan de transformation de l ’emploid’inspecteur du travail se traduit de fait par uneréorganisation de l’inspection du travail et par unenouvelle culture professionnelle au sein des servicesdu Ministère du Travail. En effet, si la “section” ahistoriquement constitué la circonscription territorialede l’inspection du travail, avec la mise en place duplan de transformation des emplois, la “hors section”est apparue comme nouvel espace d’exerciceprofessionnel pour une partie des inspecteurs.

La section délimite les zones de compétenceet de responsabilité de l’inspecteur du travail. Elleconstitue, au sein de la DDTEFP, l’échelon territorialet opérationnel d’intervention dans l’entreprise. Onestime généralement qu’en moyenne une sectionreprésente 30 000 salariés. L’inspecteur du travail yest chargé d’assurer le respect de la législation dutravail et de constater, le cas échéant, les infractions àcelle-ci. Il est assisté, en la matière, d’un ou deplusieurs contrôleurs du travail et de quelques agentsadministratifs, les uns et les autres, sous son autorité,dans les actes qu’ils posent. C’est à partir de la section

3 Dès 1841, en raison de la grande mortalité infantile, des mesures de protection sont prises en faveur des enfants : Loi du 22 mars 1841 « relative au travail des enfants dans lesmanufactures, usines et ateliers », fixant 8 heures par jour pour les enfants de 8 à 12 ans et 12 heures pour les enfants de 12 à 16 ans. Les employeurs commençaient en effet àcraindre de manquer de main-d’œuvre.4 La II° République tenta de réduire le temps de travail des travailleurs exténués par des journées de 14h de travail : Décret du 2 mars 1848, signé par Louis Blanc, fixant la journéede travail à 10 heures à Paris et 11h en province, pour tous les travailleurs adultes ; mais Loi du 9 septembre1848 reportant le maximum quotidien à 12 heures pour tous les travailleursadultes. La III° République remit la question en chantier, car les lois n’étaient pas respectées : Loi du 19 mai 1874 « sur le travail des enfants et des filles mineures dans l’industrie »,fixant à 12 heures par jour le travail pour les enfants de 12 à 16 ans et pour les filles mineures. Lors du vote de la Loi du 2 novembre 1892 « sur le travail des enfants, des filles mineureset des femmes dans les établissements industriels » fixant 10 heures par jour pour les enfants de 13 à 16 ans, 11 heures pour les enfants de 16 à 18 ans et les femmes, et 12 heurespour les travailleurs adultes, il est décidé de prendre des mesures pour en vérifier l’application, en créant le corps des inspecteurs du travail.

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que s’organise et se réalise le plan de visites del’ensemble des entreprises du secteur géographique.Sachant que les inspecteurs sont chargés desentreprises de plus de cinquante salariés5 alors queles contrôleurs ont la responsabilité de celles quin’ont pas atteint cet effectif. Il faut également signalerque c’est au sein de la section que se tiennent lespermanences d’accueil et d’information des usagersde la section, qu’ils soient employeurs, représentantsdu personnel ou simples salariés.

Quant à la “hors-section”, elle constitue le lieud’action des inspecteurs du travail hors section quisont, selon les cas, affectés par les directeursdépartementaux et régionaux à des fonctionsd’encadrement dans les domaines des politiques del’emploi et de la formation professionnelle, de lacoordination des services, de la communication, […]Ces inspecteurs du travail hors section sont considéréscomme les chevilles ouvrières de l’action de l’État,dans toutes les questions qui concernent ledéveloppement local, la politique de la ville etl’insertion. Ils sont mobilisés et mobilisables de façonforte auprès du directeur départemental, pour assisterle Préfet dans son rôle de coordination du servicepublic de l’emploi. Ils jouent les interfaces et lesintermédiaires incontournables dans la mobilisationdes partenaires locaux autour des questionsd’insertion sociale. Ainsi, un inspecteur du travailhors section, “non seulement collecte les fonds etapprend à ses partenaires les ficelles du montage desprojets, mais, ce faisant, il tente d’établir un langagecommun entre les protagonistes”, selon les proposrapportés par Pauline RABILLOUX, journaliste de larevue Compétences (n.18, 1996).

Mais ce nouveau rôle dévolu à une partie desinspecteurs du travail ne se fait pas sans douleur.La recherche acharnée d’un partenariat avec lesentreprises pour créer des emplois s’effectue, parmoment,

[...] au prix de perturbations, plus ou moinsconsenties, aux règles instituées quant aux relationsdu travail et aux formes d’emploi […](CHRISTIAN LENOIR, 96/97, p.151).

Cette nouvelle fonction contribue à exacerberles interrogations existentielles qui, depuis desdécennies, traversent, pour ne pas dire déchirent, lecorps de l’inspection du travail. Ce déchirements’exprime notamment à travers des traits culturels etdes logiques d’action qui co-existent de façon trèsconflictuelle, mettant ainsi face à face, d’un côté lesinspecteurs en section, avec leur culture “travail”, del’autre les inspecteurs hors section, avec leur culture“emploi”.

1.3 Culture “travail” et logique d’action des inspecteursdu travail en section

La culture “travail” constitue la cultureprofessionnelle des inspecteurs du travail en section, figu-re historiquement emblématique des services territoriauxdu Ministère du Travail. Dans la section, le gesteprofessionnel qui caractérise le métier est le contrôle del’application de la législation du travail, dans le cadre de lafonction régalienne de l’État. L’inspecteur du travail a pourmission de vérifier le respect d’une “règle légale,historiquement fondée et relativement stable”. Pour exer-cer sa tâche, il s’appuie sur l’indépendance que lui confèrentles lois nationales et internationales, sur sa connaissancespécifique des entreprises dont il a la charge, et sur sesoutils d’intervention, orientés de façon dominante par sonapproche et sa vision juridiques des situations. En effet,comme le dit l’un d’entre eux, “nous, en section, on a lecode du travail, la réglementation du travail; on a desréflexes permettant de qualifier juridiquement tel ou telfait qui se serait passé dans l’entreprise et les réactions parrapport à ces faits-là; donc quelque chose de bien ciblé”.Bref, au regard du flou qui entoure les fonctions desinspecteurs du travail hors section, les inspecteurs du travailen section, grâce aux règles à appliquer, savent ce qu’ils ontà faire: “la règle est là” et “si on ne sait pas négocier”, disent-ils, “cela ne nous empêche pas de faire notre travail. C’estla loi; c’est comme ça. On a des gens en face, qui savent; unlangage qui parle”. Les fondements juridiques des actesqu’ils posent constituent la base de la légitimité de leuraction; ils “n’ont rien à vendre”, mais “une loi à fairerespecter”. Ce qui les inscrit dans une logique de recherchede l’illégalité et de l’infraction.

La culture du contrôle et de l’indépendance querevendiquent les inspecteurs du travail vis-à-vis del’employeur, s’appuie sur des compétences technico-juridiques, caractérisées par un vocabulaire spécifiqueque véhicule le discours des inspecteurs du travailinterviewés. Voici quelques mots-clefs qui reviennentrégulièrement et qui constituent, en quelque sorte, unfond sémantique commun aux inspecteurs du travailen section: aller en entreprise, contrôler, vérifier quetout est bien respecté, contrôle de la légalité, contrôlede l’effectivité du droit, vérification de l’effectivité dudroit, remise en cause du droit du travail, infraction,entreprise en infraction, délinquance patronale, procès-verbal, mise en demeure, sanction, sanction pénale,intervention politique, hygiène et sécurité, contrôle desabus, indépendance, autonomie, rapport de force,organisations syndicales, défense des droits des salariés,code du travail, réglementation du travail, pouvoirspropres, moyens d’action, salarié protégé, enquêtecontradictoire, licenciements, […] etc.

5 «Cinquante salariés et plus» est le seuil fixé par la loi pour l’obligation de l’instauration d’un comité d’entreprise et d’un délégué syndical. Les enquêtes sur les relations du travaildans les entreprises mettent en évidence que l’activité syndicale la plus importante se manifeste dans les entreprises de plus d’une centaine de salariés.

