les dieux de la plage - Le Proscenium · Là, les deux héros rencontrent ... Scène 1 les...

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AVERTISSEMENT Ce texte a été téléchargé depuis le site http://www.leproscenium.com Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par exemple pour la France). Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe. Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues, même a posteriori. Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation. Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs.

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AVERTISSEMENT

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Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En co nséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par exemple pour la France).

Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jo uer n'a pas été obtenue par la

troupe. Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteur s et vérifie que les autorisations

ont été obtenues, même a posteriori. Lors de sa rep résentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit s’acq uitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraine des sanctions (financières entre au tres) pour la troupe et pour la

structure de représentation.

Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligat ion, y compris pour les troupes amateurs.

LES DIEUX DE LA PLAGE

Une comédie de Philippe Bardin

Contact : [email protected]

« Ennui mortel de l’immortalité ! » Jean Cocteau

LES DIEUX DE LA PLAGE

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 1

Philippe Bardin Professeur de lettres modernes Sociétaire-adjoint de la S.A.C.D (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) Réside au Mans (Sarthe)

Dirige le Marquis Capricieux, troupe de théâtre amateur

Anime l'atelier théâtre du lycée Colbert de Torcy à Sablé sur Sarthe

Ecrit et met en scène tous les spectacles de la troupe et de l'atelier

Pièces En Attendant Britney Sympathy Les Bagnards Eternels Freaky Amor L'antimanuel de l'embauche Chichi Business

Le Grand Cirque des Amours Perdues Lucky Resto * Sweet City Jacky Puffier et Monsieur le Proviseur* Squat’ le Banc* COSMICK* Les Oubliés de Mai 68 Fugue au Royaume d'Assoupi* Foutu Bilan !* Scratch ! Le Plus Beau Jour de Notre Vie Campons Sans Peine!* Le Conseil de Classe de la Seconde H* La Dernière Mission de la Marie-Claudine* Pour l'Amour de Brigitte, roman-photo* Les Ombres Sanglantes de Fontainebleau* Diane et les Chasseurs* Dans le Salon d'Emilie Les Dieux de la Plage* Qui a tué Christobald Colombo, roi du Twist?

*Textes disponibles sur le site internet du Proscenium

LES DIEUX DE LA PLAGE

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 2

Durée : 1 h 40 Distribution : 6 H et 7 F plus 1 enfant Argument :

Zeus, entouré des dieux de l’Olympe, s’ennuie. Cassandre lui annonce l’apparition prochaine d’une race heureuse qui connaîtra toujours le divertissement : les mortels. Zeus veut s’emparer de leur secret et envoie dans l’abîme du temps ses deux plus fidèles guerriers, Castor et Pollux qui se retrouvent sur une petite plage bretonne au mois d’août. Là, les deux héros rencontrent des humains goûtant aux plaisirs des vacances : cruelle désillusion…

Une journée à la plage avec des vacanciers plus ou moins ordinaires Décors : Pour le prologue et l’épilogue : le séjour des dieux Le plateau recouvert de draps blancs ; au centre, les trônes de Zeus et d’Héra Pour les trois actes : une plage Au centre la chaise surélevée du maître-nageur sauveteur ; côté jardin, deux transats; côté cour, un rocher Costumes : Pour le prologue et l’épilogue : toges et tuniques antiques Pour les trois actes : tenues de plage

PERSONNAGES

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 3

le Prologue et l’Epilogue LES DIEUX

Aurore

Zeus

Héra

Apollon

Héraclès

Artémis

Poséidon

Cassandre

Aphrodite

le Chœur (2 femmes)

Castor

Pollux

Actes I, II et III LES HUMAINS

Paul, le maître-nageur

Huguette, la secouriste

Valéry et Agathe, un couple « Vieille France »

Jeanne-Coline, leur fille

Henri-Didier, leur fils

Marie-Jo, une jeune femme (actes I et II)

Nicole et Geneviève, deux amies

un homme en tenue de plongée (trois apparitions : acte I, acte III et épilogue)

le marchand de glaces

un petit garçon (une apparition : acte I)

Macha, professeur de gymnastique (deux scènes : actes I et II)

Jacky, le petit surfeur (acte II)

Bernard, le grand surfeur (acte II)

un couple (une scène : acte III)

une sirène (acte III)

un vieux marin (une scène : acte III)

Georges et Gladys, un couple âgé (deux scènes : acte III)

SEQUENCES

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 4

Prologue Antique

Aurore, Zeus, Héra, Apollon, Héraclès, Artémis, Poséidon, Cassandre, Aphrodite, Castor, Pollux, le Chœur

Soleil Levant

Scène 1 commando (Pollux, Castor et Paul)

Scène 2 une secouriste bavarde (Paul, Huguette)

Scène 3 une famille respectable (Valéry, Agathe, Jeanne-Coline et Henri-Didier)

Scène 4 une éducatrice compréhensive (Marie-Jo, Valéry, Agathe, Jeanne-Coline et Henri-Didier)

Scène 5 les deux célibataires (Nicole, Geneviève et un homme en tenue de plongée)

Scène 6 le commerçant honnête et le délinquant (le marchand de glaces et un petit garçon)

Scène 7 première leçon de métaphysique (Nicole, Geneviève, Castor et Pollux)

Scène 8 le cours de gymnastique (Macha, professeur de gymnastique, Agathe, Valéry, Henri-Didier, Huguette, Paul, Geneviève, Nicole, Marie-Jo, Castor et Pollux)

Plein Soleil

Scène 1 les champions (Jacky, Bernard, Nicole et Geneviève)

Scène 2 le calme avant la tempête (Paul, Huguette, Agathe, Valéry, Henri-Didier, Marie-Coline, Geneviève, Nicole et Marie-Jo)

Scène 3 rébellion (Paul, Huguette, Agathe, Valéry, Henri-Didier, Jeanne-Coline, Geneviève, Nicole, et Marie-Jo) Scène 4 vibration cosmique (Castor, Pollux et Marie-Jo)

SEQUENCES

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 5

Scène 5 l’émancipation (Agathe, Valéry, Marie-Jo, Henri-Didier )

Scène 6 dans le Maine et Loire (Castor, Pollux puis Bernard et Macha)

Scène 7 la gaufre fatale (le marchand de glaces, Marie-Jo, Huguette, Agathe, Valéry, Henri-Didier)

Scène 8 amère défaite (Jacky, Bernard)

Soleil Couchant

Scène 1 la déclaration (Paul, Huguette)

Scène 2 la poésie (un homme et une femme)

Scène 3 le goût de la métaphore (Pollux, Castor et le marchand de glaces)

Scène 4 la sirène (Henri-Didier, Jeanne-Coline, une sirène, Agathe, Valéry, Paul, Huguette, Geneviève, Nicole, un vieux marin)

Scène 5 du rêve a la réalité (Nicole, Geneviève et un homme en tenue de plongée puis le marchand de glaces, Castor et Pollux)

Scène 6 ruptures (Georges et Gladys, puis Valéry, Agathe, Henri-Didier et Jeanne-Coline)

Scène 7 on ferme (Paul, Huguette, Gladys, Henri-Didier et Agathe)

Epilogue Antique

Zeus, Héra, Artémis, Apollon, Héraclès, Poséidon, Cassandre, Aphrodite, Castor, le Chœur, un homme

PROLOGUE ANTIQUE

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Aurore , Zeus, Héra, Apollon, Héraclès, Artémis, Poséidon, Cassandre, Aphrodite, Castor, Pollux, le Chœur

Le rideau s'ouvre sur les dieux de l'olympe qui dorment d'un profond sommeil. Au centre, Zeus et Héra ; derrière eux, le Chœur ; côté jardin, Apollon, Héraclès et Cassandre; côté cour, Artémis et Poséidon (Aphrodite apparaîtra plus tard.). Le décor et les personnages sont entièrement blancs.

Entrée de l'Aurore

AURORE, d'une voix très douce : Dans son berceau de brume avait paru l'aurore aux doigts de rose...(au public) ils ne m'ont pas entendue, je recommence.

D'un pas rapide et léger, elle sort puis entre à nouveau.

AURORE : Dans son berceau de brume avait paru l'aurore aux doigts de rose...(elle s'immobilise et attend en vain le réveil des dieux.) Ne nous énervons pas, recommençons.

D'un pas plus lourd, elle sort et entre une troisième fois.

AURORE, d'un ton irrité : Dans son berceau de brume avait paru l'aurore aux doigts de rose...(elle s'immobilise; aucune réaction des dieux.) Mais qui m'a foutu un gros tas de feignants pareil !

En martelant lourdement le sol, elle sort et rentre une dernière fois.

AURORE, en hurlant : Dans son berceau de brume avait paru l'aurore aux doigts de rose...

Tous les dieux se réveillent avec force étirements et bâillements.

AURORE, en sortant : Enfin !

ARTEMIS : ô Zeus, quelle fête hier soir; c'était divin, divinement divin.

ZEUS : Merci, ma petite Artémis.

HERACLES : Moi aussi, j'ai bien mangé, Zeus. Bien mangé et bien bu !

PROLOGUE ANTIQUE

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ZEUS : Tu as bien fait, Héraclès.

CASSANDRE : Youpi o popoï da ! C'était formidable, on se serait cru au réveillon de la Saint-Sylvestre !

APOLLON : Oh oui, quelle orgie ! L'ambroisie coulait à flot ! Le marcassin frit aux champignons de Sicile était délectable ! On s'est vraiment régalé !

ZEUS : Merci, Cassandre, merci, Apollon, mais tout cela, c'était hier et nous voilà aujourd'hui et déjà, on s'ennuie et comme dit le poète:"...le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle\Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis..."

Zeus jette sa tête en arrière, bouche ouverte, pour avaler le grain de raisin que laisse tomber l’une des femmes du chœur placé derrière lui.

ZEUS, à Poséidon : Poséidon ! Toi qui des dieux es le plus fort, Poséidon marin dont le trident est d'or, O Roi des mers salées, apporte le divertissement à mon âme accablée.

Zeus jette sa tête en arrière, bouche ouverte, pour avaler le grain de raisin que laisse tomber l’une des femmes du chœur.

POSEIDON : J'ai une idée: on va faire un jeu. On va jouer à "Qui suis-je ?" Vous allez voir, c'est très facile. Je mime; soyez très attentifs.

Poséidon mime les vagues.

APOLLON : Moi, Zeus, je sais, je sais...c'est les vagues.

POSEIDON, hilare : Oui, c'est ça, c'est ça !

ZEUS : Ah ! ? Les vagues, tiens ! Amusant !

HERA : Amusant !

CHŒUR, sinistre : Amusant !

PROLOGUE ANTIQUE

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POSEIDON, enthousiaste : Allez, un autre !

Poséidon mime le poisson volant.

APOLLON : Fastoche ! Je sais !

ARTEMIS : Moi aussi, je sais, Zeus !

ZEUS : Alors à toi, Artémis.

ARTEMIS : C'est le poisson volant !

POSEIDON : Oui, c'est ça ! Quelle ambiance !

ZEUS : Ah !? Le poisson-volant... tiens ! Amusant !

HERA : Amusant !

CHŒUR : Amusant !

POSEIDON : Bon ! Un troisième !

Poséidon mime l'éléphant.

APOLLON : Ca, c'est dur, Zeus.

ZEUS : En effet...

HERACLES : Je réfléchis et je ne trouve pas. Quelle angoisse !

