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« Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. » (Lénine, 1902, Que faire ?) Les dossiers du PCMLM Avicenne et Averroès Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste de France

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« Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. »

(Lénine, 1902, Que faire ?)

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Avicenne et Averroès

Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste de France

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Table des matières1. Sur le hasard et son impossibilité ....................................................................................................22. Leur situation historique ..................................................................................................................43. Leurs perspectives matérialistes ......................................................................................................54. Une pensée permise par Al-Fârâbî ..................................................................................................75. La conception d'Avicenne ................................................................................................................96. La conception d'Averroès ..............................................................................................................127. Les « trois philosophes » de Giorgione .........................................................................................148. Le rejet du soufisme ......................................................................................................................169. La « double vérité » et son actuelle utilisation réactionnaire ........................................................1710. La réaction chrétienne par Thomas d'Aquin ................................................................................1911. Les 13 thèses de 1270 ..................................................................................................................2212. L'averroïsme latin – Ibi statur ! ...................................................................................................2213. Aristote au Mont Saint-Michel ....................................................................................................2614. Karl Marx sur Aristote et contre la « création » du monde .........................................................3415. Commentaire de l'explication de Karl Marx sur Aristote et contre la « création » du monde ....3616. Joachim du Bellay et l'averroïsme ...............................................................................................38

1. Sur le hasard et son impossibilité

Avicenne et Averroès ont joué un rôle importanten tant que clé entre l'humanisme, lematérialisme français et en anglais, et la penséegrecque qui a été développée pendantl'antiquité.

La raison en est que le matérialisme tel queconçu par les penseurs grecs n'a pas intégré lanotion de mouvement. L'atomisme de Démocriteétait matérialiste, mais n'a pas expliqué lemouvement des atomes (qui sont aussi, d'unemanière anti-dialectique, considérés comme «incassable », le grec atomos signifiant «indivisible »).

Démocrite n'a pas expliqué pourquoi les atomesont formé des formes et pas d'autres, etcomment et pourquoi ces formes étaient enmouvement. C'est pourquoi Aristote a pu sifacilement développer sa conception et avoir untel succès.

Sa conception de base - le principe de cause etla conséquence - était idéaliste (voir nos articlesEngels sur la cause et l'effet ainsi que "Un effet

ne peut pas se produire avant la cause qui en estl'origine"). Mais ils pouvaient aider à construireune théorie générale de la matière et dumouvement.

Le problème de l'ancien matérialisme grec, c'estque l'univers était statique, il n'a pas demouvement, la réalité n'a pas pu être observéeet étudiée, parce que la matière était tout maisn'avait pas de mouvement, aucun sens elle-même.

Alors qu'avec l'aristotélisme, l'univers est enmouvement, même si c'est seulement en cercles,de manière répétitive. Ainsi, il est possible decomprendre cela.

Avicenne et Averroès sont allés plus loin quecela. Ils poussent la logique d'Aristote à unsommet. Comme il y avait une cause primaire àtout, alors, logiquement, le hasard est devenuune impossibilité. La porte était ouverte pourcomprendre le monde comme un système global.

Un système répétitif, il est vrai. Jusqu'àSpinoza, le matérialisme n'était pas en mesurede concevoir les sens de mouvement évolutif.Hegel a joué un rôle central en donnant lapossibilité de comprendre le saut qualitatif,

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mouvement évolutif ou pour mieux dire: lemouvement révolutionnaire.

Néanmoins, Avicenne et Averroès étaient desfigures clés de la construction du « système »permettant de comprendre le monde. Comme lareligion islamique affirmait qu'il y avait un «Dieu » source de tout, alors le « premier moteur» décrite par Aristote devait être ce Dieuunique.

Et ainsi, l'univers était un système rationnel. Ily avait pas de place pour le hasard. La raison enest qu'à la cause en tant que source demouvement - la cause efficiente, la causematérielle - un autre concept a été ajouté: leconcept de « cause finale. »

L'aristotélisme a gagné sur le matérialisme deDémocrite parce Démocrite ne pouvait pas voirune cause dans le mouvement de la matière.Aristote n'a pas compris la nature de la matière,mais il a reconnu que la matière se déplaçaitdans une direction spécifique.

Donc, il y avait une « cause finale. » Même s'ily avait quelques rares cas où les obstaclesempêchaient un mouvement naturel, ce qui estprépondérant est la cause finale.

Nous ne comprenons peut-être pas ce quiapparaît comme aléatoire, mais ce n'est pasaléatoire. C'est juste quelque chose de pluscompliqué. Ce fut Avicenne qui introduisit leprincipe d'une situation « normale » comme une« séquence ininterrompue » (ittirad).

Donc, ce qui était « rare » n'était qu'uneséquence qui a été interrompue: « En effet, lerare s'avère nécessaire (wâjib) si les conditionsen cela y sont établies et que les circonstancessoient exprimées. » (Tafsir k. al-Sama' al- tabi'i,Commentaire sur la Physique d'Aristote)

La pensée d'Avicenne atteint ici un importantniveau matérialiste, mais aussi sa limite. Eneffet, qu'est-ce qui peut interrompre laséquence?

En raison de la nature idéaliste du système decause - conséquence, Avicenne ne peut que

blâmer la nature elle-même. La nature n'est pas« pure » comme le contenu qui lui est donné parDieu. Donc, il y a des problèmes dans lacombinaison de la matière, interrompant lesséquences.

Voici ce que dit Avicenne:

« Il est clair de tout cela que lesmouvements naturels des élémentsmatériels sont par voie d'un objectifnaturel (qasd) d'eux à un endroit défini(hadd mahdud), et que cela se passetoujours ou la plupart du temps, et c'estce que nous entendons par le terme « fin »(ghaya). Ensuite, il est évident que les objectifs quiémanent de la nature quand la nature nes'oppose pas [à cela], et ne place pasd'obstacles, sont bons et parfaits. Si elles conduisent à une mauvaise fin quin'est pas toujours [ainsi] ou [pas] laplupart du temps, plutôt d'une manièretelle que notre âme cherche une causeaccidentelle dans ces choses, et il est dit «qu'est-ce qui a fait que ces pousses depalmier se fanent?", et « qu'est-ce qui afait faire une fausse couche cette femme?» Même si cela se produit, la nature se meutpour le bien du bien, et ce n'est passeulement [observable] dans la croissanceanimale et végétale, mais aussi dans lemouvement des corps simples et dans lesactions qui émanent d'eux par la nature(bi-l-tab'). Car ils se déplacent toujours vers les fins,à condition que rien ne les en empêche,selon un ordre déterminé (nizam mahdud),sans déviation, à moins qu'il n'existe unecause s'opposant »

(Tafsir k. al-Sama' al- tabi'i,Commentaire sur la Physique)

Il y a une cause finale, mais sa séquence peutêtre interrompue. Il y a des raisons à cela, parceque tout a une cause. Les choses interrompuesne sont pas correctes, mais elles existent, enraison de la nature de la matière.

Voici ce que dit Averroès, donnant un exemple àcela :

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« Parmi les choses qui sont pour une fin,certains se produisent rarement.Cependant, à partir d'elles résulte autrechose que cette fin, tels que la rencontrede son propre créancier débiteur aumarché. Cela arrive rarement, mais cela arrivecomme une conséquence d'aller au marché,qui était dans un autre but... Le hasard etle spontané existent dans les choses / lesévénements, qui sont dans une minorité decas, et proviennent de choses, qui sontpour le bien d'une cause, mais elles ontéchoué [à atteindre] cette cause [finale], etune autre cause [finale] [ou fin] est venued'elles. »

(Long commentaire sur la Physique)

Ce que nous voyons ici est la compréhensionlogique du système de cause - conséquence. Cesystème permet de comprendre le monde, aussilongtemps que la cause apporte la conséquence.Mais s'il y a des problèmes, c'est parce quecertaines choses avec une cause perturbent lemouvement logique cause - conséquence d'autreschoses.

En fait, plus qu'autre chose, le problème estqu'Avicenne et Averroès admettent le conceptaristotélicien de mouvement comme un cercleéternel. Il n'y a pas de place pour desperturbations, des problèmes... un sautqualitatif. C'est la critique faite par Hegel àSpinoza.

Le système d'Aristote, Avicenne, Averroès estbasé sur des formes individuelles avec une causeet allant à une fin. Les formes individuellesobéissent à un plan qui vient de l'extérieur de lamatière. Néanmoins, en raison de la nature de lamatière, le plan ne peut pas être réalisé tout lestemps en raison de causes spéciales, oùdifférentes causes viennent à se rentrer dedans.

En raison de la potentialité de la matière - lapossibilité de la cause - c'est le chaos. Il y a undécalage entre l'objectif initial et ce qui sepasse. C'est le problème fondamental de lalogique de cause - conséquence, une logiqueexpliquée ici par Averroès commentant Aristote:

« La nature est dite accordant la matièreet la forme.... La forme est la fin de lagénération, et tout ce qui est avant la finest pour une fin / un objectif. Par conséquent, il est nécessaire que toutce qui est avant la forme doit être pour lebien de la forme... Aussi, il est nécessaire que la forme soit lafin de la génération, parce que la formedécoule de l'agent, soit toujours, ou [aumoins] la plupart du temps, et parconséquent la matière est pour le bien dela forme. »

(Long commentaire sur la Physique)

2. Leur situation historique

Les penseurs de la falsafa arabo-persaneétaient comme les auteurs humanistes d'Europe– dont ils pavent la voie d'ailleurs. Ils nepouvaient affirmer ouvertement leurmatérialisme.

Le « discours décisif » d'Averroès estemblématique de cela ; il tente d'y maintenir lapossibilité d'une sorte de « division du travail »entre philosophes et religieux, mais ce n'est quetactique, comme l'explique bien le penseur arabesyrien Tayyib Tizini, que nous citons ici (dansun extrait d'un ouvrage de 1971 : Mashru' ru'yajadida li-l-fikr al-'arabi fi l-'asr al-wasit – Projetpour une nouvelle vision de la pensée arabe auMoyen-Âge).

Averroès tente de faire admettre laphilosophie en reconnaissant au clergél'hégémonie politique (dans son rapport étroitavec le pouvoir) ainsi que culturelle (sur lesmasses). En apparence, il met les masses decôté, leur déniant le droit de connaître les textesphilosophiques, qui risqueraient, si mal compris,de leur faire rejeter la religion, alors que lesdeux méthodes amènent en réalité à la mêmeconnaissance de Dieu.

Mais ce n'est qu'apparence, tactique, enraison de la situation. Averroès croyait bien en «Dieu », mais sa pensée est déjà semblable à celle

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de Spinoza, le « Dieu » n'étant qu'un simplemoteur sans personnalité du monde éternel...

« Les idées révolutionnaires etscientifiques d'Ibn Rushd lui valurent desérieux ennuis. Les forces de la réactionreligieuse et politique lui portèrent unehaine féroce, si bien qu'il fut exilé àLucena, près de Cordoue, et que ses livresfurent brûlés. C'était le début d'une bataille furieuse etféroce contre la philosophie et la penséerationnelle en général. L'évolution de l'équilibre des forces enprésence fit pourtant que le souverain luipardonna après un temps, et qu'il putrentrer et rejoindre la cour. Toute recherche approfondie sur l'histoired'Ibn Rushd doit absolument prendre encompte le fait suivant : c'est l'oppositiond'ordre politique et intellectuel entre uengrande partie des masses populaires, quiont à leur tête des religieux fanatiques, etles intellectuels et libres penseurs pourlesquels la raison est une donnéeessentielle, qui détermine la situationpolitique et intellectuelle à l'époque d'IbnRushd. Les souverains oscillent entre ces deuxtendances majeures. Si cette opposition abien imprimé sa marque sur l'évolutionintellectuelle en al-Andalus, elle a par làcontribué à y rendre extrêmementcompliqué le cheminement de laphilosophie et de la pensée. Ibn Rushd, comme avant lui Ibn Bajja, futtouché de plein fouet par les salves deslittéralistes et des fanatiques. On doit alors peu ou prou, directement ouindirectement, ressentir la vague deterrorisme intellectuel qui touchait cepays. Cette situation met celui qui étudiel'histoire de la philosophie et de la penséeen général devant la délicate tâche decomprendre la nature de ce terrorismeintellectuel, et de le prendre en comptelorsqu'il s'agit d'évaluer la production decette époque. On n'a donc pas le droit, cette réalitéhistorique étant, d'attendre des penseursde cette époque qu'ils aient effectivementdit tout ce qu'ils voulaient dire. Le styleallégorique dans l'écriture et l'équivoque

occupent une place importante dans leursécrits (…). En réalité, c'est la mentalité (l'idéologie)féodale qui domine alors sur le plan de lavie publique la plus large. Cette mentalitése caractérise par le littéralisme,l'immobilisme, et l'obscurantismeeschatologique dans le domaine de lapensée et de la raison. Elle est en outre marquée par la volontéde subordonner toute forme de consciencesociale, art, éthique, politique,philosophie, etc. aux exigences de lafonction d'assurer la consécration et laconsolidation d'un lien social primaire etinhumain. Lorsque nous observons qu'Ibn Rushd, etd'autres avant lui, comme Ibn Tufayl,accordent une moindre valeur à la foulequ'aux philosophes ou aux intellectuels engénéral, il faut assurer qu'il s'agit là dedéfendre la philosophie et la penséerationnelle, et de disputer à cettementalité féodale la maîtrise de laphilosophie et de la raison. En d'autres termes, les philosophes arabo-musulmans rationalistes et matérialistesétaient moins contre les masses que celles-ci n'étaient contre eux. Ceci montre que la thèse des « deuxvérités », une vérité philosophique etrationnelle et une vérité religieuse etfidéiste, telle qu'elle existe chez certainsphilosophes musulmans dont Ibn Rushdlui-même, n'est en réalité que lasublimation et la condensation de laréalité conflictuelle existant entre lesphilosophes et les masses fanatiquesd'alors. La théorie des « deux vérités » reflète defaçon étonnante cette oppositionconflictuelle, et le fait que la plupart desphilosophes tenants de cette théoriepenchent du côté de la véritéphilosophique rationnelle leur aévidemment valu de rencontrerl'opposition de la foule, conduite dans unedirection inverse. »

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3. Leurs perspectives matérialistes

Lorsque nous parlons d'Avicenne et Averroès,il faut voir comment il y a un progrès, commentla compréhension d'Avicenne conduit à laconception d'Averroès. Le matérialismeprogresse: pour Avicenne, Dieu était justifié parla métaphysique, et la métaphysique justifiait laphysique. Mais dans la pensée d'Averroès, Dieuest justifié par la physique, et non par lamétaphysique.

C'est en effet un mouvement important.Avicenne considère ainsi que toutes les causesdoivent avoir une source, une cause de la cause.Donc, Dieu « doit » exister, comme la causepremière, qui est sans cause. C'est uneconception conforme aux enseignementsd'Aristote.

Averroès, de son côté, va plus loin. Son dieuest « passif », comme dans la conception deSpinoza par la suite. Donc, comme il est éternel- comme le monde -, il existe.

Avicenne promeut une conception pré-matérialiste en utilisant un Dieu actif. Averroèsa essayé de construire le matérialisme par unDieu éternel passif.

En faisant cela, Averroès purgesl'aristotélisme des éléments venant non pasd'Aristote, mais de Platon et qui ont étécombinés d'une façon erronée au début dupremier millénaire.

Averroès attaque directement le concept d'unDieu envoyant une sorte d'énergie, des «émanations »: il ne croit pas que Dieu est uneunité, un « un » qui émane la pluralité, à partirde laquelle, à la fin, il y a notre monde.

Averroès sépare radicalement Dieu du monde- et, ce faisant, il met Dieu dans le monde,comme un moteur simple. Il s'agit d'un systèmematérialiste masqué par un système religieux.Voici sa critique de la Falsafa avant lui:

« À propos de cette déclaration que, du

un ne procède que le un - tous lesphilosophes de l'antiquité en ont convenu. Quand ils enquêté sur le premier principedu monde d'une manière dialectique, ilsconfondirent cette enquête, cependant,avec une démonstration réelle et ils sonttous venus à la conclusion que le premierprincipe est l'un et le même pour chaquechose et qu'à partir du un seul un peutprocéder... Mais quand les philosophes de notrereligion, comme Farabi et Avicenne [lesdeux autres principales figures de laFalsafa arabo-persane], avait une foisconcédé à leurs adversaires que l'agentdans le monde divin est comme l'agentdans le monde empirique et que d'unagent il ne peut naître qu'un seul objet (etselon tous le Premier était l'unitéabsolument simple), il est devenu difficilepour eux d'expliquer comment pluralitépourrait en découler... Ils ont déclaré que, du Premier, qui est unexistant simple, procède le mobile de laplus haute sphère, et de ce moteur, commeil est d'une nature composite, car il penseà la fois lui-même et le Premier, la plushaute sphère, et le moteur de la secondesphère, la sphère sous la plus haute, peutsurvenir. Ceci, cependant, est une erreur, selonl'enseignement philosophique, car lepenseur et la pensée sont une choseidentique... Cela n'affecte pas la théorie d'Aristote,car l'agent individuel dans le mondeempirique, à partir duquel ne peut yprocéder qu'un seul acte, ne peut qued'une manière équivoque être comparé àl'agent premier. Comme le premier agent dans le mondedivin est un agent absolu, tandis quel'agent dans le monde empirique est unagent relatif, et comme de l'agent absolune peut procéder seulement qu'un acteabsolu qui n'a pas d'objet individuelspécial. »

(Averroes, Tahafut al-tahafut)

Donc, il n'y a qu'un seul Dieu, comme leconcept de Dieu ne peut être qu'un, comme unne peut être qu'un et ne donner qu'un. Donc,logiquement, Dieu ne crée pas le monde, il est le

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monde pour Spinoza, et entre-tempshistoriquement, il est le moteur du monde.

