l'évaluation dans l'école

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  1 L'ÉVALUATION DANS L'ÉCOLE ; nouvelles pratiques Louise M. Bélair Ce texte est un extrait du livre : Bélair, L.M. (1999). L’évaluation dans l’école, Paris : ESF, pp. 13-31 EXTRAIT 1. Le geste d'évaluer ; entre le pouvoir et l'équité. Savoir se reconnaître comme évaluatrice et évaluateur L'enseignement d'aujourd'hui ne peut plus être considéré comme la simple transmission de connaissances. Il s'apparente davantage à un métier complexe exigeant de composer avec les savoirs à enseigner et à faire construire aux élèves, avec les imprévus, les dissidences, les cultures différentes, etc. Cette tâche s uppose désormais le développement de nouvelles compétences, autant pour répondre au défi social engendré par la prolifération des savoirs supportés désormais par les TIC, que pour aborder ces savoirs de manière originale et motivante, en vue de le rendre accessible à l'élève (Altet, 1996). L'évaluation des apprentissages s'inscrit au sein des actions à s'approprier dans l'exercice du métier d'ens eignant. Cependant, son caractère souvent perçu comme définitif pose la problématique sous un angle différent de celui de l'enseignement. De fait, l'action d'enseigner se présente comme une continuité, un va et vient, un retour, un ajustement, une réflexion qui se passent dans le temps, permettant alors diverses possibilités de reprendre, recommencer, refaire, etc. (Per renoud 1994a). L'évaluation se caractérise quant à elle par une action plutôt ponctuelle, administrative, surtout représentée par des résultats quantitatifs, soumise à la communauté enseignante ou familiale, et entachée

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L'ÉVALUATION DANS L'ÉCOLE ;nouvelles pratiquesLouise M. Bélair

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    L'VALUATION DANS L'COLE ; nouvelles pratiques

    Louise M. Blair

    Ce texte est un extrait du livre : Blair, L.M. (1999). Lvaluation dans lcole, Paris : ESF, pp. 13-31

    EXTRAIT 1. Le geste d'valuer ; entre le pouvoir et l'quit.

    Savoir se reconnatre comme valuatrice et valuateur L'enseignement d'aujourd'hui ne peut plus tre considr comme la simple transmission de connaissances. Il s'apparente davantage un mtier complexe exigeant de composer avec les savoirs enseigner et faire construire aux lves, avec les imprvus, les dissidences, les cultures diffrentes, etc. Cette tche suppose dsormais le dveloppement de nouvelles comptences, autant pour rpondre au dfi social engendr par la prolifration des savoirs supports dsormais par les TIC, que pour aborder ces savoirs de manire originale et motivante, en vue de le rendre accessible l'lve (Altet, 1996). L'valuation des apprentissages s'inscrit au sein des actions s'approprier dans l'exercice du mtier d'enseignant. Cependant, son caractre souvent peru comme dfinitif pose la problmatique sous un angle diffrent de celui de l'enseignement. De fait, l'action d'enseigner se prsente comme une continuit, un va et vient, un retour, un ajustement, une rflexion qui se passent dans le temps, permettant alors diverses possibilits de reprendre, recommencer, refaire, etc. (Perrenoud 1994a). L'valuation se caractrise quant elle par une action plutt ponctuelle, administrative, surtout reprsente par des rsultats quantitatifs, soumise la communaut enseignante ou familiale, et entache

