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LES DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES EN REPUBLIQUE DU CONGO : Analyse du contexte national et recommandations Rapport élaboré comme contribution de la société civile à l’élaboration de la « Loi portant promotion et protection des Pygmées au Congo » June 2006 Avec l’appui de OBSERVATOIRE CONGOLAIS DES DROITS DE L’HOMME

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LES DROITS DES PEUPLES

AUTOCHTONES

EN REPUBLIQUE DU CONGO :

Analyse du contexte nationalet recommandations

Rapport élaboré comme contribution de la société civile à l’élaboration de la« Loi portant promotion et protection des Pygmées au Congo »

June 2006

Avec l’appui de

OBSERVATOIRE CONGOLAISDES DROITS DE L’HOMME

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REMERCIEMENTS

Le présent rapport est le fruit d’un processusqui a entraîné dans son engrenage plusieursexpertises. Des universités aux associations etorganisations non gouvernementalescongolaises et sous-régionales, en passant pardes apports individuels, l’OCDH a organisé unvéritable processus participatif en impliquantdirectement les communautés concernées parla future loi.

Ainsi, l’OCDH présente ses sincèresremerciements à toutes les institutions etpersonnes qui se sont impliquées dans ceprocessus, à titre collectif ou individuel :

Tout d’abord, les points focaux, ces personnesressources membres des communautésautochtones, sans lesquelles les visites sur leterrain auraient été difficiles et l’analysebeaucoup plus faible. Il s’agit de : RichardBokodi, Ghislain Enianga, Noël Bayi, PaulAssane, Fidèle Bemassa Mozocko, JoëlSimanda, Ange Leyeba, Charles ErnestMoundiongui « Flic », Prosper Bipoumba,Nazaire Ibouili, Bienvenu Balouta, GabrielNgadonko et Jean Claude Kimbatsa.

Mais aussi, les membres de l’Association desPeuples Autochtones du Congo (APAC) qui ontjoué un rôle clé dans le développement de cetravail, notamment dans la planification etl’identification des points focaux, en ajoutanttoujours des perspectives pertinentes dans lesdiscussions et les analyses. Ces membres sont: Louis Ngouele Ibara, Jean Nganga, EdmondEkoume, Alfred Ngampio et Paul Ombi.

On ne saurait omettre la dynamique équipe dechercheurs dont les efforts ont dépassé toutesles attentes. Ces chercheurs ont, avecbeaucoup d’abnégation, relevé des défislogistiques, bravé des difficultés et encouru des

risques énormes. Ils étaient toujours prêts à selancer dans une nouvelle aventure et àaffronter de nouvelles situations difficiles. Noussommes conscients qu’ils ont livré le meilleurd’eux-mêmes et la bonne humeur a régné entoutes circonstances. Merci à : André Itoua,Arsène Séverin, Chanel Loubaky Moundele,Firmine Bouity, Manassé Kanquaye, OlgaBlanche Zissi Bintebe, Rodolphe Ordioni MayimaGoma, Stéphanie Jeanne Mayinguidi, StaniMuche Pemba, Suzanne Somboko et StelMbemba.

Bien entendu, tous les amis du Programme surle Droit et les Politiques des PeuplesAutochtones (IPLP) de l’Université d’Arizona auxEtats-Unis d’Amérique, le Professeur S. JanesAnaya et Luis Rodriguez-Piñero en particulier,ont beaucoup appuyé le processus. Tous lesparticipants à la réunion de concertation de lasociété civile de mai ont apprécié lesinformations et la disponibilité de LuisRodriguez-Piñero, toujours prêt à travailler sansrelâche pour assurer le succès du projet.Egalement, Jerôme Lewis du départementd’anthropologie de la London School ofEconomic and Political Science en Angleterre,qui a accompagné le processus par sesanalyses et son appui sur le terrain lors desvisites de consultation.

Nos amis des ONG de la sous-région,particulièrement le Centre pour l’environnementet le développement (CED) du Cameroun ;Africapacity, Héritiers de la justice de Bukavu,le Réseau des Autochtones Pygmées(RAPY)/Centre international de défense desdroits des Batwas et le RAPY/Union pourl´Emancipation des Femmes Autochtones de laRépublique Démocratique du Congo.

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Sans oublier les ONG congolaises ayantparticipé à la réunion de concertation de lasociété civile de mai 2006 : Association desfemmes juristes du Congo (AFJC), Centre desdroits de l´Homme et de développement(CDHD), Conservation de la faune congolaise(CFC), Association pour la promotionsocioculturelle des Pygmées du Congo(APSCP), Association pour les droits del´Homme et l’univers carcéral (ADHUC),Clinique juridique de Pointe Noire, AssociationCongo action environnement / Comité deliaison des ONG (ACAE/CLONG), Congrégationdes sœurs de la charité, Forum pour lagouvernance et les droits de l´Homme(FGDH), Association congolaise pour ladéfense et l’intégration des Pygmées (ACDIP).

Nous remercions également la RainforestFoundation du Royaume-Uni, sans laquelle ceprocessus n’aurait pu être concrétisé, etparticulièrement Cath Long et Kath Cochrane.La Rainforest Foundation a été clé dès le débutdu processus. Elle a participé à l’analyse ducontexte, au développement et à la mise enœuvre du projet et son encouragement nous abeaucoup aidés. La formation,l’accompagnement et l’appui technique deKath et Cath durant tout le processus ont étéessentiels.

Des remerciements au Ministère de la Justiceet des Droits Humains de la République duCongo, plus spécialement au Directeur Généraldes Droits Humains et des LibertésFondamentales ainsi qu’à son staff, nonseulement pour avoir initié l’avant-projet de loisur les peuples autochtones, mais aussi pouravoir permis à la société civile de contribuer àl’élaboration de la future loi.

Enfin, un immense merci au staff de l’OCDHqui a organisé et accompagné le processustout en garantissant et en s’assurant de laparticipation des communautés autochtones.Nous rendons un hommage particulier auxresponsables des Antennes OCDH du Kouilouet du Niari qui ne sont plus de ce monde : Ils’agit de Jean Jules Koukou et Samson Lenga,membres actifs de notre organisation ayantparticipé à ce processus.

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TABLE DE MATIERES

I. RÉSUME EXECUTIF 5

II. HISTORIQUE DU PROCESSUS 8

III. CLARIFICATION DES TERMES 11

IV. LA QUESTION DE LA DÉFINITION 11

V. APERÇU GÉNÉRAL SUR LES PEUPLES AUTOCHTONES DE LA RÉPUBLIQUE DU CONGO 14

CONTEXTE HISTORIQUE 14GROUPES DE PEUPLES AUTOCHTONES AU CONGO 16LES ORGANISATIONS AUTOCHTONES ET ORGANISATIONS OEUVRANT POUR LES DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES 17

VI. CONTEXTE JURIDIQUE INTERNATIONAL SUR LES DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES 18

VII. LE DROIT DES PEUPLES AUTOCHTONES DANS LE CONTEXTE AFRICAIN 20

VIII. CADRE JURIDIQUE NATIONAL 22

IX. ANALYSE DES DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES EN RÉPUBLIQUE DU CONGO 25

1. DROIT A L’EGALITE ET A LA NON-DISCRIMINATION 25LES STANDARDS INTERNATIONAUX 25LE CADRE JURIDIQUE NATIONAL 25LA DISCRIMINATION DANS LA PRATIQUE 26CONCLUSIONS 32RECOMMANDATIONS 32

2. DROITS DE CITOYENNETÉ ET ACCÉS A LA JUSTICE 33LES STANDARDS INTERNATIONAUX 33LE CADRE JURIDIQUE NATIONAL 33L’EXERCICE DES DROITS DE CITOYENNETÉ ET ACCÈS À LA JUSTICE DANS LA PRATIQUE 34CONCLUSIONS 41RECOMMANDATIONS 42

3. DROITS À L’AUTO-GOUVERNANCE ET À LA PARTICIPATION 42LES STANDARDS INTERNATIONAUX 42LE CADRE JURIDIQUE NATIONAL 43AUTO-GOUVERNANCE ET PARTICIPATION DANS LA PRATIQUE 44CONCLUSIONS 47RECOMMANDATIONS 47

4. DROIT A L’INTEGRITÉ CULTURELLE 48LES STANDARDS INTERNATIONAUX 48LE CADRE JURIDIQUE NATIONAL 48LA SITUATION DES CULTURES AUTOCHTONES DANS LA PRATIQUE 49CONCLUSIONS 51RECOMMANDATIONS 51

5. DROIT À LA TERRE ET AUX RESSOURCES NATURELLES 52LES STANDARDS INTERNATIONAUX 52LE CADRE JURIDIQUE NATIONAL 53LE DROIT À LA TERRE ET AUX RESSOURCES NATURELLES DANS LA PRATIQUE 57CONCLUSIONS 62RECOMMANDATIONS 63

6. DROITS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX 65LES STANDARDS INTERNATIONAUX 65CADRE JURIDIQUE NATIONAL 66LES DROITS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DANS LA PRATIQUE 68CONCLUSIONS 73RECOMMANDATIONS 74

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I. RESUME EXECUTIF

Ce rapport, élaboré par l’Observatoirecongolais des droits de l’Homme (OCDH), enpartenariat avec la Rainforest Foundation duRoyaume-Uni, a été préparé commecontribution de la société civile au processusde consultation sur l’avant-projet de « Loiportant protection et promotion des Pygméesau Congo ».

Il présente une analyse de la situation despeuples autochtones au Congo, basée sur lesdonnées d’une recherche participative deterrain et d’une étude sur les normesinternationales concernant les peuplesautochtones ; il est accompagné du contextede la législation nationale au Congo. Ainsi, ilprésente une série de recommandations pourle contenu de la loi.

Le processus, qui a été développé pendant unan, comprenait une analyse du contexte de lalégislation nationale congolaise (juin 2005) ;une analyse des droits autochtones à lalumière des normes internationales (mai 2005); et des réunions d’analyse avec lescommunautés autochtones sur le terrain, danssix départements du pays (octobre 2005 –février 2006). Les données de terrain et lesanalyses nationales et internationales ont étéexaminées conjointement au cours d’uneréunion de concertation de la société civile(mai 2006), qui a formulé lesrecommandations finales du documentd’analyse du contexte national et de l’avant-projet préparé par le Gouvernement (Ministèrede la Justice et des Droits Humains).

Les peuples autochtones du Congo, quiincluent, entre autres les Batswa, Mbendjele,Baaka, Mikaya, Nguelé, Balouma, Bagyeli,Babi, Bangombe, s’identifient comme des «peuples autochtones » et non comme des «Pygmées ». Ainsi, la proposition de définitiondes peuples autochtones du Congo est la

suivante : « Des communautés originaires desterritoires qu’elles occupent traditionnellement,qui se distinguent des autres groupes de lapopulation nationale par leur identité culturelleet qui sont régies par des coutumes ettraditions qui leur sont propres. »

Traditionnellement, les peuples autochtonesvivent en petits groupes sociaux égalitaristes ;leur mode de vie dépend de la chasse et de lacueillette. Ils se caractérisent par leur mobilitésur un vaste territoire ; les peuplesautochtones se rendent, au besoin, d’uncentre de ressources à un autre. En raison deleur mobilité, ils n’accumulent ni biens fonciersni biens matériels. Leurs pratiques et leursrites culturels complexes sont directement enphase avec la forêt, son respect et sa gestionsaine.

L’analyse de la situation nationale par rapportà la jouissance des droits humains de cespeuples est très préoccupante. De nos jours,ils sont dans une situation d’extrême pauvretéet de marginalisation. Les équipes deconsultation sur le terrain ont vu cescommunautés vivant dans une situationd’insécurité, sans accès sécurisé auxressources naturelles et aux terres dont ellesdépendent ; elles sont soumises à lavictimisation et aux abus par d’autrescommunautés dans l’indifférence des autorités.Leur lot quotidien est fait de nonreconnaissance de leurs valeurs etconnaissances, non accès aux services sociauxadaptés à leur propre culture et mauvaispaiement pour tout travail exécuté, voiremême des conditions d’esclavage. Lestémoignages recueillis sur le terrain sont clairs: des menaces réelles existent sur les droitshumains des peuples autochtones, d’où lanécessité de développer des mécanismes afinde redresser impérativement cette situation.

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L’initiative du gouvernement congolais en vued’élaborer une loi sur les peuples autochtonesest un élément clé de réponse à ces défis.

Au niveau international, le souci à l’égard despeuples ou populations identifiés commeautochtones est né d’une préoccupationprésente dans le droit international depuis plusde cinquante ans. Le débat autour des droitsde ces peuples a évolué, passant d’uneapproche d’intégration des populationsautochtones dans les années cinquante etsoixante, à une approche de respect de ladiversité culturelle et des droits spécifiquesdes peuples concernés.

Actuellement, les instruments qui définissentle mieux l’approche internationale sont laConvention N° 169 de l’Organisationinternationale du travail (OIT) concernant lespeuples indigènes et tribaux dans les paysindépendants (1989) et le projet deDéclaration de Nations unies sur les droits despeuples autochtones (1994).

Au niveau de l’Afrique, la Charte africaine desdroits de l’Homme et des peuples a denombreuses dispositions qui s’appliquentparfaitement à la situation des peuplesautochtones du Congo. La Commissionafricaine des droits de l’Homme et des peuplesa mis en place un groupe d’experts sur laquestion des peuples autochtones.

Au Congo, il n’y a aucune référence auxpeuples autochtones dans la législation.Théoriquement, les peuples autochtonesseraient protégés par les instrumentsjuridiques qui protègent les droits humains detous les Congolais, tels que la Constitution. Cequi n’est pas le cas dans la pratique : leniveau de marginalisation et de discriminationcrée une situation extrême pour les peuplesautochtones. Ainsi, il y a des éléments du droitcongolais qui, ne prenant pas en compte lesspécificités des peuples autochtones, sont un

obstacle à la jouissance de leurs droits.

Les défis majeurs des droits des peuplesautochtones sont analysés sous les thèmessuivants : égalité et non-discrimination ; droitsde citoyenneté et accès à la justice ; droits àl’auto-gouvernance et participation ; droits àl’identité culturelle ; droits aux terres et auxressources naturelles et droits économiques etsociaux.

Les peuples autochtones sont sujets à unniveau de discrimination époustouflant. Ilssont traités comme des sous-hommes etsouffrent de discrimination dans chaquedomaine de leur vie. Pendant des siècles, cettediscrimination a été justifiée par un tissucomplexe de concepts, de stéréotypes, demythes et de mensonges sur les peuplesautochtones.

Bien que les peuples autochtones soientégalement des citoyens congolais, il est rarede trouver une personne autochtone munie depièces d’identité. Des obstacles à l’obtentionde ces pièces par des individus autochtonesexistent, notamment l’inadaptation du systèmeétatique d’identification en milieu autochtone,la discrimination qui décourage ces peuples àaller dans les centres d’Etat civil existants,l’absence d’information et de sensibilisationsur l’importance de ces pièces au sein descommunautés, et les frais associés. Sanspièce, un individu est limité dans la jouissancede ses droits : la libre circulation, l’accès àl’école, le droit de vote, etc. deviennentpresque impossibles.

Concernant l’accès à la justice et le respectdes droits des individus, les autochtoneséprouvent les mêmes difficultés. Leurssystèmes traditionnels de justice ne sont pasreconnus et, face à la justice moderne, ils sontsouvent ignorés ou, pire, objets dediscrimination, de menaces et de violence.

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La femme autochtone est souvent victime deviolence sexuelle et de manipulation, sanspossibilité de recours effectif.

Il n’existe presque pas de cas où une autoritéautochtone est officiellement reconnue. A côtéd’autres communautés nationales, les peuplesautochtones sont souvent assujettis à leurautorité, ou forcés d’accepter un chef qu’ilsn’ont pas choisi et leur propre organisationinterne est méconnue. Au niveau régional etnational, il n’y a aucun élu autochtone, et peud’agents de l’Etat sont autochtones. Avec cetteabsence de représentation et derapprochement entre les divers systèmes degouvernance, les peuples autochtones sontencore plus marginalisés.

En ce qui concerne l’identité culturelle, lespeuples autochtones se trouvent face à unetrès forte pression : s’intégrer et renier leursspécificités culturelles. Leurs connaissances etpratiques ne sont pas valorisées et chaquejour, on leur répète que leur culture est pluspauvre et « moins évoluée » que les autrescultures nationales.

Les droits à la terre et aux ressourcesnaturelles sont le défi le plus important pour laplupart des peuples autochtones consultéspendant ce processus. Dans leur propreculture, la forêt leur appartient et ils la gèrentdurablement. Pour ces peuples, y accéder estun impératif tant pour leur culture que pourleur survie. Mais au regard de la loi nationale,leurs droits d’usage de la forêt sont limités etleurs systèmes coutumiers pour assurer lesdroits fonciers ne sont pas pris en compte.

Dans la pratique, la situation est pire :souvent, les peuples autochtones sontmenacés et maltraités par les agents de l’Etatou de la conservation alors qu’ils sont en trainde poursuivre l’exercice de leurs traditions dechasse ou de cueillette ; fréquemment, il s

sont expropriés de leurs champs ou même deleurs lieux d’habitation. L’étude n’a pas trouvéd’exemples où les peuples autochtones avaientété consultés au sujet d’une action lesaffectant. Généralement, ils ne sont même pasinformés de tout.

Concernant les droits économiques et sociaux,le système congolais ne prend pas en comptel’importance du mode de vie dans la fournitureou la dissémination des services publics. Lesmoyens financiers des communautés sontlimités ; il existe une discriminationconcernant l’accès aux services, notammentleur éloignement par rapport aux lieuxd’habitation des peuples autochtones. Tout secombine pour limiter l’accès aux servicescommunautaires de base. Concernant letravail, les peuples autochtones sont souventmaltraités, payés moins que les autrespersonnes effectuant la même tâche, ou forcésde travailler pour rien, ou au plus, pour desvêtements usés. Leurs connaissances et leursexpériences ne sont pas appréciées à leurjuste valeur.

En s’appuyant sur tous ces constats de terrainet sur l’analyse du contexte national etinternational, les personnes impliquées dansce processus de recherche ont formulé unesérie de recommandations concernant lecontenu de la nouvelle loi. Cesrecommandations reflètent la réalité de lasituation congolaise et tiennent compte desnormes actuelles du contexte international.

Avec ce rapport, les auteurs souhaitentappuyer la bonne initiative qui consiste àélaborer une loi sur les peuples autochtonesau Congo. Avec une telle loi, la République duCongo pourrait être un modèle de bonnepratique en Afrique en matière de droits despeuples autochtones et ce serait un momenthistorique pour ces peuples.

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II. HISTORIQUE DU PROCESSUS

Ce rapport, élaboré par l’Observatoirecongolais des droits de l’Homme (OCDH), enpartenariat avec la Rainforest Foundation duRoyaume Uni, a été développé commecontribution de la société civile au processusde consultation sur l’avant-projet de « Loiportant protection et promotion des Pygméesau Congo » d’août 2004.

La discussion sur une loi relative aux droitsdes peuples autochtones en République duCongo est un premier processus de ce type enAfrique, ayant une importance fondamentalepour la protection de ces groupes minoritairesdans le pays et dans les autres parties ducontinent. Le processus a été instituéformellement par la Direction Générale desDroits Humains et Libertés Fondamentales,structure du Ministère de la Justice et desDroits Humains de la République du Congo,suite au rapport publié par l’OCDH en juillet2004 sur « la situation des Pygmées enRépublique du Congo ».

Le rapport de l’OCDH expose une descriptionpréliminaire des graves conditions de vie danslesquelles ces groupes se trouvent dans lesdifférentes régions du pays par rapport à lajouissance de leurs droits de l’Homme à tousles niveaux. Le rapport recommandait auGouvernement, inter alia, l’élaboration et lamise en œuvre d’un «programme nationalpour le développement culturel et économiquede la minorité pygmée », ainsi que l’adoption« d’une loi protégeant spécifiquement lesdroits civils et politiques des membres de lacommunauté pygmée », avec les objectifssuivants :

garantir le droit à l’intégrité physique,morale et psychologique des Pygmées par larépression systématique des actes de torture,des traitements cruels, inhumains et

dégradants y compris le viol des femmespygmées et la discrimination raciale et lesintolérances qui y sont associées ;

favoriser l’accès des membres de lacommunauté pygmée à la gestion des affairespubliques et renforcer l’autorité desresponsables pygmées dans les villages ;

pénaliser l’exploitation des Pygmées, pardes individus bantous et des sociétésforestières, à travers des travaux pénibles etmal rémunérés en violation du code du travail[…]

garantir, protéger et promouvoirexpressément le droit des Pygmées à lapropriété de la terre.

La réponse officielle à la situation décrite dansce rapport fut réellement encourageante.Prenant une initiative mémorable, la DirectionGénérale des Droits Humains et des LibertésFondamentales a élaboré un premier avant-projet de « Loi portant protection et promotiondes Pygmées au Congo ». Cette initiative s’estaccompagnée dès le début, d’une volontépluraliste et de concertation, en ouvrant unprocessus de dialogue à tous les acteurs de lasociété civile désireux de formuler descommentaires et d’apporter des contributionsaux contenus d’une future loi en la matière.

Comme réponse à l’invitation officielle dugouvernement, l’OCDH a coordonné leprocessus de consultation et d’analyse avec unnombre important d’organisations de la sociétécivile congolaise. Ce processus a démarré à lafin de 2004 au cours d’un atelier où toutes lesparties prenantes et les acteurs intéressés ontexploré comment les peuples autochtonespouvaient contribuer eux-mêmes, et d’unemanière informée, à la discussion portant lanouvelle loi.

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Forte des résultats de ce premier atelier deplanification, la Rainforest Foundation a doncété en mesure d’obtenir en avril 2005 unfinancement auprès du Département pour leDéveloppement International (DFID) duRoyaume Uni pour une période de deux ans deconsultation et d’analyse avec la société civile,les communautés autochtones et les acteursgouvernementaux. Les objectifs spécifiques dece projet sont les suivants :

1. adopter une réforme juridique, y comprisdes décrets d’application détaillés, afin deprotéger les droits des peuples autochtonespygmées ;

2. renforcer les capacités des ONG et desassociations communautaires congolaises àtravailler sur les questions liées aux politiqueset à la législation et à travailler directementavec les communautés autochtones ;

3. renforcer la confiance des membres descommunautés autochtones et de leursassociations à traiter avec les décideurs et leslégislateurs.

En qualité d’organisme coordonnateur, l’OCDHa, dès le départ, réuni sans relâche lesorganisations et les particuliers désireux departiciper au processus.

Entre mars et septembre 2005, un noyau desept organisations a été établi, comprenantl’OCDH, l’Association des Femmes Juristes duCongo (AFJC), le Centre des Droits del’Homme et du Développement (CDHD),l’Association pour les Droits de l’Homme etl’Univers Carcéral (ADHUC), le Compte JuniorJuridique (CJJ) et le Forum pour laGouvernance et les Droits de l’Homme(FGDH).

L’Association des Peuples Autochtones duCongo (APAC) présente la caractéristiqueessentielle d’être la seule organisation auCongo créée et gérée par des personnesautochtones.

Ce noyau d’organisations, de même que desreprésentants du Ministère de la Justice, ontanalysé les lois existantes et organisé unatelier préliminaire sur les questions liées auxdroits autochtones, y compris des visites deterrain, en juin 2005.

Un des résultats de cet atelier préliminaire aété le constat de la nécessité de renforcer lareprésentation des communautés concernées,qui demeurait trop faible pour assurer lacoordination du processus. Par conséquent, enjuillet 2005, l’OCDH et l’APAC ont visité tousles départements ayant une forteconcentration de peuples autochtones et ontrencontré les autorités, les communautés etd’autres parties prenantes. Ils ont aussiidentifié des personnes autochtones quipuissent agir comme points focaux oupersonnes ressources dans chaquedépartement. Cette initiative a permisd’ajouter onze membres à l’équipe.

En septembre 2005, les 11 personnesressources autochtones, 9 représentants desONG et 3 représentants du Ministère de laJustice, ont participé à un atelier de formationfacilité par la Rainforest Foundation sur larecherche participative à Brazzaville. Au coursde cet atelier, les participants ont engagé undébat et ont décidé où et commententreprendre les consultations initiales avecles communautés. Ils ont aussi appris à seservir d’outils pour faciliter l’analysecommunautaire de problèmes et ont élaboréun guide de terrain sur les questions àdébattre.

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La recherche participative avec lescommunautés autochtones a eu lieu d’octobre2005 à février 2006. Les équipes ont renduvisite aux départements de la Lékoumou, de laSangha, du Kouilou, de la Likoula et desPlateaux ; elles ont travaillé avec un total de39 communautés autochtones et ont interrogédes chefs communautaires, des personnesressources qui exercent dans le milieu de viedes communautés cibles et des agentsgouvernementaux dans chaque région.

Les principaux objectifs de ces consultationsdes communautés étaient les suivants :

1. comprendre dans quelle mesure les droitsdes communautés autochtones sont reconnuset effectivement respectés ;

2. obtenir des études de cas et destémoignages bien documentés des peuplesautochtones afin d’informer la réformejuridique ;

3. développer une meilleure compréhensiondes droits des peuples autochtones au Congoafin d’amorcer un débat national plus informéqui sera nécessaire pour veiller d’abord à ceque la loi soit promulguée et ensuite à cequ’elle soit respectée.

Les résultats des recherches menées sur leterrain ont été enregistrés et des rapportsécrits ont ensuite été mis en forme parchacune des équipes de chercheursimpliquées. Elles ont identifié des casspécifiques d’abus des peuples autochtones.

Parallèlement, le travail à l’échelon national aété complété par une étude effectuée par leProgramme sur le Droit et les Politiques desPeuples Autochtones (IPLP) de l’Université

d’Arizona aux Etats-Unis. Cette étude a passéen revue les normes juridiques internationales,les conventions auxquelles le Congo est partieet une variété de réformes juridiquesnationales entreprises pour garantir le respectdes droits des peuples autochtones.

Au mois de mai 2006, une réunion d’échangeset de concertation de la société civile a étéorganisée conjointement par l’OCDH et laRainforest Foundation, avec la participationdes acteurs de la société civile impliqués dansle processus et d’autres organisations invitées,y compris les points focaux autochtones et desorganisations des droits autochtones de laRépublique Démocratique du Congo (RDC).

Cette réunion a travaillé sur un dossierspécialement préparé relatif aux différentesdispositions des instruments internationauxsur la protection des peuples autochtones.

En réunissant les résultats préliminaires de larecherche sur le terrain et l’analyse ducontexte international, la réunion a formuléd’une manière participative lesrecommandations finales de ce rapport.

Ce rapport est donc le fruit du processus décritci-dessus. Il comprend la discussion etl’analyse du contexte juridique nationaleffectué par les ONG, un examen du droitinternational pertinent ainsi que le témoignageet les études de cas des communautésautochtones. Nous espérons qu’en confrontantces différents éléments, ce document servirade base pour discuter du type et de la teneurdes réformes juridiques qui respectent lesnormes internationales mais sont aussipertinentes et adaptées aux circonstancesparticulières du Congo.

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III. CLARIFICATION DES TERMES

Ni le terme Pygmée qui décrit les peuplesautochtones de chasseurs-cueilleurs, ni leterme Bantou qui décrit des groupes depopulations d’agriculteurs ayant commencé àvenir au Congo depuis au moins 1500 ans, nesauraient donner satisfaction. Les deuxcouvrent un grand nombre de groupes qui ontdes identités et des langues distinctes et lameilleure approche consiste à utiliser le nomde chaque groupe. Dans tous les cas, lestermes sont souvent utilisés en République duCongo pour se référer aux formes génériquesdes communautés différentes de la population.

Néanmoins, pendant le processus d’élaborationde ce rapport, le terme Pygmée a étéabandonné et remplacé par celui d’autochtone.Cette décision répond à la volonté expressedes points focaux, personnes ressources deces communautés, qui ont exprimé leurinsatisfaction en raison des connotationspéjoratives attachées au terme « pygmée ».Le terme « autochtone » est également utilisécouramment dans les discussions sur les droitsde ces peuples au niveau international etafricain.