Spinoza supprimé l'existence de Dieu commeséparé du monde: dans sa pensée de Dieu est laNature, et non un moteur. Mais ce faisant, il asupprimé le mouvement, et Hegel a théorisécette élément manquant.

Mais de manière intéressante, on trouveencore le mouvement dans la pensée d'Averroès,étant donné que Dieu est un moteur qui permetà des formes d'exister à travers la matière. Parexemple, un être humain est une forme quiforme la matière comme humain, c'est sonobjectif.

La réalisation de cet objectif est bon: chaqueforme a un but, et sa réalisation est bonne ; lemoteur est heureux de cette réalisation, commeil est final en soi, et ainsi la bonté suprême.C'est la conception d'Aristote.

Averroès utilise toujours cettecompréhension, qui est idéaliste en raison duprincipe de cause - conséquence.

Alors, comment voit-il le « mouvement » ?Comme il rejette la matière existante pour elle-même - la matière n'est rien si une forme nevient pas la « former » - alors, il doit le justifierailleurs.

Et comme son Dieu n'est pas « actif », il nepeut pas, comme Avicenne, non plus le mettreen Dieu.

Ainsi, il a essayé de trouver une autre façon ;voici ce qu'il dit:

« La non-existence est l'opposé del'existence, et chacun des deux estremplacé par l'autre, et quand la non-existence d'une chose disparaît, elle estsuivie par sa non-existence. Comme la non-existence par elle-même nepeut pas se changer en existence, etcomme l'existence par elle-même ne peutpas se transformer en non-existence, ildoit y avoir une troisième entité qui est ledestinataire (al-qabil) pour chacun d'eux,et c'est ce qui est décrit par « possibilité

» (imkan) et « devenir » (takawwun) et «changement (intiqâl) de la qualité de lanon-existence à la qualité de l'existence. »Comme la non-existence elle-même n'estpas décrite par « devenir » ou «changement », et comme la chose qui estdevenue réelle n'est pas non plus décritede cette façon, comme ce qui devient perdla qualité de devenant, de changement, etde possibilité quand il est devenu réel. Par conséquent, il doit nécessairement yavoir quelque chose qui peut être décritpar « devenir » et « changement » et «passage de la non-existence à l'existence »,comme il arrive dans le passage descontraires en contraires, c'est-à-dire, ildoit y avoir une strate pour eux où ilspeuvent s'inter-changer - avec cette seuledifférence, toutefois, que cette strateexiste dans l'échange de tous les accidentsdans la réalité, alors que dans lasubstance, elle existe en puissance [=comme potentialité]. »

(Averroes, Tahafut al-tahafut)

La clé de la transformation des contrairesrecherchée par Averroès est la dialectique de lamatière, le « quelque chose » décrit comme «devenir » et « changement » et « passage de lanon-existence à l'existence » est l'univers commeun oignon selon le matérialisme dialectique.

4. Une pensée permise par Al-Fârâbî

La religion islamique a permis une rupture avecla pensée tribale, et ce saut qualitatif a donnénaissance à la Falsafa arabo-persane. Al-Fârâbîfut la première figure de premier plan de cemouvement intellectuel et culturel ; il a ouvertla voie à Avicenne et Averroès.

Ce n'est pas une surprise que ce soit par laquestion de la « pensée » que la Falsafa soit allédans le sens du matérialisme. La raison en estfacile à comprendre: Aristote a construit unsystème idéaliste de compréhension du monde.Mais comme il a mis un « premier moteur »permettant au monde d'exister, alors quelle

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était la relation entre la pensée des êtreshumains et ce premier moteur?

Cette question, appelée la question de «l'intellect », était la question brûlante dansl'aristotélisme, et la Falsafa prend son identitédans la volonté de répondre à cette questiond'une manière particulière: « l'intellect » a étéconsidéré comme existant en dehors deshumains, qui étaient re-découvrant la réalité, etnon pas la « possédant. » Les pensées des êtreshumains étaient des miroirs de la réalité, maisparfois de mauvais miroirs, ce qui rendait laphilosophie nécessaire.

Tandis que le matérialisme dialectique expliqueque le monde peut être compris, la Falsafa à sesdébuts voit la vérité comme une « lumière » quiémane du premier moteur, et cette lumière peutne pas être pas vue correctement. Al-Fârâbî estle penseur majeur de cela.

Il joue ici un rôle important, car il est lepremier à faire une critique de l'idéalisme.Avicenne va continuer son mouvement etAverroès terminer sa perspective. Spinozapourrait alors saisir cela et faire disparaîtreDieu du système.

Alors, quelle était la pensée d'Al-Fârâbî ? Il apris le système idéaliste, qui considérait lemonde comme un simple « un », comme théorisépar Plotin. Il y avait un grand « un »,absolument magnifique et uniquement tournédans sa propre direction. Mais il émane tant debonté qu'il crée le monde matériel, où nousvivons. Notre tâche ici est de refuser la matièreet à revenir au « un » (et seulement un).

Al-Fârâbî a changé ce système. Il a compris quecette conception était conforme à l'enseignementde Platon, mais pas aux leçons d'Aristote. Pourcette raison, il a gardé le « un », mais fait unehiérarchie: le « un » donne naissance à « l'intellect », puis il y a « l'esprit », puis le «matériel. » Tous n'étaient pas au même niveau,en tant qu' « ombres » du « un. » Ils existaient,mais un au-dessus / au-dessous de l'autre.

C'était vraiment près ou de tout à fait la même

chose que la pensée d'Aristote. Et cela n'a l'aide rien du tout. Mais connecté à l'islam, celajoue un rôle central pour la Falsafa.

L'Islam a en effet été influencé par l'écoleash'arite, à la suite d'Abû al-Hasan al-Ash'ari(874-936). Al-Ash'ari est une figure trèsimportante de l'Islam, son œuvre majeure est lele Kitab al-Luma (Le livre lumineux).

Le point central est le concept d'« acquisition »:les humains n'ont pas de « libre arbitre », ilsont fait l'acquisition de ce que Dieu leur adonné, et doivent obéir à l'« essence » qui leurest donnée. Ils peuvent refuser, mais alors ilsagissent contre leur propre nature.

Voici ce que dit Al-Ash'arī:

« Nous estimons que il n'y a pas decréateur en dehors d'Allah, et que lesactes des êtres humains sont créés etdécrétés par Allah, comme il dit, « C'estDieu qui vous a créés, vous et ce que vousavez fait » (37.96) ; et nous soutenonségalement que les êtres humains sontincapables de créer quoi que ce soit, maissont eux-mêmes créés, comme Il dit: «Existe-t-il en dehors de Dieu un créateur ?» (35.3) ; et : « Et ceux qu´ils invoquenten dehors d´Allah ne créent rien, et ilssont eux-mêmes créés » (16.20) ; et : «Celui qui crée est-il semblable à celui quine crée rien? » (16.17) ; et : « Ont-ils étécréés à partir de rien ou sont-ils eux lescréateurs? » (52.35). Cette pensée seproduit fréquemment dans le livre d'Allah[c'est-à-dire le Coran]. »

L'école ash'arite a été influencée par l'écolemu'tazilite de Basra et Bagdad, qui a favorisé laraison et a été influencée par Aristote. Elle s'esttoujours plus éloignée, et son penseur majeurest devenu Al-Ghazzālī (1058-1111), l'attaquantprincipal de la Falsafa et qui a fait que l'islamrefuse la philosophie.

Mais avant cette étape faite par Al-Ghazzālīcontre la Falsafa, il y avait la place pour qu'Al-Fârâbî combine l'aristotélisme (avec l'influencede Platon, par Plotin) avec le concept ash'arite

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d'« acquisition. »

Et ainsi, « l'intellect » humain était uneacquisition permise par la faculté imaginative.C'est une conception qui est une sorte deparallèle à la conception du matérialismedialectique de la pensée comme un reflet de laréalité.

Al-Fârâbî explique ainsi:

« Toute idée vient de l'expérience des sensselon l'adage: « Il n'y a rien dansl'intellect qui n'a pas été d'abord dans lessens. » L'esprit est comme une tablettelisse sur laquelle rien n'est écrit. Ce sont les sens qui font toute l'écrituresur elle. Les sens sont cinq: vue, ouïe,odorat, le goût et le toucher. Chacund'eux a quelque chose de sensible enparticulier pour son objet. Dans chaquesensation, le sens reçoit les formulaire ouespèces des choses sensibles sans lamatière, tout comme la cire reçoit laforme d'un sceau sans la matière de celui-ci. »

Les êtres humains ne « pensent » pas en dehorsde la réalité, et quand ils pensent, c'estautomatiquement connecté à la réalité, par «l'intellect » créé par le « un » qui irradiel'intellect des êtres humains (qui est, de ce fait,une acquisition) .

Al-Fârâbî affirme que:

« L'intellect actif brille d'une sorte delumière sur le passif, par lequel le passifdevient réel (aql bilfil) et l'intelligible enpuissance devient intelligible en acte. Enoutre, l'intellect actif est une substancedistincte, qui, en allumant les fantasmes,fait qu'ils soient en fait intelligibles. »

Les êtres humains sont comme des ordinateursse raccordant eux-mêmes, d'une manièrenaturelle, à l'internet, qui leur donne desinformations (que « l'internet » éternel conservetoujours). Ils « prennent des informations », ils

ne créent pas, ils « compilent » :

« Les sensations dont nous avons fait unefois l'expérience ne sont pas tout à faitmorte. Elles peuvent réapparaître sous laforme d'images. La puissance par laquellenous faisons revivre une expériencesensible passée sans l'aide d'un stimulusphysique s'appelle imagination (el-motakhayilah). La puissance par laquelle nous combinonset divisons des images est appelé lecogitative (el-mofakarah). Si nous étionslimités à la seule expérience de nossensations présentes, nous aurionsseulement le présent, et avec elle il n'yaurait pas de vie intellectuelle du tout.Mais heureusement nous sommes dotés dela puissance de rappel d'une expérienceancienne, et c'est ce qu'on appelle lamémoire (el-hafizah-el-zakirah). »

Et d'une manière très intéressante, Al-Fârâbîexplique la prophétologie par l'intellect acquis.Le « prophète » est quelqu'un comprenant laréalité parce que sa pensée la reflète d'unemanière vraiment très élevée.

Il est impossible de ne pas penser au concept depensée dans le matérialisme dialectique, dont lacompréhension a été permise notamment parGonzalo.

Lorsque Al-Fârâbî explique que la connaissanceest « clairvoyance [kahanat] dans les chosesdivines », cela est facile à comprendre si l'onpense que les « choses divines » sont en fait laréalité.

A la fin du processus de la Falsafa, lorsque leDieu agissant devient un simple moteurprincipal (passif), alors « l'intellect » sera unsimple reflet de la réalité - de la Nature.

5. La conception d'Avicenne

Le système d'Avicenne est un pré-matérialismeoù la matière « pense » par elle-même au moyen

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d'une sorte d'ordinateur central, les humainsn'étant que des sortes de composantes.

Au sens strict, chez Avicenne il y a un Dieu quidonne naissance à « l'ordinateur central »permettant à la matière de prendre forme.

Mais ce Dieu est étonnamment inactif pour unDieu, et qui plus il ne connaît pas les élémentsmatériels en détail, il ne connaît que les «programmes » les faisant fonctionner... Dans unmonde, qui plus est, qui est éternel !

Voilà qui est matérialiste, ou plus exactementpré-matérialiste, car Avicenne, pour des raisonshistoriques, ne dit pas que la matière se meutelle-même.

A son époque, il ne pouvait se passer de Dieunon seulement pour ne pas se faire tuer, maismême intellectuellement, en raison de lanécessité d'avoir un « moteur » à la vie. Ladialectique de la matière n'était pas encoreconnue – seule la classe ouvrière permettra decomprendre celle-ci.

Avicenne, donc, conçoit Dieu comme un «Donateur de l'Intelligence. » Cette Intelligenceest ce qui donne le « programme » aux formesqui se saisissent de la matière pour exister.

Le programme ne meurt pas, par contre laforme matérielle qu'il a utilisé peut disparaître.Et ce programme, Avicenne l'appelle l'âme.

Le programme peut toujours être relancé pourprendre forme, par conséquent il est éternel.L'âme est un principe éternel. Il dit ainsi :

« Lorsque l'âme vient à l'existence, etcomme elle est une substance, elle subsisteparce que le principe de son existencesubsiste. Lorsque son organe est détruit etcomme elle ne subsiste ni par cet organeni dans cet organe, elle n'est pas détruite. Certes, ses facultés organiques – telles quela sensation, l'imagination, le désir, lacolère et autres facultés analogues – seséparent d'elle et sont détruites par suitede la destruction de l'organe. »

(Avicenne, Le livre de la science)

Reste donc à définir la nature de cetteintelligence qui fait, en quelque sorte,fonctionner les « robots » humains, cesuperordinateur central éternel qui fait tournerles unités centrales humaines en leur confiant unprogramme qui se matérialise :

« Comme les intelligibles sont enpuissance dans l'âme, puis viennent àl'acte, il faut qu'il y ait une entitéintelligente qui les fasse passer de lapuissance à l'acte. Il n'est pas douteux que cette entité estune des intelligences dont nous avonsparlé en métaphysique – particulièrementcelle qui est la plus proche de ce bas-monde et qu'on nomme : intelligenceactive – celle qui agit sur nos intelligencespour les faire passer de la puissance àl'acte. Mais tant que tout d'abord les sensationset les imaginations n'existent pas, notreintelligence ne vient pas à l'acte. Et quand les sensations et lesimaginations viennent à l'existence, lesformes se mêlent à des accidents qui leurssont étrangers, et elles sont alors voiléescomme les choses qui se trouvent dansl'obscurité. Mais ensuite les rayonnements del'intelligence active tombe sur lesimaginations, de même que celui du soleiltombe sur les formes qui se trouvent dansl'obscurité. Puis, partant de ces imaginations, lesformes abstraites se présentent àl'intelligence, de même qu'à cause de lalumière les formes visibles se présententdans le miroir ou dans l’œil : comme cesformes sont abstraites, elles sontuniverselles ; en effet, si tu retranches dela perception d'humanité les partiessuperflues, il en reste le concept général,tandis que les particularités individuellesdisparaissent. Ainsi l'intelligence distingue l'un del'autre l'essentiel et l'accidentel, et lessujets et prédicats apparaissent ; toutprédicat lié à un sujet sans l'aide d'unintermédiaire se présente à l'intelligence,et tout prédicat auquel il faut unintermédiaire [pour que son lien à un sujetsoit conçu] se conçoit au moyen de la

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réflexion. Lorsque l'âme humaine prendconnaissance des intelligibles isolés de lamatière, lorsque le besoin de percevoir parles sens disparaît et que la séparation del'âme et du corps intervient, [alors] l'unionde l'âme au rayonnement suprêmes'accomplit. »

(Avicenne, Le livre de la science)

Ainsi, les humains sont heureux quand ilscomprennent que ce qui est pensé est conformeau programme ayant abouti à leur existence. Cen'est pas la matière brute qui est l'aspectprincipal, mais le programme qui a fait que lamatière brute prenne la forme d'un être humain.

C'est lourd de conséquences et préfigure lematérialisme dialectique, car tout ce qui estpensé correctement est « vrai » et continued'exister en tant que vérité, même si on meurtet qu'on ne le pense par conséquent plus.

Et même, tous les humains vont le penser de lamême manière. On a ici une conceptionmatérialiste rejetant le relativisme individualisteconsidérant que les humains sontfondamentalement différents les uns des autres.

Tous les êtres humains tendant à vivresagement, comme bonheur authentique conformeà leur nature :

« Étant donné que la cause duperfectionnement de l'âme estl'intelligence active (laquelle est éternelleet d'un rayon constant), que l'âme reçoit[les intelligibles] par elle-même et non parun organe, et que l'âme est éternelle, doncl'union de l'âme à l'intelligence active etson perfectionnement par elle sontperpétuels, et l'âme ne subit ni obstacle nialtération ni destruction. Il est devenu évident que le plaisir dechaque faculté consiste en la perception dela chose pour laquelle cette faculté estréceptacle naturel. Il est aussi devenu évident que rien n'estplus délectable que les conceptsintelligibles. »

(Avicenne, Le livre de la science)

Dieu et la religion ne sont que des prétextespour l'établissement d'une morale qui, elle, estphilosophique et non religieuse. Et cettephilosophie est athée : elle considère Dieucomme un moteur permettant une existence quidoit être naturelle, et donc non pas matérialistevulgaire, fétichisant la réalité, mais prenant encompte la totalité de la réalité.