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    d'interprtations diverses souvent peu justes et quitables, autant envers l'valu que de la part de l'valuateur. Certes, l'valuation est aussi dfinie comme positive, aidante, formative et formatrice suggrant la notion de recommencement et de continuit. Toutefois, ces qualificatifs s'apparentent davantage un concept idalis de l'action d'valuer qu' la ralit, puisque cette dernire confronte les enseignantes et les enseignants aux demandes socitales sans cesse grandissantes, aux urgences et aux changements qu'elles impliquent et tout particulirement, la dsirabilit sociale qu'elles renferment. cet gard, diverses formations actuelles sur l'valuation des apprentissages semblent encore mettre l'accent sur une approche techniciste de l'action, encourageant la dimension idale de l'acte d'valuer et entrinant par consquent la croyance qui stipule qu'un outil bien construit augmente la justesse de la dmarche d'valuation. De plus, Cette approche semble insinuer que l'apprentissage de l'laboration d'outils permet invitablement le transfert d'habilets techniques vers un savoir-tre ncessaire pour effectuer une valuation rflchie et quitable, ou encore vers des habilets cognitives. Or, maints ouvrages en formation ont dmontr que le mythe de l'approche techniciste ne dsamorce pas les reprsentations des personnes en formation, car elle ne permet pas la construction du savoir valuer (Paquay et Wagner 1996, Perrenoud 1996, 1998). Tout au plus, cette approche prsente des manires diffrentes de faire, plus ou moins introduites dans leurs actions, sans prise en compte des rfrents thoriques que ces dernires sous-tendent. Il en rsulte ds lors une pratique tout azimut d'outils et de remdiations, sans relations entre eux, et produisant consquemment une multitude d'actions irrflchies et souvent insatisfaisantes pour les enseignantes et les enseignants qui ont l'impression de devoir modifier incessamment leurs mthodes d'valuation, sans pour autant saisir la pertinence de celles-ci. Dans cette optique, il importe donc de s'attarder dans un premier temps, l'analyse des gestes subis en situation d'valuation de mme qu' ceux que l'on pose, afin d'viter le pige qu'engendre la description de techniques nouvelles, soit celui de les exprimenter sans se pencher sur leur spcificit et sur le contexte d'excution. En effet, savoir se reconnatre partir d'une analyse systmatique de ses penses et de ses actions d'valuation

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    est susceptible d'initier une transformation de la personne, permettant alors une utilisation rflchie de ces outils d'valuation. Cette transformation s'apparentant au concept d'apprentissage tel qu'abord par Develay (1992), favoriserait ainsi un meilleur usage de l'valuation et une prise en compte des images qu'elle suscite autant chez l'lve que chez l'valuateur. De fait, une telle dmarche d'analyse peut engendrer la mise en oeuvre d'actions davantage articules en fonction d'une rflexion sur leurs portes et leurs pertinences, ainsi que sur les jugements qu'elles encourent. galement, elle peut faciliter l'mergence d'une culture commune de l'valuation ayant comme point de mire l'quit envers l'lve. Vers un modle d'analyse du geste d'valuation L'analyse du geste d'valuation ne peut tre effectue sans une rfrence directe l'acte d'enseignement et la conception de l'apprentissage qui s'en dgage. cet gard, il devient mme essentiel de dterminer les orientations et les principes qui influencent les choix pdagogiques, afin de mieux cerner les carts et les paradoxes entre les situations d'enseignement-apprentissage et celles qui touchent l'valuation. Il est donc suggr de commencer par porter un regard critique sur les actions poses pour ensuite, dans un second temps envisager de nouvelles pratiques d'valuation qui seraient plus mme de rpondre chacun de ces choix pdagogiques. Une classification des principes pdagogiques et des stratgies qu'ils impliquent a t conue dans le but de les associer aux pratiques d'valuation. Ce modle1 a t dvelopp en fonction des orientations influenant les perceptions des personnes impliques et ce, afin d'induire une prise de conscience de leur propre cheminement face leurs actions (Astolfi 1992). Aussi inspires de Gayet (1995) et de Stordeur (1996), les orientations, illustres au tableau 1, ont t dtermines au regard des diffrents courants de pense actuels sur l'enseignement, l'apprentissage et l'valuation et valides auprs de

    1Ce modle a t conu en 1993, en collaboration avec Franois Desjardins de l'Universit d'Ottawa, dans le but de classifier les approches pdagogiques et les types d'valuation selon une typologie favorisant la rflexion sur les orientations sous-jacentes aux actions poses. Une analyse a t effectue entre 1995 et 1997 (voir Blair 1996) et un matriel de formation l'valuation pour les stagiaires en IUFM en est issu (Blair, L. Profil d'valuation, ditions de la Chenelire, 1995)

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    chercheurs, d'enseignantes, d'enseignants et de conseillres et conseillers pdagogiques dans le cadre de diverses recherches. Ce tableau a t ralis de manire ce que les courants de pense qui prvalent actuellement se trouvent dans l'axe vertical droit et ceux davantage associs des orientations traditionnelles, dans l'axe vertical gauche. Enfin, les diagonales refltent les oppositions enseignant-lve (E - A) et produit-processus (PD - PC).