POSEIDON : Ben ! C’est l'éléphant !!!

HERACLES : L'élé quoi ? POSEIDON : L'éléphant, le noble quadrupède à la trompe épaisse.

PROLOGUE ANTIQUE

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ZEUS : Ah !? Bien sûr, l'éléphant...Très amusant.

CHŒUR : Très, très amusant !

HERA : Amusant mais un peu con !

POSEIDON : Attendez ! J'ai un autre jeu, encore plus désopilant que le premier !

ZEUS : Allez, suffit, Poséidon ! Tu nous as assez désopilés pour aujourd'hui. Par mon foudre tout-puissant, qu'est-ce que j'déprime, qu'est-ce que j'déprime !!

CHOEUR : Aphrodite ! Fille de l'écume, qui inspire l'amour, sa beauté est pareille à la lumière du jour !

Musique. Entrée majestueuse d'Aphrodite. Elle se tient debout dans sa coquille que poussent des nymphes.

HERA , sarcastique : Ah ! Voilà justement Aphrodite qui s'amène ! Eh ! Bonjour, bonjour Aphrodite chérie ! Tu es en beauté, mon trésor, resplendissante ! Quel éclat de teint ! Et quelle fermeté de chairs ! Tu étoufferais un bœuf !

APHRODITE : Vulgaire, tu seras toujours vulgaire, Héra. Mais prends garde: pour qui sait étouffer un boeuf, traire une vache est un jeu d'enfant !

HERA : Zeus ! Elle se paie ma tête, la pétasse !

ZEUS : Oui, mais si délicieusement...Ah ! Aphrodite !

« Ah ! Que ne suis-je ton miroir

Que toujours tu veuilles me voir !

Si je pouvais être ta robe

Afin que toujours tu me portes ! »

HERA : Mon ami, votre amour de la poésie commence vraiment à m'exaspérer !

ZEUS : Aphrodite, apporte le divertissement à mon âme accablée...

PROLOGUE ANTIQUE

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Zeus jette sa tête en arrière, bouche ouverte, pour avaler le grain de raisin que laisse tomber l’une des femmes du chœur.

APHRODITE , qui délace sa robe : Alors, regarde, dieu des dieux: pour réjouir ton âme, mon corps resplendira de mille feux.

HERA : STOP ! On a déjà vu et on ne tient pas à revoir !

APOLLON : Moi, je veux bien revoir !

HERA : Non !

APOLLON : Héraclès ?

HERACLES : Oh, moi, seule la contemplation des idées réjouit mon âme !

ZEUS : Tu as bien de la chance, Héraclès ! C'est bon; trouvons autre chose... Puisque rien en ce morne aujourd'hui ne peut satisfaire mon esprit languissant, tournons-nous vers demain ! Cassandre, prêtresse des dieux ! Peins-nous les couleurs gaies et chatoyantes de l'avenir !

CASSANDRE, en transe : O, ô, ô popoï ! O, ô, ô Zeus ! O popoï ! Ah ! Je vois courir une torche ailée vers l'enlèvement de la colombe de la chienne de Pephné et elle a été couvée par un vautour habitant de l'eau et c'est un œuf à la coque ronde qui est éclos.

ZEUS : Elle déraille encore, la Cassandre !

Apollon et Poséidon se jettent sur Cassandre et lui assènent coups de poings et coups de pieds.

CASSANDRE :

O Popoï, Zeus, tu créeras une nouvelle espèce qui peuplera la terre !

Une espèce qui, ô jamais, ne connaîtra l'ennui;

Une espèce qui, ô jamais, ne connaîtra la morosité;

Une espèce qui, ô jamais, ne connaîtra la vacuité de l'âme.

Cette espèce que tu créeras, ô Zeus ! On la désigne par le beau nom d'Humanité.

Et l'Humanité toujours sourira; et l'Humanité toujours dansera;

PROLOGUE ANTIQUE

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Et l'Humanité toujours gazouillera !

L'Humanité ne vivra que pour le divertissement et la joie.

Oui, je vois, je vois des êtres à notre image, mais plus petits, les humains. Je vois ces humains, ils sont sur la plage, comme ici; le soleil brille, la mer est belle et ils sont heureux: ils sautent dans l'eau, ils dorment au soleil, ils construisent des temples de sable, ils lancent des balles dans le ciel. Et j'entends, oui, j'entends, ô Zeus, des rires et des baisers qui volent dans l'air pur !

ZEUS : Quelle race heureuse ! Mais pourquoi sommes-nous des dieux ?

HERA : Le créateur s'ennuie, la créature s'amuse mais c'est le monde à l'envers !

CASSANDRE : Oui, ils sont heureux mais ce bonheur n'est donné qu'à ceux qui possèdent le SECRET des humains.

ZEUS : Dis nous vite, Cassandre à la langue visionnaire, quel est ce secret.

CASSANDRE : Ce secret, le voici: les humains sont mortels.

HERACLES : Mortels ?? Ca veut dire quoi ça ?

CASSANDRE : Leur vie bienheureuse a un terme qui est la mort.

APOLLON : Ca n'a pas de sens: ici, rien ne s'achève, tout demeure.

HERACLES : Oui, c'est vrai ça: tout être qui est sur le mode de l'étant persévère dans son être. EIS AEI.

ZEUS : Ne fais pas ton Socrate, Héraclès ! C'est déjà assez confus.

CASSANDRE : Je ne puis en dire plus, ô Zeus, envoie tes plus fidèles guerriers dans l'abîme du temps, qu'ils rapportent le secret des humains.

ZEUS : Tu as raison, Cassandre, plutôt la mort que l'ennui.

CHŒUR : Plutôt la mort que l'ennui !

PROLOGUE ANTIQUE

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ZEUS : Castor ! Pollux !

CHŒUR : Voici Castor et Pollux, les deux héros de la Toison d'Or !

Entrée de Castor et Pollux

CASTOR et POLLUX : Nous te saluons, ô Zeus, dieu des dieux !

ZEUS : Mes deux plus fidèles guerriers à la bravoure sans pareille, j'ai besoin de vous !

POLLUX : Parle et nous t'obéirons.

ZEUS : Je vous ai convoqués pour une mission périlleuse: dans l'avenir, vivra un peuple heureux, les humains. Je veux que vous vous rendiez dans le futur pour y découvrir le secret des humains, le secret de la mortalité.

POLLUX : La mortalité ?

ZEUS : Cela n'existe pas mais je l'inventerai ! Allez et rapportez-moi ce trésor qui donne le bonheur!

CASTOR : Et pourquoi toujours nous ? Il y a Ajax et Ajax il n'est jamais là pour les missions impossibles.

ZEUS : Ajax, il m'agaxe ! Allez, ne discutez pas. Sombrez dans l'abîme du temps !

CASTOR et POLLUX : Nous sommes tes humbles serviteurs, Zeus, dieu des dieux !

Castor et Pollux se placent sur le devant de la scène. Musique. Noir.

FIN DU PROLOGUE

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

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La scène représente une petite plage bretonne pour l'instant déserte. A l'arrière-plan et au centre se trouve une chaise surélevée déjà occupée par un maître-nageur frigorifié. Sur le devant de la scène: côté jardin, deux transats ; côté cour, un rocher.

SCENE 1

COMMANDO

Castor, Pollux et Paul, le maître-nageur

Entrée de Castor et Pollux, sautant et hurlant à la manière de soldats en mission de commando. Collés dos à dos, ils gagnent le devant de la scène.

POLLUX , très tendu : Y'a quelqu'un ? (Silence) Y'a quelqu'un ? (Silence) Y'a personne...

CASTOR : C'est étrange !

POLLUX : On s’est peut-être trompé d’époque ! Les humains n’ont pas encore fait leur apparition.

CASTOR : Mais si ! J’ai vérifié : nous sommes deux mille ans après Jésus-Christ !

POLLUX : Après Jésus-Christ ?

CASTOR : Laisse tomber. Ca serait trop long à expliquer !

POLLUX : Alors, je recommence ! Y a quelqu'un ?

PAUL, d’une voix timide : Ben oui, y a moi !

CASTOR ET POLLUX , après un cri d'effroi et prenant la fuite : Y'a quelqu'un !!!

Castor et Pollux sortent.

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

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SCENE 2

UNE SECOURISTE BAVARDE

Paul, Huguette

PAUL : Bouh ! J'ai froid ! Je suis maître-nageur diplômé d'état et pourtant j'ai froid !

HUGUETTE , des coulisses : Hou hou ! M'sieur Paul, c'est Huguette !

PAUL : Tiens voilà Huguette, mon assistante !

Entrée d'Huguette portant une trousse d'infirmière, un tabouret et un coussin. Tout en parlant, elle place son tabouret au pied de la chaise du maître-nageur, y pose le coussin et s'assoit.

HUGUETTE : Faites excuse, m'sieur Paul, j'suis un peu en retard, mais si vous saviez, vous comprendriez que ce n’est vraiment pas de la mauvaise volonté de ma part, vraiment pas. Même au contraire !

PAUL : Ne vous en faites pas, Huguette, y a pas de mal.

HUGUETTE : C'est que je pensais à vous, monsieur Paul. Je me disais: "Pauvre monsieur Paul, il doit être déjà sur sa petite chaise, tout seul ! Il débute, c’est son premier poste et je ne suis même pas là pour l'éclairer de mon expérience épaisse..."

PAUL : De votre expérience épaisse ?

HUGUETTE : C'est une expression de chez nous: ça veut dire très grande expérience !

PAUL : Ah ! D’accord !

HUGUETTE : Enfin tout ça pour dire que si vous saviez, vous compatisseriez.

PAUL : Certainement, Huguette.

HUGUETTE : Vous allez voir ! C’était hier au soir; eh bien, je suis allée à la crêperie !

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

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PAUL, après un temps de réflexion : Mais c'est super, Huguette !

HUGUETTE : Oui, vous savez, la crêperie de Kerleeven, route de Douarnenez, chez Marcelle. J'étais avec mon amie Sylvette.

PAUL : Et alors ?

HUGUETTE : J'vais vous apprendre une sacrée nouvelle: la crêpière, Marcelle, eh bien elle a tourné zinzin. Madoué ! Elle faisait voler les crêpes dans sa salle à manger. Y'avait des clients qu'étaient pas fiers ! Moi, j'en ai reçu trois ; mon amie Sylvette quatre, dont une aux fruits de mer; et ça, ça fait mal, vous pouvez me croire; il vaut mieux recevoir en pleine goule une crêpe à la compote qu'une crêpe aux fruits de mer, c'est moi qui vous le dis.

PAUL : Vous avez sans doute raison, Huguette.

HUGUETTE : Enfin, on voyait bien qu'elle n'était pas dans son assiette, Marcelle. Alors je me lève et je lui dis: "Madame Marcelle, vous avez l'air contrarié !"

PAUL : Qu'est-ce qu'elle a répondu ?

HUGUETTE : Rien du tout mais elle m'a lancé sa poêle; j'me baisse et v'lan, c'est mon amie Sylvette qui la reçoit, la poêle. Sur le nez ! Alors que tout le monde sait que mon amie Sylvette a le nez fragile. Y'avait du sang partout ! Enfin mon amie Sylvette, elle a le nez fragile mais elle a aussi le sens de l'humour. Elle dit à Marcelle: "C'est pour la caméra cachée ?" Nous, ça nous a fait rigoler; mais c'est à ce moment-là que madame Marcelle a commencé à faire voler les bouteilles de cidre. Alors là, on a trouvé qu'elle exagérait et on est sorties...On savait que ça n'allait pas fort dans son ménage mais c'est tout de même pas des façons, vous ne trouvez pas, monsieur Paul ?

