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  • Sans thorie rvolutionnaire, pas de mouvement rvolutionnaire.

    (Lnine, 1902, Que faire ?)

    Les dossiers du PCMLM

    La mthode de Descartes

    Parti Communiste Marxiste-Lniniste-Maoste de France

  • Les classiques du matrialisme dialectique/Les documents du PCMLM

    Table des matires1. Les Franais sont cartsiens.............................................................................................................32. Reprise de l'homme volant d'Avicenne.............................................................................................43. L'me au service du rationalisme.....................................................................................................54. Une lecture rationaliste de la croyance en Dieu...............................................................................65. Le cogito et la thorie du reflet...................................................................................................76. Renversement d'Avicenne et d'Averros...........................................................................................87. La mthode par les mathmatiques..................................................................................................98. Dieu comme prtexte au libre-arbitre bourgeois............................................................................109. lthique protestante sans protestantisme......................................................................................1210. Dtermination est ngation ..........................................................................................................1311. Karl Marx sur Descartes ..............................................................................................................1512. Le principe de retrancher .............................................................................................................1613. Un rationalisme sans matrialisme ..............................................................................................17

    1. Les Franais sont cartsiens

    Ren Descartes (1596-1650) est indniablementle plus grand penseur franais. Ne dit-on pasque les Franais sont cartsiens ? Sarputation n'a-t-elle pas t immense, de sonvivant mme ?

    De fait, Descartes reprsente la rflexion la plusaboutie de la grande priode de la phase de lafodalit de France : le XVIIe sicle. Ce n'estpas un hasard que Descartes ait vcu au siclede Jean Racine, Pierre Corneille, NicolasBoileau ou Jean de La Fontaine.

    La bourgeoisie exige la raison, mais elle n'estalors pas du tout en mesure de s'affirmer seule,elle est prisonnire du fait que l'union de lanation est en train de se raliser par lamonarchie absolue.

    Le XVIIe sicle est donc un sicle o se ctoieMolire le bourgeois et Blaise Pascal l'ultrareligieux, dans une socit pleine decontradictions mais dont les antagonismes francssont relativement effacs, pour un temps, par latoute puissance du roi.

    Naturellement, ds la phase de croissance de la

    monarchie absolue termine, toutes lescontradictions se firent antagoniques, et labourgeoisie qui n'avait pas pu porter leprotestantisme assuma le disme des Lumires.

    Il s'agit l d'un chemin franais, propre l'histoire de la bourgeoisie franaise. On ad'ailleurs pu voir que Jean-Jacques Rousseauavait dvelopp un disme dont le rationalismele plaait dj en retard par rapport ce quiavait pu s'exprimer auparavant. Cela tient auxconditions franaises, qui pareillement vontfaonner Ren Descartes.

    Ren Descartes est le fruit du rationalisme semi-bourgeois qui se dveloppe sous la monarchieabsolue. Il n'est pas que le thoricien d'unrationalisme bourgeois en gnral. Il est, plusparticulirement, le fruit de la situationfranaise.

    La situation franaise tait que, ne pouvantmettre en avant une morale immdiate, sensible,comme le fit le protestantisme, la bourgeoisiefranaise se rfugia dans l'affirmation de lalogique de cette morale.

    C'est le sens de toutes les uvres ayant trait la morale au XVIIe sicle, de Jean de La

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  • Auteur (pour les classiques) Titre

    Fontaine Jean de La Bruyre en passant, bienentendu, par Molire. La prsentation logiquedes caractres a t le refuge d'unebourgeoisie incapable d'riger sa propre tyranniemorale, comme cela fut l'oppos le cas dansles pays protestants.

    Descartes est le produit de ce refuge dansl'abstraction thorique, due l'impossibilitmatrielle de raliser la morale.

    La philosophie de Ren Descartes s'appuieprcisment sur le rejet des sens l oinversement la peinture flamande les affirmait,pour les matriser, dans le cadre de latransformation pratique du monde .

    La bourgeoisie franaise ne pouvait pas prendreles commandes, elle obissait la monarchieabsolue. Alors, elle a affirm en thorie cequ'elle ne pouvait mettre en pratique. C'est lesens de Ren Descartes lorsqu'il affirme qu'ilfallait tre comme matre et possesseur de lanature .

    Au lieu de l'thique individuelle bourgeoise, ona un repli complet sur sa propre conscience quidevient une totale abstraction, un solipsisme, langation absolue de la ralit. Seule existe laconscience, forme pure de la rationalitbourgeoise.

    De fait, la bourgeoisie franaise en fera sonidentit, avec ainsi sa prdilection pour lesmathmatiques et la vivisection, son got pourl'administratif et le droit.

    Ren Descartes a synthtis cette base culturelleet idologique de la bourgeoisie franaise, unepoque o la bourgeoisie franaise n'tait pas enmesure de prendre l'initiative. Il est donc unefigure trs importante de l'histoire de notrepeuple.

    2. Reprise de l'homme volantd'Avicenne

    Ren Descartes existait dans une phasehistorique qui, elle-mme, tait le fruit d'unmouvement antrieur. Par consquent, la

    conception de Ren Descartes ne saurait, bienentendu, chapper l'averrosme, forme qu'apris le matrialisme en Europe la suited'Averros et de son prdcesseur, Avicenne.

    Ici se pose quelque chose de trs prcis.

    Si notre vision de la France du XVIIe sicle estcorrecte, alors Ren Descartes doit repartir enarrire dans l'averrosme et lui faire prendre unvirage diffrent, acceptable pour le XVIIesicle franais, correspondant aux besoins de labourgeoisie ce moment-l.

    Les libertins , inversement, se situait dans leprolongement direct de l'humanisme et del'averrosme. Leur perspective tait ouvertementathe et refltait la bourgeoisie dans son aspectrvolutionnaire.

    Cependant, au XVIIe sicle, la bourgeoisiecompose galement avec la monarchie absoluequi maintient un savant quilibre dans lesystme regroupant la noblesse et le clerg d'unct, et la bourgeoisie de l'autre.

    Mais ce n'est pas tout. La conceptioncartsienne doit, de plus, tre lisible si l'onconsidre que le disme du XVIIIe sicle, desLumires, en est le prolongement.

    Cela donne deux garde-fous : il faut vrifier queRen Descartes repart en arrire , et qu'ilpave la voie au disme des Lumires.

    En clair et si l'on regarde historiquement, celasignifie que Ren Descartes donne labourgeoisie ce qu'elle n'a pas pu assumer avec leprotestantisme. Qui plus est, il le lui donne demanire tronque puisque les conditionsobjectives ne sont pas unilatralement favorable la bourgeoisie.

    Donc, si ce raisonnement est correct, RenDescartes va faire reculer les positions del'averrosme, c'est--dire retourner Avicenne.Or, justement, la conception de Ren Descartesest strictement parallle un exemple trsconnu de la pense d'Avicenne : l'homme volant.