    Tableau 1. La classification des choix pdagogiques et dvaluation

    Stratgie centrifugelve actif

    Stratgie centriptelve passif

    Stratgie militaire

    Stratgie populaire

    Orient par lenseignantPdagogie de lempreintevaluation sanction

    Orient par le produitPdagogie du conditionnementvaluation notation

    Stratgie ouverte

    Stratgie libre

    Orient par le processusPdagogie constructivisteGestion de lerreur

    Orient par lapprenantPdagogie humanisteAutovaluation

    SOMMATIVE

    FORMATIVE

    DIMINUTION DES DIFFRENCES INDIVIDUELLES

    ACCENT SUR LES DIFFRENCESINDIVIDUELLES

    MODLE REPOSANT SUR LAUTORIT MODLE REPOSANT SUR LES COMPTENCES

    MODLE REPOSANT SUR LE PRESTIGE MODLE REPOSANT SUR LA DISPONIBILIT

    Le ple enseignant/enseignante (E) fait rfrence aux rflexions et aux argumentations mettant l'accent sur la proccupation par rapport la tche qui revient en priorit l'enseignant ou l'enseignante. Les rponses obtenues commencent souvent par le je et ciblent surtout l'action relative l'enseignement, o la prise en compte de l'lve se fait en fonction du rle de l'enseignant ou de l'enseignante. Tel qu'indiqu dans le coin

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    suprieur gauche du tableau, on constate que la perception de l'enseignement se rapproche de l'approche transmissive, galement qualifie par Gayet de militaire et par Astolfi, d'empreinte. Ce modle repose essentiellement sur l'autorit, ici illustre par le matre peu enclin laisser les lves chapper son pouvoir. Stordeur rsume pour sa part cette pdagogie en proposant le scnario suivant : l'coute de l'lve, la redite, la copie et la mmorisation. Dans ce contexte, l'valuation est avant tout sommative et rpond des critres d'uniformisation visant la classification des lves en fonction de leurs rsultats des examens axs sur la rptition de la connaissance transmise dans les leons. L'enseignante ou l'enseignant, l'image d'un slectionneur, contrle alors le savoir appris. Le ple produit (PD) dans le coin infrieur gauche, met l'accent sur des rflexions orientes par les exigences du monde extrieur la classe. Cette approche pdagogique caractre bhavioriste, d'o l'appellation de pdagogie du conditionnement donne par Astolfi, suggre entre autres que le conformisme et l'litisme prennent toute leur ampleur et influencent de manire spcifique les actions d'enseignement et d'apprentissage. Elle se traduit selon Stordeur, par un travail d'effectuation, de ralisation de demande par l'enseignante ou l'enseignant, suivi de la prsentation d'un modle, d'activits de reproduction et d'exercices d'entranement. Les rflexions et les actions recueillies dans ce ple, tmoignent du fait que l'valuation suppose la production de la part de l'lve, l'analyse d'un rsultat et rfre ainsi uniquement une transmission d'informations, via un bulletin scolaire par exemple. Elles sont toujours vcues comme des actes sommatifs, se caractrisent par l'inscription ou non la norme tablie et le prestige est accord l'lve qui russit et qui fait ce qu'il doit faire, en temps voulu. Les prix d'excellence s'y bousculent gnralement et les lves n'ont d'autres choix que celui de se conformer pour briller. Le ple apprenant/ apprenante (A) suscite chez les rpondants, des rflexions axes essentiellement sur l'lve. Dans cette approche humaniste illustre dans l'angle infrieur droit, la place de l'lve est prpondrante au sens o l'on considre que chaque lve est diffrent et que son style, ses reprsentations et son hritage culturel lui font percevoir l'apprentissage sous des angles varis. Le rle de l'enseignante et de l'enseignant