PAUL : C'est sûr, c'est sûr, c'est des petites bêtises comme ça qui font perdre la clientèle.

HUGUETTE : Enfin, ce matin Sylvette me téléphone: elle est à l'hôpital, son nez est complètement à refaire. La pauvre, on peut dire qu'elle aura eu du tracas avec son nez. Je suis donc passée la voir d'où mon retard, monsieur Paul.

PAUL : Vous avez bien fait. Mais faut pas vous inquiéter, Huguette, vous savez, des crêpes à travers la gueule, ça peut pas faire de mal.

HUGUETTE : Vous oubliez la poêle, M'sieur Paul.

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

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PAUL : Ah c'est vrai, j'oubliais la poêle !

Paul et Huguette scrutent l'horizon à travers leurs jumelles.

SCENE 3

UNE FAMILLE RESPECTABLE

Valéry, Agathe, Jeanne-Coline et Henri-Didier.

Entrée de la famille en tenue de plage 1910; la mère et les deux enfants puis, derrière, le père portant les sacs et deux transats

AGATHE : Jeanne-Coline, donne-moi la main: tu risques de t'égarer...Allez, en avant, en avant. Henri-Didier, on ne met pas ses doigts dans la bouche. Tenez, installons-nous près de monsieur le sauveteur. Les enfants, dites bonjour à monsieur le sauveteur !

JEANNE-COLINE : Bonjour, monsieur.

HENRI-DIDIER : Bonjour, monsieur.

Pas de réponse.

AGATHE : Monsieur le sauveteur est absorbé par sa lourde tâche. Allons, les enfants, installons-nous. (à son mari) Valéry, vous traînez ! (à sa fille) Jeanne-Coline, ne déboutonne pas ton gilet: le mois d'août est la saison des angines.

Pendant toute la scène, Valéry s'efforce de déplier son transat qui lui résiste.

JEANNE-COLINE : Mais j'ai très chaud, maman !

AGATHE : Tu crois avoir chaud mais en réalité tu as froid.

JEANNE-COLINE : Oui, maman.

AGATHE : Henri-Didier, je te prie de garder tes chaussettes. Dans le sable, il faut toujours garder ses chaussettes. Veux-tu attraper de gros champignons entre les orteils ?

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 17

Pas de réponse

AGATHE : Henri-Didier, je t'ai posé une question.

HENRI-DIDIER : J'n'ai pas entendu la question, maman.

AGATHE : Je te demandais si tu souhaitais attraper de gros champignons entre les orteils.

HENRI-DIDIER : Non, maman.

AGATHE : Il faut donc, mon enfant, conserver tes chaussettes et ne t'en séparer sous aucun prétexte.

HENRI-DIDIER : Oui, maman.

AGATHE : Valéry, quand comprendrez-vous que, sur la plage, vous devez retirer votre cravate ? Soyez moderne, que diable ! Tenez, apprenez que même notre ami Hubert Morand-Chamon ne la porte plus sur la plage depuis l'été dernier. Et vous savez combien Hubert est collé-monté !

VALERY : Mais...

AGATHE : Ne protestez pas, c'est la vérité. C'est sa femme, elle-même, qui me l'a avoué.

VALERY : Mais, ma chère Agathe, c'est vous qui avez toujours obstinément refusé que j'ôte ma cravate...

AGATHE : Eh bien, on évolue ! Il faut savoir vivre avec son temps et à l'aube du XXIème siècle, la cravate à la plage...

VALERY : Bien, Agathe.

AGATHE : Voilà, mes enfants, nous sommes en vacances, à la mer. Jouissez, jouissez de cet instant merveilleux, mais jouissez raisonnablement; un accident est si vite arrivé ! (regardant son mari) Mon ami, vous semblez accablé... VALERY, qui est enfin installé très inconfortablement dans un transat sans forme : Par le bonheur, Agathe, par le bonheur.

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 18

SCENE 4

UNE EDUCATRICE COMPREHENSIVE

Marie-Jo, Valéry, Agathe, Jeanne-Coline et Henri-Didier

Entrée de Marie-Jo qui s'installe près de la famille.

AGATHE, aux enfants : Dites bonjour à la dame !

JEANNE-COLINE : Bonjour, madame !

HENRI-DIDIER , voix très rauque : Bonjour, madame !

Henri-Didier restera la bouche ouverte et les yeux fixés sur Marie-Jo.

AGATHE, hochant la tête et articulant comme si Marie-Jo se trouvait loin d'eux : Le soleil est encore un peu discret !

MARIE-JO, même jeu : Le soleil est encore un peu discret !

AGATHE : C'est une plage très tranquille !

MARIE-JO : Très tranquille !

AGATHE : Et en plus il y a des mouettes !

MARIE-JO : On en a de la veine !

AGATHE, à son fils : Henri-Didier, on ne regarde pas ainsi les dames, surtout sur la plage: c'est comme ça qu'on attrape des maladies. Un honnête garçon doit regarder les dames comme il regarderait sa mère. N'est-ce pas, Valéry, que vous avez toujours regardé les dames comme vous regardiez votre mère ?

VALERY : Hélas oui !

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 19

AGATHE : Que dites-vous ?

VALERY : Je disais que vous étiez merveilleuse, Agathe.

MARIE-JO : Laissez, laissez madame, c'est de son âge. Vous savez, j'ai l'habitude des enfants: je suis éducatrice spécialisée. Comment tu t'appelles ?

HENRI-DIDIER : Henri-Didier !

MARIE-JO : Eh bien moi, je m'appelle Marie-Jo. Dis-moi, Henri-Didier, tu aimes me regarder ?

HENRI-DIDIER : Oh oui !

MARIE-JO : Tu me trouves belle ?

HENRI-DIDIER : Très belle !

MARIE-JO : Puisque tu es un gentil garçon, je vais te faire un petit cadeau. Est-ce qu'il y a quelque chose que t'aimerais vraiment voir ? Allez demande !

HENRI-DIDIER : Alors, Marie-Jo, j'aimerais bien voir, si c'est possible bien entendu, j'aimerais bien voir vos...

AGATHE, assommant son fils d'une gifle : Henri-Didier !

HENRI-DIDIER : Vos yeux ! J’aimerais bien voir vos yeux !

AGATHE : Petit sournois ! Déjà pourri par le vice et il n'a que seize ans !

HENRI-DIDIER : dix-sept ans, maman !

AGATHE : Veux-tu te taire, petit insolent ! Aide plutôt ta sœur à faire son château !

JEANNE-COLINE : C'est le château de la belle au bois dormant, maman ! AGATHE : C'est bien ma chérie, mais attention à ta robe !

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

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JEANNE-COLINE : Oui, maman, j'y fais très attention et à mes sandales-z-aussi !

AGATHE : Ah ! Dix-huit ans et encore si candide, si pure ! (à Marie-Jo) Quant à vous, Mademoiselle la dépravée, je vous prierai de laisser en paix une honnête famille française qui n'a que faire de vos exhibitions ! Madame votre mère doit avoir bien honte !

MARIE-JO : Mais, Madame, je voulais simplement faire plaisir. Il avait l'air d'en avoir tellement envie que j'ai eu pitié !

AGATHE : Vous allez me dire aussi que c'est dans un but humanitaire que vous montrez vos fesses ? Eh bien, mademoiselle, dispensez-nous de votre générosité : nous n'avons vraiment besoin de rien...

Entre le garde-côte qui traverse toute la scène.

JEANNE-COLINE, qui s'est levée et qui agite frénétiquement les bras : Maman, maman, le garde-côte, le garde-côte ! Oh hé ! Oh hé ! Du bateau !

AGATHE : Ne t'excite pas comme ça, Jeanne-Coline, tu es toute rouge; c'est comme ça qu'on attrape du mal.

JEANNE-COLINE : Oui, maman, mais je suis si contente de voir passer le garde-côte !

AGATHE : C'est tout naturel, ma chérie, moi aussi, à ton âge j'aimais voir passer le garde-côte mais ton contentement doit rester intérieur sinon il peut causer des bouleversements physiologiques aux conséquences bien fâcheuses. Tiens, ton grand-oncle Amédée de La Roche Fertile était toujours gai et bien il est mort prématurément, l'organisme épuisé par la joie.

JEANNE-COLINE : C'est promis, maman, je ferai attention....

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

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SCENE 5

LES DEUX CELIBATAIRES

Nicole, Geneviève et un homme en tenue de plongée

GENEVIEVE, des coulisses : Attention, Nicole !

NICOLE, en ricanant : Oui, Geneviève !

GENEVIEVE : Un, deux, trois !

Entrée de Nicole et de Geneviève ; démarche de mannequins défilant ; maillots de bain et accessoires couleur fluo.

NICOLE, sautillant subitement : Oh, la, la ! Il est saud le chable !

GENEVIEVE, qui s’est immobilisée : On est au mois d'août, Nicole !

NICOLE : Tu as raison, Geneviève; j'ai moins mal, déjà !

GENEVIEVE : Bon, on recommence.

NICOLE : Oui, Geneviève !

GENEVIEVE : Un, deux, trois.

Nicole prend la direction opposée à celle prise par Geneviève et va se plaquer contre la chaise du maître-nageur. Bien qu'immobilisée, elle poursuit sa démarche aux déhanchements outrés.

NICOLE, inquiète : Geneviève !

GENEVIEVE, qui s'est retournée : Oui, Nicole !

NICOLE : Y'aurait pas quelque chose devant ?

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 22

GENEVIEVE : Nicole, tu n'aurais pas oublié tes lentilles au camping ?

NICOLE , qui se retourne en ricanant et rejoint sa camarade : Mais oui ! Qu’est-ce que je suis tête en l’air ! (redevenant sérieuse) Excuse-moi, Geneviève.

GENEVIEVE : Bon, Nicole. Si tu as l'intention de recommencer tes conneries de Pornichet, on aurait peut-être intérêt à rentrer tout de suite à Poitiers.

NICOLE : Oh, Geneviève ! Les conneries de Pornichet, y a longtemps que j'ai fait une croix dessus. Je ne suis plus la même femme à présent !

GENEVIEVE : Je te fais confiance, Nicole. On reprend: un, deux, trois.

Les deux personnages arrivent sur le devant de la scène, se figent dos à dos, le regard tourné vers le public.

NICOLE, en ricanant : Geneviève !

GENEVIEVE : Oui, Nicole.

NICOLE : Ca marche ! Y a un gars qui nous regarde !

GENEVIEVE : Nicole, ce n'est pas un gars, c'est un toboggan.

NICOLE : Ah ? C'est un peu décevant, hein ! Geneviève, on s'assoit où ?

GENEVIEVE, montrant du doigt deux transats libres : Tiens, là-bas.

Elles déplient leur serviette et s'installent.

NICOLE : Y a des gars, Geneviève ?

GENEVIEVE : Bien, pour l'instant, je dirai que sur la plage, les gars sont aussi nombreux que les éléphants nains du Bengale.

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 23

NICOLE : Ah bon !? Y a des éléphants nains du Bengale sur la plage ? C'est tout de même curieux, tu ne trouves pas Geneviève ?