Cette totalité de la réalité est appelée Dieu,mais elle est en réalité l'univers. L'univers qui «pense » sous la forme d'une intelligence qui estla vérité suprême, mais est statique, pas enmouvement (cela sera exactement ce quereprochera Hegel à Spinoza).

Mais dans la conception d'un monde statique(=non dialectique), alors on peut accepter un «Dieu » étant en réalité l'univers qui se pense lui-même, et donne à la matière des formes quitentent de comprendre la nature de l'univers etsont joyeuses lorsqu'elles comprennent leurstatut.

Le Dieu-moteur est purement unique et passif, ilest moteur de l'intelligence dont profitent deshumains robots et passifs sur le plan intellectuelen fait :

« La pensée première est savoir, du faitqu'elle est commencement et cause de laproduction des formes intelligibles – ce quifait d'elle une connaissance active. Quant au second [c'est-à-dire les formes],c'est aussi une connaissance, du fait qu'ilest un réceptacle de multiples formesintelligibles – mais une connaissancepassive ; dans ce dernier cas, de multiplesformes apparaissent chez le [sujet]connaissant – ce qui nécessite pluralité,parce que là il y a relation à des formesmultiples qui procèdent d'une seule formetandis que l'autre cas ne nécessite pointpluralité. »

Dieu=l'univers donne donc naissance auprincipe « être humain », qui est une forme(prenant matière), mais c'estl'intellect=l'univers pensant qui permet la

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réalisation de ces formes dans la matière,donnant naissance à de multiples êtres humainsau caractère unique quant à leur fond.

Dieu reste donc « un » et ne connaît pas lemultiple ; les humains sont multiples mais n'ontqu'un seul « moule. » Ce moule réussissant plusou moins bien selon la matière, les humains sontdifférents en apparence.

Seulement voilà, la conséquence logique estqu'alors Dieu ne connaît pas les « particuliers»... Il est l'univers pensant et donnant naissanceà des formes, mais il ne connaît que le mouleprimordial de ce moule, pas les différentesréalisations.

Il ne saurait donc intervenir dans le monde,n'étant qu'un moule à formes. Or, c'est encontradiction flagrante avec la religion et saconception d'un Dieu « individu »... Et c'estbien un authentique système pré-matérialiste.

6. La conception d'Averroès

Avec Al-Farabi et Avicenne, la philosophie a puse développer d'une manière étonnante, venanttoujours plus près du matérialisme. Mais l'étapeimportante, la meilleure percée, qui a eu uneconséquence historique pour le monde, a été laconception d'Averroès.

Averroès est une clé majeure de l'histoire. Il estun géant qui doit être reconnu par l'humanitécomme l'un de ses titans. Le matérialismedialectique met en avant Averroès comme l'undes plus grand producteur de pensée.

Sans Averroès - mais il était historiquementnécessaire - le matérialisme dialectique nepourrait pas exister comme aujourd'hui.

Avant lui, les pensées fondées sur Aristotepermettaient la science, mais sur une baseidéaliste. Averroès a ouvert la porte pour ouvrirle matérialisme. Voyons comment.

Avant Averroès, la conception était que un Dieuéternel (en tant qu'unité) produisait, dans sa

bonté, une intelligence, qui a permis aux êtreshumains d'exister en tant que que matièreorganisée à travers une « âme » connecté à cetteintelligence.

Cette pensée permettait d'expliquer les formesde la matière et son mouvement. La pensée étaitun reflet de la lumière extérieure de «l'intelligence » produite par Dieu (en tantqu'unité).

Néanmoins, Averroès a poussé cette logique àson terme, et mettre ainsi Dieu de côté.

Il avait en effet un problème avec cetteconception de la pensée comme un simple reflet,de l'esprit à son origine comme étant une «tablette », « sur laquelle rien n'est à ce jourréellement écrit » (les mots sont d'Aristote).

Il pensait que non seulement la capacité d'êtreécrite était une disposition - une pensée quiétait celle d'Aristote également - mais que cettetablette était écrivant sur elle-même: elle n'étaitpas seulement passive, elle était égalementactive.

Il y avait - à nos yeux - ce qui est un processusdialectique de l'écriture / réécriture. Averroès neconnaissait pas la dialectique, mais il acommencé à s'éloigner de la conception cause /conséquence.

Comment Averroès est-il sorti de l'intellectcomme purement passif ?

Voici sa conception. Tout d'abord, il pensaitquelque chose de logique: si l'intelligence étaiten effet éternelle (telle que produite par le Dieuéternel-unité), alors les « âmes » où elle allaitnaturellement devaient être éternelles aussi.

Mais le problème était bien entendu que lescorps ne sont pas éternels. Donc, Averroès adivisé l'âme.

D'un côté, il y avait de la matière en tant quecorps-âme. Ce côté-là était temporaire. Del'autre côté, il y avait une intelligence possible,qui se reliait naturellement à l'intelligence.Toutes deux étaient éternelles.

Il y avait une stricte unité entre l'intelligence en

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provenance de l'un (=Dieu) et l'intelligence quiétait « possible » (à travers l'union de l'âme etla matière).

Donc, il y a:

[union de l'âme et de la matière / l'intelligencepossible permise par cette union] +[l'intelligence]

D'une certaine manière, l'union de l'âme et dela matière est comme un ordinateur, qui estrelié par sa carte interne (l'intelligence =possible) à l'Internet (=l'intelligence).

Après un certain temps, les ordinateurs sontcassés, mais l'Internet reste - exactement commeles corps meurent, mais l'intelligence reste.

A tout moment, une nouvelle intelligencepossible peut se reconnecter à l'intelligenceglobale - comme un nouvel ordinateur peut seconnecter à l'Internet.

Voici ici ce que dit Averroès:

« Il est clair que, dans un sens, cetintellect est un agent et, dans un autre,c'est une forme pour nous, puisque lagénération des intelligibles est un produitde notre volonté. Quand nous voulons penser quelque chose,nous le faisons, notre façon de penser celan'étant rien d'autre que, tout d'abord,amener l'intelligible en avant et, en secondlieu, le recevoir. Les intentions individuelles dans la facultéimaginative sont ceux qui sont en relationavec l'intellect comme les couleurspossibles le sont avec la lumière. C'est-à-dire que cette intelligence les rendréellement intelligibles après qu'elles aientété intelligible en puissance. Il est clair, à partir de la nature de cetteintelligence - qui, sur un point, est formepour nous et, dans un autre, est l'agent pour lesintelligibles - qu'il est séparable et nigénérable ni corruptible, pour ce qui agitest toujours supérieur à celle qui estsollicité, et le principe est supérieur à la

question. Les aspects intelligent et intelligible de cetintelligence sont essentiellement la mêmechose, car elle ne pense pas que quelquechose d'extérieur à son essence. Il doit yavoir ici un intellect agent, puisque ce quiactualise l'intellect doit être un intellect,l'agent dotant seulement ce qui ressembleà ce qu'il est dans sa substance. »

(Commentaire moyen du De Animad'Aristote)

Donc, il y a une pensée pour Averroès, qui, pourêtre active, a besoin (selon lui et les réflexionsfondées sur Aristote en général) d'une cause,l'intelligence.

L'intelligence qui a été produite par Dieu etécrit une forme qui prend un corps, la capacitéde cette forme-corps s'appuyant surl'intelligence, ou pour mieux dire par « quelquechose » permis par l'intelligence sous la formedu corps. Averroès appelle l '« intellect matériel.»

Cet intellect matériel, lorsqu'il travaille, est lapreuve d'une pensée correcte, du fait de menercorrectement sa vie, une preuve de l’unionittisal – إحتصا al-ittihad, de la jonction - الحتحادde la forme - corps et de l'intelligence (dans eten tant que matériel intellect).

Voici ici ce que dit Averroès:

« L'intellect matériel est quelque chose decomposé de la disposition trouvée en nouset d'une intelligence conjointe à cettedisposition. Comme conjointe à la disposition, c'estd'une intelligence disposée, non pas uneintelligence en acte ; bien que, comme nonassociée à cette disposition, il s'agit d'uneintelligence en acte ; tandis que, en soi,cet intellect est l'Intellect Agent, dontl'existence sera montré plus tard. Comme conjointe à cette disposition, c'estnécessairement une intelligence enpuissance, qui ne peut se penser, mais quipeut penser autre qu'elle-même (c'est-à-dire les choses matérielles), tandis que,comme non conjointe à la disposition,

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c'est nécessairement une intelligence enacte qui se pense elle-même et pas ce quiest ici (c'est à dire qu'elle ne pense pas leschoses matérielles). »

Conséquence de cela, c'est que tous les humainsdoivent vivre d'une manière raisonnable, selonleur propre nature (leur propre nature dans lanature, dira plus tard Spinoza).

Et si les êtres humains peuvent donc penserd'une « manière indépendante », parce qu'il y aun « intellect possible », il est très important devoir que cet intellect potentiel s'est appuyé surla possibilité de penser donnée par l'Intelligence(produite par Dieu) à l'intellect matériel .

Et comme l'intellect matériel est « un » etéternel, pareillement est l'intellect en puissance.Une « pensée » du corps-âme n'existe pas ; enréalité, il se connecte au principe del'intelligence.

Cela signifie que tous les êtres humains vontpenser la même chose, partout dans le monde,s'ils pensent bien. Il s'agit d'une thèse centraledu matérialisme, et bien sûr du matérialismedialectique.

Par conséquent, qu'est-ce que donc l'âme? C'estseulement un outil temporaire, un réceptacle del'intelligence possible pour recevoir l'intelligencedu Dieu-unité.

Et en raison de cela:

- Les âmes ne sont pas éternelles.

- L'intelligence ne connaît pas les détails, elle neconnaît que l'universel, étant éternel et étanttoujours la même.

- Les êtres humains ne pensent pas, ils sont desvecteurs temporaires de l'intelligence globale.

Ce sont les thèses traditionnelles de ce qui seraappelé en Europe l'averroïsme, et ce qui estappelé aujourd'hui « l'averroïsme latin. »

Thèses qui ont été considérées comme la

principale menace par le christianisme (qui feraici l'acquisition de son identité, jusqu'àaujourd'hui).

A Paris, de telles thèses ont été interdites en1270 et 1277, comme dans une faculté ellesétaient mises en avant par de nombreuxpenseurs. Nous allons voir cela dans les détails,car c'est la véritable naissance du matérialisme,allant directement à Spinoza, Hegel, Karl Marxet Friedrich Engels.

7. Les « trois philosophes » deGiorgione

Giorgione (1478 - 1510) était un grand peintre ;en tant que maître de la Renaissance vénitienne,il a produit un travail que le socialismereconnaîtra comme l'une des plus importantespeintures: les « trois philosophes. »

Sur cette peinture - finie en 1509 par Sebastianodel Piombo car Giorgione était déjà très malade- on peut voir trois hommes.

La peinture dépeint en effet, comme le titre ledit, trois philosophes, et pas du tout les troismages allant chez Jésus venant de naître,comme quelques explications réactionnairesessayent de le dire.

En fait, nous devons noter ici aussi que nous neconnaissons pas le nom réel de l'œuvre, le nomde « trois philosophes » venant d'un écrit deMarcantonio Michiel (1484-1552), un noblevénitien s'intéressant à l'art et vivant en mêmetemps que Giorgione.

Mais nous savons que la peinture a étécommandée par un autre Vénitien, TaddeoContarini, un marchand souvent présentécomme « intéressé par l'occultisme et l'alchimie.» Ce qui veut dire qu'il était intéressé par lenéoplatonisme, un courant idéaliste au milieudes débats autour d'Aristote, de Platon, de lareligion, d'Averroès.

Il est également même facile de comprendre quel

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genre de philosophes sont présentés dans letableau. Celui sur la droite est clairement unGrec; traditionnellement on pense que c'estAristote, ou Pythagore.

Celui au milieu, un Arabe, a toujours étéconsidéré comme étant Averroès.

Le troisième, totalement à gauche, a toujoursété considéré comme un Européen de laRenaissance.

Comme l'un est Grec, l'autre un Européen de laRenaissance, et le dernier un Arabe, il ne peutabsolument pas s'agir des trois mages allant àJésus.

En fait, le tableau décrit trois étapes: laphilosophie grecque, qui a commencé la science.La culture arabo-persane, qui l'a continué. Etpuis la Renaissance, qui a continué le processus.

La preuve en est que le Grec et l'Européen ontdans les mains soit un document scientifiquepour le Grec, ou bien des outils (équerre etcompas) pour mesurer pour l'Européen.

Averroès est ici clairement montré comme letransmetteur - un thème central del'humanisme, de l'averroïsme latin. Qu'il n'agitpas est logique: il était connu comme le «commentateur » (d'Aristote).

Ce n'est pas tout.

Les philosophes ne sont pas seulement sur unecolline, au-dessus d'une vallée. On dit souventqu'il n'y a pas seulement le soleil, mais aussiune autre lumière qui brille directement sur eux.C'est vrai, mais il y a quelque chose d'évident,qui semble pourtant n'avoir jamais été vu.

C'est exactement au-dessus des outils - l'équerreet le compas - du jeune philosophe que le mondenouveau apparaît. Les outils du jeune Européensont comme « l'ouverture » d'un mondenouveau, une nouvelle société. Le soleil levantest un symbole de cette naissance.

Les religieux ont essayé de dire que les troismages étaient sur la brèche, allant à Jésus aprèsavoir vu dans le ciel quelle direction prendre.C'est absolument absurde: il est évident que

symboliquement la nouvelle société, la ville sousle soleil levant, est comme un produit des outilsdu jeune Européen.

C'est conforme au principe de l'humanisme.

Et qu'est-ce que le jeune Européen est en trainde mesurer ? Une grotte.

Toute personne connaissant un peu dephilosophie connaît l'allégorie de la caverne dePlaton : les humains sont comme dans unecaverne, ils ne voient que des ombres, qu'ilsprennent pour la réalité.

Dans ce tableau, nous voyons que lesphilosophes sont à l'extérieur de la caverne, quela lumière, qui produit les ombres dans lacaverne, brille directement sur eux.

Les philosophes sont libres, ils ont compris laréalité, et ils montrent la voie de la sagesse.

Ils voient la lumière réelle (de la vérité, de lasagesse, du bonheur, de la bonté, etc) et nonpas les ombres, comme les gens ordinaires lefont parce qu'ils sont emprisonnés dans unemauvaise façon de penser (le fait que Platon etAristote ne soient pas opposés ici n'est pas unesurprise; à la Renaissance et avant, il étaitcourant de croire qu'ils avaient les mêmesconceptions, ceci est un produit de nomsd'auteurs erronés sur certains livres).

En ce sens - mais ici nous n'avons aucunepreuve du tout - les trois philosophes peuventégalement être en opposition directe avec lestrois imposteurs, comme le Traité sur les troisimposteurs représentent à la fin du Moyen-ÂgeMoïse, le Christ et Mahomet.

Mais laissons la recherche à ce sujet auxchercheurs, sans illusion cependant, parce que labourgeoisie décadente ne peut certainement pasaccepter qu'elle était différente dans le passé,qu'elle a été progressiste, ouvrant la porte à lascience, au matérialisme ... Ouvrant la portedans une libre acceptation de l'aspect universelde cette quête.

Dès qu'elle a commencé à devenir nationale, labourgeoisie a laissé le capitalisme se développer

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- un bon aspect, mais qui a fait que labourgeoisie s'est toujours plus déplacée àl'extérieur du matérialisme.

En ce sens, il n'y a que le socialisme qui peutreconnaître la véritable valeur des « troisphilosophes. » Seul le matérialisme dialectiquepeut comprendre la valeur symbolique de cetravail, sa valeur historique artistique, sonexpression de toute une période d'une partie del'humanité qui compte pour l'humanité toutentière: la Renaissance.

8. Le rejet du soufisme

Selon Averroès, le bonheur est ainsi possible.C'est une différence de taille avec la religionchrétienne, par exemple, qui repousse lebonheur véritable à la période après la mort,lorsque l'âme rejoint le paradis.

Chez Averroès, le bonheur est possible ici même,sur Terre. Et c'est un bonheur véritable. C'estdifférent du bonheur existant mais relatif quiexiste dans le judaïsme et dans l'islam. Car chezAverroès, c'est une véritable béatitude qui estpossible, et même la béatitude qui est la seulepossible pour les humains.

Si, en effet, les humains sont des formes-matières qui peuvent se relier à l'intellect agentpar l'intermédiaire de l'intellect matériel qu'ilsont sans avoir réellement, alors le bonheur c'estjustement la contemplation dans cette «jonction » de l'intellect agent et de l'intellectmatériel.