Le rapport utilise le terme Bantou, dans sonsens populaire, pour se référer aux segmentsnon autochtones de la population nationale,même s’il sert à décrire la famille de languesparlées plutôt que les peuples.

IV. LA QUESTION DE LA DEFINITION

Nous réalisons que, dans le contexte africain,l’utilisation du terme autochtone peut donnerlieu à des malentendus, parce que le termepourrait être interprété comme se référant àtoutes les populations originaires du continentafricain qui furent historiquement victimes ducolonialisme ou d’une domination étrangère.Malgré cette signification générale, le terme

s’utilise ici du point de vue technique etjuridique moderne, avec des connotations pluslarges que la simple question de connaître lepremier venu, et il renvoie précisément auxdéveloppements internationaux en la matière.

Dans un rapport élaboré récemment par unGroupe de travail de la Commission africainedes droits de l’Homme et des peuples, celui-cireconnaît les préoccupations relatives àl’utilisation de l’expression peuplesautochtones dans le contexte africain1.

Cependant, nous espérons sincèrementque cette ambiguïté ne peut pas bloquerune action constructive si nécessaire etutile… Presque tous les Etats africainsregorgent d’une riche variété de groupesethniques distincts, les uns dominateurs etles autres occupant des positions desubordination. Tous ces peuples sontautochtones à l’Afrique. Cependant,certains sont dans une positionstructurellement subordonnée aux groupesdominants et à l’Etat, ce qui conduit à leurmarginalisation et discrimination. C’est àcette situation que s’adresse le conceptd’autochtone dans sa forme analytiquemoderne ainsi que le cadre juridiqueinternational y relatif.

Du point du vue du droit internationalmoderne, le terme autochtone se réfèreaux groupes originaires des territoiresqu’ils occupent traditionnellement ouutilisent d’une autre manière, et sont ensituation de discrimination etmarginalisation par rapport aux autresgroupes dominants des États danslesquels ils vivent, en raison de leurscultures et modes de vie, souvent liéesd’une manière spéciale à leurs terres etenvironnements.

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Ils souffrent de la discrimination dans lamesure où ils sont considérés commeétant moins développés et moins avancésque les autres groupes plus dominants dela société. Ils vivent souvent dans deszones inaccessibles, souventgéographiquement isolées et ils souffrentde diverses formes de marginalisation tantpolitique que sociale. Ils font souventl’objet de domination et d’exploitation àl’intérieur des structures politiques etéconomiques qui sont communémentconçues pour refléter les intérêts et lesactivités de la majorité nationale2.

Même si on ne trouve pas dans le droitinternational une définition unique de peuplesautochtones, il y a des définitions dans diversdocuments de référence, notamment lesConventions No. 107 et No. 1693 de l’OIT, oul’Etude de l’ONU sur le problème de ladiscrimination à l’encontre des populationsautochtones, du Rapporteur Spécial, M. M.J.Martínez Cobo4. Ces définitions partagent unnombre d’éléments communs, qui furentsystématisés dans un rapport spécial de laPrésidente du Groupe de travail de l’ONU surles populations autochtones, Mme. Erica-IreneDaes, comme suit :

a) L'antériorité s'agissant de l'occupation et del'utilisation d'un territoire donné ;

b) Le maintien volontaire d'un particularismeculturel qui peut se manifester par certainsaspects de la langue, une organisation sociale,des valeurs religieuses ou spirituelles, desmodes de production, des lois ou desinstitutions ;

c) Le sentiment d'appartenance à un groupe,ainsi que la reconnaissance par d'autresgroupes ou par les autorités nationales en tantque collectivité distincte ; et

d) Le fait d'avoir été soumis, marginalisé,

dépossédé, exclu ou victime de discrimination,que cela soit ou non encore le cas5.

Les critères de cette définition, quicomprennent les éléments d’originalité d’unterritoire donné, le particularisme culturel, lesentiment d’appartenance et la discrimination,doivent être interprétés d’une façon flexible,prenant en compte les facteurs spécifiques desdifférents contextes nationaux et locaux6.

Dans le contexte africain, bon nombre depersonnes craignent que la protection desdroits des peuples autochtones « accorderaitdes droits spéciaux à certains groupesethniques en plus des droits reconnus à tousles autres groupes dans un pays » oudonnerait à certains groupes « des droits etdes positions supérieures à ceux des autresgroupes ethniques ou des membres de lacommunauté nationale », qui attiseraient « letribalisme ou les conflits ethniques et laviolence »7.

Cela n’est pas le cas quand on parle dereconnaître les droits des peuples autochtonesafricains. L’objectif n’est que de protégercertains groupes, qui par les conditions dediscrimination structurelle qu’ils ont subihistoriquement, ne jouissent pas des libertéset des droits fondamentaux garantis par lalégislation nationale à tous les citoyens : « [l]eproblème est que certains groupesmarginalisés sont discriminés d’une manièreparticulière en raison de leur culture et deleurs modes de production et qu’ils occupentdes positions marginalisées au sein de leursEtats. C’est là une forme de discriminationdont ne souffrent pas les autres groupes ausein de l’Etat »8.

A l’heure actuelle, en Afrique, différentsgroupes de chasseurs-cueilleurs, y compris lespeuples dits Pygmées d’Afrique centrale,s’identifient comme des peuples autochtoneset s’allient au mouvement mondial de défense

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des droits des populations autochtones.Comme nous l’évoquons plus en détail à lasection 5 de ce document, les peuples Baka,Baaka, Babongo et autres, qui vivent enRépublique du Congo « ont été laissés enmarge du développement et sont considérésnégativement par les principaux paradigmesde développement ; leurs cultures et leurmode de vie font l’objet de discrimination etde mépris »9. La situation de discrimination etde marginalisation que ces peuples ont connuhistoriquement à cause de leurs cultures etmodes de vie particuliers les place dans lasphère touchée par la définition de la notionde peuple autochtones et, par conséquent, ilsfont l’objet de l’intérêt et de la protectionprioritaires que le droit internationalcontemporain fournit à ces groupes.

RECOMMANDATIONS

La future loi sur les droits des peuplesautochtones devrait inclure une définition despeuples ciblés par ladite loi. Concernant cette

définition, il serait souhaitable :

1. d’utiliser le terme autochtone au lieu duterme pygmée afin d’éviter toute connotationpéjorative, pour s’aligner sur les standardsinternationaux en la matière ;

2. d’éviter les éléments discriminatoires dansle corps de la loi concernant les peuplesautochtones, qui contredisent les objectifs dela loi et sont susceptibles de suggérer qu’ilssont inférieurs ou sous-évolués ;

3. d’inclure les éléments que l’on trouve dansles définitions internationales sur les peuplesautochtones, comme les notions de spécificitéculturelle ; d’occupation originelle du territoire; de traditions et coutumes diverses.

En tenant compte de l’ensemble de ceséléments, le groupe de chercheurs etpersonnes ressources autochtones a élaboréune proposition de définition, reproduite ci-dessous.

Proposition de définition des peuples autochtonesLes participants à la réunion de consultation de la société civile sur les droits despeuples autochtones en République du Congo (Brazzaville, du 9 au 12 mai 2006) ontpréparé une proposition de définition des peuples autochtones, tenant compte deséléments de divers instruments internationaux en la matière :

Les peuples autochtones sont des communautés originaires des territoires qu’ellesoccupent traditionnellement, qui se distinguent des autres groupes de la populationnationale par leur identité culturelle et qui sont régis par des coutumes et traditionsqui leurs sont propres.

L’Etat reconnaît, entre autres, comme peuples autochtones, sujets à la juridiction desautorités congolaises, les identités suivantes : Babongo, Batswa, Mbendjele, Baaka,Mikaya, Nguelé, Balouma, Babi, Bangombe et Bagyeli.

Le sentiment d’appartenance à un peuple autochtone doit être considéré comme uncritère fondamental pour déterminer les individus et les groupes auxquels s’appliquela présente loi.

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V. APERÇU GENERAL SUR LES PEUPLES AUTOCHTONESDE LA REPUBLIQUE DU CONGO

1. CONTEXTE HISTORIQUE

Par tradition, les peuples autochtones sont despeuples forestiers, des chasseurs-cueilleurs. Ilsvivent en petits groupes sociaux égalitaristeset leur mode de vie dépend de la chasse et dela cueillette. La richesse de la forêt tropicalefait que les sociétés de chasseurs-cueilleurssont dites à retour immédiat et ne se soucientpas de stocker des denrées ou d’accumulerdes richesses pour garantir leur survie. Leurmode de vie se caractérise par leur mobilitésur un vaste territoire (entre 150 et 5984km2)10 ; ils se rendent d’un centre deressources à un autre au fil des besoins. Lamobilité fait qu’ils n’accumulent ni biensfonciers ni biens matériels. Leurs pratiques etleurs rites culturels complexes sontdirectement en phase avec la forêt, sonrespect et sa gestion saine.

Habitant dans la région depuis longtemps, lespeuples autochtones avaient développé desrelations avec des communautés agricolesbantoues basées sur des échangesmutuellement profitables de produits forestierscontre des produits agricoles, des produitseuropéens, du fer et du sel. Il serait fallacieuxde prétendre qu’il n’existait pas de conflitsentre ces groupes, mais la discrimination et lamarginalisation n’existaient pas au niveau quel’on connaît aujourd’hui. Le changement de

situation résulte de plusieurs raisons. L’uned’entre elle est le besoin des paysans desécuriser leur main-d’œuvre agricole, ce qui acréé des relations de maître à esclave entreles deux groupes. L’époque coloniale y aégalement contribué : les Bantous ont eu unaccès presque exclusif à l’administrationcoloniale car la préférence était donnée auxcommunautés sédentarisées. De plus, lemodèle hiérarchique de l’Etat congolais de nosjours ne coïncide pas avec les structurestraditionnellement égalitaires des peuplesautochtones. De plus, l’accent mis sur lemodernisme renforce les attitudes négativesface aux traditions de ces peuples.

Actuellement, nous sommes dans unesituation où les Bantous ont développé desstéréotypes complexes et des théories àpropos des peuples autochtones pour justifierleur discrimination. Dans le même temps,l’attachement des peuples autochtones à uneéconomie à retour immédiat et à un mode devie forestier, leur mobilité, et des structuressociales fondées sur l’égalitarisme et sur desgroupes de taille modeste, en plus de leurmanque d’accès à une éducation officielle, ontcontribué à rendre extrêmement difficile toutereprésentation politique efficace et touteprotestation contre la discrimination.

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CARTE DE LOCALISATION INDICATIVE DES GROUPES DESPEUPLES AUTOCHTONES DE LA RÉPUBLIQUE DU CONGO

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2 GROUPES DE PEUPLES AUTOCHTONES AU CONGO

On trouve des peuples autochtones au Congodans presque tous les départements duCongo. Au sud du pays, plus précisément auKouilou, dans la Lékoumou, au Niari et dans laBouenza, ce sont des Babongo. Dans le Pool,on trouve les Babi. Dans la partie nord, lespeuples autochtones sont répartis en plusieurssous-groupes selon les localités : Baaka,Bangombe, Mikaya, Mbendjele, Nguelé etBalouma (Sangha, Likouala) ; dans le centrenord (Plateaux), on trouve les Batswa.

Globalement, dans le nord du pays, dans lesdépartements de la Sangha et de la Likouala,la plupart des peuples autochtones suiventencore un mode de vie traditionnel dechasseurs-cueilleurs. Si certains d'entre euxtravaillent dans l’industrie du bois, dans desparcs nationaux ou dans les champs depaysans ou s’ils pratiquent eux-mêmes uneagriculture modeste, ils donnent la préférenceaux activités forestières et aux produits de laforêt.

La majorité de Mbendjele passe souvent plusde la moitié de l’année à se livrer à desactivités de chasse et de cueillette dans descampements forestiers et une partie del’année à proximité ou à l’intérieur de villagespaysans. Là, en plus de leurs activités dechasse et de cueillette, ils se livrent à desactivités de négoce, à des travaux manuels oubien réalisent quelques menus services pourles villageois en échange de nourriture, debiens, d’alcool ou d’argent.

Dans les départements des Plateaux et deKouilou, les Batswa et Babongos sont toujoursà même de chasser et de cueillir des produitsforestiers mais avec un peu moins defréquence qu’au nord. Ici, ils participent aussià l’agriculture – souvent en faisant les travauxagricoles requis dans les champs des Bantous- et à des activités commerciales, comme lesciage du bois.

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3. LES ORGANISATIONS AUTOCHTONES ET ORGANISATIONSOEUVRANT POUR LES DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES

ASSOCIATION DES PEUPLES AUTOCHTONES

DU CONGO

La communauté des peuples autochtones duCongo, particulièrement celle de Brazzaville,consciente des discriminations subies etdéterminée à revaloriser et à promouvoir sonidentité culturelle, s’est engagée à créer enl’an 2000, une organisation nongouvernementale à caractère social,économique et politique dénomméeAssociation des Peuples Autochtones du Congo(APAC), dont le siège est à Brazzaville.

L’APAC vise les objectifs suivants :

- la reconnaissance des droits des peuplesautochtones ;

- l’épanouissement et le rayonnement de laculture des peuples autochtones ;

- La promotion, la défense et la protection desdroits spécifiques des peuples autochtones ;

- L’élaboration et la mise en œuvre deprogrammes de développement et de gestiondurable des forêts.

AUTRES ORGANISATIONS CONGOLAISES

TRAVAILLANT AVEC LES PEUPLES AUTOCHTONES

En dehors de l’APAC, il existe à Sibiti, dans ledépartement de la Lékoumou, une associationà vocation nationale, sans réelle assise à ceniveau, dénommée Association pour leDéveloppement Socioculturel des Pygmées(ADSCP), dirigée par un Bantou très militantsur les questions des peuples autochtones.

On peut noter aussi l’existence d’uneassociation à caractère mutualiste : Mutuelled’entraide des peuples autochtones, dirigée

par Toto Gonimba, autochtone basé à Dolisiedans le département du Niari.

Une autre association dirigée par des Bantous,est basée à Djambala dans le département desPlateaux ; il s’agit de l’Association congolaisepour la défense et l’intégration des Pygmées(ACDIP).

Il y a aussi des personnalités autochtones quisoutiennent la cause de la communauté. C’estle cas de l’abbé Mvoumbi, Babongo deKakamoeka qui apporte de l’aide scolaire auxenfants Babongos.

UNICEF

Le bureau de l’UNICEF à Brazzaville a élaboréun programme d’appui aux communautésautochtones. Cet appui et les activitésassociées sont sous la tutelle du Ministre desAffaires Sociales, de l’Action Humanitaire et dela Famille. Ce ministre a été prié par lePremier Ministre de mettre en place un comitérestreint regroupant tous les ministèresimpliqués dans la problématique des peuplesautochtones .

LA BANQUE MONDIALE

Depuis 2004, le gouvernement est en train depréparer, avec l’appui de la Banque Mondiale,un Projet d’appui à l’Education (PRAEBASE).Un des quatre composants du projet estl’appui aux enfants pygmées déscolarisés. Ladirective opérationnelle 4.20 de la Banques’applique à ce projet et elle a donc nécessitéde faire un Plan de Développement desPeuples Autochtones (IPDP). Un document12

sur ledit plan a été préparé par un consultantmais, d’après nos informations, aucune activitén’est en cours sur le terrain.

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VI. CONTEXTE JURIDIQUE INTERNATIONAL SUR LESDROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES13

Le souci du système international à l’égard despeuples ou populations identifiés commeautochtones est né d’une préoccupationprésente dans le droit international modernedepuis plus de cinquante ans. Aujourd’hui, ledroit international a défini un régime suigeneris de normes qui prête une attentionspéciale à la situation particulière devulnérabilité et de discrimination de cesgroupes. Ces normes, qui adaptent les normesgénérales des droits de l’Homme au contextespécifique des peuples autochtones, ont étédéveloppées à partir d’instruments spécifiquesainsi que par l’interprétation des organismesuniversels et régionaux des Droits del’Homme. Le résultat est un niveau deconsensus international qui permet de parlerde normes coutumières, obligeant les Étatsindépendants à ratifier des instrumentsspécifiques.

Influencés par les idées de modernisation etd’homogénéisation actuellement en vogue, lespremiers textes qui parlaient des peuplesautochtones se sont axés sur un projetd’intégration ou d’assimilation de ces groupesdans la culture et les modalités économiquesde la population dominante. De telles normesont été énoncées dans la Convention No. 107de 1957 de l’Organisation internationale dutravail (OIT) concernant la protection etl’intégration des populations aborigènes etautres populations tribales et semi tribalesdans les pays indépendants. La Convention,qui a été ratifiée par plusieurs États africains,asiatiques et du Moyen-Orient, était basée surl’acceptation implicite des inférioritésintrinsèques des cultures autochtones,envisageant leur disparition graduelle enintégrant ces groupes à l’ensemble de lapopulation nationale, à travers la mise enplace d’une politique aujourd’hui jugéedépassée, comme les programmes de

sédentarisation forcée des populationsnomades ou semi-nomades.

Depuis les années 70, et parallèlement auxefforts déployés au niveau intérieur, lespeuples autochtones ont fait appel à lacommunauté internationale et invoqué le droitinternational, principalement par le biais desdroits de l’Homme, pour faire avancer leurcause. Un grand tournant dans l’évolution ducontexte international a été la résolution priseen 1971 par le Conseil économique et socialdes Nations Unies de mener une étude sur le «Problème de la discrimination contre lespopulations autochtones » (le « RapportMartínez Cobo »), qui déclenchera une séried’activités multiples concernant les populationsautochtones au sein des institutions régionaleset affiliées des Nations Unies.

Une des réponses à cet intérêt que suscitentles droits des peuples autochtones estl’adoption en 1989 de la Convention No. 169de l’OIT concernant les peuples indigènes ettribaux dans les pays indépendants, qui révisel’instrument antérieur, la Convention No. 107.La Convention No. 169 révise le modèleassimilationniste des normes antérieures, en leremplaçant expressément par les principes durespect de l’identité et des cultures despeuples autochtones, ainsi que par les droitsde participation et de consultation de cespeuples sur les questions qui les touchentdirectement. Même si la Convention No. 169se réfère – peut être d’une manière ambiguë–aux « peuples indigènes », elle comporte desnormes pertinentes pour l’ensemble despeuples autochtones du monde.

L’adoption de la Convention No. 169 fut suiviepar le projet d’élaboration d’une déclarationdes Nations Unies sur le droit des peuplesautochtones. Elaboré avec la participation

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active des peuples autochtones venus dumonde entier, le projet de déclaration futadopté en 1994. Actuellement, il continue sagestation grâce à un Groupe de travail duConseil des Droits de l’Homme. Même dans saforme actuelle de projet, le texte représenteune formulation autorisée des principaux droitsaccordés aux peuples autochtones au niveauinternational.

L’adoption des normes ou projetsd’instruments spécifiques en matière depeuples autochtones a été accompagnée parl’activité des organismes universels ourégionaux des droits de l’Homme dans lesprocédures de surveillance des normes àcaractère général, par exemple, le Comité desDroits de l’Homme, le Comité pourl’Elimination de la Discrimination Raciale del’ONU, ou la Commission et la CourInteraméricaine des Droits de l’Homme. Outrele fait d’attirer l’attention du systèmeinternational des droits de l’Homme à tous lesniveaux, les populations autochtones fontdésormais l’objet d’institutions et deprogrammes spécialement créés, y compris leGroupe de travail des Nations Unies sur lespopulations autochtones, le Rapporteur Spécialdes Nations Unies sur la « situation des droitsde l’Homme et des libertés fondamentales despopulations autochtones », et l’Instancepermanente des Nations Unies sur lesquestions autochtones.

Les développements ci-dessus ont aussi trouvéun écho étonnant au niveau du droit internedes États avec une vague de réformesconstitutionnelles et législatives, ainsi qu’auniveau d’une jurisprudence très riche, àtravers le monde entier en reconnaissant lesdroits des peuples autochtones, que ce soit enAmérique, en Asie, en Europe ou dans lePacifique. Dans le contexte africain, le

processus congolais s’inscrit dans unmouvement plus ample pour la protection despeuples autochtones et lutte contre leurdiscrimination (supra, Section VI).

De nos jours, il y a un régime moderne denormes internationales en matière de droitsdes peuples autochtones. Ces normes fontpartie des obligations contenues dans lestraités généraux des droits de l’Hommeauxquels la République du Congo a adhéré.Ces normes générales sont enrichies etamplifiées par les contenus de normesspécifiques ou de projets d’instrumentsinternationaux sur les droits des peuplesautochtones, qui constituent des sourcessupplémentaires faisant autorité et permettentde discerner les obligations juridiquesinternationales du Congo à l’égard des peuplesautochtones relevant de sa juridiction. Cesinstruments, comme la Convention Nº 169 del’OIT ou le projet de déclaration de l’ONU, fontd’ailleurs partie intégrante d’un modèle depratiques internationales qui constitue etfournit la preuve du droit internationalcoutumier, lequel a force contraignante pourles Etats, indépendamment des traités ratifiés.

RECOMMANDATIONS

Le Gouvernement devrait promouvoir laratification de la Convention Nº 169 de l’OITsur les Peuples Indigènes et Tribaux dans lesPays Indépendants (1989).

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VII. LE DROIT DES PEUPLES AUTOCHTONESDANS LE CONTEXTE AFRICAIN14

Les développements au niveau international etpar rapport aux droits des peuplesautochtones ont connu aussi une dérivespécifique dans le contexte africain. Lapréoccupation spéciale des pays africains pourl’amélioration des conditions de vie despeuples autochtones et la lutte contre ladiscrimination dont ils souffrent historiquementse manifeste par de nombreuses initiatives deréformes législatives au niveau interne, ainsique dans les activités du système africain desdroits de l’Homme.

Même si la Charte africaine des droits del’Homme et des peuples ne reconnaît pasexplicitement les droits des peuplesautochtones, elle renferme beaucoup dedispositions qui s’appliquent parfaitement àleur situation, y compris les droits des peuplesà l’égalité et à la non domination par d’autres(article 19). La Charte assure unereconnaissance inédite des droits collectifs, etutilise le terme « peuples » pour constaterl’existence de groupes et identités variés àl’intérieur des pays africains, sans préjudice duprincipe d’intégrité territoriale des États.

Dans son travail d’interprétation et desurveillance du respect des droits consacrésdans la Charte, la Commission africaine desdroits de l’Homme et des peuples a pris enconsidération à plusieurs reprises les situationsparticulières de certains groupes autochtonesen Afrique, comme dans le cas des Ogoni duNigeria15. Les activités de la Commissionconcernant les peuples autochtones en Afriquecomportent la mission d’enquête etd’information au Congo sur les conditions devie des communautés pygmées du pays16.

L’intérêt de la Commission africaine envers laquestion spécifique des peuples autochtonesest démontré par la création en 2000 d’unGroupe de travail d’experts sur les

populations/communautés autochtones17.Après ses délibérations, le Groupe de travail aproduit un rapport sur «les droits despopulations/communautés autochtones ». Cerapport historique, le premier à analyser lasituation des peuples autochtones en Afriqued’une façon complète et comparée, renfermedes informations très fournies sur la situationdes groupes dans les différents pays africains,y compris la République du Congo.

Le rapport du Groupe du travail souligne enconclusion générale de son étude que « lespeuples et les communautés autochtonesd’Afrique souffrent d’un certain nombre deviolations particulières des droits humains quisont le plus souvent de nature collective »(CADHP, 2003, 118). Comme suivi du rapportdu Groupe de Travail, la Commission africainedes droits de l’Homme et des peuples a établiun autre Groupe de travail d’experts ayantpour fonction de «[r]assembler, demander,recevoir et échanger des informations et descommunications de toutes les sourcespertinentes, y compris les gouvernements, lespopulations autochtones et leurs communautéset organisations, sur les violations de leursdroits humains et libertés fondamentales »18.

Le Burundi a fait un premier pas vers laprotection des droits autochtones par le biaisde sa nouvelle structure constitutionnellefondée sur le respect des ethnies, qui attribuela participation à l’appareil de l’Etat enfonction de la structure ethnique et du genrede la population. Ainsi l’article 164 de laConstitution de 2005 prévoit que «l’Assemblée nationale est composée d’aumoins 100 députés dont 60 % de Hutu et 40% de Tutsi, y compris un minimum de 30 %de femmes … et de trois députés issus del’ethnie Twa»19. De même l’article 180 confèreaux Twa trois sièges au sein du Sénat.

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Dans le cas du Cameroun, la Constitutionreconnaît expressément dans son préambuleles droits des peuples autochtones et soulignela fierté que lui inspire la diversité linguistiqueet culturelle du pays. Malheureusement iln’existe aucune loi nationale mettant enpratique cette disposition constitutionnelle. Leseul cas qu’on peut citer est la Loi de 1994portant régime des forêts, de la faune et de lapêche. Cette loi renferme des dispositions quiprônent l’inclusion des « communautés locales» dans la gestion des forêts.Malheureusement, les conditions financières ettechniques requises pour l’établissement d’uneforêt communautaire la rendent inaccessibledans la pratique à la plus grande partie descommunautés autochtones. Depuis 1994, il n’ya qu’une forêt communautaire gérée par unecommunauté autochtone.

Un autre exemple de réglementation des droitscoutumiers des communautés locales, ycompris des diverses communautésautochtones, est celui de la RépubliqueDémocratique du Congo (RDC). Le Codeforestier de 2002 (Loi No. 011/2002), codifieet prévoit la réglementation des droits enmatière d’utilisation, de propriété, depossession et de concertation des «communautés locales », même s’il n’est pasfait expressément référence aux peuplesautochtones. La loi définit la « communautélocale » comme « une populationtraditionnellement organisée sur la base de lacoutume et unie par des liens de solidaritéclanique ou parentale, qui fondent sa cohésioninterne. Elle est caractérisée, en outre, par sonattachement à un terroir déterminé » (article1.17). Les populations qui vivent à l’intérieurou près d’un domaine forestier ont des droitsd’usage qui découlent des coutumes ettraditions locales à condition de ne pasenfreindre la loi (article 36), ainsi que des

droits individuels et collectifs pour exploiter lesressources forestières, sous forme d’un « titrede concession forestière » sur tout ou partied’une zone forestière protégée qu’ils onttraditionnellement possédée (article 22).

L’action institutionnelle des organismes dusystème africain des droits de l’Homme et despeuples, alliée au processus récent de réformelégislative dans les pays africains, confirmel’existence d’une préoccupation croissantedans le continent en faveur de l’améliorationdes conditions de vie des peuples autochtones,qui renforce et élargit le consensusinternational sur la protection des droits deces groupes et sur leur contenu.

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VIII. CADRE JURIDIQUE NATIONAL

Les efforts institutionnels et le processus deréforme législative entrepris au niveauinternational sur les droits des peuplesautochtones, ainsi que l’attention spécialeaccordée à cette question au niveau africain,créent un contexte favorable à la discussion encours pour une loi visant à protéger etpromouvoir les droits des peuplesautochtones. Cette initiative ne trouve pas deprécédents en Afrique et serait la première loispécifiquement ciblée sur ces groupesvulnérables, constituant un exempled’importance fondamentale pour les autrespays.

La future loi sur les droits des peuplesautochtones viendra combler le vide juridiquecongolais, en l’absence de dispositionslégislatives spécifiques liées aux conditions devie particulières des groupes autochtones dupays.