GENEVIEVE : Nicole, je faisais de l'esprit. Je voulais dire qu'il n'y a pas de gars sur la plage.

NICOLE : Ah zut ! Pourtant, sur le dépliant, ils étaient formels: c'est une plage où on fait de merveilleuses rencontres, une plage où règnent la convivialité et la bonne humeur, une plage où la solitude n'existe pas.

GENEVIEVE : Eh bien, tu vois, Nicole, en cinq minutes, t'as déjà rencontré un toboggan et une chaise: c'est un bon départ ; et puis avec la chance que t’as, je suis sûre que dans deux minutes un pédalo va venir te faire la bise...

NICOLE, indignée : Geneviève, je ne voudrais pas te blesser, mais j'ai parfois l'impression que tu te moques de moi.

GENEVIEVE : Comment oses-tu proférer une telle monstruosité ? Tu es ma meilleure amie et j'apprécie ta simplicité. Seulement parfois, j'aime faire de l'esprit. Tu comprends ?

NICOLE : Oui. Excuse-moi, Geneviève de t'avoir si injustement accusée...

Entre un homme portant maillot de bain ridicule, palmes, masque et tuba ; démarche lourde et gestes embarrassés.

GENEVIEVE : Chut ! Voilà un gars !

Elles prennent la pose.

NICOLE : Où ça ?

GENEVIEVE : Il vient sur notre gauche.

NICOLE : Oh la la ! Et moi qu'ai pas mes lentilles ! Comment il est ? Dis-moi vite, je t'en supplie...

GENEVIEVE : Il est...Il est...ton genre, si tu vois ce que je veux dire...

NICOLE : Oh oui ! Je vois ! Il est si beau que ça ?

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

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GENEVIEVE : Un peu plus que ça même.

NICOLE : Qu'est ce qu'il fait ?

L'homme s'est arrêté en face de Nicole et Geneviève; il observe très attentivement ses palmes.

GENEVIEVE : Il s'est arrêté près de nous...

NICOLE : SUPER ! Il nous a vues !

GENEVIEVE : Je ne crois pas non...

NICOLE : De quelle couleur sont ses yeux ?

GENEVIEVE : Bien, c'est difficile à dire...il porte un masque.

NICOLE : Ah bon ! Comme Zorro ??

GENEVIEVE : Non plutôt comme Cousteau mais en moins prétentieux.

L'homme s'assoit et frotte vigoureusement une palme puis l'autre.

NICOLE : Mais maintenant que fait-il ?

GENEVIEVE : J'ai l'impression, mais je peux me tromper, j'ai l'impression qu'il se récure les palmes.

NICOLE : Il se récure les palmes ?? Mais c'est dégoûtant !

GENEVIEVE : Oui, assez...Ca y est, il a fini...il va vers la mer.

L'homme sort.

NICOLE : Bon débarras; quel toupet: venir se récurer les palmes sous notre nez ! Tu vois,

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 25

Geneviève, je préfère encore le toboggan: c'est plus propre.

GENEVIEVE : Le toboggan, plus propre ?

NICOLE : J'essayais de faire de l'esprit, Geneviève.

GENEVIEVE : Tu es simple, Nicole: c'est une qualité rare et précieuse que tu ne dois pas gâcher en essayant vainement de m'imiter.

NICOLE : Tu as raison, Geneviève, je suis simple et toi tu es spirituelle, c'est pour cela que nous nous entendons si bien...

GENEVIEVE : Tu as tout compris, Nicole. Passe-moi l'huile.

NICOLE : L'huile de vidange ? Hi, hi, hi, hi....

GENEVIEVE : NICOLE !

NICOLE : Excuse-moi, j'avais déjà oublié....

Passe un voilier.

SCENE 6

LE COMMERCANT HONNETE ET LE DELINQUANT

le marchand de glaces et un petit garçon

Entrée du marchand de glaces, glacière à l'épaule.

LE MARCHAND DE GLACES : Glaces, glaces ! A la bonne glace ! Bâtonnets et cornets ! Crème et sorbet ! Glaces, glaces ! A la bonne glace ! Bâtonnets et cornets ! Crème et sorbet ! Glaces, glaces ! A la bonne glace !

Entre un tout petit garçon qui se dirige vers le marchand de glaces.

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

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LE MARCHAND DE GLACES : Bonjour, mon petit mignon. Alors qu'est-ce qu'il veut, le petit mignon: une grosse glace à la fraise, à la vanille avec des cacahouètes dessus ? Miam miam, il va se régaler le petit bout de chou. Mais d'abord il va me montrer tous les sousous que lui a donnés sa gentille maman.

L'enfant prend un air triste et tend timidement ses mains: il n'a pas d'argent.

LE MARCHAND DE GLACES, changeant de ton : T'as pas de sous ?? Tire-toi p'tit con ! Tire-toi tout de suite !

L'enfant s'enfuit.

LE MARCHAND DE GLACES : Et que je te recroise plus dans le coin sinon gare à tes fesses ! J’appelle la police, moi ! Voyou ! Fils de pauvre ! (au public) Moi, quand on m’agresse, je fais front et je me défends ! (sortant) Glaces, glaces ! A la bonne glace ! Bâtonnets et cornets ! Crème et sorbet ! Glaces, glaces ! A la bonne glace !...

SCENE 7

PREMIERE LECON DE METAPHYSIQUE

Nicole, Geneviève, Castor et Pollux

Entrée de Castor et Pollux déguisés en vacanciers: de leur costume d'origine, ils n'ont conservé que le casque.

CASTOR : Pollux, tu crois qu'on a bien fait de s'habiller comme ça ?

POLLUX : Mais oui, ça fait couleur locale. Regarde-les !

CASTOR : T'as beau dire: je ne me sens pas très à l'aise.

NICOLE, apercevant les deux guerriers qui marchent dans leur direction : Hé, Geneviève, regarde les deux mecs ! Comment ils sont ?

GENEVIEVE : Ils ne sont pas mal, pas mal du tout. Vite, prenons une pose naturelle !

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 27

Les deux amies se figent en une attitude maniérée et feignent de ne pas voir Castor et Pollux qui se sont arrêtés devant elles et qui leur sourient.

CASTOR : Bonjour !

POLLUX : Nous sommes des Olympiens et nous voudrions vous poser une question un peu intime.

NICOLE : Eh bien, essayez toujours !

POLLUX : Alors voilà, nous aimerions savoir ce qu'est la mort.

NICOLE , à Geneviève : Ah, c'est pas vrai ! Encore des qui font une dépression !

GENEVIEVE : Non, Nicole, ce sont des intellectuels.

NICOLE : T'es sûre ?

GENEVIEVE : On joue le jeu, on assure.

NICOLE, pas convaincue : Bon, la mort, c'est après la vie.

GENEVIEVE : Ouah, c'est bien, Nicole !

NICOLE : Quand on ne vit plus, on meurt.

GENEVIEVE : Voilà.

CASTOR : Ah bon ?

NICOLE : Oui, c'est sûr !

POLLUX : Bien, bien...

NICOLE : Et donc un jour on meurt.

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

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POLLUX : Oui, mais quand ?

NICOLE : Bien, un jour. (à Geneviève) Vas-y,-toi ! Moi, je ne sais plus quoi leur dire à ces mecs-là !

GENEVIEVE : Pendant la vie, on vit.

POLLUX : Ah ! Mais alors pendant la mort, on meurt.

NICOLE : Ben non ! Ca, on ne sait pas.

GENEVIEVE, à Nicole : Ben si, on est mort.

NICOLE : Ah ben non, on ne sait pas. Ca dépend des opinions. Y en a qui pensent ça et d'autres qui pensent pas ça : ça dépend des opinions.

GENEVIEVE, à Nicole : Qu'est-ce que tu veux dire par là ? Je ne te suis plus...

NICOLE, déstabilisée : Je ne sais pas, moi. Arrête de m'agresser comme ça !

POLLUX : Comment on le sait qu'on est mort ?

GENEVIEVE : On est sûr qu'on est mort mais on ne s'en rend pas compte.

POLLUX : On n'est pas sûr alors ?

NICOLE : Ben si puisqu'on ne respire plus.

CASTOR, se bouchant le nez : Ah ! Alors quand je fais ça, je suis mort. Hé, Pollux, je suis mort !

POLLUX : Je vois.

CASTOR : Vas-y, essaie, c'est bien.

POLLUX, se bouchant le nez : Comme ça ?

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

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CASTOR : Ouais comme ça.

POLLUX, hilare : Ah ouais, t'as raison, moi aussi je suis mort.

NICOLE : Mais ils ne sont pas bien, eux ! (à Geneviève) Tu es sûre que ce sont des intellectuels ?

CASTOR ET POLLUX, à genoux, les yeux levés vers le ciel : O Zeus ! Te voilà sauver, nous avons trouvé le secret des mortels !

GENEVIEVE : Ca sert à rien de vous exciter comme ça car en général, avant de mourir, il faut vieillir.

NICOLE : Tout à fait, il faut devenir vieux, pas toujours, mais souvent.

POLLUX : C'est quoi, «vieux » ?

NICOLE : C'est le contraire de "jeune".

GENEVIEVE, montrant du doigt Agathe : C'est la fin de la vie; on est tout fripé...comme la dame là-bas !

CASTOR : Et comment on fait pour être dans cet état là ?

NICOLE : Eh bien...Eh bien...on attend !

POLLUX : Alors vas-y Castor, attends la mort.

CASTOR : J'attends la mort.

GENEVIEVE : De toute façon, ce n'est pas vous qui décidez de l'instant de votre mort. Et puis on meurt vraiment à tout âge. Vous, vous avez quel âge, par exemple ?

POLLUX : Je ne sais pas: je suis immortel !

NICOLE : Oh la la, laisse tomber, Geneviève, j'ai compris: ce sont des drogués !

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

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SCENE 8

LE COURS DE GYMNASTIQUE

Macha, professeur de gymnastique, Agathe, Valéry, Henri-Didier, Huguette, Geneviève, Nicole, Marie-Jo, Castor et Pollux

Trois coups de sifflet et entrée en courant de Macha

MACHA, sautillant : Bonjour, mes chers amis, je m'appelle Macha et je suis monitrice de la F.N.S.P., Fédération Nationale des Sports de Plage dont vous connaissez tous le célèbre slogan: "du tonus ! Du tonus ! Et du tonus !". Je suis chargée par le syndicat d'initiative de faire faire chaque matin quelques mouvements de gymnastique à nos très sympathiques estivants qui retrouveront ainsi santé et dynamisme ! Allez, messieurs-dames, debout !

Se lèvent et se placent sur une seule ligne, derrière Macha: Huguette, Geneviève, Nicole, Marie-Jo, Castor et Pollux.

AGATHE : Allez-y, Valéry; cela vous fera le plus grand bien. Et je suis sûre que parmi toutes ces personnes il y a des gens très bien que nous aurons plaisir à connaître et à retrouver.

VALERY : Il n'en est pas question: je n'ai aucun goût pour ces exhibitions.

AGATHE : Un peu de simplicité ! Vous savez que depuis quelque temps, vous avez une fâcheuse tendance à l'empâtement. (haussant la voix) Et puis entre nous, je puis vous dire que vous empâtez de partout, de partout !

VALERY, se levant : C'était entre nous...Bon, pour vous être agréable mais (très bas) ça me fait rudement chier !

AGATHE : Que dites-vous ?

VALERY : Rien, rien, j'ai rien dit.