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    prend alors la forme de l'coute et de la disponibilit, plutt celle de la transmission de la connaissance et du pouvoir autoritaire. Selon Gayet, ce type d'enseignement s'apparente en quelque sorte un monitorat ayant pour objectifs d'accompagner l'lve dans la qute du savoir. Dans ce contexte, l'valuation est avant tout formative. Elle se traduit par l'autovaluation et la covaluation, sans pour autant nier son caractre sommatif qui s'oriente principalement vers l'analyse de l'volution et du progrs de l'lve. Le ple processus (PC) dans l'angle suprieur droit, rfre quant lui des arguments lis soit l'action dans la classe, soit la mtacognition ncessaire l'apprentissage, en relation avec les partenaires de cette formation (enseignant/pairs). Les rflexions des rpondants semblent dmontrer une vision beaucoup plus constructiviste de l'ducation et prennent en compte autant l'action de l'enseignante et de l'enseignant, que celle des lves dans leurs apprentissages. Il s'en dgage une dmarche axe plutt sur les comptences, en ce sens o les rflexions recueillies rfrent au savoir-mobiliser illustr par Le Boterf. Le fait de promouvoir l'apprentissage dans une perspective d'acquisition de comptences se traduit ds lors par la prise de distance et le regard critique ncessaires la comprhension d'une discipline ou de disciplines donnes et l'intgration de celles-ci. Ces comptences ncessitent de fait, un travail concert (lves et enseignants) de construction d'un processus d'interactions et de communication face diverses problmatiques (Rey, 1997). Ainsi, une dmarche de collaboration tournes vers la construction d'un savoir s'tablit entre les partenaires de l'action, d'o l'ide de relation et de communication. Stordeur rappelle ce propos qu'une telle approche ne peut se reprsenter comme une suite d'tapes franchir, mais qu'elle s'illustre par une spirale d'actions de l'lve se rfrant la perception, la recherche, l'intuition, l'expression et l'utilisation dans un autre contexte et ce, partir d'une situation complexe ou d'un problme rsoudre. Par ailleurs, le concept de mdiation cognitive mis de l'avant par Feuerstein et al. (1980) et adapt subsquemment dans diffrents contextes de recherche trouve sa juste place dans la mesure o l'lve, non seulement se retrouve au coeur du processus ds le dpart, mais en est l'agent principal (Hrault et Prouchet, 1999 paratre). En effet, les quatre phases de cette dmarche, savoir l'anticipation, l'action, la communication et la consolidation permettent d'tayer le processus d'apprentissage par l'identification et la

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    description des stratgies utilises par l'lve et par la communication aux autres lves des processus mis de l'avant dans l'action. Il en ressort que le groupe peut ds lors servir de catalyseur dans la dmarche d'apprentissage de chaque lve et que l'enseignante ou l'enseignant deviendrait le mdiateur entre le savoir construire et l'lve. Dans une telle optique, l'valuation formative retrouve un sens jusqu'alors minimis : l'analyse de l'erreur en fonction des stratgies cognitives. Le dialogue devient donc source premire de l'valuation formative, provoquant ainsi une analyse des stratgies de l'lve afin de dgager des pistes pour rsoudre les obstacles qui lui reste franchir. Les valuations sommatives et/ou certificatives ne trouvent leur justification qu'au regard des obligations scolaires et non dans l'appropriation du savoir. Savoir orienter ses gestes. ce point-ci de la rflexion, il est d'une part suggr de faire ressortir certains moments d'valuation vcus tout au long de sa vie d'lve. En effet, la lumire des recherches de Dominice (1996) sur l'histoire de vie, il est probable que les actes d'valuation qui se posent en classe sont, entre autres, le produit d'expriences qui seront produites ultrieurement. D'autre part, il s'avre intressant de s'interroger sur sa propre conception de l'valuation, qu'elle soit formative ou sommative, en s'inspirant du questionnaire propos ici. 1. Pourquoi j'value ? Est-ce pour obtenir des rsultats propos des apprentissages ? Parce que je n'ai pas le choix ? Parce que je voudrais aider l'lve qui a des difficults ? Parce que l'lve en ressent le besoin ? Pour analyser ses erreurs ? etc. 2. Comment j'value ? Des examens, des tests ? Des observations continues ? Des outils labors en fonction de comptences ? Diffrents moyens ou une seule technique ? etc. 3. Pour moi, quoi sert l'valuation ?

