L'évaluation de la performance dans les organisations culturelles ...

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AVRIL 2012 L’évaluation de la performance dans les organisations culturelles non lucratives Mémoire de Master II Directeur de mémoire : M. Philippe Lafage Majeure Contrôle de Gestion, Audit Interne et Management de la Performance Etudiante : Clémence Monvoisin Rouen Business School, MGE Promotion 2012 [email protected]

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AVRIL 2012

L’évaluation de la performance

dans les organisations culturelles non lucratives

Mémoire de Master II

Directeur de mémoire : M. Philippe Lafage

Majeure Contrôle de Gestion, Audit Interne et Management de la Performance

Etudiante : Clémence Monvoisin Rouen Business School, MGE – Promotion 2012 [email protected]

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REMERCIEMENTS

Je souhaite dans un premier temps adresser mes remerciements à Monsieur Philippe Lafage, en sa

qualité de directeur de mémoire pour ce travail et de directeur de la majeure Contrôle de Gestion,

Audit interne et Management de la Performance au sein de Rouen Business School. Le semestre de

majeure a été la source d’un enrichissement personnel et d’une curiosité intellectuelle qui m’ont

fortement inspirée dans mes efforts pour produire un travail de qualité. Je remercie tout

particulièrement Monsieur Lafage pour l’attention qu’il a portée à mes centres d’intérêt pour le choix

du sujet de ce mémoire, pour son implication et ses conseils judicieux.

Je tiens également à remercier Madame Lily Fisher, directrice de production et gérante du Printemps

de Bourges, Madame Nilou Kaveh, administratrice de l’Association Territoire de Musiques,

organisatrice des Eurockéennes de Belfort, et Madame Béatrice Macé, directrice générale de

l’Association Trans Musicales, organisatrice des Rencontres Trans Musicales de Rennes. Je suis très

reconnaissante pour l’intérêt qu’elles ont porté à mon travail, leur disponibilité et le temps qu’elles ont

consacré pour m’apporter leur témoignage, ainsi que la confiance qu’elles m’ont accordée. Grâce à

leur implication, ce travail s’est enrichi d’un ancrage empirique d’une grande pertinence, et a ouvert

des horizons très intéressants dans ma réflexion.

Enfin, je remercie l’équipe du Centre National de la Chanson, des Variétés et du Jazz, pour l’aide et le

soutien qu’elle m’a apportés tout au long de l’élaboration de ce travail. Mes pensées s’adressent tout

particulièrement à Madame Séverine Morin, responsable du pôle ressources et communication, que je

remercie sincèrement pour son attention respectueuse et encourageante, sa grande disponibilité. Je

tiens également à remercier chaleureusement Madame Patricia Sadaoui, attachée à l’administration

du secteur 2, activités de production. Leur implication a permis le déroulement optimal de mon travail.

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EXECUTIVE SUMMARY

La définition de la performance et l’approche choisie par les entreprises pour la mesurer s’est

longtemps limitée à une dimension exclusivement financière. Au cours des trente dernières années,

sensibilisées par les dispositifs développés par la recherche, mais surtout face aux évolutions de leur

écosystème, la notion a été saisie par les organisations et a progressivement évolué pour recouvrir

une vision plus globale de l’activité. Les gestionnaires des organisations culturelles du secteur non

lucratif semblent pourtant éprouver une suspicion à l’égard d’un concept encore souvent associé au

profit et à la rentabilité économique.

Dans le contexte français de crise économique et dans la situation de restrictions budgétaires qui

l’accompagne, les établissements publics, parmi lesquels de nombreuses institutions culturelles, sont

aujourd’hui liés à leur tutelle ministérielle par un « contrat de performance » mis en place par le

système L.O.L.F. en 2006. Une initiative qui vise essentiellement pour l’Etat à introduire une culture de

la rationalité budgétaire, et tend à renforcer l’assimilation de la notion de performance à des

préoccupations exclusivement financières.

L’objet de ce mémoire est d’étudier en profondeur le processus d’évaluation de la performance et ses

modalités pour les organisations culturelles non lucratives. Nous souhaitons plus précisément

éprouver la pertinence de la notion pour ce type de structures, et tester les conditions à la définition

spécifique de la performance, et à la conception des dispositifs de son évaluation pour les

organisations culturelles non lucratives. Armés d’une approche critique, il s’agit pour nous de mettre

en évidence les obstacles et perspectives qui se présentent face à la mise en perspective des deux

entités, et les opportunités et menaces que cela présente. Une réflexion qui se synthétise ainsi :

Faut-il développer une approche spécifique de l’évaluation de la performance pour les

organisations culturelles non lucratives ?

La première partie de ce travail entend dépoussiérer la notion de performance des associations et

idées préconçues qui pèsent sur elle, à travers la construction d’un socle théorique s’appuyant sur les

positions développées par la littérature des dernières décennies en sciences de gestion. Il s’agit de

mettre en regard cette approche régénérée du concept avec une étude de l’organisation culturelle non

lucrative en fonction des facteurs critiques à intégrer à une définition spécifique de la performance.

Dans un deuxième temps, nous nous sommes centrés sur les modalités de l’évaluation de la

performance pour les organisations étudiées, et avons souhaité tester la robustesse des dispositifs

existant pour en proposer des développements ad hoc. La réflexion autour des composantes

opérationnelles de l’évaluation est complétée par une approche stratégique du système de pilotage de

l’activité, et notamment les limites qu’elle présente pour les organisations culturelles non lucratives.

Enfin, nous avons souhaité tester nos hypothèses en les appliquant à des cas concrets

d’organisations culturelles non lucratives : les festivals musicaux. Une étude qui a permis d’établir que

l’évaluation de la performance n’est pas standardisable à l’échelle considérée.

4

GLOSSAIRE1

Chaîne de valeur : catégories d’activités internes et externes à l’organisation dont la combinaison

génère la production d’un bien ou d’un service (Prentice Hall).

Ciblage : sélection des segments de marché que l’entreprise souhaite viser (Pearson).

Coût d’opportunité : Coûts supportés sans qu'ils impliquent nécessairement un débours

en trésorerie et qui correspondent à une perte d'opportunité (Vernimmen).

Economie : l’approvisionnement au coût le plus bas, en cohérence avec les besoins en qualité et

quantité (G. Evans).

Efficacité : correspondance entre les buts et les impacts des décisions (G. Evans).

Efficience : rapport entre la consommation de ressources et la production de biens ou services (G.

Evans).

Equivalent temps plein (ETP) : unité de décompte dans laquelle sont exprimés à la fois les plafonds

d’emplois et la consommation de ces plafonds. Il est proportionnel à l’activité des agents

du secteur public, mesurée par leur quantité de temps de travail et la période d’activité

sur l’année (Forum de la performance).

Incentives : système d’incitations.

Productivité : rapport, en volume, entre une production et les ressources mises en œuvre pour

l'obtenir (Insee).

Segmentation : division du marché en plusieurs sous-ensembles (Pearson).

1 Les définitions sont issues de :

G. Johnson, K. Scholes, R. Whittington, Exploring Corporate Strategy, 8th ed., Prentice Hall p.9.

G. Armstrong, P. Kotler, Pearson Education France – Principes de marketing, [2010], 10ème

éd ; [en ligne : http://www.pearson.fr/resources/titles/27440100891500/extras/7475_chap01.pdf] G. Evans, « Measure for Measure : Evaluating performance and the arts organization », [2000], Studies in Cultures, Organizations and Societies, Vol.6, pp.243-266. « Le forum de la performance », Ministère du budget, des comptes publics et de la réforme de l’Etat [en ligne http://www.performance-publique.budget.gouv.fr/]. Dictionnaire Vernimmen [en ligne http://www.vernimmen.net] Insee, institut national de la statistique et des études économiques [en ligne http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/liste-definitions.htm]

5

SOMMAIRE

REMERCIEMENTS ................................................................................................................................. 1

EXECUTIVE SUMMARY ......................................................................................................................... 3

GLOSSAIRE ............................................................................................................................................ 4

INTRODUCTION ................................................................................................................................... 11

PARTIE I : Introduction de la notion de performance dans l’organisation culturelle non lucrative ....... 13

Chapitre 1 : Qu’est-ce que la performance ? .................................................................................... 13

Section 1 : Définitions et approches .............................................................................................. 13

Paragraphe 1 : Définitions ......................................................................................................... 14

A. Performance .................................................................................................................. 14

B. Systèmes de mesure et indicateurs .............................................................................. 14

Paragraphe 2 : Approches ......................................................................................................... 15

A. Approche traditionnelle financière ................................................................................. 15

B. Approche globale non financière ................................................................................... 16

Paragraphe 3 : Impact de l’environnement sur la performance ................................................ 16

A. Des règles du jeu imposées .......................................................................................... 17

B. Impact des parties prenantes ........................................................................................ 17

C. Relations entre propriétaires et gestionnaires ............................................................... 18

Section 2 : Comment peut-on mesurer la performance ? ............................................................. 18

Paragraphe 1 : Pourquoi mesurer la performance ? ................................................................. 18

A. Mesurer pour améliorer ................................................................................................. 19

B. Mesurer pour apprendre et innover ............................................................................... 19

C. Mesurer pour communiquer .......................................................................................... 19

Paragraphe 2 : Différents niveaux de mesure ........................................................................... 20

A. Performance individuelle ............................................................................................... 20

B. Performance des services ............................................................................................. 21

C. Performance globale...................................................................................................... 22

Paragraphe 3 : Outils de mesure ............................................................................................... 23

6

A. Outils du contrôle de gestion ......................................................................................... 23

B. Tableaux de bord ........................................................................................................... 23

C. Systèmes issus de l’économie sociale .......................................................................... 24

Chapitre 2 : Quelles sont les modalités de la performance pour l’organisation culturelle non

lucrative ? .......................................................................................................................................... 25

Section 1 : Spécificités de l’organisation culturelle non lucrative .................................................. 26

Paragraphe 1 : Différences structurelles ................................................................................... 26

A. Mission ........................................................................................................................... 26

B. Objectifs stratégiques .................................................................................................... 26

C. Organisation et gouvernance ........................................................................................ 27

Paragraphe 2 : Valeur du bien culturel ...................................................................................... 27

A. Tension entre valeur économique et valeur culturelle ................................................... 28

B. Captation de valeur et prix ............................................................................................. 28

C. Risque ............................................................................................................................ 29

Paragraphe 3 : Problématiques propres à l’organisation culturelle non lucrative ..................... 29

A. Mutation des sources de financement ........................................................................... 30

B. Complexité des parties prenantes et des publics .......................................................... 30

Section 2 : Facteurs de contingence ............................................................................................. 31

Paragraphe 1 : Intensification de la compétitivité de l’environnement ...................................... 31

A. Elargissement du marché .............................................................................................. 31

B. Exposition médiatique.................................................................................................... 31

Paragraphe 2 : Facteurs internes .............................................................................................. 32

A. Nouveaux modes de gestion : vers une culture du résultat .......................................... 32

B. Pression sur l’offre ......................................................................................................... 32

Paragraphe 3 : Conditions et modalités de la performance en organisation culturelle non

lucrative ..................................................................................................................................... 33

A. Définition de la performance .......................................................................................... 33

B. Installer un pilotage multidimensionnel.......................................................................... 33

C. Développer la notion de responsabilité ......................................................................... 34

Conclusion de la première partie ....................................................................................................... 35

PARTIE II : Comment mesurer la performance d’une organisation culturelle non lucrative ? .............. 36

7

Chapitre 1 : Quelles sont les modalités de l’évaluation de la performance en organisation culturelle

non lucrative ? ................................................................................................................................... 36

Section 1 : Analyse de l’existant .................................................................................................... 36

Paragraphe 1 : Développer les systèmes comptables et financiers ......................................... 37

A. Modélisation d’une comptabilité de gestion ................................................................... 37

B. Construction des budgets .............................................................................................. 38

C. Insuffisance des mesures financières ........................................................................... 39

Paragraphe 2 : Adapter les systèmes de mesure de la performance ....................................... 39

A. Utilisation du Balanced Scorecard en OCNL ................................................................ 39

B. Modèles multidimensionnels et outils de prise de décision ........................................... 40

Section 2 : La mise en place d’un système de mesure de la performance propre ....................... 41

Paragraphe 1 : Modalités du système d’évaluation................................................................... 41

A. Spécificités de l’activité culturelle .................................................................................. 41

B. Systèmes multidimensionnels et parties prenantes ...................................................... 42

Paragraphe 2 : Indicateurs de performance .............................................................................. 43

A. Typologie ....................................................................................................................... 43

B. Systèmes d’indicateurs .................................................................................................. 44

C. Enjeux des indicateurs de performance ........................................................................ 44

Paragraphe 3 : Problématiques d’implémentation .................................................................... 45

A. Gestion de l’information et culture de la performance ................................................... 45

B. Mécanismes de correction ............................................................................................. 46

Section 3 : Les acteurs de la performance .................................................................................... 46

Paragraphe 1 : Ecosystème des organisations culturelles non lucratives ................................ 47

A. Positionnement des parties prenantes sur la performance ........................................... 47

B. Influence des parties prenantes sur la performance ..................................................... 48

Paragraphe 2 : La gouvernance des organisations culturelles non lucratives .......................... 49

A. Typologie ....................................................................................................................... 49

B. Rôle et responsabilité de l’organe de gouvernance ..................................................... 49

C. Théorie de l’agence ....................................................................................................... 50

8

Chapitre 2 : Dans quelle mesure l’évaluation de la performance peut-elle répondre à des objectifs

de pilotage en organisation culturelle non lucrative ? ....................................................................... 51

Section 1 : Performance, contrôle et pilotage en organisation culturelle non lucrative ................. 51

Paragraphe 1 : Performance et pilotage ................................................................................... 52

A. Triptyque du pilotage ..................................................................................................... 52

B. L’évaluation au service de la décision : de la performance au pilotage ........................ 52

C. Introduction du contrôle dans le pilotage ....................................................................... 53

Paragraphe 2 : A propos de l’incompatibilité entre contrôle et art ............................................ 53

A. Conflit de représentations .............................................................................................. 53

B. Incarnation du conflit...................................................................................................... 54

Section 2 : Modalités du contrôle en organisation culturelle non lucrative ................................... 54

Paragraphe 1 : Modes de contrôle pour la création artistique .................................................. 55

A. Auto-contrôle ................................................................................................................. 55

B. Contrôle par la culture professionnelle .......................................................................... 55

C. Contrôle par le don ........................................................................................................ 56

Paragraphe 2 : Pratiques stratégiques du contrôle ................................................................... 56

A. Rôle stratégique du contrôle pour la performance ........................................................ 56

B. Pratiques alternatives du contrôle ................................................................................. 57

C. Détourner le contrôle ..................................................................................................... 58

Section 3 : Les limites de la performance pour les organisations culturelles non lucratives ........ 59

Paragraphe 1 : Limites matérielles ............................................................................................ 59

A. Des structures inappropriées ......................................................................................... 59

B. Des ressources limitées ................................................................................................ 60

Paragraphe 2 : Limites des outils .............................................................................................. 60

A. Limite de la rationalité gestionnaire ............................................................................... 60

B. Instrumentalisation des indicateurs ............................................................................... 61

Paragraphe 3 : Limites philosophiques ..................................................................................... 61

A. Absence de culture de la performance .......................................................................... 62

B. Court-termisme et insuffisances .................................................................................... 62

C. Etre performant, est-ce être légitime ? .......................................................................... 63

9

Conclusion de la deuxième partie ................................................................................................. 64

PARTIE III : Etude empirique : Evaluation de la performance dans les festivals musicaux français .... 65

Chapitre 1 : Contexte, Hypothèses et Méthodologie de recherche................................................... 65

Section 1 : Les festivals musicaux non lucratifs en France ........................................................... 65

Paragraphe 1 : Structure et économie du secteur ..................................................................... 65

Paragraphe 2 : Enjeux contemporains des festivals musicaux non lucratifs ............................ 65

Paragraphe 3 : Ecosystème du festival musical non lucratif ..................................................... 66

Section 2 : Hypothèses .................................................................................................................. 67

Paragraphe 1 : Hypothèse 1 : la notion de performance est incompatible avec l’organisation

culturelle non lucrative ............................................................................................................... 67

A. Hypothèse et sous-hypothèses ..................................................................................... 67

B. Etat de la recherche et résultats attendus ..................................................................... 68

Paragraphe 2 : Hypothèse 2 : l’organisation culturelle non lucrative résiste à la mise en place

d’un système d’évaluation de la performance ........................................................................... 68

A. Hypothèse et sous-hypothèses ..................................................................................... 68

B. Etat de la recherche et résultats attendus ..................................................................... 69

Paragraphe 2 : Hypothèse 3 : l’évaluation de la performance ne permet pas de mettre en place

des modalités de contrôle associé à un pilotage stratégique de l’activité ................................. 69

A. Hypothèse et sous-hypothèses ..................................................................................... 69

B. Etat de la recherche et résultats attendus ..................................................................... 69

Section 3 : Méthodologie de recherche ......................................................................................... 70

Paragraphe 1 : Intérêt de l’échantillon ....................................................................................... 70

Paragraphe 2 : Accès à l’information et questionnaires ............................................................ 71

Chapitre 2 : Présentation et analyse des résultats, discussion de l’étude ........................................ 72

Section 1 : Présentation des résultats ........................................................................................... 72

Paragraphe 1 : Le Printemps de Bourges, « Avoir 36 ans, c’est déjà être performant » .......... 72

A. Réussite, légitimité et pérennité .................................................................................... 72

B. Rôles et influences des parties prenantes .................................................................... 73

C. Structure organisationnelle et pilotage .......................................................................... 74

10

Paragraphe 2 : Les Eurockéennes de Belfort, « L’esprit associatif est important pour construire

la performance » ........................................................................................................................ 74

A. Apprentissage organisationnel ...................................................................................... 74

B. Rôles des outils d’évaluation ......................................................................................... 75

C. Réseau et pilotage ......................................................................................................... 76

Paragraphe 3 : Rencontres Trans Musicales de Rennes, « Il s’agit de paramétrer les outils

pour atteindre une efficacité optimale » .................................................................................... 77

A. Pilotage d’un « écosystème humain paramétré artistiquement » ................................. 77

B. Définition des outils et paramétrage .............................................................................. 77

C. Apport méthodologique de la démarche........................................................................ 78

Section 2 : Analyse des résultats en regard des hypothèses ....................................................... 79

Paragraphe 1 : Notion de performance en organisation culturelle non lucrative ...................... 79

Paragraphe 2 : Dispositifs d’évaluation de la performance en organisation culturelle non

lucrative ..................................................................................................................................... 80

Paragraphe 3 : Contrôle et pilotage en organisation culturelle non lucrative ............................ 81

Section 3 : Discussion et l’étude .................................................................................................... 82

Conclusion de la troisième partie .................................................................................................. 83

CONCLUSION ....................................................................................................................................... 84

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................................... 85

11

INTRODUCTION

En 2010, les services culturels représentaient le premier poste de dépenses culturelles et de loisir des

ménages, à hauteur de 17,2%2 du budget global alloué. Au sens de l’Insee, et dans une définition

assez classique des services culturels, ceux-ci recouvrent notamment l’offre en matière de cinéma,

spectacles vivants, ou musées, soit un secteur dans lequel la production des organisations traduit une

présence artistique. Nous nous appuierons sur la définition suivante des organisations culturelles par

Eve Chiapello : « organisations de production et de diffusion culturelles »3 mais sans nous limiter,

comme le chercheur à celles « qui ont la spécificité de travailler avec des artistes vivants ». Dans une

perspective d’exhaustivité, nous préférons en effet délimiter notre périmètre d’étude, avec Johanne

Turbide, et Claude Lorin, en proposant une définition de l’organisation culturelle par sa mission

« d’enrichissement de l’environnement culturel grâce à la performance artistique »4 et en s’intéressant

plus spécifiquement aux structures à but non lucratif. Cette configuration nous inscrit dans une

approche organisationnelle particulière, qui invite à remettre en question les modèles existants,

largement fondés sur une conception commerciale de l’organisation.

La France du XXIème

siècle est un contexte d’étude complexe pour aborder le secteur culturel non

lucratif d’un point de vue organisationnel. Les services culturels ont représenté l’un des seuls postes

en hausse dans le budget de dépenses culturelles et de loisirs des Français entre 2009 et 2010, dans

une situation bien connue de crise économique. Cela rappelle que les organisations culturelles sont

avant tout des entreprises, qui créent des emplois et génèrent de la valeur. Pourtant, dans la patrie

des Lumières, la conception romantique de l’artiste en tant qu’être inspiré introduit encore une

antinomie entre la dimension artistique et les problématiques managériales de pilotage de l’activité.

Pour David Autissier, le pilotage s’organise autour de trois étapes, déclenchées par l’évaluation5, un

processus au cœur de la résistance de l’organisation culturelle, qui se traduit notamment par la

méfiance à l’égard d’une tendance à la quantification à l’extrême, et par le rejet d’un contrôle qui serait

destructeur de la liberté des acteurs. Kasimir Bisou, l’alter ego du maître de conférences en sciences

économiques et activiste des politiques culturelles Jean-Michel Lucas, explique cette méfiance par le

fait que l’évaluation interviendrait « quand la menace plane »6

. Cette situation s’illustre très

précisément par la mise en place, avec le système L.O.L.F.7 dans une optique de rationalisation

budgétaire, de relations contractuelles entre les établissements publics et leurs tutelles ministérielles,

scellées par la notion de « performance ».

Les organisations culturelles publiques sont ainsi aujourd’hui redevables face à l’Etat français en

termes de performance, et l’on postulera que les organisations privées, de structure associative

2 France Portrait social » Insee Références, édition 2011

3 E. Chiapello, « Les organisations et le travail artistiques sont-ils contrôlables ? », [1997], Réseaux, n°86, Vol.15, pp.77-113.

4 J. Turbide, C. Laurin, « Performance Measurement in the Arts Sector: The Case of Performing Arts », [2009], International of

Arts Management, n°2, Vol. 11, pp.56-70. 5 D. Autissier, B. Simonin, [2009], Mesurer la performance du contrôle de gestion, Eyrolles Editions d’Organisation,

Collection Les Baromètres de la Performance. 6J.-M. Lucas, « Le point de vue de Jean-Michel Lucas sur l’évaluation des festivals », L’Affût, Agence régionale du spectacle

vivant Poitou-Charentes, 2006. 7 Loi Organique relative aux Lois de Finances, mise en place en 2006.

12

majoritairement, dont la viabilité est assurée par des sources de financements publiques,

entretiennent une relation similaire avec leurs propres financeurs.

La performance est une notion polysémique, qui est, dans l’esprit des gestionnaires, spontanément

associée à une dimension financière de profit. Dès lors, parler de « performance » pour les

organisations culturelles non lucratives, pour lesquelles cette notion n’existe ni philosophiquement ni

économiquement, heurte la rationalité managériale.

Nous nous interrogeons donc sur la pertinence d’introduire le concept dans les organisations

culturelles non lucratives et formulons en guise de première hypothèse l’incompatibilité de la

performance avec la structure, la mission, et les valeurs de l’organisation culturelle non lucrative.

La notion de performance a été introduite ici par sa composante et traduction opérationnelle :

l’évaluation. Les deux dimensions sont en effet indissociables dans la mesure où l’on ne parle de

performance que dans l’objectif d’apporter une mesure, une évaluation de ce que le terme recouvre,

en matière d’atteinte des objectifs notamment. Nous nous intéressons donc dans un deuxième temps

aux modalités de l’évaluation de la performance, et plus spécialement, dans une approche très

opérationnelle, aux outils dont les organisations disposent. Notre deuxième hypothèse découle assez

naturellement de la première, et postule que les organisations culturelles non lucratives résistent à la

mise en place de tels dispositifs. La résistance est non seulement provoquée de manière consciente,

par le refus de chercher les moyens de quantifier la valeur créée, mais légalement suscitée par la

matérialisation de l’incompatibilité présentée précédemment à travers la configuration des systèmes

existants, essentiellement conçus pour des entreprises industrielles du secteur marchand.

Enfin, nous avons tenté d’expliqué l’aversion des gestionnaires d’organisations culturelles à une

approche par le pilotage, en pointant du doigt l’évaluation en tant qu’élément déclencheur du

processus, aussi nous souhaitons étudier plus précisément le fonctionnement de cette « boucle du

pilotage »8, notamment à travers une analyse du contrôle qu’installe de fait la démarche d’évaluation

de la performance. Dans la ligne droite ce que les gestionnaires craignent relativement au caractère

destructeur du contrôle, nous proposons la troisième hypothèse suivante : l’évaluation de la

performance ne permet pas de mettre en place des modalités de contrôle associé à un pilotage

stratégique de l’activité pour l’organisation culturelle non lucrative.

Notre travail suit l’articulation de ces trois hypothèses ; nous analyserons tout d’abord dans quelle

mesure la notion de performance peut être mobilisée en organisation culturelle non lucrative, pour en

étudier ensuite les modalités d’évaluation et les implications en matière de pilotage. Enfin, nous

testerons nos hypothèses à la lumière des témoignages des représentants de trois festivals musicaux

non lucratifs français historiques : Le Printemps de Bourges, les Eurockéennes de Belfort, et les

Rencontres Trans Musicales de Rennes.

8 D. Autissier, ibidem.

13

PARTIE I : Introduction de la notion de performance dans

l’organisation culturelle non lucrative

La première étape de notre travail vise à dépoussiérer la notion de performance, trop spontanément et

exclusivement associée à sa composante économique financière.

A travers un état des lieux de des évolutions analysées par les chercheurs en sciences de gestion,

nous souhaitons régénérer le concept dans l’objectif d’être en mesure d’en proposer une définition

pour l’organisation culturelle non lucrative, dans le respect des spécificités de celle-ci.

Après avoir présenté une revue de littérature dressant un état des lieux de la recherche en matière de

définition de la performance, nous étudierons les caractéristiques de l’organisation culturelle non

lucrative, en regard du schéma général des entreprises du secteur marchand et industriel, pour

proposer une définition de la performance et établir un cahier des charges des modalités de la notion

pour le type de structures étudié.

Chapitre 1 : Qu’est-ce que la performance ?

La première étape de ce travail consiste à étudier la notion de performance telle qu’elle a été

théorisée dans la littérature afin de définir son périmètre d’application aux organisations culturelles

non lucratives.

Liée originellement au pilotage de l’activité des entreprises industrielles du secteur marchand, la

définition de la performance s’est enrichie avec la recherche d’approches organisationnelles reflétant

notamment les mutations de l’environnement économique général, et se traduit aujourd’hui en termes

très opérationnels à travers sa composante d’évaluation.

Section 1 : Définitions et approches

Les théories organisationnelles qui mobilisent le concept de performance sont nombreuses et peuvent

concerner toute fonction de l’entreprise. Il s’agit donc de définir précisément la notion dans une

configuration stratégique de pilotage de l’activité dans sa globalité, afin de mettre en évidence les

enjeux présentés par les différentes approches en vigueur, et notamment leur robustesse face aux

facteurs de contingence de l’environnement.

14

Paragraphe 1 : Définitions

A. Performance

Comme l’explique Annick Bourguignon, la performance est un terme à caractère polysémique, sur la

définition duquel les chercheurs s’opposent souvent9. En effet, les interactions de la « performance »

avec d’autres concepts, tels que l’efficience, la productivité, l’efficacité donnent lieu à débats pour

établir les relations d’inclusion ou d’exclusion entre ceux-ci10

.

Afin de ne pas faire du dilemme lexical un facteur d’inertie, nous dirons, avec Annick Bourguignon,

que « d’une façon générale, la performance désigne la réalisation des objectifs organisationnels… au

sens strict (résultat, aboutissement) ou au sens large du processus qui mène au résultat (action) ».

Elle s’articule autour des notions de succès, de résultat (d’une action), le plus souvent positif,

rejoignant la notion de succès, et de l’action elle-même, comme processus.

