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1 Misbao AÏLA Président de l’Association “Aujourd’École-France”, Chercheur en Éducation et Sociologie L’immigration en France et les "sans-papierd’origine subsaharienne : une question d’accueil ou de reconduite à la frontière ? Espace de Philosophie et de Recherche sur l’Immigration et le Social (ESPRISOCIAL - FRANCE) http://www.esprisocial.org/documents LILLE (FRANCE) FRANCE LILLE, 2006 – WATTRELOS, le 17 mai 2015

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Misbao AÏLA

Président de l’Association “Aujourd’École-France”, Chercheur en Éducation et Sociologie

L’immigration en France et les "sans-papier″ d’origine subsaharienne : une question d’accueil ou de reconduite à la

frontière ?

Espace de Philosophie et de Recherche sur l’Immigration et le Social (ESPRISOCIAL - FRANCE)

http://www.esprisocial.org/documents

LILLE (FRANCE)

FRANCE

LILLE, 2006 – WATTRELOS, le 17 mai 2015

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PLAN INTRODUCTION I. CONSTAT REQUESTIONNÉ : ESQUISSE D’UNE PROBLÉMATIQUE II. ACCUEIL, EXPULSION OU RECONDUITE À LA FRONTIÈRE 1. Des chiffres qui parlent … 2. Parenthèse pour un phénomène complexe III. MÉTHODOLOGIE

1. Pertinence de l’objet d’étude et composition de l’échantillon 2. Population-cible 3. Construction de l’échelle d’attitude 4. Collecte des données

IV. ANALYSE ET INTERPRÉTATION 1. Opinions et sentiments des « sans-papier » 2. Résistances ou réticences à l’idée d’un retour au pays d’origine a. Raisons socio-économiques b. Raisons affectives et/ou sanitaires c. Raisons culturelles ou intellectuelles

CONCLUSION

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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Résumé de l’article L’on constate qu’il ne peut y avoir dans l’immigration en France qu’un écart conflictuel entre les dispositifs politico-administratifs et les aspirations intimes des populations migrantes, notamment les plus légitimes espoirs des groupes peu ou prou clandestins d’origine négro-africaine. La question de l’identité, de l’emploi ou de l’intégration – d’ores et depuis – reste cruciale lorsque la resocialisation concerne des personnes en difficulté d’existence qu’on appelle les « sans-papier ». Mais, si une telle question socio-existentielle de l’immigration, où les baromètres politico-intellectuels tombent régulièrement en panne dans une relation de xénophobie, est rendue complexe par des rebondissements d’attitudes psychosociologiques, on ne peut guère s’en prendre à des « âmes navrées » d’être victimes ou provocatrices d’un phénomène migratoire qui ne devrait pourtant échapper aux prévisions des Gestionnaires d’État. En effet, dans la condition sociale des immigrés, l’accueil financé des clandestins dans l’Espace Schengen et/ou le refus politique de leur régularisation ne peuvent ni l’un ni l’autre dissimuler la misère effroyable qui sévit au sud du Sahara, en raison même du fait qu’une telle misère des populations subsahariennes se révèle, – en catastrophes successives de rébellions armées ou de « désastres terroristes », d’endémies, famines et naufrages –, affreusement symbolique du désespoir avec lequel les « rescapés » connotent leur exil risqué et redoutent une éventuelle reconduite à la frontière.

Mots clés : « Sans-papier », immigrés, reconduite à la frontière.

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Les contrastes et les contradictions peuvent coexister en permanence dans une tête sans déclencher nul conflit. Cette évidence bouleverse et détruit tout système politique pessimiste ou optimiste. Albert EINSTEIN Les politiques publiques d’intégration des immigrés et de leurs descendants sont aussi souhaitables qu’inévitables, elles sont d’ailleurs devenues les politiques officielles de tous les pays européens. Dominique SCHNAPPER

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INTRODUCTION

L’on constate que l’immigration, celle notamment d’origine subsaharienne, extériorise de pertinentes interrogations, de profondes révoltes, ou donne lieu à de multiples conflits d’intégration et que, – le courage de penser le développement étant l’unique noblesse en vertu de laquelle les chercheurs prennent le risque d’investiguer –, les responsables politiques, cruellement confrontés à des impératifs budgétaires complexes, ont visiblement des « chats plus têtus à fouetter » en la matière que d’éclairer objectivement le peuple sur la misère des populations venant de loin, et envers lesquelles les « autochtones » semblent parfois éprouver un dédain définitif. Il y a différentes manières de vivre ensemble, comme il y a différentes manières de se faire accueillir, de se « naturaliser » ou de coopérer. Si l’on considère autrui comme un autre « soi-même », le vivre-ensemble prend vite la forme d’un échange équitablement rentable. Si l’on projette sur autrui l’hypocrisie d’un préjugé ou d’un rejet, la coopération s’effectue purement dans ce cas comme une mutuelle de mépris. Si, cela dit, il est rare de croiser « un chef ayant le souci de dissocier ses subordonnés des actes indésirables qu’ils ont pu commettre » (Joule et Beauvois : 1998, p. 162), c’est exactement au même type de constat que l’on arrive en général lorsque l’on prête l’oreille aux immigrants dans l’appréciation qu’ils font d’un acte indésirable des autorités de leur milieu d’accueil. L’angoisse d’intégration n’inspire aux « sans-papier » aucune indulgence manifeste à l’endroit de celles et ceux qui ont rigoureusement la charge de « décider » de leur sort. Aussi le phénomène migratoire semble-t-il ne jamais manquer de susciter des sentiments d’indignation, de révolte ou de protestations. C’est que, de la prévention policière à la guerre aux « irréguliers », du paradoxe identitaire de la citoyenneté aux contradictions socio-juridiques de la liberté, l’immigration clandestine évoque, dans l’esprit des masses, une tragédie navale d’aventuriers en détresse, un risque permanent de cohabitation avec des « étrangers aux mœurs barbares ». Mais il n’est tout de même pas interdit de se demander si ceux qui, par des détours catégoriques ou fantasmagoriques, s’activent bruyamment pour la reconduite à la frontière, ainsi que les migrants qui la subissent avec amertume, ont une même conception de la question. N’en reste-t-on pas quasiment à des notions tronquées qui font parler de « polygames immigrants » ou de « racaille banlieusarde » ? La polygamie serait-elle un déterminant connotatif de l’immigration ? Les immigrés ou leurs descendants seraient-ils réellement un ramassis de vauriens ? Et que faut-il alors entendre par « sans-papier » ? Serait-ce un « ovni » venant d’une lointaine planète et n’ayant aucun statut social reconnu ? Ou s’agit-il plutôt d’un individu réel dont « la culture pénètre le corps » pour instaurer le mental « dans l’ordre symbolique existant » ? (Vinsonneau : 2003, p. 106). Le phénomène de l’immigration, à l’heure actuelle, semble susciter des cloisonnements argumentaires qui s’entrechoquent éloquemment, ou s’entre-dupent à coups de basses insultes racistes dans les quartiers populaires, ou de joutes oratoires sur des podiums officiels, en l’absence ou devant un public facilement berné, médusé ou sûrement manipulé. Il y a, notamment, le cloisonnement des partisans de la solution dite « plus vite que l’éclair ». Indexant l’immigration comme étant la source excellentissime des « maux noirs » qui menacent l’ordre économique et social de la République, ces partisans proposent le blocus naval de la Libye comme seul remède à l’invasion d’origine subsaharienne. Et pourtant,

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s’indignent des populations migrantes, « ce sont les mêmes stratèges qui ont sauvagement planifié la mort du grand Mouammar Kadhafi ». Bref, ils sont nombreux les radicaux qui essaient de conjurer l’immigration « sauvage » en lui refusant à grands cris le droit d’exister, ou en lui déniant strictement sa causalité géostratégique conditionnelle. Qu’ils reprochent, à une telle immigration clandestine, la tragédie de provoquer, par une série de noyades collectives, la disparition en mer de « milliers d’aventuriers errants » ! Que des autorités subsahariennes, ruinées par leurs propres gestions calamiteuses, entraînent, par leur seule impopularité, l’évasion incontrôlée de leurs populations dépouillées ! Que des embarcations de fortune craquent sur l’océan et créent ainsi d’innombrables pertes de vies humaines ! Rien de tout cela ne semble éclairer les ombres qui planent sur l’immigration ; et, chose effrayante, le droit pas plus que l’éthique ne semble garantir à personne la chance véritable d’une vie épanouie ailleurs ou chez soi. Que l’on ait marché en colère de masses fourmillantes avec de nobles slogans de protestations aux abords de la Méditerranée… ! Que des familles en larmes aient littéralement fustigé à l’International les inégalités de traitement qu’essuie leur misérable existence ! Cela n’émeut qu’en apparence les « géants » qui ont toujours, dit-on, fait semblant de pratiquer l’humanisme en suppliciant les basanés prétendument perçus comme dépourvus d’âme. La mort collective des « nègres » représenterait-elle alors, à une certaine opinion mondialiste, le bon débarras silencieux d’une race à tenir bien éloignée des principes essentiels du droit commun ? Comment se trouve-t-il que notre nouvelle « Société des Nations », si juridiquement dotée de belles structures humanistes, se révèle tragiquement impuissante et continuellement confrontée entre autres à des énigmes afro-cheftaines de tyrannie, à des chalutiers naufrageurs, vraiment très naufrageurs ? Faire abstraction d’un tel questionnement, n’est-ce-pas couver l’illusion d’une générosité mondiale dite en faveur des pauvres et qui s’emploierait à défoncer le sens essentiel du partenariat utile au développement de la planète, tout en se révélant à la face du monde comme distillant un nombrilisme nuisible aux conventions destinées en principe à « notre » mieux-être ?