C'est là le véritable aboutissement de l'existencehumaine, l'accomplissement ultime de la « formede l'homme en tant qu'homme. »

Et cet aboutissement est rationnel, il est lajonction de la pensée humaine dans ce qu'ellepeut exister avec le principe même de penséeconforme à l'ordre du monde. Par conséquent,Averroès, et avec lui toute la falsafa, rejettecatégoriquement le soufisme.

Voici ce que dit Averroès à ce sujet.

Pour bien le comprendre, il faut par contrenoter la chose suivante. Averroès est sur ladéfensive par rapport à l'offensive religieuse,comme nous l'avons dit. Il est ainsi obligé deprétendre aller dans le sens de la religion.

Et s'il peut le faire logiquement, de son point devue, c'est que Mahomet est finalementquelqu'un d'inspiré, c'est-à-dire donc disantforcément des choses intéressantes, comme aumoins en partie une sorte de vecteur del'intellect agent.

Là est le clef de la « double vérité » d'Averroès.Il défend véritablement totalement Aristote,contre la religion, mais peut se permettre deprétendre accepter la religion, parce quefinalement il considère Mahomet comme unepersonne « inspirée. »

Voici donc Averroès sur le soufisme :

« Quant aux soufis, leurs méthodes derecherche ne sont pas discursives, c'est-à-dire composées de prémisses et desyllogismes. Mais ils prétendent que la connaissance deDieu et des autres êtres est quelque chosequi est jeté dans l'âme, lorsque celle-ci selibère des assauts de la concupiscence, etqu'elle se porte mentalement vers l'objetde sa quête. Ils recourent, pour étayer cela, à nombrede versets quasi univoques [zawahir],comme cet énoncé divin : « Si vousrévérez Dieu, Il vous accordera lediscernement » [Coran, 8, 29] ; ou cetautre « Et révérez Dieu, Dieu vousinstruira » [Coran, 2, 282] ; ou encorecelui-ci : « Oui, Nous dirigerons sur Noschemins ceux qui auront fait effort versNous » [Coran, 29, 69] et de nombreuxversets encore, qu'ils pensent confirmerleur idée. Mais nous, nous disons que cette voie,même si l'on en admet l'authenticité, nesaurait s'imposer au commun des hommesen tant que tels, car si cela avait été cettevoie-là que l'on entendait imposer auxgens, alors la voie de l'examen rationnelne vaudrait plus rien, et aurait été

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proposé aux hommes en vain. Or, le Coran tout entier n'est qu'un appelà l'examen et à la réflexion, un éveil auxméthodes de l'examen. Certes, nous ne nions pas que la maîtrisedes passions conditionne la justesse del'examen rationnel, de même que la santécorporelle : car la maîtrise des passionsgarantit la validité de la connaissance elle-même, tout en étant une condition ;tandis que la santé corporelle est unecondition de l'acquisition de cetteconnaissance, même si elle ne garantit pasla connaissance elle-même. C'est donc en ce sens que la Révélationinvite à emprunter cette voie, et y incitebel et bien en termes généraux : en tantqu'il faut la mettre en œuvre, non en tantqu'elle se suffirait à elle-même, comme lepensent les soufis. »

C'est une affirmation nette de la rationalitécontre le mysticisme et l'idéalisme soufis.

9. La « double vérité » et son actuelleutilisation réactionnaire

La pensée d'Averroès a deux aspects.

a) Le premier aspect, c'est la pensée pré-matérialiste qui se fonde sur les travauxd'Aristote, et qui se développe par descommentaires des œuvres d'Aristote.

Cet aspect, qui met en avant notammentl'éternité du monde et le fait que Dieu neconnaît pas les particuliers (étant un simple «moteur » finalement anonyme voire purementmécanique), n'est assumé en tant que teluniquement par le matérialisme dialectique.

Néanmoins, ce sont des thèses très connues enEurope, car elles ont eu de nombreux partisansdurant la Renaissance (c'est « l'averroéïsmelatin »).

A l'inverse, dans les pays de culture arabe etpersane, cet aspect a été brisé, puis totalement

nié par la réaction religieuse. Averroès y estainsi historiquement largement ignoré.

Le commentaire de la Physique d'Aristote existepar exemple en 64 manuscrits latins différents(dont 53 complets), mais la version originalearabe n'existe plus. Il existe 69 manuscritslatins différents du commentaire de laMétaphysique d'Aristote, mais un seul en arabe,incomplet et écrit à différentes époques.

b) Le second aspect, c'est la tentative de défensed'Aristote face à la religion islamique. Ce secondaspect, est purement défensif ; il est tactique,une chose facilement compréhensible si l'onétudie le contexte historique.

Ce second aspect est cependant précisément «pris au sérieux » par les réactionnaires, quil'utilisent de manière contemporaine.

En quoi consiste ce second aspect, mis en avantpar Averroès dans le « Livre du discours décisif» ?

Il consiste en les points suivants :

a) la religion et la science sont deux méthodesparallèles aboutissant à une même connaissance,mais par deux voies différentes

b) le bas peuple ne doit pas accéder à la science,qui remettrait en cause ses croyances de par une« incompréhension » de celle-ci

c) la religion ne doit pas interdire la science, carle Coran expliquerait la valeur des deux « voies.»

Les réactionnaires font mine de croire que c'estvéritablement le point de vue d'Averroès ; ilsfont mine qu'Averroès était vraiment quelqu'uncroyant en deux « manières » d'accéder à laconnaissance de Dieu.

Les religieux des pays musulmans, à l'époqued'Averroès, n'y ont pas cru une seule seconde,avec raison d'ailleurs. Et à l'arrivée en Europedes idées d'Averroès, les religieux chrétiens ont

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tout de suite compris la menace.

Et d'ailleurs et justement, les religieux chrétiensqui ne connaissaient pas du tout le secondaspect d'Averroès ont interprété celui-ciexactement comme les religieux musulmans :tous les religieux ont compris la dimensionmatérialiste.

La théorie des « deux voies » n'a ainsi aucunevaleur, c'était une pure opportunité tactique.

Et d'ailleurs et justement, les averroïstesd'Europe ont eux aussi utilisé la mêmetactique : ils ont mis en avant la philosophie, enprétendant que la religion restait plusimportante, que s'il y avait des contradictions,c'est la philosophie qui se trompait.

Les textes des averroïstes étaient ainsi parsemésde phrases littéralement tombant du ciel etn'ayant rien à voir avec les explicationsphilosophiques, comme quoi tout cela n'était ditqu'à des vues intellectuelles, que seule la religionest vraie et a raison, que les thèses expliquéessont fausses et seule la religion est dans le juste,etc.

Les religieux chrétiens n'ont pas du tout étédupes et les ont taxés d'adeptes de la « doublevérité » mettant en avant en réalité laphilosophie contre la religion.

Donnons ici un exemple de ce qu'Averroès atenté de mettre en avant, un exemple très connuet servant de justificatif à sa position.

Nous en avons déjà parlé, lorsqu'au sujet desmeurtres de Toulouse par un islamiste,Mohamed Merah, nous avons souligné sadimension anti-Averroès.

Ce qui est en jeu, c'est l'interprétation du verset7 de la sourate numéro 3. Selon où l'on placel'arrêt d'une phrase, le sens change.

Voici cette sourate dans une des deuxtraductions possibles – il faut ici noter que lesdeux traductions / interprétations existentdepuis le début de l'histoire de la théologieislamique :

« 3.7. C'est Lui qui a fait descendre surtoi le Livre : il s'y trouve des versets sanséquivoque, qui sont la base du Livre, etd'autres versets qui peuvent prêter àd'interprétations diverses. Les gens, donc,qui ont au c�ur une inclinaison versl'égarement, mettent l'accent sur lesversets à équivoque, cherchant ladissension en essayant de leur trouver uneinterprétation, alors que nul n'en connaîtl'interprétation, à part Allah. Mais ceux qui sont bien enracinés dansla science disent : "Nous y croyons : toutest de la part de notre Seigneur ! " Mais,seuls les doués d'intelligence s'enrappellent. »

Averroès lit la fin de cette manière :

« alors que nul n'en connaîtl'interprétation, à part Allah et ceux quisont bien enracinés dans la science. »

Averroès, dans le Livre du discours décisif, tenteainsi d'élaborer un compromis politique avec lesreligieux, avec de maintenir les positions de laphilosophie. Il présente la philosophie commenon contraire à l'Islam, et souligne que laphilosophie n'entend pas gagner les masses.

L'idée était que les religieux accepteraient cetabandon politique des masses, en profitant del'aura du soutien de la philosophie.

Les religieux n'ont à l'époque pas du tout étédupe.

Mais depuis la naissance de la classe ouvrière, ladonne a changé, et ce « compromis » a étéaccepté tant par les religieux chrétiens quemusulmans (ou juifs).

C'est le principe du scientifique bourgeois qui seconsidère comme « athée » dans son laboratoireet comme religieux « en privé. »

C'est la manière d'agir de la religion pour semaintenir et prétendre expliquer tout de mêmequelque chose que la science ne « pourrait » pasexpliquer. C'est une tentative, vaine, de

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combattre le matérialisme dialectique, que lepré-matérialisme d'Averroès préfigurehistoriquement.

10. La réaction chrétienne par Thomasd'Aquin

L'une des questions les plus importantes pournous est de savoir comment on est passé del'Averroès historique à l'Averroïsme latin.

En fait, Averroès vit de 1126 à 1198, enAndalousie. Et entre la date où Averroès met enavant ses écrits et la panique générale au sein del'Eglise dans toute l'Europe, il ne se déroule quequelques décennies.

Les documents du monde arabo-persanarrivaient en effet en Europe, notamment grâceà Frédéric II du Saint-Empire (1194-1250) quiétait également roi de Sicile et se procurait desdocuments et les faisait traduire en latin. En1240, la plupart des commentaires d'Averroèsétaient disponibles en latin.

La religion chrétienne a réagi tout commel'Islam et a immédiatement saisi l'ampleur de lamenace représenté par la philosophie d'Averroès.Il fallait pour elle à tout prix stopper ledéveloppement de cette philosophie au sein desdifférentes facultés d'Europe.

Cette tâche va être effectué par l'italien Thomasd'Aquin, qui sera remercié pour ce travail endevenant la plus haute figure théorique del’Église chrétienne.

Penser le catholicisme aujourd'hui, c'est penser« Saint Thomas » ; d'ailleurs, en 1879, le papeLéon XIII a déclaré doctrine officielle de l'Églisecatholique l'œuvre de Thomas d'Aquin.

Thomas d'Aquin joue un rôle central, car satactique a été particulièrement original. Thomasd'Aquin ne s'est pas contenté de réfuterAverroès comme opposé aux enseignements del'église.

Il a, en effet, tenté de réinterpréter Aristote et

d'expliquer qu'Averroès mettait en avant desthèses erronées. L'idée, tactiquement brillante,était d'enlever le sol même de l'averroéïsme.

Qui était les averroïstes, nous l'étudierons par lasuite en détail, mais leur existence étaitsuffisamment puissante pour que dès 1269Thomas d'Aquin publie De unitate intel lectuscontra Averroistas (De l'unité de l'intellectcontre les averroïstes).

Au sens strict, personne ne se revendiquaitencore ouvertement d'Averroès et le terme «averroïste » a été forgé par Thomas d'Aquin lui-même.

Mais de nombreuses thèses mises en avant àcette époque étaient considérées commecorrespondant exactement à celles d'Averroès, etl'Eglise voyait clairement qu'un averroïsmes'affirmait, sapant ses fondations.

Ainsi, l'évêque de Paris promulgua une premièrecondamnation en 1270, condamnation visant 13propositions averroïstes, traditionnellementregroupés en quatre grandes catégories (quiremettraient Dieu en cause de par leur naturemême) : l'éternité du monde, la négation de laprovidence, l'unité chez les individus del'intelligence, l'intuition et l'émotion, et enfin ledéterminisme absolu du cours du monde.

Cette condamnation fut réitérée en 1277, dansun décret de 219 articles.

Et il faut noter que le fait de se revendiquerd'Aristote a posé problème aux yeux del'Eglise ; certaines thèses de Thomas d'Aquin –on parle du « thomisme » - ont été condamnéesaussi.

Mais par la suite, donc, Thomas d'Aquin futconsidéré comme la meilleure arme contreAverroès et le matérialisme qu'il transportaitdans sa matrice.

Voici justement comment, au début de sonœuvre contre les averroïstes, celui qui deviendra« Saint Thomas » présente le danger représentépar Averroès :

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« Or, cela fait quelques temps qu'uneerreur sur l'intellect a commencé de serépandre. Elle tire son origine des thèses d'Averroès,qui tente de soutenir que l'intellectqu'Aristote appelle « possible » et qu'ildésigne, lui, improprement, du nom de «matériel », est une substance séparée ducorps selon l'être, qui n'est d'aucune façonunie au corps comme forme. Il soutient en outre que l'intellect possibleest unique pour tous les hommes. »

La conception d'Averroès est que dans le mondeéternel, la pensée humaine ne soit qu'un refletde la logique universelle. Les êtres humains nesont que de la matière avec des sens ; s'ilspensent rationnellement, leur pensée se confondalors nécessairement avec la logique universelle.

Dans cette logique, il y a des individus différentsqui ressentent mais il n'y a pas d'individusdifférents qui pensent. Une seule pensée estlogique et possible.

Cette thèse sera appelée le « monopsychisme » ;il n'est pas difficile de voir que l'Eglise acompris cela comme un matérialisme, la penséehumaine n'étant qu'un simple reflet de lamatière globale et éternelle.

L'existence de Dieu et des âmes étaitouvertement niée. Les êtres humains n'étaientplus que de la matière « pilotée » par la logiqueuniverselle (et pour nous aujourd'hui suivant lematérialisme dialectique, par le mouvementéternel de la matière).

Thomas d'Aquin contre-attaque donc, enprétendant s'appuyer sur Aristote :

« Donc, une fois établi que l'âme estcaractérisée par l'activité végétative,sensitive, intellective et par le mouvement,il entreprend de montrer que, dans toutesces parties, l'âme n'est pas unie au corpscomme le pilote au navire, mais commeune forme. »

En fait et précisément, le fond du problème est

le suivant.

Pour Averroès, l'organe de pensée de l'êtrehumain n'existe pas, il n'est que le reflet d'uneunique « intelligence. » Toute pensée rationnellede l'être humain n'est que le reflet de cetteintelligence.

Donc, les humains ne pensent pas ; ce sont desêtres avec des sens, comme les animaux, à ceciprès qu'ils peuvent se « connecter » àl'intelligence pour, finalement, comprendre cequi se passe, puisque cette intelligence est le «sens » du monde lui-même (et, pour nous, lemouvement éternel de la matière).

L'objectif de « Saint Thomas » est de sauver cequi peut être sauvé. Il doit reconnaître au moinsen partie le matérialisme présent chez Aristote,mais autant que possible le ramener versl'idéalisme (et donc, vers Platon).

Il explique donc que la pensée humaine a bienun « organe » : c'est l'âme. Ainsi, les humainspensent parce qu'ils ont une âme, et chaque âmeest unique, même si elle est reliée à Dieu.

Voici sa démonstration (ou pseudodémonstration) :

« [Aristote dit:] « La faculté sensitiven'est pas sans le corps, mais l'intellect,lui, est séparé. » Or, c'est surtout cette phrase que [lesaverroïstes] invoquent pour donner unfondement à leur erreur. Grâce à elle, ils croient pouvoir conclureque l'intellect n'est ni une âme ni unepartie de l'âme, mais une certainesubstance séparée. Mais c'est parce qu'ils oublient tout desuite ce qu'Aristote a dit un peu plus haut: en effet, s'il dit maintenant que « lafaculté sensitive n'est pas sans le corps,mais que l'intellect est séparé », c'estexactement au sens où il a dit d'abord quel'intellect « deviendrait d'une qualitédéterminée, ou chaud ou froid si, comme àla faculté sensitive, lui revenait quelqueorgane. » Ce raisonnement prouve donc une seulechose : que la faculté sensitive n'est passans le corps et que l'intellect est séparé,

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parce que le sens possède un organe, maispas l'intellect. Les paroles d'Aristote indiquent ainsi dela façon la plus claire et la plusindubitable que sa doctrine de l'intellectpossible fait de l’intellect quelque chose del'âme qui est l'acte d'un corps, ce,toutefois, de telle manière que cet intellectde l'âme ne soit doté d'aucun organecorporel comme en possèdent les autrespuissances de l'âme. »

Ce que cela signifie, c'est que :

- chez Averroès, la forme prend la matière et lafaçonne en corps, corps qui a une connexionavec la logique entière du monde : l'intellect (ouintelligence)

- chez Thomas d'Aquin, l'âme amène une formeà prendre la matière pour former un corps.

Thomas d'Aquin assimile donc directement lapensée d'Aristote au christianisme.

A ses yeux, l'école d'Aristote (ditepéripatéticienne) a une logique conforme avecles enseignements de l’Église, et Averroès seraitun mauvais « commentateur » (« commentateur» est le surnom donné à Averroès, de par sesexplications de la pensée d'Aristote).