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La conception de son métier et la représentationqu’il se fait de sa mission historique font que l’inspecteurdu travail en section adopte une attitude méfiante, pourne pas dire hostile, aux employeurs qu’il s’agit desurveiller, voire de punir des infractions qu’ilscommettent, le plus souvent, de façon délibérée.Certains parlent même de délinquance patronale. Danscette représentation du métier, l’inspecteur du travailest “quelqu’un du terrain”. Quand il se trouve face àdes licenciements de salariés, il ne va “pas rester dansson bureau”. Il s’agit, pour lui, de mettre “les bottesdans le chantier et non pas de mettre en place desattitudes relationnelles adaptées aux interlocuteurs”. Ilprend l’employeur par surprise et cela consolide sonpouvoir. Comme le dit l’un d’eux: “l’entrepreneur nesait pas pour quoi on vient, ni quand on vient; on estplus fort que lui”. L’inspecteur, c’est quelqu’un qui, nonseulement regarde, mais “fouille”; “tous ses sens sonten éveil”. Il ne représente “ni le ministre, ni le préfet,ni le directeur départemental”, mais “d’abord sa section”.Ainsi, dans les réunions externes à la Directiondépartementale, il se présente comme “inspecteur dutravail” et non pas comme “direction du travail”6.

A l’intérieur de sa propre section, qu’il neconsidère pas comme un service à “manager”, il refused’assumer une fonction hiérarchique et d’animation despersonnes qui sont sous sa responsabilité. Il préfèrel’informel et les opportunités du quotidien pour fairefonctionner sa section. C’est ce que dit l’un d’entre eux:“dans une section qui fonctionne, on n’a pas besoind’animation; les gens connaissent leur boulot”. Pourcertains, “l’animation se fait d’échanges constants, enprenant le café, en traitant un dossier; c’est complètementdéstructuré”, car “c’est l’opportunité qui fait l’animation,en fonction des dossiers à traiter”. D’autres affirment que“dans les 9/10 èmes des sections, il n’y a pas de poidshiérarchique” et “quelqu’un qui harcèle ses contrôleurs,c’est marginal”. Dans cette vision, l’inspection du travail,ainsi que les valeurs qui sous-tendent son action, sontmises à mal par les logiques et les modes d’interventiondes inspecteurs du travail hors section.

1.4 Culture “emploi” et logique d’action desinspecteurs du travail hors section

La culture “emploi” caractérise le deuxièmetype d’inspecteur du travail, dit “non inspectant”, c’est-à-dire les inspecteurs du travail hors section. Ici, legeste professionnel symptomatique du métier est la

gestion et la conduite de projet où prédominent uneapproche et une vision socio-économique et financièredes situations. L’inspecteur du travail hors section apour mission d’orchestrer les conditions de la miseen œuvre des politiques d’emploi, de formation, demodernisation des entreprises et de développementlocal. Pour cette tâche, il s’appuie sur sa connaissancedes dispositifs “qui se créent et se modifient, en fonctiondu besoin”, sur les aides publiques qu’il dispense, surla mise en place d’outils d’intervention, desinstruments et des décisions financières.

Dans les actes qu’ils posent, les inspecteurs horssection s’appuient sur des compétences relationnelles,des capacités de gestion et d’ingénierie de projet,caractérisées par un vocabulaire spécifique. Voiciquelques mots-clefs récurrents dans le discours desinterviewés de cette catégorie, qui, en quelque sorte,constituent un fond sémantique commun auxinspecteur du travail hors section: Ingénierie, conduite,pilotage, montage, évaluation, agrément; financementd’un projet, d’une action ou d’un dispositif; gestionet suivi d’une mesure, d’un programme, d’unepolitique; instruments et mesures de la politique del’emploi, animation d’une équipe, coordination d’ungroupe de travail ou d’un réseau; susciter dessynergies, cahier des charges, travail en partenariat,diagnostic, pilotage des services, communication,conseil, suivi, médiation, régulation; insertion despublics en difficulté, lutte contre le chômage etl’exclusion, professionnalisation, approche globale,accès au marché du travail, accompagnement dubénéficiaire vers l’emploi, prise en charge, capacitéd’expertise, promouvoir l’emploi, dispositifd’incitation et d’accompagnement, combinaisons demesures, aides de l’État, ligne budgétaire, distributiondes aides, insertion par l’économique; chômeurs delongue durée, demandeurs d’emploi, publics endifficulté, Rmistes, publics prioritaires de la politiquede l’emploi, publics fragilisés.

Les bases de la légitimité de l’inspecteur dutravail hors section lui sont conférées par le Directeurdu Travail, dont il est le subordonné. Ce dernierdépend lui-même, dans les actes qu’il pose, dupouvoir du préfet (avec délégation de signature). Lalégitimité de l’inspecteur du travail hors sectionauprès de ses partenaires locaux est égalementtributaire des aides publiques qu’il leur distribue (lepouvoir de l’argent), ainsi que de la compétence etde l’expertise qu’il met à leur disposition, afin derépondre à leurs besoins et à leurs attentes.Contrairement aux inspecteurs du travail en section,la dimension juridique de leur légitimité est moinsforte dans l’exercice de leurs fonctions d’inspecteurshors section, car ils sont attendus sur “un rôle de

6 Les DDTEFP (Directions départementales du Travail de l’Emploi et de la Formation Professionnelle) «veillent au respect du droit du travail par une mission de contrôle (inspectiondu travail) et exercent une fonction d’information et de conseil auprès des différents acteurs du monde du travail. Elles mettent en oeuvre une politique active de l’emploi en assistantle Préfet dans son rôle de coordination du service public de l’emploi. Elles participent à la gestion des mesures d’insertion et de formation des publics en difficulté et elles encouragentle développement local en collaboration avec les différents acteurs socio-économiques”.

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représentation, de cadrage et d’animation”, et non passur l’application de la loi. Dans certaines situations,ils peuvent être conduits à “aménager” les textes pourtenir compte de la singularité des problèmes à traiter.Par ailleurs, ils se considèrent comme des chefs deservice ayant à gérer, en interne, des agents individuelset collectifs et, en externe, à fédérer des partenaireslocaux autour de préoccupations d’emploi.

Les mutations de la culture travail à la cultureemploi, relatées ci-dessus, ne se font pas sans interrogerles fondements de la mission historique et de l’identitéoriginelle de l’inspection du travail. Les reconfigurationssociales du métier auxquelles elles conduisent, ne vontpas non plus se faire, sans interpeller les inspecteurs-élèves du travail en formation initiale à l’INTEFP. Ellesconstituent, en quelque sorte, l’un des surdéterminantsde leurs rapports aux dispositifs de professionnalisationles préparant à l’exercice de leur futur métierd’inspecteur du travail. Les tensions qu’elles génèrentsont tout autant révélatrices, que sources, du malaiseidentitaire qu’ils expriment au sein même de l’espacede leur formation initiale. Ce sont ces tensions, ainsique les dynamiques identitaires dans lesquelles elless’inscrivent, qu’il convient d’analyser maintenant.

2 DYNAMIQUES D’INSCRIPTIONS IDENTITAIRES DESINSPECTEURS-ÉLÈVES DU TRAVAIL

L’analyse de contenu des informations recueilliesen parallèle de l’enquête d’évaluation de la formation desinspecteurs-élèves du travail a permis de repérer quatretypes de dynamiques identitaires ayant des incidences surle rapport des inspecteurs-élèves du travail7 à la formationqui leur est proposée. Il s’agit des dynamiques deconfirmation, de reconfiguration, de transformation etd’acquisition identitaire, dont sont développés maintenantles grands traits en attendant de présenter dans le chapitreIII, les caractéristiques de la formation en question, ainsique les enjeux qui la sous-tendent.