I. CONSTAT REQUESTIONNÉ : ESQUISSE D’UNE PROBLÉMATIQUE Alors que, – dans l’esquisse de cette problématique conflictuelle que constitue l’immigration –, la France elle-même se trouve malgré elle secouée par de brûlantes entraves sociales avec ses millions de sans-abris et chômeurs, quantité de migrants, en provenance notamment de pays dits pauvres, débarquent ou tentent de débarquer, chaque jour, par vagues successives. Ce phénomène d’arrivée massive d’étrangers, affectant presque toutes les puissances industrielles, est d’autant plus perceptible qu’il s’agit de pays capitalistes assouvissant, ou ayant assouvi dans le passé, des ambitions impérialistes. Dans cette flagrance idéologique et géopolitique qui, de l’avis même des chercheurs authentiques1, place aujourd’hui la France devant ses incontournables responsabilités, les reconduites à la frontière semblent procéder

1 Une penseuse authentique, – puisqu’il s’agit de la présidente de l’Association Survie –, eut le courage de sa sincérité intellectuelle en se prononçant clairement au sujet de la négrophobie en France : « Il n’y a pas, comme une certaine mode veut le faire croire, une question noire en France, mais il y a bien une question française à propos des noirs, qu’ils soient africains ou antillais » (Tobner : 2007, p. 9).

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d’une fièvre nationaliste qui risque à la fois de rendre stériles les débats sur l’immigration, de fragiliser la sécurité des Français à l’étranger et de transformer la tumeur de racisme en un cancer de négrophobie mondialement ravageur. L’on reconnaît volontiers que si les gouvernements du Nord, plus que ceux du Sud, s’acharnent politiquement à inventer des mesures drastiques contre l’émigration de celles et ceux qui viennent des pays dits pauvres, les résultats d’application de ces mesures en matière de droits humains n’ont pas toujours été brillants : ils risquent même de ne jamais toujours l’être. La stratégie muette de « Réconforts d’opulence au Nord, Sueurs de misère au Sud », ou plutôt la marche solidaire d’immenses foules en recollection près de la Seine, porte naturellement à croire qu’une quinzaine de « Charlie » froidement abattus par des hurluberlus, serait plus à déplorer qu’une catastrophe de centaines de clandestins (adultes, adolescents et nourrissons) désespérément tués à bord d’un bateau renversé. – Hosanna ! Il n’y a évidemment ni échelle de mesure, ni bascule de comparaison, ni propos d’occultation à ériger en pétard nucléaire en matière de fustigation de notre civilisation de barbarie. L’étranger migrant, disent les étrangers eux-mêmes, resterait volontiers dans son pauvre « Sahara » si l’harmattan de misère ne s’était singulièrement développé chez lui comme conséquence de la diplomatie meurtrière d’une certaine oligarchie dite « esclavagiste » et de la crevaison d’esprit d’une intelligentsia dite « hideuse », « minable » ou « tarée ». L’on peut néanmoins, en parallèle, se demander pourquoi les migrants, malgré les frustrations et discriminations qu’ils semblent subir en Occident, préfèrent encore courir le risque d’y aller crever de noyades collectives que de rester « dignes » sous leurs cocotiers ensoleillés. Sont-ils téméraires ou masochistes ? À la vue d’une patrouille d’agents dits « négrivores », les « sans-papier » s’en effraient et murmurent : « Prudence, les cobras de Brice vont passer à l’attaque ! » Comment se fait-il que la montée en flèche du racisme, les orchestrations xénophobes du nationalisme populaire, ainsi que la mobilisation policière pour de « véritables chasses aux sorcières », parviennent difficilement à trancher, comme au couteau d’un Troisième Reich, ce pernicieux cordon d’immigration clandestine ? Cette suicidaire évasion des Africains vers l’Europe, que l’on tend un peu hâtivement à réduire à la fascination des nègres pour la prestigieuse Tour Eiffel, ne recouvre-t-elle pas au contraire des motivations plus profondes, des enjeux plus subtils, des aléas plus filandreux… ? Il faut noter que l’Afrique, malgré ses innombrables atouts, s’enlise dans une apocalypse sans précédent. « C’est comme si, à bord d’une pirogue déjà prise dans la tourmente d’une mer démontée par la mondialisation, les passagers, au lieu de pagayer pour gagner une terre ferme, s’acharnaient à trouer la coque de leur frêle esquif » (Smith : 2003, p. 13). Les ressorts sociaux, économiques et politiques du monde subsaharien semblent effectivement sciés à la base par des viols d’élection « encadrés » – à saute-mouton – par des « allogènes négriers » qui arrachent le pouvoir au peuple en s’y maintenant ad vitam par de tragiques accords de fourberie. Et pourtant, de graves épidémies ou maladies endémiques, ainsi que de mystérieuses haines tribales, continuent de faire rage et ravages sur l’ensemble du continent noir. En bref, la dégradation du tissu social y propage au maximum un malaise polymorphe, étouffant, voire dévastateur pour l’individu et les collectivités locales. Alors, sous la pression de l’instinct de conservation insufflant aux humains l’ardeur de sauver leur peau, la porte s’ouvre à toutes les tentatives d’exil ou de sauve-qui-peut.

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L’on peut mettre en lien les facteurs socio-économico-politiques et la migration des peuples. Mais les « irréguliers » de l’Hexagone, ceux qu’on appelle grosso modo les « sans-papier », ont-ils, tous, une connaissance claire de leur situation de migrants, de leurs conditionnements « grégaires » ou de leurs confusions nationales, citoyennes, etc. ? Autant dire que dans leur for intérieur, des groupes de migrants prétendent quitter leur pays respectif pour un combat légitime d’aventure humaine, à la recherche d’un mieux-vivre économique, social ou politique, selon leurs convictions personnelles bien reliées à leurs conditionnements psychiques, historiques ou politico-culturels… Beaucoup d’entre eux ne parviennent ainsi à tirer clairement les conséquences explicites de leur immigration, en ce qui concerne particulièrement les avantages et les inconvénients d’un tel exode en référence de leurs pays d’origine, de même qu’en ce qui concerne les enjeux de leur tumultueuse condition d’exil dans leur pays d’accueil. Leur ébranlement psychologique n’aurait-il d’égal que le poids des misères culturelles ou financières dont ils portent les stigmates dans leur corps physique et moral ? Dans cette France prestigieuse, techniquement et socialement très avancée, ou plutôt en ce milieu interculturel d’accueil profondément structuré, avec ses lois et procédures, où pourtant beaucoup d’étrangers et nationaux semblent avoir du mal à sortir de leur confusion marginale, ne convient-il pas de jeter un regard d’inspection sur les attitudes des migrants en situation irrégulière par rapport à l’Administration française ? Si l’attitude humaine en tant que « mode de réaction permanente et stable (…) contribue à la catégorisation des personnes et au traitement de la diversité sociale » (Deschamps & Beauvois : 1996, p. 25), il serait utile de mesurer celle des demandeurs de séjour du Comité des Sans-papiers (C.S.P. 59 de Lille) face à l’expulsion à laquelle ils semblent généralement s’exposer. L’hypothèse générale que nous émettons à l’endroit de notre questionnement sus-énoncé est bien celle-ci : les immigrés en situation irrégulière, malgré les entraves relatives à leur quotidien (problèmes d’embauche, de logement, etc.) et les contrariétés qu’ils subissent, sont peu favorables à l’idée d’un retour au pays et développent par conséquent une résistance contre l’expulsion, ainsi qu’un sentiment de colère à l’égard des autorités gouvernementales. L’on reconnaît volontiers que l’immigration devient aujourd’hui, en quelque sorte, une source de fustigation de la légitimité humaine à recourir à l’exode pour compenser les inégalités que subit la condition humaine dans le monde. Mais réprimer les vagues migratoires sans pallier les besoins objectifs des masses paupérisées, cela ne conduirait-il pas, a fortiori, à une sorte de tsunami social aux conséquences imprévisibles pour la Francophonie et le monde subsaharien ? En effet, face aux contradictions et contrariétés économiques qui s’opposent et « s’explosent », l’immigration suscite mondialement, paradoxalement et graduellement, une déprécation d’angoisses moins férue d’espérance que de périls d’échanges. C’est dire, en quelque sorte, que la vie extra-moderne, celle d’aujourd’hui, est la conséquence d’un passé collectif qui dégénère ou se régénère au gré de l’imprévu et du prévu, de l’imprévisible et du prévisible. Devra-t-on s’attendre alors au pire d’une calamité de « rébellion intercontinentale », ou aura-t-on plutôt l’avantage et surtout le droit d’aspirer au meilleur d’une « conciliation internationale » qui assurerait l’épanouissement des peuples ?

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II. ACCUEIL, EXPULSION OU RECONDUITE À LA FRONTIÈRE

Il semble indéniable qu’au sein même d’une véritable politique de la porte ouverte, aussi adroitement ventilée ou polémiquement ficelée fût-elle, un migrant, s’il croit fidèlement au « Bon Père Noël », ou même s’il adhère rationnellement à un parti politique, se voit d’ordinaire « imposer » des idéologies, des convictions, des habitudes et, pour tout dire, des conduites parfois rassurantes, parfois capricieuses ou carrément troublantes. L’originaire du monde subsaharien est alors apparemment pris au dépourvu par les mirages du phénomène identitaire de maturation, d’intégration ou de resocialisation : D’une part, il semble convaincu que l’émigration du Sud vers le Nord ne fait aujourd’hui du Nègre qu’un démuni pieusement attiré par la civilisation occidentale pour laquelle, d’ailleurs, il n’aurait désormais d’yeux que pour échapper aux misères de famine, de catastrophes génocidaires et/ou épidémiques d’Ébola qui sévissent dans sa communauté continentale d’origine. D’autre part, cette immigration incontrôlée lui semble objectivement ne préoccuper que la seule Urgence Européenne qui s’annonce plus ou moins l’unique institution ayant de tangibles intérêts, en ce jour, à y mobiliser des moyens conséquents ou appropriés. À cet effet, la « résurrection européenne » serait-elle exclusivement dépendante du sort des Africains, qu’elle n’aurait d’autre issue que de n’agir que pour ses seuls intérêts politiques, économiques ou sociaux, au détriment de nombreux pays miséreux dont les populations juvéniles en surcroissance ont ainsi, elles aussi (et plus que jamais), un intérêt de survie à œuvrer sans fioriture pour leurs plus pressants impératifs de développement ? Croire que l’Occident ouvrirait indéfiniment ses plages pour accueillir, comme un père prodigieusement aimant, des chalutiers voguant sur mer comme des « Hollandais volants », n’est-ce pas une rêverie puérile, dangereuse voire suicidaire à déconseiller aux optimistes les plus béats ? Une telle espérance chimérique trouverait plutôt une place plus confortable dans un laboratoire destiné aux ovnis, aux extraterrestres… ; car c’est en effet une plaisanterie parallèle qui n’aiderait malheureusement l’Afrique qu’à continuer de rêvasser que les « Yovo » n’auraient rien d’autre à faire pour juguler leurs propres incompatibilités, qu’à consacrer leur précieux temps à l’épanouissement des Congolais, Burkinabés, Ivoiriens, Gabonais, Nigérians ou Togolais, etc.