    L'ide est la suivante : Ren Descartes dit qu'ilpeut tout remettre en cause, sauf sa pense. Et

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    justement l'homme volant d'Avicenne pose lefait que, si un tre humain ne voit rien et naten train de tomber dans le vide, il aura lacertitude d'exister, sans pour autant connatrela ralit de son propre corps.

    Voici comment Avicenne, dans le passageintitul Le trait de l'me dans le Sifa (LaGurison), prsente l'exemple de l'hommevolant :

    Il faut que l'un de nous s'imaginequ'il a t cr d'un seul coup, et qu'il at cr parfait, mais que sa vue a tvoile et prive de contempler les chosesextrieures. Qu'il a t cr tombant dans l'air oudans le vide, de telle sorte que la densitde l'air ne le heurte, dans cette chute,d'aucun choc qui lui fasse sentir oudistinguer ses diffrents membres lesquels,par consquent, ne se rencontrent pas etne se touchent pas. Eh bien ! qu'il rflchisse et sedemande s'il affirmera qu'il existe bien, ets'il ne doutera pas de son affirmation, dece que son ipsit [c'est--dire son identitparticulire] existe, sans affirmer avec celaune extrmit ses membres, ni uneralit intrieure de ses entrailles, ni cur,ni cerveau, ni rien d'entre les chosesextrieures. Bien mieux, il affirmera l'existence deson ipsit, mais sans affirmer d'elleaucune longueur, largeur ou profondeur. Et s'il lui tait possible, en cet tat,d'imaginer une main ou un autre membre,il ne l'imaginerait ni comme une partie deson ipsit, ni comme une condition deson ipsit. Or tu sais bien, toi, que ce quiest affirm est autre que ce qui n'est pasaffirm. Et la proximit est autre que cequi n'est pas proche. Par consquent, cette ipsit dont estaffirme l'existence a quelque chose qui luirevient en propre, en ceci qu'elle est lui-mme, par soi-mme, non pas son corps etses organes qui, eux, ne sont nullementaffirms. Ainsi a-t-on l'occasion d'attirerl'attention sur une voie qui conduit mettre en lumire l'existence de l'mecomme quelque chose qui est autre que le

    corps, mieux qui est autre que tout corps.Et que lui, il le sait et le peroit. S'il l'avait oubli, il aurait besoind'tre frapp d'un coup de bton.

    Comparons maintenant avec la perspective deDescartes.

    3. L'me au service du rationalisme

    La conception de Ren Descartes est-elle lamme que celle de l'exemple de l'homme volantd'Avicenne ? Invitablement, la ressemblance estfrappante.

    Descartes, dans Mditations sur la philosophiepremire, explique en effet la chose suivante :

    Je supposerai donc, non pas queDieu, qui est trs bon, et qui est lasouveraine source de vrit, mais qu'uncertain mauvais gnie, non moins rus ettrompeur que puissant, a employ touteson industrie me tromper ; je penseraique le ciel, l'air, la terre, les couleurs, lesfigures, les sons, et toutes les autreschoses extrieures, ne sont rien que desillusions et rveries dont il s'est servi pourtendre des piges ma crdulit ; je me considrerai moi-mme commen'ayant point de mains, point d'yeux,point de chair, point de sang ; commen'ayant aucun sens, mais croyantfaussement avoir toutes ces choses; jedemeurerai obstinment attach cettepense ; et si, par ce moyen, il n'est pas en monpouvoir de parvenir la connoissanced'aucune vrit, tout le moins il est enma puissance de suspendre monjugement : c'est pourquoi je prendraigarde soigneusement de ne recevoir en macroyance aucune fausset, et prparerai sibien mon esprit toutes les ruses de cegrand trompeur, que, pour puissant etrus qu'il soit, il ne me pourra jamais rienimposer (). Je suppose donc que toutes les chosesque je vois sont fausses ; je me persuadeque rien n'a jamais t de tout ce que mammoire remplie de mensonges me

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    reprsente ; je pense n'avoir aucuns sens ;je crois que le corps, la figure, l'tendue,le mouvement et le lieu ne sont que desfictions de mon esprit. Qu'est-ce donc qui pourra tre estimvritable ? Peut-tre rien autre chose,sinon qu'il n'y a rien au monde decertain.

    Avicenne et Ren Descartes semblent dire lamme chose : on peut remettre en cause lecorps, la preuve en est qu'en thorie, une pensepeut exister sans corps. Cependant, il y a iciune grande diffrence.

    Chez Avicenne en effet, l'me est une pense, etles humains ne pensent pas : ce qu'ils pensentest en fait l'intellect, man du divin, quis'exprime dans leurs formes matrielles. Il y aici une me, mais une me en tant que parcelledu superordinateur central, qui est le seul penser .

    Or, chez Ren Descartes, la dynamique estdiffrente. Chez Avicenne, l'intellect partiel del'tre humain rejoint immdiatement l'intellectglobal. En arrire-plan, on a une sorte de retour la base. Il n'y a pas cela chez RenDescartes. Chez lui, l'intellect de l'trehumain est seul . Il n'y a pas de mouvementvers l'origine divine, ici tout est statique. Lapense de l'individu devient indpendante et, par ailleurs, seule.

    De fait, cela change tout. L'exemple d'Avicenneservait souligner que ce qui compte c'estl'intellect de source divine et composante divine.Si on enlve la matire qu'est le corps, il restel'intellect et le but est logiquement le retour, ouplus exactement la conjonction entre sonintellect propre et l'intellect superordinateur .

    Ren Descartes renverse la proposition. Il nepart pas dans le sens d'Averros, pour qui l'trehumain ne pense pas, la pense tant le reflet del'intellect (et, sa suite, de la nature, dumouvement de la matire ternelle, en bref : lematrialisme).

    Ren Descartes maintient la fiction de l'me.C'est le premier paradoxe. Mme leprotestantisme soumettait la fiction de l'meaux rgles, l'thique bourgeoise, comme entmoigne la peinture flamande, par essenceportraitiste et moralisante.

    Et le second paradoxe, c'est qu'il utilise cettefiction de l'me pour justifier le rationalisme. Ily a l quelque chose de totalementcontradictoire, qu'absolument tous lescommentateurs ont vu. La pense de RenDescartes a toujours sembl ambivalente,ambigu.

    4. Une lecture rationaliste de lacroyance en Dieu

    Ren Descartes maintient donc la fiction commequoi qu'il y a une me. C'est paradoxal, de parsa posture rationaliste, mais c'estcomprhensible historiquement.

    Ainsi, dans Mditations sur la philosophiepremire, Descartes aborde la questionessentielle depuis Aristote : celle de lacosmologie. L'ouvrage, crit en latin et intitulMeditationes de Prima philosophia, est paru auxProvinces-Unies en 1649.

    La localisation de cette parution, dans la culturequi a donn naissance la peinture flamande,puis aux Provinces-Unies protestante face l'intervention catholique, est trs parlante.

    Ren Descartes est un penseur bourgeois, maisun penseur bourgeois franais, une poque ola bourgeoisie n'a pas encore rompu avec lafodalit. Tel Joachim du Bellay, il tented'affirmer la conception bourgeoise, tout enrestant dans le cadre de la monarchie absolue.