HENRI-DIDIER : Papa a dit: "Ca me fait rudement chier."

VALERY : J'ai dit: "Ca me fait rudement mal aux pieds." mais comme j'y vais c'est comme si j'avais rien dit du tout.

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

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AGATHE : Allez, allez, Valéry; toute votre petite famille vous regarde !

Valéry se place près de Marie-Jo.

MACHA : Débutons par une petite foulée... On se remue un peu, c'est mou, c'est mou !... Bien, maintenant on lance les genoux haut, haut et on essaie de toucher la poitrine. Cet exercice est particulièrement indiqué pour vous mesdames: cela fait remonter la cellulite tout le long du corps et elle se disperse harmonieusement dans les cellules superficielles de l'épiderme...Cela a été prouvé scientifiquement par des tests effectués en clinique...Fin de l'exercice !...On se relaxe un peu...Vous savez, mesdames, moi aussi j'étais comme vous avant.

NICOLE, s'immobilise, se regarde puis regarde Geneviève : Ben, qu'est-ce qu'on a, nous ? (puis regardant Huguette) Ben, elle, d'accord, enfin nous, quand même !

GENEVIEVE : On n'est tout de même pas venues en vacances pour se faire insulter par une poupée Barbie !

MACHA : Reprenons le slogan tous en chœur: du tonus !

TOUS LES AUTRES : Du tonus !

MACHA : Du tonus !

TOUS LES AUTRES : Du tonus !

MACHA : Et du tonus !

TOUS LES AUTRES : Et du tonus !

MACHA : Et maintenant quelques mouvements de respiration : on étire bien les bras, on essaie d'atteindre le ciel, on inspire et on expire ! On inspire et on expire !

Pour faire rire Paul, Huguette étire les bras et se met à danser le flamenco. Tous les autres personnages la regardent, médusés.

MACHA : Huguette, si vous continuez à faire ainsi le pitre je me plaindrai auprès de monsieur le Maire.

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 32

HUGUETTE : Non, s'il vous plaît, Macha, pas monsieur le Maire ! Voilà, j'expire, j'inspire, j'expire, j'inspire, j'expire, j'inspire...

MACHA : Et reprenons le slogan tous en chœur: du tonus !

TOUS LES AUTRES : Du tonus !

MACHA : Du tonus !

TOUS LES AUTRES : Du tonus !

MACHA : Et du tonus !

TOUS LES AUTRES : Et du tonus !

MACHA : Nous sommes bien échauffés, nous pouvons faire quelques petits mouvements faciles: vous choisissez un partenaire ou une partenaire et vous suivez bien ce que je vais faire ! (à Castor) Tenez, monsieur, approchez.

CASTOR : Pourquoi moi ?

POLLUX, poussant brutalement son compagnon vers Macha : Et pourquoi pas ?

MACHA : Comment il s'appelle, le monsieur ?

CASTOR, tout bas : Castor.

MACHA : Je n'ai pas entendu.

POLLUX, très fort : Castor !

MACHA : Monsieur est donc Canadien ! Félicitations ! Les Canadiens sont nos amis !

MARIE-JO : Venez avec moi, Valéry. Vous ne le regretterez pas !

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

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VALERY : Je ne sais si...

MARIE-JO : Allons, le petit incident de tout à l'heure est déjà oublié.

VALERY : Ma femme...

MARIE-JO : Elle aussi, oubliez-la !

VALERY : Tout de même...

Trois couples se forment tandis que Pollux et Huguette restent sur le côté en observateurs. On suit fidèlement les instructions de Macha qui agit avec une extrême brutalité.

MACHA : Bon, l'un des partenaires est à genoux, la tête baissée et l'autre se place derrière lui.

HUGUETTE, se tournant vers le maître-nageur toujours à son poste : Hé, monsieur Paul, il faut prendre son partenaire par derrière. Ca ne vous rappelle rien ? Hi, hi, hi !

MACHA : Huguette ! Je vais...

HUGUETTE : Non, non, pas monsieur le maire, pas monsieur le maire !

MACHA : Vous lui prenez le bras gauche et vous le placez dans le dos sur une diagonale gauche-droite de telle sorte que le bout des doigts de la main gauche attrape le bout de l'oreille droite, puis vous lui prenez le bras droit et vous le placez dans le dos sur une diagonale droite-gauche de telle sorte que le bout des doigts de la main droite attrape le bout de l'oreille gauche. Insistez un peu: au début, les articulations manquent un peu de souplesse...

CASTOR, angoissé : Pollux ! Pollux !

POLLUX : Ne t'en fais pas, Castor, je suis là !

MACHA : Ensuite on place la jambe gauche sur la jambe droite et on pousse le tout. (Elle pousse brutalement Castor qui s'écrase lourdement sur le sol.) Allez ! On recommence !

Pollux rejoint Castor et tous les couples refont l’exercice. Macha va d’un groupe à l’autre pour aider, conseiller, rectifier.

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

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VALERY, qui s'agenouille devant le corps inerte de Marie-Jo : Marie-Jo, Marie-Jo, je ne vous ai pas fait mal ?

MARIE-JO : Absolument pas. Vous savez, j'ai fait pendant des années du yoga, et grâce à ça, j'ai acquis une souplesse et une musculature de panthère...Tenez, touchez mon ventre.

VALERY, qui tapote timidement le ventre de Marie-Jo : En effet, c'est impressionnant !

MARIE-JO : Et mes cuisses !

VALERY, qui effleure les cuisses de Marie-Jo : C'est incroyable ! Ca donne des frissons !

MARIE-JO : Et mes fesses, mes fesses, vous n'avez pas touchez mes fesses !

VALERY, qui retire brusquement ses mains : Merci bien, Marie-Jo, je vous crois sur parole.

MARIE-JO : Une autre fois alors, Valéry.

MACHA : Bon, c’est très bien. Reprenons notre slogan : du tonus !

TOUS LES AUTRES : Du tonus !

MACHA : Du tonus !

TOUS LES AUTRES : Du tonus !

MACHA : Et du tonus !

TOUS LES AUTRES : Et du tonus !

MACHA : Un autre tout petit exercice...A la fédération, on l'appelle le casse-noix. Venez avec moi, Monsieur Castor.

CASTOR : Pollux, ne m'abandonne pas !

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

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POLLUX, les bras croisés : N’aie pas peur ! Je fais le maximum.

MACHA, désignant Pollux : Huguette, mettez-vous avec monsieur !

POLLUX : Merde !

HUGUETTE : Chic !

MACHA : Vous allez faire exactement ce que je vous dis car l’exercice est un peu délicat. Le bras droit entoure le cou et ressort derrière la nuque. Le bras gauche entoure la taille et doit reparaître devant, à la hauteur du nombril. Allez ! Allez ! N'hésitez pas à tirer ! Ca doit venir. Enfin, les jambes doivent se croiser puis vous appuyez vigoureusement sur le dos de votre partenaire afin que le front aille rejoindre les talons qui ne doivent en aucun cas quitter le sol ! (autrement ça serait trop facile !)

NICOLE, ton très angoissé tandis que Geneviève pousse des gémissements de douleur : Madame !

MACHA : Non, Macha.

NICOLE : Macha !

MACHA : Oui ?

NICOLE : Je crois que ce n'est pas possible !

MACHA : Mais si, c'est possible, il suffit de le vouloir. Et rappelez-vous que tous ces exercices sont préconisés par la Fédération Nationale des Sports de Plage...Allez ! Ca sera tout pour aujourd'hui; chers amis je vous dis à demain et une dernière fois reprenons le slogan de la Fédé: du tonus !

TOUS LES AUTRES, épuisés : Du tonus !

MACHA : Du tonus !

TOUS LES AUTRES : Du tonus !

ACTE 1 : SOLEIL LEVANT

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MACHA : Et du tonus !

Sortie de Macha

TOUS LES AUTRES : Et du tonus !

Castor et Pollux sortent à leur tour et les autres personnages regagnent leur place à l'exception de Valéry et de Marie-Jo qui restent sur le devant de la scène.

MARIE-JO, sourire lumineux : C'était bon ! Alors demain vous referez de la gymnastique ?

VALERY, sourire lumineux : Je crois que oui...

MARIE-JO, lui prenant les mains : Valéry, jurez-moi qu'un jour, oh pas demain bien sûr, je sais que c'est encore trop tôt et je ne voudrais surtout pas vous bousculer mais tout de même jurez-moi qu'un jour prochain vous me toucherez les fesses !

VALERY : Je vous le promets, Marie-Jo, je vous le promets.

AGATHE : Valery, enfin ! Le pique-nique est servi !

Musique. Noir

FIN DU PREMIER ACTE

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 37

SCENE 1

LES CHAMPIONS

Jacky, Bernard, Nicole et Geneviève

Entrée de Jacky et de Bernard, les deux surfeurs. Jacky, le plus fluet, marche en tête. Bernard, un colosse, tourne la tête dans toutes les directions, l’air ravi.

BERNARD : Ouah ! Y'a des filles !

JACKY, montrant du doigt Nicole et Geneviève : Celle-là, on se les emballe les doigts dans le nez ! (à Nicole et à Geneviève) Salut les filles ! Comment vous vous appelez ?

GENEVIEVE : Moi, c'est Geneviève et ma copine, c'est Nicole.

NICOLE : Et vous c'est quoi vos petits noms ?

JACKY : Moi, c'est Brandon !

BERNARD : Moi, c'est Bernard !

JACKY, à son camarade : Mais non !

BERNARD : Heu...je ne m'en rappelle plus.

JACKY : Dylan !

BERNARD : Ah oui, c'est ça, Dylan !

GENEVIEVE : Vous venez d'où ?

JACKY : De très loin !

BERNARD : De Cantenay-Epinard, dans le Maine-et-Loire !

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 38

JACKY, à Bernard : Ce sont des détails qui n'intéressent pas ces demoiselles.

BERNARD : P'têt que si que ça les intéresse !

GENEVIEVE : Bien sûr !

NICOLE : Ca nous intéresse drôlement !

BERNARD : Ah ! Tu vois. (aux deux filles) On est les célèbres frères Fouillard.

NICOLE, mine de dégoût : Fouillard !?

JACKY : M ais non, il voulait dire les frères Jackson du Miami-Club.

BERNARD : Le Miami-Club de Cantenay-Epinard dans le Maine-et-Loire !

JACKY : On vient participer aux championnats internationaux de surf qui se dérouleront cet après-midi.

GENEVIEVE : Et vous avez des chances de gagner ?

JACKY : Pas mal: on est vice-champions du Maine-et-Loire de surf acrobatique en double.

BERNARD : De surf acrobatique en double et en piscine !

NICOLE : En piscine !

BERNARD : A Cantenay-Epinard, il n-y a pas la mer !

NICOLE : Vous n'avez jamais essayé en mer avec des vagues pour de vrai ??

BERNARD : Ah ça non !

JACKY, à Bernard : Mais si l'été dernier à Noirmoutier.

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 39

BERNARD : Ca va pas !? L'été dernier on ne faisait pas encore de surf.

JACKY : J'ai honte !

GENEVIEVE : Vous allez quand même pouvoir nous faire une petite démonstration ?

JACKY : Volontiers ! On va vous montrer ce qu'on a préparé pour cet après-midi. La chorégraphie est de notre entraîneur, monsieur Tachin. C'est une chouette de chorégraphie !