2.1 Les dynamiques de confirmation identitaire

Les dynamiques de confirmation identitaire serencontrent chez certains inspecteurs-élèves dutravail, issus du concours interne, qui sont, pour la

plupart, des ex- contrôleurs ayant exercé leur métieren section et qui ont le projet de continuer à l’exerceren tant qu’inspecteur de travail. Pour certains d’entreeux, ce choix n’est pas récent. Il a été, dès le départ,à l’origine de leur engagement dans les services decontrôle de l’application de la législation dans lesentreprises au Ministère du travail. C’est ce qu’affirmecette interviewée: “de toute façon, moi, j’ai passé leconcours pour être inspecteur en section, c’est clair.Déjà, quand j’ai passé le concours de contrôleur, pourmoi, c’était uniquement contrôleur en section: lecontrôleur qui va dans les entreprises et qui vérifiel’application du droit”. Les inspecteurs-élèves dutravail du type de la dynamique de confirmationidentitaire perçoivent une différence de degré et nonde nature entre les activités d’un contrôleur et cellesd’un inspecteur. Celle-ci tient à la taille des entreprisesà contrôler. Si cette taille marque l’espace matérielde l’action de chacun, elle n’implique nullement unedifférence de gestes professionnels posés. Dans lesdeux cas, la logique d’action reste pratiquement lamême. Cette vision du métier conduit les inspecteurs-élèves du travail de ce type à situer leurs différences,non pas au niveau des compétences mobilisées dansle travail, mais au niveau du positionnement dans laligne hiérarchique et vis-à-vis de l’employeur. Poureux, l’inspecteur du travail jouit d’une indépendancedans l’exercice de son métier. Il est responsable desactes qu’il pose, autonome dans la gestion de sontemps, auteur de ses décisions. Il détient une autoritéet une responsabilité que ces ex-contrôleurs jugentne pas avoir. Ils situent clairement la différence entreles deux emplois au niveau du statut social etinstitutionnel de chacun, c’est-à-dire dans laresponsabilité, la prise de décision et le pouvoir dela signature. Ils ont le sentiment d’une injustice. C’estce que laisse entendre l’un d’eux : “tu fais le mêmeboulot, tu n’as ni le même salaire, ni la mêmeconsidération”. Ils trouvent aberrant ce pouvoirdéséquilibré qui les rend tributaire de la décision del’inspecteur du travail. L’exemple-type qu’ils avancentest celui du contrôleur qui engage un arrêt dechantier, sans pouvoir décider de sa reprise, et cetteimpuissance constitue “une aberration totale, parcequ’il lui faut l’autorisation de l’inspecteur”. C’est cepositionnement social et institutionnel, ainsi quetoute la reconnaissance qui s’en suit et les actes qu’ilautorise, que les inspecteurs-élèves viennent chercher,en passant le concours et en s’engageant dans laformation à l’INTEFP. Ils ont l’impression qu’en tantque catégorie B, ils n’influent pas sur le cours deschoses, parce qu’ils ne prennent pas de décision etque leur initiative est très réduite. “J’étais contrôleur,donc j’ai fait beaucoup de choses que je voulaisapprofondir, mais juridiquement je n’en avais pas les

7 Les dynamiques identitaires sont ici analysées uniquement pour les inspecteurs-élèves du travail ; pour le positionnement identitaire des inspecteurs du travail déjà en fonction,le lecteur se référera à notre rapport ( KADDOURI, 2007).

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pouvoirs, donc je me suis dit: pourquoi ne pas essayerde passer le concours d’inspecteur du travail?”.

La confrontation avec le cadre institutionnelde la formation proposée aux inspecteurs-élèves etavec son contenu les fait déchanter et provoque, eneux, la désil lusion. I ls se trouvent face à unraisonnement inverse au leur, qui leur semble êtretenu par les responsables et par les cadrespédagogiques de l’INTEFP. A leurs yeux, ces derniers,en les soumettant au primat de l’acquisition descompétences comme préalable à l’acquisition du statutet du positionnement de l’inspecteur du travail, leursignifient l’existence d’une différence de nature, etnon pas seulement de degré, entre les activités del’inspecteur du travail et celles du contrôleur. On levoit bien, cette tension entre légit imité descompétences et légitimité de positionnement est sous-tendue par une bataille identitaire. Alors que lesinspecteurs-élèves sont inscrits dans une dynamiquede confirmation et de légitimation d’une identitéqu’ils supposent existante, les responsables del’INTEFP et les cadres pédagogiques les inscrivent dansune logique d’acquisition d’une nouvelle identité.Pour les premiers, il s’agit d’acquérir le statut socialqui permet de faire reconnaître, au niveauinstitutionnel, des compétences professionnelles dontils jugent être détenteurs, mais dont la légitimitéd’exercice ne leur est pas donnée. Pour les seconds,il s’agit préalablement d’acquérir les compétences quipermettent de conquérir le statut social et lepositionnement qui vont avec. Tout se passe commesi deux mondes séparaient les inspecteurs-élèves dutravail et les responsables de formation de l’INTEFP.Alors que les premiers se considèrent commeprofessionnels, engagés en formation pour confirmerune identité déjà existante, les seconds lesconsidèrent comme des inspecteurs-élèves inscrits enformation pour acquérir une identité en devenir.

A cette tension relative au positionnement,s’ajoute l’angoisse de l’impossibilité de voir le projetidentitaire, à l’origine de leur engagement enformation, se réaliser. Ces anciens contrôleurs, faut-ille rappeler?, ont passé le concours pour exercer lemétier d’inspecteur en section, c’est-à-dire d’uninspecteur inspectant et non d’un inspecteur du travailhors section, dont ils refusent l’identité. C’est ce quedéclare cette interviewée: “c’est le côté un peu donnerdu fric aux entreprises pour des problèmes d’emploi”,des choses comme ça, ce n’est pas pour ça que j’aipassé ce concours-là; c’est vraiment pour aider lessalariés, pour faire que leurs conditions de travail soientun peu meilleures”. “Personnellement, c’est commeça que je vois le métier d’inspecteur du travail, ce n’estpas en étant dans un service, dans un bureausédentaire; ce n’est pas en étant à l’emploi quej’arriverai à ça”. Le discours qui accompagne les mesuresd’emploi les révolte. Ils affirment connaître la réalitédes entreprises aidées. Celles-ci ne respectent pas lalégislation, alors que “les autres (entendre les

inspecteurs du travail hors section) viennent avec leursmesures pour l’emploi, pour aider les entreprises.Alors là, déjà, rien que le mot “aider les entreprises”,ça pose problème. On n’arrive pas à faire régner la loilà-dedans et, en plus, il faut les aider! ça te heurte, çate hérisse”. Ou encore, renchérit un autre: “à chaquefois que tu vois que le Directeur Départemental filedu pognon à la boite, alors que tu n’arrives pas à fairerégner un minimum de droit à l’intérieur, tu asl’impression qu’on te tire dans les pattes”.

Cette conception de la fonction d’inspecteurdu travail s’inscrit dans l’une des quatre figuresd’inspecteur du travail examinées dans notre rapportde recherche déjà cité. Il s’agit de la figure identitairede l’inspecteur militant. Là aussi, les inspecteurs-élèves du travail concernés refusent d’endosserl’identité d’inspecteur du travail hors section qui agitdans le cadre des politiques de l’emploi, sansdisposer d’une “fonction de contrôle”; un inspecteurdu travail hors section qui “n’a pas de pouvoirpropre, qui ne peut pas contrôler les entreprisesauxquelles il distribue l’argent public”. En horssection, l’inspecteur dépend de ses supérieurshiérarchiques pour les actes qu’il pose et restetributaire de leur volonté politique. En effet, il suffitque “le Directeur Départemental lui dise: c’est pasvotre boulot d’aller voir dans les entreprises si lesaides sont bien utilisées[…]”. Il ne faut pas oublier,ajoute un autre interviewé, que “tout ce quiconcerne l’emploi et la formation professionnelle,c’est le Directeur Départemental et le préfet qui estau-dessus de lui qui décident pour l’inspecteur dutravail hors section”. Sachant la menace qui pèse sureux (être obligé d’aller en hors section), certainsinspecteurs-élèves du travail envisagent de mettre enplace une stratégie en deux temps:

a) Accepter, puisqu’ils n’ont pas le choix (ouparce que cela les arrange géographi-quement), d’occuper, en hors section, desfonct ions qui les rapprochent desinspecteurs en sect ion et qui leurpermettent d’exercer du contrôle sur lesaides publiques;

b) Se mettre en situation d’attente de lapremière opportunité pour rejoindre unesection d’inspection. C’est ce que dit cetinterviewé qui appréhende cette éventualité:“ma volonté est d’aller en section; je pense:si, par malheur, je dois aller sur un poste àl’emploi, en sortant de l’INTEFP, je pense quej’essaierai d’aller faire du contrôle dans lesentreprises avec les inspecteurs en section”.Se rendant compte de la difficulté deréaliser de tel contrôle, il reprend en disant:“c’est une question d’entente avecl’inspecteur de la section, pour savoir si lecontrôle peut se faire seul ou s’il doit sefaire automatiquement avec un contrôleurou un inspecteur de la section”.