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    la socit ? l'lve ? la russite ? Au maintien d'une discipline ? etc. 4. Que doit-on valuer ? Les connaissances ? Les attitudes et les comportements ? Les comptences ? Le savoir ? Les productions ? L'analyse peut aussi se poursuivre par une auto-observation des gestes quotidiens en matire de pratiques pdagogiques et d'valuation. On peut par exemple, demander aux lves de dcrire comment ils conoivent l'valuation et son impact dans leurs apprentissages. Leurs rponses dnotent souvent l'image vhicule dans la classe. On peut aussi travailler de concert avec des stagiaires afin que ces derniers dressent un portrait des gestes d'valuation poss dans le feu de l'action. Ce regard extrieur ajoute une dimension non ngligeable dans l'analyse des comportements. En somme, il s'agit pour chacun de dcouvrir son ple dominant, tout en tant toutefois conscient que chaque ple est prsent divers degrs dans l'action pdagogique. L'intrt d'une telle rflexion prend son sens lorsque vient le moment d'analyser les paradoxes et les contrarits que soulvent les actions d'valuation. En effet, plusieurs enseignantes et enseignants impliqus dans la recherche ont remarqu que si leurs actions pdagogiques se situaient surtout dans le versant droit du modle, leurs gestes d'valuation demeuraient traditionnels et peu connects aux contextes. Dans ces cas spcifiques, la prise en compte de la confrontation entre leur hritage culturel sous-jacent toutes leurs rflexions partir de leurs reprsentations, et leurs actions porteuses d'une ralit scolaire, a suscit un rapprochement entre les penses et les actions. Ce dclenchement d'une forme d'autoanalyse des penses antrieures souvent fortement ancres dans les prjugs face l'valuation, au profit de rflexions nouvelles de et dans l'action, semble alors favoriser la trans-formation de la personne (Schn, 1994). Dans cette optique, le fait de rflchir et de porter un regard critique sur une situation ou une action vcue, dveloppe une prise de conscience du geste se traduisant par une relative difficult de revenir en arrire. Ainsi, une personne se voyant agir et tant capable d'analyser la porte de son geste peut difficilement faire fi de cet aspect dans ses actions

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    futures. Cette rflexion est donc susceptible de provoquer une modification dans l'action de ces personnes. Penser et agir les actions d'valuation formative et sommative Pour tous les partenaires de l'action, les peurs et les angoisses que soulvent les gestes d'valuation surgissent souvent en fonction des consquences qui s'y rattachent. Par exemple, une valuation sommative a plus de chances de susciter un stress de la part des lves qu'une valuation formative ou un acte pdagogique. Mais l'enseignante ou l'enseignant qui construit un outil pour rpondre des objectifs, pour vrifier ou encore, pour contrler l'acquisition d'un savoir, peut se voir confront un autre type d'angoisse relie la non-russite des lves. Effectivement, le fait qu'un groupe d'lves n'atteigne pas le seuil minimal exig dans une discipline donne, peut tre imputable diverses causes. D'une part ceci peut signifier qu'il n'a pas eu ou compris l'information adquate ou encore, que les dispositifs instaurs par l'enseignante ou l'enseignant taient plus ou moins pertinents pour s'approprier le savoir ou dvelopper une comptence. Dans un tel contexte, la non-russite renvoie indniablement l'image d'un enseignement peu appropri. Parce qu'elle s'adresse aux personnes extrieures la salle de classe, l'valuation sommative angoisse et immobilise souvent l'ouverture d'esprit. Telle personne prfre demeurer traditionnelle car elle peut plus facilement justifier ses choix et ses jugements ; telle autre parce qu'elle ne sent pas la ncessit ni la force de s'engager dans de telles innovations, somme toute peu gratifiantes a posteriori. galement, une large part des gestes d'valuation sommative sont hors contextes, ne s'appuient pas sur des situations d'apprentissages et ainsi, ne permettent pas la prise en compte des apprentissages rels des lves. De fait, on constate souvent que les enseignantes et les enseignants instaurent des dispositifs et des dmarches pdagogiques axes certes sur l'ensemble des processus d'apprentissage, donc davantage vers le cot droit du modle, mais se replient vers une approche traditionnelle lorsque vient le temps de l'valuation, soit le cot gauche du schma. Cette situation cre une scission entre les moments d'apprentissage et d'valuation et entrane un dysfonctionnement dans les apprentissages et dans la relation avec les lves. Tantt ami, confident et mentor,