Nonobstant ce vide, la lutte pour l’égalité et lanon-discrimination des peuples autochtones etdes autres groupes vulnérables reste unobjectif majeur du cadre constitutionnel quiétablit les principes généraux du cadrejuridique et politique en République du Congo.Ainsi, la Constitution congolaise énonce dansson article 44, le principe général de non-discrimination, ordonnant à tout citoyen « ledevoir de respecter ses semblables sansdiscrimination, d’entretenir avec eux desrelations qui permettent de promouvoir et derenforcer la tolérance réciproque. »

Ce principe de lutte contre la discriminationest spécifié dans la Charte de l’unité nationaledu 29 mai 1991 vis-à-vis des peuplesautochtones du pays, même s’ils ne se sontpas directement cités dans ce texte. La Charteénonce dans son article 4, alinéa 5 que « desdispositions institutionnelles doivent être

prises en vue de lutter contre l’hégémonied’une communauté ethnique sur les autres».Pour ce faire, l’article 4, alinéa 6, affirme que« l’Etat a le devoir d’assurer la protection et ladéfense des minorités ethniques ».

L’analyse du cadre juridique national met enexergue l’absence de dispositions législativesou réglementaires faisant expressémentréférence aux peuples autochtones.Évidemment, cette absence de mécanismesjuridiques n’exclut pas formellement lespeuples autochtones de l’exercice des droits etlibertés reconnues par la Constitution et lalégislation nationale à tous les citoyens. Parexemple, le droit à la propriété foncière,renfermant la reconnaissance aussi bien desdroits relevant de la législation moderne quedes droits coutumiers, est garanti et réglé parla Loi foncière (Loi Nº 10-2004). Par ailleurs, ila été reconnu aux communautés autochtones,tout comme à d’autres communautés, desdroits concernant les activités traditionnellesrevêtant une importance spéciale pour cesgroupes, comme les droits à la chasse desubsistance, consacrés dans la réglementationsur la chasse, ou à l’utilisation noncommerciale des ressources forestières,garantie par les dispositions du Code forestier(Loi Nº 16-2002), à toutes les « communautéslocales ».

Bien que cette absence de référence ait étéguidée par les principes constitutionnelsd’égalité et de non-discrimination, les peuplesautochtones du Congo souffrent d’unesituation de discrimination et demarginalisation, qui les empêche de jouir desdroits garantis par la Constitution et lalégislation nationale sur un pied d’égalité avecle reste de la population. Dans certains cas,les mécanismes juridiques existants sontincomplets ou inadéquats pour garantir

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les droits de ces peuples, en raison de laspécificité de leur culture et de leur mode devie. Ceci est le cas, par exemple, pour lesdroits à la terre et aux ressources naturelles ;le régime foncier congolais, en reconnaissantuniquement les titres individuels, n’a pas prisen compte la propriété collective de la terrepar les communautés autochtones. Il neconsidère pas les activités traditionnellesautres que l’agriculture dans le concept de «mise en valeur » qui est à l’origine des droitsde propriété coutumiers (infra, Ch. 10.5).

Par ailleurs, les normes de la législationnationale ne renferment pas de mécanismesd’interdiction ou de sanction contre les actionsde discrimination et d’abus dont souffrentquotidiennement les personnes appartenant àces peuples (infra, Ch. 10.1). Ellesn’établissent pas de politiques spéciales contrel’exploitation au travail dont sont victimes lesautochtones. Finalement, les normesnationales qui définissent les objectifs et leslignes directrices de la politique nationale enmatière de service sociaux fondamentaux netiennent pas suffisamment compte des besoinsspécifiques et des modes de vie particuliers deces peuples (infra, Ch, 10.2).

Les raisons énoncées ci-dessus méritent uneffort urgent et coordonné des autoritéspubliques en faveur de l’amélioration desconditions de vie des peuples autochtones etde la lutte contre la discrimination et lamarginalisation dont ils ont historiquementsouffert. L’adoption d’une loi qui regroupe lesprincipes généraux des droits de l’Homme euégard à la situation spécifique des peuplesautochtones est un pas fondamental et méritel’appui de tous les acteurs intéressés.

Même s’il serait prioritaire que l’Etat garantisseles droits des peuples autochtones par le biais

d’une action législative conséquente, il estimportant de rappeler que le Congo est partieà un nombre de traités et conventionsinternationaux sur les droits de l’Homme quiénoncent des obligations spécifiques pour lesÉtats, au regard du traitement des populationsautochtones, comme la Convention pourl’élimination de toutes les formes dediscrimination raciale, le Pacte internationalrelatif aux droits civils et politiques, ou lePacte international relatif aux droitséconomiques, sociaux et culturels. Comme il adéjà été mentionné (infra, Ch. 3), les organesofficiels responsables du suivi de l’applicationde ces conventions par les États parties ontdéveloppé une riche jurisprudence qui donnede la substance aux droits des peuplesautochtones. Cette jurisprudence constitueune source supplémentaire faisant autorité etpermettant de discerner les obligationsjuridiques internationales du Congo à l’égarddes peuples autochtones.

De ce point de vue, le processus d’élaborationde la nouvelle loi sur ces peuples devrait tenircompte du contenu des normes internationalesayant trait aux droits de ceux-ci, de manière àharmoniser la législation congolaise en lamatière avec les obligations internationaleslibrement consenties par le Congo au regarddes droits de l’Homme.

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RECOMMANDATIONS

1. Il serait urgent et prioritaire d’adopter uneloi qui tienne compte de la situation demarginalisation et de discrimination dontsouffrent historiquement les peuplesautochtones du Congo, qui les empêche dejouir des droits garantis par la Constitution etla législation nationale sur un pied d’égalitéavec le reste de la population.

2. La nouvelle loi devrait être compatible avecles développements internationaux et africainsen matière de protection des peuplesautochtones en s’inspirant des instrumentsjuridiques internationaux spécifiques existants

et de la jurisprudence des organismesinternationaux relative aux droits de l’Homme.

3. Le Gouvernement congolais doit êtreappuyé dans tous ses efforts pour promouvoirla loi sur les peuples autochtones, notammentpar les organismes internationaux des droitsde l’Homme et par les organisations de lasociété civile nationale et internationale.

4. Il serait souhaitable d’inclure unedisposition dans la Constitution congolaise quireconnaîtrait l’existence des peuplesautochtones et garantirait leurs droitshumains, sans discrimination.

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La dernière section de ce rapport incorpore lesrésultats des analyses de la situation despeuples autochtones au Congo au regard de lajouissance des droits de l’Homme tels qu’ilssont reconnus par le droit international. Lasection prend en considération les donnéesdes recherches menées sur le terrain auprèsdes communautés autochtones dans plusieursdépartements du pays et un examen du cadrejuridique national et international applicable.

Dans chaque section, il y a des encadrés quicontiennent des anecdotes et des témoignagesayant frappé les équipes de recherche.

A) LES STANDARDS INTERNATIONAUX

Le principe d’égalité entre les êtres humains etson corollaire, la non-discrimination, fondent,avec le principe de la liberté, tout l’édifice durégime contemporain international des droitsde l’Homme. Sous sa forme la plusélémentaire, la norme de non-discriminationempêche le déni des droits et des servicespublics ou la fourniture de services de qualitéinférieure aux populations autochtones. Il estinsuffisant que les lois ou réglementations nesoient pas a priori discriminatoires, c’est-à-direqu’il n’existe pas de discrimination flagrantedans la loi elle-même.

Au fond, l’égalité exige que l’application de laloi ne se traduise pas par une discriminationde facto à l’encontre d’un groupe en raison desa langue, sa culture, sa race ou pour toutautre motif. La norme de non-discriminationprésente des implications particulières pour lesgroupes autochtones, maltraités sur la base deleurs différences culturelles. Désormais, il estclair qu’il n’est plus acceptable qu’un Etat ait

des institutions qui tolèrent des pratiques quiperpétuent un statut ou un état inférieur pourdes individus ou des groupes autochtones, ouleurs attributs culturels. Cette affirmationd’égalité sous-tend les obligations de respectde la culture autochtone, des régimesd’occupation des sols et des droits depropriété qui en découlent ; et le besoin deveiller à ce que les populations autochtonespuissent se faire entendre dans lagouvernance de l’Etat et les processus de prisede décisions.

Le droit international reconnaît explicitementla légitimité et approuverait des mesures dediscrimination positive ou des actionsaffirmatives. A cet égard, la Convention pourl’élimination de toutes les formes dediscrimination raciale, à laquelle le Congo estpartie, prévoit explicitement l’établissement demesures temporelles pour la promotion desgroupes marginalisés, sans que ceci soitinterprété comme une contradiction duprincipe d’égalité des droits.

B) LE CADRE JURIDIQUE NATIONAL

La lutte pour l’égalité et contre ladiscrimination des peuples autochtones et desautres groupes vulnérables est un objectifexprès du cadre constitutionnel qui établit lesprincipes généraux du cadre juridique etpolitique en République du Congo. Ainsi, laConstitution congolaise énonce dans sonarticle 8 le principe général de non-discrimination, dans les termes suivants : «Tous les citoyens sont égaux devant la loi. Estinterdite toute discrimination fondée surl’origine, la situation sociale ou matérielle,l’appartenance raciale, ethnique…». A proposdes relations entre les différents peuples etethnies de la nation, l’article 44 prévoit « ledevoir de respecter ses semblables sans

IX. ANALYSE DES DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONESEN REPUBLIQUE DU CONGO

1. DROIT A L’EGALITE ET A LANON-DISCRIMINATION

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discrimination, d’entretenir avec eux desrelations qui permettent de promouvoir et derenforcer la tolérance réciproque. »

Ce principe de lutte contre la discriminationest spécifié dans la Charte de l’unité nationaledu 29 mai 1991 par rapport aux peuplesautochtones, même s’ils ne sont pasexplicitement désignés dans le texte. LaCharte énonce dans son article 4, alinéa 5 que« des dispositions institutionnelles doivent êtreprises en vue de lutter contre l’hégémonied’une communauté ethnique sur les autres».Pour ce faire, l’article 4, alinéa 6, affirme que« l’Etat a le devoir d’assurer la protection et ladéfense des minorités ethniques ».

Malgré les principes généraux énoncés dans lecadre constitutionnel congolais quireconnaissent les droits à l’égalité et à la non-discrimination des peuples autochtones, iln’existe pas actuellement de mécanismeslégislatifs ou de politiques publiques spécialespour mettre en oeuvre ces principes.

C) LA DISCRIMINATION DANS LA PRATIQUE

Les peuples autochtones en République duCongo continuent de faire l’objet d’unediscrimination systématique et structurelle quiaffecte pratiquement tous les aspects de leurexistence individuelle et collective. Cettediscrimination trouve des racines profondesdans l’histoire et la culture du pays et n’estpas une conséquence directe des politiquesgouvernementales ou du cadre législatifexistant. Toutefois elle est renforcée par lemanque de mécanismes spécifiques dans lalégislation et les politiques gouvernementalesqui tiennent compte des conditions de vie etdes besoins particuliers de ces groupes.

La gravité de la situation de discriminationdont souffrent la plupart de communautésautochtones du pays a été signalée, avecinquiétude, par plusieurs organisationsinternationales ayant une compétence avéréeen matière de droits de l’Homme, notammentdans un rapport officiel préparé par le Bureauinternational du travail (BIT) qui est lesecrétariat de l’OIT.

Au Congo, les systèmes sociaux desBambendjele et des Baka, à titre d’exemple,sont ignorés de l’extérieur. Partout où il existedes activités d’exploitation de forêts, desactivités gouvernementales ou des

‘Personne ne veut être commeles autochtones’Dans la société congolaise, lesautochtones n’ont pas bonne presse,personne ne veut être comme eux.Leur nom et leur mode de vie sontsynonymes d’injure. Tous les enfantsle savent dès leur plus jeune âge.Dans les écoles et dans lesadministrations, les attardés, lepersonnel domestique ou les élèvespeu intelligents, ceux qui ne portentpas de beaux habits sont qualifiés de« pygmées », « Mombenga » ouencore « Mubongo ». Même lesmusiciens le disent. « Mombenga asuile 15 » (le Pygmée a perçu laquinzaine), pour celui qui ne s’habilleque pendant les fêtes ou pendant lepaiement des salaires.

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programmes médicaux qui ont besoin detoucher un vaste public, les promoteurs ciblentd’abord les Bantous des villages auxquels sontassociés les Bambendjele et non pas lesvillages des Bambendjele eux-mêmes ; ce quifait que toute action en faveur des peuplesautochtones est facilement interceptée par lesBantous. Les Bambendjele sont considéréscomme la propriété des Bantous et, parconséquent, ces derniers ne veulent pas qu’ilssoient représentés au niveau local ou régional.

Les Bantous traitent les Bambendjele commeleurs esclaves et les considèrent comme dessous-hommes, des êtres sales, paresseux,cupides, stupides, puérils et ne s’intéressantnullement au développement. Chez lesBabongo, installés depuis fort longtemps dansle district de Sibiti, 63 % déclarent que leursrelations avec les Bantous sont mauvaises,caractérisées par l’inégalité sociale oul’exploitation. Cette discrimination est encorerenforcée par les attitudes officielles, quitendent à percevoir le mode de vie deschasseurs-cueilleurs comme primitif et indignedu patrimoine national. Et pourtant leursconnaissances des vertus curatives etmagiques des plantes de même que leurs donspour la danse et le chant font partie del’héritage national20.

L’étude élaborée par le Groupe de travail surles communautés/populations autochtones dela Commission africaine des droits de l’Hommeet des peuples sur les droits autochtones dansle continent, décrit aussi sans ambages cettesituation de discrimination :

A travers toute l’Afrique centrale, lespeuples autochtones/Pygmées sontvictimes de discrimination. Ils ne peuventni manger, ni boire avec leurs voisins, illeur est interdit d’entrer dans leursmaisons et ils ne peuvent pas avoir

d’autres partenaires sexuels que ceux deleur propre groupe ethnique. Lesautochtones/Pygmées vivent aux alentoursdes villages des autres peuples. Cetteexclusion est moins ressentie dans lesvilles, même si de sérieux préjudicespersistent encore contre lesautochtones/Pygmées, surtout en termesde commentaires dérisoires21.

A propos de la République du Congo, lamission officielle de recherche et d’informationde la Commission africaine effectuée dans cepays en 2005 conclut :

« L’histoire des « pygmées » enRépublique du Congo a, même pendant lapériode coloniale, toujours été marquéepar des stéréotypes négatifs allant jusqu’àêtre considérés comme des sous-hommes.La Mission a pu se rendre compte duniveau d’exclusion et de marginalisationdont souffrent les autochtones « pygmées» en République du Congo. Un taux élevéd’analphabétisme malgré les effortshistoriquement réalisés dans ce domainepar la République du Congo, la nonprotection juridique de leurs terresancestrales et l’impact de l’exploitationforestière, la pratique de servitude ou «Maître des pygmées » dont un grandnombre continue de souffrir, les violenceset abus sexuels dont sont souventvictimes les femmes pygmées sans quececi fasse l’objet de la préoccupation desautorités publiques, l’inaccessibilité auxsoins de santé primaire, la non jouissancedu droit de citoyenneté au même titre quele reste de la population sont autant destraits dominant de l’état criant des droitsde l’Homme que la mission a relevé ausein des communautés « pygmées » de laRépublique du Congo22 ».

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La situation de discrimination généraliséevécue par les groupes autochtones lesempêche de jouir des droits et libertésaccordés à tous les citoyens et citoyennes surun pied d’égalité. Cette discrimination peut-être alors considérée comme un élémenttransversal qui affecte directement ouindirectement le reste des droits analysés dansce rapport. Des circonstances structurellesinscrites dans la culture des institutions et dela population nationale en général méritentune attention spéciale.

L’ETAT ET LES PEUPLES AUTOCHTONES

Bien que le droit congolais ne fasse pasouvertement de discrimination envers lespeuples autochtones, l’Etat a omis dereconnaître ou de valoriser leur mode de vie etleur culture propres. Ni la structureadministrative, ni la législation nationale netiennent compte du mode de vie deschasseurs-cueilleurs. Ceci couvre tous lesaspects de la vie et des moyens desubsistance des peuples autochtones, ycompris, et surtout, leur droit d’accès, decontrôle et de propriété sur les terres et lesressources naturelles, mais aussi leurparticipation à la gouvernance et à la prise dedécisions, leur intégrité culturelle, leurassistance sociale et leur développement ainsique l’accès à la justice.

Le discours officiel met à l’égal du Bantou lapersonne autochtone en tant que citoyencongolais à part entière.

Historiquement, on a toujours pensé que lespeuples autochtones sont des gensabandonnés, égarés et très peu évolués etqu’il fallait donc les aider à intégrer la société.C’est pourquoi en 1971, le défunt présidentMarien Ngouabi (1968-1977) a tenu desdiscours d’égalité entre les communautés

congolaises, en lançant l’idée des villagescentres en faveur des peuples autochtones oùils devaient vivre aux côtés d’autrescommunautés pour bénéficier des biens de lamodernité.

Aujourd’hui, ce discours d’intégration est entrain de changer grâce aux remous créés parl’action de la société civile, notamment lerapport de l’OCDH et toutes ses conséquences: le gouvernement veut mettre en place uneloi sur la protection des peuples autochtones,passant ainsi d’une approche intégrative à unequi reconnaît la diversité culturelle et les droitsde ces peuples.

Dans les récents discours parlant de modernitéet de développement, nombre de décideurscontinuent de justifier la discriminationmassive des autochtones en expliquant qu’ilsse sont marginalisés du fait même de leurcomportement vis-à-vis de la modernité.23

Cette fois encore, cette justification impliqueque les Pygmées sont en quelque sorteresponsables du fait que l’Etat ne soit pasparvenu à tenir compte de leur culture et deleur mode de vie particuliers.

PEUPLES AUTOCHTONES ET

COMMUNAUTÉS AGRICOLES

Si la législation congolaise assure visiblementune protection aux minorités ethniques, etdonc aux peuples autochtones dans leurcohabitation avec les Bantous, dans lapratique, les relations entre Bantous etpeuples autochtones demeurent difficiles,même discriminatoires, en dépit de quelquestimides évolutions. Ce sont des relationsfondées sur la subordination de l’esclave aumaître.

Pendant des siècles, cette discrimination a étéjustifiée par un tissu complexe de concepts, de

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stéréotypes, de mythes et de mensonges surles peuples autochtones. Ces justifications,bien qu’elles soient choquantes pourbeaucoup, sont encore communément admisespar ceux qui pratiquent la discrimination etservent à expliquer leur comportement.

Le terme que des villageois utilisent pour lespeuples autochtones provient certainement deBatswa qui lui vient du verbe Kitswa, ce quiveut dire adopter quelqu’un, le mettre sousvotre protection en ce qui concerne sacouverture, son alimentation, son éducation etson habillement. Pour les Téké, (ethniemajoritaire que l’on retrouve dans diversdépartements de la République du Congo), lespeuples autochtones seraient de « grandsenfants orphelins » qu’ils dont ils ont lamission et la charge de nourrir. Les Tékédisent que c’est le « fardeau » de l’hommetéké et que c’est une mission divine. Ainsi, leterme Batswa découle du mot téké Kitswa(ontswa au singulier et Batswa au pluriel :celui qui est nourri ou ceux qui sont nourris24).

Comme l’expliquent Woodburn25 et Lewis26, onprétend souvent que les chasseurs-cueilleursvivent comme des animaux sauvages etn’aiment pas les êtres humains. Ceci faitréférence à leur vie dans la brousse, leurmobilité, le fait qu’ils ne soient paspropriétaires et leur régime alimentaire lié à lachasse et à la cueillette. Ces préjugés sont liésaux notions mensongères selon lesquelles ilsne sont pas civilisés et qu’ils sont sales. A celas’ajoute le discours que tiennent les Bantousclamant leur droit de propriété sur les peuplesautochtones27.

Dans quelle mesure cette notion est contestéeou acceptée varie dans l’ensemble du paysmais les exemples suivants montrent en quoices discours existent encore aujourd'hui. Dans

le village de Bené II ou à Gamboma dans ledépartement des Plateaux, par exemple, leshabitants tékés lors des entretiens avec lesmembres des équipes de chercheurs, ontclairement dit qu’ils sont les « pères », mieuxles « protecteurs », des autochtones. Cespropos confirment l’emprise de ces Bantoussur les communautés autochtones qu’ilsmanipulent à leur guise. Ce sont leursesclaves, ils peuvent être bastonnés, molestéset chassés du village, sans aucuneintervention.

Dans la Likouala, malgré la volonté desautorités administratives et policières de fairerespecter les droits de l’Homme, lesautochtones subissent l’emprise des maîtresbantous. L’autochtone reste serviable à sonmaître. Cette servitude est le fait del’avilissement des peuples autochtones durantdes années. Souvent on prend ce côtéserviable des Pygmées comme argument pourdisposer d’eux.

Mais à Dongou, cette emprise des maîtresbantous tend à s’atténuer. Ndgemba etBandzoko qui sont deux puissants maîtresperdent parfois le contrôle de « leurs Pygmées». Ceux-ci considèrent les Bantous commeleurs amis, et vivent sans influence de leursmaîtres. Ce point est renforcé par les travauxde Jérôme Lewis avec les peuples autochtonesMbendjele qui savent que les Bantous disentqu’ils sont leurs maîtres. Les Mbendjele saventaussi que ce n’est pas vrai. Ils soutiennentqu’ils sont libres de vivre dans la forêt et desuivre leur mode de vie, en nouant desrelations avec les communautés villageoises dedifférents secteurs, en fonction de ce qu’ils ontà gagner desdites relations28.

Toutefois, malgré les preuves du contraire, lesjustifications complexes de la discrimination

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sont, dans une certaine mesure, encoreacceptées au Congo, de sorte que lamarginalisation, l’exploitation et les conditionsd’esclavage ont perduré au niveau local etnational, sans être remises en cause de façonsystématique.

RELATIONS MAÎTRE – ESCLAVE

La pratique des maîtres est une formed’assujettissement des peuples autochtonespar les Bantous. Certains Bantous seconsidèrent comme étant des propriétaires etprotecteurs naturels de certains clans depeuples autochtones. A ce titre, ils ont le droitde les astreindre à toutes sortes de besognesà leur profit, sans contrepartie. Ils peuventdisposer des biens de ces Pygmées, voire deleurs femmes ou enfants selon leur bonvouloir. Ils prétendent pour justifier ces lienscimériques, être issus des mêmes ancêtres,d’où la noble mission de protéger leurs «parents Pygmées ». Il s’agit en réalité d’unearnaque légendaire qui consacre une nouvelleforme d’esclavage aujourd’hui reconnue etacceptée dans la coutume bantoue deslocalités où on rencontre les autochtones.

Au fil du temps, cette pratique discriminatoires’est internalisée dans les mentalités des unset des autres. Dans plusieurs contrées dupays, les peuples autochtones pensent que lesBantous sont leurs maîtres. Ces relationstrouveraient leurs sources dans les liensclaniques qui lieraient les deux peuples. Lesautochtones expliquent que depuis des siècles,les Bantous vivent avec eux, pour leurapporter assistance et protection. Dans laLékoumou, par exemple, et le cas est valabledans d’autres départements, certainsautochtones regrettent de n’avoir pas pourchef de famille un Bantou, un riche qui puisseles défendre.

Là où la puissance des maîtres est forte,l’autochtone a « l’obligation de prêter sesservices » (travaux des champs, chasse auxgibiers, coup de la noix, …) au maître bantou,sans attendre en retour une quelconquerécompense. D’autres autochtones donnentleurs enfants comme domestiques chez leBantou. Pour tout cela, l’autochtone attend deson maître une assistance en cas de litige dedettes ou autres, ou en cas de malheur, parexemple un décès. D’après les témoignagesrecueillis dans la Lékoumou, dans la Likoualaet le Niari, ces relations sont en défaveur desautochtones.

Dans le département de la Likouala, l’emprisedes « Maîtres bantous » sur les Pygmées esttrès forte et nul ne doit s’y opposer. Même lesautorités administratives et politiques n’osentla proscrire de peur de s’attirer les foudres deschefs locaux. D’ailleurs plusieurs responsablespolitiques de la contrée sont des « Maîtres desPygmées » et cette situation leur permetd’avoir de la main-d’œuvre bon marché. Lapratique ici est considérée comme naturelle etles « Maîtres » justifient la légitimité de leurdroit de propriété sur certains clans de peupleautochtone par l’héritage du pouvoir de leursaïeux souvent anciens chefs de clans bantous.Ils prétextent même des liens de parentéimaginaires pour renforcer leur mainmise surces Pygmées. Pour leur part, les autochtonesse confortent de cette tutelle des Bantous etont recours à leurs « Maîtres » pour toutproblème. D’autant plus que ceux-ci seprésentent à eux comme étant leursprotecteurs.

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A Boyélé et Enyélé par exemple, l’emprise des« Maîtres bantous » est plus forte. Ils peuventcontraindre les autochtones aux travaux forcés(champêtres, domestiques, chasse, pêcheetc.) en contrepartie de friperies, bâtons decigarettes ou litres de vin de palme. Gare auPygmée qui n’obtempérera pas à cettepratique considérée comme normale. Un

Pygmée se doit d’obéir à son « Maître » etaucune rébellion ne peut être tolérée souspeine de battue ou d’envoûtement car, dansleurs croyances, les Maîtres ont également undroit de punir mystiquement, même à mort,un autochtone désobéissant, d’autant qu’ilssont leurs protecteurs contre les forcesmaléfiques.

Interdit de s’adresser directement aux peuples autochtonesCourant août 2005, dans la Likouala, la mission de l’OCDH a eu une séance de travailavec le Secrétaire Général de la Sous-préfecture d’Enyélé représentant le Sous-Préfeten mission. Après avoir écouté les délégués de l’OCDH, le Secrétaire Général aaffirmé que toute initiative contribuant à l’amélioration des conditions de vie desautochtones était la bienvenue et que cela était conforme aux directives dugouvernement qu’il devait appliquer sans faille. La Sous Préfecture d’Enyélé, a-t-ilajouté, compte le plus grand nombre de Pygmées au Congo par rapport aux autres.Ils sont même plus nombreux que les Bantous dans la localité. Ensuite, lereprésentant du Sous-Préfet a interdit à l’équipe de chercheurs d’aller directements’adresser aux peuples autochtones de la localité sans avoir obtenu l’autorisation deleurs maîtres bantous. « Vous ne pouvez vous adresser aux Pygmées qu’en présenceet avec l’aval de leurs maîtres bantous. Ils peuvent faire appel à des milliers dePygmées s’il le faut. C’est alors que vous pourrez leur parler », a-t-il conclu.

« ‘Tu es mon Pygmée »Les maîtres bantous procèdent par des ruses en offrant à crédit aux personnesautochtones du vin de palme local (Pèkè) vendu à 100 FCFA le litre, en contrepartiedes prestations fournies. Ces dettes, qui sont souvent surévaluées du fait que lesindividus autochtones sont analphabètes, sont prétextes à toutes formes deharcèlements et d’exploitation. La mission a pu voir courant août 2005 la fille duMaître bantou du village, âgée d’environ 15 ans, apostropher un adulte autochtonepour une dette de 200 FCFA qu’il aurait contracté envers elle après avoir consomméson vin de palme. Elle a exigé qu’il lui payât sur le champ. Celui-ci la supplia depatienter en affirmant qu’il n’avait pas encore l’argent pour faire face à cette dettequ’il reconnaissait. Devant cette supplication, elle accepta de lui laisser un délai desursis. « Si tu n’étais pas mon Pygmée, j’allais te ridiculiser et te faire du mal. Maistu dois tout faire pour me payer le plus tôt possible, sinon gare à toi », a-t-elleconclu.

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La plupart des responsables politiques etadministratifs rencontrés par les différentesmissions de l’OCDH ont manifesté une volontéde contribuer à l’amélioration de la situationdes peuples autochtones sans pour autantprésenter un programme d’action précis. Parailleurs, certains comme à Enyélé, n’ont pashésité à cautionner la pratique des « Maîtresbantous ».

D) CONCLUSIONS

Les dispositions constitutionnelles quiprescrivent la tolérance mutuelle entre lesdifférentes composantes de la nationcongolaise sont des opportunités importantespour la promotion et la protection des peuplesautochtones. Mais ces textes doivent êtrerenforcés par des décisions contre la gravediscrimination dont sont victimes, encoreaujourd’hui, les peuples autochtones.