Thomas d'Aquin place donc plusieurs « commel'expliquent perversement le Commentateur etses partisans » et n'hésite pas à affirmer :

« Averroès, qui ne fut pas tantpéripatéticien que dépravateur de laphilosophie péripatéticienne. »

Il y a donc deux interprétations d'Aristote :celle d'Averroès et celle de Thomas d'Aquin.D'un côté, il y a la théorie de la pensée humainecomme reflet d'une seule réalité universelle, del'autre l'affirmation individualiste d'âmesdifférentes les unes des autres.

C'est déjà un affrontement

communisme/libéralisme. Selon le communisme,il y a une seule humanité et tous les humainsdoivent aller vers la raison en tant qu'êtressensibles, assumant tous forcément lematérialisme dialectique.

Alors que selon le libéralisme, les individus sonttous libres et différents et indépendants etuniques, etc.

Si Aristote était plus proche d'Averroèsconcernant la théorie de la pensée, sur le plansocial il correspondait à l'individualisme desmaîtres face aux esclaves.

Il considérait donc que chaque « individu »cherchait son propre bonheur particulier (etunique). Il aurait donc, au prix d'unecontradiction dans sa pensée, accepté laconception qui est celle de Thomas d'Aquin :

« Si donc l'intellect de tous [les êtreshumains] est unique, il s'ensuitnécessairement qu'il n'y a qu'un seulpensant et, par conséquent, un seulvoulant et un seul utilisateur, pourl'arbitre de sa volonté, de tout ce quidistingue les hommes les uns des autres. Et il en résulte en outre que si l'intellect,dans lequel seul résident la principauté etle pouvoir de tout utiliser, est identique etindivis en tous les hommes, il n'y aaucune différence entre eux quant au librechoix de la volonté et qu'elle est identiqueen tous. Ce qui est manifestement faux etimpossible : c'est en effet contraire auxphénomènes et cela détruit toute sciencemorale et tout ce qui relève de la sociétépolitique, qui est naturelle à l'homme,comme le dit Aristote. »

Le mérite d'Averroès est justement de rejeterl'individualisme d'Aristote et d'assumer lematérialisme sur le plan de l'humanité engénéral (et non plus aussi, voire surtout, lesindividus en particulier). Aristote oscillait entrele particulier et le général.

Et en levant le drapeau comme quoi les humainsn'ont pas de « libre-arbitre » mais pensent ce

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que la réalité universelle leur fait penser, ilannonce clairement et magistralement lematérialisme dialectique, par l’intermédiaire deSpinoza et Hegel.

11. Les 13 thèses de 1270

Le 10 décembre 1270, l’évêque de Paris EtienneTempier condamne 13 thèses dontl’enseignement est interdit. Les voici ; leurdimension matérialiste est une évidence.

Au sens strict, le matérialisme dialectique peutles assumer en tant que tel, à ceci près bienentendu que par Dieu on comprend lemouvement de la matière éternelle.

L'interdiction de ces thèses n'empêcherad'ailleurs pas le développement de l'averroïsme,et en 1277, ce seront 219 thèses qui serontcondamnées. Là encore, cela n'empêchera pas lamarche vers le matérialisme, puis lematérialisme dialectique.

1. Il n’y a qu’un seul intellect numériquementidentique pour tous les hommes.

2. La proposition : l’homme pense est fausse ouimpropre.

3. La volonté humaine veut et choisit parnécessité.

4. Tout ce qui advient ici-bas est soumis à lanécessité des corps célestes.

5. Le monde est éternel.

6. Il n’y a jamais eu de premier homme.

7. L’âme, qui est la forme de l’homme en tantqu’homme, périt en même temps que son corps.

8. Après la mort, l’âme étant séparée du corpsne peut brûler d’un feu corporel.

9. Le libre arbitre est une puissance passive, nonactive, qui est mue par la nécessité du désir.

10. Dieu ne connaît pas les singuliers.

11. Dieu ne connaît rien d’autre que lui-même.

12. Les actions de l’homme ne sont pas régiespar la Providence divine.

13. Dieu ne peut conférer l’immortalité oul’incorruptibilité à une réalité mortelle oucorporelle.

12. L'averroïsme latin – Ibi statur !

La découverte de certaines œuvres d'Averroèspar des intellectuels en Europe a eu un effetmajeur sur les penseurs pré-matérialistes.L'averroïsme est devenu un drapeau, étantdonné qu'Averroès est clairement apparu commele plus important philosophe pré-matérialiste del'époque.

Néanmoins, ce drapeau n'a pas pu être soulevépar les pré-matérialistes eux-mêmes, en raisonde la pression de la réaction chrétienne. Parconséquent, cela a été la réaction elle-même quia hissé le drapeau de l'averroïsme, appelant àune offensive générale contre lui comme «tendance. »

Pour cette raison, de nos jours, les chercheursbourgeois sont incapables d'expliquerl'averroïsme. Ils voient qu'au XIIIe siècle, il yavait une offensive chrétienne générale contrel'averroïsme dans les universités, mais ils sontincapables de trouver les « averroïstes. »

Ce qu'ils voient, ce sont des gens qui sont dessemi-averroïstes, des gens ne prétendant pas êtreaverroïstes, etc. Ils comprennent que lesaverroïstes ne pouvaient pas ouvertement sedésigner comme disciples d'Averroès, mais enraison de leur barrière de classe bourgeoise, ilsne comprennent pas le sens réel des œuvresapparaissant comme ayant une « double vérité», c'est à dire expliquant une conceptionaverroïste d'un côté, mais avec la fin dudocument disant que tout cela est mauvais,contre les principes de la religion, etc

Ils comprennent cette « double vérité », mais ne

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peuvent venir qu'à la conclusion quel'averroïsme n'existe pas, que les pré-matérialistes étaient en réalité d'un côtévraiment acceptant la religion et de l'autre larejetant ! Une contradiction qui est absurde.

Le terme de « averroïste » a, il est vrai, étéinventé par Thomas d'Aquin dans son documentclassique contre l'averroïsme. Personne à cemoment ne se définissait comme « averroïste ».Ce n'était simplement pas possible en face de laterrible répression.

Mais l'averroïsme existait, parce qu'il était lematérialisme. Il s'agissait d'une tendancehistorique, parallèlement à la montée des forcesproductives, et Averroès était une arme. Si nousvoyons cette évolution à travers les lentilles dumatérialisme dialectique, tout est très clair.

Averroès a été poussé vers l'avant par despenseurs qui ont compris sa signification. Il aété traduit par Michel Scot, Herman l'Allemand,Guillaume de Luna, Pierre de Gallego, MichelScot a joué un rôle important sous le règne deFrédéric II, empereur romain germanique quiparlait latin, sicilien, allemand, français, grec etarabe, et était un important ami de la science.

Cela a permis d'autres penseurs européens deconnaître la pensée d'Averroès. Le résultatimmédiat parle pour lui-même, avec lacondamnation en 1277 de 219 thèses «averroïstes » par Etienne Tempier, archevêqueet chancelier de l'Université de Paris.

En ce sens, Siger de Brabant est une figureeuropéenne majeure, un héros de la lutte quiouvre la route vers le matérialisme dialectique.

Banni par l'église qui l'a amené à Rome pour lesurveiller, il a été assassiné par son secrétairequi est censé être devenu « fou », mais latradition catholique dit que, assassiné avec unstylo, il a été assassiné là où il a péché.

Siger de Brabant a été le véritable activiste dela première vague de l'averroïsme en Europe.Selon lui, « L'intellect humain est, comme lemonde, un produit éternel » de la Causepremière.

L'univers est donc purement logique : « Rienn'empêche ce qui est nécessaire et éterneld'avoir une cause de sa nécessité et de sonéternité. » (De anima intel lectiva)

Et les humains ne pensent pas ; leur pensée estun produit de la réalité globale : « L'âmeintellective est dans une mesure cas unie aucorps et dans une autre séparée de celui-ci. »(De anima intel lectiva)

Toutes ces thèses représentent le matérialisme.Il ne peut y avoir aucun doute à ce sujet. Et sonDe anima intel lectiva était si difficile à trouveraprès la condamnation, que même les averroïstessuivants ne connaîtront pas cette œuvre.

Et l'importance de cela est également soulignépar l'importance acquise par Thomas d'Aquin,qui devint le penseur principal du christianismeà travers ses œuvres contre l'averroïsme (voirAvicenne et Averroès : la réaction chrétienne parThomas d'Aquin).

Rappelons ici comment Thomas d'Aquin aexprimé son point de vue, dans De unitateintel lectus contra Averroistas, où il prétend «revenir » à Aristote, pour en fait attaquer lesmatérialistes sur leur propre domaine :

« Les averroïstes, sur la base de certainsdes mots suivants (dans le De animad'Aristote), veulent maintenir que, selonl'opinion d'Aristote, l'intellect n'est pasl'âme qui est l'actualisation du corps, niune partie de l'âme et, par conséquent,nous devons étudier soigneusement lespassages qui en découlent chez Aristote. »

L'attaque de Thomas d'Aquin est une attaquedirecte contre une pensée et contre le principemême de la pensée - c'est l'aspect principal,parce qu'en tant que matérialistes dialectiques,nous avons compris la valeur historique de cettequestion.

Thomas d'Aquin a voulu écraser la possibilité dela mise au point complète de l'averroïsme, del'affirmation complète de l'être humainraisonnable. La religion a joué ici un rôle

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réactionnaire après son rôle positif contre labarbarie.

Voici comment un averroïste, Aubry de Reims, aexpliqué la conception averroïste, à la fin duXIIIe siècle :

« Qui ignore la philosophie n'est pas unhomme, sinon en un sens équivoque. Carcomme l'a écrit Averroès dans sonPrologue sur le livre VIII de la Physique(...) le nom d'homme se ditéquivoquement d'un homme rendu parfaitpar les sciences théorétiques et des autreshommes, tout comme le mot animal se ditéquivoquement d'un animal vivant et d'unanimal peint en fresque sur un mur. »

Aubry de Reims a également mis en avant leprincipe de « Ibi statur ! », qui signifie restons-en là, c'est-à-dire dans la philosophie, sans allerà l'idéalisme religieux.

Comme il l'a dit :

« Quand on sait qu'on est parvenu auterme, il n'y a plus qu'à le savourer et ygoûter le plaisir. C'est cela qu'on appellela sagesse. Cette saveur qu'on a su trouverpeut être aimée pour elle-même : c'est laphilosophie. C'est là qu'il faut s'arrêter. »

C'était le concept de la philosophie - celle de laFalsafa, celle de l'averroïsme latin.

Voici comment Boèce de Dacie a expliqué cela :

« Le souverain bien pour l'homme devraitêtre le sien en termes de sa plus hautepuissance, et non pas en fonction de l'âmevégétative, qui est également trouvée dansles plantes, ni selon l'âme sensible, qui setrouve également chez les animaux et àpartir de laquelle leurs plaisirs sensuels seposent. Car la plus grande puissance de l'hommeest sa raison et l'intellect. Parce que c'estle directeur suprême de la vie humaine àla fois dans l'ordre de la spéculation etdans l'ordre de l'action.

Par conséquent, le souverain bienatteignable par l'homme doit être le sienpar les moyens de son intelligence. Parconséquent, les hommes qui sont tellementalourdis par les plaisirs des sens qu'ilsperdent leurs biens intellectuels devraientse plaindre. Car ils n'atteignent jamaisleur bien suprême. Car aucun homme n'est juste sauf s'ilprend plaisir à des actes de justice. Lamême chose doit être dit des actes desautres vertus morales. De ce qui a été dit,on peut évidemment conclure que lesouverain bien ouvert à l'homme est deconnaître le vrai, de faire le bien, et deprendre plaisir aux deux. Et parce que leplus grand bien possible pour l'homme estle bonheur, il s'ensuit que le bonheurhumain consiste à connaître le vrai, fairele bien, et prendre plaisir aux deux. »

Cette première vague de l'averroïsme,principalement présent à Paris, produit uneperspective révolutionnaire dans le domaine dela science. Nombreux sont les auteurs liés àl'averroïsme latin, avançant de manière plus oumoins masquée contre l'idéologie dominante.

A la fin du XIIIe siècle, on trouve par exempleGilles d'Orléans (avec des œuvres sur laphysique, l'éthique ...) et Ferrand d'Espagne(Commentaire sur la Métaphysique,Commentaire sur l'économie, une étude intituléeDe Specie Intel ligibli), nous trouvons aussi Jeande Göttingen, avec son Sophysma de intel lectude 1305.

Tout cela a permis la deuxième vague,principalement en Italie.

Nous trouvons par exemple Siger de Brabantdans le Paradis de Dante, dans la DivineComédie :

« Celui-ci, de qui ton regard revient àmoi, est la lumière d’un esprit auquel la mort parut tardive. C’est l’éternelle lumière de Siger, qui, enseignant dans la rue au Fouarre, syllogisa des vérités dérangeantes. »

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Avicenne et Averroès

Les travaux d'Averroès qui ont été traduits enlatin ont d'abord été imprimés comme œuvreglobale en 1472 à Padoue. Cette ville devint eneffet le principal pôle averroïste en Europe,après avoir déjà joué un rôle important endonnant naissance à un certain averroïsme latinpolitique.

En effet, incapable de soulever les masses enfaveur de la raison, une forme d'averroïsme s'esttournée en direction du soutien aux rois contrele pape.

Nous trouvons en particulier Marsile de Padoue(environ 1275 - environ 1342), qui a pris uneposition politique contre l'hégémonie du pape,aidé ici par un averroïste ouvert, Jean deJandun (environ 1285-1323), dont lecommentaire sur le De anima d'Aristote a étépublié à plusieurs reprises au XVIe siècle.

Nous avons une ici une répétition directe de cequi se passera avec Martin Luther.

Cela a ouvert un chemin pour la ville dePadoue, dans la faculté des arts de laquelle noustrouvons notamment Taddeo de Parme, Angelod'Arezzo, Matteao da Gubbio, Giacomo daPiacenza.

Ceux-ci, parmi d'autres (comme Anselmus deCumis, Cambiolus de Bologne, Jacobus dePlaisance, Jourdain de Tridentia), ont développéla logique de l'averroïsme dans un contextepolitique allant en de nombreux domaines enfaveur du progrès, contre la culture du Moyen-Âge.

Paolo Nicoletti, également connu sous le nom dePaul de Venise (ou Paulus Venetus) (1368-1428),a joué ici un rôle important avec sa Summanaturalium.

Mais il est à noter que la tendance était de plusen plus à s'éloigner de Averroès, pour revenir àAristote. La tendance était de voir unepossibilité de triomphe sans casser totalementavec l'idéologie dominante.

Nous trouvons par conséquent AlessandroAchillini (1463 – 1512), qui a été appelé le

second Aristote, ou Pietro Pomponazzi (1462 -1525), son adversaire direct, qui est allé plusloin dans la critique d'Averroès.

Nous pouvons voir aussi des gens commeNicoletto Vernia (environ 1420-1499), qui acontinué cette perspective, mais s'est par lasuite rétracté, comme l'a fait Agostino Nifo(environ 1470 - 1538), qui a néanmoins par lasuite publié... les œuvres d'Averroès, même siaccompagnées de commentaires en faveur duchristianisme.

Toutes ces contradictions expriment ledéveloppement du matérialisme. La rupture avecAverroès - et Aristote - était une nécessité. Cesera Spinoza qui clôturera la période, par laproduction d'un averroïsme sans Averroès.

La pensée d'Aristote était idéaliste, maisreconnaissait l'existence du mouvement, et cettecompréhension du mouvement conduisit aumatérialisme. Mais l'affirmation du matérialismenécessitait de mettre de côté l'existence d'un «moteur » déplaçant dans le monde, et donc dumouvement lui-même. De cette façon, noussommes passés d'Aristote à Averroès, d'Averroèsà Spinoza, de l'idéalisme avec le mouvement aupré-matérialisme avec le mouvement, du pré-matérialisme avec le mouvement aumatérialisme (sans mouvement).

Ensuite, Hegel va ramener le mouvement (audétriment du matérialisme) et Marx va produirela synthèse, dépassant le matérialisme sansmouvement (Épicure, Lucrèce, Spinoza) etpurgeant la compréhension du mouvement detout idéalisme.

13. Aristote au Mont Saint-Michel

Publié en 2008 par Sylvain Gouguenheim,Aristote au Mont Saint-Michel est un ouvrageimportant, car il représente le point de la ligne« identitaire » occidentaliste dans son offensivecontre la falsafa et Averroès.

Le sous-titre de l'oeuvre est d'ailleurs explicite :

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« Les racines grecques de l'Europe chrétienne ».On a là une démarche qui vise à « justifier » lavision du monde « occidentaliste » comme quoi« l'Europe » serait « pure » d'influencesextérieures et ne doit rien à personne ; on aidéologiquement la même démarche « autarcique» que Breivik et les « identitaires » ethno-différencialistes.

L'ouvrage, publié en gros caractères et visant unlarge public, a d'ailleurs profondément choqué lasphère universitaire qui, si elle est bourgeoise eten décadence, n'en est pas encore prête àaccepter une vision du monde aussi « ultra » etniant purement et simplement la valeurculturelle et scientifique de l'Islam au mêmemoment où l'Europe connaissait les affres duMoyen-Âge.