BERNARD : Monsieur Tachin, il a toujours de bonnes idées.

JACKY : Pour que vous puissiez bien vous rendre compte, on va le faire devant vous, sur le sable parce que la mer est encore loin.

NICOLE : C'est gentil !

Ils posent leur planche et se mettent en position.

JACKY : Alors comme on dit en Australie, let's go !

Sur de la musique hawaïenne, ils présentent une série de mouvements ridicules. La musique s'interrompt brusquement.

JACKY : Alors, ça vous a plu ?

NICOLE : RIN-GARD !

BERNARD : Mais c'est pas possible, puisque c'est monsieur Tachin qui nous a entrainés !

GENEVIEVE : Complètement RIN-GARD !

JACKY : On laisse tomber, Dylan. Ces pauvres filles, elles ne comprennent rien à l'art ! Allons plutôt nous entraîner !

BERNARD : Analphabètes !

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

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Jacky et Bernard sortent.

SCENE 2

LE CALME AVANT LA TEMPÊTE

Paul, Huguette, Agathe, Valéry, Henri-Didier, Jeanne-Coline, Geneviève, Nicole et Marie-Jo

Geneviève et Nicole jouent au ballon ; Jeanne-Coline et Henri-Didier finissent la construction de leur château de sable ; Agathe tricote une écharpe ; Valéry et Marie-Jo échangent des regards langoureux.

AGATHE, à ses enfants : Allez, c'est l'heure du bain: courez vous changer les enfants. Mettez vos maillots mais surtout gardez vos pieds bien couverts !

Les deux enfants sortent en se chamaillant.

AGATHE, à son mari : Valéry, vous n’accompagnez pas les enfants ?

VALERY, qui prend le journal : Non, je lis le journal !

PAUL, scrutant la mer avec ses jumelles : Huguette, cette plage est la plage la plus sûre de France et c'est grâce à nous deux; grâce à notre vigilance conjointe.

HUGUETTE : Oh ! M'sieur Paul, c'est surtout grâce à vous: toutes les plages ne sont pas surveillées par un maître-nageur diplômé d'état comme vous.

PAUL : Ca, c'est vrai, ma p'tite Huguette, c'est vrai. Ils ont de la chance, nos touristes !

GENEVIEVE : Qu'est ce qu'il fait chaud !

NICOLE : On va revenir au bureau toutes noires: c'est Josiane qui va en faire une tête.

GENEVIEVE : Ah ! Cette pauvre Josiane ! Elle n'a vraiment pas de chance: elle qui était si fière de nous annoncer qu'elle avait remporté le premier prix du concours "Découvrez la France". Quand elle a su qu'elle avait gagné un séjour de deux semaines tous frais payés en Meurthe-et-Moselle, j'ai cru qu'elle allait avoir une crise d'épilepsie. Enfin, heureusement, sa mère a accepté de l'accompagner : à deux, l'épreuve sera moins terrible.

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 41

NICOLE : On pourrait lui envoyer une carte.

GENEVIEVE : Un peu de tact, Nicole.

PAUL : Huguette, je suis diplômé d'état mais j'ai quand même un doute: vous savez vous comment on reconnaît un noyé ?

HUGUETTE : Mais c'est pas difficile, m'sieur Paul. A la couleur, on le reconnaît, le noyé.

PAUL : A la couleur ?

HUGUETTE : Un noyé prend les couleurs de l’arc-en-ciel !

PAUL : Les couleurs de l’arc-en-ciel ?

HUGUETTE : Sur une mer bleue, ça permet de le repérer tout de suite !

PAUL : C’est pratique !

HUGUETTE : Alors, ne vous inquiétez pas, Monsieur Paul ! S’il y a un noyé quelque part, on ne le loupera pas ! De toute façon, sur cette plage, les touristes, ils sont raisonnables : ils ne se baignent pas ! C’est curieux, d’ailleurs…

PAUL : S’ils ne se baignent pas, c’est qu’ils ont lu le panneau que j’ai mis à l’entrée de la plage !

HUGUETTE : Quel panneau ?

PAUL : Une idée à moi. Sur le panneau, j’ai écrit : « Baignade Interdite ». Comme ça, on est tranquilles !

HUGUETTE : Hein ? Mais c’est pas possible : la mer est d’huile, le temps est splendide ! On est au mois d’août !

PAUL : Et alors ? On ne vous a jamais dit qu’il y avait plus de noyés en été qu’en hiver ?

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 42

HUGUETTE : Si…

PAUL : Alors moi, j’applique le principe de précaution !

HUGUETTE : Mais…

PAUL : Il n’y a pas de « mais » !

HUGUETTE : Si Monsieur le Maire l’apprend, je ne suis pas sûre que ça lui plaise beaucoup !

PAUL : Ici, c’est qui le maître-nageur diplômé d’état : c’est Monsieur le Maire ou c’est moi ?

HUGUETTE : C’est vous, Monsieur Paul !

PAUL : Alors, Huguette, je vous prierais de ne plus discuter ma manière de diriger cette plage !

HUGUETTE : Bien, Monsieur Paul.

SCENE 3

REBELLION

Paul, Huguette, Agathe, Valéry, Henri-Didier,

Jeanne-Coline, Geneviève, Nicole, et Marie-Jo

Retour des enfants qui se dirigent vers la mer.

PAUL, qui se lève, sifflet à la bouche : Mais, ils vont où, ces deux crachats desséchés?

AGATHE : Ces deux crachats sont mes enfants, mon ami !

PAUL : Je compatis sincèrement, madame, mais dites-moi où ils courent comme ça ?

AGATHE : Ben, ils vont se baigner, bien sûr ! Quelle question !

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 43

PAUL : Vous entendez ça, Huguette ? "Ils vont se baigner", on aura tout entendu !

HUGUETTE : Ils n’ont pas dû lire votre panneau !

PAUL : (à Huguette) Je suis sûr qu’ils savent même pas lire, ces cochons-là ! (aux autres) Sur cette plage, on ne se baigne pas !

VALERY : Mais le drapeau est vert !

PAUL : Le drapeau est vert !!! Mais qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ? Le drapeau vert, c’est une connerie inventée par l’office du tourisme pour attirer les vacanciers. Ca ne me concerne pas ! Moi, je suis chargé de la sécurité sur cette plage : alors moi vivant, personne n'ira se baigner.

NICOLE : Hein ?

GENEVIEVE : C’est la meilleure, celle-là !

AGATHE : Mais c'est un abus de pouvoir !

PAUL : Anarchiste !

AGATHE : Vous m’insultez, monsieur. Je me doutais que les maîtres-nageurs n’étaient pas recrutés pour leur élégance et leur raffinement…

VALERY : Calmons-nous !

PAUL : Attention, madame, je suis un jeune maître-nageur sympathique mais je ne permettrai pas qu'on avilisse publiquement la corporation que j'ai l'honneur d'appartenir...

HUGUETTE : La corporation dont j'ai l'honneur d'appartenir..

MARIE-JO : Ou plutôt, la corporation à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir.

PAUL, hurlant : Je m'en fous ! Personne ne chiera sur mes bottes ! Voilà ce que je voulais dire !

HUGUETTE : Monsieur Paul, vous avez bien fait de vous exprimer. Messieurs-dames les estivants

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 44

vous ont certainement entendu. Maintenant, je vous en prie, calmez-vous !

MARIE-JO : Monsieur le maître-nageur, franchement je ne comprends pas...vous qui d'habitude êtes si gentil !

PAUL : Un maître-nageur doit savoir quand il le faut manifester son autorité.

NICOLE : Maître-nageur, maître-nageur; surveillant de baignade, oui !

GENEVIEVE : On va se plaindre au syndicat d'initiative.

HUGUETTE : Pas de scandale, pas de scandale tout cela n'est pas bien grave...

GENEVIEVE : Mais si, c'est grave ! On est venus là pour se baigner, autrement on aurait choisi la montagne.

NICOLE : A la montagne, on n'a pas le droit de se baigner et c'est normal; mais à la mer...

PAUL : Belle mentalité ! A la montagne, il y a de la discipline et c'est normal mais à la mer, c'est le foutoir, chacun fait ce qu'il veut !

MARIE-JO : Allons, monsieur Paul, ces enfants ont soif de liberté, et les vacances, c'est la liberté, et la mer, c'est la liberté; alors, au nom de la liberté, rendez la mer à ces enfants. Auriez-vous le cœur assez dur pour priver les petits oiseaux de l'air pur dont ils ont besoin ? Non, bien sûr. Eh bien ces enfants, ce sont de petits oiseaux, de petits oiseaux qui de leur faible voix vous crient: soyez bon, monsieur le maître-nageur !

NICOLE ET GENEVIEVE : Bravo ! Bravo !

HUGUETTE : C'est tout de même émouvant.

PAUL, à Huguette : Ne vous laissez pas attendrir, Huguette ! (à l'ensemble des personnages) Aujourd'hui, je laisse ces deux enfants se baigner; demain, c'est par milliers que les noyés s'échoueront sur notre rivage. Voulez-vous que notre belle plage devienne la Plage de la Désolation?

VALERY, effrayé : Non !

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 45

AGATHE , à Valéry : Mais, taisez-vous !

PAUL : Alors, sachez que c'est avec la conscience du devoir accompli que je réprimerai impitoyablement toute tentative de baignade !

AGATHE : Vous n'êtes qu'un despote sans cœur, cruel et sanguinaire !

NICOLE : Fasciste !

PAUL : Protestez, protestez, je ne céderai pas !

MARIE-JO : On pourrait faire une grève de la faim ?

GENEVIEVE : Ben voyons ! On pourrait aussi s'immoler par le feu; ça serait encore plus frappant.

NICOLE : Ce qu'il faut faire, c'est l'abattre !

VALERY : Pas de violence ! Je vous en prie !

HUGUETTE : Du calme, du calme ! On doit pouvoir s'entendre...

PAUL : C'est une émeute, Huguette, une émeute: encore un mot et je fais évacuer la plage !

Sifflets et cris de protestation

VALERY : Arrêtez ! Je vous en prie ! Ecoutez-moi ! Ca ne sert à rien de se révolter ! Monsieur le Maître-nageur est ici le représentant de l’ordre et à ce titre, nous ne pouvons nous opposer à lui sans risquer de lourdes sanctions prévues par le code pénal ! Voulez-vous terminer vos vacances en prison ?

GENEVIEVE ET NICOLE : Non !

VALERY : Alors retrouvons notre sang-froid ! (à Paul) Nous vous avons compris, Monsieur le maître-nageur ! Revenez les enfants ! Il n’y aura pas de baignade aujourd’hui.

PAUL : Ni les autres jours !

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 46

VALERY : Ni les autres jours.

Les enfants reviennent s'asseoir près de leurs parents. Tout le monde reprend sa place.

AGATHE : Vous n'êtes qu'une lavette, Valéry.

VALERY : Agathe…

MARIE-JO : Une sacrée lavette !

VALERY : Marie-Jo…

PAUL : Vous voyez, Huguette, il ne faut jamais fléchir: l'ordre règne à nouveau.

HUGUETTE, embarrassée : Vous savez mener les hommes, M'sieur Paul. Mais j'ai tout de même eu un peu peur... Monsieur Paul, je crois que parfois il faudrait être plus souple...

PAUL : Plus souple, plus souple...Vous croyez que c'est par plaisir que j'agis ainsi ? En fait, j'en suis affreusement attristé, mais le devoir, Huguette, le devoir...