Soyons sérieux !

En effet, si les Occidentaux avaient succombé à la tentation de rêvasser que leur développement descendrait du ciel comme une manne providentielle, ils seraient douloureusement restés au stade de la pierre taillée, ou de la peau tannée. Ils n’auraient pas enfin réussi à coloniser, par la ruse et la dynamite2, des peuples qu’ils avaient préalablement baptisés de leurs beaux noms, ou auxquels ils auraient génialement pu enseigner l’exégèse gréco-latine, ou à coopérer à la Jules César avec des « inconvertibles » qui sont courageusement parvenus à promouvoir leur propre Bhagavad-Gita en sanskrit, leur propre Qiu-Kong en mandarin, leur propre Torah en hébreu, leur propre Coran en arabe, etc. … Mais au cri de la crise, quelques ténors de la tunique sacrée, fragilisant leurs propres dogmes, n’hésiteront probablement à continuer d’enfoncer la misère subsaharienne dans l’horreur d’une galère planifiée par leur génuflexion ; le prolétaire, selon leur enseignement de piété, 2 La ruse despotique du civilisateur n’avait point hésité à faire « sauter à la dynamite un chef congolais » en persuadant les indigènes affolés que le ciel avait ainsi prononcé une parole (Hebga, 1979).

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n’ayant d’autre voie qui conduise à la « piscine de l’âme » que l’unique chemin bourbeux d’une torture infligée aux ouvriers des champs, ou par le dévouement inconditionnel à un « Dieu épouvantable » qui eût créé le nègre pour s’agenouiller et subir, comme le maître pour s’asseoir et punir. En effet, même si nous restons convaincu que la Solidarité internationale est un passage incontournable pour la Paix sociale et le Développement des peuples, et sans pour autant rêvasser que l’altruisme soit une vertu cardinale des puissances en crises de productions, nous estimons tout de même que l’immigration « sauvage », ou même planifiée, rimerait toujours sur des contradictions et contrariétés, – mais en toute logique de temporalités –, avec toute politique d’accueil, d’expulsion ou de reconduite à la frontière, aussi parfaitement huilées que fussent les stratégies y proprement relatives. Et ce, en vertu solennelle du fait que le Développement reste immanquablement une action en prise directe avec les besoins objectifs et subjectifs variés, changeant ou mutant selon l’urgence des impératifs spatiaux et temporels du peuple.

Il serait en conséquence absurde et néfaste pour la planète, estimons-nous, de faire accroire à une communauté en détresse que son salutaire développement serait in fine une affaire dépendant pieusement du « principe d’Anasara », ou reposant béatement sur l’Éthique internationale d’une charte de « Coopération mondialiste ».

1. Des chiffres qui parlent… Le classement, en 2013 et 2014, des dix premiers pays pour les demandes d’asile en France (Publication du 15 janvier, OFPRA 2015) révèle bien une lugubre présence du continent africain dans cette course effrénée, tout à fait justifiée, à l’exil en Occident.

SOURCE : OFPRA (Office Français pour la Protection des Réfugiés et Apatrides)3 Tout le monde sera d’accord que le premier rang de cette triste présence africaine, dans ledit classement, pose, au sujet de l’immense richesse naturelle du Congo-Kinshasa, – richesse considérée dans son extraordinaire biodiversité –, de sérieuses inquiétudes quant à la gestion de son patrimoine intérieur. Peut-être cela nous ouvre-t-il déjà mieux les yeux sur les causes socio-politico-économiques des dictatures et conflits qui ravagent incessamment l’Afrique. D’autant que la complexité d’une telle causation plurielle, qui enrichit l’extérieur en spoliant l’intérieur ou en le poussant à s’exiler en barque de fortune sur l’océan, est par là même

3 « Premières demandes hors mineurs accompagnants et hors réexamens ».

2013 2014 (provisoire) REP. DEM. CONGO 3 966 REP. DEM. CONGO 3 783 KOSSOVO 3 514 CHINE 2 499 ALBANIE 3288 BANGLADESH 2 425 BANGLADESH 2 921 RUSSIE 2 137 RUSSIE 2 609 SYRIE 2 071 CHINE 2 123 PAKISTAN 2 042 GUINÉE 1 891 ALBANIE 1 944 SRI LANKA 1 771 SOUDAN 1 792 GEORGIE 1 757 HAÏTI 1 730 PAKISTAN 1 683 GUINÉE 1 611

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l’expression des rapports de forces opposant les « monnayeurs de confort » et les « candidats à la noyade ». D’une façon flagrante, il ne s’agit pas textuellement, chez les peuples richement pauvres d’Afrique, d’une soumission librement consentie au sens de Joule & Beauvois (1998), mais d’une inversion totale de la victoire de Samothrace, puisque – toute plaisanterie de salon à écarter d’urgence –, les affres de chalutiers migrants, en plus qu’elles traduisent la lassitude d’une existence miséreuse, ainsi qu’une course populaire vers l’apparence d’une vie meilleure, (d’aucuns parlent d’ailleurs d’un abandon progressif du culte résigné de la malédiction des fils de Cham), ressemblent, au propre et au figuré, à la statue étrange d’une déesse qui a perdu sa tête au fond de l’Océan. Il semble autant salutaire – mais très risqué au demeurant – de dire toutes sortes de vérités au roi que de lui exprimer un merci définitif ; encore qu’il s’avère peu probant que « l’absence est aussi bien un remède à la haine qu’un appareil contre l’amour »4. Cependant si nous croyons fermement à la Solidarité internationale et à la Coopération sincère entre les âmes citoyennes de la Planète, si nous croyons sûrement à l’entraide des peuples et non aux diplomaties de colin-maillard, la moindre sincérité d’échanges dont nous bénéficions, ici ou ailleurs, nous amène à faire allégeance à la nécessité consistant à insérer l’Humanité dans une Démocratie d’Éducation et de Travail pour toutes et pour tous. L’on réalise d’ailleurs, par là, qu’une telle nécessité mondiale vibre au fond de la conscience collective de l’Humanité.

En tout état de cause, l’immigrant, en dernier ressort, n’obtient légalement que ce que la législation du pays d’accueil s’en tient à lui accorder. Aussi convient-il de mesurer l’attitude des sans-papier dans la condition d’existence et d’intégration qui est la leur, en tenant compte de l’hypocrisie mondiale, ou plutôt en prenant au sérieux le flou « normand » des principes qui régissent les rapports internationaux de coopération.

2. Parenthèse pour un phénomène complexe On peut classer l’ensemble des immigrés « expulsables », ceux susceptibles d’être reconduits à la frontière, en deux catégories :

- les immigrés entrés en France sans visa et qui résident clandestinement sur le territoire français,

- les immigrés régulièrement entrés en France, mais qui ont viré par la suite dans la

clandestinité, ayant épuisé la durée légale de leur séjour. C’est le cas par exemple de certains touristes, étudiants, stagiaires, hommes d’affaires, malades ou demandeurs d’asile déboutés.

Les autres immigrés résidents (carte de dix ans renouvelable), ou les naturalisés, ne sont « expulsables » qu’en cas d’incivilité notoire ou d’atteinte grave à l’ordre public. Pour les demandeurs de séjour déboutés, une lettre adressée sous forme de préavis par la préfecture demande à l’intéressé de quitter, dans un délai d’un mois, le territoire national. Au-delà de cette échéance, l’immigré tombe sous le coup de la loi et peut, en cas de contrôle policier, faire l’objet d’une arrestation. Auquel cas, il est jeté en prison ou gardé en zone d’attente ; et, une fois les formalités remplies là, il est ramené dans son pays de provenance. 4 Jean de La Fontaine (1621-1695), in Les deux Perroquets, le Roi et son Fils : Livre IV, Fable XI.

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Les étrangers, qui n’ont aucun dossier à la préfecture, bénéficient rarement d’un tel préavis. En cas de contrôle, ils sont immédiatement gardés en rétention, en attendant qu’un charter les ramène à leur lieu de provenance. Ainsi, en matière de psychologie humaine et sociale, estimons-nous, autant l’adorateur et le profanateur d’un lieu sacré n’ont pas une même conception du sanctuaire, autant le « sans-papier » désespéré et l’individu bien ou mal « régularisé » ne perçoivent pas forcément la République de la même manière. Les Ministères de l’Éducation, de la Culture, de la Formation et du Travail ont donc fort à faire pour l’harmonie du vivre-ensemble… Toujours est-il que le Comité des sans-papier (CSP 59) (ou d’autres associations similaires) intervient, par des moyens juridiques, pour faire annuler une décision de reconduite à la frontière. Mais les bonnes actions d’une organisation, dans la galère de l’immigration, soit dit en passant, restent habituellement loin du fond de la question humanitaire qui se pose à la conscience des autorités administratives, en particulier les autorités politiques (ou scientifiques), qui n’ont presque jamais éprouvé ni la faim ni le chômage, ni l’esclavage social ni « l’œil de mépris », et qui flottent en cravate à la surface des amères réalités de la masse populaire, ou sans jamais entrer dans les ghettos pour partager la misère des chômeurs et travailleurs paumés, mais feignent au contraire d’ignorer la grande distance de confort qui les met en surplomb par rapport au reste des enfants de la République. L’on peut alors risquer, en définitive, une démarche méthodologique de recherche en se demandant si les sans-papier négro-africains, déboutés ou régularisés, restent tout de même conditionnés, – même s’il s’avère que leur intégration diffère d’un individu à l’autre, d’un groupe à l’autre –, par leur « effigie » personnelle, familiale ou nationale, pour évaluer librement dans quelle mesure ces migrants influencent, à leur corps défendant, la vie sociopolitique de leur pays de provenance ou d’accueil. III. MÉTHODOLOGIE