B. Systèmes de mesure et indicateurs

Un système de mesure de la performance peut être considéré comme un portefeuille de mesures

permettant de délivrer une évaluation équilibrée de la performance de l’organisation, c’est-à-dire

pondérée de tous les éléments le constituant. Plus précisément, il s’agit d’un système qui « permet de

prendre des décisions et de mener des actions avisées à la lumière de l’efficience et l’efficacité des

actions passées, grâce à l’acquisition, la vérification, le tri, l’analyse, l’interprétation, et la diffusion des

données appropriées »11

. Il s’agit donc d’un outil d’aide à la décision pour les gestionnaires.

L’efficacité du système repose sur l’optimisation des étapes énoncées ci-dessus, et son infrastructure

– le système d’information – mais avant tout sur la pertinence des mesures effectuées.

Traditionnellement, les indicateurs développés doivent être en mesure de quantifier les effets d’une

décision et de l’action corrélée : ce sont des variables construites pour caractériser la réalisation d’un

processus, qui permettent d’établir des objectifs précis et d’en vérifier l’atteinte. A ce titre, les

systèmes de mesure de la performance sont liés à l’élaboration de la stratégie de l’organisation12

.

La littérature propose divers modèles pour aider les gestionnaires à mettre en place les indicateurs

appropriés et réalisables, comme le célèbre Balanced Scorecard de Kaplan and Norton.

9 A. Bourguignon, « Sous les pavés la plage… ou les multiples fonctions du vocabulaire comptable », [1997], Comptabilité –

Contrôle – Audit, Tome 3, Vol. 1, pp.89-101. 10

Voir l’opposition entre Garibian et Richard sur la productivité, dans A. Bourguignon, « Sous les pavés la plage… ou les multiples fonctions du vocabulaire comptable », [1997], Comptabilité – Contrôle – Audit, Tome 3, Vol. 1, pp.89-101. 11

A. D. Neely, « Performance Measurement : Why, What and How », [1998] London : Economist Books, pp.5-6. 12

A. D. Neely, H. Richards, J. Mills, K. Platts and M. Bourne, « Designing performance measures: a structured approach », [1997], International Journal Of Operations And Production Management, n°11, Vol. 17, pp.1131-1152.

15

Paragraphe 2 : Approches

A. Approche traditionnelle financière

L’approche financière de la performance consiste à se poser la question suivante : « Comment se

positionne l’organisation face à ses actionnaires ? » en y répondant par un objectif de maximisation du

profit généré et de retour sur investissement.

Le système de mesure associé à cette approche est la comptabilité classique, modélisation qui

consiste à « produire une représentation chiffrée d’une entité économique »13

, et l’indicateur privilégié,

le résultat net comptable.

Il s’agit d’un modèle normé et composé de conventions partagées à l’échelle mondiale, qui permet

ainsi d’opérer une comparaison se voulant objective entre toutes les organisations. Asseyant

officiellement l’actionnaire, propriétaire de la firme, comme destinataire privilégié de l’activité de

l’organisation, ce modèle permet également de décliner l’objectif stratégique de maximisation du profit

en objectifs plus opérationnels, appréhensibles, et maîtrisables à une échelle managériale. Associés à

ces objectifs, les indicateurs transposés dans une dimension opérationnelle, constituent le « système

de pilotage »14

. Celui-ci doit refléter la stratégie choisie par l’entreprise pour parvenir à son objectif de

retour sur investissement, par exemple le pilotage par la marge dans un cadre industriel de

différentiation par les coûts. Quels que soient les indicateurs suivis, le modèle comptable vise toujours

à mesurer le résultat net.

En ce sens, et par sa traduction en termes opérationnels, l’approche financière présente une

robustesse, qui lui assure une grande popularité aujourd’hui encore au sein des organisations.

Cependant, dès les années 1980, des chercheurs ont dénoncé l’insuffisance d’une approche

exclusivement financière de la performance. Les principales critiques adressées concernent sa

dimension court-termiste de maximisation d’un profit matérialisé par les dividendes versés. Dès les

années 1990, l’incohérence de cette approche est mise en évidence par les besoins en

investissements imposés par un monde qui se globalise et en pleine mutation technologique.

Par ailleurs la suspicion porte souvent sur l’évaluation de la performance financière dans la mesure où

les chiffres sont assez facilement manipulables en fonction des objectifs fixés.

Dans son intervention à la XVIème

Conférence Internationale de Management Stratégique, en juin

2007 à Montréal, Marc Amblard va jusqu’à remettre en cause l’ensemble du modèle comptable,

défendant le point de vue que le résultat net comptable n’est autre qu’une construction sociale. Son

raisonnement s’appuie sur l’idée que la construction normée de ce modèle comptable est le fait de

conventions sociales, ou d’accords collectifs, confortés par les réglementations établies en renfort,

permettant aux utilisateurs de ne pas réaliser leurs propres choix. La qualité d’objectivité présentée

13

M. Amblard, « Performance financière: Vers une relecture critique du résultat comptable », XVIème

Conférence Internationale de Management stratégique, Montréal, 6-9 juin 2007. 14

C. Mendoza, M.-H. Delmond, H. Löning, M. Besson, C. Bonnier, O. Brue, « Quels indicateurs pour piloter? », [2011], Tableaux de bord – Donnez du sens à vos indicateurs, Editions Groupe Revue fiduciaire.

16

précédemment est issue de ce mécanisme. Pour Marc Amblard, les conventions établies ne sont pas

neutres mais au contraire, « privilégient un point de vue particulier, celui du détenteur des droits de

propriété de la firme » 15

.

On perçoit dès lors dans quelle mesure l’approche financière est faussée, non seulement insuffisante

pour appréhender l’ensemble des enjeux auxquels fait face l’organisation, mais en plus conçue dans

la seule perspective de s’adresser avant tout à l’actionnaire.

Enfin en évoquant la perception que l’approche financière de la performance est davantage une

évaluation des conséquences opérées par les décisions passées plutôt la réelle mise en place d’un

système de pilotage orienté vers l’avenir16

.

B. Approche globale non financière

L’approche non financière, en fait une approche mixte, doit pallier les insuffisances de l’approche

exclusivement financière. Notamment, grâce à des systèmes intégrant des indicateurs autres

qu’intermédiaires à un calcul du retour sur investissement, elle doit permettre de déployer la stratégie

de l’organisation à moyen terme.

Le système de mesure de la performance emblématique de cette approche est le Balanced Scorecard

de Kaplan et Norton, qui modélise la performance selon quatre axes, dont la performance financière

mais à laquelle s’ajoutent la satisfaction des clients, la maîtrise des processus internes, et le degré de

mobilisation des salariés.

Avec cette approche, les gestionnaires seraient plus aptes à comprendre les relations qui existent

entre divers objectifs stratégiques et ainsi à allouer de manière optimale les ressources nécessaires

selon les priorités17

.

Contrairement à la vision rétrospective de l’approche financière, l’approche globale semble beaucoup

plus dynamique, et grâce à des indicateurs observables en temps réel, ou presque, les gestionnaires

sont en mesure d’évaluer les impacts des décisions prises et de mettre en place des actions à visée

corrective, sans attendre la clôture périodique.

Paragraphe 3 : Impact de l’environnement sur la performance

La performance d’une organisation se définit et s’évalue relativement à l’existence de ressources et à

la pratique d’une activité en interaction avec l’environnement.

Prendre en compte l’impact de l’environnement dans l’approche de la performance a un sens dans

une approche néo-institutionnelle, selon laquelle les règles du jeu auxquelles sont soumises les

organisations leur sont exogènes. Par ailleurs, l’influence des parties prenantes sur l’organisation a

15

ibidem 16

R. G. Eccles, « The Performance Measurement Manifesto », [1991], Havard Business Review, Jan-Feb, pp.131-137. 17

A. A. Said, H. R. HassabElanby, B. Wier, « An Empirical Investigation of the Performance Consequences of Nonfinancial Measures », [2003], Journal of Management Accounting Research, Vol. 15, pp.193-223.

17

une implication en matière de performance, et nous étudierons en particulier la relation entre les

propriétaires et les gestionnaires de celle-ci.

A. Des règles du jeu imposées

La manière dont les organisations interagissent entre elles, et avec tout autre acteur – Etat,

investisseur, client – est soumise à une minutieuse observation. En s’inspirant de la théorie néo-

institutionnelle, on regroupera derrière le terme d’ « institutions » l’ensemble des dispositifs qui

régulent, contrôlent et surveillent les manœuvres des organisations, « un ensemble de règles

durables, stables, abstraites et impersonnelles, cristallisées dans des lois, des traditions ou des

coutumes, et encastrées dans des dispositifs qui implantent et mettent en œuvre, par le consentement

et/ou la contrainte, des modes d’organisation des transactions »18

.

Les implications de cette théorie sur la conception de la performance sont doubles : dans un

environnement normalisé, les organisations sont non seulement tenues de s’insérer dans le cadre

institutionnel établi19

, mais en plus sujettes à une pression quant à leur légitimité qui les conduit à un

mimétisme à l’égard des structures à succès20

.

En somme, les standards et objectifs de performance d’une organisation ne seraient que les répliques

de ceux des organisations de son environnement, ou du moins devraient intégrer les éléments ayant

fait leurs preuves chez les voisins.

Dès lors, les enjeux de différentiation, s’ils semblent d’autant plus capitaux pour créer de la

compétitivité, en sont également d’autant moins authentiques qu’ils ne recouvrent qu’une signification

toute relative, dans cette configuration d’isomorphisme des organisations entre elles.

Il est cependant à noter que l’importance des effets institutionnels est à relativiser en regard du type

d’économie dans laquelle on se trouve (libérale ou protectionniste), du secteur d’activité (peu innovant

ou à fort potentiel de créativité) et de la structure du marché (concentré ou éclaté).

B. Impact des parties prenantes

Freeman, en 1984, définit les parties prenantes comme les « groupes ou individus pouvant affecter ou

être affectées par la réalisation des objectifs de l’organisation », ou selon la définition que nous avons

en avons établie, par la performance de l’organisation.

L’apport de la théorie des parties prenantes, de Freeman, est l’identification des menaces et

opportunités présentées par ces parties prenantes dans l’environnement de l’organisation. Or ces

menaces et opportunités dépendent précisément des critères que retiennent les parties prenantes

pour évaluer la performance de l’organisation, et donc du degré auquel celle-ci « performe ».

18

C. Ménard, « L’approche néo-institutionnelle : des concepts, une méthode, des résultats », [2003], Cahier d’économie politique, n°44, pp.103-118. 19

P. Selznick, « Institutionalism "Old" and "New" », [1996], Administrative Science Quarterly, n°2, Vol.41, pp.270-277. 20

P. J. DiMaggio, W. Powell, « The iron cage revisited" institutional isomorphism and collective rationality in organizational fields », [1983], American Sociological Review, Vol.48, pp.147-60.

18

Très clairement, la performance ne se limite plus du tout à la simple confrontation d’objectifs

stratégiques développés en interne, au sein de l’équipe dirigeante, avec leur niveau de réalisation.

La théorie de Freeman repose, pour échapper à des conflits qui paralyseraient l’organisation, sur

l’intégration, dans la mesure du possible, des différentes parties prenantes au processus de

planification stratégique et à sa mise en œuvre.

En termes d’impacts sur la performance, cela positionne de fait les organisations dans une approche

multidimensionnelle, qui donc, en plus d’intégrer des mesures non financières, diversifie le périmètre

des indicateurs choisis (économique, social, environnemental, réglementaire, éthique…).

C. Relations entre propriétaires et gestionnaires

Il est cependant de coutume que dans les organisations commerciales, la primauté soit donnée à un

groupe de parties prenantes bien défini : les propriétaires de l’entreprise, et ainsi que le système de

mesure de la performance soit conçu pour transmettre une information leur étant principalement

destinée.

La théorie de l’agence, développée par Hill et Jones en 1992, présente avec pertinence les problèmes

que pose cette configuration largement répandue. Une relation d’agence est une situation dans

laquelle une ou plusieurs personnes (les principaux) engagent une ou plusieurs autres personnes (les

agents) pour réaliser en leur nom des actions nécessitant de leur déléguer un degré d’autorité de

prise de décision21

. Il s’agit de la relation qui existe entre l’actionnaire et le gestionnaire. Appliquant la

notion d’intérêt personnel aux organisations, cette théorie met en garde contre les conflits qui peuvent

survenir du décalage entre les objectifs et motivations des deux parties, et donc attire l’attention sur le

caractère critique que revêt la définition de la performance dans l’organisation.

Section 2 : Comment peut-on mesurer la performance ?

La performance est donc une notion complexe, dont la définition se caractérise non seulement par

une diversité des approches organisationnelles, mais dont le paramétrage est fortement influencé par

l’environnement et les forces en présence.

Intrinsèquement liée à l’évaluation, qui en est la traduction opérationnelle, la complexité du concept de

performance prend forme à travers la recherche de modèles d’évaluation et systèmes de mesure.

Paragraphe 1 : Pourquoi mesurer la performance ?

Avant toute chose, la question se pose sur les motivations qui amènent les gestionnaires à se

positionner sur la notion de performance, et surtout à la mesurer, c’est-à-dire à prendre la

responsabilité de « noter » leurs méthodes de travail.

21

C. W. L Hill, T. M. Jones, « Stakeholder-Agency Theory », [1992], Journal of Management Studies, n°2, Vol.29, pp. 131-154.

19

On pourrait justifier cette attitude par la tendance contemporaine à la multiplication de l’information,

par le désir de toujours tout quantifier, ou encore par la nécessité de développer une dynamique de

responsabilité sociétale au sein de l’organisation.

A. Mesurer pour améliorer

La littérature reconnaît un lien de cause à effet quasiment direct entre le développement d’un système

de mesure de la performance et l’amélioration de celle-ci pour l’organisation. Cette relation n’est

cependant pas évidente à expliquer : comment l’information créée se transforme-t-elle en une

amélioration perceptible de l’activité ?

L’écosystème de l’organisation se caractérise par la complexité des forces en présence, et le manque

de clarté des relations qui les unissent. Outre les facteurs de contingence, pas toujours décelables,

nous avons abordé les risques de conflit, les positions contradictoires, et nous pouvons ajouter

l’existence de forces invisibles, de l’ordre de l’inconscient collectif par exemple.

L’introduction de la performance doit permettre d’identifier ces facteurs internes ou externes à

l’organisation qui influencent son activité, et les systèmes de mesure doivent permettre de mettre en

lumière les zones critiques d’opportunités et de menaces, d’identifier les leviers d’amélioration.

La démarche de mesure de la performance, et la mise en place d’une batterie d’indicateurs, aussi

pertinents soient-ils pour la phase d’évaluation, ne représentent donc que la première étape d’un

processus plus large de pilotage de l’activité.

B. Mesurer pour apprendre et innover

D’autre part, on mesure la performance, pour apprendre, au sens de l’apprentissage organisationnel

du Balanced Scorecard : dans le but de développer une maîtrise des processus et de capitaliser un

avantage compétitif durable.

En effet, à notre sens, en apprenant à identifier les menaces et les opportunités par la mesure, les

managers ont davantage de perspectives pour agir, et apprendre à réduire les premières pour

exploiter les secondes. La mise en place de règles de bonnes pratiques fondées sur l’expérience

constitue une source d’apprentissage riche pour l’organisation, et le secteur.

C. Mesurer pour communiquer

Enfin, la performance est le sceau du contrat qui lie les parties prenantes de l’organisation entre elles.

C’est essentiellement en des termes qui traduisent cette notion que celles-ci échangent entre elles,

aussi la mesure de la performance a pour objectif de leur fournir des outils d’aide à la décision pour

renouveler, ou rompre, leur engagement auprès de la structure.

20

On perçoit donc la dimension politique22

des systèmes élaborés, qui ont pour enjeu de préserver

l’intégrité de l’organisation en assurant la permanence de l’implication des parties prenantes, qui

détiennent les sources de financement, les actionnaires et investisseurs, et pilotent les dispositifs de

régulation, les pour les pouvoirs publics.

Le dispositif d’évaluation de la performance doit permettre d’utiliser un langage commun aux parties

prenantes à qui il s’adresse pour simplifier les interactions entre celles-ci.

Paragraphe 2 : Différents niveaux de mesure

Il existe donc différentes entrées pour appréhender la notion de performance, chacune correspondant

à des ambitions, des préoccupations et des principes différents. Mais lorsqu’il s’agit de recueillir

l’information qui va servir à former les mesures, à quel niveau doit-on se positionner ? Considère-t-on

l’organisation comme une entité intègre et impossible à scinder ? Ou au contraire, que la performance

de l’ensemble est la somme des performances individuelles ?

Du principe aristotélicien que le tout est supérieur à la somme des parties23

, on déduit que la

performance de l’entreprise n’est pas le fruit brut de celle de ses individus. Il peut cependant être

intéressant de mesurer la performance à une échelle individuelle, et à l’échelle d’un service, pour

enrichir la mesure faite à l’échelle de l’organisation toute entière.

A. Performance individuelle

L’introduction de la performance à l’échelle des individus – les managers – permet en effet de prendre

la mesure de l’existence, et le cas échéant des impacts, d’une configuration en agence, dans laquelle,

on le rappelle, les intérêts des propriétaires de l’organisation ne concordent pas avec les intérêts de

ses gestionnaires.

Le fait de fixer des objectifs quantifiables et évaluables, et d’en suivre la réalisation, permet de déceler

des dysfonctionnements, d’en découvrir les causes et de mettre en place des actions correctives.

Car le corollaire, positif, de cette approche est la possibilité d’agir très rapidement et de manière

ciblée. Lorsqu’un dysfonctionnement opère à un niveau individuel, les effets mettent moins de temps à

apparaître que s’agissant d’une erreur à un niveau stratégique qui ne deviendrait critique que sur la

durée de plusieurs exercices. Surtout, la marge de manœuvre corrective est grande, dans la mesure

où n’impliquant les ressources à mobiliser qu’à une échelle individuelle.

La performance individuelle se mesurerait donc avec des indicateurs à court-terme – un volume de

production, un chiffre d’affaire périodique – et les dysfonctionnements éventuels relèvent

majoritairement d’une problématique de ressources humaines.

22

Relative à l’exercice du pouvoir 23

Aristote, Métaphysique, 10f-1045a

21

Le fait de pouvoir agir rapidement et à moindre coûts sur la performance à un niveau individuel ne

rend cependant pas son appréhension et son pilotage aisés. Précisément lorsqu’il s’agit de

ressources humaines, l’incertitude est grande et les données instables.

Le mécanisme phare des systèmes de gestion des ressources humaines pour encourager la

performance individuelle est le système de compensations financières basées sur l’atteinte des

objectifs de performance24

. Annick Bourguignon25

met en garde contre face aux insuffisances de ces

mécanismes comme éléments de motivation des individus, soutenant que toutes les personnes ne

valorisent pas de la même manière les récompenses (et surtout les récompenses financières) et qu’il

existe d’autres sources de motivation, telles que l’estime de soi, la reconnaissance, ou la réputation.

Développer un système intégré de la performance à un niveau individuel a donc un sens à travers la

mise en cohérence des mesures dont l’organe de pilotage a besoin, et l’approche personnelle des

individus de leur propre performance, et de la manière dont celle-ci peut être valorisée.

B. Performance des services

A un niveau supérieur, émerge une approche par les différents services de l’entreprise, et en

particulier les fonctions support : le système d’information, les ressources humaines, la fonction

commerciale, la logistique, la qualité. Celles-ci apparaissent comme des centres de coûts à optimiser

pour l’organisation, et la question de leur contribution à l’activité et à l’atteinte des objectifs

stratégiques fait intervenir la notion de performance et son évaluation. Par ailleurs, les fonctions

support sont des centres de coordination de l’activité de l’entreprise et jouent donc un rôle clé dans la

démarche de pilotage.

Le concept de performance y est cependant plus difficile à formaliser car il s’appréhende de manière

spécifique à chaque fonction : elle pourra porter sur l’innovation, la qualité, la gestion de

connaissances, la responsabilité sociale, la gestion du changement, la gestion de projet26

.

Pour rendre la tâche plus facile aux gestionnaires, David Autissier propose un Modèle d’Evaluation

Fonctionnelle (MEF), applicable à l’ensemble des fonctions support de l’entreprise. Il s’agit d’apporter

des réponses aux questions pratiques que se posent les dirigeants, sur la pertinence d’externaliser

une fonction plutôt que de la maintenir en interne par exemple. Alors que la performance individuelle

se mesure d’un point de vue opérationnel, la performance des services intègre ainsi la double

dimension, opérationnelle et stratégique.

Le modèle présenté se décompose en quatre pôles qui balayent les éléments à mesurer pour la

fonction support : le pôle activité qui confronte les prestations réelles et les prestations théoriques du

centre, le pôle compétences qui s’intéresse aux salariés et se caractérise par l’approche individuelle

présentée précédemment, le pôle organisation qui évalue les ressources allouées à la fonction, et le

24

Incentives 25

A. Bourguignon, « Performance Management and Management Control: Evaluated Managers’ Point of View », [2004], European Accounting Review, Vol. 13, n°4, pp.659-687. 26

D. Autissier, B. Simonin, [2009], Mesurer la performance du contrôle de gestion, Eyrolles Editions d’Organisation, Collection Les Baromètres de la Performance.

22

pôle clients, qui mesure la satisfaction de ceux-ci. Pour chacun des pôles, David Autissier propose

des indicateurs reflétant un calcul de taux de performance.

Intégrés à un tableau de bord, ces indicateurs nous semblent pertinents pour piloter la fonction

support en ligne avec la stratégie globale de l’entreprise.

C. Performance globale

A un niveau stratégique, c’est donc la performance globale de l’entreprise qu’il s’agit de mesurer. Elle

ne consiste évidemment pas dans la moyenne des performances de chaque service.

L’évaluation de la performance globale porte sur l’intégralité de la chaîne de valeur et vise à mesurer

la valeur créée par l’organisation, pour l’ensemble des parties prenantes. Ce niveau d’appréhension

de la performance représente un élargissement par rapport aux précédents, et fait intervenir une

notion critique pour le pilotage de l’activité : la responsabilité sociale de l’entreprise27

.

Dès les années 1960, Keith Davis définissait la responsabilité sociétale comme les « décisions et

actions prises par les dirigeants pour des raisons qui vont au-delà des seuls intérêts économiques ou

techniques » et le concept est approfondi et intégré au pilotage de l’activité de l’organisation dans les

années 1970 par le Commitee for Economic Development : « le premier [cercle concentrique]

comprend les responsabilités de bases pour l’accomplissement des fonctions essentielles de

l’entreprise, relatives à la production, à l’emploi et à la croissance économique ; le second, englobant

le premier, inclut une notion élargie de responsabilité, avec une sensibilité aux évolutions de la société

[…] ; enfin, le troisième tient compte de l’exercice des responsabilités émergentes, servant à améliorer

l’environnement […] »28

.

L’approche de la performance associée à ce nouveau périmètre de l’activité de l’organisation, la

performance sociétale, peut être définie comme la configuration organisationnelle dans laquelle la

position de responsabilité assumée par l’entreprise se traduit en politiques produisant des résultats

observables, en actions donc29

.

Cette définition qui fait intervenir les notions de processus, action et résultat s’inscrit dans la ligne

directe de la terminologie choisie avec Annick Bourguignon. La particularité de cette approche réside

en fait dans les outils de mesure mobilisés. Il en existe une pluralité, depuis les comptabilités

environnementale et sociale, les initiatives de certification et normalisation, jusqu’aux dispositifs de

reporting, comme le GRI, Global Reporting Initiative, sur lesquels nous reviendrons ci-après plus

précisément.

27

Ou responsabilité sociétale de l’entreprise dans une traduction plus juste de l’anglais « corporate social responsability » 28

Cités par A. Dohou, N. Berland, « Mesure de la performance globale des entreprises », 28ème

Congrès de l’association francophone de comptabilité « Comptabilité et environnement », jeudi 24 mai 2007, IAE Poitiers. 29

D.A. Wood, « Corporate Social Performance revisited », [1991], Academy of Management Review, Vol.16, n°4, pp.691-718.

23

Paragraphe 3 : Outils de mesure

A. Outils du contrôle de gestion

Anthony donne du contrôle de gestion la définition suivante : « processus par lequel les managers

obtiennent l’assurance que les ressources sont obtenues et utilisées de manière efficace et efficiente

pour réaliser les objectifs de l’organisation »30

. Une définition des années 1960 encore tout à fait

pertinente pour justifier la place qu’occupent les outils de la discipline dans l’approche qu’ont les

organisations de la performance. A cette première conceptualisation très orientée vers la mesure et

évaluation, s’ajoutent les notions de maîtrise et de pilotage dans la précision apportée quelques

années plus tard par le même auteur : le contrôle de gestion serait « le processus par lequel les

managers influencent d’autres membres de l’organisation pour mettre en œuvre des stratégies »31

.

Cette approche de la performance est répandue car l’utilisation de ses outils est bien maîtrisée par les

entreprises et le pilotage de l’activité semble s’être standardisé autour des principes clés du contrôle

de gestion : objectifs, plan d’actions, mise en œuvre, analyse des écarts et réorientations32

.

Les outils de la discipline se distinguent en deux catégories : outils prévisionnels, dont le but est de

faciliter la projection dans l’avenir pour les gestionnaires et d’aider à la mise en place de plans

d’actions, et dont les processus clés sont la budgétisation et la planification ; et outils de suivi, qui

doivent éclairer les dynamiques de fonctionnement de l’activité, classiquement grâce à une

comptabilité de gestion – ou analytique – qui rend compte de l’allocation des ressources, et à des

indicateurs intégrés à un tableau de bord, qui permettent d’informer avec des données clés.

L’analyse des écarts émerge de la confrontation des évaluations de suivi du réalisé avec les

projections du prévisionnel. Selon la périodicité de mise à jour des données, l’analyse des écarts et

les informations présentées dans le tableau de bord doivent permettre de prendre des actions

correctives, voire de remettre en cause les objectifs.

La pertinence des outils du contrôle de gestion dans l’évaluation de la performance tient à leur

robustesse qui les rend transposables à l’ensemble des structures.

B. Tableaux de bord

L’approche de la performance et de l’activité par le pilotage se sont vite heurtés à l’insuffisance des

outils les plus classiques de l’organisation – la comptabilité et la budgétisation – jugés trop financiers.

Le besoin de posséder un outil plus complet, sur un plus large périmètre de la performance de

l’organisation a amené les gestionnaires à faire appel à des modèles de tableaux de bord.

L’avantage de ces systèmes d’évaluation et des modèles conceptuels est précisément de prendre en

compte les composantes autres que financières de la performance. Conçus pour allier mesures

30

R. N. Anthony, « Planning and Control Systems, a framework for analysis », [1965], Division of Research, Harvard University, Boston, p17. 31

R. N. Anthony, « The Management control function », [1988], The Harvard Business School Press, Boston, p.10. 32

Y. Evrard, [2004] Le Management des entreprises artistiques et culturelles, Ch.6, Editions Economica, Coll. Gestion.

24

financières et non financières, internes et externes, de projection et de suivi, de court et long termes,

ils encouragent les dirigeants à aborder la performance sur la durée et de manière

multidimensionnelle.

On peut ainsi citer le modèle d’évaluation fonctionnelle présenté précédemment, le Balanced

Scorecard de Kaplan et Norton, ou le prisme de la performance de Neely.

Dans le cas du Balanced Scorecard, il s’agit d’une analyse intégrée à quatre dimensions qui met en

interaction directe la mission de l’organisation (perspective financière de la maximisation du profit),

ses objectifs stratégiques pour y arriver (satisfaction des clients), son avantage concurrentiel

(optimisation des processus internes) et les perspectives d’amélioration (sources d’apprentissage

organisationnel).

Le modèle du prisme de la performance entend mettre à jour l’approche Balanced Scorecard en

ajustant ses axes aux problématiques du début du XXIème

siècle33

. Notamment il élargit la prise en

compte des parties prenantes, limitées aux clients et actionnaires avec le Balanced

Scorecard (satisfaction des parties prenantes), qu’il transforme en pivots de la stratégie (stratégie), et

dont il reconnaît l’impact sur l’organisation (contribution des parties prenantes).

Cette approche recouvre une appréhension de l’organisation et de la stratégie par ses « macro-

objectifs », c’est-à-dire des domaines auxquels correspondent les questions qui se posent aux

dirigeants. Le tableau de bord constitue, pour les acteurs qui en alimentent les indicateurs, un outil

commun pour l’évaluation de la performance, de manière très opérationnelle, il permet de comprendre

les résultats des actions menées et d’apporter des corrections si besoin.