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2.2 Les dynamiques de reconfiguration identitaire

S’inscrivent dans une dynamique dereconfiguration identitaire certains inspecteurs-élèvesdu travail, anciens contrôleurs du travail, ayant exercéplusieurs années de suite dans une sectiond’inspection. Contrairement aux précédentsinterviewés, les inspecteurs-élèves du travailconcernés ont passé le concours en ayant pour objectifd’avoir, à la sortie de l’INTEFP, un poste d’inspecteurdu travail hors section affecté au pôle “entreprise”.Ils distinguent, au sein des directions départementales,deux pôles susceptibles de les accueillir: le pôle“marché de l’emploi” et le pôle “entreprise”. Dans lepremier pôle, les inspecteurs “ne font que gérer desmesures et, c’est vrai, ça peut être frustrant, parceque là on tombe sur des consignes qui peuvent venirdirectement du Ministère ou des consignes quiviennent de la préfecture; on est un exécutant; ongère une mesure; on la gère bien ou mal, mais on lagère comme on nous dit de la gérer”. Dans le secondpôle, le pôle “entreprise”, les inspecteurs “fontéventuellement les recours hiérarchiques, l’étude desplans sociaux; font, pourquoi pas, la loi sur les 35heures; font tout ce qui est organisation,harmonisation au niveau des sections”. C’est cedeuxième type de fonction qui intéresse les personnesinscrites dans cette dynamique de reconfiguration.Voici ce que dit l’un d’entre eux: “Je suis plus prêt àpasser de la section à un poste sédentaire, mais pourl’entreprise, que de passer directement à l’emploi où,là, c’est un problème […]”. Son intérêt pour le posteen question est doublement justifié. Non seulementcelui-ci ne l’empêche pas d’avoir un contact avec leterrain et avec les inspecteurs en section, mais il luipermet d’acquérir une vision plus élargie du métier,sans perdre les compétences dont il dispose. C’est lechoix qu’a fait également cet ex-contrôleur qui dit:“j’aurais dix ans de moins, je dirais: la malchanced’aller en hors section; maintenant, j’ai quarante-cinqans; aller me coltiner avec des employeurs, ça ne megêne pas; mais bouffer du patron, je n’en ai plustellement besoin; je préfère, à la limite, plus jouersur les mesures “emploi” […]”.

Mais cette reconfiguration n’est pas simple àadmettre ou à faire admettre à son entourage. Celle-ci donne lieu à l’expression de différentes tensions,intra et intersubjectives, dont la gestion n’est pastoujours évidente. Elle se fait au prix d’un certainnombre de renoncements et de remaniementscognitifs et affectifs. Tout se passe comme si lesinspecteurs-élèves du travail concernés avaient besoinde se tenir un discours à eux-mêmes et à leurentourage, afin de justifier leur choix et d’être enmesure de faire le deuil de la section, pour s’investirdans les nouvelles fonctions envisagées. Ainsi, tous

affirment leur affiliation à l’inspection du travail ensection. Ils ont le sentiment qu’agir au sein du pôle“entreprise” permet d’être fidèle à son passé (identitéantérieure) et que la “culture de la section” est là, eneux, pour servir de repère dans les actes qu’ils aurontà poser. C’est le cas de cet interviewé qui se dit sûrde son choix et ne redoute pas d’être accusé detrahison. Il envisage de collaborer avec les inspecteursdu travail en section et ne pas écouter spécialementle Préfet. Même s’il est obligé d’obéir aux ordres duPréfet, chaque fois qu’il le pourra, il mettra “les bâtonsdans les roues”. Cette attitude de “désobéissancedéguisée” lui semble naturelle, car il ne supporte pasde voir la Direction Départementale distribuerl’argent public à des entreprises qui ne respectentpas le droit du travail. Aller en hors section, dansune fonction qui ne l’éloigne pas de l’entreprise estun choix mûrement mesuré. C’est une fonction danslaquelle il compte mobiliser sa culture du travail,acquise en section. “Cela fait 13 ans au Ministère dutravail, avec douze en section, dit-il, donc j’ai étédéformé et donc j’ai une certaine indépendance, unecertaine autonomie, donc c’est dur à perdre; c’est vraique ça déforme”. L’importance de la culture de lasection est affirmée avec force par cet autre interviewépour qui elle constitue un préalable avant l’exerciced’une fonction en hors section. En effet, explique-t-il: “[...] si tu ne connais pas l’entreprise, si tu ne t’espas coltiné des petits employeurs, des gros employeurs,des syndicats, des délégués du personnel, des ouvriers,si tu n’as pas eu la possibilité d’abord de te fairemanipuler, d’avoir réussi des trucs dans les boites,d’avoir eu des relations conflictuelles avec lesemployeurs ou des relations normales, tout ça, c’estun aspect que tu ne possèdes pas et quand on va tedemander de mettre en œuvre des politiques deformation professionnelle, des mesures d’emploi, tune verras pas l’entreprise dans sa réalité; tu vas avoirune masse de pognon à donner et tu vas dire: on vaorganiser ça [...] sans savoir qu’à l’intérieur de la boite,ça ne marchera pas peut-être ou ça risque d’êtredétourné”. Ils reprochent aux porteurs de la culture“emploi” d’agir sans discernement, en gérant del’argent, en donnant des crédits, en veillant à atteindredes objectifs et des résultats. C’est ce discernementqu’ils sont sûrs d’avoir, car la culture de la section estune culture conflictuelle, qui permet à l’inspecteurd’exercer autrement sa fonction en hors section.

Les inspecteurs-élèves du travail concernésaffirment unanimement l’existence d’un seul et mêmemétier d’inspecteur du travail. Quand on rappelle àl’un d’entre eux les différences de posture entreinspecteurs du travail en section et inspecteur dutravail hors section, il répond, de façon catégorique,en disant: “il y a eu, suite au plan de transformation,l’apparition d’inspecteurs du travail sédentaires, quisupposerait un deuxième métier, mais je me refuse àvouloir considérer que l’on a affaire à deux métiers;je préférerais que l’on garde un métier qui peut-être

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peut s’enrichir”. Ils envisagent leurs futures fonctionsd’inspecteur du travail hors section comme unenrichissement et un élargissement de leurs activités,mais toujours dans le cadre du même métier, celuid’inspecteur du travail. Il s’agit d’un partage d’activitéet non d’un nouveau métier, car l’entreprise consti-tue toujours la cible visée. Les inspecteurs du travailen section s’occupent des salariés dans l’entrepriseet les inspecteurs du travail hors section s’occupentd’y faire revenir les exclus. Ils sont très critiques vis-à-vis des inspecteurs du travail en section qui refusentd’élargir le champ d’activité de l’inspection du travail.Il faut, dit l’un d’entre eux, “faire comprendre auxinspecteurs du travail en section que nous ne sommespas la “pensée unique” dans l’entreprise, qu’il fauts’arrêter de se prendre pour les Zorro, pour avoir lascience infuse et la pensée unique”. Car, ajoute unautre interviewé, c’est “très facile pour un inspecteurde s’enfermer dans sa section et d’être complètementisolé et d’avoir une petite vision”.