1. Pertinence de l’objet d’étude et composition de l’échantillon La France s’interroge sur l’arrivée exponentielle des migrants sur son territoire. Elle semble aujourd’hui mettre ce sujet au premier rang de ses préoccupations de chômage galopant. Eu égard donc à l’ampleur de ce phénomène on ne peut plus d’actualité, et contre lequel se mobilisent des « radicaux », il est toujours utile que l’on entreprenne clairement d’étudier les motivations des personnes en situation irrégulière, personnes que l’on appelle familièrement les « sans-papier ». D’où la pertinence de la présente initiative, qui consiste à mesurer l’attitude des sans-papier face à la politique européenne de reconduite à la frontière. Dans la mesure où notre étude porte sur l’attitude des immigrés africains, nous avons jugé essentiel d’interroger, d’une part, quelques personnes directement concernées et, d’autre part, de discuter en détails avec beaucoup d’entre celles dont le dynamisme personnel s’inscrit dans l’envergure politique du phénomène. Ainsi, pour des raisons pratiques, Lille a été au préalable l’unique ville retenue pour notre champ d’investigation. Nous étions en effet en janvier 2006, et à l’époque le phénomène était déjà orageusement à la une des sermons politiques, et il était notamment question pour nous d’en présenter juste un travail scientifique qui prenne soin d’éviter, dans la mesure du possible, toute polémique dommageable à la « réussite notationnelle » de notre formation alors en cours.

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D’autant que ce choix urbain (la ville de Lille) n’entamait nullement la représentativité de notre échantillon évolutif (une trentaine de personnes « questionnées sur papier » à l’époque, et aujourd’hui une vingtaine de têtes supplémentaires brièvement interrogées au stylo, ainsi qu’une dizaine de familles soigneusement interviewées), étant donné que le Comité des Sans-papier » (CSP 59) a toujours regroupé en son sein des immigrés venus de divers horizons d’Afrique et d’ailleurs. En octobre 2005 déjà, le nombre de demandeurs de régularisation dans ce collectif s’élevait à plus de 4500. Aujourd’hui les chiffres de l’immigration sont en discussion, et les chalutiers de clandestins ne cessent épisodiquement de dévoiler l’ampleur progressive du phénomène. En effet il existe à Lille5, tout comme dans d’autres villes de France et d’Europe, quantité d’étrangers en situation irrégulière parmi lesquels on retrouve des demandeurs d’asile politique ou territorial, des demandeurs de regroupement familial, des malades sollicitant un titre de séjour, des étudiants en début ou fin de parcours universitaire, etc.

Aussi, dans le cadre proprement dit de la présente étude, nous sommes-nous intéressé à l’ensemble des nationalités africaines récurrentes en France, à la nature de leurs sentiments ou ressentiments envers les pouvoirs publics français ou européens, en prenant soin de mesurer leur attitude face à l’expulsion.

2. Population-cible L’étude a requis la participation volontaire des « sans-papier » à un questionnaire anonyme sur le thème de la politique française et/ou européenne de reconduite à la frontière. Ce sont en l’occurrence, disions-nous, les immigrés inscrits à l’Association des Sans-Papier (CSP 59 -Lille) et qui s’y retrouvent souvent soit pour faire le point de leur situation, soit pour organiser des marches de protestation et/ou de revendication de leurs droits. Au seuil primordial de l’étude, nous avons eu l’idée d’étendre notre recherche à un grand nombre d’immigrés afin de couvrir en entier, ou presque, les pays inclus dans l’univers de notre enquête, c’est-à-dire la population-mère. Mais à la fin, après réflexion, nous nous sommes rendu compte qu’un tel procédé serait fastidieux, voire irréalisable. Et pour deux raisons : d’abord à cause du temps académique très court dont nous disposions, et ensuite à cause de la réticence compréhensible des « sans-papier » à dévoiler aux enquêteurs leur statut social réel et leur origine nationale. Étant donné leur moindre inclination à se fier aux enquêteurs, vouloir les soumettre à des questionnaires en tenant compte de leur origine, cela leur paraîtrait non seulement comme une indélicatesse de provocation, mais aussi comme une façon camouflée de les conduire au piège de ce qu’ils redoutent : l’expulsion. En effet, notre entrée dans leur salle de réunion n’a pas manqué de susciter chez eux une certaine réaction de panique, laquelle fut plus ou moins dissipée après que l’un des responsables de l’association et nous-mêmes avons respectivement pris la parole pour expliquer les raisons de notre présence. Enfin, nous avons pu distribuer nos questionnaires aux personnes sans tenir compte de leur pays d’origine.

Les sans-papier du CSP 59, comme tous les immigrés en situation « irrégulière », sont bien au fait de cette réalité sociale, encore bien vivace, qu’est la reconduite à la frontière. À cet effet, 5 En dehors de la ville de Lille, nous avons, dans un cadre doctoral (2007-2011), fait l’effort d’ajouter à nos enquêtes de 2006, des interviews réalisées dans plusieurs autres villes de France (Paris et ses environs notamment) sur la question de l’immigration clandestine. Mais ici, dans le présent article, il s’agit exclusivement de données partiellement mobilisées pour l’élucidation de l’immigration subsaharienne en France.

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ils sont quotidiennement et silencieusement la cible de multiples arrestations policières, en plein jour et même nuitamment. Néanmoins, l’association à laquelle ils appartiennent leur donne suffisamment d’informations sur les lois européennes et françaises, leurs droits et leurs devoirs en tant qu’individus vivant sur le Territoire Schengen, et sur l’évolution de leurs dossiers à la préfecture. Certains parmi eux suivent des cours d’alphabétisation, et presque tous semblent s’imprégner assidûment des valeurs de la République.

3. Construction de l’échelle d’attitude Nous nous efforçons de procéder à la mesure de l’attitude par un questionnaire composé d’items fournissant aux interviewés l’occasion de s’exprimer en précisant le degré de leur conviction intérieure. Cette mesure basée sur l’expression verbale de l’opinion a alors permis de déterminer l’attitude qui s’y réfère d’ordinaire. Nous rappelons que notre hypothèse générale stipule que les « sans-papier », malgré les privations (en général ils n’ont pas droit à l’embauche) et les contrariétés qu’ils subissent, sont peu favorables à l’idée d’un retour au pays d’origine, et ils éprouvent de surcroît des sentiments de colère ou de dépit à l’endroit des pouvoirs publics. Nous émettons, dans cet ordre d’idées, une spéciale sous-hypothèse particulièrement répartie en trois rubriques. À savoir : les « sans-papier » redoutent l’expulsion pour des raisons suivantes :

- raisons affectives et sanitaires - raisons politico-socio-économiques - raisons culturelles ou intellectuelles.

Pour exprimer leurs opinions, les sans « sans-papier », après avoir indiqué leur tranche d’âge, leur genre, situation familiale et catégorie socioprofessionnelle, sont amenés à choisir des opinions, à cocher une parmi les nuances qui y sont rattachées :

- Tout à fait d’accord - Plutôt d’accord - Plutôt pas d’accord - Pas d’accord du tout

Les informations visées à travers les opinions, et que nous avons tâché de formuler le plus simplement et clairement possible, étaient relatives aux motivations qui pousseraient les immigrés à choisir de rester dans l’Espace Schengen, et à s’opposer à l’idée d’une reconduite au pays d’origine. En effet, en leur demandant pourquoi ils n’aimeraient pas retourner définitivement dans leur pays de provenance, nous leur donnons par ricochet l’occasion de dire les raisons qui les auraient poussés à prendre le chemin de l’exil. Les questions ont été rédigées en tenant compte de chacune des composantes d’une attitude :

- Dans la composante affective, des questions sur ce que les immigrés ressentent à l’égard de la politique française et/ou européenne de reconduite à la frontière.

- Dans la composante cognitive, des questions sur ce que les « sans-papier » savent sur

l’expulsion ou sur les conséquences qu’elle entraînerait pour eux.

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- Dans la composante comportementale, des questions sur leur comportement face à l’expulsion et sur leur implication dans le « combat » pour la régularisation.

4. Collecte des données Nous précisons que pour recueillir les informations, il nous a fallu choisir entre les méthodes d’enquêtes telles que l’observation, le questionnaire ou l’interview. Au regard de l’objet d’étude, l’observation ne nous a pas paru pratique. L’interview, quant à elle, était envisageable car elle était censée nous permettre de recueillir un certain nombre de détails sur la question. Mais si, au préalable, elle n’eut pas été adoptée, c’était à cause du climat politique délétère dans lequel se trouvaient les « sans-papier », de même qu’à cause de la longueur de temps et des difficultés interpersonnelles qu’impliquait une telle méthode. Le questionnaire, en revanche, nous a pas paru l’outil le mieux adapté. En effet, avec l’avantage de l’anonymat, il donnait aux « sans-papier » la latitude de répondre très librement aux questions qui leur étaient posées ; et ce, d’autant qu’ils eussent besoin de se sentir à l’abri de toute présence suspecte. Nous l’avions donc adopté sans hésiter. Mais, à vrai dire, c’était à partir de 2007, dans notre initiative doctorale de recherches en Sciences de l’Éducation à l’Université Paris 8 (Équipe d’ESCOL), que nous avons véritablement commencé à éprouver un réel intérêt pour les interviews biographiques (cf. Demazière et Dubar, 2007) ou de resocialisation, celles proprement dites des familles migrantes, en les utilisant comme un incontournable outil d’éclairage d’un phénomène pas du tout facile à pénétrer par des questionnaires écrits, et dont ce fut d’ailleurs avec frustrations que nous avions clos nos premières conclusions en 2006. Conçu donc, en quelque sorte, pour nourrir un tant soit peu la réflexion sur l’immigration et non pour offrir l’occasion à la négrophobie de sévir davantage à l’encontre de celles ou ceux qui n’ont d’autre ambition que de s’intégrer au plan socioprofessionnel du terme, le présent article trouve en effet un supplément épistémologique à notre thèse de doctorat (2012) portant sur l’échec et la réussite en milieu interculturel français et immigrant. IV. ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS

1. Opinions et sentiments des sans-papiers Pour cette série d’items, les « sans-papier » devaient s’exprimer sur leurs sentiments à l’égard de leur situation irrégulière, à savoir que presque tous n’ont légalement accès ni au travail, ni au logement ni aux allocations familiales. Bien qu’étant averti que « les sentiments ne se réduisent ni à des réactions extérieures, ni à des états purement intérieurs, mais possèdent une intention, une signification spirituelle » (Maisonneuve : 1964, p. 51), nous exhortons tout de même les « sans-papier » à dire à leur manière ce qu’ils ressentent face à la reconduite à la frontière, à exprimer leur sentiment à l’égard des lois françaises et/ou européennes sur l’immigration, de même qu’à dévoiler leurs appréciations à l’endroit des pouvoirs publics. Ils devaient enfin dire leur opinion quant à l’idée d’un retour forcé ou définitif au pays d’origine. Les indications suivantes ont été obtenues :

- 100% de l’échantillon vivent quotidiennement dans la peur de l’expulsion. Toutefois, il appert que 20% se sentent à l’aise dans leur situation irrégulière,

- 93% considèrent l’expulsion comme une situation humiliante,

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- 80% éprouvent l’angoisse à la vue d’un policier,

- 80% se déclarent dégoûtés par les lois sur l’immigration, - 86% se disent en colère contre les pouvoirs publics français à cause de leur situation

irrégulière.

Au total, les « sans-papiers » se déclarent à 86% en moyenne confrontés à des contrariétés morales et physiques, à la peur de la police, à l’existence angoissée que traduit pour eux la reconduite à la frontière, de même qu’à des sentiments d’inconfort face à leur situation irrégulière quant à l’humiliation de l’expulsion. Il se trouve en effet qu’ils éprouvent des sentiments d’humiliation, d’énervement ou de colère contre les autorités françaises.

La mesure nous a permis de vérifier une partie de notre hypothèse selon laquelle les « sans-papier » subissent des travers face à leur situation irrégulière et éprouvent des rancœurs à l’endroit des pouvoirs publics français. En référence aux réponses données, il apparaît que la colère des « sans-papier » se greffe sur la précarité de leur situation irrégulière, et un tel sentiment de colère peut s’interpréter de la façon suivante : nous sommes involontairement en situation irrégulière et nous avons des difficultés de tous ordres ; les autorités publiques ont donc tort de nous reconduire à la frontière. Mais vive toutefois le roi qui nous fera « vivre » !

Ainsi donc les « sans-papier » – comme des coursiers du manège missionnaire – qui ne soutiennent point tel ou tel programme mais tel ou tel candidat, semblent aiguillonner leurs sentiments « publicitaires » pour porter haut un « doux visage faiseur du bien » et l’introduire sans débat dans leur barque intenable d’intégration, assez collectivement prompts à s’assurer tout de même que rien ne les obligerait à suivre le sens contraire de leur projet de resocialisation. Et ceci, quand bien même leur statut de « sans-papier » est sans conteste synonyme de « non-votant ».

Une telle posture statutaire qui, a priori, semble enfermer les clandestins dans une impasse illogique de double contrainte (le clandestin étant doublement perçu comme un « indésirable » et un « illégal »), ne les conduit pas pour autant à vider leur exil de ses motivations premières. Pour nous en éclairer, nous nous sommes d’abord permis de les interroger sur leurs différents avis quant à leur mélancolie à l’idée d’un retour forcé au pays d’origine, et ensuite nous les avons abordés sur les raisons qui justifieraient une telle humeur de réticence.

2. Résistances ou réticences à l’idée d’un retour forcé au pays d’origine Au dépouillement des avis recueillis et à l’analyse qui précède, il s’ensuit qu’il existe de différentes raisons qui motivent la propension des « sans-papier » à s’opposer à l’idée d’un retour forcé dans leur pays d’origine. Il s’agit de raisons affectives et sanitaires, de raisons socio-économiques, et de raisons culturelles et/ou intellectuelles.

a. Raisons affectives et/ou sanitaires À l’item : « Vous êtes amoureux (se) d’une personne ici en France, c’est une bonne raison de ne pas retourner dans votre pays », 47% des « sans-papier » sont d’accord contre 53% d’opinion contraire. Les avis sur cette question sont donc presque équitablement partagés : à moitié favorables et à moitié non favorables. Ce qui semble important ici à noter est l’incidence moyenne des raisons affectives sur le rejet d’un retour obligatoire au pays d’origine.

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De même, l’idée d’un retour (libre ou forcé) au pays pour retrouver sa famille a recueilli un faible taux d’avis favorables, 26% seulement. Ce qui révèle que 74% de l’échantillon n’envisagent pas un retour motivé par des arguments d’attachement affectif à leur famille (parents, frères ou amis restés en Afrique). En conclusion, les raisons d’attachement familial auraient peu d’incidence sur la probabilité des « sans-papier » à retourner volontiers dans leur pays respectif, alors que celles d’une relation non-parentale d’amour semblent relativement plus considérables par rapport à leur réticence à quitter la France. Cela est d’autant plus expressif que l’échantillon révèle 59% de célibataires, 27% de concubins, 7% de divorcés, soit 93% de personnes susceptibles d’un lien d’amour effectif au sein du territoire européen.

Et qu’en est-il alors des raisons sanitaires ? À ce sujet, plus de la moitié de l’échantillon est d’avis favorable. En clair, 65% des personnes interrogées pensent qu’un retour au pays comporterait des risques de dégradation pour leur santé. Il est probable que cette appréhension soit un reflet réactionnaire de leur part à l’égard du caractère déliquescent de l’appareil hospitalier ou sanitaire en Afrique. D’autant qu’en effet, et soit dit en passant, les dirigeants politiques subsahariens sont eux-mêmes éminemment friands de visites médicales en Europe.

Mais avant d’oser en dire davantage sur les raisons affectives et/ou sanitaires qui sont au rendez-vous de notre mesure d’attitude, nous pourrions, en nous basant sur l’opinion même des « sans-papier », souligner la pertinence de l’affect et du sanitaire en ce qui relève de l’aspiration de l’humain et des collectivités, en profiter pour évoquer le paradoxe que cache le conflit d’échanges entre un étranger et un natif de souche lorsque ce dernier, en dépit des prérogatives officielles que lui concède son statut d’autochtonie, s’avoue convaincu que son malaise économique (ou psychologique) est largement imputable à l’immigrant qui, lui plutôt davantage désemparé, se retrouve profondément empêtré dans une désolation sans nom, essayant avec peines d’acquérir sûrement son droit humain à la citoyenneté.

Personne ne devrait donc oublier qu’« au XIXe siècle on trouvait les indigènes si différents de nous qu’on jugeait impossible de leur inculquer le modèle européen ou même de leur accorder la citoyenneté française » (Bruckner : 1983, p. 200). Mais saurait-on dire exactement ce qui, dans l’épiderme, rendrait ainsi, à lui seul, les « Aryens en kaki d’uniforme et bottes » ontologiquement supérieurs aux « indigènes en tenue d’Adam » ? Heureusement, la lucidité de l’actuelle époque identifie une sorte d’égalité entre les humains, une logique du droit qui fait voler en éclats les anciennes idéologies dévastatrices, et situe la dignité humaine par-dessus tous les critères dermiques, religieux, économiques ou culturels.

Ainsi, désormais, nul n’aurait sérieusement besoin de nier l’urgence d’entraide humainement éligible pour l’avancement collectif du « sans-papier » et du citoyen. Mais une telle possibilité sociale d’étreinte cordiale populaire aura-t-elle jamais les chances d’aboutir pleinement dans la mesure réelle où déjà le migrant et l’autochtone se méfient « royalement » l’un de l’autre, où les deux personnalités en présence nourrissent (chacune bien calfeutrée dans ses propres illusions et phobies) de troublants préjugés l’une à l’endroit de l’autre, où des familles migrantes couvent en privé des appréhensions à l’égard de la population autochtone ?

Toi-même tu sais que les Blancs de ce pays, tous, ils ont dedans un vilain fusil qui est caché dans leur cave. Comme ça le jour que Marine elle va crier (ordonner) que ses hooligans n’ont qu’à tabasser les Noirs partout, on va même plus trouver où se coucher. On pourra même plus entrer dans les métros, on pourra même plus entrer dans Auchan (…) Ou bien tu penses que les présidents d’Afrique ils vont envoyer gros avions pour nous ramasser ? (…) C’est inutile même de compter sur les présidents bizarres d’Afrique. Eux ils pensent que voler l’argent d’Afrique…, ils pensent qu’à

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tuer les Africains qui dansent pas pour eux (Florence, mère de famille, d’origine ouest-africaine).

Ainsi l’immigration semble parfois se préoccuper d’exprimer elle-même ses phobies à l’endroit de la population qui l’accueille ; mais la réalité plausible est que la population d’accueil, qu’il s’agisse d’une autorité publique ou de citoyens ordinaires, n’en a presque souvent que faire au concret. L’Élysée et la Francophonie, en toute bonne diplomatie, s’en vont sensibiliser les populations africaines sur la générosité de l’Occident à les délivrer de la terreur des « mercenaires izilamis » ; les populations africaines sont plutôt davantage terrorisées par leurs propres « dirigeants forts » qui redoutent l’alternance au pouvoir6. L’Élysée et ses Généraux s’efforcent loyalement de rassurer le peuple français à propos d’une inversion possible et imminente de la courbe du chômage ; le chômage n’étant pas une courbe, le peuple français (d’ailleurs incrédule comme un Thomas) en est plutôt obnubilé par des vagues de clandestins et semble vouloir même s’en remettre à la « stratégie Marine ».