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    l'enseignant devient alors le contrleur, le vrificateur et le dcideur. L'lve peut par consquent avoir tout pouvoir sur son apprentissage, tout en le perdant au moment d'en faire la vrification. Il s'ensuit donc qu'il doit aussi apprendre deviner quel personnage il s'adresse - l'ami ou le dcideur - avant d'entamer tout processus conjoint de questionnement ou d'analyse d'erreur. Le problme devient d'autant plus crucial lorsque l'valuation formative prend une place importante dans la quotidiennet de la classe. En effet, quoique cette dernire doit tre essentiellement caractre pdagogique, aidante pour l'lve dans la construction de son savoir et particulirement positive, il demeure qu'elle a encore une place ambigu dans les gestes journaliers. cet gard, nombre d'actions d'valuation qualifies de formatives servent encore insrer des notes au carnet scolaire, entriner un savoir ou contrler l'acquisition d'un objectif. Or, dans de tels contextes, l'valuation formative n'est, ni plus ni moins, qu'une valuation sommative dguise, sans commune mesure avec sa vritable dfinition. Ceci se traduit alors par une cacophonie dans l'interprtation des gestes et des dcisions des acteurs ; l'ami est aussi le contrleur, donc l'erreur qui aurait d tre vue comme une occasion d'apprentissage devient la faute et l'infraction la merci de l'pe de Damocls qui symbolise la fatalit de l'chec. ce stade-ci de la rflexion, il convient dsormais de s'interroger sur la place vritable accorde aux diverses fonctions de l'valuation. Ce travail peut s'effectuer par une analyse en profondeur de moments d'valuation la lumire du questionnaire suivant. Si j'analyse une action d'valuation... (le faire pour plusieurs situations) 1. Comment avait-elle t qualifie au moment de sa passation ? Sommative ou formative ? 2. quel moment de l'apprentissage a-t-elle t administre ? 3. Qui l'a construite ? 4. Elle faisait rfrence quels objectifs ? Quel contenu ? 5. Puis-je affirmer que l'lve qui a russi cette activit s'est appropri le savoir de manire acceptable ?

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    6. Si elle tait formative, quelles remdiations ai-je mis en place ? A-t-elle t comptabilise ? 7. Si elle tait sommative, de quelle manire refltait-elle l'activit d'apprentissage ? Outil de pouvoir ou geste d'quit Gauthier (1993) explicite diffrents paramtres qui composent le travail du pdagogue. Dans cette rflexion, l'auteur mentionne que la pdagogie vise changer les tres, les transformer dans un sens souhaitable, prescrire des conduites (p. 81) ... que le pdagogue veut que l'lve comprenne la matire, se l'approprie, sache l'utiliser adquatement, russisse l'examen et mme prenne du plaisir l'tudier si possible (p. 87) ... l'image qu'il projette est importante (p. 92)... l'auditoire est premier et il veut l'amener agir dans un certain sens (p. 93)... (mais, en dernires instances) la relation pdagogique appelle un dialogue o le destinataire et le destinateur sont en position ingale car l'enjeu n'est pas tant le rel connatre que le destinataire persuader (p. 93). L'ingalit de la relation dans la classe. Une telle reprsentation de la relation pdagogique s'illustre aisment dans le regard que l'on porte une situation de classe plutt traditionnelle. De fait, cette relation suppose que le pouvoir appartient bel et bien l'enseignante et l'enseignant, que les lves font avec, ou la limite sont condamns contourner et dvier les rgles tablies au moyen de stratgies de survie (Perrenoud, 1994b). Sur cet aspect, on peut penser au rationnel qui supporte le bachotage et la tricherie lors de la remise de travaux ou l'administration d'un examen. Dans de telles situations, il apparat clair que les lves ne se sentent aucunement au coeur du processus, pas plus qu'ils n'envisagent le fait qu'ils se nuisent eux-mmes, au sens o ils faussent leur niveau de comprhension et n'aident en rien d'ventuelles interventions visant des remdiations leur endroit.