Les inspecteurs-élèves du travail en questionsont conscients des concessions auxquelles conduitune telle reconfiguration identitaire. Ils sont conscientsqu’ils vont perdre en indépendance dans leurpositionnement, par ce passage de section en horssection. Comme on l’a vu dans le groupe desinspecteurs-élèves inscrits dans une dynamique deconfirmation identitaire, certains envisagent de résisteraux pressions politiques (Préfet, DirectionDépartementale), tout en étant conscients des limitesd’une telle résistance. Celle-ci ne permettra qu’ ”uneindépendance volée” et “ne sera pas statutaire”.

Ce choix de passage de la section en horssection est également accompagné d’un discours devalorisation du combat que peut mener l’inspecteuren hors section contre l’exclusion et la marginalité.C’est ce qu’affirme cet interviewé: “est-ce que nous,on pourrait pas être la mouche du coche; dire: il y aune dimension sociale; est-ce qu’on ne pourrait pasêtre les Zorro du social? On veut bien se prétendreles Zorro du social dans l’entreprise; on pourrait êtreles Zorro du social hors entreprise, les Zorro de lasolidarité”. Ils sont convaincus de l’importance desenjeux de lutte contre la pauvreté. C’est cequ’exprime l’un d’entre eux: “le fait de pouvoir fairedes programmes, de sortir des gens de la mouise, çapeut être aussi une mission intéressante. Il s’agit derepêcher des salariés qui se retrouvent sur la toucheet de les remettre dans le bain”. Pour cela, la“désobéissance déguisée” et “l’indépendance volée”,pourraient être utiles, car, dit l’un d’entre eux: “il y atoute une marge de liberté qui fait que l’on pourraitl’exploiter, si on arrive à calmer le jeu vis-à-vis de laPréfecture, à nous imposer; ça peut être un enjeuintéressant”. Se retrouve ici l’une des figures del’inspection du travail suggérée dans l’étude del’interview des inspecteurs du travail en fonction: ils’agit de la f igure de l ’ inspecteur du travailintervenant social.

2.3 Les dynamiques de transformation identitaire

Se comptent dans le groupe des inspecteurs-élèves investis dans une dynamique de transformationidentitaire un certain nombre d’inspecteurs-élèves dutravail qui, avant leur engagement en formation,disposaient déjà d’une identité professionnelle dansle secteur public ou privé. Certains venaient déjà duMinistère du travail. Leur caractéristique principaleest d’avoir exercé un autre métier, complètementdifférent de celui des métiers de l’inspection. Leurenjeu principal est de changer d’identité. C’est le casd’un inspecteur-élève du travail, ancien informaticiendans une direction départementale. Il s’agit d’unprogrammeur, chargé de la mise en place desapplications informatiques nationales et du maintiendu parc informatique, au sein de sa directiondépartementale. Son projet de transformationidentitaire est dû en partie à une insatisfaction deson identité d’informaticien, qu’il cherche à quitter.Cette insatisfaction a été renforcée par les conditionsrelationnelles de l ’exercice de son activitéprofessionnelle. Il a envisagé d’adopter le métierd’inspecteur du travail, car il rencontrait d’énormesdifficultés professionnelles avec son directeur dutravail, qui lui rendait “la vie difficile”, dans l’exercicede son métier d’informaticien. Il a saisi une occasioninstitutionnelle pour s’inscrire dans un cyclepréparatoire au concours d’inspecteur. Sa motivationpremière, dit-il, était de “sortir et de rester cinq moishors des griffes de mon directeur départemental”. Ila entamé son cycle préparatoire sans avoir de pré-requis en matière de droit. Il se prend au jeu,apprécie le droit du travail qu’i l envisaged’approfondir pour exercer le métier d’inspecteurdu travail. Cette préparation contribue à l’éloignerde son métier d’origine, lui ouvre de nouvellesperspectives professionnelles et le motive pour desétudes plus poussées en droit du travail. Il envisageainsi de passer le concours pour exercer le métierd’inspecteur du travail en section. En cours deformation initiale à l’INTEFP, il se construit unereprésentation plus précise de ce métier et cela leconfirme dans son choix. Il découvre des dimensionsdu métier qui l’intéressent et qui lui permettront defaire par la suite des “choses intéressantes”, nous dit-il. Il est convaincu de pouvoir prendre des décisions,avec “beaucoup de rigueur et beaucoup depersonnalité”, et d’exercer un pouvoir que seuldétient l’inspecteur en section et qui lui permet d’agirsur son environnement. Il se rend compte, également,que les inspecteurs du travail hors section sont là pour“enregistrer des choses”, sans véritablement influersur leur cours, alors que les inspecteurs du travail ensection peuvent les modifier, même “modestement,et même si ça peut paraître illusoire”. Cela renforce

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son désir de la section, car “en section, il y a le codedu travail, la réglementation du travail, des moyensd’action, le procès-verbal, la mise en demeure”.Comparativement au f lou qui règne chez lesinspecteurs du travail hors section, “il y a des réflexespermettant de qualifier juridiquement tel ou tel faitqui se serait passé dans l’entreprise et des réactionspar rapport à ces faits-là; donc quelque chose de bienciblé et de différents des soucis des services “emploi”.Tout en étant conscient de l’existence et de laconfrontation entre la culture “travail” et la culture“emploi”, il se déclare prêt à s’exécuter devant lesorientations officielles, car, dit-il, “dans les faits onest fonctionnaire et on doit obligatoirement appliquerles directives du gouvernement”. On pressent ici lafigure de l’inspecteur du travail inscrit dans unelogique réglementaire et institutionnelle.

2.4 Les dynamiques d’acquisition identitaire

Les dynamiques d’acquisition identitaire semanifestent chez certains inspecteurs-élèves du travailissus du concours externe, ayant quitté l’universitéou une grande école pour s’inscrire dans uneformation initiale qui les prépare à l’exercice dumétier d’inspecteur du travail. Ils n’ont pas, en dehorsdes petits boulots, d’expériences professionnellesparticulières et tout l’enjeu pour eux consiste enl’acquisition du nouveau métier pour lequel ils ontpassé le concours. Ils se trouvent, d’un point de vueidentitaire, dans une situation de transition danslaquelle ils doivent tout autant construire lescomposantes de la pratique professionnelle envisagéeque les ingrédients de la nouvelle identitéprofessionnelle visée. Tout leur enjeu identitaire estlà. L’analyse de leurs interviews permet de repérer,parmi eux, deux cas de figure.

2.4.1 Le groupe ayant passé le concours avec la ferme volontéd’être inspecteur inspectant

Ceux qui appartiennent au premier type ontpassé le concours pour être inspecteur du travail ensection et uniquement en section. “Si j’ai passé ceconcours, c’est pour pouvoir exercer le métierd’inspecteur du travail. J’en avais une représentationassez nette, qui ne coïncide pas avec ce qu’on nouspropose en arrivant ici” à l’INTEFP. Ils découvrent avecstupéfaction et parfois avec amertume, l’existence des

inspecteurs du travail hors section. “Il y a, nous ditl’un d’entre eux, une frustration qui se développe etqui se perpétue tout au long de la formation, parceque ça revient sans arrêt, cette histoire de section ethors section. On a l’impression qu’on nous a un petitpeu abusés, qu’on nous a caché des choses; il faudraitque ça soit clair dès le départ”. Certains redoutent defaçon forte qu’au moment des affectations, ils soientorientés vers un poste en hors section. Ils refusentde se faire à l’idée de ne pas exercer le métier pourlequel ils ont passé le concours. Accepter d’y renonceréquivaut à l’acceptation de “toute une remise enquestion, finalement, de soi-même; il faut se dire: jene vais peut-être pas faire ça; je vais faire totalementautre chose”. C’est ce même sentiment d’amertumequ’exprime cet autre interviewé: “je n’ai pas passé leconcours pour être inspecteur hors section; je l’aipassé pour être en section et c’est vrai qu’il y a unedéception, mais aussi une remise en question de cequ’on va faire, de son avenir professionnel”. Certainsvont jusqu’à revendiquer l’organisation de deuxconcours différents, puisque “ce sont deux métiers,finalement”. Cette appréhension d’être affecté en horssection se renforce au fur et à mesure du déroulementde la formation. Les inspecteurs-élèves du travail enquestion se construisent une représentation négativedes inspecteurs du travail hors section. Ils ontl’impression que ces derniers sont des sous-inspecteurs: “tous les intervenants qui viennent nousdisent: le vrai métier, c’est en section; notre aspiration,nous-mêmes, c’est de passer en section”. Le choixd’aller en section se trouve confirmé par la similitudeentre la fonction d’inspecteur du travail hors sectionet celle d’attaché de préfecture, que l’un desinterviewés a côtoyée de façon temporaire, pendantsix mois, en attendant de passer le concoursd’inspecteur du travail. C’est ce qu’il exprime en disant:“en préfecture, on ne fait rien, on fait tout, mais onsigne rien; on n’est responsable de rien et puis on faitce qu’on nous dit de faire. Le métier d’inspecteur, c’estune indépendance acquise dans la façon de gérer sontemps, d’être l’auteur de ses décisions”.