HUGUETTE, rassurée : Vous êtes un héros profondément humain, monsieur Paul !

PAUL : Merci, Huguette.

Passe le garde-côte.

JEANNE-COLINE : Maman, maman, j' ai vu le garde-côte passer mais je me suis contentée intérieurement, comme tu m'avais dit de faire !

AGATHE : C'est très bien: tu es une petite demoiselle bien raisonnable !

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

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SCENE 4

VIBRATION COSMIQUE

Castor, Pollux et Marie-Jo

Entrée de Castor et Pollux qui se dirigent vers Marie-Jo.

CASTOR, gêné : On voudrait vous poser une question un peu indiscrète.

MARIE-JO : Je vous en prie, posez, posez: j'adore les questions indiscrètes.

CASTOR : Alors voilà: nous souhaiterions connaître le secret qui fait de vous, les humains, des mortels et qui rend ainsi votre existence si plaisante.

MARIE-JO : Votre question n'est pas indiscrète, elle est bizarre.

POLLUX : Nous vous avouons que nous sommes fort gênés, mais nous sommes en mission: nous devons, coûte que coûte rapporter le secret des mortels au dieu des dieux, Zeus, le tout-puissant.

MARIE-JO : Je vois...mais, hélas, je ne peux rien pour vous car, confidence pour confidence, je suis moi-même immortelle.

CASTOR ET POLLUX : Ah !?

MARIE-JO : Ben, oui, nous sommes tous immortels ! Moi aussi, j'ai longtemps cru que la mort existait. Mais j'ai reçu l'enseignement de Vishnuhalatouf, le fils transcendantal d’Akbarvishnu le bienheureux ! Depuis, je sais que tout mon être vibre avec le cosmos, et vibrera par-delà la mort phénoménale, pendant plus de quatre milliards cinq cent millions d'années ! Car, nous ne sommes que vibration ! (Elle se colle contre Castor.) Tenez, ne sentez-vous rien ?

CASTOR : A dire vrai...

MARIE-JO : Concentrez-vous !

POLLUX : Tu veux que je te remplace ?

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 48

CASTOR : Ah oui, là je sens, je sens, et je vibre aussi, je vibre !

POLLUX : Je peux essayer aussi ?

CASTOR : C'est extraordinaire !

POLLUX : A moi, maintenant !

CASTOR : Comment un tel prodige est-il possible ?

MARIE-JO : C’est tout l’univers qui vibre à travers nos deux corps soudés !

CASTOR : Oh !

POLLUX : Castor ?

CASTOR, irrité : Oui ?

POLLUX : Laisse-moi essayer !

CASTOR : Attends, Pollux, je n'ai pas fini de vibrer.

MARIE-JO, se détachant subitement de Castor et levant les bras vers le ciel : Mais cela n'est rien comparé à ce qui nous attend tous dans quatre milliards cinq cent millions d'années: car alors se produira l'ultime vibration cosmique qui donnera naissance à un autre univers...

Marie-Jo se rassoit et prend la position du lotus. Elle a fermé les yeux, comme plongée dans une profonde méditation. Pollux et Castor la regardent, médusés .Après quelques instants…

CASTOR : Eh bien, on va pas vous déranger plus longtemps:

POLLUX : Mais je n’ai pas vibré, moi !

CASTOR, à Pollux : C’est trop tard. Fallait te décider avant ! POLLUX : Heu !

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 49

CASTOR, à Marie-Jo toujours plongée dans sa méditation : Ce fut un plaisir de vous rencontrer, cependant nous devons poursuivre notre mission. Bonne journée ! Allez, viens Pollux !

Pollux ne bouge pas.

CASTOR : Allez Pollux ! De toute façon, on reverra sûrement madame dans quatre milliards cinq cent millions d'années pour l’ultime vibration cosmique.

POLLUX : J’en ai rien à foutre de vibrer dans quatre milliards cinq cent millions d'années ! C’est maintenant que je veux vibrer !

CASTOR, entraînant son camarade : Laisse, Pollux. T'as pas compris que c'était des salades pour ne pas nous révéler son secret ? L'ultime vibration cosmique !! Quand on va raconter cela à Zeus, il va bien rire !

POLLUX : Tais-toi, tu m’énerves !

CASTOR : Pourquoi je t’énerve ?

POLLUX : T’en fais exprès ?

CASTOR : Non…

Castor et Pollux sortent.

SCENE 5

L’EMANCIPATION

Agathe, Valéry, Marie-Jo, Henri-Didier

AGATHE : Votre Marie-Jo déraille !

VALERY : Chère Agathe, ce n'est pas ma Marie-Jo et elle ne déraille pas. Sa philosophie personnelle fondée sur la sagesse orientale trois fois millénaire...

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 50

AGATHE : Sa philosophie personnelle vous intéresse ?

VALERY : Il est toujours intéressant de…

AGATHE : Et c'est donc sa philosophie personnelle que vous tripotiez ce matin ?

VALERY : Heu ?

AGATHE : Pendant le cours de gymnastique. Vous pensiez que je ne vous avais pas vus ? Vous rougissez, Valéry !

VALERY : Absolument pas ! Marie-Jo et moi…

AGATHE : Je ne vous demande pas d’explication et je ne vous reproche rien. Voyez-vous, Valéry, sous des dehors un peu stricts, je suis au fond très libérale.

VALERY : Ah bon ?

AGATHE : Et je ne vous jetterai pas la première pierre.

VALERY : Eh bien, je suis étonné et ravi que…

AGATHE : Moi aussi, je sais ce que c'est que d'être torturé par des désirs inavouables.

VALERY, subitement inquiet : Parce que vous êtes torturée par des désirs inavouables ?

AGATHE : Quelle question ! Vous me croyez donc heureuse, vous croyez que notre vie conjugale me satisfait pleinement ? Souvent vous prenez vos grands airs d'âme romantique emprisonnée dans le carcan du mariage, mais moi, vous pensez parfois à ce que je subis sans mot dire ? Valéry, notre vie intime est misérable.

VALERY : N'exagérons rien ! Tout au plus, parfois, un peu monotone.

AGATHE : Un peu monotone ? Mais monotone à crever, oui.

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 51

VALERY, s’apercevant que Marie-Jo les écoute très attentivement : Agathe, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'entamer une telle discussion, ici, parmi tous ces gens qui peuvent nous entendre.

AGATHE : Eh bien, qu'ils écoutent si ça leur chante.

MARIE-JO : Je peux donc avouer que je vous écoute depuis tout à l'heure et que votre conversation me passionne.

VALERY : Non, Marie-Jo, vous n'êtes absolument pas autorisée à nous écouter. (à Agathe) Mais qu'avez-vous, Agathe, qu'avez-vous ? Je ne vous reconnais pas.

AGATHE : Ne m'avez-vous jamais connue ? Tenez, savez-vous que quand je vois sur la plage tous ces jeunes hommes à demi-nus se frottant le bas-ventre contre le sable chaud, je n'ai qu'une seule envie: me jeter furieusement sur l'un d'eux et m'y empaler dans un râle de plaisir ?

MARIE-JO : C'est naturel, Agathe. Toutes les femmes ont ce désir.

VALERY : Mais non, ce n'est pas naturel, pas naturel du tout ! (à Marie-Jo) Et vous, pour la dernière fois, cessez de nous importuner.

MARIE-JO : Mais, Valéry, en tant que femme, je tiens à exprimer ma solidarité.

VALERY : Pour l'amour du ciel, taisez-vous, Agathe. Cette conversation ne me plaît guère mais je vous promets de la reprendre une fois rentrés à l'hôtel.

AGATHE : Bien sûr, tout cela doit vous paraître bien incongru. Mais vous, au moins, vous connaissez le plaisir. Vous n’avez pas à supporter des années de frustration et d’insatisfaction.

VALERY : Je vous en prie, Agathe, moins fort ! Je vous jure que je connais à peine le…le plaisir come vous dites et d'ailleurs je ne tiens pas à le connaître davantage.

AGATHE : Pourtant, je vous ai parfois entendu gémir.

MARIE-JO : Reconnaissez, Valéry, que si vous gémissez, c'est que vous avez du plaisir.

VALERY : Je ne gémis pas ! Je ne gémis pas !

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 52

AGATHE : C'est vrai, vous aussi vous avez été victime d'une éducation répressive brimant l'individu. Ma pauvre maman avait coutume de répéter que seul Dieu pouvait donner la véritable jouissance. La sainte femme est morte le sourire aux lèvres persuadée qu'elle allait enfin découvrir le plaisir ! Elle a dû être bien déçue !

MARIE-JO : Vous devez garder espoir, Agathe. Les plus grands spécialistes l'affirment: le plaisir, ça s'apprend, et ça s'apprend en essayant différents partenaires.

VALERY : Vous êtes malade, complètement malade !

MARIE-JO : Votre femme est malheureuse, il faut l'aider.

VALERY : De quoi je me mêle ?

MARIE-JO : Les problèmes de couples sont des problèmes de société qui intéressent la société toute entière. La sexualité est un problème éminemment politique. Car, comme vous le disiez, Agathe, tout ça, c'est la faute à l'éducation.

AGATHE : Hélas ! que de désirs, que d'aspirations j'ai dû enfouir à tout jamais au plus profond de mon être ! Tenez, j'ai toujours rêvé d'être une grande chanteuse. Quand j'étais enfant, je chantais toute la journée. Et puis, un jour, on me l'a interdit : les convenances...Pourtant, j'aimais tant chanter!

MARIE-JO : Chantez, là, tout de suite. Cela vous fera le plus grand bien.

VALERY : Oui, oui, chantez puisque vous le désirez, du moment qu'on arrête cette conversation surréaliste...Et puis, après, on parlera d'autre chose. L'incident sera clos.

AGATHE : Oui, je vais chanter et je vais danser.

VALERY : Ah non, pas danser !

AGATHE : Pourquoi ?

MARIE-JO : Pourquoi elle ne peut pas danser ?

VALERY : Parce qu'une personne de votre...

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 53

AGATHE : De votre âge ? De votre poids ?

MARIE-JO : Quelle horreur !

VALERY : Mais parce qu'il y a du monde, parce qu'il y a les enfants.

AGATHE : Je n'ai plus envie de me cacher. Non, Valery, vous ne m'arrêterez plus. Le torrent impétueux de mes désirs vous emportera, vous et votre morale étriquée !

MARIE-JO : Allez-y, Agathe, on vous regarde et on vous écoute !

AGATHE, chantant et dansant : "L'oiseau sur la branche/Chante l'amour...La la la…"

VALERY : Quelle honte ! Quelle humiliation !

MARIE-JO : Valéry, ce n'est rien. N'êtes-vous pas heureux de voir votre femme sur le chemin ô combien difficile de l'émancipation ?

VALERY, à Marie-Jo : Tu vas enfin la fermer ta gueule, poufiasse ?

Silence. Agathe s’est arrêtée de chanter et de danser.

HENRI-DIDER, très excité : Papa a dit poufiasse ! Papa a dit poufiasse ! Papa a dit poufiasse !

Valéry le gifle violemment.

VALERY : Excusez-moi, je n'en pouvais plus, excusez-moi. Je suis navré. Vous ne m'en voulez pas, Marie-Jo ?

MARIE-JO : Ca fait quand même un choc, mais je ne vous en veux pas. Vous n'êtes pas encore mûr, voilà tout. La liberté vous effraie.