    Voil pourquoi il rejette en fait ceux qui ont uneconception du monde correspondant aux pointssuivants :

    soit qu'ils l'attribuent quelquedestin ou fatalit, soit qu'ils le rfrent au

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    hasard, soit qu'ils veuillent que ce soit parune continuelle suite et liaison des choses,ou enfin par quoique autre manire.

    Les premiers sont les stociens, les seconds lespicuriens, les troisimes les aristotliciens.

    Pour les stociens, c'est la fatalit qui prsideaux destines , pour les picuriens le mondeest le fruit du hasard. Pour les stociens commeles picuriens, il faut en quelque sorte avec et en tirer le meilleur : c'est la qute del'ataraxie, l'absence de souffrance.

    Pour les aristotliciens, le monde est le fruit decauses et de consquences, la cause ultime detout tant le moteur premier (ou bien Dieu).

    L'objectif de Ren Descartes est donc de dpasser toutes ces conceptions assumes divers niveaux dans le courant de la fodalit.Le catholicisme est ainsi un mlange destocisme, de no-platonisme et pour finird'aristotlisme depuis Thomas d'Aquin ; lejudasme a connu exactement le mmeprocessus.

    Ren Descartes est au service de la bourgeoisie :il doit rompre avec ces conceptions, toutefoissans rellement rompre avec elle.

    Le problme est ici, naturellement, qu'enformulant les choses ainsi, il montre qu'il n'apas connaissance de la signification del'averrosme, ou en tout cas et sans nul doutequ'il le rejette. Ren Descartes n'est pas unpenseur matrialiste.

    Dans son uvre, il utilise clairement,ouvertement, de manire explicite la notion deDieu. De fait, il va tenter une lecture rationaliste de la croyance en Dieu.

    En cela, il pave la voie au disme, au systme deJean-Jacques Rousseau. Il indique une piste Baruch Spinoza, sauf que ce dernier connaissaittrop la problmatique de l'intellect pouraccepter d'en revenir Avicenne, aussisimplement que cela.

    Voil pourquoi Baruch Spinoza va faire de Dieula Nature, alors que Ren Descartes en resteouvertement la fiction d'un monde cr par un

    Dieu extrieur au monde ce qui estprcisment ce que rejettera Spinoza, qui luiappartient au matrialisme.

    5. Le cogito et la thorie du reflet

    La pense de Descartes peut se rsumer trssimplement ; souvent, on la rsume en parlantdu cogito , terme issu de cogito ergo sum ,soit je pense donc je suis .

    L'ide de base est qu'il faut rejeter la prise encompte des sensations :

    Tout ce que j'ai reu jusqu' prsentpour le plus vrai et assur, je l'ai apprisdes sens ou par les sens: or j'ai quelquefoisprouv que ces sens toient trompeurs; etil est de la prudence de ne se fier jamaisentirement ceux qui nous ont une foistromps.

    Quant aux autres choses, comme lalumire, les couleurs, les sons, les odeurs,les saveurs, la chaleur, le froid, et lesautres qualits qui tombent sousl'attouchement, elles se rencontrent dansma pense avec tant d'obscurit et deconfusion, que j'ignore mme si elles sontvraies ou fausses, c'est--dire si les idesque je conois de ces qualits sont en effetles ides de quelques choses relles, oubien si elles ne me reprsentent que destres chimriques qui ne peuvent exister.

    A cette ide s'en ajoute une autre, celle commequoi le monde est fond sur les mathmatiques.C'est une conception qui remonte Platon (etqu'on retrouve dans la Kabbale juive, dans lefilm Matrix , etc.) : Dieu est une sorted'artisan utilisant les chiffres pour donnernaissance au monde.

    Voici comment Ren Descartes thorise saconception :

    C'est pourquoi peut-tre que de l

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    nous ne conclurons pas mal, si nous disonsque la physique, l'astronomie, la mdecine,et toutes les autres sciences qui dpendentde la considration des choses composes,sont fort douteuses et incertaines, maisque l'arithmtique, la gomtrie, et lesautres sciences de cette nature, qui netraitent que de choses fort simples et fortgnrales, sans se mettre beaucoup enpeine si elles sont dans la nature ou sielles n'y sont pas, contiennent quelquechose, de certain et d'indubitable : car,soit que je veille ou que je dorme, deux ettrois joints ensemble formeront toujours lenombre de cinq, et le carr n'aura jamaisplus de quatre cts ; et il ne semble paspossible que des vrits si claires et siapparentes puissent tre souponnesd'aucune fausset ou d'incertitude.

    Seulement, une fois qu'il a fait cela, RenDescartes n'a rien fait. Il est logique que l'onrsume sa pense au cogito, en France, puisquec'est conforme la vision du monde de labourgeoisie, dans les conditions franaisesconcrtes.

    Cependant, il n'y a l rien de nouveau ; c'estune sparation entre le corps et l'esprit qui n'arien d'original, part la lecture mathmatique du monde, qui se veut scientifique , maisqui n'est rien d'autre que la reprise de laconception de Platon comme quoi les idesutilisent les formes mathmatiques pour faonner le monde.

    Ce no-platonisme de Ren Descartes n'auraitpas pu avoir l'impact qu'il a eu s'il n'y avait pasquelque chose de plus. De quoi s'agit-il ici ?

    Eh bien, pour que Ren Descartes puisse allerau bout de sa dmarche, il est oblig d'affronterla question du reflet. Sa pense n'oppose pas unesprit pur un en-dehors sensuel ; il nepeut plus le faire, l'averrosme, le matrialisme,a dj frapp trop fort.

    Alors, ce qu'il fait, c'est ajouter un lment. Ilne le fait nullement par hasard, mais pour sepositionner contre le matrialisme averroste.

    Pour Averros, l'intellect de l'tre humain

    n'tait pas qu'un intellect uniquement li l'intellect superordinateur, comme chezAvicenne. Selon Averros, l'intellect tait double: il tait intellect mais aussi intellect matriel,tourn vers la matire.

    Cet intellect matriel est, ici, bien entendu l'origine de l'illusion comme quoi on peutpenser. On fait un ftiche de l'intellect matriel,sans voir que sa pense correspond la penseglobale, reflet du mouvement gnral de lamatire.

    C'est l o intervient Descartes, formulant saconception prcisment en jouant sur cettequestion de l'intellect matriel.

    6. Renversement d'Avicenne etd'Averros

    Comment Ren Descartes fait-il pour utiliser la dmarche d'Averros, et tronquer laquestion de l'intellect matriel ?

    Voici comment il prsente les choses : au lieu desituer comme intellect matriel, il s'assimile l'intellect lui-mme. Il peut ainsi dire del'intellect matrielle qu'il est son esprit etque celui-ci est trompeur :

    mon esprit est un vagabond qui seplat m'garer

    Ren Descartes est ici fidle la religion : ilconsidre qu'il n'y a pas d'intellect gnral,seulement une me. Mais comme il a besoin de sauver les sens sa manire pour justifierla bourgeoisie transformant le monde il doitattribuer l'intellect matriel un aspectauthentique.