Cette situation de discrimination trouve desracines profondes dans l’histoire et la culturedu pays et n’est pas une conséquence directedes politiques gouvernementales ou du cadrelégislatif existant. Toutefois elle est renforcéepar un cadre juridique qui ne prévoit pasl’adaptation des règles générales aux cultureset modes de vie des communautésautochtones, parfois distincts du reste de lapopulation.

Dans un souci d’égalité réelle, et passeulement formelle, des personnesautochtones, la législation congolaise devraitétablir des mécanismes de discriminationpositive ou d’action affirmative. Ces mesures,loin de créer des « droits spéciaux », ont pourobjet l’acquisition d’un même niveau dejouissance de droits que le reste de lapopulation nationale par des groupesnécessitant une protection particulière del’Etat. Ces mesures ne peuvent être utilisées

comme mesures de discrimination oud’exclusion des groupes qu’elles ciblent.

Parallèlement à l’établissement de mesures dediscrimination positive ou d’action affirmativedans la législation en faveur des peuplesautochtones, il serait nécessaire d’inclure desdispositions contraignantes visant à réprimertoute discrimination à leur égard, en prévoyantdes mesures pénales qui mettent en œuvre lesnormes constitutionnelles contre ladiscrimination des minorités ethniques.

E) RECOMMANDATIONS

Il conviendrait que la future loi renferme lesobjectifs suivants :

1. La loi congolaise doit s’assurer que lespeuples autochtones jouissent pleinement eteffectivement des droits que le droitinternational et la loi nationale garantissent àl’ensemble de la population congolaise.

2. En l’absence d’égalité entre les peuplesautochtones et le reste de la populationcongolaise, il est indispensable d’adopter desmesures spéciales afin de protéger les droitsdes peuples intéressés, sans qu’aucune formed’atteinte ne soit portée à leur qualité decitoyen.

3. La loi doit prêter une particulière attentionau respect de l’exercice des droitséconomiques, sociaux et culturels despopulations autochtones sur un pied d’égalitéavec le reste de la population congolaise.

4. La loi doit condamner tout agissementvisant à maintenir une catégorie de lapopulation congolaise dans une situation dedomination ou d’infériorité, et prévoir dessanctions pénales à l’encontre de tout acte dediscrimination contre les personnesautochtones.

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A) LES STANDARDS INTERNATIONAUX

Une émanation de la norme internationale del’égalité et de la non-discrimination par rapportaux peuples autochtones est le droit despersonnes appartenant à ces peuples de jouir,au même niveau que le reste de la populationnationale, de l’ensemble des droits civils etpolitiques associés à la condition decitoyenneté.

Ainsi, par exemple, les dispositions de laConvention Nº 169 de la OIT énoncent leprincipe généralement accepté, même par lesÉtats qui n’ont pas ratifié l’instrument, que lespeuples autochtones « doivent jouirpleinement des droits de l'Homme et deslibertés fondamentales, sans entrave nidiscrimination » (article 3.1), et parconséquent, l’obligation des gouvernementsd’« assurer que les membres desdits peuplesbénéficient, sur un même pied d'égalité, desdroits et possibilités que la législationnationale accorde aux autres membres de lapopulation».

L’introduction de mesures de protection ou dediscrimination positive ou d’actionsaffirmatives dans les législations et lespolitiques des États par rapport aux groupesautochtones est toujours inspirée par ceprincipe, de manière à ce que ces mesures neportent « aucune atteinte à la jouissance, sansdiscrimination, de la généralité des droits quis'attachent à la qualité de citoyen » (article4.3).

Une mesure fondamentale pour assurer lapleine jouissance des droits de citoyenneté estla reconnaissance de la personnalité juridique,

dépendant dans la plupart des pays del’obtention de certificats de nationalité oud’identité. En raison des conditions généralesd’isolation ou de marginalisation de la viepolitique et sociale des pays où cespopulations se trouvent, le droit international amis l’accent sur le droit des peuplesautochtones «[d’]obtenir, à titre individuel, lacitoyenneté de l'Etat dans lequel ils résident »(Projet de Déclaration des Nations Unies,article 32).

Finalement, la protection accordée aux droitsde l’Homme et des libertés fondamentales estdépendante, en grande partie, de la possibilitéd’accès a un système de justice indépendantet effectif qui protège les individus contre lesviolations de ces droits et libertés. Le droitinternational reconnaît que, très souvent, lespeuples autochtones demeurent en marge dessystèmes formels de justice de l’Etat, etreconnaît comme principe la nécessité degarantir spécialement ces droits. Ainsi, laConvention Nº 169 reconnaît que « [l]espeuples intéressés doivent bénéficier d'uneprotection contre la violation de leurs droits etpouvoir engager une procédure légale,individuellement ou par l'intermédiaire de leursorganes représentatifs, pour assurer le respecteffectif de ces droits » (article 12).

B) LE CADRE JURIDIQUE NATIONAL

En vertu de ces dispositions qui permettentd’attribuer la nationalité congolaise aussi bienpar la filiation (jus sanguini) que par le lieu denaissance (jus soli), les peuples autochtonessont des Congolais. Rattachés ainsi à l’Etatcongolais par le lien légal de la nationalité, lespeuples autochtones sont censés, à l’instar detous les Congolais, bénéficier de la jouissancedes droits civils et politiques.

2. DROIT DE CITOYENNETE ETACCES A LA JUSTICE

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La jouissance effective de certains de cesdroits, et notamment du droit à la personnalitéet à la participation politique, nécessitel’acquisition d’un certain nombre d’actes quiapportent la preuve de l’état de la personne, àsavoir les actes de l’Etat civil. En effet, l’article22 du Code de la famille prévoit que « l’étatdes personnes n’est établi et ne peut êtreprouvé que par les actes de l’Etat Civil. Toutesles naissances, tous les mariages et tous lesdécès sont inscrits sous formes d’actes sur lesregistres de l’Etat civil ».

La délivrance de ces actes est gratuite, ceciconformément à l’article 23 du Code de lafamille, notamment la déclaration de naissancequi est une pièce essentielle dansl’établissement de l’acte de naissance exigépour l’établissement de la carte nationaled’identité ainsi que d’autres documents utiles àl’exercice de la vie civile et professionnelled’un individu. La loi confère à la déclaration denaissance un caractère obligatoire. Mais lestextes de cette loi ne prévoient aucunmécanisme d’application adapté aux conditionsde vie spécifiques des populations autochtoneset, de ce fait, les exposent à des pénalitésqu’ils ne peuvent malheureusement pas payerfaute de moyens.

Par rapport au droit général d’accès à lajustice, les personnes autochtones ontformellement le droit, sur un pied d’égalitéavec tous les Congolais, de saisir les autoritésjudiciaires et administratives compétentespour faire constater ladite violation et obtenirréparation. Ainsi, la Constitution garantit àtout citoyen « le droit de présenter desrequêtes aux organes appropriés de l’Etat »(article 40). Ceci inclut, comme cela estreconnu dans le Code la famille, que « touteatteinte illicite à la personne humaine, justifiecelui qui la subit de demander qu’il y soit mis

fin, sans préjudice de la responsabilité quipeut en résulter pour son auteur» (article 6).Ces dispositions ne prévoient pas la mise enœuvre de mesures spéciales pour garantir lajouissance de ces droits par les personnesautochtones.

D’autres dispositions constitutionnelles etlégislatives congolaises régulent la protectionet l’exercice des droits civils et politiquesreconnus par les instruments internationauxdes droits de l’Homme auxquels le Congo estpartie. Certaines des dispositions les plusimportantes pour les personnes autochtones,en raison de leur condition spécifique devulnérabilité dans la jouissance des droits decitoyenneté, sont les droits à la protectioncontre la détention arbitraire, (article 9.2 de laConstitution) ; le droit à la présomption del’innocence (ibid.) ; et la prohibition de toutacte de torture, de traitement cruel, inhumainou dégradant (article 9.3 de la Constitution).La liberté sexuelle est garantie par laprohibition du viol dans l’article 332 du Codepénal.

C) L’EXERCICE DES DROITS DE CITOYENNETÉ ET

ACCÈS À LA JUSTICE DANS LA PRATIQUE

DES PERSONNES SANS IDENTITÉ ?

La délivrance de cartes d’identité à despersonnes autochtones est peu satisfaisante.L’éloignement des centres hospitaliers, descampements ou villages des peuplesautochtones ne favorise pas l’accouchementdes femmes autochtones dans les hôpitaux oules centres de santé. Ce qui ne permet pasd’obtenir la déclaration de naissance qui estl’élément fondamental pour l’obtention del’acte de naissance. Cette question, qui sepose aussi bien au niveau des populationsbantoues des villages enclavés, se pose avecplus d’acuité en milieu autochtone.

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Le principe de la gratuité des originaux desactes de l’Etat civil édicté par la loi n’est pasrespecté. A Bivela, localité située à 165kilomètres de Pointe-Noire dans ledépartement du Kouilou, les présidents descomités de village qui sont des officiers del’Etat civil, conformément à l’article 25 duCode de la famille, octroient les actes denaissance aux personnes autochtonesmoyennant la somme de 1.500 FCFA. Cettesituation est presque identique dans tous lesdépartements du Congo étudiés dans cerapport.

Par ailleurs, l’inexistence des centresd’identification dans les localités à forteconcentration de population autochtone, renddifficile la délivrance de cartes nationalesd’identité. Ces cartes, qui ne sont d’ailleursplus délivrées depuis près de dix ans, ont étéillégalement remplacées par une attestationd’identité dont la validité est de 6 à 12 mois.Cette attestation est vendue selon lescommissariats entre 2.000 et 3.000 FCFA. Lesmembres des communautés autochtonesdépourvus de moyens financiers ne peuventdonc se la procurer. En outre l’établissementde cette pièce exige la présentation d’un actede naissance dont les peuples autochtones nedisposent pas. Par conséquent, ils ne peuventpas circuler librement sur les routesnationales, car ils sont considérés commeclandestins faute de pièce d’identité. A celas’ajoute le manque d’information de cespeuples sur l’importance de ces pièces, surtoutqu’au niveau de l’administration, les agentschargés d’établir ces pièces sont des Bantous,qui malheureusement, ont peu deconsidération pour les peuples autochtones.

Il ressort de cette analyse que les peuplesautochtones dépourvus des pièces essentiellespermettant de justifier leur appartenance à la

nation congolaise ne sont pas reconnus parl’Etat congolais. Cela les désavantagesérieusement en termes d’accès aux servicespublics et à la jouissance de certains droits etlibertés.

Sans pièce d’identité, les peuples autochtonesne peuvent, en principe, pas exercer leur droitde vote. Cependant exceptionnellement, laquasi-totalité des autochtones en âge de voteront accompli leur devoir en 2002. Des cartesd’électeurs leur ont été attribuées surdemande des candidats qui ont par la suite faitvoter les autochtones comme des moutons,pour des besoins d’électorat sans exigenced’une quelconque pièce d’identité. L’exercicedu droit de vote n’est donc pas libre.

Le vote des peuples autochtones se fait sousinfluence des hommes politiques dans laquasi-totalité des départements du Congo. DeNgo jusqu’à Koumou (département desPlateaux), les peuples autochtones seraientobligés de voter pour le chef coutumier le plusinfluent de la contrée sous peine dereprésailles. Les autochtones ne peuvent paspasser devant la maison de ce chef.

L’achat des votesCourant 2002, dans le village deMassissa, district de Madingo-Kayes,département du Kouilou, la majoritédes autochtones en âge de voter ontaccompli leur devoir, bien que n’ayantpas été recensés ; car ils ont reçu descartes d’électeurs qui leur ont étédonnées par un candidat à ladéputation qui leur a demandé devoter pour lui.

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A certaines occasions, le manque de piècesd’identité ne permet pas aux autochtonesd’avoir accès à la documentation nécessaireconcernant la chasse et l’enregistrement deleurs fusils, ce qui entraîne des problèmessporadiques avec les autorités dans le cadrede l’exercice de leurs activités traditionnelleset de subsistance. Ceci affecte la capacité desautochtones à accéder et utiliser leursressources naturelles.

Le manque de cartes nationales d’identitéempêche les autochtones de voyager, car surles routes nationales, les agents de police lesobligent à descendre systématiquement desvéhicules et les traitent comme desclandestins, bien qu’ils vivent dans la localitéet aient un domicile connu. La peur d’êtredétenus ou soumis à un mauvais traitementempêche les autochtones de jouir pleinementde leurs droits à la libre circulation sur leterritoire national.

L’ACCÈS À LA JUSTICE

Malgré les garanties constitutionnelles, l’accèsà la justice des communautés autochtones auCongo est loin d’être une réalité. Compte tenude l’absence de tribunaux dans les localités àforte concentration de population autochtone,la justice est rendue par les services de police,en leur qualité d’auxiliaire de justice. Maisl’éloignement des postes de police, le manquede moyens financiers nécessaires au paiementdes frais de justice auxquels s’ajoute lacorruption qui caractérise certains agents depolice poussent souvent les autochtones à serésigner devant les exactions dont ils sontvictimes.

Les équipes sur le terrain n’ont trouvé aucunexemple de reconnaissance des systèmesautochtone de justice traditionnelle. Lescommunautés autochtones ont leurs propressystèmes de règlement des conflits mais ils nesont pas reconnus. Car la justice est renduepar un seul ordre de juridiction. Lesjuridictions ne statuent pas sur la base desnormes coutumières.

Souvent, en cas de contentieux, les membresdes communautés autochtones vontdirectement vers les chefs bantousresponsables des villages.

A Ngoua II, dans le département du Niari, ilexiste un comité d’administration de lacommunauté autochtone différent du comitéde village. Ainsi, il y a un président quidispose d’un bureau composé d’un vice-président et d’un secrétaire général. Ceprésident, sur initiative des autorités sous-préfectorales, a été élu par les membres de lacommunauté.. Ce comité a pour objet dereprésenter la communauté et de régler lesconflits internes.

Sans pouvoir de voyagerDans le département de la Lékoumou,plus précisément à Mouala, une jeunefemme a confié à l’équipe de l’OCDHayant effectué la recherche ennovembre 2005 qu’elle n’était jamaissortie de son village alors que c’étaitson plus grand souhait. Pour elle, lefait d’être autochtone réduit sa libertéde circulation car elle ne peut serendre nulle part sans être traitéed’autochtone : « Cela me fait honte etme fait mal si bien que je ne peux medéplacer de mon village alors que jele voudrais tant »

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Mais, il convient de noter que ce comité nejoue qu’un rôle de façade car sur le planinterne son autorité est niée et n’a aucunpoids. D’ailleurs, le comité du village, constituéuniquement des Bantous, l’ignore et ignore sesavis ou décisions. De même, en cas de conflitentre Babongos, ceux-ci préfèrent saisir lecomité du village, montrant ainsi le manquede crédit qu’ils accordent à leur comitéinterne.

Dans quelques communautés, par exemple àDongou dans la Likouala, l’église s’implique deplus en plus dans les conflits.

Les recours exercés par les peuplesautochtones devant les chefs de villages, quisont des Bantous, en vue du règlementamiable d’un différend opposant un autochtoneà un Bantou, sont difficilement examinés. Ceschefs de village ne tiennent pas compte de

l’équité dans leurs décisions. L’individuautochtone est souvent condamné devant leBantou même s’il a raison. C’est une situationquasi-générale dans tout le pays. Dans lesrares cas où la décision rendue est favorable àl’individu autochtone, celle–ci n’est souventpas respectée ni exécutée. Il se pose aussi unproblème de suivi des dossiers.

LA VIOLENCE CONTRE LES PERSONNES

AUTOCHTONES

Dans la pratique, la protection qu’assure, defaçon générale, la législation congolaise auxpeuples autochtones ne permet pas à cesderniers de jouir effectivement de leurs droits.Comme l’OCDH a pu le constater dans sonrapport préliminaire de 2004 sur « La situationdes pygmées en République du Congo », lesindividus appartenant aux communautésautochtones souffrent plus souvent que ceuxappartenant aux autres secteurs de lacommunauté nationale d’actes de torture oude traitements cruels, inhumains etdégradants, qui sont imputables soit auxautorités publiques, soit aux Bantous vivant encommunauté avec les autochtones dans lesvillages. Le rapport de l’OCDH souligne aussile préoccupant niveau de violences sexuellesauxquelles sont soumises les femmesautochtones par les Bantous, y compris lenombre important de viols et les violencesdomestiques vécues au sein de leurs proprescommunautés. Dans d’autres cas, lespersonnes autochtones sont victimes d’actesde destruction ou d’expropriation de leurpropriété, surtout – mais pas exclusivement –par rapport à leurs terres traditionnelles.

L’alarmant niveau de violations des droitsfondamentaux des peuples autochtones est dûà la discrimination dont ils sontsont victimesde la part des Bantous qui leur dénient

La violence avec impunité ?Courant septembre 2005, l’OCDH aconstaté le cas d’une jeune filleautochtone enceinte qui avait étébattue par un Bantou pour avoir tardéà aller cueillir le coco en forêt. Selon lecertificat médical établi par le médecinde Komono (faute de photocopie,l’équipe n’a pu obtenir cette pièceessentielle), la victime avait eu deslésions au niveau du bas ventre et ellea saigné pendant des jours.Emprisonné pendant quelque temps,l’agresseur est aujourd’hui libre etaucun dédommagement n’a étéaccordé à la jeune femme. L’affaire esten suspens auprès du tribunal.

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les attributs inhérents à la dignité humaine.Cette situation ne fait que s’aggraver du faitdu manque d’accès à la justice, qui lesempêche de saisir les autorités judiciaires et

administratives compétentes quand ils sontvictimes d’une violation quelconque de leursdroits afin de faire constater ladite violation etd’obtenir réparation.

Le fait de la tortureDans la localité de Bangui–Motaba (Dongou) dans le département de la Likouala, ilexiste un instrument de torture placé dans le hangar du chef de village (un troncd’arbre avec des trous dans lesquels on introduit de force les pieds des autochtones «délinquants »). Il y a un mécanisme pour serrer l’étau et coincer les jambes de lavictime qu’on allonge pendant des heures au soleil. Pendant ce supplice, il est battu parses bourreaux. Ce traitement n’est réservé qu’aux autochtones. Lors de la visite derecherche, en novembre 2005, nous avons pu voir une victime de cet instrument detorture qui portait encore les marques du supplice.

Battus à cause d’une detteLe non paiement des dettes par les peuples autochtones est souvent l’occasion de racléepar les Bantous. Lorsqu’un autochtone doit une somme à un Bantou, celui-ci, dans laplupart des cas, majore la créance lorsqu’il constate un retard de paiement. C’est ainsiqu’en juillet 2005, un Babongo, devait une somme d’argent de 10.000 FCFA à unBantou de Mbamba, village du district de Madingo - Kayes, département du Kouilou.Constatant un retard dans le paiement, ce dernier a doublé la somme à 20.000 FCFAaprès avoir rudement bastonné son débiteur. Il a menacé de le tuer s’il ne payait pas sadette. Depuis lors, il se cache dans la forêt et ne sort que très rarement de peur d’êtreattrapé par son créancier.

Un cycle d’exploitation, dette et tortureToujours à Mbamba, en août 2005, un Bantou avait remis une arme à un Babongo.Celui-ci fut surpris par les éco-gardes dans une zone de chasse interdite et ces dernierslui ravirent son arme. Le propriétaire de l’arme qui dut verser 15.000 FCFA pour larécupérer, a exigé du Babongo qu’il rembourse la somme de 25.000 FCFA, y compris,selon lui, des dommages et intérêts puisqu’il n’avait pu obtenir de gibier. Constatant unretard de paiement, il a fait appel aux auxiliaires de la police lesquels ont battul’autochtone et lui ont fait des tirs de sommation entre les jambes. Pris de panique, cedernier est allé s’endetter auprès d’un autre Bantou pour payer les 25.000 FCFA.

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Lorsqu’ils sont accusés de vol ou de tout autremotif, les peuples autochtones sont souventflagellés voire torturés par les Bantous s’ils neréussissent pas à fuir.

Les autochtones subissent parfois des torturesen prison. C’est le cas d’un jeune autochtonede la localité de Foula, dans le département dela Lékoumou, arrêté pour consommation dechanvre indien (diamba) ayant été transféré àla maison d’arrêt de Sibiti pour y purger sapeine. Pendant son incarcération, des policierslui ont demandé de laver un verre qu’il amalheureusement brisé par inadvertance. Il aété sauvagement battu jusqu’à ce que morts’en suive. Saisi, le tribunal n’est pas allé plusloin, ces policiers n’ont jamais été inquiétés.

LA VIOLENCE PAR LES AGENTS DE LA

CONSERVATION

Pendant la recherche dans le département dela Sangha en octobre 2005, les chercheurs ont

reçu des informations sur des abus et autresviolations des droits de l’homme par les éco-gardes. A titre d’exemples, un certain nombred’abus ont été relevés de la part des éco-gardes du Projet pour la gestion desécosystèmes périphériques du Parc nationalNoubale Ndoki (PROGEPP)29 sur lesautochtones Mbendjele. Les chercheurs del’OCDH ont visité entre autres les campementsd’Ibamba et d’Indongo dans le villaged’Ikelemba. Le constat a été le même. Leséco-gardes, cette espèce de milice privée quine dit pas son nom, terrorisent les Mbendjele,communauté très vulnérable.

Une chose est sûre, les populations Mbendjelepaient le plus lourd tribut du protectionnismeaveugle de la faune et des abus des éco-gardes parce que, peuples de forêt, ils viventessentiellement de chasse et sont lespremières victimes de l’instrumentalisation pard’autres citoyens congolais, conscients de leurimpunité.

Bastonnade à cause de suspicionEn octobre 2005, un Mbendjele, porte-parole du village Indongo, village Mbendjele enaval d’Ikelemba sur la Sangha, a croisé les éco-gardes au carrefour de la piste qui mèneà Ikelemba, alors qu’il revenait de la cueillette. Ces derniers l’ont interrogé avecbrutalité. Il déclare avoir été tabassé par des éco-gardes simplement sur la base dessuspicions selon lesquelles il est chasseur et surtout parce qu’il est pygmée car il neportait pas de fusil de chasse et aucun gibier ne se trouvait dans sa gibecière. Les éco-gardes l’ont battu pendant un long moment avant de le jeter dans leur véhicule encontinuant de le rouer de coups jusqu’à Ikelemba où les vieux du village, choqués par laviolence des éco-gardes, ont pu l’arracher de leurs mains pour le présenter au Présidentdu Comité du village (Préco) d’Ikélemba. Ce dernier, afin de clôturer l’affaire et pourfaire partir les éco-gardes, aurait demandé à l’infortuné de payer une amende arbitrairealors que celui n’avait rien fait. Il garde des séquelles de cet acte criminel des éco-gardes. En effet, son œil gauche est encore légèrement rouge, la tâche de sang quis’était coagulé ne s’est pas encore dissipée. Il dit pouvoir reconnaître l’éco-garde auteurdes coups et blessures sur sa personne. Il s’appellerait Apena. Le Préco d’Ikelemba leconnaît très bien.

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LA DISCRIMINATION ET LA VIOLENCE CONTRE

LES FEMMES AUTOCHTONES

Les femmes autochtones sont victimes deviolence sexuelle et d’une doublediscrimination – en tant que femmes et entant qu’autochtones - en fait la cible depratiques abusives qui violent leurs droits lesplus élémentaires.

Les femmes autochtones sont fréquemmentvictimes de viols commis par les Bantous. Maisles auteurs ne sont jamais punis. Dans laLékoumou, par exemple le chef des Babongosde Bihoua, raconte que « les auteurs de violsviennent souvent narguer la communauté et lavictime en exhibant ses sous-vêtements et ense ventant de leur exploit. De même, à NgouaII, nombre de femmes autochtones sontviolées dans les champs, dans les sentiers etmême dans leurs cases par les Bantous. Lesauteurs de ces actes sont identifiés mais ils nesont jamais inquiétés ». Ces actes de viol sontsouvent impunis, d’autant que les victimes,intimidées et démunies, ne jugent pas utile deporter plainte à la police.

La discrimination contre les femmesautochtones est particulièrement graveconcernant les mariages mixtes. Le mariage

mixte entre un homme autochtone et unefemme bantoue n’est pas concevable et estconsidéré comme un sacrilège, alors quel’inverse, c’est-à-dire entre une autochtone etun Bantou, est plus pratiqué. Ces mariages nedonnent lieu à aucun versement de sinonparfois la modique somme de 5.000 FCFA,alors que la dot est normalement fixée, selonle Code congolais de la famille, à 50.000 FCFA.

Il arrive souvent que la femme soit prise « enlocation » juste le temps de donner desenfants avant d’être renvoyée dans sa famille.Toute protestation de la famille de la femmeautochtone pygmée entraîne souvent desconflits entre les deux communautés etl’intervention fréquente de la police encouragedélibérément ce fait. Cette situation a étésouvent constatée dans les départements duNiari et de la Lékoumou où les filles tombantenceintes d’hommes bantous, sontabandonnées à leur triste sort.

En dehors du mariage, les femmes subissentaussi d’autres formes de discrimination. Lesfemmes autochtones sont chassées et parfoisconspuées au marché par les Bantouslorsqu’elles viennent vendre leurs produits,surtout des produits prêts à consommer

« Tu n’es qu’un Pygmée »En août 2005, un homme Mbendjele de plus de 45 ans, va en forêt pour couper deslianes dans un petit marécage. Il marchait sur la route au carrefour allant vers Indongodans le département de la Sangha, quand des éco-gardes surviennent et l’interpellent.Aussitôt, ils le piétinent avec leurs rangers, lui donnent des coups de pieds et lebastonnent sauvagement. Ils lui cassent deux côtes du côté droit. Suite à un coup depied à la mâchoire gauche, il perd des dents et sa mâchoire reste gonflée pendant desmois. Il avait du sang qui sortait d’une oreille. Sa culotte étant tombée au début de labastonnade, il est resté nu durant tout son calvaire devant des femmes et des enfantsde passage. Il a été abandonnée par terre, en sang, tandis qu’il entendait les menacesd’un des éco-gardes : « Tu n’es qu’un Pygmée, je peux te tuer avec mon arme et rienne m’arrivera ».

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Les femmes autochtones subissent aussi desdiscriminations de la part des hommes au seinde leur communauté. Il y a des cas où desfemmes autochtones n’ont pas la parole surles sujets les concernant. Il y a aussi des casde violence domestique dans les famillesautochtones, avec des femmes battues oudénudées devant les autres membres de lacommunauté, alors qu’elles sont parfois lesseules à s’occuper de toute la maisonnée.

Les enfants, tout comme les femmes,subissent de nombreuses discriminations : ilsdoivent d’abord travailler pour la maison (à laplace de leur père) avant toute chose, ycompris aller à l’école. Les jeunes filles sontlivrées au mariage précoce contre leur gré.Mais surtout, les enfants autochtones sonthués et critiqués par les petits Bantouslorsqu’ils se rendent à l’école. Ces railleriesdans les écoles ne les encouragent pas àpoursuivre leurs études.

D) CONCLUSIONS

Les observations sur le terrain décrivent lemanque de jouissance des droits de

citoyenneté par les personnes appartenant auxcommunautés autochtones. Malgré le principed’égalité énoncé dans la Constitutioncongolaise, les personnes autochtones – etsurtout les femmes autochtones - souffrentdans leur vie quotidienne de violations deleurs droits fondamentaux, les reléguant aurang de citoyens de deuxième catégorie.

Ce rapport a identifié trois facteursfondamentaux qui contribuent à perpétuer cetétat de choses, malgré l’intention affichée duGouvernement congolais de garantir les droitshumains de tous les citoyens.

Premièrement, le manque généralisé de cartenationale d’identité entre ces groupes.Deuxièmement, le manque d’accès auxmécanismes officiels de la justice. Et, entroisième lieu, la situation de discriminationgénéralisée dont sont l’objet les groupesautochtones, de la part des autorités publiquesou des communautés bantoues.