Mais au-delà, dans une philosophie de la performance, le tableau de bord représente le consensus

qui doit exister au sein de l’organisation sur ce que sont les objectifs à atteindre par chacun et par

l’organisation dans son ensemble, et donc une prise de position collective sur la performance.

C. Systèmes issus de l’économie sociale

Enfin, au cours de la dernière décennie, nous avons assisté à l’émergence d’un besoin d’évaluation

d’une autre nature concernant les organisations, en relation directe avec le développement d’une

conscience – ou d’une apparence – de responsabilité sociale de l’entreprise.

Au cœur de la réflexion autour du comportement des entreprises se trouve une démarche de prise en

compte de l’ensemble des parties prenantes, et particulièrement sous un angle environnemental et

social, jusqu’alors ignoré.

Cette approche, portée essentiellement par les organisations de l’ « économie sociale et solidaire »,

soit « à statut coopératif, mutualiste ou associatif ainsi que les fondations » et de manière générale le

33

A. Neely, C. Adams, P. Crowe, « The performance prism in practice » [2001], Measuring Business Excellence, n°5, Vol.2, pp .6-12.

25

secteur non lucratif34

, permet d’aborder une conception autre de la performance et de réfléchir aux

innovations que les entreprises peuvent développer en matière d’auto-évaluation35

.

C’est à ce titre que le bilan sociétal a été déposé en tant que référentiel par le CJDES36

à la fin des

années 1990. Instrument de diagnostic, il a été conçu comme un outil d’aide à la décision, et se

différencie des modèles jusqu’ici présentés en ce qu’il vise avant tout à un changement des

comportements en vigueur dans l’organisation plutôt qu’à une valorisation des différentes

composantes de l’activité.

Comme évoqué plus tôt, les dispositifs d’évaluation en matière de responsabilité sociale de

l’entreprise se multiplient sur les trois dimensions du développement durable – économique,

environnementale et sociale – mais ils semblent difficiles à réconcilier dans une approche globale.

Des chercheurs ont essayé d’adapter le Balanced Scorecard à cette approche globale, et notamment

Hockerts avec son Sustainability Balanced Scorecard37

mais la souplesse face aux indicateurs

financiers semble encore faire défaut au modèle.

Le Global Reporting Initiative (GRI) présenté précédemment apparaît aujourd’hui comme le standard

le plus avancé, notamment par la configuration du référentiel selon les trois dimensions en question,

mais il présenterait toujours des limites techniques, notamment liées à l’impossibilité de mesurer les

contributions réciproques entre les différentes dimensions.

La performance s’inscrit donc dans une approche multidimensionnelle de l’activité orientée vers le

pilotage, se définit selon une configuration duale du processus et du résultat, et se traduit et s’exprime

de manière opérationnelle dans la mise en place de dispositifs d’évaluation paramétrés pour rendre

compte de la prise de position de l’organisation sur sa propre performance.

Chapitre 2 : Quelles sont les modalités de la performance pour l’organisation

culturelle non lucrative ?

Le concept de performance a été introduit dans un contexte marchand et industriel, d’organisation

visant au profit. Il s’agit ici de se demander si l’on peut utiliser le même mot et la même notion lorsqu’il

s’agit d’une organisation dont le but n’est pas lucratif et dont la dimension culturelle du secteur

d’activité nous place dans le champ des services.

34

Définition de l’ADDES, Association pour le Développement de la Documentation sur l’Economie sociale. 35

M. Capron, « Un nouvel instrument d’auto-évaluation des organisations : le bilan sociétal », [2003], Comptabilité – Contrôle – Audit, n° spécial, pp.55-70. 36

Centre des Jeunes Dirigeants et acteurs de L’Economie Sociale 37

K. Hockerts, « Corporate Sustainability Management, Towards Controlling Corporate Ecological and Social Sustainability », [2001] in Proceedings of Greening of Industry Network Conference, January 21-24, Bangkok.

26

Nous nous questionnerons donc ici sur la pertinence de parler de performance en regard des

spécificités de l’organisation culturelle non lucrative, et sur les facteurs environnementaux et internes

qui créent une configuration propice à un travail de définition du concept pour ce type de structures.

Section 1 : Spécificités de l’organisation culturelle non lucrative

Pour cela, il faut tout d’abord confronter les deux types d’entreprises, marchandes et non marchandes,

industrielles et culturelles, pour cibler les éléments spécifiques à l’organisation non lucrative, qui

pourraient aller à l’encontre de l’utilisation de ce concept.

Paragraphe 1 : Différences structurelles

A. Mission

En stratégie, la mission d’une entreprise est définie comme « son but primordial, en ligne avec les

valeurs ou les attentes des parties prenantes »38

. C’est une notion capitale pour définir l’identité de

l’organisation et ses orientations stratégiques.

Les entreprises ont souvent du mal à définir leur mission, et confondent ce concept avec celui

d’objectif stratégique. Dans le cadre marchand, la mission concerne la réussite économique de

l’organisation : il s’agit d’assurer la pérennité de l’organisation elle-même et du marché, en délivrant la

plus grande valeur possible aux consommateurs et aux actionnaires.

Concernant les organisations culturelles, Johanne Turbide et Claude Laurin proposent une définition

de la mission des organisations des arts du spectacle, que l’on peut élargir à toutes les organisations

culturelles : « la mission des organisations des arts du spectacle est généralement l’enrichissement de

l’environnement culturel grâce à la performance artistique »39

. Pour traduire le mot anglais

achievement utilisé par Johanne Turbide et Claude Laurin, nous choisissons le terme de

« performance » qui nous permet ainsi déjà d’introduire l’idée que dans le périmètre des organisations

culturelles, la performance ne revêt pas qu’une dimension économique.

B. Objectifs stratégiques

Les objectifs stratégiques sont souvent confondus avec la mission de l’entreprise. Une organisation

marchande définira ainsi sa mission comme « devenir le deuxième acteur du secteur en termes de

parts de marché » quand il s’agit réellement d’un objectif (« atteindre un taux de parts de marché »).

Les objectifs stratégiques font en fait intervenir un aspect quantitatif : il s’agit de décliner le but de

l’organisation en indicateurs numériques40

.

Les objectifs poursuivis par l’organisation culturelle sont complexes et en évolution permanente. Maria

Tajtakova établit une cartographie des choix stratégiques auxquels une organisation culturelle est

confrontée : dans son application aux Opéras, elle distingue quatre catégories d’objectifs

38

G. Johnson, K. Scholes, R. Whittington, Exploring Corporate Strategy, 8th ed., Prentice Hall p.9.

39 J. Turbide, C. Laurin, « Performance Measurement in the Arts Sector: The Case of Performing Arts », [2009], International of

Arts Management, n°2, Vol. 11, pp.56-70. 40

G. Johnson, K. Scholes, R. Whittington, Exploring Corporate Strategy, 8th ed., Prentice Hall p.9.

27

stratégiques : objectifs artistiques, qui concernent l’offre culturelle, objectifs économiques, relatifs aux

sources de financement et aux postes de coût, objectifs « marketing », qui visent à créer une relation

avec les publics, et objectifs sociaux, dont la portée est de faciliter l’accès à l’art à toutes les

populations41

. La spécificité de l’organisation culturelle réside d’une part dans l’impossibilité de créer

une hiérarchie par degré d’importance des objectifs ; et d’autre part, le conflit qui peut exister entre les

différents buts de l’organisation culturelle, et notamment entre les dimensions économiques et

sociales ou artistiques.

C. Organisation et gouvernance

Toujours dans son étude sur les modèles de management au sein des opéras, Maria Tajtakova

énumère les facteurs de gestion internes et externes qui influencent le processus de prise de décision

stratégique. Parmi ces facteurs, se trouvent la structure organisationnelle et le management La

particularité pour les organisations culturelles non lucratives réside notamment dans la taille de

l’organe de gouvernance.

En effet, les membres des conseils d’administration des organisations culturelles sont souvent plus

nombreux que dans les organisations marchandes, où il s’agit souvent du regroupement des

différents directeurs de l’entreprise, soit d’un espace-temps dédié à la prise de décision concertée

entre acteurs dont les objectifs convergent. La conception de cet espace-temps diffère lorsque

transposée à l’organisation culturelle : pour W. Mark Sukel, il y est une zone stratégique des plus

importantes dont la grande taille « contribue à accroître la base de support et d’implication de la

communauté, et sa réduction [de taille] être une entrave au support financier 42

». L’organe de

gouvernance servirait davantage un organe servant d’interface entre la communauté et

l’environnement, et l’organisation elle-même.

Paragraphe 2 : Valeur du bien culturel

La valeur d’un bien ou d’un service peut revêtir plusieurs conceptions. Souvent rapportée au rapport

entre la qualité et le prix, cette relation nous semble insuffisante dans le cas du bien culturel car nous

rejoignons M. Hume et G. S. Mort sur le point que selon cette logique, le prix influencerait la qualité43

.

Une organisation marchande, pour baisser ses prix, travaillera à limiter ses coûts de production, et

appauvrirait probablement la qualité du produit offert. Ce modèle de valorisation ne semble pas

applicable au bien culturel, à en juger par le grand nombre de manifestations culturelles partiellement

ou totalement gratuites, qui génèrent une consommation importante.

Dès lors, la question se pose sur la définition la plus pertinente à donner à la valeur d’un bien culturel,

sur les dispositifs pour la mesurer, et sur la signification des prix dans l’industrie culturelle.

41

M. Tajtakova, « Conflicting and Overlapping nature of strategic objectives in an opera House Management: Implications for a New Management Model », [2006], Paper for the ACEI conference, Vienna. 42

W. M. Sukel, « Third sector organizations, A needed look at the artistic-cultural organization », [1978], The Academy of Management Review, n°2, Vol. 3, pp.348-354. 43

M. Hume, G. Sullivan Mort, « Satisfaction in performing arts: the role of value? », [2008]n European Journal of Marketing, iss n°3/4, Vol. 42, pp.311-326.

28

A. Tension entre valeur économique et valeur culturelle

Dans le cas de l’offre culturelle, la valeur du bien ou du service est multidimensionnelle : il existe une

valeur économique et une valeur culturelle. La première est exprimée en termes monétaires, et peut

être présentée comme la mesure des « effets économiques des activités culturelles »44

, soit la partie

que le marché peut capturer. La seconde reflète des aspects culturels, esthétiques et artistiques, et

ses effets sont perceptibles sur le plan social au sens large, en matière d’intégration des populations

et des minorités, d’éducation, ou de développement personnel ou communautaire par exemple45

.

Si ces deux approches semblent en conflit, c’est parce qu’elles s’expriment en termes contradictoires.

L’approche économique, qui prévaut dans l’organisation marchande, fait intervenir les notions de

marge commerciale, d’élasticité de la demande ou d’impact économique, alors que l’approche

culturelle de la valeur fait appel à des notions qualitatives, voire philosophiques (fierté, identité,

héritage…). L’apparente impossibilité de réconcilier ces deux définitions – comment calculer un retour

sur investissement à partir du degré d’indentification ressentie par les consommateurs ? – instaure un

climat de défiance : l’approche économique menacerait de tuer le développement culturel par des

problématiques de rentabilité, tandis qu’une approche purement culturelle ignorerait les questions de

viabilité financière.

Pour réaliser sa mission, et être pérenne, aucune organisation ne peut maintenir une situation de

conflit et définir les leviers de la création de valeur, c’est déjà définir sa stratégie.

B. Captation de valeur et prix

Pour mesurer la valeur créée par l’activité artistique, nous avons écarté les outils purement financiers

liés à la rentabilité économique. La méthode proposée par les chercheurs pour mesurer les effets de

création de valeur des activités artistiques s’exprime pourtant en termes monétaires. Elle repose une

étude de la propension à payer46

.

Il s’agit de mesurer la différence entre les bénéfices créés par le projet artistique et les coûts générés,

en demandant aux consommateurs le prix qu’ils seraient prêts à payer.

Cette méthode pose néanmoins un problème dans son application aux biens et services culturels,

pour lesquels la demande est instable, liée à des pratiques expérimentales ou addictives47

.

Mais il est inévitable de parler de prix lorsque l’on parle de valeur, même concernant les biens et

services culturels et de manière d’autant plus critique que dans le contexte de restriction des aides

publiques, les recettes de billetterie représentent une part critique des produits, au sens comptable.

44

B. S. Frey, « What Value Should count in the Arts? The Tension Between Economic Effects and Cultural Value », [2005], Working Paper Series, Institute for Empirical Research in Economics, University of Zurich, n°253. 45

A. Klamer, « Value of Culture », [2003], A Handbook of Cultural Economics, Edward Elgar Publishing, ch.59, pp.465-469. 46

B. S. Frey, ibidem. 47

D. Throsby, « Determining the Value of Culturel Goods: How much (or how little) does contingent valuation tell us? », [2003], Journal of Cultural Economics, n° 27, pp.275-285.

29

Dans le cas des organisations non lucratives productrices de biens ou services culturels, une

approche pertinente considère les prix comme l’expression de l’objectif social cherchant à maximiser

la propension à payer des consommateurs48

. Selon cette approche, seuls les coûts opérationnels sont

couverts par le prix, logique opposée à un calcul des prix pour maximiser le profit.

La poursuite de l’objectif social explique en France, la large propagation du gratuit dans l’offre de

services culturels.

C. Risque

La notion de valeur, en tant que valeur perçue par le consommateur, est indissociable de celle de

risque. Il en existe différents types : temporel, financier, sensoriel, fonctionnel, et psychologique49

. Les

théories de comportement du consommateur relient la dimension de valeur aux notions de

récompense et de sacrifice. La qualité représente le principal bénéfice retiré, tandis que le prix est le

principal sacrifice réalisé. Le risque représente ainsi la possibilité de perdre un élément important

comme de l’argent, ou du temps.

Dans notre application, il s’agit de la possibilité que les coûts – financiers, temporels, relationnels –

associés à la consommation du bien ou service culturel, dépassent les bénéfices retirés.

Du point de vue des organisations, c’est un coût qu’elles sont rarement prêtes à assumer. Il s’agit de

charges occasionnées pour la production, la promotion et la distribution du bien ou service, mais il faut

également mesurer le coût d’opportunité, qui représente les pertes réalisées par la non réalisation

d’une opération à succès.

La conscience de ce coût d’opportunité est critique pour les organisations culturelles sans but lucratif.

Face à une réduction des subventions publiques, la viabilité financière de ces structures repose en

grande partie sur leurs recettes de billetterie. Se pose alors la question des décisions en matière de

programmation, ligne éditoriale ou artistique, sur le modèle de l’analyse de portefeuille.

Pour une organisation marchande, la constitution du portefeuille d’activités répond aux injonctions de

sa mission de maximiser le profit réalisé.

Dans le cas d’une organisation culturelle non lucrative, dont la mission est l’enrichissement de

l’environnement culturel, mais dont l’existence est conditionnée par la viabilité financière, l’arbitrage

semble plus difficile à réaliser : Quelle place faut-il donner aux projets jugés « risqués ? Faut-il intégrer

des projets plus « sûrs », de forte notoriété, au risque de desservir la mission culturelle de

l’organisation ?

Paragraphe 3 : Problématiques propres à l’organisation culturelle non lucrative

A la lumière de ces éléments, on perçoit des problématiques propres au secteur culturel non lucratif,

notamment la dépendance financière et plus généralement le soutien de la communauté, la

48

A.G. Holtman, « A Theory of Non Profit firms », [1983], Economica, n°200, Vol.5, pp.439-449. 49

M. Hume, G.S. Mort, ibidem.

30

multiplicité des parties prenantes, et particulièrement la complexité liée à la consommation et aux

publics.

A. Mutation des sources de financement

Pour financer leur activité, les organisations culturelles ont recours à trois sources principales : les

recettes propres de billetterie et recettes commerciales, les subventions publiques, et les partenariats

privés liés à des opérations de sponsoring et de mécénat.

La relation de dépendance à l’égard des sources de financement s’accroît du fait de la stagnation des

subventions publiques et du budget de l’Etat alloué à la culture. Le budget du Ministère de la Culture

et de la Communication n’a en effet augmenté que de 1% en moyenne depuis 2006, date du passage

en mode de gestion L.O.L.F. (Loi Organique relative aux Lois de Finances)50

.

Face à ce rétrécissement de l’aide publique, les organisations culturelles se tournent vers des

partenaires privés commerciaux, souvent rattachés à des groupes capitalistiques, qui font peser sur le

secteur la menace d’une évolution vers une logique de marché économique et financière.

B. Complexité des parties prenantes et des publics

Les parties prenantes de l’organisation culturelle non lucrative sont nombreuses. On peut citer le

propriétaire de l’organisation, s’il existe ; les artistes : invités, en tournée, ou résidents ; les publics ;

les collaborateurs : salariés ou bénévoles ; les pouvoirs publics : le Ministère, les collectivités

territoriales ; les organes de régulation et de contrôle ; les sponsors, partenaires, mécènes ; les

médias ; la communauté artistique et culturelle ; la communauté éducative ; la communauté

internationale…

Leur complexité est rendue critique par l’apparente impossibilité de déterminer une hiérarchie par

degré d’importance entre elles.

Le public représente un enjeu essentiel pour l’organisation culturelle, bien au-delà de ce que

représentent les consommateurs pour l’organisation marchande : alors que celle-ci met en place des

stratégies de segmentation et de ciblage, tout individu est potentiellement un public pour l’organisation

culturelle. En effet, les modalités de consommation du bien culturel sont déclinables autant qu’il existe

de sensibilités.

En termes d’impact de l’organisation culturelle, le public représente le potentiel le plus important. La

complexité réside dans l’impact réciproque qu’aura le public sur l’organisation. Contrairement à la

relation utilitaire qui se crée entre le produit et son consommateur cible, et qui disparaît avec la

satisfaction du besoin, la mission d’enrichissement culturel ne prend sens que dès lors que les deux

parties s’engagent mutuellement à pérenniser les valeurs véhiculées. Cette approche introduit une

50

En excluant l’année 2010, où a été rattachée la Direction du Développement des médias Financement de la culture, in C. Lacroix, « Chiffres clés 2011, Statistiques de la culture », [2011], Edition La Documentation française, pour le Ministère de la Culture et de la Communication, Département des études, de la prospective et des statistiques, pp.231-247.

31

dimension participative dans la caractérisation des parties prenantes de l’organisation culturelle non

lucrative, et rend critique le lien d’influence qui existe de part et d’autre sur l’entité réciproque.

Section 2 : Facteurs de contingence

L’organisation culturelle non lucrative présente des spécificités essentielles qui nous éloignent du

contexte dans lequel a été développée la notion de performance.

De l’étude de l’environnement et des mutations internes qui caractérisent les organisations culturelles

non lucratives, nous souhaitons déterminer si l’introduction de la performance fait sens dans ces

structures, et le cas échéant, proposer une définition adaptée de la notion.

Paragraphe 1 : Intensification de la compétitivité de l’environnement

A. Elargissement du marché

Une caractéristique du marché dans lequel évoluent les organisations culturelles est la largeur de son

périmètre. Les acteurs en présence ne se limitent pas aux structures qui pratiquent exactement la

même activité. Les musées ne subissent par exemple pas uniquement la concurrence des autres

musées ou galeries d’art, mais également celle des salles de cinéma, de concert, et de tous les

acteurs présents sur le marché de la « culture et des loisirs ». Pour l’Insee51

, celui-ci couvre

l’ensemble des activités audiovisuelles, dont la télévision, l’informatique, la presse et la littérature,

mais aussi les activités récréatives, telles que le sport, le bricolage…

Si nous choisissons de nous concentrer sur les biens et services traditionnellement considérés

comme culturels et artistiques, il nous faut néanmoins tenir compte de l’élargissement de la définition

du marché52

. Cette tendance représente l’émergence d’un nouveau secteur d’activité, dont les

barrières deviennent de plus en plus floues, sur le modèle américain de l’« entertainment ».

La concurrence y est d’autant plus accrue, que dans cette industrie lucrative, de gros acteurs

capitalistiques qui fonctionnent selon de pures logiques de marché se positionnent verticalement sur

toute une filière et transversalement sur différents secteurs.

B. Exposition médiatique

Par ailleurs, la compétitivité croissante de l’environnement dans lequel évoluent les organisations

culturelles non lucratives, tient à l’importance elle-même croissante de l’impact des médias, à travers

leur multiplication et diversification. Nous vivons dans une société surmédiatisée, dans laquelle les

nouveaux médias deviennent incontrôlables notamment avec les outils du web 2.0, dont l’impact

dépasse celui des médias traditionnels.

Outre une course à l’exposition médiatique, le phénomène de concentration qui peut menacer les

filières culturelles, rend critique la dépendance de l’industrie culturelle à l’égard des médias.

51

« France Portrait social » Insee Références, édition 2011 52

M. Hume, G. Sullivan Mort, P. W. Liesch, H. Winzar, « Understanding service experience in non-profit performing arts: Implications for operations and service management », [2006], Journal of Operations Management, n°24, pp.304-324.

32

Rappelons que Lagardère désormais propriétaire de la salle de spectacle parisienne des Folies

Bergères, est un grand groupe de presse.

Paragraphe 2 : Facteurs internes

A. Nouveaux modes de gestion : vers une culture du résultat

Le budget de la culture représente une variable d’ajustement classique dans un contexte de déficit

public où la mise en place de la L.O.L.F. introduit le principe de rationalisation et de gestion par les

résultats pour les organisations culturelles non lucratives publiques, mais aussi nécessairement les

organisations culturelles non lucratives privées, à travers l’octroi de subventions et aides publiques.

A ce phénomène s’ajoute la raréfaction des moyens et la diminution de ces subventions, et qui a donc

introduit une nécessité de chercher des sources de financement hors de la sphère publique. Les

initiatives de partenariats, sponsoring et mécénat se multiplient, de la part d’entreprises privées et

marchandes ; et les organisations culturelles non lucratives concernées se voient engagées dans des

relations où elles jouent un rôle de prestataire de service, sous la forme par exemple d’une activité

promotionnelle, contre soutien financier. Ce rôle installe un rapport de fournisseur à client entre les

deux structures, et sous-entend une évaluation de la satisfaction du client à l’égard de la prestation

fournie. Or les critères de cette évaluation, sont mis en place par une organisation à but lucratif, et

sont donc pilotés dans une perspective de justification de l’activité par le profit en tant que création de

valeur. Dès lors, il semble inévitable pour l’organisation culturelle non lucrative impliquée par l’aide

financière reçue de rester hors de tout système d’évaluation de son activité.

La notion importante qui sous-tend les deux phénomènes, dans la sphère publique et dans a sphère

privée, est celle de la reddition de comptes. En effet, dans les deux situations, les structures qui

reçoivent un apport financier doivent en justifier la pertinence au regard des résultats produits, et donc

de leur capacité à utiliser au mieux ces fonds.

La notion de parties prenantes prend ici tout son sens car on observe que la relation qui se noue avec

celles-ci est tout autant fonction de l’impact que l’organisation souhaite avoir sur elles que l’inverse.

B. Pression sur l’offre

En lien avec l’émergence des gros acteurs évoquée plus tôt, une pression s’est installée sur

l’ensemble des entités à but non lucratif de l’industrie culturelle. Selon les valeurs que celles-ci

défendent, il ne s’agit pas uniquement de remplir leur mission à une échelle individuelle, mais avant

tout communautaire.

En termes stratégiques et organisationnels, cette pression se traduit par la nécessité pour les

organisations culturelles non lucratives de maximiser leur impact, et il semblerait que celles-ci doivent

33

appréhender les mécanismes par lesquels, dans un marché élargi, les consommateurs sont amenés à

consommer à nouveau53

.

Il apparaît ainsi clairement que l’orientation donnée à l’activité de l’organisation culturelle non lucrative

ne peut plus être fondée et justifiée sur la poursuite d’une mission de « l’art pour l’art », mais, et ce

n’est pas contradictoire, que l’activité doit être pilotée, de sorte à ce que la mission, inébranlable,

d’intérêt social, public et général, soit servie de manière optimale.

Paragraphe 3 : Conditions et modalités de la performance en organisation culturelle non

lucrative

Nous avons mobilisé différentes composantes de la performance : optimisation, pilotage, atteinte des

objectifs, évaluation de l’activité… A la lumière des éléments présentés jusqu’à présent, il nous faut

cependant désormais déterminer ce que la notion recouvre précisément pour les organisations

culturelles non lucratives.

A. Définition de la performance

Parler de « performance » à un gestionnaire d’organisation culturelle non lucrative, c’est risquer de

donner l’impression de réduire celle-ci à des préoccupations marchandes. En effet, la performance est

presque systématiquement, associée à une dimension économique et financière.

Du point de vue de la recherche, la confusion est également présente : dans le contexte des

organisations non lucratives, le concept d’«efficacité » est souvent substitué à celui de

« performance »54

. Il est vrai que les notions sont proches et renvoient toutes deux à l’atteinte des

objectifs désirés. Nous choisissons de prendre le contrepied de la théorie de Herman et Renz55

et de

stipuler que l’efficacité, l’efficience, et l’économie, sont les trois piliers de la performance56

.

Pour synthétiser, nous définirons la performance des organisations culturelles non lucratives comme

leur capacité à atteindre les objectifs désirés à travers l’optimisation des ressources disponibles.

B. Installer un pilotage multidimensionnel

Comme évoqué précédemment, une des caractéristiques des organisations culturelles non lucratives

est la difficile hiérarchisation des parties prenantes, donc des objectifs à définir, et ainsi de l’angle

d’approche choisi pour caractériser la performance, et donc l’évaluer.

Nous avons établi que l’excellence artistique était le facteur clé de succès le plus important et que la

mission de l’organisation culturelle non lucrative était l’enrichissement de l’environnement culturel,

cependant nous avons également reconnu l’irrémédiable évolution vers une culture de gestion par les

résultats, inspirée d’une logique rationaliste marchande.

53

M. Hume, G. Sullivan Mort, P. W. Liesch, H. Winzar, ibidem. 54

J. Turbide, C. Laurin, ibidem. 55

R. D. Herman, D. O. Renz, « Theses on Nonprofit Organizational Effectivenes », [1999], Nonprofit and Voluntary Sector Quarterly, n°2, Vol.28, pp.107-126. 56

G. Evans, « Measure for Measure : Evaluating performance and the arts organization », [2000], Studies in Cultures, Organizations and Societies, Vol.6, pp.243-266.

34

La dimension multidimensionnelle ne se traduit pas uniquement par cette dichotomie entre approche

artistique et approche financière. Pour Stéphanie Chatelain-Ponroy, les organisations du secteur non

marchand sont le lieu de la coexistence de trois grands types de rationalités, par ailleurs antagonistes

lorsque l’on s’intéresse plus spécifiquement au secteur culturel: une rationalité politique, liée à la

mission d’intérêt général, qui s’exprime par une définition socio-économique de la performance :

l’ « efficacité » ; une rationalité économique, liée à la nécessité de réguler et contrôler les ressources

de l’organisation : l’« efficience » ; enfin une rationalité opérationnelle, qui peut aussi être appelée

rationalité culturelle dans notre étude, caractérisée par la « qualité » 57

.

La coexistence de ces différentes rationalités impose à l’organisation culturelle non lucrative de mettre

en place un mode de pilotage qui prenne en compte l’ensemble des forces en présence, et nécessite

au préalable un consensus entre les principales parties prenantes concernées autour des objectifs à

définir et de l’évaluation des résultats atteints. La mesure de la performance consistera à caractériser

la relation qui existe entre objectifs et résultats.

C. Développer la notion de responsabilité

Une notion que la L.O.L.F. a introduite est celle de responsabilité, et plus précisément de la

responsabilité des organisations culturelles pour leur propre performance.

Il existe diverses définitions de la responsabilité et nous retiendrons celle de Edwards et Hulme, qui

introduit l’idée de reddition de comptes : « les moyens par lesquels les individus et les organisations

rendent compte à une autorité reconnue et sont tenus responsables de leurs actions » 58

.