Une large pétition a même été publiée et signéepar des étudiants et des chercheurs, paniquéspar cette « politisation » imposée par un deleurs collègues à leur « institution » (elle estreproduite à la fin de l'article). En pratique, laplus large partie de la communauté universitairea rejeté l'ouvrage comme n'étant pas sérieux, àla fois par refus d'un occidentalisme aussi ouvertet par défense des « traditions », des «méthodes », etc.

En réalité et pourtant, c'est cette mêmecommunauté universitaire qui a produit SylvainGouguenheim, qui a été maître de conférences àl'Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne etmembre du LAMOP (Laboratoire deMédiévistique Occidentale de Paris), puisprofesseur des universités à l'ENS Fontenay-Saint-Cloud (ENS LSH de Lyon) de Lyon 3.

Elle ne l'a pas produit que culturellement, auniveau de la formation, elle l'a égalementproduit intellectuellement et idéologiquement.Car il existe une contradiction énorme dansl'idéologie dominante bourgeoise.

D'un côté en effet, elle assume parfaitement,rationnellement, l'influence majeure de lacivilisation arabo-persane, le plus souventappelée arabo-islamique, ou islamique, etc. Tantles cursus universitaires que les manuels

scolaires l'attestent.

Le problème est qu'absolument jamais lecontenu de cette influence n'est expliquée.

De plus, dans la mesure où Thomas d'Aquin aréinterprété Aristote contre Averroès, alorsinévitablement il y aura des chrétiens « sincères» pour dire qu'Averroès n'a été qu'un « accident» de parcours.

On aurait alors une « gauche » bourgeoisereconnaissant qu'Averroès a interprété Aristoteet que cela a produit un débat fructueux aidantla Renaissance, et une « droite » considérantcela comme un détail relativement anecdotique.

Mais dans les deux cas, et c'est cela qui nousintéresse, on a une négation de la significationde l'averroïsme, en tant que courant matérialistepermettant l'humanisme au XVIe siècle, leslibertins au XVIIe siècle, les matérialistes auXVIIIe siècle (et donc le matérialismedialectique au XIXe siècle).

C'est là le cœur du problème et le noyau dur dela réalité de Sylvain Gouguenheim et de son «Aristote au Mont Saint-Michel. »

Dans cette œuvre, l'auteur s'évertue à trouverdes « voies » pour qu'Aristote puisse arriver àl'Europe sans passer par la civilisation arabo-persane.

Ce qui est possible, mais totalement secondaire,car ce qui a compté ce n'est pas simplement «Aristote », ni même comme le pense la « gauche» bourgeoise dont nous avons parlé plus haut,que ce serait « Aristote » interprété de manièreplus ou moins « créative » par Averroès.

Non, ce qui compte, c'est l'averroéïsme, c'estcela le véritable détonateur. C'est cela que tentede nier Sylvain Gouguenheim, en réactionnaireen croisade contre le matérialisme dialectique.

Peu importe donc les querelles d'érudits au sujetde différents manuscrits ; cela a son importance,mais pas dans le cadre des mouvements d'idéeset des luttes de classe dans le cadre de laRenaissance.

Même si bien sûr, en « inventant » une tradition

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Avicenne et Averroès

scientifique au Moyen-Âge, SylvainGouguenheim tente surtout idéologiquement deprésenter celui-ci comme un paradis chrétien, cequi est une position romantique tout à faittraditionnelle, au cœur même du grand classiqueromantique Europe ou la Chrétienté del'allemand Novalis.

Les fantasmes sur le Moyen-Âge sont d'ailleursde plus en plus courants dans cette période dedécadence, et le refus de la Falsafa, de l'apportd'Averroès au matérialisme, s'illustre aussi parles fantasmes « nationaux » de « paradis perdus» que serait la Bretagne, l'Occitanie, etc.

On a là un irrationalisme romantique du 19èmesiècle qui est purement et simplement réactivé.

Sylvain Gouguenheim se situe dans cettetradition romantique à un point que son «islamophobie » a sauté aux yeux descommentateurs bourgeois. En réalité, il n'estpas « islamophobe », terme ne voulant rien direpar ailleurs, mais simplement unilatéral : il necomprend pas les luttes de classes au sein de lacivilisation islamique, il ne prend en compte queles réactionnaires et nie totalement l'existencedu courant humaniste – matérialiste (dont nousavons parlé justement dans notre série d'articlessur la Falsafa arabo-persane).

Et il ne comprend justement pas quel'averroéïsme a été une synthèse de tout uncourant au sein d'une époque, et que siobjectivement ce courant n'a pas réussi à sedévelopper en raison de la situation objective dela féodalité arabo-persane, il n'en est pas moinsdevenu le drapeau de la bourgeoisieembryonnaire et progressiste en Europe.

Cependant et bien évidemment, SylvainGouguenheim n'est intéressé que par Aristoteinterprété par Thomas d'Aquin, c'est-à-direréinterprété dans le sens anti-matérialiste, anti-Falsafa, anti-Averroès (voir notre explication:Avicenne et Averroès : la réaction chrétienne parThomas d'Aquin).

Peu lui importe donc l'existence mêmed'Averroès, de la Falsafa, de la dimension

matérialiste chez Aristote.

Et c'est ce qui fait justement l'intérêtidéologique-culturel de notre long et documentétravail sur la Falsafa, sur Avicenne, sur Averroès: il s'agit de préserver les fondements même dumatérialisme dialectique, et principalement de ladimension matérialiste, avec l'éternité dumonde, la pensée humaine n'existant pas à partcomme reflet de la réalité, et la mise de côtéd'un Dieu « personnel » au profit d'un « Dieu »assimilé à l'univers impersonnel.

Sylvain Gouguenheim fait d'ailleurs figured'escroc intellectuel surtout parce qu'il utilise demanière éhontée la « double vérité » d'Averroèstentant de sauver la peau de la philosophie faceà l'obscurantisme religieux afin de prétendremontrer un Averroès qui, « véritablement »,serait un « bon musulman », respectanttotalement la religion, etc.

Cela montre que Sylvain Gouguenheim neconnaît ni Averroès, ni l'averroïsme et il fautbien voir que même au sein de l'universitébourgeoise il n'a pas connu ceux-ci, car pourvoir Averroès et l'averroïsme, il faut être armédu matérialisme dialectique.

Si d'ailleurs nos recherches avancées sontconformes au matérialisme dialectique àl'époque du marxisme-léninisme-maoïsme, iln'en reste pas moins que la considération commequoi Avicenne et Averroès sont des penseurs pré-matérialistes est une considération « classique »,déjà et évidemment comprise à l'époque del'URSS.

En affirmant que les documents d'Aristote sontarrivés en effet en Europe par des traductionsfaites à l'abbaye du Mont Saint-Michel, c'estainsi bien le matérialisme que vise SylvainGouguenheim, pas l'Islam. Et lorsqu'il met enavant les « Grecs » comme à la source d'une «Europe chrétienne », c'est le rôle historique etlibérateur de la classe ouvrière qu'il essaie denier.

Il le perçoit lui-même d'ailleurs lorsqu'ilexplique benoîtement :

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« Mais si les Grecs n'ont pas inspiréfondamentalement « l'esprit même denotre civilisation d'Occident » [MarcelDetienne, Les Grecs et nous], qui d'autrel'aurait fait ? Il faudrait admettre qu'il n'y a pas decivilisation occidentale, ou que lescivilisations n'ont pas de racines. »

Voilà bien un correct pressentiment de la partd'un idéaliste.

Enfin, et pour finir, il faut noter la position deRémi Brague. Grande figure universitaire, c'estun catholique réactionnaire « spécialiste » duMoyen-Âge, de Platon et d'Aristote, de laphilosophie médiévale arabe et juive.

Fort logiquement, il est également uncommentateur de Heidegger : on a là le profiltypique de l'universitaire français ultra-réactionnaire, pétri de catholicisme et d'Aristoteà la sauce Thomas d'Aquin, avec desquestionnements métaphysiques ultra-idéalistesà la Heidegger.

Un Heidegger qui justement fonde sa démarchesur une lecture mystique d'Aristote...

On ne sera nullement étonné que Rémi Braguen'a nullement descendu en flammes l'ultra-réactionnaire Sylvain Gouguenheim, pour aucontraire essayer de temporiser, de préserver lesinstitutions, le ton « universitaire », etc.

Il dit ainsi par exemple :

« J'ai bien des réserves sur le livre,mais j’ai refusé de me joindre au lynchagede l’auteur. Personne n'a jamais nié que laculture arabe ait apporté sa pierre à lacivilisation européenne, et Gouguenheimnon plus. Il arrête son enquête au XIIesiècle. Il montre qu’il y a eu aussi unetransmission directe de la pensée grecqueentre le monde byzantin et l'Occident. Enquoi est-ce un crime ? »

(Rémi Brague, Assez d'il lusions surl'Islam, mai 2010)

Ce qui est une escroquerie, car Gouguenheimvise de manière explicite à nier tout apportarabe en quelque domaine que ce soit...

Mais Rémi Brague est obligé de nier lescontradictions inter-bourgeoises, cela afin de,bien entendu, préserver surtout un aspectessentiel l'idéologie dominante datant del'absolutisme de Louis XIV et jouant un rôleessentiel pour le catholicisme (français) : lacentralité de la culture gréco-romaine.

Voici ce que dit Rémi Brague, dans unevéritable tentative de mystification comme quoil'Europe entière aurait été biberonnée à laGrèce antique (A propos d’une polémiquerécente , octobre 2008).

Il commence par une thèse semi-correcte pourmettre en place le dispositif idéologique franco-français, absolutiste-catholique, de la centralitéde la culture gréco-romaine :

« L'hellénisme n’a été en terre d’islamque le fait d’individus comme les «philosophes » (falâsifa), intellectuellementdes génies, mais socialement des amateursprivés de relais institutionnel.

Ce n’est qu’en Europe qu’il a pris laforme d’un phénomène, sinon de masse,du moins de vaste envergure, puisqu’ilconcernait l’ensemble de l’éliteintellectuelle. Et pourtant, le phénomène capitaln’est peut-être pas encore là. Pour mapart, je le situerais dans le fait que lesérudits européens ne se sont pas contentésde traduire à partir du grec. Ils se sont, sil’on peut dire, avant tout « traduits »eux-mêmes vers le grec. Ce n’est qu’en Europe que l’on a apprisle grec de façon systématique. Ce n’estqu’en Europe que, le plus concrètement dumonde, le grec est devenu matièreobligatoire dans l’enseignement secondaire— en gros, selon les pays, jusqu’au milieudu XXe siècle. »

On reconnaît bien la dimension bourgeoiseélitiste de l'auteur, car bien évidemment les

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larges masses n'ont jamais appris le grec ; quantaux pays protestants, le grec était étudié pourconnaître le texte original du « nouveauTestament ».

De toutes manières, les masses n'ont pas dutout été influencées par la « culture gréco-romaine », mais par l'humanisme et lesLumières, par le romantisme national (quipouvait s'appuyer sur des éléments gréco-romains, mais pas unilatéralement niobligatoirement), puis l'idéologie socialiste et lecommunisme.

Finalement, ce qu'ont en commun Rémi Bragueet Sylvain Gouguenheim, c'est la haine duprotestantisme en tant que courant bourgeoiscatholique.

Voici par exemple ce qu'écrit SylvainGouguenheim dans son ouvrage ; ce qu'il dit del'Islam serait tout à fait valable pour leprotestantisme :

« Le christianisme est peu ritualisé,l'islam l'est à l'extrême : il en résulte desdifférences centrales dans l'organisationdes sociétés. Des mots identiques n'ont donc pas lemême sens. Ainsi, le terme de « piété »désigne chez un chrétien l'adorationintérieure, l'accomplissement des œuvresde miséricorde ou l'assistance à la messe,mais pour un musulman, la piété résidedans l'obéissance à la Loi. Les œuvres, en Islam, sont despratiques codifiées, collectives etcommunautaires ; la spiritualitémusulmane consite en premier lieu à sepréserver de la moindre souillure, de touteimpureté, en respectant les règlesinstituées dès les origines. L'islam est uneorthopraxie. »

C'est une composante très importante dufascisme français que cet anti-protestantisme detype catholique (voir Humanisme, Lumières,Bourgeoisie, cinquième partie : Calvin, hérautde la bourgeoisie européenne). Ce qui est visé,c'est l'être humain rationnel, obéissant à une loi

qu'il a choisi et reconnu comme étant naturel,comme étant sienne, comme étant conforme à sanature.

C'est également cela qu'il faut voir dansl'attaque contre la Falsafa, contre Averroès,contre l'avérroïsme, contre le matérialismedialectique.

Pétition de l’École normale supérieureLettres et sciences humaines

Le 29/04/2008 - Mis à jour le06/05/2008

Appel aux enseignants, élèves etanciens élèves de l’ENS-LSH

1- Un enseignant de l’ENS-LSH, M.Sylvain Gouguenheim, professeurd’histoire médiévale, vient de faireparaître — dans la collection «L’Univershistorique» au Seuil — un ouvrage,Aristote au Mont Saint-Michel. Lesracines grecques de l'Europe chrétienne,qui entreprend de réviser l’idée d’uneparticipation du monde islamique àl’élaboration des savoirs en Europe àl’époque médiévale. Les assisesméthodologiques et les thèses de ce livresont discutables et actuellement discutéespar la communauté des spécialistes decette période, historiens et philosophes.

2 - Il est tout à fait légitime qu’unchercheur puisse défendre et faire valoirson point de vue, surtout lorsque celui-ciest inattendu et iconoclaste ; il appartientalors aux spécialistes de répondre à sesarguments et de les contester le caséchéant. Nous appelons d’ailleurs àprolonger ce débat intellectuel dans desjournées d’études qui seront organisées àl’ENS LSH à l’automne 2008. Malheureusement, l’affaire semble biendépasser la simple expression de thèsesscientifiques. L’ouvrage de SylvainGouguenheim contient un certain nombrede jugements de valeur et de prises deposition idéologiques à propos de l’islam ;il sert actuellement d’argumentaire à desgroupes xénophobes et islamophobes quis’expriment ouvertement sur internet. Par

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ailleurs, des passages entiers de son livreont été publiés sur ces blogs, au mot près,plusieurs mois avant sa parution. On trouve également sur internet desdéclarations qui posent question, signées«Sylvain Gouguenheim» (commentaire surle site Amazon, 16 avril 2002) ou «SylvainG.» (site Occidentalis, 8 novembre 2006).Bien évidemment, et nous en sommesparfaitement conscients, rien de ce quicircule sur internet n’est a priori certain,mais, au minimum, ces points méritentune explication et, le cas échéant, uneenquête approfondie. Nous ne sommes pasdu tout convaincus par les argumentsfournis par Sylvain Gouguenheim auMonde des livres («J’ai donné depuis cinqans […] des extraits de mon livre à demultiples personnes. Je suis totalementignorant de ce que les unes et les autresont pu ensuite en faire»). Sur ce point, on peut consulter le liensuivant : http://passouline.blog.lemonde.fr/2008/04/27/laffaire-aristote-chronique-dun-scandale-annonce/

3 - L’ENS-LSH, institution laïque,républicaine et humaniste, à laquelleSylvain Gouguenheim appartient et dont iltire pour bonne part sa légitimité, nepeut, par son silence, cautionner de tellesdéclarations. - Nous, enseignants, chercheurs, élèveset anciens élèves de l’Ecole normalesupérieure Lettres et sciences humaines,affirmons solennellement que les prises deposition idéologiques de SylvainGouguenheim n’engagent en rien lesmembres de son Ecole. - En nous gardant des querellescorporatistes, des conflits de personnes etdes récupérations de tous ordres, noussouhaitons réaffirmer avec force notreattachement à la nécessaire distinctionentre recherche scientifique et passionsidéologiques. - Nous demandons une enquêteinformatique approfondie sur les pointsévoqués plus haut. - Nous demandons que toutes lesmesures nécessaires soient prises afin depréserver la sérénité pédagogique et laréputation scientifique de l’ENS LSH.

L’appel lancé lundi 28 avril par lesenseignants, chercheurs, personnels,auditeurs, élèves et anciens élèves del’ENS LSH a rassemblé plus de 200signataires, dont voici la listealphabétique.