La garantie des droits civils et politiques despersonnes autochtones passe nécessairement

Ségrégation dans les centres de santéAu centre hospitalier d’Inkouele, situé à 32 km de Gamboma, dans le département desPlateaux, il existe une salle réservée uniquement aux femmes autochtones après leuraccouchement, aucune femme bantoue ne saurait y être logé. Il existe aussi, au sein decet hôpital, un bâtiment spécial pour interner les malades autochtones et, à l’intérieurde ce bâtiment, les lits ne sont pas équipés de matelas et les salles ne sont paséclairées contrairement à celles des Bantous. Cette exclusion existe depuis la créationde ce centre de santé vers les années 1950 et persiste jusqu'à nos jours.

(manioc ou morceaux de viande préparée).D’ailleurs, à Ngoua II – Moutamba il estinterdit, par le président du comité du village,à « toute femme Babongo de vendre desaliments préparés sous peine de se fairearrêter par la police et de payer une amende.»

Dans les centres de santé, les femmessubissent des discriminations à la fois de partdu personnel de santé et du fait des femmesbantoues qui ne supportent pas d’êtrecouchées dans un même lit que lesautochtones.

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par l’attention spéciale et prioritaire portée àces facteurs, à travers des mesures effectivesen promouvant l’octroi de cartes d’identité,l’accès à la justice sur un pied d’égalité, ainsique la prohibition et la sanction de toutediscrimination en raison de l’origine ethniquede ces personnes.

E) RECOMMANDATIONS

Par rapport à la jouissance des droits générauxde citoyenneté garantis aux tous les Congolais,la loi devrait :

1. Promouvoir l’obtention gratuite des piècesd’identité par les personnes autochtones,incluant l’institutionnalisation des équipesmobiles des services d’identification à ceteffet.

2. Garantir l’égalité d’accès à la justice despeuples autochtones.

3. Garantir le respect des droits de l’Hommedes peuples autochtones sur un pied d’égalitéavec le reste de la population congolaise.

4. Assurer la protection spéciale des peuplesautochtones contre les actes de torture ; lestraitements inhumains et dégradants ; lesatteintes au droit à la vie et à l’intégritéphysique ; les atteintes à la liberté decirculation ; l’esclavage et le travail forcé ounon rétribué.

5. Garantir d’une manière spéciale les droitsdes femmes autochtones à la pleine jouissancede tous les droits humains sur un piedd’égalité avec le reste de la populationcongolaise, notamment le droit de ne pas êtrel’objet de violence sexuelle ou de manipulationen raison de leur origine ethnique.

6. Instaurer des mécanismes spéciaux derépression des violations des droits del’Homme des personnes autochtones à causede leur origine ethnique.

A) LES STANDARDS INTERNATIONAUX

Le principe de l’auto-gouvernance, qui ne peutêtre associé au chauvinisme ethnique, seréfère tout simplement aux droits des peuplesconcernés à gérer les affaires qui leur sontpropres à travers leurs autoritéstraditionnelles, normes coutumières etsystèmes de valeurs. Bien que l’auto-gouvernance soit pratiquée dans les faits parces communautés, l’interaction entre lessystèmes d’organisation interne et lesstructures politiques et juridiques des États netrouve pas toujours un assemblage facile, engénérant des situations de discrimination.Cette difficulté entraîne la nécessité d’uncertain niveau de reconnaissance officielle desstructures internes de décisions des peuplesautochtones et des valeurs de leurs normescoutumières dans la gestion de leurs affaireslocales.

Le principe du respect des systèmesautochtones trouve des formulations dans lesinstruments spécifiques en matière de droitsde ces peuples. La Convention Nº 169renferme, par exemple, une reconnaissancegénérale des « institutions », « coutumes » etdu « droit coutumier » des peuplesautochtones dans le cadre de la législationnationale et le respect des droitsfondamentaux (articles 8.1 et 8.2).

Le même principe trouve son expression auregard des méthodes internes de répressiondes délits (article 9.1) ; de l’incorporation descoutumes autochtones par les tribunauxnationaux en matière pénale (article 9.2) ; etdu respect des méthodes coutumières detransmission de la terre (article 17.1).

3. DROITS A L’AUTO-GOUVERNANCEET A LA PARTICIPATION

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Dans le même ordre d’idées, le projet dedéclaration de l’ONU sur les droits des peuplesautochtones énonce leur « d'être autonomeset de s'administrer eux-mêmes en ce quiconcerne les questions relevant de leursaffaires intérieures et locales » (article 32).

L’auto-gouvernance des peuples etcommunautés autochtones n’empêche pasl’assujettissement aux normes nationales deréférence. En fait, la dimension externe desdroits des peuples autochtones à disposerd’eux-mêmes incorpore aussi des dimensionsexternes par rapport à leur participation dansles affaires publiques, soit au travers desmécanismes de représentation politique del’Etat, soit au travers des mécanismesadministratifs qui leur permettent decontribuer à la mise en oeuvre de politiquespubliques qui les touchent directement. Dansles termes du projet de déclaration de l’ONU,« Les peuples autochtones ont le droit demaintenir et de renforcer leurs spécificitésd'ordre politique, économique, social etculturel, ainsi que leurs systèmes juridiques,tout en conservant le droit, si tel est leurchoix, de participer pleinement à la viepolitique, économique, sociale et culturelle del'Etat » (article 4).

La Convention No. 169 de l’OIT consacre lesprincipes généraux de participation etconsultation, principes qui ont été accueillispar plusieurs instruments internationauxpostérieurs et qui sont généralement acceptésdans le droit international et comparé.

Par rapport aux institutions et autresorganismes de l’Etat, la Convention No. 169souligne les droits des peuples autochtones «à égalité au moins avec les autres secteurs dela population, [de] participer librement et àtous les niveaux à la prise de décisions dans

les institutions électives et les organismesadministratifs et autres qui sont responsablesdes politiques et des programmes qui lesconcernent » (article 6.2).

Par rapport aux programmes dedéveloppement et autres mesures officiellesqui les affectent, la Convention consacre ledevoir des États de « consulter les peuplesintéressés, par des procédures appropriées, eten particulier à travers leurs institutionsreprésentatives, chaque fois que l'on envisagedes mesures législatives ou administrativessusceptibles de les toucher directement »(article 6.1).

Ce principe général est valable pour desprogrammes de développement (y compris desservices sociaux généraux), en reconnaissantaux peuples concernés le droit de « déciderde leurs propres priorités en ce qui concerne leprocessus du développement, dans la mesureoù celui-ci a une incidence sur leur vie », ycompris « lors de l'élaboration, de la mise enœuvre et de l'évaluation des plans etprogrammes de développement national etrégional susceptibles de les toucherdirectement » (article 7.1).

B) LE CADRE JURIDIQUE NATIONAL

La constitution et les dispositions législativesqui structurent l’organisation administrativeterritoriale selon les principes de ladéconcentration et de la décentralisation nereconnaissent pas formellement les autoritéstraditionnelles de divers groupes ethniquesexistants au Congo.

La loi No. 3-2003 du 17 janvier 2003 sur ladécentralisation fixant l’organisationadministrative, notamment l’article 2, et ledécret No. 2003-20 du 6 février 2003 portantfonctionnement des circonscriptions

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administratives territoriales constituent la basede reconnaissance des autorités locales. Maisils ne renvoient pas directement aux peuplesautochtones. Les articles 31, 33 et 34 de la loiNo. 3-2003 du 17 janvier 2003 fixantl’organisation administrative territorialedisposent que le village est l’entitéadministrative de base de la communautérurale. Le village est créé par arrêté du préfetdu département sur rapport motivé du sous-préfet. Il est placé sous l’autorité d’un chef devillage nommé par arrêté du préfet. L’article126 du décret No. 2003-20 du 6 février 2003détermine les attributions du chef de village.

Le village est perçu comme une entitéadministrative déconcentrée. De ce fait sonchef est plus un représentant del’administration qu’une autorité traditionnelle.Mais dans la pratique, on reconnaîtinformellement l’autorité morale des sages duvillage et des autorités coutumières dont lepouvoir se transmet souvent par descendance.

Aucun texte ne mentionne spécifiquement laparticipation des peuples autochtones à laprise de décisions. Or il y a des normes quirégulent la participation des communautéslocales, et donc des peuples autochtones,notamment concernant le classement desforêts dans les dispositions des articles 15 et18 du Code forestier. L’article 15 stipulequ’avant de rédiger un projet de classementl’administration des eaux et forêts doitentendre « l’autorité administrative régionaleou communale ainsi que les représentants despopulations locales. » Après le dépôt de projetde classement, l’article 18 stipule que « dansun délai maximal de soixante jours […] leministre chargé des eaux et forêts convoque laréunion de la commission de classement quicomprend, [entre autres] les présidents et lesmembres des comités de chaque villageintéressé…».

La loi No. 003/91 du 23 avril 1991 sur laprotection de l’environnement, dans son article2 recommande que tout projet dedéveloppement économique en RépubliquePopulaire du Congo doit comporter une étuded’impact sur l’environnement. Ces étudesd’impact comprennent les impacts sociaux demême que les impacts environnementaux.

C) AUTO-GOUVERNANCE ET PARTICIPATIONDANS LA PRATIQUE

Traditionnellement, les sociétés égalitaristesdes peuples autochtones ne sont passtructurées autour de chefs et dereprésentants puissants. Les relations sebasent sur le principe d’égalité. Il n’existe pasd’organigramme précis. Cependant, ilsreconnaissent une autorité morale que l’onconsulte souvent lors des situationsconflictuelles. Cette autorité est le patriarchede la famille, ayant une connaissance infusedes pratiques coutumières et rituelles ; ouencore une personne choisie pour sa sagesseet son âge avancé. A Longo (Niari) parexemple, il n’y a pas de chef parmi eux,hormis l’autorité exercée par les aînés sur lesjeunes ou celle des parents sur les enfants.Ceci, malgré le fait que la responsabilité de cebloc est dévolue à une personne autochtonequi ne juge pas nécessaire d’exercer lesprérogatives que cette fonction lui confère.

Il n’existe pas de mode de représentativitéparticulier des populations autochtonesinstauré par l’Etat. Elles ne sont représentéesnulle part dans les instances constitutionnellesni dans les conseils départementaux ou dedistricts. En réalité, dans les villages mixtes oùles communautés cohabitent, les peuplesautochtones ne sont pas représentés dans lecomité du village, à l’exception de quelquescas dans le Niari et la Lékoumou (exemple deNgoua II dans le Niari).

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Lorsque les communautés autochtones viventaux abords d’un village agricole, la coutumeveut que le chef du village, qui est bantou,désigne un « chef » autochtone qui siège aucomité du village. Au sein de ce Comité, ce «chef » n’a en réalité aucun pouvoir de prise dedécisions et il est généralement marginalisé.De surcroît, il manque de crédibilité et delégitimité aux yeux de sa propre communauté.

A Bihoua, par exemple, un village bantou situéà 20 km de Sibiti dans la Lékoumou, il y adeux communautés de peuples autochtones.Le chef autochtone est nommé par les chefsbantous. Au cours de l’entretien, les jeunesautochtones ont émis le voeu de voir un jourla communauté voter son propre chef.

Dans le village de Mouala, département de laLékoumou, il y a un chef de bloc nommé parles Bantous, mais il y a aussi un cheftraditionnel, le patriarche de la communauté.D’après les témoignages des peuplesautochtones, le chef traditionnel n’est pas enconflit de compétence avec le chef de bloc, etles deux travaillent pour l’unité de ce villagequi existe depuis 1971.

Dans le cas de Mapati, toujours dans ledépartement de la Lékoumou, les membres dela communauté ont expliqué que le chef avaitété désigné par les Bantous et n’était pas leurchef. Ils aimeraient pouvoir faire leur proprechoix. Ce point de vue s’est retrouvé danstoutes les consultations.

Les villages dans lesquels ne vivent que lescommunautés autochtones n’ont pas decomité du village mis en place par le Sous-Préfet. Ces villages dépendent des quartiersdes villages bantous et ne sont pas reconnuspar l’administration. Ainsi, le village d’Indongo,dans la Sangha, avec une soixantaine depersonnes, dépend du village d’Ikalemba qui

compte presque autant d’habitants. LePrésident du comité de village, estime qu’onne peut pas se rendre à Indongo sans l’aval ducomité de village qu’il incarne. Dans lesquartiers des villages Loyo, Indo, Mikamba,Mambouana du département de la Lékoumou,on note la présence d’importantescommunautés autochtones vivant dans lesquartiers qui jouxtent les quartiers des autrescommunautés. Ils sont représentés par desReprésentants pygmées, véritables figurantsdans les instances de décisions. Toute visitedans les quartiers autochtones est tributaired’une présentation devant le Président ducomité de village, toujours bantou.

Aucune communauté autochtone ne disposedu statut officiel de village qui lui permettraitde se faire représenter auprès de la structureadministrative. Quand il y a des comitésautochtones dans les villages, ils ne sont prisen compte ni par les autorités officielles, ni parles autorités traditionnelles bantoues. Parexemple, le village Mombangui dans les terresdes Kabounga, créé depuis les années 1950,n’a jamais eu un comité de village. Cettesituation reflète la discrimination subie par lespeuples autochtones au niveau del’administration locale.

Dans les rares villages où ils sont représentés,notamment comme chefs de bloc, ils ne sontque figurants et ne peuvent pas défendre lacause de leur communauté. Lorsque lescomités de village siègent, le représentant dupeuple autochtone n’a pas une voixprépondérante. Il suit les autres membres del’instance dans les prises de décisions. Parfois,ces chefs de bloc ne sont pas toujoursrespectés par leur propre communauté.

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PARTICIPATION À LA PRISE DE DÉCISIONS

Les décisions concernant les peuplesautochtones sont souvent prises sans leurconsentement et sans les informer. Les actionsqui peuvent avoir beaucoup d’impact sur lescommunautés autochtones, comme la créationde parcs nationaux ou l’octroi de concessionsforestières, ne prennent jamais en compte laparticipation des communautés autochtonesdirectement touchées et leur consultation n’estjamais assurée.

Pour illustrer le manque de consultation descommunautés affectées par les politiquespubliques, citons l’exemple du département duKouilou, précisément dans la zone du parcnational de Concouaty – Douly, créé en 1999.Les Babongos étaient absents lors de laréunion tenue par la direction des éco-gardesà Mbamba en août 2005 en vue d’informer leshabitants sur la délimitation des zones dechasse.

Pourtant les Babongos sont d’importantschasseurs sensés être informés de toutemesure concernant leur activité principale. Ilsont eu la surprise d’apprendre par les Bantousque le parc de Concouaty s’étendait jusqu’à laNoumbi. De même, ils n’ont pas été informésdes compensations qui avaient été promises(moutons et chèvres pour l’élevage ;semences pour l’agriculture) commealternative à l’activité de chasse interdite dansle parc.

Les opportunités de participation des peuplesautochtones qui existent dans le Code forestiercité plus haut ne se reflètent pas dans lapratique. Le mode de participation stipulé dansle Code forestier s’effectue par le biais ducomité du village. Or on voit que les peuplesautochtones n’ont pas de comité de village quileur soit propre et où ils sont représentés de

sorte que leurs points de vue ne sont jamaispris en compte.

L’extrait suivant démontre l’expérience despeuples autochtones en matière departicipation à la prise de décisions par rapportà l’exploitation forestière « La CIB est venueavec Courtios (un prospecteur forestierfrançais) pour tracer des layons dans notreforêt. Puis ensuite la CIB est venue et a tracéune route. Plus d’hommes blancs sont venuset ont pris nos arbres. Et nous n’avons rien eu»,30 un homme Mbenjele de Mombangui dansle département de Sangha.

Il n’existe pas de programmesgouvernementaux pour promouvoir laparticipation électorale. Le vote des peuplesautochtones est instrumentalisé et ils sontutilisés comme du bétail électoral avec un voteguidé, orienté selon les intérêts des candidatsayant distribué frauduleusement les cartesd’électeurs.

La représentation des peuples autochtones estinexistante au sein des institutions politiquesdu pays. Ils ne sont pas chefs de partispolitiques, ils ne sont jamais élus et nefigurent de ce fait ni à l’assemblée nationale,ni dans les conseils locaux, encore moins dansles comités de village, alors que pendant lesélections, les Bantous les incitent à leurapporter leurs suffrages avec de petitscadeaux. Dans l’administration publique, oncompte quelques personnes autochtones quiassurent des tâches moyennes. C’est la mêmechose dans l’armée et dans la police. Al’université, s’il y a des étudiants autochtones,c’est qu’ils cachent leur identité car il n’y en aaucune trace.

D) CONCLUSIONS

Même si l’Etat reconnaît la composition

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multiculturelle de la société congolaise, cettereconnaissance ne prend pas en compte lescommunautés autochtones. Leurs systèmesdemeurent dans un état de subordination parrapport aux groupes bantous dominants. Uneloi portant sur les droits des peuplesautochtones ne peut négliger cette situation,qui affecte le droit fondamental des peuplesautochtones à gérer leurs affaires internes etlocales, en donnant un niveau dereconnaissance officielle à l’organisation etl’autorité interne et au droit coutumierautochtone, à égalité avec les autres groupesde la société nationale.

A cause de leur poids démographique faible,et, surtout, en raison des barrièresdiscriminatoires qui les séparent,historiquement et culturellement, du reste dela société nationale, les peuples autochtonesne sont pas représentés dans les institutionsélectives ou administratives. Ils ne participentpas aux élections de ces institutions au mêmeniveau que l’ensemble de la population. Lemanque de participation électorale est le débutd’un cercle vicieux qui engendre un manquede participation dans les institutions nationaleset dans les prises de décisions qui les affectentdirectement.

Les principes de consultation et departicipation des peuples autochtones etautres communautés locales prévus par ledroit international ne sont que desmécanismes compensatoires qui cherchent àréparer le manque de représentation dans laprise de décisions, en exigeant leurparticipation à tous les projets et politiquespublics qui affectent directement leurs intérêtset leurs droits, y compris, d’une manièrespéciale, les concessions publiques pourl’exploitation des ressources forestières. Unefuture loi en la matière doit nécessairementrefléter le consensus international sur le droit

des peuples autochtones à être consultés et àparticiper à la prise de décisions qui lestouchent.

E) RECOMMANDATIONS

Par rapport aux droits des peuplesautochtones à l’auto-gouvernance et laparticipation, la loi devrait :

1. Reconnaître le droit des peuplesautochtones d’administrer eux-mêmes leursaffaires intérieures et locales.

2. Reconnaître les autorités traditionnelles despeuples autochtones, propres à leurs cultures,y compris la juridiction coutumière dans lesystème judiciaire congolais, en respectant lesnormes des droits de l’Homme.

3. Assurer la consultation des peuplesautochtones par des procédures appropriéeschaque fois que l’on envisage des mesureslégislatives ou administratives susceptibles deles toucher directement. Les consultationsdoivent être menées de bonne foi et sous uneforme appropriée aux circonstances, en vue deparvenir à un accord ou d’obtenir unconsentement au sujet des mesuresenvisagées.

4. Garantir la représentation des peuplesautochtones dans les institutions politiques, auniveau local, régional et national, en instaurantdes mécanismes spéciaux pour leur permettred’y participer. Par exemple, l’adoption d’unquota de représentants autochtones à chaqueniveau.

5. Promouvoir la participation électorale despeuples autochtones en instaurant desmécanismes spéciaux.

6. Prendre en compte les villages peuplés decommunautés autochtones dans le processusde création de villages par les préfets.

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A) LES STANDARDS INTERNATIONAUX

De nos jours, il ne fait guère de doute que lespeuples autochtones sont, dans le cadre desprincipes des droits de l’Hommeuniversellement reconnus, en droit demaintenir et de développer librement leuridentité culturelle distincte. Par culture, onentend généralement les régimes de parenté,la langue, la religion, les rites, l’art et laphilosophie ; en outre, le concept englobe deplus en plus souvent les régimes fonciers etd’autres institutions susceptibles de toucher àdes sphères politiques et économiques. Desurcroît, il est de plus en plus fréquent que lesgouvernements soient tenus de respecter desobligations de discrimination positive à cetégard.

Le droit international contemporain a évoluéjusqu'à reconnaître la valeur intrinsèque detoutes les cultures, et les devoirs des États depréserver la diversité des cultures quicomposent et enrichissent la société nationaledans un cadre multiculturel et pluraliste. Ainsi,suivant la récente Convention de l’UNESCO surla protection et la promotion de la diversitédes expressions culturelles (2005), « laprotection et la promotion de la diversité desexpressions culturelles impliquent lareconnaissance de l’égale dignité et du respectde toutes les cultures, y compris celles despersonnes appartenant aux minorités et cellesdes peuples autochtones ».

Les dispositions qui reconnaissent la valeurintrinsèque des cultures autochtones sontnombreuses dans le droit internationalcontemporain. La Convention Nº 169 de l’OIT,par exemple, reconnaît et protège « les

valeurs et les pratiques sociales, culturelles,religieuses et spirituelles de ces peuples »,ainsi que «l'intégrité des valeurs, despratiques et des institutions desdits peuples »(article 5.a, b). Le projet de déclaration del’ONU sur les droits des peuples autochtonescomprend des dispositions similaires autour durespect des cultures et des identitésautochtones, y compris le droit «d'êtreprotégés contre l'ethnocide ou le génocideculturel », et l’interdiction de « toute formed'assimilation ou d'intégration à d'autrescultures » (article 7).

Le Comité pour l’élimination de ladiscrimination raciale, organe de suivi de laConvention du même non – dont le Congo faitpartie – s’est référé expressément au devoirdes Etats au regard de la protection descultures autochtones. Selon le Comité, les Etatparties ont l’obligation, de lutter contre ladiscrimination raciale, de «reconnaître que laculture, l’histoire, la langue et le mode de viepropres des populations autochtonesenrichissent l’identité culturelle d’un Etat, deles respecter en tant que telles, et depromouvoir leur préservation ».

B) LE CADRE JURIDIQUE NATIONAL

La Constitution du 20 janvier 2002, dans sonarticle 22, garantit « le droit à la culture et aurespect de l’identité culturelle de tout citoyen». Ce principe général est développé parrapport aux divers groupes de la société dansl’article 24 de la Charte congolaise des droitset libertés consacrant « le respect de l’identitéculturelle des minorités ethniques ». Ceprincipe n’a cependant pas été réglementéjusqu’à présent par des dispositionslégislatives pour la promotion et la protectiondes cultures autochtones du pays dans leursdiverses manifestations.

4. DROITS A L’INTEGRITECULTURELLE

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C) LA SITUATION DES CULTURESAUTOCHTONES DANS LA PRATIQUE

Les recherches dans les diverses parties dupays ont fait ressortir que les culturesautochtones se trouvent dans une situationd’affaiblissement et de fragilité extrêmes parrapport à la domination de la culturemajoritaire et du fait de la disparition de leursmilieux de vie traditionnels. Cette situation n’apas encore attiré l’attention des organesgouvernementaux : on constate qu’aucunprogramme visant à protéger les culturesautochtones n’est élaboré.

L’assimilation des peuples autochtones par lesBantous entraîne la perte de leursconnaissances forestières et valeursculturelles. A l’exception des aspectsmédicinaux qu’ils conservent plus ou moins,au Nord comme au Sud du Congo, on noted’une manière générale, surtout dans la partieSud du pays, un abandon des pratiquestraditionnelles, même si les Mbendjele de laSangha conservent encore cet attachement àleur culture.

La pénétration des églises, notamment duchristianisme dans certains milieuxautochtones, favorise la disparition lente deleurs croyances et pratiques rituelles. Lemessage véhiculé par l’évangile consiste àdiaboliser les pratiques des peuplesautochtones comme ne relevant pas de lavolonté divine. Celles-ci ne sont pas prises encompte et sont considérées comme despratiques démoniaques. Les autochtonesadeptes de ces églises, sont invités àabandonner leurs rites pour s’adonner à ladoctrine de la nouvelle religion.

Dans la Likouala, les peuples autochtones deDongou et d’Impfondo perdentprogressivement leurs valeurs culturelles, àcause de l’Eglise qui pénètre leur milieu. Lespeuples autochtones estiment qu’il n’est plusbon de suivre la tradition. Ils aspirent plus à la« modernité » à tel point qu’ils estiment queleur organisation interne ne vaut plus rien.L’église évangélique américaine a joué un rôlespécial à cet effet, en révolutionnant lecomportement des communautés autochtonesdans la région. Un mérite de cette église estd’avoir rappelé aux autochtones « qu’ils sontles fils de Dieu sur un pied d’égalité avec lesBantous ».

«Ils doivent se débarrasserdes scarifications»Dans le département de la Sangha,précisément à Mboua, les enfantsportent des scarifications sur le visage,comme symbole d’appartenance à lacommunauté autochtone. Cependant,ces enfants sont chassés de l’école parles Bantous : « Ils doivent sedébarrasser de leurs scarifications pourêtre autorisés à fréquenter l’écolebantoue », disent-ils ; or, ces enfantssont marqués à vie.

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Les peuples autochtones sont prêts àabandonner leur mode de vie et leur traditionet, actuellement, beaucoup d’entre euxn’entreprennent plus d’actions pour conserverou développer les acquis culturels de leurcommunauté, parce que l’église leur a promisun avenir meilleur. Sous prétexte d’affirmerleur foi chrétienne, les personnes autochtonesont tendance à renier leurs valeurs culturellesqui tendent de plus en plus à disparaître.

L’érosion graduelle des cultures et modes devie autochtones est plus frappante dans le Suddu Congo, par exemple dans le Kouilou. Il estvrai que les influences extérieures y sont plusfortes alors que la partie Nord a longtempsrésisté. Avec l’exploitation forestière devenueintense, notamment avec l’ouverture desroutes et l’arrivée des commerçants, desconfessions religieuses, de l’éducationmoderne, la culture des Babongos est en péril.

A certains endroits, jusqu'à très récemment,les peuples autochtones ont vécu dans desconditions d’autarcie volontaire dans leursforêts traditionnelles. Il y a à peine moins de 5

ans, les terres Kaboungas au Nord (SanghaLikouala) ne connaissaient pas les influencesactuelles ; elles étaient presque vierges endehors de l’activité des anthropologues.

Perte de la culture à cause de l’évangélisationIl existe dans la Likouala, notamment à Impfondo, Enyélé, Boyélé, Dongou et Bétou,des représentations de l’Eglise Evangélique Chrétienne du Congo. Cette structure a laparticularité de compter parmi ses adeptes la majorité des peuples autochtones de ceslocalités. Elle a, entre autres, pour mission l’évangélisation des populations autochtones.C’est pourquoi, à Dongou par exemple, une église (Komba) se trouve à l’extrême nord,dans la zone où ils sont concentrés. A première vue, on constate que l’église a uneinfluence sur le mode de vie des Pygmées. Au-delà de l’évangélisation, cette structure apour vocation de renforcer les liens communautaires et de procéder à un travail deconscientisation sur différents thèmes de la société (santé, hygiène, lutte contrel’alcoolisme, la culture des Maîtres…). Ici, les autochtones considèrent leurs coutumes etrites traditionnels comme des pratiques sataniques à abandonner.

Rejet de l’identité autochtoneDans le Kouilou, notamment dans la localité de Boukani, bloc n° 3 de Bada, situé àenviron 28 km du district de Kakamoeka, les autochtones ne veulent plus porter cetteidentité. Lors des consultations, le 4 décembre 2005, ces derniers n’ont pas voulurecevoir l’équipe des chercheurs, sous prétexte que ce village n’abrite pasd’autochtones, alors que le chef du village de Bada de même que le guide ont biencertifié leur présence majoritaire. A cause de la stigmatisation dont ils sontcontinuellement l’objet, les jeunes n’acceptent plus leur identité qu’ils considèrentcomme une insulte. Ainsi, les autochtones de Boukani se sont insurgés contre le chef devillage, l’accusant de les avoir trahis.

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Aujourd’hui, la Congolaise industrielle de bois(CIB) ayant ouvert des routes pour sonexploitation du bois, les communautésautochtones commencent à subir lesinfluences extérieures. Jusqu'à présent, lesautorités ne se sont pas intéressées auxpossibles conséquences de ces activités sur laculture et l’identité de ces communautésparticulièrement fragiles.