L’intérêt de cette notion dans l’organisation culturelle non lucrative tient aux éléments qui composent

la responsabilité : transparence, participation, évaluation, procédures de réclamation et de réparation,

qui nous semblent fonder le socle de la performance : la transparence et la participation impliquant

l’ensemble des parties prenantes dans le processus de définition des objectifs à poser et des actions

à mener, l’évaluation introduisant la notion de mesure, et les procédures de réclamation et de

réparation celle de reddition de compte et de pilotage par les résultats59

.

Se pose enfin la question du destinataire, c’est-à-dire de l’interlocuteur face auquel l’organisation

développe une responsabilité pour sa performance. Essentiellement, il s’agit de se demander si l’on

doit valoriser l’évaluation vers le haut, et l’organe de gouvernance, ou vers le bas, et assumer une

responsabilité face au public.

57

S. Chatelain-Ponroy, « Le contrôle de gestion dans des bureaucraties professionnelles non lucratives : une proposition de modélisation », [2008], Habilitation à diriger des recherches, Université de Paris-Dauphine, 15 septembre 58

A. Ebrahim, « The Many Faces of Nonprofit Accountability », [2010], Harvard Business Review, Working Paper 10-069. 59

Définition issue du Global Accountability Framework 2011, [2011], One World Trust Briefing Paper, n°128.

35

Conclusion de la première partie

Après confrontation entre l’apport théorique général de la recherche sur la notion de performance et

des modalités de son évaluation avec les caractéristiques structurelles, environnementales et

stratégiques des organisations culturelles non lucratives, nous pouvons établir que la pertinence d’y

introduire une approche de la performance réside essentiellement dans les modalités de définition de

la notion. La performance telle que configurée pour les entreprises industrielles et marchandes

recouvre des problématiques que l’organisation culturelle non lucrative partage, notamment quant à la

gestion de ses parties prenantes et de leur influence sur l’activité, à travers le processus de reddition

de comptes, ou quant à la valorisation de sa production. Les arbitrages sont cependant plus

complexes à effectuer sur ces questions pour l’organisation culturelle non lucrative, à partir de

l’arsenal théorique général qui existe aujourd’hui, c’est pourquoi nous décelons un intérêt à

développer une approche de la performance spécifique aux structures étudiées.

Si la phase préparatoire de définition a permis de définir le périmètre de la notion pour les

organisations culturelles non lucratives, il s’agit désormais de s’interroger sur la traduction

opérationnelle de l’approche de la performance en tant que capacité à atteindre les objectifs désirés à

travers l’optimisation des ressources disponibles, à travers la composante fondamentale de

l’évaluation.

36

PARTIE II : Comment mesurer la performance d’une organisation

culturelle non lucrative ?

La notion de performance présente une souplesse certaine quant son application à des organisations

d’un secteur opposé en de nombreux points à celles pour lesquelles elle a été développée.

Postulant que la performance de l’organisation culturelle non lucrative consiste dans leur capacité à

atteindre les objectifs désirés à travers l’optimisation des ressources disponibles, il s’agit désormais

d’étudier la traduction opérationnelle d’une telle définition. La question qui se pose désormais est donc

celle de l’évaluation de la performance, des dispositifs dont l’organisation culturelle dispose, et de

l’intérêt stratégique que représente cette étape dans le processus plus général de pilotage de

l’activité.

Nous étudierons ainsi dans un premier temps les modalités de l’évaluation de la performance pour

l’organisation culturelle non lucrative, notamment à travers une analyse des systèmes existants, et

tenterons ensuite d’analyser le processus de pilotage dans son intégralité pour révéler le rôle réel qu’y

joue l’évaluation de la performance.

Chapitre 1 : Quelles sont les modalités de l’évaluation de la performance en

organisation culturelle non lucrative ?

Pour la mise en place d’un dispositif d’évaluation de la performance en organisation culturelle non

lucrative, il serait bien pratique de pouvoir importer les modèles généraux, expérimentés et adoptés

par les entreprises du secteur marchand, et de les y appliquer à nos structures d’étude.

A la lumière des réflexions menées en première partie de ce travail, nous éprouvons cependant la

présomption que, dans la suite du processus de reparamétrage de la performance pour les besoins

de l’organisation culturelle non lucrative, les modèles traditionnels révèlent un degré de résistance à

leur transposition.

Section 1 : Analyse de l’existant

De la même manière que nous avons précédemment étudié l’apport théorique de la recherche sur la

définition de la performance, nous avons ici souhaité appuyer notre réflexion sur les méthodes et

dispositifs d’évaluation en vigueur dans les organisations de toute nature et toute activité

(principalement marchandes et industrielles) pour en tester la robustesse et la possible déclinaison

selon le cahier des charges propres à l’organisation culturelle non lucrative présenté plus tôt.

37

Paragraphe 1 : Développer les systèmes comptables et financiers

A. Modélisation d’une comptabilité de gestion

La comptabilité de gestion, ou comptabilité analytique, a pour objectif de clarifier la répartition des

coûts des différentes activités de l’organisation. Les établissements publics, financés par les budgets

du Ministère de la Culture et de la Communication, sont désormais tenus par la L.O.L.F. de tenir une

comptabilité analytique qui rende compte du coût des actions menées. Cette injonction extérieure

s’ajoute à un besoin interne, qui concerne tous types d’organisations culturelles non lucratives, de

mise en place d’un réel système de pilotage.

La structuration d’une comptabilité de gestion passe tout d’abord par l’identification du type de suivi à

effectuer : le suivi par produit, davantage adapté à des activités de production, ou le suivi par service,

pertinent dans le cas d’une chaîne de valeur très étendue, afin d’identifier les postes de coûts les plus

importants.

Dans le cas d’organisations culturelles, le suivi par produit permettra par exemple de mesurer le coût

de prestations, théâtrales, musicales, le coût d’ouverture d’un musée, d’édition d’un livre ou de

production d’un film. L’avantage de cette approche, dont les méthodes sont plutôt bien

appropriables60

, est qu’elle offre une évaluation synthétique et opérationnelle, qui permet facilement et

rapidement de mettre en place des outils de pilotage : suivi des marges, politique de prix et actions

promotionnelles. Elle représente par ailleurs un outil de communication robuste et explicite dans un

processus de reddition de comptes.

Elle peut cependant ne pas être adaptée à la plupart des structures culturelles. En effet, non

seulement la production n’y est pas standardisée, mais elle y est aussi par essence segmentée :

généralement la production d’un produit (spectacle, film, exposition) succède à celle d’un autre,

génère certes des coûts qui lui sont propres (achat du spectacle, location du lieu de tournage, édition

de feuillets de présentation), mais produit également des coûts qui ne sont pas affectables à des

produits particuliers : notamment les charges de partenariats le cas échéant, ou les charges

administratives comme les affiliations à des syndicats. Dans certains cas très précis, les produits sont

par ailleurs difficiles à distinguer : concernant les festivals musicaux, chaque concert de la

manifestation représente-t-il un produit, et dans ce cas, les seuls éléments de différentiation sont les

charges générées par la rémunération des artistes ? Ou la structure est-elle mono-produit et la

comptabilité analytique n’a aucune valeur ajoutée ?

L’approche par service, sur le modèle de la méthode ABC, permet de contourner ces difficultés,

permet d’introduire la notion de performance aux échelons des individus et des services, mais dans le

contexte d’incertitude créé par la nature même de l’offre artistique et culturelle, n’offre pas une vision

suffisamment synthétique sur un type de projet mené. Or cette dimension nous semble essentielle à

maîtriser pour une direction administrative, notamment pour évaluer les enjeux d’une ligne esthétique

ou de programmation dans un pilotage stratégique de l’activité.

60

Par exemple la méthode des sections homogènes ou coûts complets.

38

L’approche la plus pertinente nous semble donc celle par projet, « produit unique mobilisant des

ressources humaines et techniques à travers toute l’organisation »61

, qui permet ainsi de connaître le

coût total des différentes composantes de l’activité. Cela résout le problème de définition du

« produit » : le projet correspond à une entité ayant des objectifs propres, auxquels incombent des

niveaux d’atteinte en termes de résultats, et pour lesquels des ressources sont réservées. Dans le cas

d’un festival musical, on pourra ainsi trouver un projet principal, qui constitue l’essence de l’activité de

l’organisation, mobilise la part la plus importante des ressources allouées à l’artistique et qui génère la

billetterie, par exemple la production scénique des têtes d’affiche ; ainsi que des projets secondaires :

de « découverte », que l’on ne peut pas valoriser en termes de recettes, mais dont on doit mesurer

l’impact sur la mission et les objectifs e du festival, et dont il faut suivre les coûts générés.

Il nous semble qu’avec ces informations, les administrateurs sont mieux armés pour piloter l’activité

dans la perspective multidimensionnelle qui constitue la performance.

B. Construction des budgets

Concernant le processus budgétaire, celui-ci répond à des impératifs, et des modes de présentation

différents selon que l’on s’intéresse au secteur public ou au secteur privé.

Dans le cas des établissements publics, financés par le Ministère de la Culture et de la

Communication, les budgets sont considérés comme des « autorisations de dépenses ». On

distinguera classiquement ce budget « administratif », outil primordial de communication pour la

reddition de comptes, du budget « outil de gestion », instrument de pilotage62

, et c’est au budget dans

cette acceptation du terme que nous nous intéresserons ici. Nous rejoignons l’analyse selon laquelle

le processus budgétaire dans le secteur public, caractérisé par la reconduction de la dépense

passée63

, n’est pas un outil orienté vers une approche de la performance des organisations

culturelles64

. En ce sens, les effets potentiels de la réforme L.O.L.F. en matière de responsabilisation

des acteurs se heurtent de fait aux limites bureaucratiques du système lui-même. Pour ce type de

structures, le budget « outil de gestion » est un budget interne.

Le budget du contrôle de gestion est lié aux objectifs stratégiques que l’organisation a établis et à

leurs déclinaisons opérationnelles. Il permet d’allouer les ressources pertinentes aux activités clés, et

notamment dans notre étude sur les organisations culturelles, il matérialise l’impératif de résoudre la

tension entre les dimensions artistiques et économiques. Il s’agit en effet de faire un double arbitrage

sur le volume de ressources nécessaires à la bonne conduite de chaque projet, non seulement au

regard de son incidence sur les objectifs globaux de l’organisation, mais aussi avec le volume de

ressources disponibles pour l’ensemble des projets, et plus généralement l’ensemble du

fonctionnement de la structure.

61

Y. Evrard Y., Le Management des entreprises artistiques et culturelles, ibidem. 62

S. Chatelain, « Du budget administratif au budget outil de gestion, le cas des musées français », [1998], Finance-contrôle-Stratégie, n°3, Vol.1. 63

Dans un contexte de maintien des financements à un niveau constant. 64

S. Chatelain-Ponroy, « Le contrôle de gestion dans des bureaucraties professionnelles non lucratives : une proposition de modélisation », [2008], Habilitation à diriger des recherches, Université de Paris-Dauphine, 15 septembre

39

Le processus budgétaire est une activité clé dans une perspective de construction et pilotage de la

performance dans la mesure où il implique l’ensemble des acteurs ayant un impact sur les ressources

et les produits de l’organisation. Cela participe de la notion de responsabilité, dont on a

précédemment présenté l’importance en matière d’approche de la performance.

C. Insuffisance des mesures financières

Les systèmes comptables et financiers jouent un rôle clé pour tous les types d’organisations, en

termes de gestion, et surtout d’apprentissage organisationnel. Prenons le cas schématique d’un

établissement public financé annuellement par le budget du Ministère de la Culture et de la

Communication. Dans une telle situation de stabilité de ses financements, l'établissement pourrait se

positionner en « pilotage automatique », avec pour seule directive de couvrir ses dépenses par ses

recettes. L’introduction d’un système qui fait appel à une comptabilité analytique pertinente et à un

processus budgétaire « de gestion » permet d’accroître la maîtrise que les administrateurs et

gestionnaires ont de l’activité de l’organisation, car ils en connaissent les mécanismes et les

dynamiques.

Cependant, dans le secteur culturel où l’atteinte des objectifs de l’organisation ne peut pas être

uniquement évaluée avec des indicateurs comptables et financiers, et par ailleurs, dans le cas où la

non-lucrativité élimine de fait les ratios classiques de rentabilité, le manque de souplesse du système

de gestion comptable présente des limites.

Paragraphe 2 : Adapter les systèmes de mesure de la performance

Parler de performance dans les organisations culturelles non lucratives et proposer des systèmes

pour l’évaluer n’a de sens que dans la mesure où les gestionnaires sont capables de s’approprier les

concepts et outils. C’est pourquoi, nous proposons dans un deuxième temps d’étudier les modalités et

conditions pour adapter l’existant aux organisations culturelles non lucratives.

A. Utilisation du Balanced Scorecard en OCNL

L’approche multidimensionnelle qui caractérise ce système permet de prendre en compte une pluralité

de parties prenantes de l’organisation culturelle : les financeurs, et par extension l’ensemble des

structures potentiellement sources de subventions, donc les pouvoirs publics ; les consommateurs ;

les dirigeants ; ainsi que les employés, bénévoles ou tout type d’acteur impliqué dans le

fonctionnement de l’organisation.

Cependant, la configuration des cinq axes du Balanced Scorecard, en interaction et interdépendance

les uns avec les autres, a été conçue dans une logique de renforcement de la perspective financière,

qui ne s’applique donc pas en l’état aux organisations que nous étudions.

Une piste pourrait être de « renverser » le Balanced Scorecard, en instituant par exemple la

satisfaction du consommateur – dans une position de mission d’intérêt général – en tant que

40

dimension à maximiser, tandis la perspective financière représenterait davantage un axe de

renforcement.

En continuant à nous positionner selon un point de vue de gestion interne de l’organisation culturelle

non lucrative, cette configuration du Balanced Scorecard introduit un dispositif d’évaluation de la

performance selon des modalités caractéristiques du type de structure étudié, dont l’objectif n’est pas

la réussite financière, au sens de maximisation du profit, mais dont la viabilité et donc la rentabilité

sont des dimensions qui conditionnent l’activité.

B. Modèles multidimensionnels et outils de prise de décision

Des chercheurs ont souhaité aller plus loin dans l’adaptabilité des modèles existant, et reconstruire les

modèles de mesure de la performance pour en proposer des modalités au plus proche des enjeux des

organisations culturelles.

Kushner et Poole, en 1996, ont ainsi proposé un modèle centré sur l’effectiveness, soit l’efficacité,

composante de ce que nous appelons « performance », dont les quatre composants seraient : la

satisfaction des publics, des mécènes et des bénévoles ; l’identification et l’accès aux ressources

financières et humaines ; l’utilisation pertinente des technologies pour présenter les performances

artistiques ; et l’atteinte des objectifs des programmes65

.

Cette perspective s’inscrit dans la philosophie du Balanced Scorecard dans la mesure où il s’agit de

découvrir les « racines cachées » de la performance et de les inscrire dans un système dynamique,

qui permette de les suivre et les piloter de manière isolée, mais surtout de les mettre en interrelations

pour évaluer leur contribution à la performance telle qu’elle aura été définie.

Krug et Weinberg, en 2004, proposent un modèle s’inspirant d’une approche de portefeuille d’activité,

qui semble très pertinent pour le fonctionnement généralement par programmes – ou projets – des

organisations culturelles non lucratives. Le modèle qu’ils ont construit a pour objectif d’être un outil de

prise de décision pour les managers en leur permettant de répondre à la question suivante : « Quel

est notre degré de performance sur ce programme ? », selon les trois dimensions résumées par

Mission (mission), Money (argent) et Merit (mérite) 66

.

Il s’agit d’évaluer si l’organisation mène les bonnes actions (mission), le fait d’une manière

financièrement optimale (money) et dans les règles en termes de qualité (merit). Le modèle ainsi

conçu permet de construire une matrice multidimensionnelle, qui inscrit l’analyse de portefeuille dans

une perspective d’évaluation de la performance qui va au-delà d’une approche centrée sur le marché

comme c’est le cas de la matrice BCG par exemple.

65

R. Kushner, P. Poole, « Exploring structure-effectiveness relationships in nonprofit arts organizations », [1996], Nonprofit management and leadership, n°2, Vol.7, p.119-136. 66

K. Krug, C. B. Weinberg, « Mission, Money and Merit: Strategic Decision Making by Nonprofit Managers », [2004], Nonprofit management and leadership, n°3, Vol.14, p 325-342.

41

Il ne s’agit pas ici d’adopter une position prescriptive mais de présenter un type d’outil ayant retenu

notre attention par sa capacité à traduire en termes opérationnels une notion – la performance –

davantage présente dans la littérature que sur le terrain des organisations culturelles non lucratives.

Section 2 : La mise en place d’un système de mesure de la performance propre

Nous avons étudié l’intérêt que présentent les outils existant de mesure de la performance mais aussi

la nécessité de les soumettre à une étude minutieuse de leurs conditions d’application aux

organisations culturelles non lucratives.

Après avoir récapitulé les modalités qui caractérisent une approche de la performance en organisation

culturelle non lucrative, on se penchera sur la question clé des « indicateurs de performance » et enfin

sur la mise en place d’un tel dispositif d’évaluation de la performance et les enjeux qu’elle soulève.

Paragraphe 1 : Modalités du système d’évaluation

Après avoir testé les modèles existant et leur applicabilité aux organisations culturelles non lucratives,

nous pouvons tirer des enseignements sur les éléments qui structurent les dispositifs d’évaluation de

la performance, en termes d’implications de la spécificité de l’activité artistique et culturelle, de

l’arbitrage entre les types d’informations à traiter et à présenter, et son corollaire : le rôle des parties

prenantes dans la construction du système.

A. Spécificités de l’activité culturelle

Nous l’avons déjà évoqué, les organisations culturelles fonctionnent généralement davantage dans

une logique de programmes, ou de projets. Il faut également ajouter que si l’activité s’organise

globalement de la même manière pour tous les projets, ceux-ci sont cependant caractérisés par une

indépendance plus ou moins prononcée selon la filière spécifique au sein du secteur culturel, et

notamment en matière d’accès aux ressources, de consommation de charge et productions de

produits. Qu’il s’agisse en effet de l’affectation des financements publics ou des subventions

d’organismes professionnels, ou encore de la gestion de la masse salariale dans un secteur

caractérisé par le régime d’intermittence des salariés (artistes et techniciens), les programmes sont

bien identifiables en termes de contribution à l’activité. Cette structure présente l’avantage de faciliter

l’évaluation de chaque composante mais introduit également un défi en matière de consolidation de

l’information et d’approche intégrée de l’activité. Ce défi se traduit de manière pratique dans le risque

d’une incapacité à développer des outils dynamiques qui mettent dans une perspective globale des

éléments en apparence indépendants.

En effet, dans une approche de portefeuille « classique », l’objectif est de créer un outil résolvant

l’arbitrage à opérer entre projets porteurs à maintenir, voire à développer, et projets à abandonner.

Pour une organisation culturelle, cette démarche présente des risques car selon les critères – les

indicateurs – choisis, la sélection des projets et l’éviction d’autres peut progressivement aliéner

l’activité et trahir la mission de l’organisation. C’est l’écueil que nous semblait permettre d’éviter le

42

modèle de Krug et Weinberg précédemment présenté, et que les gestionnaires doivent garder à

l’esprit dans la construction de leurs dispositifs d’évaluation de la performance.

B. Systèmes multidimensionnels et parties prenantes

En filigrane de ce qui vient d’être exposé, on perçoit une problématique de caractérisation des

éléments à mesurer et d’arbitrage entre les dimensions à intégrer au système d’évaluation.

On se trouve en fait ici au cœur du travail sur la performance, qui consiste pour les gestionnaires à

définir celle-ci, c’est-à-dire à prendre position sur leur vision de l’organisation et leur perception des

moyens à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs.

Que l’on se trouve dans le secteur marchand indifférencié ou plus spécifiquement sur notre terrain

d’étude, nous avons vu que la définition de la performance, pour être pertinente, fait intervenir divers

composants, et qu’il s’agit de trouver la configuration dans laquelle ceux-ci mettent en évidence la

contribution des composantes stratégiques de l’activité à l’atteinte des objectifs.

Mais système multidimensionnel ne veut pas dire arsenal de mesures exhaustives. En effet, un trop

grand nombre d’axes dans le modèle expose les gestionnaires, familiers ou non avec ces dispositifs, à

risque d’immobilisme.

Au contraire, cela signifie un travail d’identification des leviers, qui certes impactent la performance,

mais aussi essentiellement sur lesquels les gestionnaires peuvent agir, dans une perspective de

pilotage. A l’image du Balanced Scorecard, la pertinence d’un modèle vient des interdépendances qui

existent entre ses axes.

La tentation de multiplier les axes du système d’évaluation tient certainement à la volonté d’avoir une

plus grande emprise sur la partie visible de l’information, mais aussi et en grande partie, car

l’organisation est au cœur des attentes et intérêts multiples de ses nombreuses parties prenantes.

Johanne Turbide résume ainsi le paradoxe de la mesure de la performance des organisations

culturelles : « les organisations culturelles doivent performer sur le plan artistique mais sont

majoritairement imputables sur leurs résultats financiers et leurs budgets » 67

.

On peut alors observer un décalage entre ce que les organisations pourraient spontanément mettre

au cœur de leur définition de la performance, et les éléments qu’elles sont contraintes d’intégrer pour

rendre des comptes à des parties prenantes. L’arbitrage est certes délicat à opérer dans la mesure

où, qu’il s’agisse des financeurs – tutelles, Etat, organismes de subventionnements – ou des parties

prenantes attachées à la valorisation de l’organisation – les collectivités territoriales par exemple, ou

encore les médias –, leur implication est indispensable à la continuité d’activité. Cependant, il nous

semble intéressant d’opérer une distinction entre la performance et son système d’évaluation en tant

qu’outil de gestion, à auditoire interne, et « outil de communication », construit pour transmettre une

67

J. Turbide, « Les indicateurs de performance dans les organisations culturelles », [2004], in Conférence internationale de Arnova, Los Angeles

43

information à un interlocuteur dont les attentes sont spécifiques à ses propres problématiques, et

généralement assez peu partagées par les autres parties prenantes.

Nous reviendrons ultérieurement sur cette dualité et les écueils qu’elle peut présenter, lorsque nous

étudierons les limites de la notion de performance pour l’organisation culturelle non lucrative.

Paragraphe 2 : Indicateurs de performance

Les indicateurs de performance sont des mesures crées pour répondre à un besoin de référence

objective dans l’évaluation de l’activité, en l’absence d’autres manifestations, issues du marché par

exemple. Ils correspondent à une certaine vision de la performance de l’activité, dont ils doivent

refléter les composantes et les dynamiques.

A. Typologie

Les indicateurs de performance peuvent atteindre des niveaux différents de sophistication et de

complexité selon le besoin et l’usage qu’il est prévu d’en faire : les mesures peuvent n’être que de

simples descriptions de dimensions de l’activité – chiffres de l’emploi, de fréquentation – ou

caractériser plus précisément certains aspects de la performance avec des indicateurs davantage

construits qui visent à être des outils d’évaluation – coût par visiteur et ratios divers.

La première catégorie d’indicateurs crée une image objective de l’organisation et permet notamment

aux différentes structures de se comparer entre elle, en se basant sur des observations communes à

l’ensemble d’une filière, voire d’un secteur. Ils traitent une information qu’il est indispensable de

connaître et de maîtriser pour les gestionnaires, mais dont l’existence de fait n’implique pas une prise

de position, et la responsabilité des managers au regard de la performance de l’organisation, dont

nous parlions plus tôt.

La deuxième catégorie d’indicateurs implique au contraire que les gestionnaires se penchent sur la

définition de la performance pour leur activité et construisent des indicateurs, souvent à partir de

mesures qui en constituent la première catégorie, mettant en perspective l’objet de l’évaluation, avec

la mesure effectuée, ainsi que l’objectif poursuivi. Prenons un exemple dans la filière musicale et plus

spécifiquement dans le spectacle vivant musical, avec le cas de la gestion d’une salle de spectacle.

Au cœur de la mission de ce type de structure réside l’irrigation d’une partie du territoire d’une activité

et d’une offre culturelles. Une définition possible de la performance pour la salle de spectacle serait

l’optimisation de son action culturelle de proximité. L’objectif poursuivi par la mise en place

d’indicateurs de la performance serait par exemple de valoriser cette action dans le but de pouvoir

nouer des partenariats avec d’autres salles à une échelle régionale et créer une dynamique de pôle

de compétitivité. Selon notre logique d’approche par programmes, un objet d’évaluation pourrait être

l’efficience des projets de résidences d’artistes et un exemple de mesure à réaliser et d’indicateur à

construire, un ratio de consommation de ressources (techniques et humaines) sur le temps passé en

résidence.

44

Les indicateurs de performance ainsi construits présentent une ressource précieuse en matière

d’information et le socle de l’évaluation de la performance, mais leur valeur ajoutée est d’autant plus

grande qu’il est possible de les intégrer dans la perspective multidimensionnelle que nous évoquions

précédemment, pour que s’en dégagent des pistes pour la prise de décision des gestionnaires et le

pilotage de l’activité.

B. Systèmes d’indicateurs

Cette intégration consiste à mettre en place un système d’indicateurs, en ligne avec les modèles

multidimensionnels inspirés du Balanced Scorecard. A chaque axe du système de Kaplan et Norton

correspondent des indicateurs caractérisant les mécanismes de la dimension étudiée, et représentant

les leviers sur lesquels les gestionnaires doivent être capables d’agir.

Notamment, la notion de système d’indicateurs permet de dépasser un écueil qui menace les

organisations culturelles non lucratives dans leur processus d’évaluation de la performance, qui se

traduit par l’absente dissociation de la production (output) et du résultat (outcome). Dans le premier

cas, il s’agit du produit directement issu de l’activité de l’organisation – le nombre de représentation,

d’expositions, de livres publiés – tandis que le « résultat » porte sur le but ultime de l’organisation –

pour reprendre l’exemple précédent de la salle de spectacle, l’accès d’une population locale à une

offre culturelle.

Le système d’indicateurs permet de réconcilier les deux notions, sans toutefois les assimiler l’une à

l’autre, car les mesures portent sur l’aspect quantifiable et directement exploitable de la production,

tandis que la mise en système doit permettre d’obtenir une vision du résultat.

Dans l’exemple déjà mobilisé de la salle de spectacle, selon les axes choisis, par exemple ceux du

Balanced Scorecard, on pourra trouver comme indicateur de la perspective financière un taux de

croissance des subventionnements publics et privés en regard de l’évolution de la billetterie,

l’évolution des recettes tirées de contrats de coproduction ou de cession avec des acteurs locaux ou

régionaux (le cas échéant), ou encore un ratio entre charges et produits sur les résidences d’artistes

ou contrats de coproductions. Sur l’axe des processus internes, on pourrait trouver des indicateurs sur

la consommation des ressources humaines, matérielles et techniques, qui nourriraient l’indicateur de

marge de la perspective financière, et des indicateurs de qualité sur l’axe apprentissage

organisationnel. Enfin, la satisfaction du consommateur pourrait être évaluée par un indicateur de

mobilité géographique. L’ensemble de ces mesures, mises en perspective les unes avec les autres au

sein d’un tel système, permettrait de caractériser l’activité du point de vue individuel des productions,

mais surtout à l’échelle du résultat et de l’atteinte des objectifs stratégiques (donc de la

performance…), ici en termes du développement culturel d’un territoire.

C. Enjeux des indicateurs de performance

D’un point de vue théorique, la pertinence des systèmes d’indicateurs de performance semble bien

reconnue dans la littérature. Cependant d’après Schuster, « les tensions qui émergent de la mise en

45

place de tels indicateurs s’inscrivent moins dans la théorie que dans la pratique des indicateurs de

performance » 68

. Nous proposons ci-après de nous pencher sur les problématiques liées à la mise en

place des dispositifs d’évaluation, mais voici d’ores et déjà quelques enjeux qui se posent au recours

aux indicateurs de performance plus particulièrement.

Tout d’abord, et comme nous venons déjà de l’aborder, un premier défi se présente en matière de

cohérence entre l’indicateur choisi et l’objet (et les objectifs) de la mesure. En effet, l’indicateur doit

produire une information spécifique à la dimension étudiée. Sous prétexte d’intégrer une perspective

financière, indispensable, il ne s’agit pas de mesurer une rentabilité économique ou un taux de marge,

qui ne feraient pas sens en regard du caractère non lucratif et non marchand de l’activité considérée.