    Pour saisir les choses clairement :

    Avicenne = Dieu => intellect => pense de l'humanit

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  • Les classiques du matrialisme dialectique/Les documents du PCMLM

    Averros = Dieu => intellect / intellectmatriel =>pense double de l'humanit (soittourne vers l'ensemble, soit vers le simple individuel , particulier )

    Descartes inverse l'ordre. La pense de l'trehumain serait un intellect, et non plus l'intellectmatriel. Cet intellect peut tre tromp parl'intellect matriel (Descartes l'appelle l'esprit).

    L o Avicenne et Averros disent : les humainsne pensent pas, l'intellect vient du Dieu-Univers-Superordinateur (ce qui sera remplacpar la Nature, l'univers pour les matrialistes),Descartes renversent le tout.

    C'est l'unique moyen qu'il a trouv de conserverDieu tout en proposant une conceptionrationaliste de l'esprit.

    Comment Descartes s'y prend-il ? Si notre thseest correcte, alors l'opposition esprit / sens doitse voir ajouter un troisime lment. Descartesne correspond pas au schma purement religieuxopposant esprit et matire. Il doit y ajouter untroisime terme, mlange des deux l'intellectmatriel d'Averros, sauf que lui s'affirmeraitdirectement comme intellect, afin d'affirmer lathse bourgeoise de la rationalit.

    Descartes reconnat donc que les sens pntrentson esprit il doit le faire, car il doitreconnatre la matire, il est en effet au servicede la bourgeoisie transformant le monde.

    Mais, et c'est l le paradoxe, Descartes ne seconsidre pas comme esprit . Il ne le peutpas, car il est au XVIIe sicle en France. Il doitdire qu'il n'est pas esprit, mais autre chose, qu'ila une certaine matrise de l'esprit, que laspiritualit a de la valeur.

    C'est pour cela que Descartes invente la thsedu pilote. C'est une thse qui estinacceptable pour le matrialisme, maisgalement pour lglise. Voil pourquoi cettedernire a mis les uvres de Descartes l'index,interdisant leur enseignement, alorsqu'inversement le matrialisme n'a pas considr

    Descartes comme l'un de ses reprsentantsauthentiques.

    Dans la conception de Descartes, l'intellectmatriel se voit en effet attribuer une capacitde comprhension totale ce qui normalementrevient Dieu ou bien l'intellect (en tant quereflet).

    Descartes affirme que la pense est le pilote ,que ce pilote est au-dessus du corps, maisgalement de l'esprit ! Il est une me autonome.

    Voici comment Descartes formule sa conceptiondu pilote :

    La nature m'enseigne aussi par cessentiments de douleur, de faim, de soif,etc., que je ne suis pas seulement logdans mon corps ainsi qu'un pilote en sonnavire, mais outre cela que je lui suisconjoint trs troitement, et tellementconfondu et ml que je compose commeun seul tout avec lui. Car si cela n'toit, lorsque mon corpsest bless, je ne sentirois pas pour cela dela douleur, moi qui ne suis qu'une chosequi pense, mais j'apercevrois cetteblessure par le seul entendement, commeun pilote aperoit par la vue si quelquechose se rompt dans son vaisseau. Et lorsque mon corps a besoin de boireou de manger, je connotrois simplementcela mme, sans en tre averti par dessentiments confus de faim et de soif: caren effet tous ces sentiments de faim, desoif, de douleur, etc., ne sont autre choseque de certaines faons confuses de penser,qui proviennent et dpendent de l'union etcomme du mlange de l'esprit avec lecorps.

    On a, ainsi, trois niveaux chez Descartes : lapense individuelle autonome pilote ( qu'ilappelle me, mais qui n'a pas du tout suffi pourconvaincre lglise ! ), l'esprit, le corps.

    7. La mthode par les mathmatiques

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    Il y a un problme essentiel que Descartes a daffronter en divisant l'individu en trois (pense pilote, esprit, corps). En effet, que faire del'imagination ? Et que faire de la capacit desentir, qui elle-mme relve forcment d'unecomprhension intellectuelle ?

    C'est l o Descartes s'est rvl le grandreprsentant de la bourgeoisie franaise. Lagrande trouvaille de Descartes, c'est la mthode. Selon Descartes, dans le grandfouillis des impressions, les seules auxquelles ilfaut se fier sont celles conformes aux rglesmathmatiques.

    Descartes, en ralisant ce tour de passe-passerationaliste, sauvait la bourgeoisie franaise. Ille faisait mme deux fois, car ce rationalisme estprcisment ce qui a bloqu l'mergence dumatrialisme dialectique en France.

    Il y avait la place pour le matrialisme, maistoujours l'aspect rationaliste, mthodique ,l'a emport : cela puise sa source dans le sautculturel-idologique amen par Descartes, qui asynthtis les besoins de la bourgeoisie franaiseau XVIIe sicle, lui indiquant le chemin pour lasuite de sa progression (avec, donc, le disme dela rvolution franaise, et mme finalement ledouble jeu lac catholique du XXe sicle).

    Voici comment Descartes explique, de maniretrs malaise lire, son rejet des impressions moins qu'elles ne puissent tre confirmes, sesyeux, par les mathmatiques.

    De plus, je trouve en moi diversesfacults de penser qui ont chacune leurmanire particulire ; par exemple, jetrouve en moi les facults d'imaginer et desentir, sans lesquelles je puis bien meconcevoir clairement et distinctement toutentier, mais non pas rciproquement ellessans moi, c'est--dire sans une substanceintelligente qui elles soient attaches ou qui elles appartiennent ; car, dans lanotion que nous avons de ces facults, ou,pour me servir des termes de l'cole, dansleur concept formel, elles enferment

    quelque sorte d'intellection : d'o jeconois qu'elles sont distinctes de moicomme les modes le sont des choses. Je connois aussi quelques autresfacults, comme celles de changer de lieu,de prendre diverses situations, et autressemblables, qui ne peuvent tre conues,non plus que les prcdentes, sans quelquesubstance qui elles soient attaches, nipar consquent exister sans elle; mais ilest trs vident que ces facults, s'il estvrai qu'elles existent, doivent appartenir quelque substance corporelle ou tendue,et non pas une substance intelligente,puisque dans leur concept clair et distinct,il y a bien quelque sorte d'extension qui setrouve contenue, mais point du toutd'intelligence. De plus, je ne puis douter qu'il n'y aiten moi une certaine facult passive desentir, c'est--dire de recevoir et deconnotre les ides des choses sensibles ;mais elle me seroit inutile, et je ne m'enpourrois aucunement servir, s'il n'y avoitaussi en moi, ou en quelque autre chose,une autre facult active, capable de formeret produire ces ides. Or, cette facult active ne peut tre enmoi en tant que je ne suis qu'une chosequi pense, vu qu'elle ne prsuppose pointma pense, et aussi que ces ides-l mesont souvent reprsentes sans que j'ycontribue en aucune faon, et mmesouvent contre mon gr; il faut doncncessairement qu'elle soit en quelquesubstance diffrente de moi, dans laquelletoute la ralit, qui est objectivementdans les ides qui sont produites par cettefacult, soit contenue formellement ouminemment, comme je l'ai remarqu ci-devant: et cette substance est ou un corps,c'est--dire une nature corporelle, danslaquelle est contenu formellement et eneffet tout ce qui est effectivement et parreprsentation dans ces ides ; ou bienc'est Dieu mme, ou quelque autrecrature plus noble que le corps, danslaquelle cela mme est contenuminemment. Or, Dieu n'tant point trompeur, il esttrs manifeste qu'il ne m'envoie point cesides immdiatement par lui-mme, niaussi par l'entremise de quelque craturedans laquelle leur ralit ne soit pas