Ce qui est d’ailleurs suffisamment complexe, – en sinus de frictions avec les aspirations du peuple –, c’est que les promesses politiques se révèlent généralement difficiles à tenir, notamment en période de graves crises économiques où tout est tragiquement possible et où rien n’est simplement donné, ni à l’immigrant « beurre », « noir » ou « café-au-lait », ni à « l’immigrant autochtone », ni même au natif leucoderme ou « pure laine ». Mais ne sont-ce pas les crises socio-économiques qui, lorsqu’elles parviennent à être gérées ou surmontées déontologiquement, donnent substantiellement au peuple une capacité objective d’entrer en possession de ses droits républicains en assumant au mieux ses devoirs de citoyen ? L’on semble étrangement s’indigner comme si, naïvement d’une part, le politicien aurait vocation à se comporter comme une paroissienne « radoubeuse d’enfants »… ; et, curieusement d’autre part, l’on s’enthousiasme servilement comme si le verbe électrique d’un tribun suffirait à transformer un fraudeur d’État en « Abbé Pierre », ou fournirait de moelleuses panacées aux aléas d’une Coopération internationale devenue quasiment sans âme.

Le monde entier a ainsi pu regarder (en direct ou en différé), abasourdi ou médusé devant un poste téléviseur, l’humiliation épouvantable infligée à un président socialiste négro-africain, à son épouse, son fils, ses collaborateurs et à son vaillant peuple, par de grotesques terroristes téléguidés de l’extérieur, et qui – au comble de l’iniquité – se réclamaient d’un nom diplomatique à cacher les « Horreurs de la Métropole ». La Communauté internationale n’existerait-elle que dans une sorte de pléiade nébuleuse ? N’est-ce pas le gangstérisme politico-militaire, durablement perpétré en Afrique, qui fragilise les ressorts institutionnels de la démocratie sur le continent ? Comment dès lors de longues séries de diplomaties ruineuses, de traumatismes psycho-répressifs, peuvent-elles créer un climat de confiance et de loyauté réciproque entre les peuples africains eux-mêmes, entre les « États saccageurs » et les « États saccagés » ? Quelle paix mondiale peut-on sûrement établir en définitive entre les gouvernements opulents dits « rois hyperpuissants des richesses de ce monde » [ou dénommés "GSD" (Grands Seigneurs Décideurs)] et les gouvernements de figuration dits « officiants grenouilleurs d’autel » [ou surnommés "ABDO" (Apôtres Bien Dressés pour Obéir)] ? Et pourquoi feindrait-on alors de se préoccuper d’une jeunesse africaine qui se suicide en prolongation dans l’océan ?

6 Aucune opposition politique, nous semble-t-il, n’a logiquement vocation à demeurer ad vitam dans l’immobilisme et le culte débile de la personnalité d’un « chef inamovible », mais à constituer un bloc mutant en progression, ou provoquer un cadre institutionnel de progrès socio-juridique par des élections démocratiques et non dramatiques, c’est-à-dire des élections entièrement libres et transparentes par le peuple et pour le peuple.

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Les faux-semblants d’amitié ou de partenariat, les terrorismes criminels d’État, les silences diplomatiques de l’hypocrisie politique, les démagogies de cimetière ou les machiavélismes de piètre aloi, etc., ont fini par jeter un irréversible discrédit sur les organisations internationales, tandis qu’à l’opposé l’humain se demande en son for intérieur : « Comment vivre en paix avec nous-mêmes et avec les autres ? » (Krishnamurti : 1970, p. 59) ; encore faut-il rapidement s’accorder pour reconnaître que la vraie politique se fait pour assainir les rapports humains, et non pour allumer des feux ravageurs ne pouvant servir en définitive qu’à leurrer ou se leurrer, à déclencher des enjeux d’apprenti sorcier…

Politiciens blancs ils connaissent comment tromper « zozo d’Afrique »… On vient nous rassembler, on nous dit ça y est, c’est prêt : « Experts vont régler vos problèmes »… Alors que, … au fond, c’est experts eux-mêmes les petits sorciers qui font « renards-bouche-de-miel » pour flatter « corbeaux-zozo » (…) Notre fromage il tombe avec l’odeur, et renard il s’en saisit pour laper à son gala (Un agent retraité d’une Compagnie de Chemin de fer).

En ce sens la vie publique et politique s’avère continuellement un cadre d’expériences jonché de tous les possibles, de tous les jeux, même des plus dangereux, des plus frauduleux. Mais une telle vie politique de duplicité tend à verser dans une gigantesque hypocrisie où des âmes bien-pensantes semblent cesser de l’être tout en gesticulant verbeusement, non en vertu de ce qu’elles possèdent vraiment comme culture scientifique, mais machiavéliquement sur la base d’un folklore coiffé de la calotte financière d’un groupe de « renom » auquel elles appartiennent officiellement ou en secret.

Toutefois, si l’immigration semble régie par des aspirations humaines impérieuses et légitimes, ces aspirations ne peuvent que nécessiter le chemin clairvoyant d’un développement qui tienne compte de l’intérêt de toutes et de tous, de toute la citoyenneté de la Vie ou de la Terre7, et qui ferait la charpente solidement saine des rapports socioculturels entre les peuples.

En conclusion, les raisons sanitaires et psychoaffectives entrent largement en ligne de compte des motivations liées à un non-retour peu ou prou définitif au pays d’origine.

b. Raisons socio-économiques

Nombreux sont les « sans-papier » (66%) qui affirment que leur expulsion au pays serait synonyme de leur régression socio-économique. 87% considèrent d’ailleurs l’expulsion comme une violation de droits humains. De même, ils sont unanimes à 93% à être réticents à l’idée d’un retour forcé au pays d’origine, à cause de la conséquence économique d’un tel retour. La réaction à l’item stipulant « Retourner dans votre pays vous obligerait à assumer certaines charges familiales » semble renforcer cette opinion. Ils sont en effet majoritaires à penser qu’un retour au pays les obligerait à faire face à une situation familiale économiquement déplorable. À considérer les réponses de l’item énonçant : « Le mode de vie

7 Il s’agit pratiquement d’une citoyenneté mondiale qui refuserait de se laisser réduire à une « secte politique » dont le sanctuaire des « adeptes conditionnés » irait s’effritant sur des « causes illusoires d’en haut ». L’on pourrait comprendre en ce sens l’attitude singulière d’un individu apparemment dérangé qui, sous le soleil de Cotonou, s’arrêta brusquement au pied d’une statue de la Révolution et l’interpella très nerveusement : « Jacob, descends ! La révolution ne se fait pas en haut ». Nous avouons pour notre part que l’on ignore précisément à quoi correspondrait ce prénom commun de Jacob dont l’énigmatique passant a dû affubler le symbole public béninois. Peut-être se référait-il bibliquement à l’échelle de Jacob (Genèse XXVIII : 11-19). Mais il est clair que le message d’interpellation donne tout de même à réfléchir à tous les vrais humains de la planète.

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de la société française pour vous est difficile, vous comptez retourner dans votre pays », nous observons que la vie apparemment difficile de la société française ne semble rebuter les « sans-papier » qu’à une très faible proportion.

Les souffrances qui caractérisent l’expérience migratoire des « sans-papier » montrent qu’un retour forcé au pays, une reconduite à la frontière, ou plutôt une décision judiciaire à l’encontre de leur désir de poursuivre leur vie sur le territoire européen, saperait les plus intimes aspirations économiques par lesquelles leur existence trouve facilement un sens. Beaucoup d’entre eux estiment que leur audace d’exil représente le plus grand espoir financier pour leurs parents restés en Afrique. De même 98% de l’échantillon, ou presque tous, ont une propension aiguë pour la solidarité familiale, et, en dépit du fait que ce soit l’argent qui leur manque le plus, ils en trouvent paradoxalement un reliquat solidaire à expédier à celles et ceux (enfants, parents, grands-parents, etc.) qui ont le cœur moralement censé rattaché à leur exode.

(…) si on vit c’est pour nos enfants et nos parents, si on meurt aussi c’est pour eux. C’est normal, donc c’est vrai si on vit on doit faire tout ce qu’on peut faire pour contribuer (atténuer) leur souffrance... Même un peu wès (argent expédié par Western Union), faut envoyer ! Un peu d’argent de France, si on change ça là-bas dans l’argent d’Afrique ça devient un peu beaucoup, les parents et les enfants là-bas ça peut les aider pour manger, habiller, soigner… (Lydia, mère de famille ayant deux enfants restés en Afrique chez ses grands-parents).

L’on ne saurait donc prendre à la légère des déclarations de personnes visiblement affectées par le besoin et le désir d’avoir des ressources financières suffisantes pour dissoudre la misère qui bat son plein dans leur pays de provenance, et qui éprouvent de surcroît une volonté de charité à l’égard des personnes plus ou moins proches de leurs préoccupations spirituelles et matérielles : « Quiconque souhaite réaliser en son entier le principe de charité se doit nécessairement d’être riche, tant au plan spirituel pour appliquer correctement la loi d’amour que sur le plan financier pour procurer aux autres ce qui leur manque de manière apparemment injuste (Bouet : 1995, p. 79).

Ainsi donc la logique dans laquelle les populations migrantes s’inscrivent en décidant de s’embarquer, à leurs risques et périls, sur un chalutier clandestin, lève le voile sur le désarroi intérieur profond qui entache leur aventure tout à fait humaine et justifiée. C’est en fait la situation socio-politico-économique intenable de leur pays d’origine qui leur impose un exil de tous les possibles, et qui leur indique derechef une telle tentative d’auto-libération à la fois périlleuse et vitale, en raison de leur frustration personnelle à regarder les nantis jouir d’une opulence qui crève les yeux et pousse des « forçats de la faim » à se livrer à la merci du hasard.