Le maître mot serait en quelque sorte de sélectionner les indicateurs sur la base des mesures

d’incitation et de correction auxquelles les gestionnaires peuvent penser en amont de leur mise en

œuvre.

Un autre enjeu lié aux indicateurs de performance est que tout en étant spécifiques à une activité, ils

doivent également permettre aux organisations de se comparer entre elles. Car si la performance se

définit au niveau individuel des organisations et diffère selon les objectifs propres de chacune,

l’économie de la filière met de fait en place des repères et des standards en matière d’atteinte des

objectifs. C’est peut-être d’autant plus sensible dans le secteur culturel que celui-ci revendique une

vocation d’intérêt général et doit ainsi reconnaître une norme définie par les fédérateurs de cette

vocation : pouvoirs publics, syndicats…

Enfin, l’interprétation des mesures demande une attention toute particulière et notamment la mise en

perspective avec des facteurs qui peuvent être externes à l’organisation, propres à la conjoncture

économique, sociale, technologique. Les gestionnaires ne sauraient pas exemple tirer des

implications de leurs indicateurs financiers sans prendre en compte la situation budgétaire actuelle qui

entraîne une raréfaction des ressources publiques.

Paragraphe 3 : Problématiques d’implémentation

Le chantier de mise en place d’un tel dispositif d’évaluation de la performance peut sembler lourd, en

termes de temps, de coûts et d’énergie. Il s’accompagne nécessairement d’une approche de gestion

du changement, en termes de familiarisation avec de nouveaux outils ou de transformation des

pratiques existences, et surtout de développement d’une culture de la performance, dans un secteur

où le mot peut effrayer.

A. Gestion de l’information et culture de la performance

La clé de voûte du système tel que présenté jusqu’ici réside dans l’existence d’un système

d’information et son utilisation pertinente. En effet, la construction d’indicateurs stratégiques n’est

rendue possible que par la mise à disposition d’une information fiable et de qualité, ce qui signifie un

processus de collecte, d’analyse et de reporting des données récoltées.

68

J.M. Schuster, « The Performance of Performance Indicators », [1997], Nonprofit Management and Leadership, n°3, Vol.7, pp.253-269.

46

Cependant, comme le rappelle Mintzberg, la véritable source de l’information organisationnelle est le

gestionnaire lui-même, au sens où il est lui-même l’« outil » de transformation de la donnée en

information exploitable69

. C’est pourquoi, dans une perspective d’évaluation de la performance et de

pilotage de l’activité, l’implication des gestionnaires dans la rédaction du cahier des charges du

système d’information est stratégique.

On se heurte toutefois ici à une problématique plus large qui concerne l’existence d’une culture

organisationnelle en matière de performance. Les positions des chercheurs sont variées sur la

question des effets d’un système de mesure de la performance sur la performance elle-même de

l’organisation, mais l’impact de la culture organisationnelle et du style de management sur le succès

de la mise en place d’un tel système semble reconnu. Notamment, une expérience de Bourne met en

évidence l’implication du top management en tant que promoteur du système et la résistance à la

mesure de la performance en tant qu’agent bloquant70

.

L’enjeu vient de ce que la notion de performance est peu popularisée en interne, perçue comme la

conceptualisation d’une tendance au « fichage » dont les organisations culturelles non lucratives se

méfient, ou la poursuite d’une « idéologie de gestion »71

dans laquelle elles ne se reconnaissent pas.

B. Mécanismes de correction

Comme déjà évoqué plusieurs fois, l’objectif de la mise en place d’un système d’évaluation de la

performance est la construction d’un outil de pilotage de l’activité. Les indicateurs développés doivent

ainsi présenter une composante opérationnelle qui permette de prendre des mesures correctives.

Principalement, il va s’agir de concevoir des indicateurs portant sur des mesures à court, moyen et

long termes. En effet, le suivi à court terme permet de traduire en termes très opérationnels les

objectifs à atteindre et de prendre des mesures correctives de proximité –par exemple ajouter une

date de représentation au sein d’une tournée, allonger des horaires d’ouverture ou la durée de

prolongations d’une exposition, ou encore renforcer une équipe technique– mais il n’offre pas une

emprise sur les répercussions de ces actions sur l’activité dans son ensemble, ce que permettra un

suivi avec des indicateurs à moyen terme. Avec une orientation à moyen terme, les indicateurs

permettent de tirer une sonnette d’alarme concernant notamment les processus. Enfin, dans une

perspective à long terme, traitant par exemple de la satisfaction des consommateurs ou de la santé

financière, les indicateurs incitent à une analyse de la stratégie adoptée pour remplir la mission de

l’organisation.

Section 3 : Les acteurs de la performance

Après avoir étudié les modalités et conditions de la mise en place d’un système d’évaluation de la

performance d’un point de vue technique, il s’agit de considérer le rôle des acteurs des organisations

69

H. Mintzberg, « The Myths of MIS », [1972], California Management Review, n°1, Vol.15, pp .92-97. 70

M.C.S. Bourne, A. D. Neely, J. F. Mills, K. W. Platts, « Why some performance measurement initiatives fail, lessons from the change management literature », [2003], International Journal of Business Performance Management, n°2/3, Vol.5, pp.245-269/ 71

V. Gauléjac (de), La société malade de la gestion, [2005] Editions Seuil, Collection Economie Humaine.

47

culturelles non lucratives dans ce chantier. Nous avons en effet à plusieurs reprises évoqué la notion

de « responsabilité » ou encore une attitude de « prise de position », mais de qui parle-t-on ? Nous

avons à dessein employé presque exclusivement le terme de «gestionnaire » pour désigner les

parties prenantes, en interne à l’organisation, dont la notion de performance est susceptible de

mobiliser les compétences, le temps, l’énergie, et l’intérêt.

Paragraphe 1 : Ecosystème des organisations culturelles non lucratives

Nous l’avons évoqué précédemment en étudiant les caractéristiques fondamentales des organisations

culturelles non lucratives, l’activité de celles-ci se situe au cœur des intérêts divers et nombreux d’une

multitude de parties prenantes, et notamment d’acteurs très influents, comme les pouvoirs publics,

collectivités territoriales ou organismes professionnels qui ont un fort impact sur la structuration de

l’activité, en matière de financements, mais aussi en regard de leur action possible sur les dispositifs

légaux et juridiques, et les politiques culturelles. Dans cette configuration, il peut sembler difficile pour

l’organisation de faire valoir sa conception de sa mission essentielle comme référence dans une

définition de sa performance.

Nous tâcherons ainsi dans un premier temps de nous interroger sur une possible vulnérabilité de

l’organisation culturelle non lucrative face à des parties prenantes extérieures influentes.

A. Positionnement des parties prenantes sur la performance

Il nous semble que l’on puisse déterminer trois grandes catégories de positionnement des parties

prenantes par rapport à la performance. Tout d’abord, les acteurs à l’origine du processus d’évaluation

de la performance, qui en définissent le périmètre et les modalités, que nous appellerons les

commanditaires. Ensuite, les acteurs auxquels les commanditaires destinent les résultats de

l’évaluation, dans une perspective d’aide à la prise de décision – nous les appellerons les

destinataires. Enfin, les parties prenantes « fondamentales », celles directement visées par la mission

de l’organisation, et en vue de la satisfaction desquelles l’évaluation de la performance est mise en

place. Ces dernières sont capitales dans le développement de l’approche de la performance mais

n’ont pas de positionnement direct et conscient sur ces problématiques. Dans le cas d’une

organisation culturelle non lucrative, il s’agit en effet des publics, dont la satisfaction doit être

maximisée grâce aux mécanismes d’accroissement de la performance mais qui ne sont pas impliqués

dans le processus lui-même. Du point de vue de gestion interne qui nous intéresse, les

commanditaires seraient quant à eux les managers et responsables de services, et les destinataires

seraient l’équipe dirigeante et l’organe de gouvernance.

Cependant, nous l’avons déjà évoqué, l’organisation culturelle non lucrative présente des enjeux sur

lesquels se positionnent de fait, ou souhaitent le faire, une multiplicité de parties prenantes :

collectivités territoriales en matière de développement local ou régional, sociétés civiles et institutions

en matière de structuration professionnelle, développement social, culturel, humain, économique…

Sans nécessairement vouloir empiéter sur la souveraineté de l’organisation, ces parties prenantes

semblent néanmoins mues par une volonté de se positionner par rapport à la performance, dans la

48

mesure où celle-ci a un impacte sur leur propre activité, voire leur mission –notamment d’intérêt

général.

Dès lors, et selon la légitimité de la partie prenante à inclure ses propres standards et indicateurs, liés

à ses propres objectifs, dans le système d’évaluation de la performance, celui-ci peut perdre en

pertinence. L’exemple peut-être le plus explicite de cette situation est la mise en place contractuelle,

dans le secteur public, et dans le cadre de la L.O.L.F., des « Projets annuels de performance » et

« Rapports annuels de performance », à travers lesquels les problématiques d’évaluation de la

performance sont assez largement délocalisées, avec un positionnement de l’Etat en tant que

commanditaire et destinataire des études.

Dans ce cas précis, la performance de l’organisation culturelle répond aux critères que son financeur

fixe.

B. Influence des parties prenantes sur la performance

De manière plus générale, on perçoit l’impact que peuvent avoir les parties prenantes sur la définition

même de la performance. Cet impact est lié à la manière dont l’organisation peut servir leurs propres

intérêts : l’optimisation de finances publiques dans l’exemple présenté ci-dessus. Il peut aussi s’agir

de la maximisation de la notoriété pour un partenaire commercial, qui amènera par exemple celui-ci à

établir des standards en termes de fréquentation ou de couverture médiatique, qui ne correspondent

pas nécessairement à l’envergure de l’organisation, ou même à ses attentes et objectifs ; ou dans le

cas d’une société civile, comme un syndicat, la performance de l’organisation pouvant en faire levier

pour une action de lobbying, l’activité peut prendre une teneur davantage politique, avec la mise en

place d’indicateurs reflétant ces velléités mais sans forcément grand sens pour l’organisation elle-

même

Il ne s’agit évidemment pas ici de remettre en cause l’intégrité de l’organisation culturelle non lucrative

et de l’entité « commanditaire » de l’évaluation de sa performance, et l’on peut notamment reconnaître

les vertus de la mobilisation des parties prenantes en termes de transparence –valeur qui doit

prévaloir dans le secteur non-marchand– mais il semble bon d’éveiller l’attention sur les risques

éventuels que représentent les nombreux intérêts que peut servir l’organisation culturelle non

lucrative. Dans une perspective de respect de la mission originelle de l’organisation, cette intégrité

semble précisément à protéger consciencieusement, ce qui représente certainement un enjeu

important.

Dans un contexte de restriction budgétaire et de diminution des subventions accordées aux

organisations culturelles, la position des sources de financement est évidemment très largement

concernée par cette mise en garde, et met en évidence la dichotomie qui existe entre les parties

prenantes « importantes » pour l’organisation culturelle non lucrative, au sens de parties prenantes

visées par la mission et l’action de l’organisation –le plus souvent les publics, professionnels du

secteur, et les artistes–, et les parties prenantes « influentes » sur l’organisation culturelle non

lucrative, qui notamment en assurent la viabilité financière, et peuvent se mettre en position de

49

demander des comptes en termes de résultats, voire pour certains de participer à des choix, même

esthétiques (SFR Talents). Dans cette configuration, on se trouve à la rencontre de deux visions, qui

nous semble présenter deux risques majeurs sur la performance de l’organisation, à travers la mise

en place une approche qui d’une part dénature l’activité et aliène la mission, et d’autre part ne

présente aucun intérêt et constitue une perte de temps et d’opportunité d’apprentissage

organisationnel.

Paragraphe 2 : La gouvernance des organisations culturelles non lucratives

Nous avons bien perçu l’importance de maintenir une intégrité entre la mission de l’organisation

culturelle non lucrative et l’approche de la performance choisie, qui se traduit opérationnellement avec

le système et les indicateurs mis en place. Nous nous interrogeons à présent sur les modalités de la

protection de cette intégrité et notamment sur les acteurs auxquels il incombe d’en être garants.

C’est pourquoi nous nous intéresserons ici plus spécifiquement à l’organe décisionnaire et de

gouvernance de l’organisation culturelle non lucrative, qui peut prendre diverses formes selon la

structure envisagée.

A. Typologie

Comme présenté en début de ce travail, les organisations culturelles non lucratives peuvent revêtir

différentes formes juridiques : de droit public, il peut s’agir d’une régie, sous le contrôle de la

collectivité territoriale et administrée par un Conseil d’Administration ; d’une concession, administrée

par l’organe de gouvernance du concessionnaire ; d’un établissement public, à caractère administratif

(EPA) ou industriel et commercial (EPIC), administré par un Conseil d’Administration et géré au

quotidien par un directeur ; ou d’un groupement d’intérêt public, d’organisation libre, souvent avec

Conseil d’Administration. De droit privé, il peut s’agir d’une association de loi 1901, administrée par un

Conseil d’Administration ; d’une structure commerciale dont les statuts préciseraient le but non lucratif,

dirigée par un gérant, avec consultation des associés le cas échéant ; ou enfin d’un établissement

public de coopération culturelle (EPCC), sur le modèle des EPIC et EPA pour sa gouvernance.

Le propos n’est pas l’exhaustivité quant au fonctionnement des organes de gouvernance de ces

structures, mais de comprendre où réside le pouvoir décisionnaire et quelles sont ses relations avec

l’équipe de gestion dans le but d’en analyser les implications sur la performance de l’organisation.

Aussi nous nous intéresserons par la suite aux organes de gouvernance présentant un intérêt pour

cette étude par leur représentativité du secteur artistique et culturelle non lucratif français, soit le

Conseil d’Administration de l’Association loi 1901, le Conseil d’Administration des Etablissements

publics (EPA, EPIC et EPCC).

B. Rôle et responsabilité de l’organe de gouvernance

Selon la définition proposée par O’Neil, une bonne gouvernance consiste dans « la manière dont les

organes de gouvernance font concourir leurs responsabilités de développement (direction stratégique

50

et structuration de l’activité) avec la responsabilité de gestion financière vertueuse (présentation des

comptes, contrôles internes, fiscalité) »72

. On retrouve l’objectif d’intégrité à travers la double

responsabilité de valoriser l’activité de l’organisation culturelle et la responsabilité –et reddition de

compte sous-jacente– en matière financière.

Quant au rôle de l’organe de gouvernance, « l’entreprise artistique étant une institution à vocation

sociale et éducative et étant supportée financièrement par l’ensemble de la société, la première

responsabilité des membres du conseil est de s’assurer que cette vocation est suivie »73

, ce qui

indique en effet que le maintien de cette intégrité lui incomberait plutôt qu’à tout autre acteur.

De manière générale concernant les rôles et responsabilités de l’organe de gouvernance, on

reprendra l’organisation autour de quatre axes de l’Association des musées canadiens et de

l’Organisation des directeurs de musées d’art canadiens : le but –définition de la mission et de la

vision de l’organisation–, la continuité –dans la gestion–, la progression –décision du rythme dans

l’accomplissement des actions–, l’identité –appui de la collectivité sur la mission de l’organisation74

.

Par sa position d’interlocuteur avec la collectivité, l’organe de gouvernance de l’organisation culturelle

non lucrative a ainsi un rôle éminemment politique et rend ultimement les comptes aux diverses

parties prenantes, selon les modalités évoquées précédemment.

Mais l’organe de gouvernance est également une partie prenante à part entière dans la mesure où sa

compétence d’organe décisionnaire a un impact évident en termes de performance : c’est à travers les

décisions votées que la notion de pilotage existe et que les dispositifs mis en place pour évaluer la

performance prennent sens.

C. Théorie de l’agence

L’organe de gouvernance assume donc un rôle décisionnaire et de pilotage, qui statue et vote à partir

de propositions et actions menées par une équipe de gestion au quotidien, indépendante de cette

instance.

On observe ici une scission assez profonde entre les deux dimensions de la performance, telle que

définie par Annick Bourguignon : résultats et processus, selon laquelle la performance serait

appréhendée en termes presque exclusivement de résultats par l’organe de gouvernance en charge

de la reddition de comptes finale, tandis que l’équipe gestionnaire se limiterait à aborder la

performance en tant que processus et actions menées, sans grande marge de manœuvre sur les

aboutissements.

72

Traduction personnelle de « how boards reconcile their value adding responsabilities (strategic decision and business building with responsibility of financial stewardship (disclosure, internal controls, and fiscal rectitude) » in H. O’Neil, « Making board performance better in the Arts », [2002], Australian Performing Arts Group (AMPAG), p.46. 73

F. Colbert, cité dans « Travailler avec le conseil d’administration d’un organisme sans lut lucratif : Conseils et outils pour les gestionnaires d’organisations culturelles », [2005], in Conférence canadienne des arts et Conseil des ressources humaines du secteur culturel. 74

Organisation de directeurs des musées d’art canadiens, « Lignes directrices : Rôles et responsabilités des Conseils d’administration des musées », [2004], Association des musées canadiens.

51

De cette frontière, assez classique, et ressentie en tant que telle par les gestionnaires, peut naître une

configuration d’agence, selon la théorie présentée en première partie de ce travail. Dans cette

situation, les intérêts de l’organe de gouvernance, le principal, et de l’équipe de gestion, l’agent,

peuvent ne pas se rejoindre parfaitement par manque de visibilité d’une part sur la traduction

opérationnelle d’une méthode de pilotage exclusivement fondée sur une approche par le résultat, et

par une liberté toute relative en matière de prise de décision, d’autre part.

A partir des modèles existants, il est donc possible de développer et mettre en place des dispositifs

d’évaluation de la performance en adéquation avec la structure multidimensionnelle et les

problématiques spécifiques de l’organisation culturelle non lucrative. Il semblerait en fait que l’enjeu de

l’évaluation de la performance se soit déplacé d’une approche opérationnelle par l’outil à une

approche stratégique par l’acteur.

En effet, de l’identification, au sein de l’écosystème des organisations culturelles non lucratives, de

l’impact des parties prenantes sur la performance, et du constat d’une possible dualité entre l’organe

de gouvernance, en tant que preneur de décision, et l’équipe gestionnaire de l’organisation, émerge

un risque pour l’intégrité de la mission de celle-ci et donc de l’atteinte de ses objectifs, et place la

notion de performance au cœur du pilotage stratégique de l’activité.

Chapitre 2 : Dans quelle mesure l’évaluation de la performance peut-elle

répondre à des objectifs de pilotage en organisation culturelle non lucrative ?

Le pilotage, est « l’art de diriger un navire »75

, une notion dont la clé de voûte est la performance, car

comme le rappelle David Autissier : « Il ne suffit pas de faire, mais de savoir si ce que l’on fait

correspond à ce qui devrait être fait dans les meilleurs conditions de coûts et de qualité »76

.

Pour le pilotage de l’organisation culturelle non lucrative, au sein d’un large et complexe écosystème,

la question de la performance est rendue critique par l’intervention de l’humain, à travers la

responsabilité de l’évaluation et de l’action qui doit en être la conséquence.

Il s’agit ici de qualifier le rôle de l’évaluation de la performance et d’en mesurer la contribution effective

pour le pilotage de l’activité.

Section 1 : Performance, contrôle et pilotage en organisation culturelle non lucrative

De l’évaluation de la performance au pilotage, il semble manquer un maillon. Partant de l’observation

que l’initiative d’évaluer la performance vise à réduire l’incertitude qui pèse sur l’activité de

l’organisation, il nous semble que le corollaire à cette approche du risque est celle par la maîtrise et le

75

Définition issue du Nouveau Petit Robert,[1996], Editions Dictionnaires Le Robert. 76

D. Autissier, ibidem.

52

contrôle. Nous souhaitons ici présenter une configuration des deux notions d’évaluation et de contrôle

en tant qu’étapes du processus de pilotage.

Paragraphe 1 : Performance et pilotage

A. Triptyque du pilotage

Dans ses ouvrages sur la performance des services de l’organisation, déjà mobilisés dans ce travail,

David Autissier présente le pilotage comme une « boucle » qu’il théorise en l’appelant le « triptyque du

pilotage », constitué de trois stades : l’évaluation, l’écart, la correction.

Nous nous sommes jusqu’ici principalement intéressés à la notion d’évaluation, dans une approche

spécifique, qui est celle de la performance. Mais l’organisation est par essence le terrain de la prise de

décisions, de l’action et des expériences. La notion d’écart est capitale dans la mesure où elle permet

de rapprocher le réalisé du prévisionnel et des objectifs initiaux, et l’optimisation de cette fonction est

garante de l’intégrité de l’organisation, dans la mesure où elle doit permettre de déceler une

éventuelle perte de vue de la mission primordiale. Enfin, la dimension corrective du triptyque est à

considérer d’un point de vue d’apprentissage organisationnel lié au contrôle, qui doit permettre

l’expérience et l’innovation.

Pour David Autissier, c’est plus précisément l’évaluation de la performance qui serait l’élément

déclencheur de la boucle du pilotage. Il définit le processus de la sorte : « L’évaluation consiste en la

réalisation de mesures qui permettent de dire si un fonctionnement est performant ou pas, et quelles

sont les actions de correction et d’amélioration à mener » et insiste sur l’importance de la mesure en

tant que « manière d’objectiver la réalité ».

Le pilotage porte notamment sur l’investissement, financier, matériel, technique, humain, que les

gestionnaires vont mettre en œuvre, et en ce sens, que la mesure permet une appréciation

pragmatique des montants à mobiliser au regard des niveaux d’objectifs déjà atteints.

B. L’évaluation au service de la décision : de la performance au pilotage

La première étape du processus de pilotage est donc l’évaluation de la performance. Comme nous

l’avons défini précédemment, l’évaluation est la traduction opérationnelle, l’outil d’expression la

composante clé de la performance. Concernant le pilotage, ce rôle est assumé par l’action en général,

mais plus précisément par la prise de décision ayant lieu en amont.

C’est en ce sens que nous avons présenté les dispositifs d’évaluation de la performance comme des

outils d’aide à la prise de décision pour les gestionnaires ; et c’est également en ce sens qu’une

branche de la recherche développe la position selon laquelle les modalités de définition et

d’évaluation de la performance ont un impact sur la performance elle-même de l’organisation.

Le cercle vertueux – ou vicieux selon la cohérence entre l’approche choisie et les besoins de la

structure – rejoint l’idée d’une boucle du pilotage développée par David Autissier.

53

C. Introduction du contrôle dans le pilotage

Le « contrôle » est un terme polysémique, dont la définition est constituée de deux dimensions

principales : une approche en tant que « vérification » et une approche en tant que « maîtrise »77

. En

termes organisationnels, Eve Chiapello définit le contrôle comme « toute influence créatrice d’ordre,

c’est-à-dire d’une certaine régularité »78

, et se positionne ainsi du point de vue de la maîtrise. Selon

cette définition, le contrôle est intimement lié au processus de prise de décision : « On est dans une

situation de contrôle […] lorsque le comportement d’une personne est influencé par quelque chose ou

quelqu’un » ajoute le chercheur. La prise de décision correspond précisément au comportement

influencé, et à l’« ordre » créé, tandis que l’évaluation se place du côté de l’influence ordonnatrice. Le

contrôle apparaît alors comme l’étape intermédiaire et critique du processus de pilotage, qui donne

sens à l’évaluation et à la décision. En ce sens, quel que soit le type d’organisation, ou le secteur

dans lequel on se trouve, le contrôle existe de fait.

On retrouve l’idée la de création de sens par le contrôle dans la définition que donne Anthony du

contrôle de gestion : « Le contrôle de gestion est le processus par lequel les responsables s’assurent

que les ressources sont obtenues et utilisées avec efficacité et efficience dans l’accomplissement des

objectifs de l’organisation »79

. Mais selon cette perspective, le contrôle qui s’exerce sur l’organisation

est également assez proche de la notion d’intégrité que nous évoquions plus tôt, dans la mesure où il

s’agit de maintenir la cohésion d’une entité dans le but d’atteindre des objectifs.

Paragraphe 2 : A propos de l’incompatibilité entre contrôle et art

Eve Chiapello s’est notamment intéressée à ses modalités pour les organisations culturelles, et,

s’appuyant sur une réflexion de Lebas selon laquelle le contrôle réduit les libertés laissées aux

personnes dans les organisations, se demande si « les organisations et le travail artistiques sont

contrôlables »80

, laissant penser que l’influence de fait qui s’exerce dans les organisations, pourrait ne

pas se traduire en contrôle dans le secteur culturel.

A. Conflit de représentations

Après reconnu que le contrôle existe de fait dans l’organisation, Eve Chiapello développe l’idée que

l’apparente incompatibilité entre art et contrôle, et l’hostilité du monde de l’art à l’égard du

management, tiendraient essentiellement à un conflit d’images entre les deux univers.

Elle caractérise l’approche de la création et de l’art comme socialement dominée par la figure de

l’artiste représenté en tant qu’être inspiré, dont la production est le fruit d’un « don hors du commun ».

Cette conception de la création, que le chercheur qualifie de « romantique », pèche sur deux aspects :

77

Le Nouveau Petit Robert, ibidem. 78

E. Chiapello, « Les typologies des modes de contrôle et leurs facteurs de contingence : un essai d’organisation de la littérature », [1996], Comptabilité – Contrôle – Audit / Tome 2, Vol.2, pp.51-74. 79

R. N. Anthony, « Planning and control systems. A Framework of analysis », [1965], Boston: Division of Research Graduate School of Business Administration, Harvard University 80

E. Chiapello, « Les organisations et le travail artistiques sont-ils contrôlables ? », [1997], Réseaux, n°86, Vol.15, pp.77-113. Nous généralisons le propos aux organisations dont la mission est l’enrichissement culturel de la société, non pas seulement aux « organisations de production et de diffusion culturelles qui ont la spécificité de travailler avec des artistes vivants ».

54

elle se focalise sur l’aspect exploratoire de la création et d’une production restreinte et avant-gardiste,

mais occulterait le champ prédominant de la grande production d’offres culturelles ; et d’autre part, elle

aurait tendance à se focaliser sur le résultat – l’œuvre produite – en oubliant le processus de création

– l’autre dimension de la performance.

Quant à la représentation du contrôle qui prévaut dans les organisations culturelles, en tant

qu’« influence génératrice d’ordre », il serait un facteur de restriction des libertés, visant à créer des

« routines », dans un esprit de rationalisation, contradictoire avec le processus créatif.

La résolution du conflit au niveau de la représentation semble simple : il suffirait de reconnaître que

l’on partage une conception réductrice des deux dimensions. Ainsi, accepter que le travail artistique

soit un travail avant toute chose, et que le contrôle ne soit pas nécessairement un contrôle « serré »

destructeur de libertés.

B. Incarnation du conflit

S’il s’agit d’une opposition rhétorique classique, le conflit est cependant ressenti sur le terrain par les

acteurs des organisations, et ne se limiterait donc pas à une construction mentale et sociale selon

laquelle la création et le contrôle seraient incomptables.

D’après Eve Chiapello, « le conflit est donc incarné dans les dispositifs matériels, dans les productions

artistiques elles-mêmes, dans les rôles organisationnels et les positions de pouvoir. Il vit sous de

multiples formes, il engage les personnes et les fait se heurter », processus pernicieux qui infiltrerait

toutes les dimensions de la relation entre l’organisation et l’entité artistique.

Notamment, le conflit prendrait la forme de clivages organisationnels entre les différents profils –

gestionnaires et artistiques –, la multiplication d’intérêts personnels et contradictoires, et constituerait

ainsi potentiellement une menace pour la mission de l’organisation et l’intégrité de son activité.

Pour Eve Chiapello, le rôle du chercheur en gestion pour désamorcer le conflit est de proposer une

autre représentation des concepts à travers des modes de contrôle respectueux de l’activité artistique

et culturelle. La première étape sera de révéler les dispositifs de contrôle aux acteurs concernés,

gestionnaires plus familiarisés avec ces outils, et profils artistiques. Cette démarche laisse prévoir

deux types de réactions : d’une part, la volonté de certains acteurs de s’emparer du dispositif pour

accroître leur influence et faciliter leur action, dans une logique de poursuite de l’intérêt personnel

évoqué précédemment ; d’autre part, la suspicion des acteurs soumis au contrôle, et leur volonté de

s’en libérer.