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  • Les classiques du matrialisme dialectique/Les documents du PCMLM

    contenue formellement, mais seulementminemment. Car ne m'ayant donn aucune facultpour connotre que cela soit, mais aucontraire une trs grande inclination croire qu'elles partent des chosescorporelles, je ne vois pas comment onpourroit l'excuser de tromperie, si en effetces ides partoient d'ailleurs, ou toientproduites par d'autres causes que par deschoses corporelles: et partant il fautconclure qu'il y a des choses corporellesqui existent. Toutefois elles ne sont peut-tre pasentirement telles que nous les apercevonspar les sens, car il y a bien des choses quirendent cette perception des sens fortobscure et confuse; mais au moins faut-ilavouer que toutes les choses que je conoisclairement et distinctement, c'est--diretoutes les choses, gnralement parlant,qui sont comprises dans l'objet de lagomtrie spculative, s'y rencontrentvritablement.

    8. Dieu comme prtexte au libre-arbitrebourgeois

    Pourquoi Ren Descartes maintient-il lafiction de l'existence de Dieu ? Parce qu'il n'apas trouv d'autres moyens pour proposer le libre-arbitre. Le principe de libre-arbitre est essentiel dans la religion, c'est une base dupatriarcat et de l'anthropocentrisme.

    Or, par dfinition, le matrialisme niel'existence du libre-arbitre, puisque l'individun'est que de la matire lie la matire engnral, ses options n'tant pas choisies mais rendues ncessaires par la configuration dela matire.

    Descartes ne pouvait donc pas se tourner versle matrialisme authentique. Il aurait pu alors setourner vers le protestantisme, puisque cettereligion souligne le libre-arbitre individuel,coup du clerg et par l des forces fodales.

    Il aurait d se tourner vers le protestantisme,mais donc il ne le pouvait pas, la bourgeoisie

    franaise a essay d'aller en ce sens, mais lesforces fodales avaient triomph. Au XVIIesicle, il est dj clair que l'affirmation duprotestantisme est un chec.

    La bourgeoisie franaise se replie parconsquent, et la forme que va prendre ce repliconsiste prcisment en la conceptioncartsienne.

    On reconnat bien la bourgeoisie lamanuvre quand on voit comment Descartesconoit Dieu. Il n'utilise jamais des principesreligieux, il n'y a pas de rfrences au Christ, l'incarnation, aux miracles ou toutes autresbalivernes.

    Il expose Dieu de manire purementthorique et abstraite. Il explique que s'il penseet qu'il conoit l'infini, alors c'est qu'un autretre pensant lui a donn la pense, et que cettre soit justement infini : puisque Descartes nel'est pas mais peut concevoir ce dont il s'agit,alors l'autre doit justement l'tre !

    C'est un tour de passe-passe qui ne sauraitconvaincre personne. Mais le catholicisme n'taitpas la question ici : il fallait seulement une armepour la bourgeoisie, et peu importe si laconstruction est bancale.

    Par la suite, les philosophes des Lumires sechargeront de combler ce manque cartsien endveloppant le thme du Dieu horloger, qui acr le monde, puis est parti.

    Mais voici comment Descartes justifie, selonlui, l'existence de Dieu qu'il ne pourrait queconcevoir :

    comme j'ai dj dit auparavant, c'estune chose trs vidente qu'il doit y avoirpour le moins autant de ralit dans lacause que dans son effet; et partant,puisque je suis une chose qui pense, et quiai en moi quelque ide de Dieu, quelle quesoit enfin la cause de mon tre, il fautncessairement avouer qu'elle est aussi unechose qui pense et qu'elle a en soi l'ide detoutes les perfections que j'attribue Dieu.

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    Car y a-t-il rien de soi plus clair etplus manifeste que de penser qu'il y a unDieu, c'est--dire un tre souverain etparfait, en l'ide duquel seul l'existencencessaire ou ternelle est comprise, et parconsquent qui existe?

    sachant dj que ma nature estextrmement foible et limite, et que cellede Dieu au contraire est immense,incomprhensible et infinie, je n'ai plus depeine reconnotre qu'il y a une infinitde choses en sa puissance desquelles lescauses surpassent la porte de mon esprit;et cette seule raison est suffisante pour mepersuader que tout ce genre de causes,qu'on a coutume de tirer de la fin, n'estd'aucun usage dans les choses physiquesou naturelles; car il ne me semble pas queje puisse sans tmrit rechercher etentreprendre de dcouvrir les finsimpntrables de Dieu.

    Et voici o l'arrire-plan du tour de passe-passe est vident, l o est souligne ladimension centrale : celle du libre-arbitre :

    on ne doit pas trouver trange queDieu, en me crant, ait mis en moi cetteide pour tre comme la marque del'ouvrier empreinte sur son ouvrage; et iln'est pas aussi ncessaire que cettemarque soit quelque chose de diffrent decet ouvrage mme: mais, de cela seul queDieu m'a cr, il est fort croyable qu'ilm'a en quelque faon produit son imageet semblance, et que je conois cetteressemblance, dans laquelle l'ide de Dieuse trouve contenue, par la mme facultpar laquelle je me conois moi-mme,c'est--dire que, lorsque je fais rflexionsur moi, non seulement je connois que jesuis une chose imparfaite, incomplte etdpendante d'autrui, qui tend et quiaspire sans cesse quelque chose demeilleur et de plus grand que je ne suis,mais je connois aussi en mme temps quecelui duquel je dpends possde en soitoutes ces grandes choses auxquellesj'aspire et dont je trouve en moi les ides,

    non pas indfiniment et seulement enpuissance, mais qu'il en jouit en effet,actuellement et infiniment, et ainsi qu'ilest Dieu.

    Avec Descartes et Molire, la bourgeoisiefranaise disposait de deux titans capablesd'affter ses armes dans des conditions pourtantinadquates.

    9. lthique protestante sansprotestantisme

    Descartes parvient donc un bricolageincroyable : il bricole une perspective moraleprotestante sans protestantisme. L'individu sevoit affirmer, mais sans donc le garde-fou quereprsente la Bible et ses valeurs.