2.4.2 Le groupe ayant choisi le métier d’inspecteurs dutravail au vu de son caractère relationnel

Le deuxième type d’inspecteurs-élèves dutravail inscrits dans une dynamique d’acquisitionidentitaire a passé le concours d’inspecteur du travail,sans être au clair sur ses différentes nuances. Nousl’illustrons à travers l’exemple de cet interviewé dontla décision de s’engager dans le métier a été motivéepar une information, au cours de sa formation àSciences-Po. Celle-ci a déclenché son intérêt pour

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l’inspection du travail, alors qu’il ne l’aurait paschoisie de lui-même, “parce que ça n’est pas unconcours qu’on passe à la sortie de Sciences-Po: c’estdévalorisé”. Son attention a été attirée par les relationsdu travail, la façon dont les gens s’organisent etrésistent aux organisations du travail. “C’est unematière qui m’intéresse, pour laquelle j’ai un intérêt,une curiosité; ça ne m’intéresse pas de faire la gestiond’un hôpital, par exemple, ou faire inspecteur desimpôts, ça ne m’intéresse pas”. Il poursuit en disant:“les métiers de la fonction publique, il y en abeaucoup; c’est pas par hasard, si on atterrit là”. Unefois l’idée retenue, l’interviewé s’est renseigné surle métier et s’est construit une représentationconcernant son contenu. Ainsi, dit-il “j’ai demandéla plaquette et, effectivement, pour moi, le métier,c’est un métier de contrôle et de contact avec les gens”.L’engagement en formation, tout en le confortant danssa représentation, l ’a aidé a s’en forger uneconception plus ouverte qu’il ne le pensait. Il voit lacomplémentarité entre l’inspecteur du travail ensection et l’inspecteur du travail hors section et trouvegênant l’organisation de deux concours différentspour leur recrutement. Pour lui, “les inspecteurs ensection ne peuvent pas se désintéresser des politiquesd’emploi et, inversement, les inspecteurs non-inspectant ne peuvent pas se désintéresser de la réalitédu travail dans l’entreprise qui sollicite telle ou telleaide”. Dans cette vision du métier de l’inspection, ledroit est important, mais ne doit pas dominerl’approche de l’inspecteur. Celui-ci constitue l’unedes facettes de sa pratique. Il est “nécessaire un quartdu temps, mais la plupart du temps, c’est autre chose”.Il constitue le substrat et le fondement qui justifientla fonction, mais ne doit être mobilisé que de façonadéquate. Pour lui, le recours au droit se justifie“quand ça ne se débloque pas, quand c’est bloqué”. Ilconstate que “beaucoup d’inspecteurs ne mettent ja-mais de PV ou rarement”. Il considère qu’une visionexclusivement juriste est une catastrophe, car elle vaorienter le regard de l’inspecteur: celui-ci ne relèveraalors que ce qui ne va pas dans l’entreprise et lasituation de travail n’évoluera pas. Ceci va à l’encontrede l’objectif d’un inspecteur qui contrôle uneentreprise. L’objectif de celui-ci, “c’est quand mêmede faire évoluer une situation de travail, descomportements; donc, s’il relève tout un tas de trucs,il y a plein de trucs dans le code du travail, c’estévident, s’il relève toutes les infractions, à mon avis,c’est contre-productif; il y a un discernement à avoir”.L’interviewé critique les positions jugées stéréotypéesde certains inspecteurs-élèves du travail, issus duconcours interne, qui “considèrent de façonidéologique que c’est une hérésie que de donner desaides aux entreprises. Par principe, le patron est unsalaud et ils ne voient pas pourquoi, en plus, onl’aiderait”. Pour lui, le métier d’inspecteur ne seréduit pas à rentrer dans une entreprise et à brandirle code du travail. Avant de rectifier ce qui ne va pas,

il faut déjà comprendre comment les gens travaillentet pourquoi ils sont amenés à travailler comme ça et àcauser des entorses au code du travail. L’intelligibilitédes situations et le discernement qui l’accompagnedoivent primer, car “évidemment, dans un mondeidéal, on met tout aux normes et on ne peut plustravailler. Il y a les contraintes de ceux qui travaillent,il y a les contraintes de l’employeur, et, en plus, il ya les contraintes du droit du travail”. On reconnaît làune parenté avec la figure de l’inspecteur du travailagent des transformations sociales.

3 RAPPORT DES INSPECTEURS-ÉLÈVES DU TRAVAIL ÀLA FORMATION PRÉPARATOIRE AU MÉTIERD’INSPECTEUR DU TRAVAIL

Il convient tout d’abord de rappeler que, à lasuite du plan de transformation de l ’emploid’inspecteur du travail, un certain nombre de choixont orienté les principes d’organisation de laformation initiale. Il a été décidé, en particulier, queles inspecteurs du travail exerçaient un même métierau sein d’un même corps de catégorie A atypique. Ilssont dès lors affectés sur des postes différents et sontsusceptibles de connaître une mobilité fonctionnelle.En cohérence avec ces choix, l’INTEFP a mis en placeun projet pédagogique, dont l’objectif était, outrel’acquisition des capacités nécessaires à l’exercice dela nouvelle définition du métier, de garantir laconstruction d’une identité commune entre lesdifférents inspecteurs-élèves et ceci quel que soit parailleurs le lieu et la nature de la fonction qu’ils aurontà exercer par la suite (section/hors-section). Laformation en question comportait, avant la réformede 2000 (KADDOURI, 1999), un tronc commun de 12mois et une spécialisation de 6 mois. La spécialisationvisait, selon les cas, une préparation spécifique dechaque type d’inspecteurs en fonction de leuraffectation : la section, la hors section ou le contrôlede la formation professionnelle.

Nous avons émis l’hypothèse que la formation(et plus globalement les dispositi fs deprofessionnalisation) comporte une doubledimension. La première concerne l’acquisition “descapacités collectives au développement desquellesl’institution est susceptible d’inciter et de former sesagents” (DEMAILLY L, 1987, p. 67). La deuxième estrelative à l ’ intériorisation d’un modèle decomportement professionnel et culturel et, pour toutdire, d’un modèle identitaire (KADDOURI, 2002).Cette hypothèse nous a conduit à considérer que lerapport des inspecteurs-élèves du travail à l’égard del’offre de formation dépendait de la cohérence ou

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de l’incohérence entre le modèle identitaire qu’ellepropose et la dynamique identitaire individuelle etcollective dans lesquelles étaient inscrits lesinspecteurs-élèves du travail, à leur entrée à l’INTEFP.Ainsi la cohérence entre l’offre et la demande permetun investissement et une implication dans laformation, alors que l’incohérence fait naître de larésistance, ce qui revient à dire que les inspecteurs-élèves du travail revendiquent un autre type detransaction avec l’institution. L’analyse de contenu desinformations recueillies (entretien individuel,interview de groupe, auxquels s’ajoutent des tractssyndicaux) permet de repérer un vécu partagé de laformation, ainsi que des attitudes individuellesnuancées. Ainsi, l’analyse transversale laisse apparaîtredes critiques assez négatives et unanimes concernantle contenu et le déroulement de la formation initiale,alors que l’analyse spécifique de chaque entretienpermet de distinguer quatre attitudes nuancéesconcernant l’usage que chaque inspecteur-élèvecomptait faire de sa formation8 . C’est ce que nousexposons ci-dessous.