Section 2 : Modalités du contrôle en organisation culturelle non lucrative

Le contrôle existe donc de fait dans l’organisation culturelle non lucrative, mais il n’y répond pas à la

même philosophie que dans le contexte d’une entreprise marchande ou industrielle. Nous parlerons

avec Eve Chiapello de « modes de contrôle » pour désigner le système adopté pour introduire des

55

dispositifs de contrôle dans l’organisation. Ces modes de contrôle portent porte sur six dimensions

constitutives, notamment sur le contrôleur, le contrôlé et les processus en vigueur.

L’analyse du chercheur l’amène à en déduire que dans l’organisation culturelle, le contrôle doit passer

par des relations personnelles entre les acteurs, et propose trois modes que nous étudierons ici, avant

de présenter des approches plus expérimentales pour servir les enjeux stratégiques de cette étape du

processus de pilotage.

Paragraphe 1 : Modes de contrôle pour la création artistique

A. Auto-contrôle

Pour Eve Chiapello, l’auto-contrôle est le contrôle exercé par l’artiste lui-même, et nous

généraliserons ça à l’ensemble des organisations culturelles non lucratives que nous étudions, en

disant qu’il s’agit du contrôle exercé par l’équipe artistique de l’organisation elle-même. Ce mode de

contrôle semble adapté aux organisations culturelles non lucratives, dans la mesure où il repose sur la

motivation intrinsèque des acteurs, et non sur des facteurs de motivation ou d’incitation extérieurs, tels

que la rémunération, ou la promotion.

Ici, c’est l’implication des acteurs pour maximiser les effets de l’offre artistique et culturelle qui est à

l’origine du processus d’auto-contrôle, dans une optique de responsabilisation de ces acteurs quant

au résultat produit et à l’atteinte des objectifs – et donc à la performance. Nous pouvons illustrer le

mode d’auto-contrôle par la conscience du directeur artistique, de programmation, ou éditorial, d’un

festival, une salle de spectacle, ou une maison d’édition, de devoir effectuer un arbitrage entre ses

aspirations esthétiques quant au choix des artistes ou auteurs, et la nécessité d’assurer la viabilité de

l’organisation, en intégrant par exemple des succès commerciaux à sa programmation.

L’auto-contrôle suppose d’adopter le recul nécessaire pour avoir une vision d’optimisation de sa

propre activité en regard des objectifs globaux de l’organisation.

B. Contrôle par la culture professionnelle

Le deuxième mode de contrôle proposé par Eve Chiapello est également caractérisé par l’implication

des acteurs, autour de valeurs auxquelles ils adhèrent intimement. « Les valeurs, écrit le chercheur,

sont une source de contrôle car les personnes qui cherchent à agir en conformité avec celle-ci

réduisent de fait l’éventail de leurs possibilités d’action ».

Le contrôle passerait par le partage des valeurs entre les acteurs et l’organisation, une configuration

pertinente dans le cas des organisations culturelles non lucratives, dont les valeurs, qui s’agrègent

autour de la mission d’enrichissement de l’environnement culturel, sont nécessairement partagées par

les acteurs des équipes artistiques.

Dans la même perspective que pour l’auto-contrôle, le partage des valeurs humaines avec celles de

l’organisation permet d’adopter une forme de contrôle « spontané » par les acteurs les plus réticents.

56

La réflexion d’Eve Chiapello porte en effet sur les modes de contrôle applicables à l’organisation

culturelle non lucrative, tels qu’ils ne se heurtent pas d’emblée à la suspicion, voire au rejet des parties

prenantes de sensibilité davantage artistique que managériale. Cependant, le contrôle une fois

instauré en tant que modalité de l’évaluation de la performance, doit également rencontrer l’implication

des gestionnaires ; dans la forme de contrôle que nous étudions ici, par la culture professionnelle, il

s’agit donc également de promouvoir des valeurs organisationnelles et managériales, de sorte que les

équipes administratives soient concernées et impliquées.

C. Contrôle par le don

Le troisième mode de contrôle suggéré passe par une relation personnalisée entre l’acteur de

sensibilité et responsabilité artistique, et un gestionnaire de l’organisation. La relation fondée sur la

confiance reflète celle que place le gestionnaire en la capacité de l’acteur artistique à établir une

programmation pertinente et de qualité, et celle de ce dernier en la bienveillance du gestionnaire et en

son implication maximale pour permettre la réalisation des projets proposés.

Notamment, ce mode de contrôle permet d’éviter ou de limiter une réaction de rejet et une aspiration à

s’affranchir du contrôlé révélé. Eve Chiapello parle de contrôle par le don, au sens de mise à

disposition de temps, d’énergie, de biens, de ressources, au service de la relation de confiance qui

doit se créée.

Le chercheur souligne l’absence de tout calcul dans cette approche du contrôle par le don, il nous

semble néanmoins que dès la construction de la relation, les deux parties se jaugent et déterminent le

degré de confiance à accorder en fonction de l’attitude de leur interlocuteur. En d’autres termes, les

deux acteurs évaluent le contrôle que cette relation fait peser sur eux. Face aux propositions du

directeur artistique d’un festival musical, par exemple, quant aux artistes à engager, le gestionnaire

évalue la marge de manœuvre dont il dispose pour l’enveloppe budgétaire à confier, et aux possibles

arbitrages en conséquence. En retour, ils sont aussi à même de faire office d’« influence génératrice

d’ordre » – le gestionnaire peut riposter en limitant l’enveloppe, s’il perçoit un déséquilibre entre la

confiance qu’il offre et celle que lui confie le directeur artistique, qui pourrait par exemple gonfler ses

besoins budgétaires pour se laisser une marge de manœuvre plus grande.

Cette approche présente cependant le risque de laisser la voie ouverte aux jeux de pouvoir.

Paragraphe 2 : Pratiques stratégiques du contrôle

A. Rôle stratégique du contrôle pour la performance

Au sens de la définition de Eve Chiapello, le contrôle est générateur de routines. Pour Bouquin, la

dimension stratégique du contrôle réside précisément dans la mise en place de ces processus de

routines, qui laissent une place à l’essai, à l’erreur et à la correction, et fondent le socle du concept

d’apprentissage organisationnel. Précisément, le contrôle est « un outil essentiel [...] puisqu’il permet

la validation de l’expérience, d’en tirer collectivement et non individuellement les leçons ».

57

Ainsi le contrôle, par cette composante opérationnelle serait le dispositif par lequel l’expérience trouve

sens dans l’organisation et un lieu privilégié pour l’innovation.

Malgré la menace que le terme peut sembler faire peser sur la liberté et sur la marge de manœuvre

dont disposent les acteurs, la mise en place de ces routines ne doit pas être vécue comme un

obstacle, mais bien plutôt comme un instrument qui permette l’optimisation des processus, dans cet

objectif de « permettre une efficience maximale ». La production de routines permet non seulement de

dégager de l’attention de procédures qui ne demandent pas une approche spécifique pour chaque

projet et d’optimiser l’allocation des ressources, humaines, matérielles, financières.

Le contrôle n’apparaît donc plus seulement comme une « influence génératrice d’ordre » présente de

fait dans l’organisation culturelle non lucrative, mais bien plus comme une modalité pour les

gestionnaires dans la mise en place du dispositif d’évaluation de la performance et du pilotage.

Piloter l’activité dans une approche de la performance, c’est impliquer les différents acteurs de

l’organisation dans le processus de définition et d’évaluation de la performance.

La responsabilisation, à travers sa composante participative, rejoint la forme d’auto-contrôle définie

par Eve Chiapello : en d’autres termes, le contrôle que les individus exercent sur eux-mêmes au sein

de l’organisation les amène à une implication collective en termes d’objectifs de performance à

atteindre.

On retrouve ici une dimension du contrôle organisationnel que nous n’avions pas évoqué jusqu’à

présent : le fonctionnement en équipe.

Une autre « influence génératrice d’ordre », puissante dans la mesure où elle permet aux

individualités de prendre part à un processus collectif de prise de position. Si les modes de contrôle

basés sur l’auto-contrôle ou les relations interpersonnelles semblent pertinentes et adaptées aux

organisations culturelles non lucratives, plus particulièrement, le fonctionnement en équipe permet de

développer une forme de contrôle par le don, de manière presque naturelle.

B. Pratiques alternatives du contrôle

Face à la méfiance sur les conséquences que peut avoir la mise en place de systèmes d’évaluation

de la performance, il existe une approche du contrôle qui ne s’inscrit pas dans une approche par les

indicateurs : le contrôle interactif qui consiste à fournir des données davantage qualitatives sur la

perception d’un service et la satisfaction des usagers81

. Cette approche repose sur des méthodes de

passation de questionnaires, groupes de concertation, entretiens, et est pertinente dans le secteur

culturel, caractérisé par sa mission d’enrichissement culturel.

81

R. L. Oliver, « A cognitive model of the antecedents and consequences of satisfaction decisions », [1980], Journal of Marketing Research, n°17,pp. 460-469.

58

Il ne s’agit pas de s’extraire d’une logique du contrôle, mais au contraire d’en proposer des modalités

qui permettent d’aborder l’ensemble du processus d’un point de vue d’apprentissage organisationnel,

et notamment de relativiser ou renforcer le besoin de collecte de données dans l’organisation.

Cette approche du contrôle sans la mesure permet de prendre en compte de manière exhaustive la

complexité d’une situation, des enjeux qu’elle fait intervenir et des parties prenantes qu’elle implique.

Les indicateurs de remplissage, ou de fréquentation peuvent par exemple éluder une réelle

insatisfaction des publics, liée à l’accueil ou à l’environnement dans lequel ils « consomment » le bien

ou service : service de restauration médiocre, queues démesurées. Une approche qualitative qui

s’appuie sur l’interaction permet de mettre en perspective les dimensions qui constituent l’expérience,

et qui, au-delà de la programmation artistique, concourent à développer l’enrichissement culturel et

caractérisent la performance82

.

C. Détourner le contrôle

Enfin, nous souhaitons présenter un exemple d’approche alternative du contrôle dans le secteur

culturel non lucratif des Scènes de Musiques Actuelles (SMAC), présenté par le sociologue Gérôme

Guibert83

.

Il s’agit de montrer en quoi les outils développés par la Fédurok, fédération des lieux de musiques

amplifiées/actuelles, ont permis de transformer un contrôle exogène représenté par un besoin

croissant en information de la part des pouvoirs publics, lorsque ces derniers ont commencé à

s’intéresser aux musiques actuelles en tant qu’axes de politiques économiques et culturelles en un

facteur d’implication des parties prenantes.

Pour Gérôme Guibert, si jusqu’aux années 1980, les questions portant sur l’économie des structures

culturelles ont été éludées, dans le contexte actuel de restrictions budgétaires et d’amenuisement des

subventions publiques, les acteurs voient peser sur eux une forme de contrôle par le chiffre, et dans

une approche L.O.L.F., par le résultat.

La position des acteurs des musiques actuelles, n’a pas été de résister à cette tendance, mais bien

plutôt de s’en servir stratégiquement. Ainsi, la Fédurok s’est servie d’une forme de contrôle imposée

par l’Etat pour non seulement attirer l’attention sur ses adhérents et le secteur que la Fédération

représente, mais bien plus pour se poser en interlocuteur direct du Ministère pour les musiques

actuelles, et jouer un rôle de « force en présence ».

Gérôme Guibert indique en conclusion de son article, que les données que la Fédération a pu

présenter aux pouvoirs publics a fait évoluer les rapports entre les acteurs ; et les pouvoirs publics ont

désormais recours à des données recueillies directement par la Fédurok pour produire leurs propres

82

A. Ragaigne, « Contrôle sans mesurer ou l’irrésistible adaptation du management par l’interaction », [2010], Cahier de recherche du Laboratoire orléanais de gestion, IAE D’Orléans, n°2010-05. 83

G. Guibert, « Détourner le contrôle ? Le cas de la fédération des lieux de musiques actuelles », [2011], Sociologies pratiques, n°22, Editions Sciences Po Les Presses, pp.79-90.

59

rapports84

, mais en plus, que la fédération est intégrée aux groupes de réflexion autour des

indicateurs de la L.O.L.F.

Il nous semble que l’on peut retenir quelques éléments pour l’organisation culturelle non lucrative.

Notamment le fait que la légitimité est assez stratégiquement liée à l’information fournie, et qu’une

juste exploitation des mécanismes de contrôle à l’œuvre constitue un levier pour l’asseoir.

Dans une approche de la performance, le contrôle peut ainsi représenter un outil éminemment

politique.

Section 3 : Les limites de la performance pour les organisations culturelles non

lucratives

Si le contrôle se présente comme le pivot stratégique du processus de pilotage à travers la liaison

entre l’évaluation et la décision, l’approche que nous avons présentée face cependant du postulat

implicite qu’il existe une certaine sensibilisation aux questions de la performance et des stratégies du

pilotage, ce qui n’est pas nécessairement le cas dans les organisations culturelles non lucratives que

la structure et l’environnement inscrivent plus généralement dans une économie de la survie.

Paragraphe 1 : Limites matérielles

A. Des structures inappropriées

Un des facteurs présentant des limites à la mise en place des dispositifs d’évaluation de la

performance est la taille des structures et des équipes. En effet, le chantier de mise en place et de

suivi des outils, représente un temps non négligeable, que les équipes ne sont pas toujours à même

de dégager du fait d’effectifs réduits. Nous nous appuyons sur l’étude économique et sociale réalisée

par le Centre National de la Chanson, des Variétés et du Jazz, dans le secteur du spectacle vivant de

musiques actuelles, pour donner une idée de la taille des organisations en présence, très

majoritairement de petites structures, avec, en moyenne, en 2008, 5,7 salariés permanents en

équivalent temps plein, et 8,6 intermittents du spectacle ; avec une médiane à 4,4 pour les

permanents et 3,9 pour les intermittents, ce qui témoigne de l’existence de beaucoup plus de très

petites structures en termes d’effectifs, que de structures importantes qui font remonter la moyenne.

Le partage et la répartition des tâches sont très étroitement liés à la taille de la structure, et de fait,

lorsque les effectifs sont réduits comme cela peut être le cas dans le secteur culturel non lucratif, il y a

une tendance à la concentration de fonctions différentes entre les mains des quelques acteurs.

La grande hétérogénéité de structuration et d’activité des organisations du secteur culturel non lucratif

est une limite à notre propos. La mise en place de dispositifs d’évaluation de la performance et de

pilotage peut n’être pertinente que pour des organisations caractérisées par une complexité de

l’activité, liée aux sommes engagées, aux moyens humains mobilisés, aux parties prenantes

incarnées. Mais aussi et surtout aux objectifs à atteindre et à la stratégie déployée. En d’autres

84

Par exemple le Plan pour des politiques nationales et territoriales concertées en faveur des musiques actuelles de 2006.

60

termes, la question d’une mise en place de dispositifs d’évaluation de la performance se pose de

manière pertinente aux organisations culturelles non lucratives capables d’avoir une appréhension de

la performance, autre que dans une « économie de la survie ».

B. Des ressources limitées

Nous avons dit, avec Annick Bourguignon, que « la performance désigne la réalisation des objectifs

organisationnels » et nous avons ajouté une dimension d’optimisation des ressources disponibles. La

suite implicite de cette définition porte sur la création de nouvelles ressources en tant que résultat

d’une « bonne » performance. En effet, l’approche que nous avons présentée ici ne se limite pas à

atteindre des objectifs fixés, mais bien au-delà, à servir une mission et à en assurer la pérennité, à

travers notamment la création de ressources réutilisables, en matière d’apprentissage organisationnel,

ou réinjectables en moyens financiers – dans l’organisation.

Une approche de la performance présente cependant des limites du point de vue des ressources

disponibles en premier lieu, car celles-ci sont elles-mêmes limitées. Nous parlerons ici essentiellement

des ressources financières que peuvent mobiliser les organisations culturelles non lucratives et du

traitement qui en est fait.

Considérons par exemple les établissements publics soumis à la L.O.L.F. et engagés avec l’Etat dans

un « contrat de performance ». La philosophie de ces contrats, malgré un passage à une approche

par les résultats plutôt que par les objectifs, n’est pas de mettre en avant la bonne gestion de certains

établissements, et récompenser ceux-ci par des enveloppes plus importantes. Il s’agit plus

rationnellement pour l’Etat de maîtriser son budget, ainsi une « bonne » performance, selon les

critères imposés, ne garantit pas l’obtention de ressources supplémentaires.

La raréfaction des subventions publiques génère des enveloppes plus limitées pour les organismes de

soutien, qui doivent de plus en plus effectuer un arbitrage strict entre les demandes d’aide. La

question se pose sur les critères qui seront choisis pour affecter les ressources : les organisations

« méritantes » dont la bonne gestion doit être encouragée, où les organisations en difficulté, mais qu’il

faut aider pour soutenir le secteur et sa diversité ? Peut-on espérer que, dans un contexte budgétaire

de plus en plus tendu, les critères retenus puissent défendre une approche globale ?

Paragraphe 2 : Limites des outils

A. Limite de la rationalité gestionnaire

Nous avons largement évoqué la fonction d’aide à la prise de décision du dispositif d’évaluation de la

performance. Une limite du dispositif porte sur ce rôle. Elle nous est pointée du doigt par Simon à

travers l’idée de « rationalité limitée » selon laquelle les gestionnaires ne sont pas capables de

prendre des décisions logiques car ils ne disposent pas de la totalité des informations, incapables de

les traiter ou victimes de rétention par autrui, ou que l’information dont ils disposent recouvre une trop

61

grande subjectivité, normes sociales ou jugements moraux85

. Nous avons notamment vu, avec Marc

Amblard que le modèle comptable utilisé par les organisations est une construction sociale,

privilégiant un point de vue particulier, celui du propriétaire de la structure.

Ainsi, la prise de décision des gestionnaires serait en fait biaisée par la multiplication de l’information

recherchée et des outils de traitement. Cette approche est lourde de conséquence d’un point de vue

managérial : la quantité d’information acquise peut laisser croire que l’on réduit le degré d’incertitude

dans lequel opère l’organisation, et que l’on facilite le processus de prise de décision. En fait,

l’environnement se caractérise par une situation d’ambigüité, « manque de clarté et de cohérence sur

la réalité, la causalité et l’intentionnalité d’une situation »86

, dans laquelle le preneur de décision est

incapable de se convaincre de la véracité de l’information.

Les systèmes de mesure de la performance sont directement concernés par cette limite. Par la

somme d’informations qu’ils mobilisent, ils visent à réduire l’incertitude, et dans les meilleurs cas

servent d’outils à la prise de décision. Ils sont cependant conçus par des êtres humains, des individus

sociaux, qui font nécessairement intervenir une perception subjective de la réalité, et introduisent leur

conception des liens de cause à effet.

B. Instrumentalisation des indicateurs

D’autre part, le système d’évaluation de la performance peut être instrumentalisé en tant qu’outil de

communication. La conception des indicateurs répondre à un objectif de publication institutionnelle, du

rapport d’activité, ou plus commerciale, pour développer des liens de partenariat par exemple.

La performance incarnée par les acteurs de l’organisation, et intériorisée comme outil du pilotage, vise

l’ensemble des parties prenantes de l’organisation. Dans le cas de l’organisation culturelle non

lucrative, il s’agit de celles concernées par la mission d’enrichissement de l’environnement culturel,

donc les publics divers, les populations territoriales, les artistes et les professionnels du secteur.

Il peut ainsi sembler « sain » pour une structure de communiquer sur sa performance auprès de ses

parties prenantes, notamment dans un objectif d’amélioration continue, à travers la simplification des

échanges.

Paragraphe 3 : Limites philosophiques

Enfin, des limites ayant trait à la « philosophie » de la performance renvoient à la difficulté de valoriser

cette approche par absence de culture organisationnelle notamment.

85

A. H. Simon, « Models of Bounded Rationality: Empirically Grounded Economic Reason », [1997], Vol.3, Massachusetts Institute of Technology Press. 86

Traduction personnelle de « A lack of clarity and consistency in reality causality and intentionality » in J.G. March, A primer on decision-making: How decisions happen, [1994] Free Press Publishing, 1st ed.

62

A. Absence de culture de la performance

Avant même de parler de culture organisationnelle de la performance, il est intéressant d’évoquer,

avec Annick Bourguignon87

, le « flou sémantique » qui règne autour du mot même de performance,

situation à laquelle le chercheur voit des avantages, mais à laquelle nous percevons également des

inconvénients, notamment en termes de construction d’une culture de la performance.

Il est vrai que lorsque l’on parle de « performance », la perception de la notion varie. Avec les limites

pointées des outils traditionnels du contrôle de gestion, un changement de vocabulaire a été opéré, et

l’on parle désormais volontiers de « pilotage de la performance » sans toujours savoir exactement ce

que l’on désigne.

Après avoir choisi une définition de la performance, Annick Bourguignon pose la question du bénéfice

du flou sémantique qui règne autour de ce concept. Le chercheur y voit une fonction d’

« embellissement » des discours des managers, s’appuyant sur une rhétorique de l’innovation, qui

peut réduire la notion de « performance » à un phénomène de mode. Le chercheur évoque également

une fonction idéologique du flou sémantique qui laissent ainsi libres les associations d’idées et de

valeurs, selon les propres références de chacun ; une fonction de rassemblement, en cultivant un

sentiment d’appartenance et d’adhésion du groupe à une mission ou à des valeurs – et qui donne

sens à un contrôle s’appuyant sur l’individu ; et enfin une fonction de légitimation, en rendant

socialement acceptables certaines pratiques.

Les organisations culturelles non lucratives n’ont pas une culture formelle de la performance – celle

des techniques, des outils et des discours – peut-être tout simplement parce que le concept a été

théorisé et construit pour le secteur marchand, et industriel à ses débuts. En l’absence de cette culture

initiale, et face au flou sémantique dont parle Annick Bourguignon, on peut craindre que le terreau ne

soit pas favorable pour développer une culture organisationnelle de la performance dans les

structures qui nous intéressent ; et l’on peut ainsi regretter que l’on ne puisse passer d’une économie

de la survie à un réel pilotage de la performance et de l’activité.

B. Court-termisme et insuffisances

Une autre limite à la mise en place de systèmes d’évaluation de la performance dans l’organisation

culturelle non lucrative tient à la nature de la valeur créée par ces structures.

La richesse créée par les organisations peut prendre diverses formes. Dans le cas des organisations

culturelles non lucratives, une distinction est opérée entre la construction d’un capital culturel,

répondant à la mission d’enrichissement de l’environnement culturel de l’organisation, et celle d’un

capital financier.

87

A. Bourguignon, « Sous les pavés la plage… ou les multiples fonctions du vocabulaire comptable », [1997], Comptabilité – Contrôle – Audit, Tome 3, Vol. 1, pp.89-101.

63

Nous retrouvons cette distinction dans l’analyse menée par Marie-Astrid Le Theule sur la possibilité

d’intégrer à une forme de contrôle une vision à long terme de construction d’un capital culturel88

. Le

questionnement du chercheur suppose que les formes usuelles du contrôle seraient avant tout

orientées vers une approche à court-terme de la création de valeur, d’où un dévoiement de la notion

de performance et la fréquente assimilation du concept aux calculs de rentabilité économique.

Il est vrai que le champ de la performance peut sembler réduit d’un point de vue temporel : l’évaluation

se fait généralement sur l’activité de l’année qui précède, et le pilotage, incarné par l’établissement

d’objectifs, balaye tout au plus les trois ou cinq années suivantes.

Le rythme de la création alimente celui des organisations que nous étudions en tant que première

étape de la chaîne de valeur de l’industrie : création du point de vue artistique du compositeur, du

peintre, ou de l’écrivain ; mais aussi de celui de la recherche et du développement du bibliothécaire,

ou du conservateur de musée. Ce rythme est très différent du modèle social imposé aux organisations

de l’exercice comptable ou fiscal. Or la mission de l’organisation culturelle non lucrative, telle que nous

l’avons adoptée en début de ce travail, semble davantage défendre la construction d’un capital

culturel plutôt que celle d’un capital financier.

En ce sens, l’approche de la performance telle que proposée par la recherche semble ne pas

permettre de mettre en place les dispositifs d’évaluation les plus pertinents en regard de la mission

que se confèrent les organisations culturelles non lucratives.

C. Etre performant, est-ce être légitime ?

Nous avons insisté sur la responsabilisation liée à la mise en place d’un système d’évaluation de la

performance et sur la nécessaire prise de position individuelle et collective. Nous avons également

montré l’influence des parties prenantes sur la définition de la performance ; aussi la question se pose

de savoir dans quelle mesure l’évaluation de la performance permet à l’organisation d’asseoir sa

légitimité d’acteur auprès des parties prenantes : dans l’idée de construction sociale que développe

Annick Bourguignon, la performance ne délivre-t-elle une légitimité à l’organisation que lorsqu’elle est

construite selon une « norme », un référentiel établit par une entité toute-puissante, qu’il s’agisse de

l’Etat ou du marché ? On trouve ici une explication à la spontanée référence à la performance en tant

que rentabilité financière, définie par les marchés financiers.

Marie-Astrid Le Theule développe un exemple intéressant avec les squats d’artistes, dont la richesse

de la vie artistique du point de vue de la production, de la consommation, et de la création de valeur

traduit la performance, mais qui, en rupture avec l’institution, donc avec la norme, ne trouvent pas de

reconnaissance de leur légitimité.

A travers la relation à la légitimité, on dévoile un aspect normatif de la performance, qui peut à de

nombreux égards être en opposition avec la nature même de la mission de l’organisation culturelle

88

M.-A. Le Theule, Passeurs de création, Gestionnaires des organisations culturelles, [2010], Editions Vuibert, p.122.

64

non lucrative, et ainsi un dispositif d’évaluation pourrait davantage desservir la structure plutôt que lui

être favorable.

Conclusion de la deuxième partie

Les outils classiques mobilisés pour l’évaluation de la performance ont donc démontré une

robustesse, qui a permis d’inscrire la performance en tant qu’étape du processus de pilotage de

l’activité pour l’organisation culturelle non lucrative.

Les spécificités de ce type de structures nous ont invités à prendre la mesure de la nécessaire

adaptation de l’existant plutôt que sa simple transposition, mais la recherche a montré que le

sentiment d’incompatibilité qui semblait prévaloir entre une approche de la performance en tant que

gestionnaire, et la composante artistique des organisations culturelles non lucratives reposait

essentiellement sur un conflit des représentations. La résolution de ce conflit a notamment permis de

réconcilier la notion de contrôle avec l’activité artistique et culturelle, dans une conceptualisation du

contrôle en tant que traduction du fait humain dans l’organisation, garante de l’intégrité de la mission

de celle-ci.

De nouvelles dimensions mériteraient désormais d’être étudiées, concernant par exemple les facteurs

qui limitent aujourd’hui notre étude, tels que le développement d’une culture organisationnelle de la

performance dans les structures culturelles non lucratives, ou le degré de légitimité que peut instaurer

une approche fondée sur le traitement d’une information dont l’objectivité peut être remise en

question.

65

PARTIE III : Etude empirique : Evaluation de la performance dans

les festivals musicaux français

Il s’agit à présent de mettre à l’épreuve d’une application pratique les réponses théoriques apportées

aux hypothèses formulées en introduction de ce travail. Nous poserons donc ici les questions de

définition de la performance, de modalités de son évaluation et d’implications en termes de pilotage

de l’activité, relativement à un type spécifique d’organisation culturelle non lucrative : le festival

musical.

Chapitre 1 : Contexte, Hypothèses et Méthodologie de recherche

Section 1 : Les festivals musicaux non lucratifs en France

Paragraphe 1 : Structure et économie du secteur

Dans un contexte de crise de l’industrie phonographique, le spectacle vivant peut sembler un refuge

dans la filière musicale, avec une croissance des ventes de billetterie de 60% entre 2005 et 200989

.

Au sein de ce secteur, et selon les chiffres de la base de données de l’IRMA, Centre d’information et

de ressources pour les musiques actuelles90

, on recense en France près de 1 500 festivals, un chiffre

en inflation constante depuis dix ans91

.