    C'est en ce sens que Descartes est apparucomme appartenant au matrialisme : enapparence, on a un tre tourn vers la matirede manire rationnelle.

    En ralit, un tel matrialisme estinatteignable pour la bourgeoisie en gnral ;seule la fraction la plus radicale, la plusdmocratique, a pu assumer cette perspective.La bourgeoisie doit se contenter duprotestantisme, et Descartes tente donc de leformer dans des conditions trs difficiles, il tentede contourner lglise.

    Voici comment Descartes procde : il admetque son esprit ressent des choses, mais comme ilveut la matrise (tout comme leprotestantisme le veut), il affirme sonindividualit en propre (l o le protestantismele mettait sous la supervision des valeurschrtiennes).

    Voici comment il formule cela :

    Je fermerai maintenant les yeux, jeboucherai mes oreilles, je dtournerai tousmes sens, j'effacerai mme de ma pensetoutes les images des choses corporelles,

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  • Les classiques du matrialisme dialectique/Les documents du PCMLM

    ou du moins, parce qu' peine cela sepeut-il faire, je les rputerai comme vaineset comme fausses; et ainsi m'entretenantseulement moi-mme, et considrant monintrieur, je tcherai de me rendre peu peu plus connu et plus familier moi-mme. Je suis une chose qui pense, c'est--direqui doute, qui affirme, qui nie, qui connotpeu de choses, qui en ignore beaucoup, quiaime, qui hait, qui veut, qui ne veut pas,qui imagine aussi, et qui sent; car, ainsique j'ai remarqu ci-devant, quoique leschoses que je sens et que j'imagine nesoient peut-tre rien du tout hors de moiet en elles-mmes, je suis nanmoinsassur que ces faons de penser quej'appelle sentiments et imaginations, entant seulement qu'elles sont des faons depenser, rsident et se rencontrentcertainement en moi.

    Mais quel intrt d'utiliser Dieu pour cela ?Descartes aurait pu simplement utiliser les critssoi-disant rvls (la Bible etc.), il n'avaitpas besoin de faire une rflexion aussiapprofondie sur Dieu, en apparence.

    En ralit, il le devait, car il considre Dieucomme l'ensemble, et lui en tant qu'individu, estcomme un Dieu dont de trs nombreuses partsont t retranches.

    Ici, Descartes reprend l'argumentationtraditionnelle dans les religions juives etmusulmanes. Dieu n'a pas des choses en plus,car il est parfait ; en ralit, ces sont leshumains fait son image qui ont des choses enmoins : ils sont moins parfaits.

    Plus on s'loigne de la source, moins on estparfait. Descartes reprend son compte cetteargumentation afin de justifier son libre-arbitreet sa conqute du monde son niveau.

    Voici ce qu'il dit :

    Il n'y a que la volont seule ou laseule libert du franc arbitre quej'exprimente en moi tre si grande, que jene conois point l'ide d'aucune autre plusample et plus tendue: en sorte que c'est

    elle principalement qui me fait connotreque je porte l'image et la ressemblance deDieu. Car encore qu'elle soitincomparablement plus grande dans Dieuque dans moi, soit raison de laconnoissance et de la puissance qui setrouvent jointes avec elle et qui la rendentplus ferme et plus efficace, soit raison del'objet, d'autant qu'elle se porte et s'tendinfiniment plus de choses, elle ne mesemble pas toutefois plus grande, si je laconsidre formellement et prcisment enelle-mme. Car elle consiste seulement ence que nous pouvons faire une mme choseou ne la faire pas, c'est--dire affirmer ounier, poursuivre ou fuir une mme chose,ou plutt elle consiste seulement en ceque, pour affirmer ou nier, poursuivre oufuir les choses que l'entendement nouspropose, nous agissons de telle sorte quenous ne sentons point qu'aucune forceextrieure nous y contraigne.

    Et c'est dans ce mauvais usage dulibre arbitre que se rencontre la privationqui constitue la forme de l'erreur. La privation, dis-je, se rencontre dansl'opration, en tant qu'elle procde demoi, mais elle ne se trouve pas dans lafacult que j'ai reue de Dieu, ni mmedans l'opration, en tant qu'elle dpend delui. Car je n'ai certes aucun sujet de meplaindre de ce que Dieu ne m'a pas donnune intelligence plus ample, ou unelumire naturelle plus parfaite que cellequ'il m'a donne, puisqu'il est de lanature d'un entendement fini de ne pasentendre plusieurs choses, et de la natured'un entendement cr d'tre fini: maisj'ai tout sujet de lui rendre grces de ceque ne m'ayant jamais rien d, il m'ananmoins donn tout le peu deperfections qui est en moi; bien loin deconcevoir des sentiments si injustes que dem'imaginer qu'il m'ait t ou retenuinjustement les autres perfections qu'il nem'a point donnes.

    Descartes a russi son tour de passe-passe :Dieu tant tout, l'individu qui n'est pas toutpeut nanmoins saisir le monde conformment

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    son niveau. Le monde lui est donn et il peut enfaire ce qu'il veut, son niveau.

    C'est prcisment ce que demandait labourgeoisie Descartes comme formulation.

    10. Dtermination est ngation

    Il ne faut absolument pas considrer queDescartes, en faisant de Dieu un absolu sansmanques, serait parti dans une directionoppose aux exigences bourgeoises. Aucontraire, c'est un moyen pour Descartes defaire du matrialisme sans le matrialisme.

    Pour bien saisir cela, voici ce que dit KarlMarx dans Le Capital, prcisment sur cettequestion :

    Les conomistes vulgaires ne fontjamais cette rflexion simple que touteaction humaine peut tre envisage commeune abstention de son contraire. Manger c'est s'abstenir de jener ;marcher, s'abstenir de rester en repos ;travailler, s'abstenir de ne rien faire ; nerien faire, s'abstenir de travailler, etc. Ces messieurs feraient bien d'tudierune bonne fois la proposition de SpinozaDeterminatio est negatio [Dterminationest ngation].

    Descartes frise ici la dialectique, lorsqu'ilaffirme que lui-mme a des droits, justementparce qu'il est moins parfait que Dieu.

    Dans l'ordre des choses traditionnel, il auraitd vouloir tendre au parfait, et rechercher saisir le divin dans la mesure o celui-ci ne faitpas d'erreurs, n'a pas de manques.

    C'est la qute platonicienne et no-platonicienne traditionnelle ; le judasme et lecatholicisme ont ici la mme perspective dansleur tentative de saisir la nature de Dieu.

    Mais ce n'est pas du tout, donc, ce que faitDescartes. Il ne cherche pas comprendre Dieu,

    il dit mme ouvertement qu'il ne le peut pas en cela il donne caution aux thses catholiques.

    Cependant et inversement, il s'appuie sur cetaspect incomprhensible de Dieu pour posersa propre dignit. Il utilise la religion pourl'affirmation de la pratique.

    Comment ? De la mme manire que poursaisir Dieu il faut retrancher les manques, lui nes'intresse qu' l'individu fait l'image de Dieu,et donc il suffit... de retrancher.