3.1 La formation comme lieu d’appropriation du “plusqui manque”

Sont regroupés dans la catégorie des inspecteurs-élèves du travail qui considèrent la formation comme unlieu d’appropriation du “plus qui manque” principalementceux qui sont issus du concours interne, pour lesquels iln’existe pas de différence de nature, mais de degré, en-tre un contrôleur et un inspecteur du travail. Ici le rapportà la formation est conditionné par le refus dupositionnement que les responsables de projet et lesformateurs de l’INTEFP leur assignent. Ceux-ci lesconsidèrent comme des élèves inscrits en formation pouracquérir des compétences fondamentales pour l’exercicedu métier d’inspecteur, alors qu’eux-mêmes seconsidèrent comme des professionnels venant chercherla légitimation d’une position sociale à tenir dans lesservices. C’est ce refus qu’exprime cet interviewé pourqui il ne s’agit pas “d’un nouveau métier à apprendre,mais d’une filière. C’est plus de la continuité que de larupture; c’est le prolongement d’être contrôleur”. Cerefus les conduit à minorer les acquis de la formationqu’ils accusent de ne pas leur permettre d’apprendre“grand chose”. Leur engagement en formation estfortement surdéterminé par le projet de combler un écartet d’acquérir “le plus” nécessaire pour bénéficier du titred’inspecteur du travail en section, afin de passer à la“vitesse supérieure”, car, “quand on passe de contrôleur

à inspecteur, on vous dit: on va avoir plus deresponsabilité, donc il faut connaître plus de choses [...]”.La formation dispensée, disent-ils, au lieu de les aider àacquérir “le plus” qui leur manque, les reprend comme“à zéro”. Pour eux, il s’agit d’une formation qui n’est niqualifiante, ni professionnelle, ni pour adultes. Ils laconsidèrent comme “une école pour élèves”. Certainsd’entre eux affirment l’inutilité des 18 mois de formationet militent pour réduire sa durée, en l’orientant et en laciblant directement sur ce qui constitue les composantesmanquantes du métier d’inspecteur, “juste sur la partiecachée qui était réservée aux inspecteurs”. Les contenusde formation consistant à présenter le fonctionnementdes services externes, le Ministère du travail et sesdifférentes administrations [...] sont considérés commeune perte de temps et un remplissage injustifiés. Certainsvont plus loin et les jugent comme “une vaste fumisterie”.Ils ont l’impression “qu’il fallait qu’il y ait dix-huit mois,alors on les tire au maximum, pour que ça fasse dix-huitmois, mais peu importe le contenu”. Ils manifestent unehostilité particulièrement forte aux modules qui portentsur la gestion des ressources humaines et sur lescompétences du chef de service. Cette hostilité estjustifiée par l’interprétation qu’ils font des intentions desresponsables de l’INTEFP, ainsi que de celles desformateurs des modules en question. A leurs yeux, cesderniers répondent à un cahier des charges institutionnel,visant à faire adhérer les inspecteurs-élèves du travail à laculture du management qu’ils refusent.

De façon plus globale, ils reprochent à laformation son caractère abstrait et inopérant. Conscientsqu’ils n’ont pas eu de quoi combler le manque, jugénécessaire, pour assumer la fonction d’inspecteur ensituation, ils envisagent de l’acquérir par eux-mêmes,sur le tas et en situation professionnelle. Voici ce quedit l’un des inspecteurs-élèves du travail: “j’ai fini parcroire qu’il faut aller au charbon. Il n’y a rien de mieuxque le terrain; la formation donne des outils, des bases,des connaissances qui permettront de pouvoir garder,éventuellement, la tête hors de l’eau, de pouvoirrépondre, de pouvoir s’affirmer au niveau del‘employeur, mais aussi des salariés; mais après, c’est aufur et à mesure, dans la pratique”.

3.2 La formation comme lieu d’accompagnement de lareconfiguration identitaire

Sont évidemment concernés par cettecatégorie d’ inspecteurs-élèves du travai l quiconçoivent la formation comme un l ieu

8 Toutefois, en raison de la richesse et de la complexité des discours des interviewés, n’ont été prises en considération, ici, dans cette contribution, que les attitudes spécifiques.Les attitudes partagées ont été examinées dans notre rapport déjà cité (Kaddouri, 2007).

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d’accompagnement de la reconfiguration identitaire,ceux d’entre eux inscrits dans une dynamique derepositionnement identitaire reconfiguré. Il s’agitd’une partie des ex-contrôleurs du travail qui passentle concours interne en poursuivant le projet d’êtreaffectés, à la sortie de l’INTEFP, sur une fonction enhors section. Là aussi, les inspecteurs-élèves du travailsont très critiques vis-à-vis de la formation. Ilsrevendiquent une réduction de la durée du tronccommun et militent pour le prolongement de ladurée de la période de spécialisation. Ce rapport àla formation peut s’expliquer par les effets conjuguésde deux facteurs. Le premier facteur est lapréexistence d’un sentiment de compétence, générépar l’exercice professionnel antérieur au sein d’unesection d’inspection. Ils ont la conviction d’être engrande partie préparés à l’exercice de la fonctiond’inspecteur du travail hors section visée à la sortiede l’INTEFP. Ils vivent le tronc commun, largementdominé par la culture “travai l” , comme uneredondance inutile et, par là même, comme uneperte de temps, dont ils peuvent se passer. Commeles inspecteurs-élèves du travail inscrits dans unedynamique de confirmation, i ls soupçonnentl’équipe pédagogique d’utiliser l’évaluation de laformation comme un moyen de les obliger à êtreprésents pendant les dix-huit mois. “On nous traitecomme des gamins et on nous fout la pression, et tut’aperçois que cette pression est uniquement pourcadrer les gens, pour être sûr qu’ils soient au garde-à-vous pendant les dix-huit mois. C’est uniquementça, la solution du contrôle continu”. L’interviewé vaplus loin et introduit des éléments historiques pourexpliquer cette durée. C’est qu’avant, dit-il, on alaissé les inspecteurs-élèves du travai l “fairen’importe quoi et c’était le foutoir complet; et, dujour au lendemain, il a fallu trouver le moyen de lescadrer et de les avoir à l’Institut National du Travail,qu’ils soient présents tous les jours, les huit heuresdans la journée sur les cinq jours de semaine; doncon fait le contrôle; il ne sert qu’à ça”.

Le deuxième facteur explicatif du rapport àla formation des inspecteurs-élèves de cette catégorieest la conscience que, malgré tout, la fonctiond’inspecteur du travail hors section présente uncertain nombre de différences avec la fonctiond’inspecteur du travail en section. C’est ce qui ex-plique leur souhait du renforcement de la périodede spécial isat ion qui , non seulement doitcommencer plus tôt dans le cursus, mais êtresignificativement allongée. C’est ce que formule l’und’entre eux: “avec un tronc commun de quatre à sixmois, on n’a pas le temps de s’ennuyer et, après unespécialisation où, là, chacun va retrouver ce qu’ilattend, celle-ci est trop courte et là, effectivement,il faut du temps pour se préparer”. Ils s’attendent àce que la spécialisation leur permette d’acquérir les

compétences requises pour l’exercice de leur métieren hors section. Il s’agit, notamment de la maîtrisedes circulaires, des dispositifs, des mesures pourl ’emploi , a insi que de la maîtr ise des outi lscorrespondants à leurs mises en œuvre. Quand onleur rappelle le décalage entre les besoins deformation qu’ i ls expriment et leurs proposconcernant la facilité pour un inspecteur du travailen section d’exercer sans difficulté les fonctions d’uninspecteur du travail hors section, ils répondent quel’exercice en section permet d’avoir une culture, uneposture et une façon de faire qui facilitent le passagede section en hors section, mais ne dispense pas dela formation en spécialisation qui donne les outilstechniques et opérationnels nécessaires pourl’exercice en hors section.