Les autochtones ont des langages propres,mais pour des besoins de communication avecles autres communautés, ils utilisent leslangues proches des langues bantoues. Iln’existe pas de programme visant la protectiondes langues autochtones.

Les sites sacrés sont des lieux que lesautochtones réservent à la pratique de leursrites initiatiques, ou des lieux sur lesquels setrouvent les tombes de leurs ancêtres. Il peuts’agir d’une partie de la forêt, d’un cours d'eauou même d’un arbre. Ces lieux ne doivent pasêtre profanés et méritent d’être protégés.

D) CONCLUSIONS

Les cultures autochtones se trouventaujourd’hui dans une situation de vulnérabilité,qui est essentiellement due aux processus deperte de leur environnement traditionnel maisaussi au manque de reconnaissance de lavaleur de ces cultures et à la situation demarginalisation vis-à-vis de la culture bantouedominante. Cette situation génère la nécessitéde mettre en oeuvre des mesures urgentesafin de protéger et de valoriser ce qui affectece patrimoine culturel, en tenant compte de ladiversité culturelle et de la participation despeuples concernés.

E) RECOMMANDATIONS

Par rapport à la protection et lareconnaissance de l’identité et de la culturedes peuples autochtones, la loi devrait :

1) Reconnaître l’importance de la diversitéculturelle et le fait que les culturesautochtones, à savoir les langues, l’histoire, lemode de vie et les coutumes des peuplesautochtones, enrichissent l’identité culturellede l’Etat congolais.

2) Veiller à ce que la pleine propriété desbiens culturels et intellectuels des peuplesautochtones soit reconnue et que les droits aucontrôle et à la protection de ces biens soientassurés pour ces peuples.

3) Valoriser et promouvoir les culturesautochtones :

a) en instaurant une journée nationale despeuples autochtones, développée avec laparticipation des peuples autochtones euxmêmes.

b) en stimulant la collaboration entre lespeuples autochtones et l’Etat dans lapréservation de leurs rites et lieux sacrésen tant que lieux d’expression de leurculture.

c) en encourageant le droit des peuplesautochtones à revivifier, utiliser ettransmettre aux générations futures leurhistoire, leurs langues, leursconnaissances de la flore et de la faune,leurs traditions orales et leursphilosophies.

d) Empêcher, condamner et réparer lesconséquences des formes d’assimilation oud’intégration imposées par d’autrescultures ou modes de vie ainsi que desformes de propagande dirigées contre lespeuples autochtones.

e) Prendre des mesures, à titre collectif ouindividuel, contre la disparition descultures des peuples autochtones.

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A) LES STANDARDS INTERNATIONAUX

En règle générale, les populations autochtonessont reconnues comme ayant soit un droit depropriété ou de contrôle substantiel soit undroit d’accès aux terres et aux ressourcesnaturelles qui sont, par tradition, à la base deleurs économies et pratiques culturellesrespectives. Lorsque les peuples autochtonesont été dépossédés de leurs terres ancestralesou ont perdu l’accès à leurs ressourcesnaturelles par la coercition ou la fraude, lanorme veut que les gouvernements mettenten œuvre des procédures permettant auxgroupes autochtones touchés de recouvrerleurs terres ou l’accès aux ressources requisespour leurs moyens de subsistance et leurspratiques culturelles et, si les circonstances lepermettent, de recevoir une indemnisation.

Les principes généraux relatifs aux droits despeuples autochtones sur les terres etressources naturelles qu’ils occupenttraditionnellement ou qu’ils utilisent sontreconnus dans plusieurs instruments juridiquesdu droit international contemporain. LaConvention No. 169 de l’OIT a une partiespécifiquement consacrée à ce sujet, qui estconsidérée généralement comme un abrégédes standards internationaux en la matière.

La Convention reconnaît les droits de propriétéet de possession des communautésautochtones sur les terres qu’elles occupenttraditionnellement, ainsi que les droits d’usagesur les terres qu’elles utilisent pour leursactivités traditionnelles ou de subsistance(article 14). Elle établit également desmécanismes procéduraux pour la sauvegardede la protection des peuples concernés dans le

cas de l’exploitation des ressources naturellesdans leur environnement (article 15) etinterdit le déplacement forcé descommunautés autochtones de leurs terrestraditionnelles sauf dans des cas spécifiques.

Les principes énoncés dans la Convention No.169 ont été reconnus dans les jurisprudencesdes organes des droits de l’Homme de l’ONUresponsables du suivi et du respect desconventions sur les droits de l’Hommed’application générale et dont la République duCongo fait partie. A cet égard, le Comité desdroits de l’Homme responsable de lasurveillance du Pacte international sur lesdroits civils et politiques, a élaboré une richejurisprudence sur les droits aux terres etressources naturelles des peuples autochtones,à partir de la disposition du Pacte relative audroit des minorités.

Le Comité a affirmé que le droit aux terres etaux ressources peut être un corollairenécessaire au droit des communautésautochtones à la protection de leur culture etque le fait de permettre des activitésd’extraction des ressources, qu’elles soientminières, forestières ou pétrolières, sur lesterres des communautés autochtones, peutreprésenter une violation de ce droit s’ilcompromet l’aptitude d’une communautéautochtone à subvenir à ses besoins, enconformité à ses normes et à ses modèlestraditionnels culturels et économiques. LeComité a aussi affirmé l’obligation des Etats deconsulter les populations autochtones aumoment de prendre des décisions quiaffecteront leurs intérêts.

Le Comité pour l’élimination de ladiscrimination raciale de l’ONU (CERD) aégalement interprété les obligations découlantd’un texte d’application générale, en l’espèce

5. DROIT A LA TERRE ET AUXRESSOURCES NATURELLES

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la Convention pour l’Elimination de toutes lesFormes de Discrimination Raciale, obligeant lesEtats à protéger les terres et ressourcesautochtones.

De l’avis du Comité, dans de nombreusesrégions du monde, les populations autochtonesont été l’objet de discrimination, et continuentde l’être, et qu’elles ont été privées de leursdroits de l’Homme et de leurs libertésfondamentales, notamment qu’elles ont perduleurs terres et leurs ressources aux mains descolons, des sociétés commerciales et desentreprises d’Etat. Aujourd’hui, comme par lepassé, la préservation de leur culture et deleur identité en est menacée31.

C’est la raison pour laquelle le Comité aaccordé une attention particulière auxpopulations autochtones dans les effortsdéployés pour faire respecter la Convention,d’où le lien entre les droits des autochtonesaux terres et aux ressources et le principe denon discrimination.

Dans le contexte africain, le Groupe de travailsur les populations/communautés autochtonesde la Commission africaine a lié les droitsautochtones aux terres et aux ressources ; defait, la plus grosse section de son rapport estconsacrée à des questions ayant trait aufoncier et aux ressources. Selon le Groupe detravail,

L’expropriation des terres et desressources naturelles constitue unproblème majeur de droits de l’Hommepour les peuples autochtones…L’expropriation des terres et desressources naturelles menace la survietant économique, sociale que culturelledes communautés de pasteurs et dechasseurs-cueilleurs autochtones et celaest une violation de l’article 22(1) de laCharte africaine qui stipule que tous les

peuples ont droit à leur développementéconomique, social et culturel dans lerespect strict de leur liberté et de leuridentité, et à la jouissance égale dupatrimoine commun de l’humanité32.

Les droits des peuples autochtones auxressources naturelles comprennent aussi desdroits sur les ressources non tangibles, commeleurs connaissances traditionnelles surl’utilisation de ressources matérielles. Ainsi, lefameux article 8(j) de la Convention sur ladiversité biologique des Nations Unies, dont leCongo est partie, énonce les devoirs des Etatsde «respecter, préserver et maintenir lesconnaissances, innovations et pratiques descommunautés autochtones et locales quiincarnent des modes de vie traditionnelsprésentant un intérêt pour la conservation etl'utilisation durable de la diversité biologique »et d’encourager « le partage équitable desavantages découlant de l'utilisation de cesconnaissances, innovations et pratiques ».

B) LE CADRE JURIDIQUE NATIONAL

Au niveau international, les droits aux terreset aux ressources naturelles sontconjointement confectionnés et élaborés, carpour les peuples autochtones les deux sontintimement liés. Mais au niveau national, lalégislation congolaise traite des droits fonciersd’une manière très spécifique, excluant, àl’heure actuelle, les ressources naturelles.

L’attribution, la gestion et la prise de décisionsconcernant ces ressources sont prises encompte dans d’autres codes. Lors del’élaboration des recommandations de cerapport, les participants ont discuté de cesdeux thèmes séparément, mais dans cerapport, pour mieux faire référence auxnormes internationales et même pour lacompréhension de ces droits dans la pratique,ils sont présentés ensemble.

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Au Congo, l’espace foncier est régi par unrégime mixte. La loi n° 10-2004 du 26 mars2004 fixant les principes généraux applicablesaux régimes domanial et foncier dans sonarticle 6 dispose :

« Le droit de propriété sur le sol est reconnuaux personnes physiques et morales de droitprivé. Le droit de propriété des personnesphysiques et morales de droit privé ne peutfaire l’objet de limitation qu’en vertu d’uneexpropriation, moyennant une juste etpréalable indemnité ». L’article 31 ajoute :« outre les droits relevant de la législationmoderne, le régime foncier garantit lareconnaissance des droits coutumierspréexistants non contraires ou incompatiblesavec des titres dûment délivrés etenregistrés ». Il n’y a pas d’explication surl’identification de ces droits coutumiers et,dans la pratique, ils sont compris commedroits coutumiers bantous. De surcroît, ce quela loi entend par « droits collectifs » n’est pasclair et on ne sait si cela pourrait être utilisépour reconnaître les territoires des groupesautochtones.

L’article 9 de la même loi reconnaît lapropriété collective de la terre en ces termes :« des titres fonciers relatifs aux droits réelsimmobiliers et aux sûretés y afférentes, sontétablis au nom de leurs titulaires, agissantpour le compte personnel en cas de propriétécollective, pour le compte du groupe ou de lacollectivité au profit desquelles la propriétécollective est dûment établie ».

Et l’article 35 de cette loi admet lareconnaissance des droits fonciers coutumiers: « la constatation et la reconnaissance desdroits coutumiers en tant que droit depropriété relève d’un organe ad hoc instauréau niveau local. Les droits fonciers coutumiersconstatés et reconnus par les organes locauxvisés à l’alinéa précèdent sont immatriculés

par l’administration fiscale ». Il est importantde noter que la loi n’est pas claire sur la façondont l’organe ad hoc sera structuré. Commeexpliqué plus haut, les villages autochtones nesont pas reconnus par l’administration et ilspourraient donc facilement être exclus duprocessus.

L’article 43 porte sur la mobilisation desespaces fonciers : « l’Etat, les collectivitésterritoriales décentralisées ainsi que lesétablissements publics peuvent mobiliser desespaces fonciers. Cette mobilisation a pourobjet de permettre une exploitation optimaledes ressources naturelles du sol et du sous-solet une utilisation économique et socialeconforme à l’intérêt public ». L’alinéa 2 préciseque « l’intérêt public est apprécié par touteinstance administrative instituée à cet effet etcomprenant outre les représentants desservices administratifs compétents, despropriétaires fonciers et des autorités ayantvoix prépondérante en milieu rural ». Mais cesderniers ne sont pas toujours lesreprésentants des populations autochtones.

En outre, l’article 51 dispose aussi quel’autorité administrative doit mettre en œuvretous les moyens, de nature juridique,financière et fiscale, aptes à lutterefficacement contre l’accaparement des terresà des fins non productives. Ceci est unproblème si les activités de chasse et decueillette pratiquées par les peuplesautochtones sont considérées par ces autoritéscomme des activités non productives.

En outre, l’institution du régime de titrefoncier par cette loi augmente encore laprécarité des terres des peuples autochtonescar l’acquisition de ce titre demande desmoyens financiers importants dont les peuplesautochtones ne peuvent disposer. Or le défautde titre foncier sur leurs terres ne leur permet

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pas de se prévaloir des droits rattachés à lapropriété. De ce fait, la propriété foncière despeuples autochtones n’est qu’aléatoire car ellene fait pas l’objet d’une reconnaissanceofficielle telle que prévue à l’article 30 de la loi: « Les droits de propriété privée sur les solsdoivent faire l’objet d’une reconnaissanceofficielle, afin de permettre la délivrance destitres fonciers correspondants, conformémentà la loi ».

Le recours à l’expropriation pour cause d’utilitépublique est une menace constante (article 41al. 2), ces prérogatives étant reconnues auxpouvoirs puissance publics dans de multipleshypothèses d’aménagement foncier et deconservation de l’environnement(article 42).

Concernant les ressources forestières, la loiNo.16-2000 du 20 novembre 2000 portantcode forestier dans son article 38 dispose : «les personnes privées exercent sur les forêtssises sur des terrains leur appartenant lesdroits attachés à la propriété ». On a vu plushaut les difficultés existantes pour obtenir untel titre par les peuples autochtones.

L’article 41 du code forestier relatif au droitd’usage dispose :

« Dans les forêts du domaine privé de l’Etat etles forêts des collectivités locales outerritoriales, les décrets de classement et lesplans d’aménagement peuvent reconnaître desdroits d’usage dont ils indiquent la consistanceet les conditions d’exercice dans les limites del’article 40 […]. S’agissant des droits au bois,le gestionnaire de la forêt peut, s’il l’estimeutile, procéder aux opérations de récolte etmettre gratuitement les produits à ladisposition des usagers ».

L’article 42 ajoute : « les droits d’usage sontréservés à la satisfaction des besoins

personnels de leurs bénéficiaires. Les produitsqui en sont issus ne peuvent faire l’objet deventes commerciales. Leur exercice estgratuit. »

La loi No. 16-2000 portant code forestier dansses articles 14 à 23 constitue le cadrejuridique de classement des forêts et desconcessions forestières. Il n’existe pas depossibilités spécifiques pour la protection desdroits des peuples autochtones dans lesnormes. Cependant, il ne faut pas considérerpour autant que les autochtones ne peuventpas revendiquer l’application de ces normes àleur profit.

L’article 15 dispose que l’administration deseaux et forêts, après avoir entendu l’autoritéadministrative régionale ou communale ainsique les représentants des populations locales,procède à la reconnaissance du périmètre àclasser et des droits et usages exercés sur laforêt. Cette procédure est peu participative etne garantit en rien la consultation effective despopulations autochtones. Elle ne précise pasnon plus qui peut être représentant despopulations locales. Sachant que les leaderslocaux ne sont pas des autochtones, lespeuples autochtones risquent de ne pas êtrereprésentés ni impliqués.

Lors des classements des forêts, il estdemandé aux personnes ayant des droitsautres que ceux d’usage de les faire connaîtreà l’autorité régionale ou communale dans lesdélais fixés à l’article 17 du Code forestier. Cetarticle prévoit 60 jours à compter de la datede communication effective du projet declassement pour faire valoir les droits autresque les droits d’usage. Du fait de leur mobilité,ce délai risque de ne pas permettre auxautochtones de revendiquer leurs droits. Enoutre, les moyens de publicité ne sont pastoujours adaptés.

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Les réclamations formulées sont portéesdevant la commission de classement prévue àl’article 18 du même Code par l’autoritérégionale ou communale. L’article 18 stipulequi fait partie de la commission de classement…les présidents et les membres des comitésde chaque village. Dans les villages mixtes parexemple, où ces comités de développementsont plus institués, ils ne sont pasreprésentatifs de la constitution du village. Larecherche a trouvé que quand les peuplesautochtones sont membres des comités, ils nesont entendus ni par le comité ni par leurspropres communautés. En outre, aucun villageautochtone n’a de comité de village reconnu.

Aux termes de l’article 20, au cas où unrèglement amiable n’aurait pas été obtenupour les droits contestés autres que les droitsd’usage, le recours peut être porté devant letribunal de grande instance. La saisine d’unetelle juridiction nécessite des frais de justicedont ne peuvent disposer les populationsautochtones. Parce les tribunaux ne siégentpas dans leurs villages, le voyage peut durerplusieurs jours.

Telles qu’elles ont été proposées par la loi, lesprocédures de classement ou dedéclassement des forêts ne peuvent favoriserune véritable consultation, encore moins laparticipation effective, des populationsautochtones au processus. Lors dudéclassement d’une forêt par exemple, lesconsultations sont encore plus limitées etaucune procédure n’est envisagée pour que lescommunautés puissent faire valoir leurs droits.

Le cadre juridique qui réglemente la réalisationdes études d’impact environnemental auCongo est composé de la loi No 003/91 du 23avril 1991, relative à la protection del’environnement en son article 2 qui

recommande que « tout projet dedéveloppement économique en Républiquepopulaire du Congo doit comporter une étuded’impact sur l’environnement. Un décret prisen conseil de ministre détermine les conditionset les modalités d’application des dispositionsde l’alinéa » et de l’arrêté n°835/MIME/DGEfixant les conditions d’agrément pour laréalisation des études ou des évaluationsd’impact sur l’environnement en Républiquepopulaire du Congo.

Ces études sont importantes pour lesautochtones en ce qu’elles permettentd’analyser les impacts prévisibles du projet surl’écosystème et sur les conditions de vie despopulations locales. L’environnement est icipris au sens large du terme, en incluant lesaspects socioculturels, économiques etgéographiques. Ces études sont un desmoyens pouvant assurer le respect de leursdroits.

Quand il y a exploitation forestière, la loistipule que les exploitants doivent payer destaxes forestières (articles 87 et 88) et qu’unetaxe de superficie est destinée audéveloppement des départements, (article 92).En principe, ces redevances et quelques fondsforestiers sont destinés au développement desrégions.

Lié à l’exploitation forestière ou minière, unprincipe énonce que l’exploitant doit prendredes mesures sociales pour appuyer lescommunautés concernées. Ces chargesdoivent être incluses dans un cahier descharges entre l’exploitant et l’Etat. Il n’yaucune obligation des deux parties [Etatcongolais et soumissionnaire] de consulter oud’informer les communautés du contenu de cecahier des charges.

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Les différents titres d’exploitation qui figurentdans le Code forestier (articles 63 à 79)permettent aux concessionnaires de prélever àdes fins commerciales les essences de bois. Laconvention de transformation industrielle, parexemple, garantit à son titulaire le droit deprélever, sur une unité forestièred’aménagement, des contingents annuelslimitatifs d’essences, auxquels s’ajoutel’engagement du titulaire d’assurer latransformation des grumes dans une unitéindustrielle dont il est le propriétaire.

Les soumissions, pour être acceptées, doiventremplir certaines conditions, dont une analysedes impacts socioéconomiques des activités dusoumissionnaire. Cette condition estintéressante pour les peuples autochtonesdans la mesure où leur mode de vie doit êtrepris en compte. Malheureusement, on ne faitsouvent référence qu’aux seuls Bantouslorsqu’on parle de populations locales.

C) LE DROIT À LA TERRE ET AUXRESSOURCES NATURELLES DANS LAPRATIQUE

L’absence dans la législation congolaise demécanismes appropriés et adaptés aux modesde vie particuliers des communautésautochtones au regard de leur lien affectifavec les terres et les ressources naturelles – ycompris le caractère nomadique ou semi-nomadique de ces groupes et leurs formescommunales de propriété - les placent dansune situation d’extrême vulnérabilité au regardde la jouissance des droits de propriété etd’accès aux ressources garantis généralementà tous les citoyens congolais. Cette gravesituation a été présentée par la Commissionafricaine des droits de l’Homme et des peuplespar rapport aux communautés Baka etBambendjele, dans les termes suivants :

En République du Congo, l’aliénation desterres des Bambendjele a étésérieusement aggravée par l’affectationdes domaines publics en tant qu’unitésforestières d’aménagement (UFA) auxsociétés forestières et organisations deconservation. Le nord de la République duCongo est couvert de 17,3 millions d’ha deforêt, dont 8,9 millions sont considéréscomme exploitables. En 1996, 5,3 millionsd’ha ont été alloués aux sociétésforestières et aux donateurs intéressésdans le développement du secteurforestier. … [L]’impact global de cessociétés sur les populations locales estincontestablement négatif. Les droitstraditionnels d’occupation et d’usufruit, etle système de gestion des ressources despopulations locales ont été supprimés.Comme ailleurs en Afrique centrale, ladéforestation et la construction de routesont encouragé le commerce de la viandede gibier et la chasse à grande échelle.Cela a eu des incidences négatives sur lasubsistance des chasseurs tels que lesBaka et les Bambendjele33.

Les insuffisances de la protection octroyée parl’Etat aux terres et aux ressources naturellesautochtones se manifestent dans plusieursproblématiques sur le terrain, qui suggèrent lebesoin d’une approche intégrale et prioritairede cette question.

DROITS FONCIERS ET DROITS COUTUMIERS

La pratique de l’occupation des terres s’estfaite par le passé, avant la promulgation de laloi, de façon coutumière par les Bantous.L’occupation et la mise en valeur d’un terrainnon occupé, (construction de cases, travauxchampêtres…), suffisaient à conférer la

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ainsi la transmettre par succession à sesdescendants. Cette occupation attribuait doncdes droits coutumiers sur ces terres, c'est-à-dire des droits consacrés par l’usage. Aucuntitre n’était exigé. C’est par ce biais que denombreux clans ou familles bantous ont acquisla propriété foncière. C’est le notable du clanou le chef de famille qui attribue les terrains àses congénères. Il en assure la répartition etrègle les conflits liés à leur occupation.

L’utilisation des terres et les notions depropriété et de contrôle sont différentes pourles peuples autochtones. La forêt est de faitconsidérée par les peuples autochtonescomme leur terroir, qu’ils administrent grâce àdes systèmes de gestion qui leur sont propres.Souvent, ils suivent une vie semi-nomade etutilisent une vaste superficie pour vivre. Ainsi,l’idée de « mise en valeur » est différente pourun autochtone de ce qu’elle est pour unBantou, par exemple.

Ainsi, chez les Mbendjele, dans la Sangha,toute zone de terre ferme entre des rivièresest attribuée à un clan ou à un autre. Ce clanest responsable de la gestion des ressourcesde ladite zone. Mais il doit toujours la partageravec les membres des autres clans Mbendjele.S’il y a des problèmes dans une zone – parexemple une insuffisance de gibier - on seprésente au clan en question pour qu’ilaccomplisse les rites nécessaires afin deremédier à la situation.

Du point de vue de la coutume bantoue, lapropriété de la forêt par les peuplesautochtones n’est pas reconnue. En général,les Bantous estiment être les seulspropriétaires de la forêt et maîtres des peuplesautochtones. Ainsi, dès qu’ils arrivent dans unterritoire qui a déjà été mis en valeur par lespeuples autochtones, ils s’arrogent de force la

propriété de cette terre et en spolient cesderniers. Dans la coutume bantoue, unepersonne autochtone qui est une propriété nepeut plus être propriétaire d’une terre.

Par exemple, à Ollouo II, dans le départementdes Plateaux, les peuples autochtonesprécisent qu’ils ne sont pas propriétaires desterres. Ils vivent là parce qu’ils en ont reçul’autorisation du chef bantou qui vit dans levillage voisin. M. Elamdad déclare : « Nous nesommes pas tranquilles parce qu’on dépenddes propriétaires fonciers. Il faut qu’on soitnous aussi propriétaires. L’Etat doit envoyerdes gens discuter avec le notable pour nousdonner cette possibilité. C’est à l’issue de celaque nous ferons des activités qui pourrontnous rendre riches ».

L’expérience des chercheurs dans la Likouala amontré qu’une fois mise en valeur par unautochtone, toute forêt non occupée trouve unpropriétaire en la personne d’un Bantou seprésentant comme propriétaire du terrainexploité. Pour toute justification, il suffit pourcelui-ci d’alléguer un lien de parenté avec unancien chef traditionnel de la localité. « Noussommes obligés de prendre la terre de forcepour la cultiver, ce qui entraîne souvent desconflits, puisque les Bantous finissent par nousdéposséder de nos champs. Nous avonsmaintes fois demandé au sous-préfet de nousdonner une étendue de terre où nouspourrions cultiver nos champs. Rien n’estencore fait », affirme un homme autochtoned’Impfondo.

Cependant, avec l’évolution des mœurs due aumodernisme, cette situation commence às’estomper dans certaines localités.Contrairement à la Likouala, la Sangha et lesPlateaux où cette pratique demeure encoretrès forte, dans la Lékoumou, le Niari

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et le Kouilou par exemple, on constate demoins en moins l’emprise des Maîtres sur lespeuples autochtones. En raison de l’abondancedes terres, certains Bantous ne jugent plusnécessaire de se disputer la propriété decertains terrains avec les peuples autochtoneset leur laissent la liberté d’accès à ces terrains.

Toutefois, ils ne leur reconnaissent pas lapropriété de vastes domaines fonciers. Enoutre, ils n’hésitent pas à user d’intimidationset autres astuces pour forcer les autochtones àleur céder leurs parcelles lorsque celles-ci sontsituées au milieu des villages.

Lorsqu’une société d’exploitation forestièredécide de s’installer dans un territoire donné,elle conclut le contrat avec l’administrationcentrale qui lui octroie les concessions sans aupréalable consulter les habitants de cetteforêt. A la rigueur, l’exploitant offre quelquesprésents aux chefs coutumiers et auxpropriétaires fonciers bantous au moment des’installer dans lesdites concessions. Quantaux peuples autochtones, ils ne sont pas prisen compte. Les exploitants forestiers lesutilisent plutôt comme guides pour identifier lazone et repérer les arbres.

Les conservateurs expulsent les communautésautochtones de leurs terres traditionnellessans consentement sous l’effet de toutes lesrestrictions drastiques liées à l’interdiction dela chasse et à la gestion de la forêt. Cetteexpulsion déguisée se fait sans alternative(pas d’attribution d’autres terres, niindemnisation ni subvention permettantd’envisager d’autres activités génératrices derevenus). Cela a des conséquences graves surl’aptitude des peuples autochtones à se nourrirconvenablement et provoque souvent desmigrations. Expulsés de la forêt, les peuplesautochtones sont contraints de vivre dans les

villages et deviennent des marginaux à lamerci des Bantous qui les utilisent alorscomme main-d’œuvre bon marché.

L’ACCÈS AUX RESSOURCES NATURELLES

Les droits d’usage reconnus dans le Codeforestier ne sont destinés qu’àl’autoconsommation. La subordination de touteactivité commerciale basée sur les produitsforestiers à un permis spécial (article 70 de laloi 16-2000) contribue à perpétuer la précaritédes populations autochtones qui ont pourprincipales activités : la chasse, la récolte dumiel, des chenilles, du raphia, du vin depalme….

Même si l’usage pour l’autoconsommation estpermis, souvent dans la pratique, les peuplesautochtones se trouvent confrontés à desinterdictions de fait. Parfois, les autrescommunautés leur interdisent de chasser oude récolter des produits forestiers. Parexemple, dans le plateau à Bene II, la chasseest soumise à une autorisation préalable duchef de terre ; et pour chaque gibier tué parune personne autochtone, le notable a droit àune partie de l’animal. Les populationspeuvent vendre librement leurs produits. Parcontre, pour échapper aux gardes forestiers,les peuples autochtones sont obligés d’utiliserdes astuces pour écouler le produit de lachasse traditionnelle qui est leur moyen desurvie principal. Toutefois, ils n’ont pas encoreacquis d’autonomie sur les prix ; il y a souventune influence des Bantous, Maîtres de la forêt.Ici, les peuples autochtones n’ont cependantpas droit de regard dans l’abattage des arbreset la vente, même artisanale, du bois.

Dans le département de la Likouala,précisément à Komba dans la sous-préfecturede Dongou, les Bantous interdisent auxpeuples autochtones d’aller chasser,

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pêcher ou récolter le miel dans certainesparties de la forêt. Celui qui se fait surprendrerisque une bastonnade suivie de la confiscationdu produit de la chasse, la pêche ou lacueillette.