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    Or, cette conception plutt traditionnelle de la relation en salle de classe perdure malgr les nombreuses tentatives d'innovation visant rendre les lves actifs, les amener rflchir sur les processus plutt que sur les produits, car il existe toujours un moment, une action, une perception, ou un regard extrieur pour rappeler l'ordre et maintenir la tradition. De fait, bien que l'on opte pour considrer les opinions, les besoins et les projets des lves, il se prsente invitablement un moment o l'valuation sommative fait surface et cantonne l'lve dans un rle de subalterne, o sa parole fait peu ou prou de poids face la dcision finale prise par le juge-enseignant. Maints enseignants ont tent, souvent sans succs, d'utiliser diverses stratgies pour faire du pouvoir engendr par l'valuation, une douce confrontation ; d'autres sans plus de succs, ont essay de concevoir la relation l'image d'une joute de hockey, o les quipes - enseignant d'un cot et lves de l'autre - quoique ingales en nombre, s'apprtent jouer l'apprentissage personnifi par la rondelle. La joute, dans de tels cas, se rduit la notion de gain : pour l'enseignant dans le fait que la rondelle, ou l'apprentissage, doit entrer dans le but de l'adversaire que sont les lves. Pour ces derniers le gain s'illustrerait par un but vainqueur, consistant dtourner l'attention de l'enseignant ou encore compter sans apprendre ou sans effort. Dans tous ces cas, il demeure que la question cruciale est de dterminer comment faire apprendre sans user trop de pouvoir, ou du moins sans que ce pouvoir indniable se retrouve aux premires loges. Un petit exemple... Dans un cours universitaire, j'ai tent de mettre en place un mcanisme de ngociation des critres relatifs l'valuation sommative d'un portfolio, au regard des comptences dvelopper. Les tudiantes et tudiants ont dtermin les critres et ont dfinis les niveaux de russite. Or, aucun moment ils n'ont remis en cause le processus, le travail exig ou la mouture finale des critres. Ils ont effectu le travail demand mais sans pouvoir prendre toute la place qui leur tait attribue, soit celle de ngocier tous les critres, et de les retravailler en fonction de l'image qu'ils avaient de la russite. Ainsi, certains critres ont t dcrits de telle manire qu'aucun tudiant ne pouvait obtenir le niveau

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    suprieur (A+) et aucun membre du groupe n'a pens ou os remettre ce phnomne en cause. Il demeure certes invitable qu'un certain pouvoir existera toujours, savoir celui de l'valuation sommative, permettant de certifier la socit que tel lve a russi, a dvelopp les comptences ncessaires, a matris les habilets requises ou encore a atteint les objectifs demands. Cependant, rien n'empche de faire en sorte que ce pouvoir ne prenne que la place qui lui est octroye. De fait, selon l'orientation pdagogique choisie et vhicule, ce pouvoir pourrait occuper une place plus ou moins grande, plus ngocie et donc plus stratgique et moins angoissante au moment de l'appropriation du savoir par les lves. Il s'agirait alors pour chacun de situer les limites de ce pouvoir, d'en comprendre ds le dpart les prmisses et de s'y tenir tout au long de la relation qui s'tablit avec les lves. La transparence devient ainsi un atout majeur au regard de l'espace que l'on entend donner au pouvoir. Le pouvoir de juger et l'valuation sommative. Quelque soit le contexte d'valuation, l'enseignante ou l'enseignant doit constamment juger pour tre en mesure de dcider de l'action entreprendre que ce soit au niveau des activits d'enseignement-apprentissage, ou par rapport des situations dvelopper pour valuer les lves. Par consquent, il doit invariablement faire preuve de vigilance pour tre en mesure de porter un jugement clair, explicite et appuy, puisqu'un mauvais jugement entrane automatiquement des rpercussions de divers ordres avec lesquelles il devra composer et pour lesquelles il devra apporter des justifications, autant auprs des lves que de l'administration de l'cole. Ces jugements concernent aussi bien les actions pdagogiques que l'tablissement des niveaux de russite des lves. En ce qui concerne l'valuation sommative, le jugement peut avoir des consquences directes sur les lves. Un mauvais rsultat un test ne prouve pas ncessairement que tel lve n'a pas compris, mais peut provoquer une perte d'estime de soi, une dmotivation chronique face la discipline ou encore une forme de dcrochage scolaire. De plus, si on ajoute ce fait que le test n'tait pas conu en fonction des objectifs du cours, que les critres de correction n'taient pas dtermins au pralable et que les notes