Abbès Makram (MC Etudes arabes,ENS LSH) Abécassis Frédéric (MC Histoire, ENSLSH) Allais Pascal (Ingénieur de recherche,Laboratoire Triangle, ENS LSH) Al-Matary Sarah (ancienne élève,Lettres modernes 2000, ATER UniversitéLyon 2) André Christine (Directrice de laBibliothèque, ENS LSH) Angaut Jean-Christophe (MCPhilosophie, ENS LSH) Auclerc Benoît (Agrégé répétiteur,littérature française, ENS LSH) Audi Marc (ancien élève, Lettresmodernes 2000, AMN Etudes hispaniques,Paris 4) Autin Gauthier (ancien élève,philosophie 1997, ATER Université deFranche-Comté) Azoulay Vincent (ancien élève, Histoire1993, MC Université Paris-Est Marne-la-Vallée) Babou Igor (MC Information-Communication, ENS LSH) Backouche Isabelle (ancienne élève,Histoire 1981, MC EHESS) Bader Marie (ancienne élève, Etudesgermaniques 2001, AMN Paris Université10) Balmer Yves (PRAG, Musique etMusicologie, ENS LSH) Barthélémy Pascale (MC Histoire, ENSLSH) Baudino Isabelle (MC Etudesanglophones, ENS LSH) Benaini Samia (auditrice Philosophie,ENS LSH) Bentouhami Hourya (ancienne élève,philosophie 2000, doctorante, UniversitéParis 7). Bergougnoux-Weil Michèle (ancienneélève, Lettres modernes 1961, PUMontpellier) Bernardet Arnaud (ancien élève,

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Lettres modernes 1994, MC Université deFranche-Comté) Besnier Bernard (MC Philosophie, ENSLSH) Biard Joël (ancien élève, philosophie1972 PU Université de Tours) Binzoni Marie-Laure (ancienne élève,Philosophie 2000) Bohas Georges (PU Etudes arabes,ENS LSH, membre de l'IUF) Bonnerave Jocelyn (ancien élève,Lettres modernes 1998, ATER Paris 5) Bonzon Anne (ancienne élève, Histoire1984, MC Lille 3) Boudier Marion (ancienne élève,Lettres modernes 2001, AMN - ENS LSH) Bouteille-Meister Charlotte (ancienneélève, Lettres modernes 2000, doctorante) Bret-Vitoz Renaud (ancien élève,Lettres modernes 1993, MC UniversitéToulouse 2) Bridet Guillaume (ancien élève, Lettresmodernes 1990, MC Université Paris 13) Briquet Jean-Louis, (ancien élève,Lettres modernes 1982, Directeur derecherche CNRS) Brun Christophe (ancien élève, Histoire1988, enseignant Histoire - Géographie,Créteil) Bureau Benoîte (ancienne élève,Lettres Modernes 1999, ATER Universitéde Bourgogne) Cali Fabio (ancien élève, Lettresmodernes 2002) Carrols Anne (ancienne élève, Lettresmodernes 1998, ATER Université deProvence) Carton-Vincent Alison (élève ENSLSH, 4ème année, Etudes Italiennes) Cassagnau Laurent (MC Etudesgermaniques, ENS-LSH) Cazalas Inès (ancienne élève, Lettresmodernes 2000, AMN UniversitéStrasbourg 2) Cazanave Claire (ancienne élève,Lettres modernes 1995, Professeur enclasses préparatoires) Chamayou Grégoire (ancien élève,philosophie 1997, chercheur Institut deFrance) Charbonnier Pierre (élève ENS LSH,4ème année, philosophie) Chareix Fabien (ancien élève,Philosophie 1991, MC Université Paris 4)

Charrak André (ancien élève,Philosophie 1989, MC Université Paris 1) Chassain Adrien (élève ENS LSH, 1èreannée, Lettres modernes) Clochec Paulin (élève ENS LSH, 1èreannée, Philosophie) Coignard Tristan (ancien élève, Etudesgermaniques 1996, MC UniversitéBordeaux 3) Commins Eli (ancien élève, Histoire1994, PRAG Université d’Avignon) Confavreux Joseph (ancien élève,Histoire 1994) Cotensin Ismène (ancienne élève,Etudes italiennes 1999, MC UniversitéLyon 3) Coudreuse Anne (ancienne élève,Lettres modernes 1988, MC UniversitéParis 13) Crespeau Jean-Baptiste (ancien élève,Etudes hispaniques 2002, AMN ENS LSH) Cusset Christophe (PU Langue etLittérature grecques, ENS LSH) Cusset François (ancien élève, Lettresmodernes 1988) Dayre Eric (PU de LittératureGénérale et Comparée, ENS-LSH) de Calan Ronan (ancien élève,Philosophie 1998, ATER à l’ENS LSH) De La Porte des Vaux Xavier (ancienélève, Lettres modernes 1995) De Poli Fabrice (ancien élève, Etudesitaliennes 1993, MC Université Nancy 2) Defer Johann (élève ENS LSH, 4èmeannée, Littérature française) Del Fiol Maxime (ancien élève, Lettresmodernes 1997, ATER UniversitéMontpellier 3) Deleau Nicolas (ancien élève, Lettresmodernes 1995, enseignant) Deliau-Lagrée Jacqueline (ancienneélève, Philosophie 1965, PU UniversitéRennes 1 ; veuve de Michel Lagrée,historien et ancien élève de l’Ecole) Delposen Anne (ancienne élève, étudesgermaniques 1995, enseignante) Denoits Anaïs (ancienne élève, Lettresmodernes 2001, AMN UniversitéMontpellier 3) Descendre Romain (MC Etudesitaliennes, ENS LSH) Detrez Christine (MC Sociologie, ENSLSH) Deville-Fradin Valentine (auditrice

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Etudes théâtrales, ENS LSH) Doganis Basile (MC, Langue etcivilisation japonaises, ENS-LSH) Dollé Thomas, (élève ENS LSH, M1sociologie) Douki Caroline (ancienne élève,Histoire 1985, MC Université Paris 8) Dubois, Christian (ancien élève,Philosophie 1981, Professeur de chairesupérieure, Dijon) Dufaux Frédéric (ancien élève,Géographie 1984, MC Paris 10) Duhamelle Christophe (ancien élève,Histoire 1985, MC Université d'Amiens) Dulac Anne-Valérie (ancienne élève,Etudes anglophones1999, ATER Paris 3) Emmanuel-Emile Yoann (ancienneélève, Etudes hispaniques 2000, PRAG -IUFM de Martinique) Faivre Laetitia (élève ENS LSH,Etudes germaniques) Fawzi Wafaâ (Chef du service VieEtudiante, ENS LSH) Feyel Juliette (ancienne élève, Lettresmodernes 2000, AMN Université Paris 10) Fischbach Franck (ancien élève,philosophie 1987, PU Toulouse 2) Fischer Karin (ancienne élève, Etudesanglophones 1992, MC Universitéd'Orléans) Foa Jérémie (ancien élève, Histoire1998, ATER Université Clermont-Ferrand2) Foronda François (ancien auditeurHistoire, MC Paris 1 - Histoire médiévale) Fouqueray Annabelle (auditrice ENSLSH, M2 Littérature comparée) Fournel Jean-Louis (ancien élève,Etudes italiennes 1979, PU UniversitéParis 8, Président du collectif «Sauvonsl’Université») Franceschelli Sara (MC Epistémologieet histoire des sciences, ENS LSH) Gallard Pierre-Yves (élève ENS-LSH,Lettres Modernes) Garandel Pascal (ancien élève,Philosophie 1999, professeur agrégé) Gautheron Marie (PRAG, SectionArts, ENS LSH) Gerbier Laurent (ancien élève,philosophie 1991, MC Université de Tours) Ghermani Naïma (ancienne élève,Histoire 1995, MC Université Grenoble 2) Girard Pierre (MC Etudes italiennes,

Lyon 3) Giraud Frédérique (élève ENS-LSH,Sciences économiques et sociales) Gleize Jean-Marie (PU Littératurefrançaise, ENS LSH) Gobille Boris (MC Science politique,ENS LSH) Goldblum Sonia (ancienne élève,Etudes germanique 2001) Gonidou Anne-Marie (ancienne élève,Lettres classiques 1993, agrégée-répétitriceà l’ENS LSH) Grandhaye Emmanuel (ancien élève,Philosophie 1999, enseignant) Grellard Christophe (ancien élève,philosophie 1994, MC Université de Paris1) Guidée Raphaëlle (ancienne élève,Lettres modernes 1998, ATER UniversitéGrenoble 3) Guillot Céline (MC Sciences dulangage, ENS LSH) Hamidi-Kim Bérénice (ancienne élève,Lettres Modernes 1997, ATER UniversitéLyon 2) Hekmat Ida (ancienne élève, Etudesgermaniques 2001, AMN Université Lyon2) Henri-Panabiere Gaële (docteure,Sociologie, GRS - ENS LSH) Himich Nourhoda (ancienne élève,Lettres modernes 2001, AMN UniversitéParis 4) Houssay-Holzschuch Myriam ( MCgéographie, ENS LSH) Insergueix Andréa (élève ENS LSH,Sociologie) Ismard Paulin (ancien élève, Histoire1998, ATER Université Paris 1) Jourde Michel (MC Littératurefrançaise, ENS LSH) Kimmel Flore (ancienne élève, LettresClassiques 2000, Lectrice à Oxford) Koeltz Marion (ancienne élève, 2002Etudes anglophones) Kolesnik Delphine (MC Philosophie,ENS-LSH) Lafond Natacha, (ancienne élève,Lettres modernes 1997, enseignante) Lahire Bernard (PU Sociologie, ENSLSH) Lambert Edwige (Ingénieur d’études,ENS LSH) Landau Justine (ancienne élève, Lettres

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modernes 1997, doctorante en Etudesiraniennes, Paris 3) Larre David (ancien élève, Philosophie1993, ATER) Laurens Delphine (ancienne élève,Lettres modernes 1997, enseignante) Le Marec Joëlle (PU Information-Communication, ENS LSH) Le Meur Chloé (élève ENS LSH,Lettres Modernes) Lejosne Fiona (élève ENS LSH, 1èreannée, Etudes Italiennes) Lejosne-Guigon Renaud (élève ENSLSH, Lettres modernes) Lemercier-Goddard Sophie (MC Etudesanglophones, ENS LSH) Lemire Vincent (PRAG, responsable dusuivi pédagogique des élèves, ENS LSH) Lenormand Marc (élève ENS LSH,Etudes Anglophones) Lepicard Agnes, (ancienne élève,Lettres Modernes 2000). Leval-Duché Boris (élève ENS LSH,Histoire) Litvine Alexis, (élève ENS LSH,Histoire) Loignon Sylvie (ancienne élève, Lettresmodernes 1990, MC Université de Caen) Loock Guillaume (ancien élève, Lettresmodernes 2000, enseignant) Loyer Emmanuelle (ancienne élève,Histoire 1987, PU Sciences Po) Luchtmeier Eva (AMN Etudesgermaniques, ENS-LSH) Maître Anne (Responsable des Fondsslaves, Bibliothèque ENS LSH) Mansouri Wided (Lectrice en Arabe,ENS LSH) Marmande Francis (ancien élève,Lettres modernes 1966, PU UniversitéParis 7) Martin Olivier (auditeur-agrégatif ENSLSH, Philosophie) Martin Sylvie (PU Etudes slaves, ENSLSH) Marzouki Myriam (ancienne élève,Philosophie 1994, professeur agrégée) Massit-Folléa Françoise (PRAGSciences de l'information et de lacommunication, ENS LSH) Mazeau Guillaume (ancien élève,Histoire 1995, enseignant au lycée Béhalde Lens) Miard-Delacroix Hélène (PU Etudes

germaniques, ENS LSH) Minard Philippe (ancien élève, Histoire1982, PU Université Paris 8 – EHESS) Moioli Aurélie (élève ENS LSH, Lettresmodernes) Mondeme Thomas (Ancien élève,Lettres modernes 2002, AMN UniversitéVersailles / Saint-Quentin) Montel Elise (élève ENS LSH, Etudesitaliennes) Moreau Pierre-François (PUPhilosophie, ENS LSH) Naya Emmanuel (MC Lettres modernesUniversité Lyon 2, UMR 5037) Oliu Thomas (MC Etudes hispaniques,ENS LSH) Ottaviani Didier (MC Philosophie,ENS LSH) Outaleb Nora (élève ENS LSH, 2èmeannée, Etudes anglophones) Pallandre Anne (ancienne, Etudesgermaniques 1993, lectrice à l'Universitéde Cologne) Parent Sylvain (ancien élève, Histoire2000, ATER Université Rennes 2) Paré-Rey Pascale (ancienne élève,Lettres classiques 1997, MC LatinUniversité Lyon 3) Paringaux Céline (ancienne élève,Lettres modernes 2001, professeureagrégée) Peyrebonne Nathalie (ancien élève,Etudes hispaniques 1990, MC UniversitéParis 3) Pignot Manon (ancienne élève, Histoire1998, ATER Paris 10) Platelle Fanny (ancienne élève, Etudesgermaniques 1993, MC Université de laSarre) Poisson Marina (élève ENS-LSH,Études anglophones 2004) Premat Christophe (ancien élève,Philosophie 1997, ATER - IEP Bordeaux) Putois Olivier (ancien élève,Philosophie 1998, AMN Paris 4) Regard Frédéric (PU Etudesanglophones, ENS LSH) Regnard-Drouot Céline (ancienne élève,Histoire 1997, MC Aix-Marseille 1) Reguig-Naya Delphine (ancienne élève,Lettres modernes1995, MC UniversitéParis IV) Renault Emmanuel (MC Philosophie,ENS LSH)

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Renault Laurence (ancienne élève,Philosophie 1986, MC Université Paris 4) Reverdy Anne (auditrice ENS LSH, M2Littérature française) Rimasson-Fertin Natacha (ancienneélève, Etudes germaniques 1997, ATERUniversité Lyon 3) Roger Danielle (ancienne élève,Mathématiques 1968, Conservateur desbibliothèques, Bibliothèque de l'ENS LSH) Rollinger Gaëlle (élève ENS LSH,Section Arts) Roques Christian (ancien élève, Etudesgermaniques 1999, AMN Paris 4) Roussel Diane (ancienne élève, Histoire1998, ATER Université de Reims) Saïdi Samantha (Ingénieur d’études,Laboratoire Triangle, ENS LSH) Salmon Marie (auditrice Philosophie,ENS LSH) Sarfati-Lanter Judith (ancienne élève,Lettres modernes 1997, ATER UniversitéBordeaux 3) Senellart Michel (PU philosophie, ENS-LSH) Serhani Mounir (auditeur M2 ENSLSH, Etudes Arabes) Sibertin-Blanc Guillaume (ancien élève,Philosophie 1998, ATER Lille 3) Snasub-Fsu (Section ENS LSH) Specq François (PU Etudes nord-américaines, ENS LSH) Sutter Camille (élève ENS LSH, 1èreannée, Economie) Tanon Fabienne (MC, Chargée du suivipédagogique des élèves étrangers, ENSLSH) Tissier Jean-Louis (ancien élève,Géographie 1968, PU Paris 1) Toubert Victor (élève ENS LSH,Philosophie) Traversier Mélanie (ATER Histoire,ENS LSH) Vaisse Justin (ancien élève, Histoire1993, The Brookings Institution,Washington DC) Van den Avenne Cécile (MC Sciencesdu langage, ENS LSH) Van Der Eecken Anne (ancienne élève,Lettres modernes 1996, enseignante) Vandamme Sarah (élève ENS LSH,4ème année, Etudes italiennes) Veïsse Anne-Emmanuelle (ancienneélève, Histoire 1992, MC Université Paris

1) Verger Mathias (élève ENS LSH,Lettres modernes) Verjus Anne (CR Sciences politiquesCNRS, UMR 5206 Triangle, ENS LSH) Vincent Julien (ancien élève, Histoire1995, ATER Université Paris 8) Vogel Marie (MC Sociologie, ENSLSH) Wach Aurélie (ancienne élève, Lettresclassiques 2001, doctorante Lille 3) Wang Frédéric (MC Etudes chinoises,ENS LSH) Wedell Noura (ATER Littératurefrançaise, ENS LSH) Wittmann David (ancien élève,Philosophie 2000, AMN Université deTours) Wluczka Amélie (élève ENS LSH,Histoire) Yriarte Gabrielle (ancienne élève,Lettres classiques 1994, professeureagrégée) Zancarini Jean-Claude (PU Etudesitaliennes, ENS LSH) Zenati Afifa (Ingénieur d’études, ENSLSH)

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14. Karl Marx sur Aristote et contre la« création » du monde

Karl Marx a synthétisé le matérialisme etpermis l'avènement du matérialisme dialectique.Voici comment il pose, dans les Manuscrits de1844, la question de l'éternité du monde,question centrale pour Aristote (dans soninterprétation par Averroès).