Terre nouvelle de festivals, le marché français se caractérise notamment par le tissu d’associations

qui opère dans le secteur. Le modèle économique majoritaire est ainsi fondé sur la non-lucrativité, et

se heurte aujourd’hui à une hausse des coûts aussi bien artistiques que techniques, liée dans le

premier cas à l’opportunité que représente le festival pour les artistes, les tourneurs et les producteurs

de renforcer leurs revenus de manière ponctuelle, et dans le deuxième cas à une popularité

croissante donc une hausse de la fréquentation. En parallèle, les subventions publiques, socle

nécessaire pour les festivals, s’amenuisent dans toutes les filières de l’industrie culturelle92

.

Paragraphe 2 : Enjeux contemporains des festivals musicaux non lucratifs

Le secteur des festivals musicaux français évolue donc dans une économie fragile et dans un

environnement en mutation.

Les enjeux sont multiples, ils concernent notamment l’accès aux ressources et l’adaptation du modèle

économique qui en découle. Il semble en effet que le modèle classique des « trois tiers » du

financement –un tiers par la billetterie et les recettes commerciales notamment liées aux bars, un tiers

89

F. Riester, D. Selles, A. Chamfort, D. Colling, M. Thonon, J.-B. Gourdin, « Création musicale et diversité à l’ère numérique », [2011], Ministère de la Culture et de la Communication. 90

R. Bigay, C. Gillet, « Financements des festivals, Chacun cherche son partenaire », [2011], IrmACTU, la lettre d’information électronique de l’Irma, n°61. 91

F. Drewniak in « Economie des festivals de musiques actuelles », [9 août 2011], Déjeuner sur l’herbe, France Culture 92

Pour plus de détails voir « Les Festivals de musiques actuelles », [2012], CNV Info, n°22, juin.

66

par les subventions publiques et un tiers par le mécénat et le sponsoring– ne soit plus celui qui

prévale. Les gestionnaires doivent faire preuve de créativité –ou de résignation– dans leur recherche

de nouvelles ressources : augmentation des jauges pour générer plus de billetterie, hausse des prix,

partenariats privés plus lucratifs.

D’autre part, avec l’importance croissante des festivals dans la filière musicale, ceux-ci jouent

désormais un rôle majeur dans la structuration économique et notamment professionnelle du secteur.

Du point de vue des artistes, le franc succès en termes de fréquentation des festivals représente

l’opportunité d’aller à la rencontre d’un public nombreux ; mais c’est également un lieu privilégié de

rencontre des professionnels de la filière – producteurs, tourneurs – et un marché incontournable pour

la scène émergente. Les critères d’éligibilité au soutien financier de la part du Centre National de la

Chanson, des Variétés et du Jazz pour les festivals de musiques actuelles, dont le budget dépasse le

million et demi d’euros témoignent de l’importance de ce rôle de structuration professionnelle et de la

responsabilité jouée par les acteurs en la matière : ils stipulent que la commission d’aide appréciera si

« le festival dispose d’un focus portant sur les projets artistiques en développement » et « veille à

mettre en place des dispositifs spécifiques dédiés aux professionnels »93

.

Paragraphe 3 : Ecosystème du festival musical non lucratif

Le festival musical non lucratif en tant qu’acteur se situe ainsi à la croisée de rôles importants pour la

filière, en termes économiques et de structuration professionnelle. Il représente également un acteur

majeur de la vie culturelle des populations ; car si jusque dans les années 1980, la France était un

désert du point de vue des festivals musicaux, d’autant plus sensible que ses voisins anglais et

allemands en sont des terres historiques, les publics se mobilisent aujourd’hui massivement pour

assister à ces manifestations94

. L’action auprès des publics revêt des facettes diverses, à travers une

visée d’enrichissement individuel et collectif – en garantissant notamment l’accès à une offre culturelle

pour tous, grâce à des tarifs plus attractifs que l’ensemble des manifestations isolées. Ainsi dans le

secteur des musiques actuelles, le prix d’entrée est en moyenne de 24 euros contre 32 euros pour

l’ensemble des concerts95

–, de sensibilisation et de responsabilisation sur des questions sanitaires et

de sécurité – sensibilisation et prévention aux conduites à risque ou à la maladie – et sur les

problématiques du développement durable. En ce sens, et au même titre qu’une Maison des Jeunes

et de la Culture (MJC) ou qu’un foyer socioculturel, le festival joue un rôle d’éducation et

d’accompagnement des populations.

Enfin, l’action du festival musical a une dimension territoriale importante. De simples indicateurs en

témoignent : l’importance des collectivités territoriales – région, département, commune, ville – en tant

que sources de financement, qui représentent en moyenne le quart des ressources du budget, soit le

plus gros poste derrière la billetterie ; ou encore le volume d’emploi créé à l’occasion de la

manifestation, les retombées économiques en termes de tourisme ou d’investissements générés dans

93

Les critères sont consultables dans le dossier-type de demande d’aide de la commission 2 du CNV, téléchargeable à l’adresse suivant http://www.cnv.fr/nav:aides-2-1 [consulté le 24 mars 2012]. 94

Frédéric Drewniak de l’Irma, fait ce constat en regrettant toutefois que les organes d’observation ne disposent pas encore de moyens pour chiffrer la fréquentation globale. 95

« Les Festivals de musiques actuelles », [2012], CNV Info, n°22, juin.

67

une région dont le festival renforce l’attractivité, et les retombées sur le tissu d’activité générale du

territoire.

L’écosystème d’un festival musical non lucratif est donc très riche, en nombre d’acteurs, et en termes

de dynamiques de développement ; et les interactions entre ces différentes parties prenantes

représentent un enjeu pour la prise en compte de l’ensemble de l’écosystème dans la traduction

opérationnelle de la mission du festival.

Section 2 : Hypothèses

Hypothèse 1 : la notion de performance est incompatible avec l’organisation culturelle non

lucrative

A. Hypothèse et sous-hypothèses

Nous avons présenté la notion de performance comme un concept initialement développé pour des

entreprises industrielles et marchandes dont la mission est essentiellement d’assurer la satisfaction

des propriétaires de l’organisation, les actionnaires, et qui se traduit en termes de profit.

Partant de ce constat, il semblait difficile d’introduire cette notion en son sens premier dans une

approche organisationnelle du secteur culturel non lucratif dont la mission que nous avons retenue

visait à l’enrichissement culturel de l’environnement, et pour l’évaluation de laquelle nous étions

dépourvus d’outils.

La première hypothèse ainsi développée consiste à incarner le conflit rencontré en supposant que la

notion de performance est incompatible avec la structure, la mission, et les valeurs de l’organisation

culturelle non lucrative.

Cette hypothèse répond à deux dimensions d’interrogation : l’une portant sur la présomption que les

contraintes liées au contexte économique contemporain qui pèsent sur les organisations culturelles

non lucratives, et les mesures que ce contexte peut amener à prendre, risquent d’en aliéner la

mission. Par exemple, dans une situation de diminution des subventions publiques, et face à la

nécessité de se tourner vers des partenaires privés pour trouver des ressources nouvelles,

l’intervention de parties prenantes extérieures et commerciales dans des décisions de nature

artistique peut endommager l’identité même de l’organisation. On pense par exemple ici dans le cadre

des festivals musicaux aux scènes estampillées aux couleurs et noms d’entreprises introduisant la

promotion de leurs propres artistes dans la programmation de l’évènement.

D’autre part, d’un point de vue conceptuel, il peut sembler que la performance échappe même à toute

définition en organisation culturelle non lucrative car la notion s’appuie sur des valeurs de

quantification et de qualification des résultats, en opposition avec la constitution d’un capital culturel.

68

B. Etat de la recherche et résultats attendus

Si l’on fait une brève synthèse des découvertes et positions retenues par les chercheurs sur ces

questions, on établira avec Johanne Turbide que la performance doit avant tout être définie

spécifiquement pour l’organisation culturelle non lucrative, en allant au-delà de la dichotomie entre

réussite financière et réussite artistique. Parce que la performance est un concept multidimensionnel,

qui prend en compte des éléments aussi quantitatifs que qualitatifs, et vise à appréhender la

production malgré la complexité de la valeur qu’elle créée, les chercheurs semblent de ne pas

s’opposer à ce que l’on transpose la notion à des secteurs moins classiques : les organisations

artistiques et culturelles, et les organisations non lucratives.

Sur l’incompatibilité entre la notion de performance avec l’organisation culturelle non lucrative, la

recherche laisse prévoir que notre première hypothèse sera infirmée.

Hypothèse 2 : l’organisation culturelle non lucrative résiste à la mise en place d’un système

d’évaluation de la performance

A. Hypothèse et sous-hypothèses

Ayant supposé que l’incompatibilité de la notion de performance avec l’organisation culturelle non

lucrative ne fait pas lieu de postulat, nous nous interrogeons sur ce qui fait souvent le cœur de la

recherche en matière de performance : sa mesure. Nous observons d’une part que l’impossibilité de

quantifier les objectifs des organisations culturelles non lucratives en matière de portées artistique,

sociale, ou éducative rendent inopérant le concept même d’évaluation. D’autre part, plus

spécifiquement les modèles traditionnels d’évaluation de la performance et leurs outils ne semblent

pas permettre d’envisager toutes les dimensions de la performance en organisation culturelle non

lucrative.

L’évaluation n’a de sens qu’au sein d’un référentiel, et donc en confrontation avec les autres acteurs

similaires identifiables. Une structure culturelle non lucrative défend certes des objectifs qui ne sont

pas liés à la création de profit, mais ceux-ci sont liés à la création de valeur, et l’on parle bien des

organisations au sens d’acteurs structurants d’un secteur économique. La création de valeur telle

qu’elle est calculée dans les secteurs marchands classiques de biens et de services, et les données

issues des états financiers ou des tableaux de bord commerciaux ne permettent cependant pas de

mettre en évidence la performance de l’organisation culturelle non lucrative quant à la richesse qu’elle

crée.

Notre deuxième hypothèse est donc la suivante : s’il est possible d’introduire la notion de performance

dans l’organisation culturelle non lucrative, alors celle-ci résiste néanmoins à la mise en place d’un

système d’évaluation.

69

B. Etat de la recherche et résultats attendus

La littérature abonde de théories sur l’évaluation de la performance, à travers les systèmes de

mesure. Appliqués plus particulièrement aux organisations artistiques et culturelles et aux

organisations non lucratives, les articles se font plus rares, mais la question s’est posée pour Johanne

Turbide et Claude Laurin, qui ont étudié les différents modèles proposés dans la littérature, en

insistant bien sur la construction multidimensionnelle du système d’évaluation. On observe entre

autres que les systèmes développés sont dans la ligne directe du traditionnel Balanced Scorecard

développé par Kaplan et Norton. Aussi, nous nous attendons à infirmer notre deuxième hypothèse

relative à la résistance de l’organisation culturelle non lucrative à mettre en place un système

d’évaluation et sa performance, et à observer l’utilisation des outils et techniques classiques.

Hypothèse 3 : l’évaluation de la performance ne permet pas de mettre en place des modalités

de contrôle associé à un pilotage stratégique de l’activité

A. Hypothèse et sous-hypothèses

Enfin, parce que l’évaluation de la performance n’est pas une fin en soi d’un point de vue

organisationnel, mais qu’il s’agit de développer des compétences de pilotage de l’activité, nous nous

interrogeons sur la possibilité de relier les deux aspects, notamment à travers la mise en place de

formes de contrôle permettant de mesurer la performance sur des aspects précis, et de piloter

l’activité de manière prospective.

Nous réfléchissons ici à deux niveaux : sur la relation entre performance et contrôle, et notamment sur

le degré et la nature du contrôle que les dispositifs d’évaluation de la performance introduisent dans

l’organisation culturelle non lucrative ; et dans un second temps sur la marge de manœuvre laissée

par les modalités du contrôle pour piloter l’activité.

Telle que considérée dans son acceptation liée à des objectifs de satisfaction des actionnaires, et

d’autant plus en y associant un dispositif d’évaluation, la notion de performance semble impliquer un

contrôle destructeur pour les organisations culturelles non lucratives, dont la mission est liée aux

valeurs de liberté, d’avant-garde, d’innovation.

Dès lors, il semble impossible de pouvoir s’appuyer sur le dispositif ainsi établi pour piloter l’activité

sans porter préjudice à ce qui fait la raison d’être même de l’organisation.

Ces observations se synthétisent pour constituer notre troisième et dernière hypothèse, selon laquelle

l’évaluation de la performance ne permet pas de mettre en place des modalités de contrôle associé à

un pilotage stratégique de l’activité.

B. Etat de la recherche et résultats attendus

En nous appuyant sur la définition du contrôle par Eve Chiapello, nous établissons qu’il existe de fait

dans toute organisation, mais qu’il en existe des formes respectueuses des spécificités de l’activité et

des enjeux de l’organisation culturelle non lucrative, notamment les modes de contrôle basés sur

70

l’individu. La mise en place d’un dispositif d’évaluation, aussi bien dans la conception du système de

mesure – au niveau des indicateurs choisis – que dans son déploiement opérationnel et son

utilisation, en tant qu’« influence génératrice d’ordre » permet en effet de trouver une configuration qui

soit adaptée au type de structure étudié et ne mette pas en péril les valeurs défendues.

D’autre part, par son rôle au cœur du processus d’apprentissage organisationnel, comme l’écrit

Bouquin, et la réflexion qu’il permet entre expérience, erreur, correction, le contrôle représente une

passerelle pertinente vers un pilotage stratégique de l’activité.

Nous devrions donc être amenés à d’infirmer également cette troisième hypothèse.

Section 3 : Méthodologie de recherche

Pour tester les hypothèses ainsi développées auprès de professionnels du secteur des festivals

musicaux non lucratifs français, nous nous sommes adressés aux représentants de trois festivals

historiques : le Printemps de Bourges, les Eurockéennes de Belfort, et les Rencontres Trans

Musicales de Rennes, qui offrent chacun une approche différente de la performance, de son

évaluation et des problématiques liées au pilotage de l’activité d’un festival musical non lucratif dans le

contexte actuel.

Paragraphe 1 : Intérêt de l’échantillon

L’échantillon constitué présente un grand intérêt par la richesse des témoignages que peuvent

apporter les représentants de ces structures. En effet, le Printemps de Bourges, les Eurockéennes de

Belfort, et les Rencontres Trans Musicales font partie des festivals musicaux historiques français,

présentant respectivement leurs 36ème

, 24ème

et 34ème

éditions en 2012. Cette longue histoire atteste

une expérience riche sur le terrain, auprès des artistes, des publics, et dans les relations avec

l’ensemble des parties prenantes ; une grande proximité des gestionnaires avec les enjeux de

l’ensemble de la filière musicale ; et la capacité de ceux-ci à avoir non seulement un regard

rétrospectif critique sur l’activité du festival, mais aussi prospectif sur les leviers pour assurer la

pérennité de l’organisation et de la manifestation.

Il s’agit par ailleurs d’acteurs économiques, culturels, et sociaux capitaux de par l’ampleur de leur

action sur le territoire, Bourges et la région Centre, Belfort et la région Franche-Comté, et Rennes et la

région Bretagne. Ces festivals sont aujourd’hui profondément inscrits dans la vie culturelle des

régions, et incontournables pour des publics qui ne bénéficient pas toujours d’une offre riche ou

diversifiée tout au long de l’année, comme c’est le cas dans le Cher par exemple. D’autre part, les

retombées économiques liées à l’activité de festivals de cette ampleur sont importantes pour les

territoires : en termes d’emplois, dont la création répond certes pour la majorité à un besoin ponctuel

sur la durée de l’évènement, mais de manière plus pérenne également avec par exemple à Bourges la

création par le directeur du festival, Daniel Colling, de filiales locales pour les services techniques

apportés lors de la manifestation, et qui travaillent sur d’autres projets le reste de l’année ; ou encore à

travers la mobilisation du tissu associatif local par les Eurockéennes de Belfort pour travailler au

71

fonctionnement de la manifestation (32 associations ont travaillé sur l’édition 2011 du festival).

L’Association Trans Musicales quant à elle salarie 18 permanents, au-delà de ce que le festival

générerait sur son seul besoin. Cette envergure de l’équipe permanente est liée à la mise en œuvre

du projet qui additionne le festival à la gestion de la salle rennaise Ubu96

, et à la conduite de deux

projets nés dans le cadre des Trans, et qui se développent désormais de manière indépendante et

pérenne : le Jeu de l’ouïe, projet d’éducation artistique, et Mémoires de Trans, traitement et

exploitation des archives. Les trois festivals ont donc débordé de leur simple cadre temporel.

L’échantillon est enfin composé de trois organisations dont la diversité du point de vue de la structure

permet de recueillir des expériences et points de vue différents sur les enjeux de l’activité, du secteur,

et de la filière – une société commerciale SARL dont la clause de non lucrativité est inscrite dans les

statuts, le Printemps de Bourges, et deux associations de loi 1901, Territoire de Musiques qui

organise les Eurockéennes de Belfort, et Association Trans Musicales pour les Rencontres Trans

Musicales de Rennes – mais dont les similarités notamment en termes d’esthétique – musiques

actuelles et amplifiées –, de taille, de légitimité liée à l’expérience offrent une robustesse à l’étude.

Paragraphe 2 : Accès à l’information et questionnaires

Nous nous sommes adressés pour cette enquête aux représentants des festivals, ayant une approche

stratégique et transversale de l’activité de l’organisation : la Directrice de la production et gérante du

Printemps de Bourges, Madame Lily Fisher, l’Administratrice des Eurockéennes de Belfort, Madame

Nilou Kaveh, et la co-Directrice de l’Association Trans Musicales, Madame Béatrice Macé.

Nous avons pu établir contact avec les représentantes du Printemps de Bourges et des Trans

Musicales de Rennes par le biais des équipes du Centre National de la Chanson, des Variétés et du

Jazz, auquel sont affiliées les trois structures. Nous avons contacté l’administratrice des

Eurockéennes de Belfort part le biais de la Fédération internationale de festivals « De Concert ! ».

Conscients de ne pas retrouver les mêmes prises de position et appréciations de la problématique de

performance auprès de nos différentes interlocutrices, nous avions préparé une base de questionnaire

commun aux trois organisations, et la personnalisation de certaines questions selon les

problématiques que nous avaient présentées en introduction nos interlocutrices.

Ainsi la partie commune du questionnaire visait d’une part à étudier la manière dont la performance

est définie pour la gestion des festivals, à travers des questions portant sur la définition formelle

apportée à ce concept, la mission que se confient le festival et l’équipe de gestion, et l’identification

des parties prenantes, leur hiérarchisation, si possible, et leur influence sur la définition de la notion.

Dans un deuxième temps, il s’agissait d’étudier les procédures de suivi de l’activité et d’évaluation de

la performance en vigueur pour la gestion du festival, notamment les outils utilisés, l’appréhension de

l’information, et la place du contrôle. Enfin, nous souhaitions obtenir l’avis de ces professionnelles sur

les enjeux actuels et futurs qui se présentent aux organisateurs de festivals musicaux non lucratifs en

France, et leurs idées des pistes à suivre.

96

Environ 100 concerts/an.

72

La partie personnalisée du questionnaire visait à approfondir des points mis en lumière par nos

interlocutrices au cours d’échanges de mail préalables à l’entretien, ou que nous avions trouvés

pertinents à développer.

Concernant le Printemps de Bourges, il s’agissait d’une part de creuser la notion de société

commerciale SARL à but non lucratif et plus généralement d’étudier la problématique de la structure

organisationnelle pour la gestion de l’évènement. D’autre part, le festival ayant mis en place une

relation commerciale avec le Crédit Mutuel qui se traduit notamment par un financement par le groupe

bancaire coopératif, et s’exprime dans le nom même du festival97

, nous avons souhaité comprendre

les mécanismes d’un tel partenariat, et poser la question de possibles implications sur l’activité et

interférences avec la mission première du festival.

Dans le cas des Eurockéennes, Nilou Kaveh nous avait indiqué par téléphone être en pleine

construction de tableaux de bord pour piloter l’activité ; nous avons ainsi souhaité étudier les enjeux

d’un tel chantier, en termes stratégiques et notamment en regard de la structure associative portant le

festival, à travers la dualité entre gouvernance par le Conseil d’Administration et pilotage par l’équipe

de Direction ; mais aussi en termes très opérationnels relatifs aux outils appropriés ou construits par

l’administratrice.

Enfin, Béatrice Macé pour les Rencontres Trans Musicales de Rennes avait préalablement effectué un

rapprochement entre notre approche de la performance et la démarche Agenda 21 dans laquelle s’est

engagée l’Association Trans Musicales en 2005 sur la production du festival et aujourd’hui étendue à

la structure au travers de l’enclenchement du processus de norme ISO 20121. Face à ce fort

positionnement sur une approche personnelle de la performance, et à une initiative innovante pour la

recherche de nouveaux modèles dans le secteur, nous avons souhaité comprendre comment se

traduit cet engagement dans le pilotage plus global de l’activité, et comment se construit le système

d’évaluation indispensable à la mise en place de ce chantier.

Chapitre 2 : Présentation et analyse des résultats, discussion de l’étude

Section 1 : Présentation des résultats

Paragraphe 1 : Le Printemps de Bourges, « Avoir 36 ans, c’est déjà être performant »

A. Réussite, légitimité et pérennité

Pour Lily Fisher, directrice de la production du Printemps de Bourges, la performance se traduit de

manière très concrète en termes d’accomplissement sur les terrains du succès de la manifestation, en

termes de fréquentation, de la reconnaissance par les différents publics, et notamment les

professionnels, et de la pérennité de l’évènement et de la structure organisatrice.

97

« Le Printemps de Bourges Crédit Mutuel ».

73

Le succès de la manifestation répond à l’objectif de mobiliser le public, année après année, autour

d’une programmation artistique de qualité qui donne au Printemps de Bourges son identité forte dans

le secteur des festivals de musiques actuelles.

La reconnaissance par les différents publics et notamment les professionnels s’évalue à travers la

légitimité qu’a gagnée le festival en tant qu’acteur du développement et la structuration de la filière, et

grâce à la qualité du travail de son Directeur Daniel Colling et de son équipe. La reconnaissance par

les collectivités territoriales est également un enjeu important du point de vue de la performance du

festival, car la notoriété du festival a développé l’attractivité et le dynamisme de la région.

Enfin, l’objectif de pérennité va bien au-delà du renouvellement des éditions année après année, il

s’agit de garantir la raison d’être du festival au fil du temps, et d’en protéger la mission originelle de

présentation d’artistes de qualité à des publics variés. La mission du Printemps de Bourges a évolué

depuis premières éditions du festival, avec les modifications de l’environnement. Il s’agissait alors de

permettre à de jeunes artistes n’ayant pas de place dans les grands médias, comme Higelin ou

Renaud d’être accueillis sur une scène. Aujourd’hui, un grand nombre de festivals et de scènes de

musiques actuelles en France offre une place aux artistes pour rencontrer le public, mais le Printemps

de Bourges continue de défendre sa mission première, en assumant un positionnement fort sur des

programmes de découverte de groupes émergents, rejoignant ce qui a fait sa raison d’être il y 36 ans.

Nous pourrions ainsi synthétiser l’approche de la performance telle qu’elle semble appréhendée pour

le Printemps de Bourges comme la capacité à faire durer et évoluer le festival sans en aliéner la

mission originelle.

B. Rôles et influences des parties prenantes

Parmi l’une des premières questions qui se posent à l’organisation pour fonctionner, se trouve le

modèle économique à adopter. Le Printemps de Bourges a opéré au cours de ses premières éditions

sous la forme d’association, avant d’être transformé en société commerciale SARL, tout en gardant

une clause de non lucrativité, mais en se fermant de fait les portes du mécénat comme source de

financement98

.

Initialement construit selon la règle des « trois tiers »99

, le montage financier a du être récemment

reconçu face à la baisse des subventions publiques, et le Printemps de Bourges a notamment choisi

d’approfondir son partenariat commercial avec un acteur privé, le groupe bancaire coopératif Crédit

Mutuel pour combler le déficit de ressources généré.

Sur ce type de contrats, Lily Fisher fait preuve d’une grande vigilance quant aux concessions que des

partenaires privés pourraient demander à l’organisation de faire. Elle précise que la relation doit être

établie sans toucher à l’intégrité du festival et sans intrusion par le partenaire dans la ligne artistique

qui constitue l’identité du Printemps de Bourges, et sur laquelle il revendique une expertise. Lily Fisher

98

Loi n° 2003-709 du 1 août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations. 99

Un tiers issu des recettes de billetterie, un tiers issu des subventions publiques et un tiers issu de partenariats privés et recettes commerciales.

74

explique qu’il s’agit pour le partenaire de s’associer à l’image du festival et que les comptes que doit

rendre l’organisation s’expriment en termes de retombées médiatiques, et globalement auprès des

publics tout au plus. Elle indique cependant que de telles relations sont difficiles à établir car les

partenaires sont nombreux à vouloir interférer dans la programmation de la manifestation.

D’autre part, Lily Fisher identifie clairement la première et plus importante partie prenante du festival :

le public, dans son acceptation la plus globale, au sens des amateurs et professionnels qui assistent à

l’évènement, et indique que l’impact de toutes les autres parties prenantes sur l’organisation doit

converger à rendre des comptes à ce public, en assurant une manifestation de qualité.

C. Structure organisationnelle et pilotage

L’autre perspective intéressante à étudier pour le Printemps de Bourges concerne la structure de

société commerciale choisie par l’organisation dans un secteur où le modèle associatif prévaut.

A cette question, Lily Fisher répond que le mode associatif est trop contraignant du point de vue du

pilotage, notamment par la soumission des décisions au vote du Conseil d’Administration. Le statut de

SARL permet à l’organisation d’avoir une réelle équipe de direction, en l’occurrence un Directeur

Général, Daniel Colling, un Directeur artistique, un Directeur commercial, un Directeur de la

communication, et une Directrice de production, rattachée au Directeur général. Pour Lily Fisher, le

pilotage est rendu plus efficace dans cette configuration, qui permet de mettre en application avec

simplicité et opérationnalité les initiatives qui émergent des différentes directions. La clause de non

lucrativité est inscrite aux statuts de la SARL, elle interdit la redistribution des bénéfices le cas

échéant, et permet ainsi que ceux-ci ne soient jamais perdus.

Les outils du pilotage sont assez classiques dans leur conception, et semblent optimisés pour les

besoins de la coordination. Le suivi des budgets, mis en place selon un plan analytique depuis

longtemps et dont semble satisfaite Lily Fisher, consiste à mettre en regard une vision sectorielle –

production, communication, commercialisation, artistique, technique – et une vision transversale

adaptée du fonctionnement par salles, qui permet d’avoir une approche consolidée.

Enfin, les indicateurs suivis et produits dans le bilan d’activité concernent classiquement le taux de

remplissage, indicateur-clé du spectacle vivant ; le public, d’un point de vue socioculturel qui intéresse

les collectivités, davantage que de celui de la satisfaction – les questions portent sur l’âge, les

habitudes, le budget, les modalités de venue – ; enfin le respect et le suivi du budget, en s’appuyant

sur trois étapes du budget prévisionnel, dans une optique de pilotage par ajustements et arbitrages.

Paragraphe 2 : Les Eurockéennes de Belfort, « L’esprit associatif est important pour construire

la performance »

A. Apprentissage organisationnel

La notion de performance a interpellé Nilou Kaveh, administratrice de l’association Territoire de

Musiques - Les Eurockéennes, qui organise le festival des Eurockéennes de Belfort. La définition

75

qu’elle propose est claire : « Tout dépend de la façon dont on met en place les conditions pour que la

structure soit performante. Rendre une entreprise plus performante équivaut pour moi à mettre en

place une politique cohérente en matière de ressources humaines. Un projet d’amélioration des

compétences des salariés dans le respect de leur désir et les besoins de la structure. La notion de

pédagogie est fondamentale. »

On se trouve ici dans une approche différente de celle adoptée par l’organisation du Printemps de

Bourges, inspirée par une vision de la performance par les résultats. Pour l’administratrice des

Eurockéennes de Belfort, la performance se définit par l’action mise en place pour atteindre ses

objectifs, selon l’articulation présentée dans la définition d’Annick Bourguigon.