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    n'ont t que le reflet d'une correction globale approximative de l'enseignant, on peut remettre en doute le jugement et la note qui s'ensuit. Vers une valuation sommative quitable. La transparence apparat donc comme un lment essentiel l'tablissement des critres de l'valuation sommative. Il est ncessaire que l'enseignante ou l'enseignant puisse tablir un climat permettant l'lve de se sentir cout, apprci et surtout, pris en compte et ce, dans toutes les situations pdagogiques et valuatives de la classe. Il doit cet gard, instaurer un lieu de parole dans la ngociation d'un contrat pdagogique devant tre maintenu tout au long de la relation vcue en classe. Dit autrement, l'valuation concerne tous les acteurs, certes pilote par l'enseignante ou l'enseignant, mais ngocie avec les lves, et surtout, rengocie en cours d'apprentissage afin d'ajuster les multiples critres en fonction des nouveaux paramtres. Cependant, une telle ngociation ne pourra prendre son sens que si le processus est vcu entirement une fois, et ce afin que les lves puissent prendre conscience du statut diffrent qu'on leur confre lorsque leur pouvoir s'tend jusqu' l'apprciation de leurs apprentissages. Construire l'valuation sommative. L'valuation sommative, dans une telle optique, ne peut plus tre perue comme un moment ponctuel, dtermin dans le temps et fig dans l'espace. Cette action devient automatiquement un processus qui se construit au fil des vnements et des interactions dans la classe. Au risque d'aller l'encontre de la tradition, ce processus doit s'apparenter une lente progression discute avec les lves, et non plus une situation o l'valuation est au service d'un contrle, d'une gestion de classe ou d'un systme d'mulation plus ou moins efficace. Cette construction ne remet toutefois pas en question le fait que l'enseignante ou l'enseignant soit le seul dcideur dans un contexte d'valuation sommative. Ce moment est dtermin en fonction des contextes spcifiques, rflchi et pens par tous les acteurs - donc tous les lves savent quoi s'attendre - et dfini en fonction de critres de correction conus et donc connus de la part des lves, mais demeure valu par l'enseignante ou

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    l'enseignant. Ainsi, cette construction commune confre l'valuation sommative une relle place dans le processus ducatif. Pour raliser une valuation sommative juste et quitable, il faut ds lors que les enseignantes et les enseignants osent ouvrir la porte du lieu sacr qu'est la tche d'enseignement pour laisser entrer les acteurs principaux que sont les lves. Il faut galement oser prendre des risques, accepter la ngociation et au pire, la confrontation, faire le deuil du pouvoir trop longtemps abusif et surtout, accepter que l'valuation est d'abord au service de l'apprentissage des lves. Pause rflexive... Vous dsirez vous acheter une voiture... vous faites le tour des concessionnaires, parlementez avec les vendeurs, discutez les prix, consultez les revues spcialises. Vous dfinissez un ensemble de critres qui vous permettent d'liminer certains modles, d'en considrer d'autres. Vous pouvez prendre l'avis de plusieurs amis, mais aucun moment l'une ou l'autre de ces personnes pourra dcider votre place. Vous allez choisir la voiture qui semble vous convenir au regard de multiples critres. Vous supporterez les consquences de votre geste... si le choix est bon, vous serez satisfait, l'inverse aussi... mais au moins vous aurez la consolation de dire que c'est vous qui avez dcid et que personne ne l'a fait votre place. Vous avez donc effectu une valuation sommative car elle venait clore un processus complexe de prise d'informations n'ayant cependant pas comme objectif de permettre au fabricant d'augmenter la performance de son produit, mais plutt de mieux considrer l'ensemble des lments caractrisant divers vhicules. Peut-on tablir certaines analogies avec le domaine pdagogique ?