« Un être ne commence à se tenir pourindépendant que dès qu'il se tient sur sespropres pieds, et il ne tient sur ses proprespieds que lorsqu'il doit son existenceimmédiate à soi-même. Un être humain qui vit de la grâce d'unautre se considère comme un êtredépendant. Mais je vis entièrement de lagrâce d'un autre, si non seulement je luidois l'entretien de ma vie, mais encore si

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en outre il a amené ma vie à exister, s'ilest la source de ma vie, et ma vie anécessairement un semblable fondement endehors d'elle si elle n'est pas ma proprecréation. C'est pourquoi la création est uneconception très difficile à chasser de laconscience populaire. Le fait que la nature et l'être humainsoient par eux-mêmes estincompréhensible au peuple, parce quecela contredit toutes les évidences sous lamain de la vie pratique. La création de la terre a été puissammentébranlée par la géognosie, c'est-à-dire parla science qui représente la formation duglobe, le devenir de la terre, comme unprocessus, un auto-engendrement. La generatio aequivoca [générationspontanée] est la seule réfutation pratiquede la théorie de la création. Il est certes facile de dire à l'individu isoléce qu'Aristote a dit déjà : « Tu esengendré par ton père et ta mère, c'estdonc l'accouplement de deux êtreshumains, c'est donc un accouplement del'humain qui produit l'humain. Tu vois donc que même physiquementl'être humain doit sa vie à l'être humain.Tu ne dois par conséquent pas garder lavue fixée sur un aspect seulement, sur laprogression à l'infini à propos de laquelletu continues à poser des questions : qui aengendré mon père, qui a engendré songrand-père ?..., etc. Tu dois [en effet] aussi garder la vue fixéesur le mouvement cyclique qui estconcrètement visible dans cetteprogression et qui fait que l'être humain,dans la procréation, se répète lui-même, etdonc que l'être humain homme restetoujours sujet. Mais tu répondras : si je t'accorde cemouvement cyclique, accorde-moi laprogression qui me fait remonter de plusen plus haut jusqu'à ce que je pose laquestion : qui a engendré le premier êtrehumain et la nature en général ? Je ne puis que te répondre : ta questionest elle-même un produit de l'abstraction. Demande-toi comment tu en arrives àcette question ; demande-toi si ta questionn'est pas posée en partant d'un point devue auquel je ne puis répondre parce qu'il

est absurde ? Demande-toi si cetteprogression existe en tant que telle pourune pensée raisonnable ? Si tu poses la question de la création de lanature et de l'être humain, tu fais doncabstraction de l'être humain et de lanature. Tu les poses comme n'existant pas et tuveux pourtant que je te démontre qu'ilssont existants. Je te dis alors : abandonne tonabstraction et tu abandonneras aussi taquestion, ou bien si tu veux t'en tenir àton abstraction, alors sois conséquent, etsi, bien que tu penses l'être humain et lanature comme n'étant pas, alors pense-toitoi-même comme n'étant pas, puisqu'aussibien tu es nature et être humain. Ne pense pas, ne m'interroge pas, car dèsque tu penses et que tu m'interroges, tafaçon de faire abstraction de l'être de lanature et de l'être humain n'a aucun sens.Ou bien es-tu à ce point égoïste que tuposes tout comme néant et que tu veuillestoi-même être ? Tu peux me répliquer : je ne veux pasposer le néant de la nature, etc. ; je tepose la question de l'acte de sa naissancecomme j'interroge l'anatomiste sur lesformations osseuses, etc. Mais comme pour l'être humain socialiste,toute la dénommée histoire universellen'est rien d'autre que l'engendrement del'être humain par le travail humain, que ledevenir de la nature pour l'être humain ;il a donc la preuve visible et irréfutable desa naissance par lui-même, du processusde formation. Dans la mesure où sont devenus visiblespratiquement, par les sens, la réalitéessentielle de l'être humain et de lanature, l'être humain pour l'être humaincomme existence immédiate de la nature,et la nature pour l'être humain commeexistence immédiate de l'être humain, laquestion d'un être étranger, d'une essenceplacée au-dessus de la nature et de l'êtrehumain, est devenue pratiquementimpossible - cette question impliquantl'aveu de l'inessentialité de la nature et del'homme. L'athéisme, dans la mesure où il nie cetteinessentialité, n'a plus de sens, carl'athéisme est une négation de Dieu et par

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cette négation il pose l'existenceimmédiate de l'être humain ; mais lesocialisme en tant que socialisme n'a plusbesoin de ce moyen terme. Il part de la conscience théoriquement etpratiquement sensible de l'être humain etde la nature comme de l'essence. Il est la conscience de soi positive de l'êtrehumain, qui n'est plus conscience par lemoyen terme de l'abolition de la religion,tout comme la vie réelle est la réalitépositive de l'être humain qui n'est plusréalité de l'être humain par le moyenterme de l'abolition de la propriété privée,le communisme. Le communisme est la position commenégation de la négation, et ainsi lemoment nécessaire pour le développementà venir de l'histoire, en tant que momentréel de l'émancipation et de la reprise desoi de l'être humain. Le communisme est la forme nécessaire etle principe énergétique du futur prochain,mais le communisme n'est pas en tant quetel le but du développement humain, - laforme de la société humaine. »

15. Commentaire de l'explication deKarl Marx sur Aristote et contre la «

création » du monde

C'est en une longue citation de Marx queconsistait l’article « Avicenne et Averroès : KarlMarx sur Aristote et contre la "création" dumonde. »

Faisons ici des précisions, afin de rendre plusclaire la pensée de Karl Marx ; les Manuscritsde 1844 n'ont en effet pas été élaborés pour êtredirectement « lisibles », ce sont des notes desynthèse, trouvées et publiées grâce à l'URSS deStaline.

Que veut dire Karl Marx ? En fait, il met enavant le matérialisme tel qu'il a été permis parAverroès, mais sans connaître Averroès, sansdoute.

En effet :

- Averroès est un pré-matérialiste, et Marx adirectement puisé dans les matérialistes françaiset anglais qui ont suivi.

- Marx considère tout de même Aristotecomme posant un embryon de matérialisme.

Or, entre les deux, il y a Averroès, mais Marxn'en parle pas (et ce, a priori, nulle part). Lesmarxistes ont toujours considéré Averroès seloncet angle, mais Karl Marx et Friedrich Engelsn'en ont jamais parlé en tant que tel.

Cependant, les acquis d'Averroès sont là, etjustement la citation correspond à un aspectessentiel : le refus du principe de création dumonde.

Ce que dit Marx, c'est que le prolétariatn'existe que « grâce » à la bourgeoisie ; on nepeut pas vivre en tant que prolétaire sansvendre sa force de travail.

Ainsi, on ne peut pas exister « par soi-même.» La position anarchiste, petite-bourgeoise,consiste justement à prôner l'artisanat, voire lalibre-entreprise autogérée, etc.

Mais Karl Marx est un communiste et affirmedonc la nécessité pour l'humanité de se re-saisir,donc d'acquérir la conscience de son unité, sansprolétaires ni bourgeois. Les individus cesserontainsi de se considérer comme « dépendants » etils s'éloigneront du principe de dépendance, etdonc de « création » extérieure.

C'est cela que Marx veut dire dans lesphrases suivantes, la dernière phrase soulignantla dignité du réel ; les masses opprimées n'ontpas l'expérience de l'autonomie :

« Mais je vis entièrement de la grâced'un autre, si non seulement je lui doisl'entretien de ma vie, mais encore si enoutre il a amené ma vie à exister, s'il estla source de ma vie, et ma vie anécessairement un semblable fondement endehors d'elle si elle n'est pas ma proprecréation. C'est pourquoi la création est uneconception très difficile à chasser de la

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conscience populaire. Le fait que la nature et l'être humainsoient par eux-mêmes estincompréhensible au peuple, parce quecela contredit toutes les évidences sous lamain de la vie pratique. »

Chaque jour, le masses font l'expérience deleur dépendance; elles ne connaissent pas leprincipe d'indépendance.

A ce moment-là, Karl Marx sort Aristote deson chapeau.

Aristote, en effet, est le premier à avoirconsidéré la réalité comme un « éternel retour »,comme un cercle où tout se répète.

Marx sait que l'argument du tout se répèteest mis en avant par les personnes croyant enDieu – c'est en fait le fruit d'une versiond'Aristote passée par l'interprétation de Thomasd'Aquin, principal théologien chrétien.

Ces personnes sont d'accord avec Aristote, lavie appelle la vie, mais disent qu'à la base il y aune « création », et donc un Dieu.

Marx fait donc dire à ces personnes leurobjection à Marx : qui donc a créé le monde ?Et Marx renverse la phrase en disant : poser laquestion est absurde.

Car poser la question ce serait être soi-mêmeDieu – car en dehors de ce qui aurait été créé.

Ce que veut dire Marx, c'est que l'êtrehumain ne peut pas de « concevoir » en dehorsde la nature. Il lui appartient. Il ne peut pasdire : je n'ai rien à voir avec rien et je regardeles choses de l'extérieur. Il n'y pas d'extérieur.

C'est là une thèse fondamentale dumatérialisme dialectique et la raison pourlaquelle le PCMLM parle de Biosphère.

Voici donc ce que dit Marx :

« Mais tu répondras : si je t'accorde cemouvement cyclique, accorde-moi laprogression qui me fait remonter de plusen plus haut jusqu'à ce que je pose laquestion : qui a engendré le premier être

humain et la nature en général ? Je ne puis que te répondre : taquestion est elle-même un produit del'abstraction. Demande-toi comment tu en arrives àcette question ; demande-toi si ta questionn'est pas posée en partant d'un point devue auquel je ne puis répondre parce qu'ilest absurde ? Demande-toi si cetteprogression existe en tant que telle pourune pensée raisonnable ? Si tu poses la question de la créationde la nature et de l'être humain, tu faisdonc abstraction de l'être humain et de lanature. Tu les poses comme n'existant pas ettu veux pourtant que je te démontre qu'ilssont existants. Je te dis alors : abandonne tonabstraction et tu abandonneras aussi taquestion. »

Marx pense alors à une parade que pourraitsortir quelqu'un de religieux. Ce dernierpourrait dire : « moi je veux juste savoircomment. »

Marx dit ainsi :

« Tu peux me répliquer : je ne veuxpas poser le néant de la nature, etc. ; je tepose la question de l'acte de sa naissancecomme j'interroge l'anatomiste sur lesformations osseuses, etc. »

Marx sort alors l'artillerie lourde, au-delà dusimple matérialisme.

Il explique en effet que l'être humain et lanature, cela revient au même ; il y a une doubleraison : l'être humain appartient à la nature, sessens témoignent de cela, et ensuite par le travaill'être humain modifie la nature.

En fait, si l'on comprend bien, l'être humainest l'outil de la nature pour se modifier elle-même.

D'où la thèse du PCMLM qui est que l'êtrehumain nouveau se conçoit comme au service dela Biosphère.

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Marx dit ainsi :

« Dans la mesure où sont devenusvisibles pratiquement, par les sens, laréalité essentielle de l'être humain et de lanature, l'être humain pour l'être humaincomme existence immédiate de la nature,et la nature pour l'être humain commeexistence immédiate de l'être humain, laquestion d'un être étranger, d'une essenceplacée au-dessus de la nature et de l'êtrehumain, est devenue pratiquementimpossible - cette question impliquantl'aveu de l'inessentialité de la nature et del'homme. L'athéisme, dans la mesure où il niecette inessentialité, n'a plus de sens, carl'athéisme est une négation de Dieu et parcette négation il pose l'existenceimmédiate de l'être humain ; mais lesocialisme en tant que socialisme n'a plusbesoin de ce moyen terme. Il part de la conscience théoriquementet pratiquement sensible de l'être humainet de la nature comme de l'essence. »

L'être humain a une « essence » : la nature,et cette nature est en retour « travaillée » parl'être humain...

Voilà la perspective dialectiqueadmirablement comprise par Karl Marx dans lesManuscrits de 1844.

16. Joachim du Bellay et l'averroïsme

Le matérialisme dialectique permet seul decomprendre véritablement la culture française ;l'histoire telle qu'elle est racontée par labourgeoisie n'est que racontars et idéalisme.

Ainsi, le grand poète du Bellay (1522 – 1560)est absolument incompris : la bourgeoisieremarque qu'historiquement il a joué un grandrôle, mais elle est incapable de comprendre sanature, sa portée.

Ce qui manque à la bourgeoisie, c'est lacompréhension de l'averroïsme, que seul le

matérialisme dialectique saisit la valeur et laportée. Si une analyse approfondie de du Bellaydoit encore être faite, il est nécessaire deprésenter déjà son point de vue pour saisirl'importance de l'averroïsme en France et enEurope, et pour comprendre que la culture,pour se développer, s'appuie forcément sur uneconception idéologique plus élevée queprécédemment.

En effet, on considère habituellement que duBellay est simplement un « mélancolique »,quelqu'un qui a des regrets. C'est passertotalement à côté du principe du « néo-platonisme » qui considère que l'âme doitretourner à sa source, tout en considérant laréalité matérielle à la fois comme belle etcomme imparfaite.

Il y a là des formidables possibilités dedécouvrir les fondements de la culture française,de la faire avancer, s'auto-dépasser !

Voici déjà un poème magistral, où de manièremasquée, c'est l'averroïsme qui est mis en avant.Il s'agit du poème XXXII (32) des Regrets.

En apparence, du Bellay explique qu'il estallé à Rome, mais n'en a rien tiré et revientdéçu. En pratique, c'est une éloge del'averroïsme.

Voici le poème :

« Je me ferai savant en la philosophie, En la mathématique et médecineaussi : Je me ferai légiste, et d’un plus hautsouci Apprendrai les secrets de la théologie :

Du luth et du pinceau j’ébatterai mavie, De l’escrime et du bal. Je discouraisainsi, Et me vantais en moi d’apprendre toutceci, Quand je changeai la France au séjourd’Italie.

Ô beaux discours humains ! Je suisvenu si loin,

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Avicenne et Averroès

Pour m’enrichir d’ennui, de vieillesse etde soin, Et perdre en voyageant le meilleur demon aage.

Ainsi le marinier souvent pour touttrésor Rapporte des harengs en lieu de lingotsd’or, Ayant fait, comme moi, un malheureuxvoyage. »

La première strophe a une importancecapitale. Déjà, on retrouve le principe de lafalsafa arabo-musulmane selon lequel unvéritable philosophe doit avoir une connaissanceapprofondie en plusieurs domaines.

En l'occurrence, on a l'affirmation selonlaquelle il faut être savant :

- en philosophie

- en mathématique

- en médecine

- en droit (légiste).

Mais il faut noter l'expression : « d'un plushaut souci » qui montre qu'à ses yeux le plusimportant est le fait d'apprendre « les secrets dela théologie. »

Il s'agit là d'une allusion à la Métaphysiqued'Aristote, la science du « moteur premier »,que justement Averroès a expliqué. C'est uneallusion masquée à l'averroïsme, masquée carjustement l'averroïsme ne pouvait avancerouvertement en raison de la répression.

A l'époque de du Bellay, la pensée d'Aristoteétait également assimilée à celle de Platon. Dansle poème intitulé « L'idéal », on a unereprésentation directe du « néo-platonisme »,qui d'un côté considère que l'âme doit retournerà sa « source », mais de l'autre considèrel'univers comme éternel et fait du bien et del'amour le « souverain bien » de la réalitématérielle (conformément à Aristote).

On a un mélange de « l'idéal » selon Platon,avec les « idées » pures, et la conception de labeauté et du bien matériels selon Aristote.

Voici le poème :

« Si nostre vie est moins qu’unejournée En l’eternel, si l’an qui fait le tour Chasse nos jours sans espoir de retour, Si perissable est toute chose née,

Que songes-tu, mon ame emprisonnée ? Pourquoy te plaist l’obscur de nostrejour, Si pour voler en un plus clair sejour, Tu as au dos l’aile bien empennée ?

Là est le bien que tout esprit desire, Là le repos où tout le monde aspire, Là est l’amour, là le plaisir encore.

Là, ô mon ame, au plus haut cielguidée, Tu y pourras recognoistre l’idée De la beauté qu’en ce monde j’adore. »

De la même manière, dans « hymne chrétien», on a des notions éminemment conformes à lapensée d'Aristote, et ce malgré que le poèmes'adresse à un Dieu créateur.

Du Bellay s'adresse ainsi à Dieu, en parlantde Dieu comme source de lumière – conceptionnéo-platonicienne – dans un éternel séjour (unéquivalent de Dieu comme « moteur premier »d'Aristote) :

« Car ta main seule inviciblement forte Peult des enfers briser l'avare porte, Et me tirer aux rayons du beau jour Qui luyt au ciel, ton eternel sejour. »

De la même manière, Aristote reprend lethème de la création, mais en présentant lecréateur véritablement selon une démarchepropre à Platon, avec Dieu comme « artisan »,et où l'âme est ajoutée à la matière qui n'est

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formée que pour être un lieu pour l'âme – ce quiest exactement la conception d'Aristote.

Voici ce que dit du Bellay :

« N'est-ce pas toy, dont la divine main De vil bourbier forma le corps humain, Pour y enter l'ame, que tu as feinte Sur le protraict de ton image saincte? N'est-ce pas toy, qui formas la rondeur De l'univers, tesmoing de ta grandeur?»

De plus, en parlant de la rondeur del'univers, du Bellay fait nécessairement allusionau moins en partie au principe de « l'éternelretour » chez Aristote, Aristote pour qui lecercle était la pure représentation du moteurpremier et de l'éternité (car n'ayant ni début nifin).

Analyser les œuvres de du Bellay est untravail important et difficile, mais il devranécessairement être fait afin de véritablementsaisir toute une époque historique de notre pays.

Publié en septembre 2013Il lustration de la première page : statue d'Avveroès à Cordoue, Espagne

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