On cotise argent, après on saute dans calebasse (pirogue) du mauvais capitaine. Après, c’est tant pis la mort. Au moins on sait que rêve peut devenir réalité… Vaut mieux que tu vas risquer pays des Blancs et mourir que tu vas crever dans Sahara d’Afrique sans gagner la chance. Alors, si ça marche c’est bon, alors si ça marche pas, ah !, les autres eux ils continuent s’ils peuvent continuer…

- Et si vous preniez un visa, pas mieux ?…

- Haaa ! Toi tu crois que Blanc donne visa comme ça ? Blanc donne jamais visa à tête de nègre (analphabète) qui possède pas diplôme. Tu présentes faux passeport, et puis Blanc te tamponne refus ! Mais avec piroguier y a pas tampon de refus, tu donnes

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seulement beaucoup l’argent… Passeur lui il demande pas ton diplôme hein ! (…) Seulement si tu vas mourir tu meurs mal, si tu vas vivre tu vis bien. (…) Mourir là, c’est pas ça qui est compliqué hein ! C’est la chance qui te donne la vie… (Seydou, marié, ex-clandestin, agent de sécurité).

Les vociférations tonitruantes, orchestrées depuis de nombreuses années, par les tenants de l’extrémisme qui manient le verbe sur des antennes médiatiques, corroborent évidemment qu’il est plus raisonnable aux candidats clandestins à l’immigration d’aller mourir téméraires en mer, qu’aux « diplômés-paumés » d’obtenir un faux visa touristique dans un consulat qui a déjà cessé d’ignorer que la « galère tropicale » rêve d’aller tenter ses chances au « pays des leucodermes ».

En Europe, petit chômeur en foulard de gorge (cravate) il a cent chances plus que planteur qui débroussaille champs d’Afrique. Si je pense faux, faut me couper la parole. Moi ici, si je tombe en bas, mon assurance va m’envoyer ambulance tout de suite. Je paie pour ça ! Mais là-bas, chez nous-là (en Afrique) [silence]…, c’est chômage matin, midi, soir ! Donc Marine-là, elle n’a qu’à venir nous attacher pour renvoyer dans pays où il y a pas travail. C’est ici même on va lui demander ce que Blancs eux ils vont chercher depuis en Afrique (…) On va lui demander dans quelle école elle et son vieux papa ils ont fait leur diplôme contre les étrangers (Michelle, jeune femme d’entretien d’espace, célibataire). Au demeurant, analyser la situation des clandestins donne lieu à l’hypothèse qu’une vraie solution demeure possible pour l’amélioration sincère et non politicienne des conditions de vie de nombreux pays agonisants du Sud, et qu’il existe des personnes suffisamment responsables dans le monde pour aborder le problème avec un respect digne d’une politique à visage humain. Une telle conjecture n’est pas superflue à la lumière du droit qui exhorte d’agir en conformité de la morale humano-sociale, ou en accord strict avec les principes juridiques en vigueur et rigueur. Et à ce titre, les « sans-papier » sont visiblement peu favorables à l’idée d’un retour définitif chez eux et justifient massivement cette réticence par de cruels besoins d’emplois (ou problèmes économiques et politiques poignants) dans leur pays d’origine. c. Raisons culturelles et/ou intellectuelles La mesure d’attitude nous a permis de vérifier chez les « sans-papier » l’incidence des raisons culturelles ou intellectuelles sur leur refus de retourner au pays d’origine. Le fait que 55% n’envisagent pas de retourner dans leur pays après leurs études peut prêter à équivoque, étant donné que ce pourcentage se trouve plus de cinq fois supérieur au pourcentage d’étudiants (10%) présents dans notre échantillon. À tout le moins, on peut s’en tenir à une interprétation selon laquelle les « sans-papier » voudraient dire par là que l’obtention d’un diplôme ne saurait constituer la raison suffisante d’un retour définitif dans leur pays. L’étudiant noir il fait attention, il sait que s’il retourne comme ça les mains vides en Afrique, même sa maman va pas trouver l’argent pour alimenter son ventre. Au contraire la maman même elle attend depuis que tu vas lui amener les jolis cadeaux de France… Même les tantes, tout le monde va te guetter que tu vas les aider avec ton diplôme de Paris. Mais gare à toi, si tu quittes la France et tu rentres en Afrique sans

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voiture et sans l’argent, c’est tant pis pour toi…, ta souffrance va faire pitié même aux enfants « nus sans caleçon »… (Fanny, tresseuse). La misère s’élargissant de jour en jour à toutes les couches de la masse populaire, et plus particulièrement au niveau des familles migrantes d’origine subsaharienne, les plus diplômés des migrants se demandent ouvertement par quel miracle eux-mêmes parviendraient du fond de leur « naufrage » – ou plutôt de leur chômage absurde – à faire émerger un projet rentable dans leur pays d’origine, sans de surcroît se retrouver dans un tourbillon d’aberration politique socialement plus ravageur que les tribulations de l’exil. En effet la question culturelle ou intellectuelle, souvent évoquée par les sans-papier pour justifier leur refus de rentrer au bercail, n’a de sens que prise dans le contexte de la globalisation actuelle de l’économie du savoir, et cela rend bien compte du conflit qui secoue les intellectuels migrants en face des problèmes d’embauche8 dans leur espace socioprofessionnel et qui fait rarement la part belle à celles et ceux qui, même en situation régulière, ne peuvent aisément éviter de se faire prendre pour des personnes venant d’ailleurs. Cela permet par ailleurs de saisir à quel type de défi le conditionnement identitaire expose l’individu migrant, qui a la contrainte de traîner sa peau au milieu d’un monde interculturel ségrégationniste, et dont les entraves d’insertion coïncident malheureusement avec de douloureux critères épidermiques. « Yovotaduno nyowu ameyiboklake » (« Un Blanc débile serait encore préférable à un Noir assumant bien une haute fonction administrative »), disait un père de famille qui encourageait tout de même sa progéniture à rivaliser d’ingéniosité avec un « Yovo lia apudzi » [« Un Blanc marin (capitaine) qui gravit de hautes mers »], ou damer le pion au « Grand-Amiral blanc qui supervise un bâtiment flottant sur l’Océan profond ». Il appert en clair que l’impérieux devoir du citoyen migrant ou autochtone est, pour l’ensemble du partenariat social, la possibilité de surmonter les préjugés préjudiciables à l’harmonie du vivre-ensemble parmi les nombreuses confrontations de l’environnement culturel. Or la violence de telles confrontations ne peut guère se limiter aux quartiers habituellement dits sensibles, où l’on suppose qu’il soit facilement tentant aux « immigrés » d’exhiber leurs pancartes de frustrations pour narguer les autorités en excès de pouvoir ou de courroux. Il n’y aurait plus, au contraire, à démontrer que ces quartiers dits sensibles, « noircis d’immigrants », ne le sont en fait pas moins psychologiquement que les quartiers réservés aux riches puissants qui, nous n’exagérons en rien, semblent habituellement à l’article de toute suspicion vis-à-vis du peuple. Ainsi, sur ce plan, personne n’oserait nier sérieusement qu’autant les quartiers des pauvres que ceux des riches appartiennent humainement à un espace de conflits en latence (ou déjà carrément ouverts), même si les quartiers indexés sont classés « ZEP » (Zone d’Éducation Prioritaire) au moyen d’une échelle d’ébullition sociale différentiellement observable. Les sans-papier, qui n’ont souvent d’autre choix que d’être clandestins, vivent néanmoins naturellement dans une position conflictuelle d’accès à un statut graduellement valorisant, et une telle « démangeaison statutaire » n’exclut chez eux, a priori, aucune forme de friction imprévisible ou prévisible ; notamment lorsqu’il s’agit, au

8 Réagissant dans son pertinent ouvrage intitulé Mensonges et vérités sur la question noire en France, le professeur Bernard Zongo (2006, p. 142) précise au sujet de la négrophobie : « (…) : la communauté noire possède parmi les immigrés le plus fort pourcentage de personnes hautement diplômées (plus de 12% de personnes titulaires d’un diplôme supérieur à Bac+2 ; – plus de 8% de Bac+2 : – près de 15% de titulaires du baccalauréat ou du brevet professionnel – le pourcentage de personnes ne possédant aucun diplôme est situé en 5ième position avec 46,1% après le Portugal (72,9%), l’Algérie et le Maroc (60,8%), l’Italie (51,3%) et l’Espagne (49,1%). Paradoxalement c’est cette population qui souffre le plus du chômage ».

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faîte de l’imaginable, d’un espace à couteau tiré où l’intégration paraît sournoisement une question de couleur dermique ou, a fortiori, celle d’un nœud d’aptitudes socialement compliqué à démêler. Au final, ce sont 82% de l’échantillon qui apprécient la qualité de l’enseignement français pour leurs enfants ; ce qui, à leur avis, semble une raison suffisante pour ne pas quitter la France. Par contre, il faut noter que les problèmes religieux entrent apparemment peu en ligne de compte (38%) pour les motivations relatives à un refus de retour forcé au pays d’origine. Malheureusement ou plutôt heureusement, et soit dit en passant, l’époque où l’on pouvait scander politiquement sur un podium que « la France, on l’aime ou on la quitte » est culturellement révolue. La France, c’est pays du monde entier ! C’est à cause même du bonheur de France que Hongrie et Roumains de France aiment la France ! Chinois de France aussi aiment la France ! Même Africains pauvres de France ils aiment la France, y a même pas choix pour eux. Conclusion, la France c’est rêve du monde entier, c’est ça même la démocratie du paradis (…). Regarde, il y a deux têtes dans politique : à gauche, c’est démocratie de Paris-paradis, à droite c’est démon-crachat d’Afrique… En Afrique, les gros imbéciles (rebelles) ils tirent fusils de guerre pour massacrer les gens, les enfants ils sont découragés, ils veulent aller en haut et ils sont toujours en bas, ils s’en vont prendre bateau, c’est directement l’Europe dans l’eau (l’océan). (…) Parce que les Blancs font démocratie de Paradis chez eux, ils envoient « crachat de démon » chez les frères d’Obama [Noirs du Kenya ou d’Afrique]. (…). C’est pas normal ça… Blancs qui fabriquent fusils aiment trop diamant des Noirs (Mourtala, ébéniste et jardinier). Aujourd’hui, les discours excessifs paraissent introduire une confusion opaque entre l’immigrant et l’accueillant, et, qui plus s’avère, il n’est désormais plus simple à la démagogie de conjuguer de beaux verbes et faire marcher des foules aux pas cadencés comme des soldats nazis, parce qu’il sied moralement à chaque citoyenne, à tout citoyen d’aujourd’hui, qu’en un tournant décisif de la République où la vie économique devient âprement mondialiste, les valises de mots ne peuvent dorénavant que perdre rudement leur pouvoir de séduction sur les masses populaires par rapport aux vraies exigences du vivre-ensemble que posent, en éclats solaires, la coopération entre les peuples et leurs capacités à produire de vraies richesses.