Le festival du Territoire de Belfort présente une mission originelle que l’ensemble des parties

prenantes défendent toujours, celle de dynamiser une région autour d’un projet artistique visant à offrir

ce qui existe de plus créatif sur la scène des musiques actuelles, à un public le plus large possible ;

mais dans le discours de l’administratrice du festival transparaît surtout une grande attention portée au

maintien de l’adéquation entre les valeurs au cœur de l’initiative d’intérêt général, et les dispositifs mis

en place pour remplir la mission.

Nilou Kaveh insiste par exemple sur l’existence d’un « esprit associatif » très important pour construire

la performance d’une organisation culturelle non lucrative, sur le partage de l’information et la

démarche de transparence sur l’activité. Le fonctionnement démocratique et la liberté qu’offre la

structure associative traduisent dans les paroles de l’administratrice une approche de la performance

liée à l’apprentissage organisationnel, à l’amélioration continue et à l’optimisation des pratiques pour

un enrichissement des modes de fonctionnement.

B. Rôles des outils d’évaluation

Lors de notre premier contact, Nilou Kaveh nous avait indiqué avoir entamé un chantier de conception

d’indicateurs de suivi de l’activité et de tableaux de bord. L’état des lieux avait été confié à un cabinet

d’expertise et le diagnostic présentait un existant fondé sur le suivi comptable.

Nilou Kaveh a entrepris de développer un outil de suivi, classique car conçu autour des budgets des

cinq secteurs de l’activité – artistique, communication, direction, commercial, technique – mais original

dans son utilisation par la consolidation, et surtout stratégique dans sa manière de répondre aux

enjeux posés par la définition de la performance présentée précédemment.

Nilou Kaveh rassemble les budgets de chaque secteur, en lien avec le budget prévisionnel ; une

consolidation qui donne lieu à la construction d’un budget plus synthétique, constitué des postes jugés

les plus représentatifs de l’activité de chaque secteur (les postes-clés), qui permet ensuite de créer un

tableau de bord lisible avec des indicateurs de suivi exprimés en pourcentage, actualisables au jour le

jour grâce au système d’information de l’organisation, adressé mensuellement au directeur et au

président de l’association. Enfin, une dernière étape de synthétisation permet de suivre le poids de

chaque secteur dans le budget global du festival.

76

Cette capacité à synthétiser à l’extrême l’information pour répondre à un objectif de lisibilité et de

clarté permet de faire de la démarche d’évaluation et de ses outils le lieu de rencontre et de

communication entre les différentes entités de l’organisation et les forces motrices de l’activité.

Au même titre que les réunions hebdomadaires organisées par l’équipe, la mise en place de cet outil

traduit de manière très opérationnelle l’objectif d’amélioration des pratiques et des processus qui est

une composante de la performance telle que définie par Nilou Kaveh.

Cette démarche de mettre en place un langage commun entre les différents acteurs de l’organisation

se développe actuellement pour impliquer les parties prenantes plus larges du festival, avec

notamment à la demande du Président de l’association, un chantier de création d’indicateurs explicites

pour remonter l’information auprès des tutelles de l’association. Il s’agit ici non seulement d’asseoir

une politique de transparence et de partage de l’information, en lien avec l’esprit associatif, mais

également de transmettre des messages forts aux parties prenantes externes et mettre en avant les

arbitrages effectués – tel que le recours à l’emploi salarié plutôt qu’au bénévolat avec des indicateurs

sociaux.

Pour Nilou Kaveh, les indicateurs ont essentiellement un rôle de communication avec les parties

prenantes, car les dispositifs mis en place en interne permettent à l’information de circuler

efficacement, et l’enjeu est notamment de trouver un langage simplifié à partager avec les organes de

gouvernance pour faciliter le pilotage de l’activité.

Il semble ici que c’est sur l’utilisation des outils et leur efficacité à simplifier les interactions la prise de

décision que la performance de l’organisation est évaluée, bien plus que sur les chiffres produits.

C. Réseau et pilotage

Dans sa vision de la performance, Nilou Kaveh insiste sur l’esprit et le fonctionnement associatifs,

d’une part pour les valeurs véhiculées, l’appartenance à un tissu dense – sur la dernière édition du

festival, 32 associations et 120 partenaires ont travaillé au fonctionnement de la manifestation –, et

d’autre part pour le soutien d’un solide réseau sur lequel s’appuie le festival, mais dont il est aussi un

moteur. La force de ce réseau réside dans la diversité de ses partenaires et dans sa constitution à

diverses échelles. Nous pourrions en effet parler de plusieurs réseaux pour désigner le réseau

commercial des partenaires, sponsors et mécènes, le réseau des professionnels de la culture, et les

réseaux locaux – « Eurocks Solidaire » – régionaux – « GénériQ » – nationaux et internationaux –

« De Concert ! ». D’un point de vue du pilotage des Eurockéennes de Belfort, l’intérêt est dans

l’interconnexion entre ces différents écosystèmes avec celui constitué autour du Festival.

La rencontre de ces acteurs dans la sphère d’activité et d’influence de l’association Territoire de

Musiques en fait des parties prenantes nouvelles à prendre en compte pour le festival et son

positionnement politique d’« entreprise culturelle au cœur de la cité »100

. Cette interconnexion se

traduit également par la recherche de méthodes concrètes de collaboration – et notamment de

mutualisation, dont la culture se propage dans l’industrie culturelle. Des questions émergent sur le

100

Formule de Nilou Kaveh.

77

périmètre du rôle que peut jouer l’Association par le biais du Festival au sein de ces réseaux, et

réciproquement, sur l’impact de ces prises de position sur la mission de l’organisation. Pour Nilou

Kaveh, ces initiatives constituent la manière pour l’Association d’anticiper un besoin en matière de

recherche et développement de nouveaux modes de production pour les festivals musicaux non

lucratifs français, à travers la rencontre et le mélange avec d’autres acteurs de la sphère culturelle,

élargie à la sphère sociale. L’administratrice des Eurockéennes de Belfort formalise cette position en

disant qu’il s’agit de « rendre plus performantes sa vision et sa mission », et que la démarche ne doit

pas s’appuyer sur les acquis.

Paragraphe 3 : Rencontres Trans Musicales de Rennes, « Il s’agit de paramétrer les outils pour

atteindre une efficacité optimale »

A. Pilotage d’un « écosystème humain paramétré artistiquement »

Béatrice Macé nous a présenté son approche originale et très personnelle des Rencontres

TransMusciales de Rennes : pour les collaborateurs de l’association, le festival est en fait l’outil

permettant de traduire le projet qui la fait vivre. Celui-ci s’articule autour des valeurs de Découverte,

Rencontre et Curiosité, et le festival des Rencontres TransMusciales de Rennes correspond à la

forme retenue la plus intense et complète pour le servir.

Au cœur du travail mis en œuvre pour ce projet, Béatrice Macé place la dimension humaine. C’est

pourquoi la co-directrice de l’Association Trans Musicales se dit gênée par le concept de

« performance », dont l’aspect mécanique, par analogie avec le chronomètre qui mesure les temps

des sportifs, lui semble réducteur par rapport au domaine culturel et à l’intelligence collective

déployée.

Notamment, le projet et sa mise en œuvre ne peuvent pas être considérés en termes de

« performance » car la quantification présente des limites et tout n’est pas lisible ni apparent dans les

actions humaines. Si Béatrice Macé pose la question des indicateurs à utiliser pour évaluer ces

actions non chiffrables, elle défend une position solidement opposée à la tendance au « tout

quantifiable ». Cette posture est liée à l’évolution de la fonction d’organisateur de concerts de

l’Assocaition à celle d’acteur culturel proposant un projet artistique et culturel pour lequel certaines

actions sont très peu immédiates dans leur effet et peu quantifiables, par exemple l’éducation

artistique.

C’est en ce sens qu’elle qualifiera l’écosystème dans lequel évolue l’Association Trans Musicales

d’« humain » avant toute chose, « paramétré artistiquement » par la mise en place de l’outil que

représente le festival des Rencontres TransMusciales de Rennes, un espace-temps dans lequel tout

est connecté.

B. Définition des outils et paramétrage

Dans l’approche de Béatrice Macé, l’outil au service du projet est donc le Festival lui-même. En effet

un festival est l’une des nombreuses configurations de la rencontre entre art et public. L’analyse du

78

rapport entre le fond et la forme a notamment émergé de la gestion par l’Association Trans Musicales

de la salle Ubu depuis 1990, qui constitue un autre outil101

. L’enjeu pour l’équipe de l’association est

ainsi de créer un lien de cohérence entre les outils et le projet, tel que les actions déployées aient une

incidence d’une efficacité maximale sur la mission qu’elle s’est fixée.

En 2004, l’organisation s’est engagée dans une réflexion autour de la redéfinition de son outil et de

son paramétrage. Le Festival a en effet dû déménager des sites de centre-ville pour s’installer au Parc

Expositions Rennes Aéroport, en périphérie de la ville et cette implantation nouvelle a eu un impact

considérable sur le mode de production à adopter pour réaliser la manifestation102

. Le mode de

production constitue pour Béatrice Macé le paramétrage de l’outil-festival, et elle s’est alors mise au

défi, avec son équipe, de trouver les nouvelles modalités qui permettraient de rétablir la cohérence

entre la forme et le fond. En d’autres termes, il s’agissait de trouver les paramètres du lien de cause à

effet tels que la première ait une incidence optimale sur le second.

Pour Les Rencontres Trans Musicales de Rennes, nous ne parlerons donc pas de « performance »

mais de l’efficacité de cette incidence.

Pour le paramétrage, Béatrice Macé s’est tournée vers une pensée (écologique, celle du

développement durable) qui permettait de créer ses propres « outils méthodologiques », et donc de

travailler des propositions totalement adaptées aux particularités de projet. Le choix a été un Agenda

21, programme d’actions qui doivent être cohérentes et reliées entre elles ; le caractère

programmatique répondant bien à la vision en écosystème. Une démarche politique donc, mais qui

s’ancre dans de réels enjeux organisationnels, car il s’agit avant tout « comme un artisan, de bien

travailler chaque jour »103

, et de développer des méthodes et une maîtrise qui permettent de mieux

piloter le projet.

C. Apport méthodologique de la démarche

Pour Béatrice Macé, l’intérêt d’avoir eu recours à l’Agenda 21 en tant que « guide de paramétrage »

de l’outil-festival réside dans le travail de dissociation qu’il a permis de réaliser pour distinguer les

différents composants du projet qui s’étaient progressivement mêlé jusqu’à ce que le projet se

confonde avec l’outil. La démarche recouvre en effet une initiative d’interrogation et de remise en

question des acquis et des évidences, « c’était l’opportunité au bout de 25 ans de se reposer des

questions sur une nouvelle naissance » précise la co-directrice de l’Association Trans Musicales, ou

encore pour l’organisation de faire un retour sur soi, sur le Festival et sur le respect de la logique du

projet.

Après un premier cycle de remise en cause des schémas habituels, qui a replacé l’équipe dans des

conditions de questionnement, en rupture avec les expériences solides liées à une existence de 25

ans (2005-2010), le deuxième cycle de l’Agenda 21 prête maintenant une attention toute particulière à

101

Des outils auxquels s’en sont ajoutés deux supplémentaires : le Jeu de l’ouïe et Mémoires de Trans. 102

Augmentation de toutes les échelles de grandeur, associée à une hausse des coûts, un isolement des infrastructures classiques de centre-ville (bars, restaurants, hôtels) et une mauvaise adaptation du site à l’activité de spectacle vivant musical. 103

Formule de Béatrice Macé.

79

la méthodologie associée à la démarche. Cela passe par le renforcement du volet social en tant

qu’enjeu de déterminisme prioritaire pour l’acteur culturel, dans le croisement des trois piliers

développement durable (environnement, économie et social), et l’objectif est de différencier dans le

pilier social les dynamiques sociales et sociétales pour impliquer de manière plus présente et plus

adaptée à leurs spécificités l’ensemble des parties prenantes dans la mise en place et la conduite du

projet.

Cette configuration s’inscrit dans un processus managérial et non pas seulement politique, car elle

ancre une philosophie et une pratique de l’apprentissage organisationnel au sein de la structure.

Section 2 : Analyse des résultats en regard des hypothèses

Paragraphe 1 : Notion de performance en organisation culturelle non lucrative

Nous nous interrogions sur la pertinence de parler de « performance » pour une organisation

culturelle non lucrative, et nous nous attendions à observer une forme de répulsion des gestionnaires

de ce type d’organisations à l’égard d’une notion communément associée à celles de profit et de

rentabilité économique.

Les témoignages recueillis auprès de nos interlocutrices des festivals étudiés montrent une réception

différente face à la notion : si elle trouve une résonnance au sein du Printemps de Bourges et des

Eurockéennes de Belfort et traduit par ailleurs une appréhension intériorisée et conceptualisée pour

les besoins et spécificités de l’activité, elle semble au contraire vide de sens pour aborder les

Rencontres Trans Musicales de Rennes, du vocabulaire desquelles elle serait même absente.

Dans les deux premiers cas, quant à la définition et l’approche adoptées, on peut observer deux

positions distinctes au sein des témoignages recueillis. L’approche en vigueur pour caractériser le

Printemps de Bourges développe une vision de la performance par les résultats, en termes

d’accomplissements, d’atteinte des objectifs fixés et de réalisation de la mission. Cette approche

défend une conception de la performance en tant que fin, dont la définition commercerait par « réussir

à… ». Garante de la légitimité de l’acteur, la performance se situe moins au niveau opérationnel de la

conception et de l’utilisation des outils, mais davantage à un niveau stratégique de prise de décision.

Dans le cas des Eurockéennes de Belfort, nous nous trouvons dans une configuration de la

performance par les actions, dont la définition refléterait l’idée de construction, d’expérimentation. La

performance est ici un moyen, ou plutôt un ensemble de moyens, un processus pour atteindre un état

dans lequel la réalisation des objectifs sera optimale, c’est pourquoi sa définition est très liée au type

d’outils utilisés.

Pour les Rencontres Trans Musicales de Rennes, nous avons préféré, avec, Béatrice Macé, parler

d’« incidence positive » et d’optimisation de l’efficacité des outils, la notion de « performance »

recouvrant un caractère trop mécanique et une absence de prise en compte du facteur humain,

critique pour le secteur dans lequel nous nous trouvons.

80

Paragraphe 2 : Dispositifs d’évaluation de la performance en organisation culturelle non

lucrative

Concernant notre deuxième hypothèse, celle-ci postulait une résistance des organisations culturelles

non lucratives à la mise en place de systèmes d’évaluation de la performance pour des raisons de

difficultés à quantifier leurs objectifs en matière de portées artistique, ou sociale, notamment ; et du

fait que les outils et modèles traditionnels, conçus pour des entreprises industrielles marchandes ne

nous semblent pas permettre d’envisager toutes les dimensions de la performance en organisation

culturelle non lucrative.

Nous avons vu précédemment que pour les trois organisations étudiées, la performance suscitait un

positionnement différent, répondait à une approche et une définition spécifique le cas échéant, ou

ouvrait la voie à une autre terminologie, toujours en lien avec la mission du festival et les enjeux qui se

posent à la structure en termes de pilotage.

Dans les témoignages recueillis auprès des représentantes des festivals étudiés, l’approche par les

outils présente à un degré élevé d’appropriation et d’intériorisation des méthodes, techniques et outils

utilisés.

Concernant le Printemps de Bourges et les Eurockéennes de Belfort, le recours des outils classiques

de l’évaluation – la comptabilité analytique, la budgétisation – répond à une attention particulière

portée sur la recherche de modèles plus créatifs permettant d’atteindre les objectifs fixés –en termes

de performance donc.

Dans le cas du Printemps de Bourges, l’évaluation de la performance se fait à un niveau politique et

stratégique, à partir d’outils classiques mais optimisés selon les besoins de la Directrice de la

production, qui s’appuient sur une infrastructure solide en matière de système d’information

notamment –serveurs dédiés à chaque secteur d’activité, bases de données développées pour suivre

la gestion des achats et du personnel. Pour le Printemps de Bourges, le référentiel choisi pour évaluer

la performance est construit en aval de la prise décision, reflète les enjeux propres au festival –action

pour la promotion des scènes de découverte, structuration professionnelle de la filière– mais se

projette également sur l’ensemble des acteurs du secteur, à travers les objectifs de mobilisation des

publics, maintien des finances, et implication responsable des parties prenantes. L’apparente absence

de traduction opérationnelle dans les processus du système d’évaluation de la performance couvre en

fait un fonctionnement basé sur les bonnes pratiques de gestion et l’expérience d’une organisation qui

a fait ses preuves année après année.

Comme étudié précédemment, les Eurockéennes de Belfort s’inscrivent dans une approche de la

performance par les actions et les processus plutôt que par les résultats, mise en avant par

l’importance des outils utilisés. L’utilisation des outils et le rôle que joue l’évaluation de la performance

varie cependant selon le festival étudié. La définition de la performance est fortement orientée vers les

ressources humaines et l’apprentissage organisationnel, en tant que forces motrices pour l’atteinte

des objectifs. Dans cette optique, Nilou Kaveh part de techniques classiques de suivi de l’activité pour

81

construire un outil d’évaluation de l’atteinte de ces objectifs, mais la réelle valeur ajoutée vient de

l’utilisation que l’administratrice entend faire de cet outil. Il s’agit en effet du moyen par lequel, grâce à

un langage commun, les parties prenantes du festival sont en mesure d’appréhender les enjeux,

objectifs et réalisations de l’organisation, et d’orienter le pilotage en conséquence. Ici l’évaluation de la

performance est très opérationnelle, et peut même se confondre avec une évaluation des outils et des

processus.

L’approche des Rencontres Trans Musicales de Rennes est toute particulière à l’Association Trans

Musicales qui considère le festival lui-même comme un outil au service d’un projet plus général. La

problématique de redéfinition de l’outil et de son paramétrage a également mis au cœur du

questionnement le dispositif d’évaluation. La position de Béatrice Macé est intéressante d’un point de

vue conceptuel, et par sa traduction opérationnelle : considérant l’évaluation comme un « croisement

des regards » qui permet de dépasser l’approche par la mesure exclusive de la performance, elle

parvient à en faire une composante intégrante du processus de paramétrage. Ceci se traduit par

l’engagement de l’organisation dans le processus de certification ISO 20121104

, dont le référentiel

impose un cadre très pratique en matière d’évaluation par la formalisation des actions en tableaux de

bord, relevés de décisions, plans d’actions, échéanciers. Béatrice Macé inscrit cette initiative dans une

démarche de redevabilité à l’égard des parties prenantes, notamment du point de vue l’utilisation faite

de l’argent public reçu sous formes de subventions, « une manière de se mettre en gage » dans un

secteur qui n’y est pas habitué. L’évaluation correspond donc ici un regard politique, posture qui a été

retenue dans le cadre de l’évaluation 2009-2011, conduite au terme de la dernière convention

d’objectifs en préalable à la poursuite du conventionnement. Plus concrètement, aux côtés des

tableaux d’évaluation, proposés par la Ville de Rennes et acceptés par les autres Collectivités,

l’Association Trans Musicales a produit un texte d’auto-évaluation et présenté en conclusion ses

propres indicateurs définis en regard des finalités de son projet.

Paragraphe 3 : Contrôle et pilotage en organisation culturelle non lucrative

Dans un contexte organisationnel, l’évaluation de la performance ne doit cependant pas retenir toute

l’attention des gestionnaires, et comme nous l’avons expliqué à de nombreuses reprises dans la partie

théorique de ce travail, il s’agit avant tout de mettre en place un outil d’aide à la prise de décision, ou

de pilotage.

Notre troisième hypothèse met en cause la possibilité de recourir aux systèmes d’évaluation de la

performance pour piloter l’activité d’une organisation culturelle non lucrative, notamment pour la raison

que ces systèmes font de fait émerger des modes de contrôle, en apparence contradictoires avec le

type de structures étudié.

A travers les témoignages présentés jusqu’à présent, nous pouvons voir émerger des différents

modes d’évaluation de la performance de chaque festival, une forme de contrôle. Dès lors la question

se pose d’étudier si ce contrôle sert le pilotage de l’activité, ou s’il est effectivement contre-productif.

104

Norme internationale visant à promouvoir le développement durable dans les critères de l’organisation d’évènements.

82

Assez logiquement en regard de l’analyse qui a été faite de l’approche de la performance du

Printemps de Bourges, le mode de contrôle qui se dessine dans cette organisation est un contrôle par

les résultats. L’« influence génératrice d’ordre » est liée à l’existence d’un Directeur et d’une équipe

ayant une vision très précise de la mission que doit remplir le festival et d’où vient la prise de décision,

et donc le pilotage de l’activité.

Aux Eurockéennes de Belfort, Nilou Kaveh insiste sur le « fonctionnement démocratique » et la liberté

qu’offre la structure associative, deux dimensions qui nous semblent traduire l’existence d’un mode de

contrôle basé sur les individus et les interactions entre ceux-ci, sur le modèle du contrôle par le don

dont la conceptualisation par Eve Chiapello a été présentée précédemment. Le pilotage par les entités

de direction et de gouvernance est ici facilité par un mode de contrôle facilitant les interactions.

Le contrôle qui émerge du fonctionnement de l’Association Trans Musicales dans son approche de

l’efficacité du couple outil-projet, s’apparente à la forme qui s’opère par les valeurs ou la culture

professionnelle. Nous nous trouvons en effet dans une configuration où une équipe cherche la

conformité entre ses méthodes de travail et la mission et les valeurs de l’organisation.

Dans les trois cas étudiés, le contrôle de fait qui s’opère dans le respect de l’activité artistique et

culturelle des organisations et surtout de leur mission première reflète une implication managériale

forte relative aux objectifs fixés, mais aussi à la philosophie de la performance développée, qui se

traduit par la volonté affirmée et opérationnalisée des dirigeants de prendre les rênes de la recherche

en matière de nouvelles pratiques et nouveaux modes de production.

Section 3 : Discussion et l’étude

L’étude empirique que nous avons menée se caractérise par une approche qualitative. La richesse

des témoignages apportés par les représentantes des trois festivals étudiés a permis de poser la

question de la performance dans les organisations culturelles non lucratives selon des angles

d’approches divers, et nous a amenés à infirmer les trois hypothèses établies, dans la lignée des

observations issues de la littérature.

Il nous faut cependant poser quelques limites à cette étude, qui nous empêchent de généraliser le

propos à l’ensemble des organisations culturelles non lucratives contemporaines françaises.

Le point majeur à aborder concerne la représentativité de l’échantillon, qui se limite à un type très

spécifique de structures.

En effet, le Printemps de Bourges, les Eurockéennes de Belfort et les Rencontres Trans Musicales de

Rennes possèdent une identité qui leur est propre mais les enjeux qui se posent à eux concernent

essentiellement les festivals d’ampleur importante, en termes de budget (de plusieurs millions pour

chacun des festivals), de rayonnement (portée nationale), de fréquentation (entre 50 000 et plus de

200 000 festivaliers). Par ailleurs, le modèle économique en vigueur est celui de la manifestation avec

83

billetterie avec une grille tarifaire unique pour tous les publics105

, tandis que la diversité des

organisations culturelles non lucratives françaises fait fréquemment intervenir la gratuité pour certains

publics et le facteur de réduction selon des catégories d’âge notamment106

.

Par ailleurs , le spectacle vivant est un secteur tout à fait particulier, qui n’est aujourd’hui pas structuré

selon la même rigueur que ceux du cinéma ou du livre, notamment du point de vue des mesures

visant à en préserver la diversité – le spectacle vivant musical est régi par le droit commun de la

concurrence, et il n’existe aujourd’hui pas encore de dispositif de régulation à l’image des Centres

Nationaux du Livre et de la Cinématographie, capable de produire l’équivalent d’une loi sur le prix du

livre par exemple. En tant qu’industries, le cinéma et le livre sont des secteurs progressifs au sens de

la Loi de Baumol, tandis que le spectacle vivant en tant qu’artisanat est du côté de l’archaïsme107

.

L’intensité concurrentielle que révèle ce secteur ne représente ainsi pas une réalité pour l’ensemble

des organisations culturelles non lucratives que notre étude vise.

Enfin, si l’ensemble de l’industrie culturelle française rencontre les mêmes problématiques en termes

de réduction des sources de financement – les subventions –, la structure de l’organisation est une

donnée capitale à prendre en compte dans l’évaluation de la performance en regard avec la prise de

risque effectuée. L’échantillon considéré regroupe trois organisations privées pour lesquelles se pose

la question du montage financier et du choix des parties prenantes à impliquer, ce qui n’est par

exemple pas le cas d’un établissement complètement public dont le fonctionnement est assuré par

l’Etat.

Conclusion de la troisième partie

L’application pratique de nos hypothèses au secteur des festivals musicaux non lucratifs français a

révélé une diversité de positions et d’approches qui témoignent d’une sensibilité certaine des

gestionnaires aux notions de performance, d’évaluation et de pilotage.

Si les approches sont diverses, nous retiendrons cependant une dimension commune aux trois

organisations : la place attribuée au rôle joué par l’apprentissage organisationnel dans les

problématiques d’évaluation de la performance et de pilotage. Il s’agit en effet pour les trois festivals

d’optimiser les processus et manières de travailler, en s’appuyant profondément sur la composante

humaine des équipes de gestion.

La prise en compte de leur écosystème est une autre caractéristique que partagent les trois structures

étudiées, et notamment la prise de position et la responsabilisation en tant qu’acteur au cœur d’un

réseau de parties prenantes. Cette approche du travail en réseau semble par ailleurs l’approche

privilégiée lorsqu’il s’agit de réfléchir à la mise en place de nouveaux modèles durables de production.

105

Le prix du billet varie selon les manifestations auxquelles le public souhaite assister au sein de l’évènement global : le Printemps de Bourges vend ses billets par salle, les Eurockéennes de Belfort proposent des forfaits journaliers et pluri-journaliers, les Rencontres Trans Musicales de Rennes proposent une grille tarifaire échelonnée différente par jour. 106

Notons cependant que le Printemps de Bourges et les Rencontres Trans Musicales de Rennes proposent des concerts gratuits ; les Rencontres Trans Musicales de Rennes appliquent de plus la carte « sortir » (attribuée sur critères sociaux) mise en place par la Ville de Rennes avec définition d’un prix d’entrée très peu cher, et ont mis en place des accessions gratuites pour les jeunes qui font un projet culturel sur les musiques actuelles. 107

F. Benhamou, L’Economie de la culture, éd. La Découverte, col. Repères, 4ème

éd., Paris, 2003, pp.3-6 et 91-96,

84

CONCLUSION

Retrouvons pour finir nos premières préoccupations. Nous commencions ce travail en présentant le

processus d’évaluation de la performance comme répondant à lune menace extérieure qui pèserait

sur l’organisation culturelle non lucrative. De ce qui était donc perçu comme une contrainte, qu’il

s’agisse du contrat de performance de la L.O.L.F. ou de la nécessaire rationalisation budgétaire des

structures victimes des restrictions de subventions, la recherche a prouvé que l’on pouvait faire une

opportunité.

Cette perspective nouvelle, qui constitue une réelle philosophie de la performance, s’appuie sur les

gains qu’elle assure en matière d’apprentissage organisationnel, d’optimisation des processus et

d’implication et responsabilisation des acteurs.

Partant d’une définition de la performance au plus près des enjeux et spécificités de l’organisation

culturelle non lucrative, notamment liés à sa mission qualitative et sinon utopique, du moins

difficilement traductible en objectifs précis, l’enrichissement culturel ayant vocation a toujours se

développer davantage, nous avons éprouvé les possibilités que permettent les dispositifs d’évaluation

pour mettre en place une approche intégrée de la performance.

Nous avons ainsi été dans la mesure de nourrir une réflexion sur le pilotage de l’activité autour de la

notion de performance, dont l’impact stratégique se traduit à travers le mode de contrôle qu’elle

suscite de fait et par lequel les gestionnaires sont amenés à la gérer. C’est l’idée que recouvre la

notion de « management de la performance », qui pourrait donner lieu à un nouveau sujet d’étude,

dans la ligne direct de ce travail.

85

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