Ainsi, les pouvoirs bantous ont des influencessur les droits d’usage des peuples autochtoneset les institutions étatiques, nongouvernementales et privées jouent un rôle decontrôle contre lesdits peuples. Par exemple,dans la Sangha, il y a tout un système dezonage développé par la WCS (WildlifeConservation Society – Association pour laconservation de la faune) interdisant lapratique de la chasse dans certains territoires.Si vous n’avez pas vos papiers de permis dechasse etc., les éco-gardes vous arrêtent.

La chasse est réglementée par la loi n° 48/83du 21 avril 1983 définissant les conditions deconservation et d’exploitation de la faunesauvage, par l’arrêté 3863 du 18 mai 1984déterminant les animaux intégralement etpartiellement protégés et par l’arrêté n° 3072du 12 août 1972 fixant les périodes de chasseen République populaire du Congo.

La période de fermeture de la chasse34, fautede compensation, exerce les mêmes effets queceux d’une aire protégée sur les populationsautochtones. Ceux-ci éprouvent les mêmesdifficultés liées à leur survie.

Aussi étant donné que les espècesintégralement protégées ne peuvent êtrechassées, les peuples autochtones neparviennent plus à effectuer certains rites.Pourtant, les peuples autochtones sont dotésdes connaissances traditionnelles sur laconservation des animaux qui peuvent êtreexploitées pour atténuer les difficultés liées àces interdictions de chasse en leur accordantdes exemptions.

Malgré les dispositions de la loi 003/91 du 23avril 1991 sur la protection de l’environnementprescrivant l’obligation d’études de l’impactenvironnemental, les activités d’exploration,d’exploitation ou de conservation des terresdes peuples autochtones se font au mépris desnormes en vigueur. Souvent, alors mêmequ’une telle étude doit être préalable selon laloi, il n’y a aucune étude d’impactenvironnemental avant de lancer une nouvelleactivité sur les terres des peuples autochtones.Ces activités non seulement n’épargnent pasles forêts sanctuaires, qui revêtent un aspectspirituel et magique pour la pratique de rites,gage de leur équilibre moral, psychologique etpsychique, mais encore elles réduisentsubstantiellement l’espace vital des peuplesautochtones.

LES IMPACTS DE L’EXPLOITATION FORESTIÈRE

S’agissant de l’incidence de l’exploitationforestière sur le mode de vie des peuplesautochtones, l’exercice de l’activité del’industrie forestière, à cause du manque detransparence et d’une politiqueenvironnementale inadéquate, contribue à ladestruction de leur milieu d’existence, à savoirla forêt. Son exploitation entraîne ladégradation de l’environnement et la négationde leur culture et tradition. Ce qui conduit àleur assimilation forcée. Ils ne bénéficient plusdes avantages résultant de l’exploitation desressources naturelles se trouvant sur leursterres traditionnelles.

Quant à l’accès et la gestion des redevancesforestières, des dispositions du Code forestierdevraient intégrer ces redevances dans ledéveloppement local. Mais, dans la pratique,l’opacité de la gestion de l’exploitationforestière fait que les peuples autochtones,comme les Bantous dans les villages et les

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zones forestières, ignorent l’existence de cesredevances. D’ailleurs, les cahiers des chargesconclus par les exploitants forestiers ne sontconnus que par les représentants del’administration au niveau de la préfecture.C’est à ce niveau que sont gérées cesredevances forestières, loin des populationsconcernées.

Le témoignage ci-dessous d’un chasseur-cueilleur Mbendjele à Pokola résume certainsdes points de vue communément admis àpropos de l’exploitation forestière :

« Nous sommes les gardiens de la forêt.Nous pensons que les Blancs devraientmieux partager leur argent. La majeurepartie de l’argent va aux Bilos (Bantous).Nous, les Akas, gardiens de la forêt, noussommes contraints de travailler sans êtrepayés. Nous ne recevons que très peu dechose. La forêt est ruinée et elle seremplit d'éco-gardes de plus en plusnombreux. Ils nous interdisent la forêt àcause de la viande de chasse... ces écogardes nous ont pris notre forêt. Ils sontpartout. Nos longs voyages dans la forêtne sont plus possibles. Chaque jour, desAkas sont renvoyés et remplacés par desnon-Akas. Nous, les Akas, sommes unpeuple forestier ; nous devrions travaillerdans la forêt ; mais au lieu de cela, desétrangers qui viennent des villes et desgros villages prennent tout notre travail »[Notre traduction]35.

LES IMPACTS DE LA CONSERVATION

La conservation risque d’avoir des impactsnégatifs sur les peuples autochtones : lacréation des aires protégées où tous les droits,même les droits d’usage, sont purgés, sansconsultation ni consentement, crée de gravesproblèmes pour les peuples qui en dépendent.

Le parc national de Nouabalé-Ndoki, parexemple, créé en 1993 dans les régions de laLikouala et la Sangha36, s’étend sur unesuperficie de 386.592 hectares. L’article 5 dudécret du 31 décembre énonce que le parc «est purgé de tout droit d’usage. Il s’agitnotamment : des défrichements, de la coupedes bois vivants, du ramassage de bois mortgisant, du pâturage des animaux domestiques,de la mise à feu, de la mutilation des arbres etde la chasse traditionnelle ». Cette privationdu droit d’usage est la même dans le parc deKoncouati Douli, créé dans le département duKouilou en 1999, et qui s étend sur unesuperficie de 504.950 hectares.

Ainsi, l’interdiction de chasse, principaleactivité des populations autochtones vivant àproximité de ces parcs, influence négativementle pouvoir d’achat et l’alimentation de cesderniers. Ils ne peuvent plus avoir ni moyensfinanciers pour leur survie ni de gibier pourleur nutrition, ce qui tend à les maintenir dansla pauvreté et favorise leur l’exploitation parles Bantous.

En outre, l’existence de ces réserves entraînesouvent des conflits avec les éco-gardes Fautede compensation, les peuples autochtonessont en effet obligés d’enfreindre la zone dechasse interdite.

Dans la région de la Sangha, fin septembre2005, des éco-gardes envahissent lecampement d’Ibamba et rouent de coups lesMbendjele sous prétexte que ces dernierschassent des animaux interdits. Ces éco-gardes pénètrent dans les huttes desMbendjele à la recherche de viande de chasseou de tout ce qui ressemble à de la chair(mène celle d’un oiseau), ouvrent lesmarmites et en renversent le contenu.

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Dans la foulée, ils balancent tout ce qu’ilsveulent et défoncent même les toitures descases. Ces expéditions, selon lescommunautés d’Ibamba, sont monnaiescourantes au point que, lorsque les Mbendjeleentendent le vrombissement du véhicule depatrouille des éco-gardes, ils fuient dans laforêt.

Ces comportements brutaux terrorisent lesMbendjele du campement d’Ibamba à tel pointqu’ils ne vont plus à la chasse et sont en trainde mourir de faim. A première vue, onpourrait penser qu’une famine sévit dans lazone. Et si l’on n’y prend garde, à long terme,cette terreur des éco-gardes risque d’effacer lemode de vie traditionnel des Mbendjele qui estintimement lié à la chasse en forêt, leur milieunaturel.

Dans le Kouilou, précisément dans le village deMassissa, situé dans la zone périphérique duparc de Congo Brazzaville, les Babongosrencontrent les mêmes difficultés. Lorsqu’ilssont surpris par les éco-gardes dans la zonedu parc, le gibier et leur arme sont confisqués,et l’arme n’est restituée que moyennant unesomme d’argent (jusqu’à 15.000 FCFA). Lespropriétaires des fusils (Bantous) rejettent laresponsabilité sur les chasseurs qui doiventpayer et l’arme et le gibier, faute de quoi, ilssont menacés. « En voulant échapper à lavigilance des éco-gardes, j’ai buté contre unarbre et le fusil que je portais a perdu sagâchette. Le propriétaire du fusil m’a roué decoups et m’a obligé à payer son arme et songibier, faute de quoi il me fera fuir le village »,témoigne, un habitant de Massissa.

AUTRES RESSOURCES NATURELLES

En ce qui concerne les ressources minières,l’article 2 de l’arrêté n°3464/MFBM/M d’août1966 définissant les autorisations nécessaires

pour l’exploitation artisanale de l’or, stipule : «les particuliers désirant se livrer àl’exploitation artisanale de l’or doivent êtretitulaires d’une carte d’orpaillage délivrée parle directeur des mines ».

Cette loi, loin d’être une garantie pour lespeuples autochtones, est plutôt un obstacle àl’exploitation de cette richesse minière par cesderniers. Heureusement que la pratique estplus favorable aux peuples autochtones. AKakamoeka, par exemple, dans ledépartement du Kouilou, l’exploitation de l’orse fait en fonction de ses forces. Et lesgrammes d’or obtenus et l’argent de la ventereviennent aux peuples autochtones qui lesont recueillis. Ils ont donc le contrôle de larichesse minière au même titre que lesBantous.

D) CONCLUSIONS

Beaucoup de communautés autochtones viventen situation précaire et risquent jour aprèsjour d’être dépossédées des terres qu’elleshabitent et utilisent régulièrement. Lalégislation nationale ne reconnaît pas les droitscollectifs à la terre et ne prend pas en compteles multiples façons dont ces terres pourraientêtre « mises en valeur ». Même s’il y a unereconnaissance des droits fonciers coutumiersdans la loi foncière, dans la pratique, les droitscoutumiers reconnus sont ceux des peuplesbantous et non ceux des peuples autochtones.Il est difficile pour une communautéautochtone d’obtenir un titre foncier et encoreplus difficile de veiller à ce que sesresponsabilités traditionnelles sur ses terressoient reconnues et respectées.

Concernant l’utilisation des terres et desressources naturelles que les peuplesautochtones considèrent comme leur

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appartenant, aucun système en placeactuellement ne s’assure du consentement oude la consultation de ces peuples. Ils sont misdevant le fait accompli, avec l’octroi d’uneconcession forestière ou la création d’une aireprotégée qui leur est imposée. Ils n’ont pas ledroit de connaître le contenu des cahiers descharges des exploitants forestiers, même s’ilssubissent les impacts les plus importants del’exploitation.

En ce qui concerne la conservation, il ressortde l’analyse des décrets créant les airesprotégées, ainsi que de l’arrêté sur lespériodes d’ouverture et de fermeture de lachasse que les populations autochtones vivantdans ces zones ne sont pas prises en compte.L’accent est mis sur la préservation del’écosystème forestier dans son état naturel etsur la conservation de la diversité biologique,deux notions certes très importantes, maissans évaluer l’impact défavorable que ces airesprotégées exercent sur la vie des peuplesautochtones. Le fait de purger tout droitd’usage dans les parcs sans mesured’accompagnement pour les populationsautochtones qui ont pour principales activitésla chasse et la cueillette entraveconsidérablement leur mode de vie et accroîtleur vulnérabilité.

E) RECOMMANDATIONS

Il serait souhaitable que la loi comporte unesection spécifique relative au droit des peuplesautochtones à la terre et aux ressourcesnaturelles.

DROIT À LA TERRE

Par rapport au droit à la terre, la loi devrait :

1. Reconnaître les droits collectifs des peuplesautochtones à la propriété, la possession ou la

jouissance des terres qu’ils occupenttraditionnellement ou utilisent d’une autremanière.

2. Reconnaître le principe de territorialité,c’est-à-dire, les droits de propriété, possessionou jouissance sur la totalité del’environnement ou des habitats que lespeuples autochtones occupenttraditionnellement ou qu’ils utilisent d’uneautre manière.

3. Reconnaître le caractère collectif du droitdes peuples autochtones à la propriété, lapossession ou l’usage de leurs terres, selonleurs us et coutumes.

4. Reconnaître l’importance spéciale querevêtent la culture et les valeurs spirituellesdes peuples intéressés dans la relation qu’ilsentretiennent avec leurs forêts traditionnelles.

5. Reconnaître le droit coutumier des peuplesautochtones sur les terres qu’ils occupenttraditionnellement d’une manière permanenteou semi-permanente, en valorisant la mise envaleur de leurs terres selon leurs us etcoutumes.

6. Reconnaître, garantir et protéger lesprincipes de l’inaliénabilité, l’imprescriptibilitéet l’intangibilité de la propriété des terresautochtones.

7. Reconnaître le droit d’usage sur les terresque les peuples autochtones utilisenttraditionnellement, même s’ils ne les occupentou ne les utilisent pas d’une manièrepermanente, ou si lesdites terres sont utiliséesconjointement avec d’autres communautés.

8. Protéger les droits de propriété, depossession et de jouissance des terresautochtones à travers la mise en œuvre deprogrammes de démarcation et d’octroi de

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titres fonciers, prenant en compte le droitcoutumier, les valeurs, les us et les coutumesde ces peuples.

9. Faire en sorte que l’octroi de titres foncierssur les terres autochtones soit gratuit etexempt de charges.

10. Interdire le déplacement forcé des peuplesautochtones de leurs terres traditionnelles,sauf à titre exceptionnel, pour motifs desécurité nationale ou de santé publique. Dansles cas où ce déplacement est indispensable,les communautés concernées doivent avoir ledroit de retourner sur leurs terres. Quand untel retour n'est pas possible, elles doivent êtrerelocalisées sur des terres similaires etindemnisées pour toute perte ou dommagesubi de ce fait.

11. Empêcher l’occupation ou l’expropriationillicite des terres autochtones par despersonnes qui n'appartiennent pas à cespeuples ; ou empêcher que ces personnespuissent se prévaloir des coutumes desditspeuples ou de l'ignorance de leurs membres àl'égard de la loi en vue d'obtenir des droits surces terres.

12. Reconnaître les modes de transmission oude répartition interne des droits fonciers entreles membres des communautés autochtones.

DROITS AUX RESSOURCES NATURELLES

Par rapport aux droits des peuples concernés àl’accès et à l’usage des ressources naturellesdont sont dotées leurs terres, ou concernantl’exploitation des ressources naturellessusceptibles d’affecter directement leurenvironnement ou leur habitat, la loi devrait :

1. Reconnaître le droit des peuplesautochtones à l’accès et l’utilisation desressources naturelles qu’ils exploitent

traditionnellement essentiellement pour leursubsistance, y compris les eaux, la faune, laflore et autres ressources de la forêt. Lesmécanismes de forêts classées ou de zones dechasse prévues par la législation nationalepourraient être utilisés à cet égard.

2. Reconnaître spécialement les droits despeuples autochtones à la chasse et àl’utilisation des ressources forestières pourl’autoconsommation, dans les termes reconnuspar la loi congolaise. Il serait souhaitable dereconnaître le droit à la commercialisation desproduits forestiers non ligneux par les peuplesautochtones, en dehors du système de permisspéciaux prévus par le Code forestier.

3. Inclure des mécanismes pour laconsultation des peuples autochtones chaquefois que l’on envisage l’exploration,l’exploitation ou la conservation des ressourcesnaturelles dans leur environnement ou leurhabitat.

4. Inclure la nécessité d’élaborer des étudesd’impact socio-économique et environnementalsur les communautés autochtones des projetsd’exploitation ou de conservation desressources naturelles.

5. Inclure l’amélioration des conditions de vieet du niveau d’éducation, d’emploi et de santédes peuples autochtones comme objectifsprioritaires des cahiers des charges dugouvernement qui sont liés aux concessionsd’exploitation forestière ou minière.

6. Inclure le devoir de l’Etat de consulter lespeuples autochtones chaque fois que l’onenvisage la création d’aires protégéessusceptibles d’affecter directement leurscapacités d’utiliser les ressources naturelles ;et les associer à l’utilisation, à la gestion et àla conservation des ressources dont sontdotées ces aires.

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7. Protéger et valoriser les connaissances,innovations et pratiques des peuplesautochtones sur la diversité biologique etassurer le partage équitable des avantages quien découlent.

A) LES STANDARDS INTERNATIONAUX

Le droit international a pris en compte lesgraves conditions de vie des peuplesautochtones dans toutes les parties du monde.A la lumière des phénomènes historiques quiont fait que les peuples autochtones comptentparmi les plus pauvres des pauvres, il convientde leur accorder une attention particulière dupoint de vue de la santé, du logement, del’éducation et de l’emploi. Tout au moins, lesgouvernements doivent prendre des mesurespour éliminer le traitement discriminatoire ouautres entraves qui privent les membres desgroupes autochtones des services d’assistancedont bénéficient les secteurs dominants de lapopulation.

Historiquement à travers le monde, l’éducationen particulier a souvent été la composanted’un projet d’assimilation des populationsautochtones, et perçue comme telle. Dans lemême temps, l’éducation peut offrir auxpopulations autochtones un savoir précieux etdes compétences propices à leurdéveloppement et à l’amélioration de leurniveau de vie individuel et collectif ainsi qu’àune intégration respectueuse de leur culturedans la société nationale et internationale plusvaste. C’est ce qui explique pourquoil’enseignement public a été à la fois rejeté etrecherché par les populations autochtones àdifférents stades et dans différents contextes.

A la lumière de l’évolution des pratiquesnationales et des nouvelles normesinternationales, le Comité des droitséconomiques, sociaux et culturels de l’ONUs’est penché sur le droit à l’éducation dans lecontexte des populations autochtones37,affirmant « les Etats ont l’obligation derespecter, de protéger et de mettre en œuvrele droit à l’éducation pour ce qui est dechacune de ses "caractéristiques essentielles"(dotations, accessibilité, acceptabilité,adaptabilité). Par exemple, un Etat doit …(faciliter) l’acceptabilité de l’éducation enprenant des mesures concrètes pour faire ensorte que l’éducation convienne du point devue culturel aux minorités et aux peuplesautochtones et qu’elle soit de bonne qualitépour tous »38.

Ces principes d’attention prioritaire auxpeuples autochtones en matière d’éducationsont garantis également par la Convention Nº169 de l’OIT, dans une section spécifique. LaConvention garantit aux personnesautochtones « la possibilité d’acquérir uneéducation à tous les niveaux au moins sur unpied d’égalité avec le reste de la communauténationale» (article 26). La Convention cibleaussi le développement des programmes etservices d’éducation adaptés aux «besoinsparticuliers » des communautés autochtones(article 27.1), ainsi qu’à la formation desmembres de ces communautés dans lesprogrammes gouvernementaux d’éducation(article 27.2). La Convention défend, «[l]lorsque cela est réalisable », l’enseignementaux enfants autochtones « dans leur proprelangue indigène ou dans la langue qui est leplus communément utilisée par le groupeauquel ils appartiennent » (article 28.1), engarantissant toujours qu’ils atteindront « lamaîtrise de la langue nationale ou de l’une deslangues officielles du pays » (article 28.2).

6. DROITS ECONOMIQUESET SOCIAUX

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La santé des peuples autochtones a été cibléepar les organismes internationaux. Ainsi, leComité des droits économiques, sociaux etculturels de l’ONU a affirmé que le droit à lasanté exige que « [l]es plantes médicinalesessentielles, les animaux et les minérauxnécessaires aux peuples autochtones pourjouir pleinement du meilleur état de santépossible devraient également être protégés. LeComité note que, dans les communautésautochtones, la santé des individus estsouvent liée à celle de la société tout entièreet revêt une dimension collective. A cet égard,le Comité considère que les activités liées audéveloppement qui éloignent les peuplesautochtones, contre leur gré, de leursterritoires et de leur environnementtraditionnels, les privant de leurs sources denutrition et rompant leur relation symbiotiqueavec leurs terres, ont des effets néfastes surleur santé. »39

La Convention Nº 169 de la OIT comporteaussi des dispositions relatives à l’organisationdes services de santé par rapport aux peuplesautochtones, avec la participation de cespeuples, qui doivent « tenir compte de leursconditions économiques, géographiques,sociales et culturelles, ainsi que de leursméthodes de soins préventifs, pratiques deguérison et remèdes traditionnels » (article27.2)

Finalement, la Convention incorpore une sériede dispositions relatives au travail et auxconditions d’emploi des personnes appartenantà des communautés autochtones, qui renfermequelques « mesures spéciales » pour laprotection du travail des autochtones (articles4), « dans la mesure où ils ne sont pasefficacement protégés par la législationapplicable aux travailleurs en général ». Cesmesures incluent, par exemple, des garanties

par rapport au principe de « rémunérationégale pour un travail de valeur égale » (article20.2.b) et, notamment, le droit destravailleurs autochtones à ne pas être «soumis à des systèmes de recrutementcoercitifs, y compris la servitude pour dettesous toutes ses formes » (20.3.c).

Somme toute, les normes générales quigarantissent les droits à l’éducation, la santéou les conditions de travail, connaissent desparticularités en rapport aux besoinsprioritaires et aux conditions particulières etmodes de vie des peuples autochtones. Lesnormes internationales qui reconnaissent lesdroits de peuples autochtones par rapport à lajouissance des droits socioéconomiques ont encommun trois principes : premièrement : ledevoir d’attention prioritaire porté aux peuplesautochtones ; ensuite, le respect etl’adaptation aux cultures et modes de vieautochtones ; puis la prise en compte de cespeuples dans la planification et mise en oeuvredes programmes et services sociaux.L’interaction de ces trois principes oblige lesÉtats à établir des politiques spéciales auregard de l’éducation, de la santé et desconditions d’emploi de ces groupesvulnérables.

B) CADRE JURIDIQUE NATIONAL

Le droit congolais reconnaît à toutes lespersonnes, sans discrimination, la jouissancedes droits sociaux et économiques. S’agissantdu droit à l’éducation, la Constitution, dansson article 23, stipule que : « le droit àl’éducation est garanti. L’égal accès àl’enseignement et à la formationprofessionnelle est garanti. L’enseignementdispensé dans les établissement publics estgratuit ». La Charte des droits et des libertésdu 23 mai 1991 protège aussi le droit à

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l’éducation est garanti. L’égal accès àl’enseignement et à la formationprofessionnelle est garanti. L’enseignementdispensé dans les établissement publics estgratuit ». La Charte des droits et des libertésdu 23 mai 1991 protège aussi le droit àl’éducation dans son article 37. Ni laConstitution ni les lois congolaises n’incluentdes dispositions spécifiques concernantl’éducation des communautés autochtones dupays.

La Constitution consacre le droit à la santépour tout citoyen. En effet, l’article 30 affirmeque « l’Etat est le garant de la santé publique». Le premier alinéa de cet article protège lespersonnes vulnérables, mais n’inclut pasexplicitement dans ce concept les populationsautochtones. Il est libellé comme suit : « lespersonnes âgées et les personnes handicapéesont droit à des mesures de protection enrapport avec leurs besoins physiques, morauxou autres en vue de leur pleinépanouissement».

La Charte des droits et libertés énumère unesérie de garanties additionnelles concernant ledroit à la santé. Ainsi, l’article 31 de la Charte,alinéa c, garantit la « protection et la luttecontre les maladies épidémiologiques,transmissibles ou endémiques ». Cette Charteexige de l’Etat, « la création des conditionspropres à assurer à tous les citoyens lesservices médicaux et une aide médicale en casde maladie », comme énoncé à l’article 32.d.

Même si les dispositions constitutionnelles neprévoient pas des programmes ou servicesspécifiques pour les groupes autochtones, laLoi N° 009/88 du 23 mai 1988 portant Codede déontologie des professions de la santé etdes affaires sociales inclue une référencegénérale aux devoirs des personnels sanitaires

de ne pas faire de distinction dans leur labeur:« les personnels de la santé et des affairessociales doivent…assister et soigner tous lespatients quelles que soient leur condition, leurnationalité, leur religion, leur opinion politiqueet philosophique, leur réputation » (article 5).

Le droit à la santé renferme aussi le droit à unenvironnement sain. En effet, l’article 35 de laConstitution affirme que : « tout citoyen adroit à un environnement sain, satisfaisant etdurable et a le devoir de le défendre. L’Etatveille à la protection et à la conservation del’environnement ». La loi n° 003/91 du 23avril 1991 sur la protection de l’environnementqui réglemente le domaine de l’environnementpermet de lutter contre les atteintes àl’environnement et à la santé des personnesou à leurs biens (art. 1). Aucune de cesdispositions ne fait expressément allusion à laprotection de l’environnement par rapport auxpeuples autochtones.

Le droit au travail est garanti par laConstitution. L’article 24 énonce que « l’Etat,reconnaît à tous les citoyens, le droit autravail et doit créer les conditions qui rendenteffective la jouissance de ce droit ». Ce droitcomporte l’établissement et le respect descontrats individuels de travail, l’égalité dans ladétermination du salaire et son paiementrégulier, la protection de la femme et del’enfant dans le travail.

En effet, la loi n° 45/75 du 15 mars 1975portant Code de travail, dans ses articles,édicte des garanties spécifiques contre laviolation du droit constitutionnel au travail. Laloi interdit « de façon absolue » le « travailforcé ou obligatoire » (article 4) et la ruptureabusive des contrats (article 42). La loireconnaît en même temps le principe del’égalité de salaire pour un travail égal a tous

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les travailleurs, « pour tous les travailleursquels que soient leur origine, leur sexe, leurâge et leur statut » (article 80) ; et garantit lepaiement régulier du salaire (article 88) enmonnaie ayant cours légal (article 87).

Le Code du travail protège spécialement lesenfants et les femmes comme des groupessociaux particulièrement vulnérables et doncparticulièrement susceptibles d’exploitation ouabus. Ainsi, l’article 117 alinéa 2 dispose que :« la femme ou l’enfant ne peut être maintenudans un emploi ainsi reconnu au-dessus de sesforces et doit être affecté à un emploiconvenable ». Par contre, les personnesautochtones ne sont pas considérées commedes groupes nécessitant une protectionspéciale à cet effet.

De l’analyse des lois en vigueur, on peutconclure que le cadre juridique national neprotège pas de façon spécifique lespopulations autochtones s’agissant de lajouissance de leurs droits sociaux etéconomiques. Ceux-ci étant des citoyens àpart entière, ils doivent bénéficier del’ensemble des droits que la loi énonce pourtous. Toutefois, en raison des discriminationsdont ils font l’objet, il est indispensabled’élaborer une loi spécifique ayant pour but laprotection de ces populations.

C) LES DROITS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUXDANS LA PRATIQUE

EDUCATION POUR TOUS ?

Le système éducatif congolais est calqué sur lemodèle occidental. Il ne tient pas compte desspécificités congolaises et ne respecte pas lesrites particuliers des diverses communautésnationales, y compris les peuples autochtones.Les écoles sont éloignées, il n’y a pas d’écolesmobiles, le calendrier n’est pas adapté auxpériodes de la chasse, etc. Le manque

d’adaptation des programmes à leurs modesde vie particuliers a pour conséquence lalimitation de l’accès des enfants et adultesautochtones à l’éducation officielle.

En dépit de l’affirmation du droit à l’éducationpour tous, le taux de scolarisation demeuretrès faible au sein des communautésautochtones dans tous les départements. Dansle Kouilou par exemple, notamment dans ledistrict de Madingo-Kayes, la majeure partiedes enfants pygmées ne va pas à l’école.

L’éloignement constitue un frein à lascolarisation des enfants autochtones. Iln’existe pas d’établissements scolaires propresaux communautés autochtones ; ceux-cifréquentent les mêmes écoles que les Bantousqui sont souvent très éloignées de l’endroit oùils vivent, ce qui ne les incite pas à s’yinscrire. Dans certaines cases, l’abandonscolaire se produit dans les derniers niveauxde la scolarisation. À Ngoua II, les enfantsautochtones abandonnent fréquemment leursétudes après le BEPC, dans la mesure où il n’ya pas de lycée dans la sous-préfecture ; il fautse rendre soit à Dolisie, soit dans les sous-préfectures environnantes (Nianga, Divenié…),or ceci n’est pas réaliste pour la majorité desfamilles autochtones.

Le paiement des droits scolaires est leprincipal frein à la scolarisation autochtone :les enfants autochtones dont les familles sontpour la plupart dépourvues de moyens, nepeuvent être assidus aux cours. Dès que l’oncommence à demander les frais scolaires, lesenfants pygmées dépourvus de moyensarrêtent les cours.

Un exemple de l’importance de ce facteur estdonné par le district de Kakamoeka oùquasiment tous les enfants autochtones vont àl’école. Aucune pièce ne leur est demandée àl’inscription.