Pardon woooh !, Africain noir, toi-même tu vas m’expliquer coopération. Parce que … même un fou d’Adjamé n’a plus temps pour croire coopération des Blancs. Donc tu sais, maintenant tu vas me dire la vérité : coopération-là, est-ce que c’est valise de paroles pour piller richesses des Africains, ou … c’est parole d’amitié pour nous chasser dehors ? (…) Laurent lui-même a dit que c’est ça qui est la vérité. Parce que c’est maintenant-là …, nous on refuse d’avaler faux discours des « grattés »…

- Ça me paraît un peu sombre ! S’il vous plaît, « discours des grattés », c’est-à-dire… ?

- C’est comme ça tu veux me jouer ? Toi t’as pas répondu ma question, et tu veux que moi je réponds pour toi !… (Édith, célibataire, sans-papier).

On peut supposer, à la lumière de l’extrait du dialogue qui précède, que c’est parce que les expériences culturalo-politiques, celles des plus riches parmi les pays dits pauvres, ont certainement des aspects irréductibles (qui ne se laissent plus longtemps étouffer), qu’il est désormais imprudent d’utiliser de vieilles méthodes peu amènes en espérant des résultats

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bénéfiques aux deux bouts du fil de la coopération. « À vin nouveau, outres nouvelles »,9 enseignait un Nazaréen qui n’était pas du tout un vulgaire professeur de « révolution à rebours », mais un Incorruptible Mystique de Résolution.

Qu’un tel « sermon christique » ne soit pas en divorce d’avec les morales idéologiques qui entendent résoudre les milliers de faux problèmes de paix que combattent aussi bien les élites politiques et/ou scientifiques que les civils religieux ou « moralistes », nous l’exposons furtivement à seule fin de silhouetter une réalité de conflits interminables qui n’épargnent et n’épargneront personne dans ce monde de structures fixistes ou dont les leviers normatifs, sortes de queues de baleines, se révèlent paradoxalement plus encombrants, plus stressants et plus lourds que les fardeaux sociaux à soulever impérativement.

Cette réalité psychosociale du monde d’aujourd’hui semble marier, avec sinistres et fracas, le débordement d’objections de nombreux peuples entièrement ruinés par de multiples « coopérations frelatées », un consortium de diplomaties distillées aux « planteurs d’ananas », dans un asservissement ayant vocation à exploser tôt ou tard comme une fermentation au visage de son instigateur :

« La ruse la mieux ourdie Peut nuire à son inventeur ; Et souvent la perfidie Retourne sur son auteur. »10

Cela nous donne l’occasion, au passage, de saisir le paradoxe intime de l’attitude du « sans-papier » : si l’exil a ses droits, ainsi que ses devoirs, raisonne-t-on, un tel exil aléatoire n’est nullement facile à vivre en tant qu’une aventure humaine hasardeuse ; et, spécule-t-on davantage, une telle aventure humaine est doublement difficile à gérer lorsque, de surcroît, elle s’associe lourdement aux effets pervers d’un néonazisme dont le caractère autodestructeur échappe drôlement à la mentalité des idéologues en costume et médailles, cruellement arbitraires, qui se donnent pour mission de diriger le monde par des séries d’arrogances criminelles, de manipulations occultes ou d’atrocités fascistes11.

Au total, notre sous-hypothèse semble suggérer, elle aussi, que les « sans-papier » (100% de l’échantillon) redoutent l’expulsion et sont peu enclins à prendre le chemin résolu d’un retour définitif à la source. Et ce, pour des raisons notamment affectives ou sanitaires, socio-économiques, intellectuelles et/ou culturelles.

CONCLUSION À l’issue de cette analyse apparemment tumultueuse, nous avons quelque peu connaissance de l’opinion des « sans-papier » sur leur propre situation irrégulière et sur la politique européenne de reconduite à la frontière. En d’autre sens, l’immigration n’a d’autre choix que 9 Cf. L’Évangile de Matthieu IX : 17, in La Bible. 10 Jean de La Fontaine (1621-1695), in La Grenouille et le Rat. 11 L’une des tâches essentielles de la culture est de promouvoir l’intelligence constructive d’une coopération épanouissante entre les peuples, et non la violence meurtrière d’un despotisme en bottes de brute. Et si, en âme et conscience, l’on ne barre la route à la politique sans éthique qui reprend place aujourd’hui dans nos assemblées, la Tragédie de l’Histoire, une fois encore, nous réservera de ses horreurs parmi les pires, comme l’avait autrefois prédit Arthur Moeller Van den Bruck (1923) en parlant d’Hitler : « Il fera de notre nation de philosophes et de poètes un peuple de criminels et d’assassins » (in Lauryssens : 1999, 4ième de couverture).

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d’être en corrélation avec les aspirations profondes (objectives ou subjectives) des populations terriennes ; encore que la vie ou la survie sur terre soit essentiellement une question de mouvement volontaire ou involontaire, de triomphe individuel et collectif. Mais fort curieusement l’on constate que les volitions sociales, pour le bien-être ou le mieux-vivre de l’humain, ne sont nullement des hypothèses qui coïncideraient aisément avec l’agencement des calculs politiques qui s’effectue en général dans le partenariat mondial. L’immigration, même savamment planifiée (et il n’y a certainement plus à feindre d’en ignorer la violence des enjeux économiques), expose les populations, depuis leur point de départ, à une nécessité d’amélioration de leurs conditions de vie où les confrontations d’ambitions étatiques et populaires prennent lieu d’une sorte de conflits de rivalités ou de rumination d’aspirations complexes et contradictoires. Mais serait-ce alors dans le maintien de nos conforts tapageurs de « civilisation d’élytres », dans l’exaltation insouciante de nos « richesses trop injustement partagées », que nous ajusterions sûrement notre « droit d’exploiter les autres » sans avoir à essuyer, au tournant de l’Histoire, de cuisants revers imparables sur les ailes du temporel ? Autrement dit, tel que les « rescapés du naufrage » ont foi en la nécessité de l’exil et s’y sacrifient au quotidien, l’immigration constitue certes un phénomène international de désarroi des peuples éreintés, reposant sur la fragilité ou la solidité volitive et budgétaire de fonctionnement, d’organisation ou de planification des acteurs du partenariat mondial. Et à ce titre, les gestionnaires d’État ne peuvent plus feindre de pallier les aléas d’existence ou de resocialisation qui d’ailleurs représentent des lieux d’éboulement de la dignité humaine. Selon les résultats de l’enquête, les « sans-papier » sont confrontés à des contrariétés diverses et s’évertuent de garder leur équilibre dans le tiers exclu de deux vents contraires : il est d’un côté inenvisageable pour eux de retourner dans leur pays ; et, de l’autre, il est scrupuleusement tentant pour eux de s’accrocher mordicus à une frêle branche d’intégration. Et ce, malgré la tornade d’angoisses et de répressions qui depuis s’abat sur eux ! En effet, à la lumière de ce qui précède, et contrairement à ce que l’on aurait pu penser, la précarité de leur situation irrégulière en France leur apparaît suffisamment préférable à la galère d’un retour involontaire au « bercail ».

Peut-être rétorquera-t-on que l’immigration n’est rien d’autre qu’une source d’assistanat qui rende démesurément béants les gouffres financiers de nos programmes socio-solidaires. Mais alors nous plaindrions-nous si obstinément d’assister trop de misérables migrants, que nous oublierions curieusement que ce sont les pleurs et le sang de millions de vies qui « abreuvent nos sillons hégémoniques » ?

Étant donné que la mesure d’attitude est une mesure d’action et/ou de réaction, notre étude semble déceler quelques réactions dominantes chez les « populations autochtones » et les « sans-papier » à l’égard de la reconduite à la frontière. Parmi ces réactions, s’inscrivent la colère contre les pouvoirs publics européens, la suspicion d’une existence angoissée par rapport aux contrôles policiers – ainsi qu’une prise de conscience collective des masses populaires au sujet du malaise international de l’immigration – et l’engouement des migrants pour les luttes associatives de régularisation.

Les « sans-papier » de notre enquête s’estiment opiniâtrement attachés à l’Hexagone, quels que soient les freins et les ressorts qu’un tel attachement impose à leur sort ; parce qu’ils sont persuadés, pour des raisons notamment socio-économiques, que leur retour au bercail n’aurait

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rien de durablement rassurant, ni pour eux ni pour leurs familles. Non pas qu’il faille les reconduire de gré ou de force à leur point de départ subsaharien : obligation politique n’implique d’ailleurs pas logiquement violence de déraison, et il serait inutilement pernicieux de violenter l’humanité migrante au risque de se discréditer mondialement en cumulant des records en barbarie. La véritable coopération en ce monde d’aujourd’hui exige moins, nous semble-t-il, à ruser avec la condition sociale des peuples qu’à contribuer loyalement à leur plein épanouissement humain.

Ainsi, alors que des compétences de gestion s’emploient à réévaluer rationnellement les enjeux d’insertion des couleurs dans les métiers de la République, l’on y observe comme bouleversant le fait d’une résurgence de la xénophobie chez des personnes qui se scandalisent de voir débarquer en nombre des « Siriki Mololo », ainsi que d’autres types d’immigrants « indésirables », qu’elles aimeraient repousser loin de leurs précieux ports de paix.

Mais préserver la paix sociale, cela consisterait-il à fermer précieusement la porte à quiconque aurait sérieusement besoin de notre sincérité ?

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