    Voici ce que dit Descartes, et l'on voit bienque son raisonnement se fonde sur la questionde la ngation , du manque :

    je n'aurois pas nanmoins l'ided'une substance infinie, moi qui suis untre fini, si elle n'avoit t mise en moipar quelque substance qui ftvritablement infinie. Et je ne me dois pas imaginer que je neconois pas l'infini par une vritable ide,mais seulement par la ngation de ce quiest fini, de mme que je comprends lerepos et les tnbres par la ngation dumouvement et de la lumire: puisqu'aucontraire je vois manifestement qu'il serencontre plus de ralit dans la substanceinfinie que dans la substance finie, etpartant que j'ai en quelque faon plutten moi la notion de l'infini que du fini,c'est--dire de Dieu que de moi-mme: car,comment seroit-il possible que je pusseconnotre que je doute et que je dsire,c'est--dire qu'il me manque quelque choseet que je ne suis pas tout parfait, si jen'avois en moi aucune ide d'un tre plusparfait que le mien, par la comparaisonduquel je connotrois les dfauts de manature?

    C'est cela que fait Descartes : accepterl'anthropocentrisme de la religion pour attribuerla domination de Dieu aux humains sur Terre.C'est un matrialisme qui n'en est pas un dutout, le vrai matrialisme rejetantl'anthropocentrisme.

    Ainsi, Descartes ne nie pas les sens par loge

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  • Les classiques du matrialisme dialectique/Les documents du PCMLM

    de la simplicit thorique ou bien de laspiritualit ; il n'est dj plus religieux. Mais iln'est pas matrialiste pour autant : il n'est pasprt reconnatre les sens comme seule ralit.

    Non, tout ce qu'il cherche, c'est affirmer lapossibilit d'tre comme Dieu, au sens de : avoirsuffisamment de dignit pour changer la ralit.

    Si l'on comprend cela, on peut saisir demanire adquate comment il pose les choses,comme ici :

    Pour commencer donc cet examen, jeremarque ici, premirement, qu'il y a unegrande diffrence entre l'esprit et le corps,en ce que le corps, de sa nature, esttoujours divisible, et que l'esprit estentirement indivisible. Car, en effet, quand je le considre,c'est--dire quand je me considre moi-mme, en tant que je suis seulement unechose qui pense, je ne puis distinguer enmoi aucunes parties, mais je connois etconois fort clairement que je suis unechose absolument une et entire. Et quoique tout l'esprit semble tre uni tout le corps, toutefois lorsqu'un pied,ou un bras, ou quelque autre partie vient en tre spare, je connois fort bien querien pour cela n'a t retranch de monesprit. Et les facults de vouloir, de sentir, deconcevoir, etc., ne peuvent pas non plustre dites proprement ses parties: car c'estle mme esprit qui s'emploie tout entier vouloir, et tout entier sentir et concevoir, etc. Mais c'est tout le contraire dans leschoses corporelles ou tendues: car je n'enpuis imaginer aucune, pour petite qu'ellesoit, que je ne mette aisment en picespar ma pense, ou que mon esprit nedivise fort facilement en plusieurs parties,et par consquent que je ne connoisse tredivisible. Ce qui suffiroit pour m'enseigner quel'esprit ou l'me de l'homme estentirement diffrente du corps, si je nel'avois dj d'ailleurs assez appris. Je remarque aussi que l'esprit ne reoitpas immdiatement l'impression de toutesles parties du corps, mais seulement du

    cerveau, ou peut-tre mme d'une de sesplus petites parties, savoir de celle os'exerce cette facult qu'ils appellent lesens commun, laquelle, toutes les foisqu'elle est dispose de mme faon, faitsentir la mme chose l'esprit, quoiquecependant les autres parties du corpspuissent tre diversement disposes,comme le tmoignent une infinitd'expriences, lesquelles il n'est pas besoinici de rapporter.

    Descartes retranche l'humanit, afin de...pouvoir ajouter de la valeur idologique, pourjustifier le travail sur la ralit.

    11. Karl Marx sur Descartes

    Il va de soi que l'immense Karl Marx avaitparfaitement compris le sens de la philosophiede Descartes. Voici comment, dans une simplenote du Capital, il rend parfaitement clairl'objectif de Descartes, dont nous avons constatici le cheminement.

    Rappelons que Francis Bacon est l'quivalentpour l'Angleterre de Descartes pour la France, ceci prs que le matrialisme anglais fait passerles sens avant la raison, d'o la mise en avant del'exprience (et donc de l'empirisme anglais).

    Les jardins franais se caractrisent ainsi parla gomtrie puis par l'aspect naturel, alors queles jardins anglais forment en apparence unenature en fouillis, rvlant finalement deschemins et une mise en perspective.

    Cette portion de valeur ajoute parla machine diminue absolument etrelativement, l o elle supprime deschevaux et en gnral des animaux detravail, qu'on n'emploie que comme forcesmotrices. Descartes, en dfinissant les animauxde simples machines, partageait le pointde vue de la priode manufacturire, biendiffrent de celui du moyen-ge dfendudepuis par de Haller dans sa Restauration

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    des sciences politiques, et d'aprs lequellanimal est l'aide et le compagnon del'homme. Il est hors de doute que Descartes,aussi bien que Bacon croyait qu'unchangement dans la mthode de penseramnerait un changement dans le mode deproduire, et la domination pratique del'homme sur la nature. On lit dans son Discours sur lamthode :

    Il est possible (au moyen de lamthode nouvelle) de parvenir desconnaissances fort utiles la vie, et qu'aulieu de cette philosophie spculative qu'onenseigne dans les coles, on en peuttrouver une pratique, par laquelle,connaissant la force et les actions du feu,de l'eau, de l'air, des astres, et de tous lesautres corps qui nous environnent, aussidistinctement que nous connaissons lesdivers mtiers de nos artisans, nous lespourrions employer en mme faon tousles usages auxquels ils sont propres, etainsi nous rendre comme matres etpossesseurs de la nature, etc., contribuerau perfectionnement de la vie humaine.

    Dans la prface des Discourses uponTrade, de Sir Dudley North (1691), il estdit que la mthode de Descartes applique l'conomie politique, a commenc de ladlivrer des vieilles superstitions et desvieux contes dbits sur l'argent, lecommerce, etc.

    La plupart des conomistes anglais dece temps se rattachaient cependant laphilosophie de Bacon et de Hobbes, tandisque Locke est devenu plus tard lephilosophe de l'conomie politique parexcellence pour l'Angleterre, la France etl'Italie.

    12. Le principe de retrancher

    De manire trs intressante, on peut voirque Descartes fonde de fait toute sa conceptionsur le principe de retrancher .