3.3 La formation comme lieu d’aide à la conversionprofessionnelle

Apparaissent notamment dans cette catégorieceux qui regardent la formation comme lieu d’aideà la conversion professionnelle les inspecteurs-élèves du travail, provenant des services extérieursdu Ministère du travail, qui n’ont pas exercéauparavant de fonctions au sein de l’inspection dutravail. L’un d’eux, comme cela a été dit ci-dessus,était sur un poste d’informaticien et a passé leconcours pour devenir inspecteur du travail ensection. Provenant d’un département lointain, il faittout pour réussir et apprendre le maximum degestes professionnels, pour mieux remplir safonction et réinvestir les acquis de la formation ensituation professionnelle. Là, comme ailleurs, lerôle de l’alternance est apprécié. Pour lui, “lesstages en alternance sont une très bonne chose.Aller en section, voir les pratiques professionnellesdes collègues, sortir avec eux, faire des contrôlesavec eux, c’est enrichissant; je crois que l’on nepeut pas faire ce métier en se bornant à amasserdes connaissances théoriques; il faut aller sur leterrain; c’est tellement complexe”. Il porte un regardcrit ique sur ses collègues qui cherchent dessolutions de facilité et qui vont à l’économie, quandi l s ’ag i t de fa i re face aux contra intes del’apprentissage en alternance. C’est ce qu’il déclare:“moi, j’ai fait un choix géographique et je suispénalisé; j’ai fait des choix géographiques; j’ai étémobile: je suis éloigné de ma famille, j’en souffreet ça fait un coût humain; ça a un coût matériel;mais je savais ce que je voulais et je crois qu’on estobligé de faire des sacrifices, si on veut quelquechose de qualité”.

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3.4 La formation comme lieu d’une (triple)construction: la pratique, la compétence etl’identité professionnelle

Font partie de la catégorie de ceux quiappréhendent la formation comme le lieu d’unetriple construction (la pratique, la compétence etl’identité professionnelle), les inspecteurs-élèvesdu travail qui sont, pour la plupart d’entre eux,issus du concours externe et inscrits dans unedynamique d’acquisition identitaire. Certains,confiants en eux-mêmes, considèrent qu’uneexpérience professionnelle préexistante n’est pasune condition préalable pour l’exercice du métierd’inspecteur. Celle-ci peut être “un plu”, mais ellen’est pas rédhibitoire. Cette expérience et l’identitéqui en résulte peuvent se construire et s’apprendrechemin faisant. Ici, plus qu’ailleurs, le rapport à laformation initiale est surdéterminé par la volontéd’être opérationnel à la sortie de l’INTEFP. Il s’agitd’être capable de contrôler une entreprise, de faireface à un employeur et à des gestionnaires desressources humaines, dont l’expérience permet dedétourner les lois. C’est la crainte d’être démunien situation, qui oriente leur appréciation de laqualité de leur formation initiale. Ils sont critiquesvis-à-vis des conditions, dans lesquelles se déroulele processus d’apprentissage. Celui-ci est jugéscolaire et infantilisant, car il les met dans uneposture d’écoute passive de ce que disent lesintervenants. Ils ont l’impression de se retrouversur «les bancs de la fac, à prendre des notes et àgratter». Ils revendiquent plus de cas pratiques etconcrets, tirés des situations professionnellesréelles et non inventés de “toutes pièces” par lesformateurs. Ils veulent être “réellement” préparés àl’exercice de leur futur métier; c’est pourquoi ilsjugent les cas traités comme “totalement” inadaptésà ce qu’ils croient pouvoir trouver, par la suite, surle terrain. Certains expriment leur désarroi et jugentinadmissible de se sentir, au bout d’une année deformation, incapables d’aller dans une entreprisefaire un contrôle. Ils ont une préférence pour lesintervenants qui exercent le métier d’inspecteur dutravail, parce qu’ils sont capables de «faire passerle côté pratique du métier, avec notamment desanecdotes, des choses comme ça; ils savent de quoiils parlent». Ici, plus qu’ailleurs, l’accent est missur l’importance de la formation en alternance qui,de leur point de vue, favorise l’élaboration desreprésentations du métier, la construction desingrédients de la prat ique et de l ’ ident i téprofessionnelle. Ils militent pour l’organisationd’une alternance plus soutenue, qui leur permetd’aller en section se familiariser avec les pratiquesprofessionnelles des inspecteurs en exercice et

d’apprendre à faire du contrôle des entreprises enleur compagnie. La formation doit permettre de “semettre réellement en situation telle qu’on latrouvera sur le terrain”. Certains inspecteurs-élèvescritiquent, de façon vive, les cours. Ils les trouventtrop “descr ipt i fs ”, “plats”, qui manquent deproblématisation et ne présentent pas des enjeuxet des prises de position contrastées. Certainsformateurs du terrain sont critiqués, car ils ont “unevision trop terre à terre”, alors qu’il est “importantd’avoir des cours un peu plus généraux, qui fassentprendre conscience des enjeux économiques etpolitiques de certaines dispositions, et ça ils ne l’ontpas tout le temps”.

Parmi eux, ceux qui veulent absolument alleren section et qui redoutent l’impossibilité deréaliser ce projet à la sortie de la formation, militentpour l’existence d’un tronc commun consistant, carc’est l’une des garanties pour pouvoir effectuer dela mobilité et revenir par la suite en section. C’estce que nous déclare cette interviewée: “je pensequ’il faudrait un vrai tronc commun, parce que, sion fait le calcul, on veut tous aller en section, àpeu près”. S i on augmente la pér iode despécialisation au détriment du tronc commun, nousdit l’un d’entre eux, “on réduit nos chances demobilité, alors que le tronc commun donne lapossibilité aux gens d’être mobiles”.

5 CONCLUSION

Les attitudes des inspecteurs élèves du travailà l’égard de leur formation initiale ne peuvent secomprendre indépendamment de l’analyse destransformations majeures que connaît le métierqu’ils se préparent à exercer. En effet, des liensforts existent entre les reconfigurations sociales deleur futur métier, les dynamiques identitaires danslesquelles ils se trouvent inscrits au moment où ilspassent le concours d’entrée à l’INTEFP et les usagessociaux et professionnels qu’ils veulent faire, auregard de leur appréhension de ces transformations,de leur format ion in i t ia le . Toute ré f lex ionpédagogique v isant l ’opt imisat ion desapprentissages et la préparation à l’exercice dumétier d’inspecteur du travail doit prendre encompte les dynamiques identitaires en question.Non intégrées dans la réflexion pédagogique, cesdynamiques vont s’exprimer à travers des enjeuxquasi existentiels (Bourgeois ????) qui structurent,comme nous l’avons constaté tout le long de cettecontribution, le rapport des inspecteurs élèves dutravail à leur formation initiale.

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6 ABSTRACT

The empiric data mobilized in the context of thisarticle are results from an ordered study, in 1898-1999, inthe Research Center in the Formation (Centre deRecherche sur la Formation –CNAM), by the Work,Employee and Professional Formation National Institute(Institute National du Travail, de L’Emploi et de laFormation Professionnelle-INTEFP) of Labor Ministry. Thisstudy had as goal the evaluation of the work inspector’searly formation, for a review and depth. It was done manycollective and individual interviews with the different actorsof the formation: different Ministry central administrations,union representative staff, regional and departmentaldirectors, adjunct directors, stage instructors, the workinspectors in exercise, project directors, formers and workstudent-inspectors in formation in the INTEFP. After theconsent of the different actors, two types of informationhave been collected. The first type of collected data isabout the evaluation of the dispositive differentcomponents of early formation in the métier of inspectorwork; it resulted in a document that was the basis of areview of the formation in question and its actorsaccompaniment. The second type of information gatheredwas related to the work inspector’s identity dynamics andthe conception that they had of their métier and of theirprofessionalization process. This second kind ofinformation was object of a late exploitation that resultedin the composition of a research report (Kaddour, 2007).It will be extracted some interview fragments to illustratethe purpose of this contribution to the identity dynamicsapprehension. Three main points will be approached:1.The first is centered in the social recomposition of thework inspector’s métier; 2.The second is particularlydedicated to the work inspector-students’ identitydynamics, while the third, in reference to the other twoprecedent questions, is about their rapport to the earlyformation that was organized before this reform, in orderto prepare them to the exercise of their new functions.

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