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Un autre exemple est le cas du départementdu Niari à Longo. Tous les enfants en âged’aller à l’école sont scolarisés et jouissentd’une dispense des frais de scolarité, mêmes’ils doivent payer une somme de 300 FCFAchaque mois pour payer les enseignantsvacataires. À Ngoua II, par contre, aucunedispense n’est accordée aux enfantsautochtones. Ainsi, pour des raisonsfinancières, certains enfants ne vont pas àl’école ou y vont grâce à la sollicitude desenseignants, mais ils sont bien obligés des’arrêter dans les classes préparatoires, avantde passer le concours pour lequel le paiementdes droits est obligatoire.

Un troisième exemple est celui de Bivella,dans la Kouilou, où il existe une écoleconstruite par la société FORALAC, fréquentéeaussi bien par les Bantous que par lesBabongos. Cependant, les enseignants qui nesont pas salariés de l’Etat doivent être pris encharge par les parents des élèves moyennantdes frais d’écolage de quatre cents francs (400FCFA) par mois. Faute de pouvoir faire face àces frais d’écolage, les enfants des Babongossont souvent contraints d’abandonner leursétudes avant la fin du cycle primaire.

Le faible taux de scolarisation des enfantsautochtones est aussi renforcé par l’absenced’aides officielles pour la prise en charge deleurs études. « Malgré notre état de pauvreté,nos enfants ne bénéficient d’aucune aide del’Etat », déclare le chef du village Epounou II(Plateaux). « Ce qui rend incertaine leurréussite scolaire », conclut–il.

Il faut souligner l’existence de certainesinitiatives publiques et privées qui tiennentcompte des besoins particuliers des enfantsautochtones, en établissant des programmesspéciaux pour leur éducation. Par exemple, le

gouvernement a mis en place le programmed’alphabétisation d’enseignement de base desenfants autochtones (PRAEBASE) pourfavoriser la scolarisation de ces enfants, entreautres, en les exemptant des droits scolaires.Toutefois, ce programme, piloté par la BanqueMondiale, est encore en phase d’identification.

Dans le département de la Lékoumou,l’International Partnership For HumanDevelopment (IPHD), une ONG américaine,favorise la scolarisation de plus de 700Pygmées. Dans le cadre de la mise en œuvrede ce projet, l’IPHD a commencé par unrecensement des enfants. Puis, desinscriptions ont été prises dans les différentesécoles. Pour les motiver, tous les enfantsinscrits ont reçu des kits scolaires, des tenuesscolaires, des savons. Les conditions sontégalement réunies pour qu’ils reçoivent dessoins médicaux. Pour faire en sorte qu’ils nedésertent pas les classes pendant les saisonsde cueillette ou de chasse, des cantinesscolaires ont été installées afin qu’ilss’alimentent sur place. Le projet est en trainde donner des résultats satisfaisants parce quel’évaluation faite montre que la cohabitationentre enfants autochtones et bantous enmilieu scolaire ne cesse de s’améliorer et letaux de fréquentation est remarquable.

LOIN DE LA SANTÉ

L’absence d’infrastructures sanitaires dans lesvillages des peuples autochtones ne permetpas à ces derniers de jouir de leur droit à lasanté de façon égalitaire avec l’ensemble de lapopulation congolaise.

L’éloignement des centres de santé est lepremier facteur du non d’accès des personnesautochtones aux soins de santé.. À Longo(département du Niari), par exemple, iln’existe pas d’hôpital. Ainsi, pour les

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soins médicaux, la population doit se rendre àNianga (15 kilomètres). Cette situation estidentique au Kouilou. Dans le village de Bada,les autochtones se soignent souvent par lamédecine traditionnelle. Ils ne se rendent pasà l’hôpital car le centre hospitalier se trouvequ’à Kakamoeka (à 14 kilomètres). Il y a bienun cabinet médical à Bisinzi (7 kilomètres),mais ils n’ont pas les moyens d’être examinéset soignés.

Les personnes autochtones se rendentrarement dans les centres sanitaires installésdans les villages bantous, où ils fontfréquemment l’objet de discrimination. Ils sontbien reçus dans les hôpitaux à conditiontoutefois de disposer des moyens financiers.S’ils sont démunis, ils subissent le mépris.

Le manque de ressources financières expliquel’importance du recours à la médecinetraditionnelle, et même quelquefois un certainmépris de la médecine moderne ou uneindifférence envers cette dernière. Ainsi, parexemple, à Sembé, dans le Sangha, il y a unhôpital tenu par les Sœurs Franciscaines, où lapopulation autochtone peut accéder, mais lesfemmes préfèrent recourir aux soins par lesplantes. En général, les femmes autochtonesfont les consultations prénatales mais ellesaccouchent à domicile. Leur connaissance desplantes et de la thérapie traditionnelle suppléela médecine moderne. Cette connaissance faitmême l’objet d’un grand commerce avec lesvillageois bantous malades.

Toutefois, la médecine traditionnelle estimpuissante devant certaines maladiesauxquelles les autochtones n’étaient jadisguère exposés. Par exemple, le pion, leshernies ou l’appendicite constituent desmaladies mortelles pour ces populationsdémunies.

Malgré le manque de moyens financiers et ladistance qui sépare les communautésautochtones des services publics de santé,quelques populations autochtones, comme àLongo et Ngoua II (Niari), bénéficient descampagnes de vaccination initiées sur leterritoire national mais elles n’ont jamais étéinformées sur le VIH et SIDA et les autresMST.

L’EXCLUSION DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Dans tout le pays, des relations commercialesexistent depuis des siècles entre peuplesautochtones et Bantous. On assiste toujours àdes échanges entre peuples autochtones(produits de la chasse et de la cueillette) etBantous (habits et objets divers, …). On peutaussi souligner que ces échanges commerciauxordinaires ou sous forme de troc représententune contribution importante des peuplesautochtones à l’économie régionale, voirenationale.

Pourtant, de nos jours, dans les relationscommerciales, souvent les Bantous refusentd’acheter les produits préparés et vendus parles peuples autochtones comme le manioc, laviande, le miel et les médicaments.

En plus il est souvent très difficile pour lesautochtones d’accéder aux marchés ou ilspeuvent vendre leurs produits à bon prix.Courant novembre 2005, dans la localitéd’Epounou II à Gamboma (Plateaux), il y avaitun chantier de construction d’une route et ilétait permis aux chauffeurs d’aider lespopulations à se déplacer car la zone était trèsenclavée. Toutefois, l’équipe de chercheurs quiavait sollicité l’aide d’un véhicule pour rentrerà Gamboma a vécu un cas flagrant. Lechauffeur qui devait ramener les membres del’équipe de chercheurs a refusé de lesembarquer à bord du véhicule malgré

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leur insistance, pour la simple raison qu’ilsétaient en compagnie d’autochtones.

Dans le département de la Sangha, commedans la Likouala, on a observé des relationsd’assujettissement des peuples autochtonesaux Bantous. Cette situation fait que lesproduits de la chasse ou de la cueillette despeuples autochtones sont vendus à très faibleprix. Par exemple, le paquet de coco (Gnetumafricanum) est échangé contre deux bâtons decigarette (valeur 25 FCFA) au campementd’Ibamba, alors que dans les concessions de laCIB et à Pokola, il se vend à 100 FCFA. Ouencore, un verre de foufou (farine de manioc)est échangé contre deux paquets de coco(valeur 200 FCFA), alors qu’il esthabituellement vendu à 100 FCFA.

Dans le cas de Ngoua II – Moutamba (Niari),le président du comité du village interdit àtoute femme autochtone de vendre du maniocpréparé au risque de se faire arrêter par lapolice et d’avoir à payer une amende.

UNE MAIN D’OEUVRE EXPLOITÉE

Les populations autochtones sont soumises àdes conditions de travail difficiles quis’apparentent, dans certains cas spécifiques, àdes conditions de travail forcé proches del’esclavage.

Les travailleurs autochtones ne sont pasgénéralement pas considérés comme destravailleurs au même titre que le reste de lapopulation. Dans les localités telles que NgouaII (Niari), où l’exploitation forestière estintense, les peuples autochtones ne sont pasemployés comme travailleurs permanents maistemporaires. Chaque employé autochtone estconsidéré comme analphabète. Dans la régionde la Likouala, l’accès à l’emploi de cespersonnes est difficile. Lors des grands travaux

de la « municipalisation accélérée » dudépartement en 2005, les peuples autochtonesn’ont pas été recrutés. La raison évoquée parles employeurs était la suivante : « Lespeuples autochtones sont paresseux, neveulent pas travailler et désertent leurs postesde travail à des périodes précises pour desrites en forêt, etc. ».

Dans le département du Kouilou, la sociétéFORLAC, principal exploitant forestier et doncgénérateur d’emploi, recrute tout de mêmequelques membres des peuples autochtones(pour l’éclairage des routes, mais aussi commeaide conducteur, abatteur, guide, pointeur,etc.). Cependant, contrairement aux Bantous,leurs emplois sont généralement temporaireset donc marginalisés au profit des Bantousbien qu’ils aient une meilleure connaissance dela forêt.

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Salaires récupérés par d’autres personnesCourant août 2005, au cours de ses missions d’identification, l’OCDH a constaté queplus de quatre-vingt-dix pour cent des travailleurs du Service National de Reboisement(SNR) d’Enyélé (Likouala) sont des autochtones.

Ils sont régulièrement engagés comme temporaires pour des contrats de trois moisrenouvelés systématiquement à leur expiration. En contrepartie de leurs prestations, ilssont payés un salaire de base de 45000 FCFA. Au départ, les autochtones venaientpercevoir leur salaire au siège du SNR, accompagnés de leur Maître, qui s’en emparaitensuite pour faire le partage à sa guise. Constatant cela, le responsable du SNR avaitmenacé de renvoyer tous les autochtones qui viendraient encore accompagnés de leurMaître. Finalement ceux-ci (les Maîtres) ne se présentent plus ouvertement aux bureauxdu SNR lors des paies.

Néanmoins, certains témoins affirment qu’après la paie, les autochtones vont déposerleurs salaires entre les mains de leurs Maîtres qui, à cette occasion, les attendent chezeux. Mais ils ne peuvent l’avouer par peur des représailles de leur Maître et du chef duSNR.

En outre, ces autochtones étant analphabètes, ils ont du mal à maîtriser le décompte dela monnaie. Ainsi, lorsqu’ils se présentent dans les boutiques de la ville pour faire desachats après leur jour de paie, ils sont souvent victimes d’escroquerie de la part decertains commerçants véreux qui souvent ne leur rendent pas la monnaie qui leur estdue. Parfois, ils augmentent délibérément les prix de leur marchandise, profitant del’ignorance de leurs clients autochtones.

En outre, une personne qui a demandé à garder l’anonymat, a affirmé que si lesBantous refusent de travailler au SNR, c’est à cause de l’irrégularité du paiement dessalaires. Le dysfonctionnement de ses services ajouté à l’enclavement et à la complexitédu système de paiement, qui se fait par le budget de transfert, entraînent un retarddans le paiement des salaires des travailleurs du SNR qui peut dépasser trois mois. LesBantous, qui ne peuvent supporter un tel traitement, ont pour la plupart déserté leurposte. « N’eut été la présence des Pygmées dans la localité, il serait difficile au SNRd’avoir de la main-d’œuvre. D’ailleurs, comme ils ne savent pas compter l’argent etn’ont pas la notion du temps pour savoir qu’ils sont arrivés à la fin du mois, ils n’ontpas la possibilité de revendiquer le paiement de leur salaire, ni de protester lorsqu’on neleur en paie que la moitié » a-t-il conclu.

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Dans la majorité des localités visitées, lespeuples autochtones perçoivent unerémunération inférieure à celle des Bantousalors qu’ils effectuent les mêmes tâches.

La rémunération des travaux champêtres varieentre 500 et 1.000 FCFA par jour. La plupartdes Bantous les paient en nature – ennourriture, en objets (vieilles machettes, vieuxhabits, marmite, etc.) et très souvent enalcool. A Bihoua, à Mouala et à Mapati, au lieude toucher une rémunération de 300 FCFA, lesautochtones peuvent remplir un fût de noix depalme. Dans le village de Ngoua II, ils sontemployés pour des travaux champêtres contreune rémunération insignifiante - 500 FCFA parjour - alors que les Bantous refusent detravailler pour cette somme.

Dans la localité de Dongou, département de laLikouala, en janvier 2006, lors desconsultations, les chercheurs ont rencontré unautochtone maltraité après avoir reçu l’ordrede travailler dans un champ bantou.L’autochtone n’avait pas exécuté sa tâche caril se sentait malade. En conséquence il avaitété roué de coups devant eux et avait étécontraint d’aller travailler tôt le matin malgréson état de santé.

Certains Bantous de la Sangha et des terresdes Kaboungas vont jusqu'à kidnapper lesautochtones « récalcitrants » ou à se saisir deleurs ustensiles pour les contraindre àrembourser leurs dettes par des travauxchampêtres qui deviennent des travaux forcés.A Mbalouma, village situé à 5 km de Ouesso,capitale de la Sangha, lorsqu’une personneautochtone contracte une dette qu’elle ne peutrembourser, elle est obligée de travaillerdurement dans un champ appartenant à unBantou jusqu’au remboursement de la sommedue, voire même au-delà. C’est au Bantou de

déterminer l’étendue de la tâche à accompliret il profite généralement du manque deconnaissances de ces populations. Dans laLékoumou, à Sibiti, les populationsautochtones qui habitent la périphérie sontvenues pour prêter main-forte aux populationsbantoues et vendre les produits de la chasseet de la cueillette. Mais, elles sont utiliséescomme esclaves.

D) CONCLUSIONS

Les droits économiques et sociaux demeurentseulement un objectif dans les textes légauxpour les personnes autochtones. Ladiscrimination historique contre ses groupes,leur éloignement spatial et culturel desservices sociaux assurés par l’Etat, et lemanque d’adaptation des politiques et servicespublics aux besoins et mode de vie particuliersdes communautés autochtones sont desfacteurs qui exercent un impact négatif sur lacapacité de jouissance des droits qui leur sontreconnus par la Constitution congolaise enmatière de santé, d’emploi et de travail. Enconséquence, les peuples autochtonesdemeurent les plus pauvres d’entre lespauvres au Congo et leurs conditions de vie etde travail sont tragiquement bassescomparées à celles du reste de la nation.

Les enfants autochtones ne sont pas souventscolarisés à cause de l’absence d’écoles prèsde leurs localités, de l’inadaptation descalendriers et programmes scolaires à leursbesoins et leur mode de vie, et, surtout, àcause d’un manque de moyens financiers.Comme quelques projets mis en œuvre ledémontrent, lorsqu’on s’attaque aux causesstructurelles du faible taux de scolarisation desenfants autochtones, en tenant compte de leurmode de vie et de leur besoin de soutienmatériel, on obtient des résultats positifs et

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cette approche devrait être considérée par lesprogrammes éducatifs nationaux, avec laparticipation des peuples concernés.

L’éloignement des centres sanitaires et lemanque de moyens financiers sont égalementdes facteurs qui affectent l’accès de cespopulations aux services officiels de santé. Lamédicine traditionnelle autochtone fournit unealternative effective dans quelques situationset, dans cette mesure, mérite d’être prise encompte et stimulée par les pouvoirs publics. Lavalorisation de la médicine traditionnelle nedoit cependant pas empêcher la mise en placede politiques de santé qui prennent en compteles circonstances particulières qui constituentdes obstacles à la jouissance du droit à lasanté par les peuples autochtones.

La plupart des personnes autochtonesexercent un travail rémunéré dans desconditions qui violent les garantiesconstitutionnelles de base, comme le principed’égalité salarial pour un travail de qualitéégale, le droit à un salaire périodique et enmonnaie ayant cours légal, et, en général, lanon-discrimination sur le lieu de travail. Onconstate avec préoccupation que, tropsouvent, les infimes salaires obtenus par cestravailleurs ainsi que les conditions injustesimposées par leurs employeurs portentatteinte à la liberté du travail d’une manièrequi s’apparente au travail forcé, ou même àl’esclavage.

E) RECOMMANDATIONS

EDUCATION

Concernant l’éducation, il serait souhaitable de :

1. Prendre en compte dans la conception et ledéveloppement des services d’éducation :

a. Les spécificités de la vie semi-nomadey compris la mobilité des communautés et

un calendrier scolaire adapté auxpratiques des peuples concernés.

b. Une dispense du critère d’âge pour lascolarisation des enfants autochtones.

c. Le respect de l’article 83 de laConstitution congolaise du 20 janvier 2002sur la gratuité de l’école et l’octroi debourses d’études aux enfants autochtonesà partir du secondaire.

d. La diversité des langues autochtones etleur valeur.

e. La formation des enseignantsautochtones.

2. Instaurer un système d’alphabétisationadapté aux cultures autochtones.

SANTÉ

Concernant la santé, il serait souhaitable de :

3. Instaurer des services de soins de santéprimaire intégrés en milieu autochtone, entenant compte des spécificités d’une vie semi-nomade.

4. Mettre en place des mécanismes pourvaloriser la médecine traditionnelle despeuples autochtones, par exemple, des centresde médecine traditionnelle.

5. Favoriser l’accès à moindre coût despeuples autochtones aux soins médicaux dansles structures sanitaires publiques et dans lescentres médicaux des entreprises forestières.

6. Interdire l’utilisation de produits toxiquesqui mettent en danger la santé ou favorisentla pollution du milieu dans lequel vivent lespeuples autochtones.

7. Former des agents de santé autochtonesaux soins intégrés de santé primaire.

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CONDITIONS DE TRAVAIL

Concernant les conditions de travail, il seraitsouhaitable de :

8. Rémunérer, dans la justice et l’équité,l’expertise des peuples autochtones, parexemple leurs connaissances de la forêt et deses espèces.

9. Exiger que les peuples autochtones soientprioritairement recrutés par les sociétésforestières, minières et autres qui exercentdans leur milieu.

10. Prendre des mesures spéciales pourgarantir l’accès à la formation professionnelledes peuples autochtones.

11. Veiller à ce que les autochtones employésdans le secteur privé, le secteur public ou lesstructures de la société civile perçoivent lamême rémunération que les autres personnesexerçant le même travail.

12. Accorder aux travailleurs autochtonesl’égalité des chances en termes d’avantagessociaux, d’indemnités et de promotion .

13. Veiller au respect des dispositions desarticles 87 et 88 du Code du travail.

L’Observatoire congolais des droits de l’Homme (OCDH) est doté du statutd’observateur auprès de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples(CADHP). Il est membre de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme(FIDH), de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de l’Union interafricaine desdroits de l’Homme (UIDH).

La Rainforest Foundation du Royaume-Uni est une organisation non gouvernementalebritannique qui a comme objectif la promotion des droits des peuples forestiers de la forêttropicale. Elle travaille en Afrique centrale et en Amérique Latine avec des ONG nationaleset des associations de peuples autochtones.

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NOTES DE FIN DE DOCUMENT

Rapport du Groupe de travail d’Experts de la CommissionAfricaine des Droits de l’Homme et des Peuples sur lesPopulations/Communautés autochtones, présenté en vertude la “Résolution sur les droits despopulations/communautés autochtones en Afrique”, adoptépar la Commission Africaine des Droits de l’Homme et desPeuples lors de sa 28ème session ordinaire.

2 Commission africaine des droits de l’Homme et despeuples (CADHP), Rapport du Groupe de travail sur lespopulations/communautés, présenté en vertu de la «Résolution sur les droits des populations/communautésautochtones en Afrique », adoptée par la CommissionAfricaine des Droits de l’Homme et des Peuples lors de sa28ème session ordinaire (2000), [ci-après, « Rapport duGroupe de Travail de la CADHP »], p. 100.

3 La Convention Nº 169 s’applique :

a) aux peuples tribaux dans les pays indépendants quise distinguent des autres secteurs de la communauténationale par leurs conditions sociales, culturelles etéconomiques et qui sont régis totalement oupartiellement par des coutumes ou des traditions quileur sont propres ou par une législation spéciale;

b) aux peuples dans les pays indépendants qui sontconsidérés comme indigènes du fait qu'ils descendentdes populations qui habitaient le pays, ou une régiongéographique à laquelle appartient le pays, à l'époquede la conquête ou de la colonisation ou del'établissement des frontières actuelles de l'Etat, etqui, quel que soit leur statut juridique, conserventleurs institutions sociales, économiques, culturelles etpolitiques propres ou certaines d'entre elles.

Convention Nº 169 de l’OIT sur les Peuples Indigènes etTribaux dans les Pays Indépendants (1989) [ci-après «Convention Nº 169 »], article 1.1. La Convention liste ce quisuit comme critère complémentaire de la définition :

Le sentiment d'appartenance indigène ou tribale doitêtre considéré comme un critère fondamental pourdéterminer les groupes auxquels s'appliquent lesdispositions de la présente convention.

Ibid. article 1.2. Eu égard à l’utilisation expresse du terme «peuple », la Convention clarifie :

L'emploi du terme peuples dans la présente conventionne peut en aucune manière être interprété commeayant des implications de quelque nature que ce soitquant aux droits qui peuvent s'attacher à ce terme envertu du droit international.

Ibid., article 1.3.

4 Selon la définition du Rapporteur Spécial, Martínez Cobo :

Par communautés, populations et nations autochtones,il faut entendre celles qui, liées par une continuitéhistorique avec les sociétés antérieures à l'invasion etavec les sociétés précoloniales qui se sont développéessur leurs territoires, se jugent distinctes des autreséléments des sociétés qui dominent à présent sur leursterritoires ou parties de ces territoires. Ce sont à

présent des éléments non dominants de la société etelles sont déterminées à conserver, développer ettransmettre aux générations futures les territoires deleurs ancêtres et leur identité ethnique qui constituentla base de la continuité de leur existence en tant quepeuple, conformément à leurs propres modèlesculturels, à leurs institutions sociales et à leurssystèmes juridiques.

Etude du problème de la discrimination à l'encontre despopulations autochtones : Rapport du Rapporteur Spécial dela Sous-Commission, M. J. Martínez Cobo(E/CN.4/Sub.2/1986/7 et Add.1 à 4) [« Rapport MartínezCobo »] para. 379

5 Document de travail du Président-Rapporteur, Mme Erica-Irene A. Daes, sur la notion de "peuple autochtone"E/CN.4/Sub.2/AC.4/1996/2 (10 juin 1996), para. 69.

6 Ibid., para. 70.

7 Rapport du Groupe de travail de la CADHP, supra, p. 98.

8 Ibid.

9 Ibid., 97.

10 Alison Hoare « L’usage de la forêt en Afrique Centrale :Territoires traditionnels, utilisation de la terre et la faune »Rainforest Foundation (2005)

11 Lettre du Premier Ministre au Ministre des AffairesSociales, Janvier 2006

12 Bapina, Le Plan National des Populations Autochtonespour le Projet d’Appui à l’Education. Banque Mondiale, 2004

13 Pour un examen plus détaillé du contexte international,voir IPLP, Les droits des peuples autochtones pygmées enRépublique du Congo : Contexte juridique international(2005), préparé par le Programme de Droits et PolitiquesAutochtones de l’Université d’Arizona pour la RainforestFoundation-UK (Annexe 6).

14 Pour un examen du contexte africain sur laréglementation des droits des peuples autochtones enAfrique, voir ibid. pp. 54-65 (analyse des cadres juridiquesnationaux des pays africains francophones et nonfrancophones).

15 Voir la Décision de la CADHP à propos de laCommunication 155/96 – Social and Economic Rights ActionCenter, Center for Economic and Social Rights / Nigeria,Doc. du CADHP No. ACHPR/COMM/A044/1, 30ème sessionordinaire, octobre 2001, para. 62 (“La protection des droitsgarantis par les articles 14 ... mène à la même conclusion.En ce qui concerne le droit précédent, et dans le cas dupeuple Ogoni, le gouvernement du Nigeria n’a pas remplices deux obligations minimums.”).

16 CADHP-Groupe de travail sur lespopulations/communautés autochtones, Rapport d’unemission de recherche et d’information en République duCongo, effectuée du 5 au 19 septembre 2005 (2005) [ci-après, «Rapport du CADHP sur le Congo»].

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17 Voir la Résolution sur les droits despeuples/communautés autochtones en Afrique, adoptée parla Commission africaine sur les droits de l’homme et despeuples lors de sa 28ème session ordinaire (Oct.-Nov.2000).

18 Voir le Rapport du Groupe de travail de la CADHP, supra,p. 59.

19 Voir la Constitution du Burundi, article 1 (« Le Burundiest une République indépendante, souveraine, laïque,démocratique, unie et respectant sa diversité ethnique etreligieuse »). L’article 13 articule également le principe denon-discrimination et l’article 19 énonce les droits del’Homme proclamés dans les instruments internationaux, ycompris la Charte africaine. La propriété est protégée auxtermes de l’article 36.

20 Jackson, D Indigenous Peoples in Central Africa. A deskreview for the International Labour Office (2001).

21 Rapport du Groupe de travail de la CADHP, supra, pp. 24,25.

22 Rapport du CADHP sur le Congo, supra, p. 4.

23 Rapport du CADHP sur le Congo, supra, p. 4.

24 Ngouolai, L, Les relations entre téké du plateau Kukuyaet les peuples autochtones Batswa du XVIIIe siècle à nosjours, Travail d’étude et de recherche en vue de l’obtentiondu diplôme d’études supérieures d’histoire (1989), p. 29.

25 Woodburn, J «Indigenous discrimination: the ideologicalbasis for local discrimination against hunter-gathererminorities in sub-Saharan Africa» Ethnic and Racial StudiesVolume 20 Number 2 April 1997.

26 Lewis, J «Chimpanzees and Gorillas : Ethnic Stereotypingin the Ndoki Forest, Northern-Brazzaville», paper preparedfor the Ninth International Conference on Hunting andGathering Societies (2002) [ci-après, «Chimpanzees andGorillas»].

27 Ibid., p. 20.

28 Ibid.

29 Projet pour la gestion des écosystèmes périphériques duParc national Noubale Ndoki. Ce projet regroupe leGouvernement congolais (ministère en charge des eaux etforêts), CIB et Wildlife conservation society (WCS).

30 Rapport de mission de Greenpeace Visite dans les sitesde la CIB au Congo-Brazzaville Décembre 2004.http://www.greenpeace.org/raw/content/france/press/reports/visite-dans-les-sites-de-la-co.pdf

31 Ibid., para. 3.

32 Voir le Rapport du Groupe de travail de la CADHP, supra,pp. 12-13.

33 Id. p. 18.

34 L’arrêté n° 3772/MAEF/DEFGRN/BC-1701 du 12 août1972, fixant les périodes d’ouverture et de fermeture de lachasse indique dans ses articles 1er et 2 que la chassesportive de la totalité de la faune est déclarée fermée surtoute l’étendue de la République populaire du Congo pour lapériode allant du 1er novembre au 30 avril de chaqueannée. Et elle est déclarée ouverte pour la période allant du1er mai au 30 octobre de chaque année.

35 Rapport de mission de Greenpeace, Visite dans les sitesde la CIB au Congo-Brazzaville (2004), p. 28.http://www.greenpeace.org/raw/content/france/press/reports/visite-dans-les-sites-de-la-co.pdf

36 Par le décret n°93-727 du 31 décembre 1993.

37 Comité des droits économiques, sociaux et culturels,Observation générale 13 : le droit à l’éducation, 8 décembre1999, Doc. de l’ONU E/C.12/1999/10, para. 31 [ci-après,“Observation générale 13 du CESCR”]. Voir aussi Comitédes droits économiques, sociaux et culturels, Observationgénérale 14 : le droit au meilleur état de santé susceptibled’être atteint, 11 août 2000, Doc. de l’ONU E/C.12/2000/4,note 19 (qui cite les mêmes développements comme étantpertinents pour l’interprétation du droit à la santé) [ci-après“Observation générale 14 du CESCR”].

38 Observation générale 13 du CESCR, supra, para. 50.

39 Observation générale 14 du CESCR, supra, para. 27.

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