    Enfin, je remarque que, puisquechacun des mouvements qui se font dansla partie du cerveau dont l'esprit reoitimmdiatement l'impression, ne lui faitressentir qu'un seul sentiment, on ne peuten cela souhaiter ni imaginer rien demieux, sinon que ce mouvement fasseressentir l'esprit, entre tous lessentiments qu'il est capable de causer,celui qui est le plus propre et le plusordinairement utile la conservation ducorps humain lorsqu'il est en pleine sant. Or l'exprience nous fait connotre quetous les sentiments que la nature nous adonns sont tels que je viens de dire; etpartant il ne se trouve rien en eux qui nefasse parotre la puissance et la bont deDieu. Ainsi, par exemple, lorsque les nerfsqui sont dans le pied sont remusfortement et plus qu' l'ordinaire, leurmouvement passant par la moelle del'pine du dos jusqu'au cerveau, y fait lune impression l'esprit qui lui fait sentirquelque chose, savoir de la douleur,comme tant dans le pied, par laquellel'esprit est averti et excit faire sonpossible pour en chasser la cause, commetrs dangereuse et nuisible au pied. Il est vrai que Dieu pouvoit tablir lanature de l'homme de telle sorte que cemme mouvement dans le cerveau ftsentir toute autre chose l'esprit; parexemple, qu'il se ft sentir soi-mme, ou entant qu'il est dans le cerveau, ou en tantqu'il est dans le pied, ou bien en tant qu'ilest en quelque autre endroit entre le piedet le cerveau, ou enfin quelque autre chosetelle qu'elle peut tre: mais rien de toutcela n'et si bien contribu laconservation du corps que ce qu'il lui faitsentir. De mme, lorsque nous avons besoin deboire, il nat de l une certaine scheressedans le gosier qui remue ses nerfs, et parleur moyen les parties intrieures ducerveau; et ce mouvement fait ressentir l'esprit le sentiment de la soif, parce qu'encette occasion-l il n'y a rien qui nous soitplus utile que de savoir que nous avonsbesoin de boire pour la conservation denotre sant, et ainsi des autres. D'o il est entirement manifeste que,nonobstant la souveraine bont de Dieu, la

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  • Les classiques du matrialisme dialectique/Les documents du PCMLM

    nature de l'homme, en tant qu'il estcompos de l'esprit et du corps, ne peutqu'elle ne soit quelquefois fautive ettrompeuse. Car s'il y a quelque cause qui excite,non dans le pied, mais en quelqu'une desparties du nerf qui est tendu depuis lepied jusqu'au cerveau, ou mme dans lecerveau, le mme mouvement qui se faitordinairement quand le pied est maldispos, on sentira de la douleur comme sielle toit dans le pied, et le sens seranaturellement tromp; parce qu'un mmemouvement dans le cerveau ne pouvantcauser en l'esprit qu'un mme sentiment,et ce sentiment tant beaucoup plussouvent excit par une cause qui blesse lepied que par une autre qui soit ailleurs, ilest bien plus raisonnable qu'il portetoujours l'esprit la douleur du pied quecelle d'aucune autre partie. Et, s'il arrive que parfois la scheressedu gosier ne vienne pas comme l'ordinaire de ce que le boire est ncessairepour la sant du corps, mais de quelquecause toute contraire, comme il arrive ceux qui sont hydropiques, toutefois il estbeaucoup mieux qu'elle trompe en cerencontre-l, que si, au contraire, elletrompoit toujours lorsque le corps est biendispos, et ainsi des autres.

    C'est cela qu'il faut bien noter chez Descartes: il ne fait pas que justifier le calcul ; il justifiele calcul par le calcul, par le fait d'additionnerou de retrancher... C'est une affirmation trsnette des mathmatiques dans ce qu'ellespeuvent relever du capitalisme, du capital, del'accumulation, en dehors de toutecomprhension de ce qu'est un saut qualitatif.

    13. Un rationalisme sans matrialisme

    Pour conclure, voyons comment Descartesjustifie le fait de se tourner vers la ralit, etnon vers Dieu. L aussi, Descartes est trssubtil. La phrase suivante, o il justifie leproduit de son imagination, relve de la

    moquerie pure et simple.

    Descartes dit que ce qu'il pense est justifi,car il a une raison de le penser, et celajustifierait ce que cette chose puisse trepense et devenir rel...

    Voici ce qu'il dit, de manire peu prsincomprhensible, et pour cause :

    mais on doit savoir que toute idetant un ouvrage de l'esprit, sa nature esttelle qu'elle ne demande de soi aucuneautre ralit formelle que celle qu'ellereoit et emprunte de la pense ou del'esprit, dont elle est seulement un mode,c'est--dire une manire ou faon depenser. Or, afin qu'une ide contienne une telleralit objective plutt qu'une autre, elledoit sans doute avoir cela de quelquecause dans laquelle il se rencontre pour lemoins autant de ralit formelle que cetteide contient de ralit objective; car sinous supposons qu'il se trouve quelquechose dans une ide qui ne se rencontrepas dans sa cause, il faut donc qu'elletienne cela du nant.

    En ralit, Descartes entend justifier lesprojets bourgeois d'action sur le monde. Or,ceux-ci sont le fruit d'une accumulation ducapital, ces projets sont des entreprises. Qu'est-ce qui peut justifier de les entreprendre ? Toutsimplement, apparemment, leur nature mme !

    On a ici une caricature de matrialisme,o tout justifie tout. Voici une autre explicationtout fait similaire, caricature pure et simpledu fabuleux propos hglien : Tout ce qui estrel est rationnel, tout ce qui est rationnel estrel.

    Chez Descartes, ce qui est rationnel estrationnel et donc pourra devenir rel... On atotalement dcroche de la matire, on a unrationalisme sans matrialisme. Voici donccomment Descartes explique cela :

    Maintenant c'est une chose manifestepar la lumire naturelle, qu'il doit y avoir

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    pour le moins autant de ralit dans lacause efficiente et totale que dans soneffet: car d'o est-ce que l'effet peut tirersa ralit, sinon de sa cause; et commentcette cause la lui pourroit-ellecommuniquer, si elle ne l'avoit en elle-mme? Et de l il suit non seulement quele nant ne saurait produire aucune chose,mais aussi que ce qui est plus parfait,

    c'est--dire qui contient en soi plus deralit, ne peut tre une suite et unedpendance du moins parfait.

    Au nom de Dieu dont tout dcoule, ce qui seconoit se voit attribuer une ralit en tantque cause - et peu importe la ralit. Voilce dont avait besoin la bourgeoisie.

    Publi en aot 2013Il lustration de la premire page : Descartes ( droite) et la reine de Sude (au milieu),

    par Pierre Louis Dumesnil

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    1. Les Franais sont cartsiens2. Reprise de l'homme volant d'Avicenne3. L'me au service du rationalisme4. Une lecture rationaliste de la croyance en Dieu5. Le cogito et la thorie du reflet6. Renversement d'Avicenne et d'Averros7. La mthode par les mathmatiques8. Dieu comme prtexte au libre-arbitre bourgeois9. lthique protestante sans protestantisme10. Dtermination est ngation11. Karl Marx sur Descartes12. Le principe de retrancher13. Un rationalisme sans matrialisme