AGATHE, qui a repris sa place : Le mieux c'est qu'on oublie tout ça. C'est trop dangereux.

VALERY : Oui, oublions, oublions. Nous avons joué avec le feu et nous voilà bien punis !

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 54

AGATHE, lui tendant une revue : Tenez, Valéry, vos mots croisés.

VALERY : Vous êtes merveilleuse, Agathe.

AGATHE : Merci, Valéry.

SCENE 6

DANS LE MAINE ET LOIRE

Castor, Pollux puis Bernard et Macha

Entrée côté jardin de Pollux et de Castor dans une barque.

CASTOR, qui rame en soufflant bruyamment : Tu crois qu'une balade sur les flots, empire de Poséidon, ça va faire progresser l'enquête ?

POLLUX : "Rame sans ressentiment, a dit le philosophe, car là est le début de la sagesse"...Tiens, regarde, deux mortels arrivent vers nous.

Entrée côté cour de Bernard, le surfeur, et de Macha, le professeur de gym, tous deux dans une barque semblable à celle des deux héros grecs. Le surfeur hurle un chant tyrolien; Macha se bouche les oreilles. Les deux embarcations se rejoignent au centre de la scène.

POLLUX, à Macha et à Bernard : C'est quoi la mort ?

BERNARD : La mort ? C'est ne plus revoir le Maine et Loire.

CASTOR : Ah ? Parce que le Maine et Loire est l’honorable séjour de vos dieux immortels ?

BERNARD : Faut peut-être pas exagérer mais c'est vrai que chez nous en Anjou, on se défend pas mal. D'ailleurs, le président du club Miami des surfeurs de Cantenay-Epinard, Monsieur Tachin, il dit toujours: «Vous, mes p'tits gars, vous êtes des dieux". Enfin il dit ptêt ça pour nous motiver mais ptêt qu'il ne le pense pas vraiment...

Puis en hurlant :

"Quand reverrai-je, hélas ! de mon petit village

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 55

Fumer la cheminée et en quelle saison

Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,

Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?"

Puis chant tyrolien.

Effrayés, Castor et Pollux sortent précipitamment.

BERNARD, à Macha : Au fait, je suis sûr que vous ne connaissez pas le Maine-et-Loire ?

MACHA : Je n'ai pas encore eu ce plaisir.

BERNARD : Eh bien je vous invite; vous n'allez pas être déçue: je vous présenterai à tous mes copains ; on se retrouve tous au café des Amis du Sport: y a une sacrée ambiance ! Comme on dit par chez nous, une ambiance à péter partout. Vous aimez le baby-foot ?

MACHA : Eh bien....

BERNARD : Non, parce que je ne vous ai pas encore dit mais à Cantenay-Epinard, on est aussi champions de baby-foot.

MACHA : En effet, c'est extraordinaire...

BERNARD : Enfin, moi dans l'équipe, je ne suis que suppléant.

MACHA : Allons, allons, ne vous dévalorisez pas : le surf, le baby-foot, vous êtes un athlète complet.

BERNARD : Vous êtes sympa. Alors, vous viendrez ?

MACHA : Ecoutez, je ne veux pas vous froisser bien sûr, j'aime beaucoup les provinciaux, leur simplicité, leur gentillesse, leur côté bon enfant mais je suis une Parisienne qui aime beaucoup sortir, et j'ai peur de m'ennuyer effroyablement dans le Maine et Loire...

BERNARD : Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! S'ennuyer dans le Maine et Loire ! Elle est bien bonne ! Ah ! Ah ! Ah ! Quand je vais raconter ça à mon frère, il va sacrément se poiler !

MACHA : Si nous rentrions ?

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

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BERNARD : Bien sûr ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! S'ennuyer dans le Maine et Loire ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Chant tyrolien.

Macha et Bernard sortent.

SCENE 7

LA GAUFRE FATALE

Le marchand de glaces, Marie-Jo, Huguette, Valéry, Agathe, Henri-Didier

Entrée du marchand de glaces

LE MARCHAND DE GLACES, sur un ton de plus en plus irrité : Glaces, glaces ! A la bonne glace ! Bâtonnets et cornets ! Crème et sorbet ! Glaces, glaces ! A la bonne glace ! Bâtonnets et cornets ! Crème et sorbet ! Glaces, glaces ! A la bonne glace !...Glaces, glaces ! A la bonne glace ! (découragé) Glaces....Glaces...Glaces....Et glaces...Bâtonnets, cornets, crème, sorbet, c'est des glaces...

Marie-Jo se lève et s'approche du marchand de glaces.

LE MARCHAND DE GLACES, qui reprend espoir : Glace ? Bâtonnet ? Cornet ? Crème ? Sorbet?

MARIE-JO : Je pourrais avoir une gaufre ?

LE MARCHAND DE GLACES : (hurlement du chien enragé) Mais oui, j'en ai des gaufres ! Je n'ai même que ça, des gaufres ! Et tu la veux comment, ta gaufre ? En bâtonnet ou en cornet ?

MARIE-JO : Avec de la crème de marron.

LE MARCHAND DE GLACES : La tuile ! Je n'ai plus de crème de marron. Par contre, j'ai du ketchup, de la moutarde, du curry et même de la sauce béarnaise ! Allez, choisis !

MARIE-JO : Vous plaisantez ?

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

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LE MARCHAND DE GLACES : J’ai l’air de plaisanter ?

MARIE-JO : Non…

LE MARCHAND DE GLACES : Maintenant, je vais te dire une chose : moi, les folledingues de ton espèce, je les écrase à coup de glacière dans la tronche. Alors dégage et vite ! T’entends ?

MARIE-JO : Bien, je dégage…

LE MARCHAND DE GLACES : Des gaufres ! (sortant) Glaces, glaces ! A la bonne glace ! Bâtonnets et cornets ! Crème et sorbet ! Glaces, glaces !...

MARIE-JO : Ben, qu'est-ce que j'ai dit ? J'ai rien dit de mal...

HUGUETTE : Ne vous inquiétez pas, mademoiselle, c'est le surmenage, et il a des soucis, mais alors des soucis...

MARIE-JO , ramassant fébrilement ses affaires : Eh bien, la coupe est pleine. On m'agresse, on m'insulte. Alors, ça suffit ! Sur cette plage, où est le dialogue ? Où est l'amitié ? Où est la tendresse? Vraiment, quelle misère ! (à Agathe) Agathe, je tiens à vous dire que, malgré notre petit différend de ce matin, vous êtes la seule personne sympathique de cette plage et que je ne vous oublierai jamais. Mesdames et messieurs, je vous salue et vous souhaite de bonnes vacances !

Marie-Jo sort.

AGATHE : Elle a du panache. J'aimerais avoir ce courage, une fois dans ma vie...

VALERY, qui s'est levé : Marie-Jo...

HENRI-DIDER : Eh, papa, elle était rudement bien, Marie-Jo !

AGATHE : Valéry, vos mots croisés !

VALERY, qui se rassoit : Oui, Agathe.

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

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SCENE 8

AMERE DEFAITE

Jacky, Bernard

Entrée de Jacky en pleurs. Il s'assoit au centre de la scène et sanglote comme un enfant. Entrée de Bernard, hilare

BERNARD : Eh, Jacky !...euh, excuse-moi, Christopher. Eh, Christopher ! Tu vas drôlement rigoler ! Après le championnat de surf, j'ai rencontré Macha, la prof de gym. On a été faire un petit tour en barque. Eh bien, tu ne sais pas ce qu'elle m'a dit, Macha ? Tiens-toi bien ! Elle m'a dit qu'on pouvait s'ennuyer dans le Maine-et-Loire. Tu te rends compte ! Elle est bonne, celle-là ! J'ai cru mourir de rire...s'ennuyer dans le Maine-et-Loire...(s'apercevant que son frère pleure.) Qu'est-ce qui t'arrive, mon petit Jacky ?...euh, excuse-moi, Christopher.

JACKY : Il n'y a plus de Christopher. Christopher est mort, les frères Jackson du Miami Club sont morts.

BERNARD, ahuri : Qui c'est qui te l'a dit ?

JACKY : Crétin ! Je veux dire que notre carrière de surfeurs est terminée.

BERNARD : Mon petit frère, faut pas se décourager comme ça. Un échec, c'est qu'un échec. Moi, j’ai déjà oublié. On est quand même vice-champions du Maine-et-Loire de surf acrobatique en double et ça, ça compte ! Cet après-midi, on n'a pas eu de chance, voilà tout.

JACKY : Ah ça, c'est sûr ! On n'a pas eu de chance !

BERNARD : C'est le destin. Ce n'est pas de ta faute, c'est pas de ma faute, c'est pas de la faute à monsieur Tachin, c'est de la faute au destin ! Personne ne pouvait prévoir que quand on s'élancerait, il y aurait une vague...et quelle vague !

JACKY : T'as raison mais ça fait mal quand même. Une vague ! Il n’y aurait pas eu de vague, on gardait toutes nos chances. Une vague ! Qu'est-ce que tu voulais qu'on fasse ? On fait du surf, pas de la plongée !

BERNARD : Ca va peut-être pas te consoler mais on m'a dit que certains membres du jury avaient beaucoup apprécié le début de ta prestation ; tu sais, quand tu fais plusieurs fois le tour de ta

ACTE 2 : PLEIN SOLEIL

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 59

planche en poussant des cris de victoire à chaque fois que tu jaillis de l'eau: on aurait dit l'hélice d'un hors-bord! Et puis aussi quand tu t'es plaqué sous ta planche et qu'on te voyait plus. Alors là, c'était top ! Moi-même, j'ai été très impressionné. Bien sûr après, ça a été plus inégal...Ah ! J’oubliais de te dire que les organisateurs ont retrouvé ta planche. Y paraît qu'elle n'a pas trop souffert.

JACKY : On a été ridicules !

BERNARD : Ridicules, ridicules. Tout est relatif ! Et puis, on n'était pas à armes égales. J'ai discuté avec l'un des deux champions de surf acrobatique en double du Limousin; eh bien, il m'a avoué que sa mère comptait parmi ses ancêtres un arrière-grand-oncle qui s'était installé en Australie ! Alors si le champion de surf du Limousin a un peu de sang australien, imagine les autres! Génétiquement, on ne peut pas lutter !

JACKY, qui se lève et sort : N'en parlons plus. Nous ne sommes pas faits pour ça. En rentrant, on change de sport !

BERNARD : Super ! Et qu’est-ce qu’on va faire ?

JACKY : De la pelote basque !

BERNARD, qui suit son frère : De la pelote basque ? Dans le Maine-et-Loire ?

Musique. Noir

FIN DU SECOND ACTE

ACTE 3 : SOLEIL COUCHANT

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 60

SCENE 1

LA DECLARATION

Paul, Huguette

PAUL, regardant à travers ses jumelles : La journée s'achève et pas le plus petit incident notable. C'est un miracle, avec tous ces touristes indisciplinés !

HUGUETTE, embarrassée : Monsieur Paul, j'ai quelque chose à vous dire qui va vous étonner.

PAUL, toujours regardant à travers ses jumelles : Qu'est-ce que vous avez à me dire, Huguette ?

HUGUETTE : Ca va vous étonner.

PAUL, sur un ton neutre : Essayez pour voir.

HUGUETTE : Je suis amoureuse.

PAUL, sur un ton neutre : En effet, je suis rudement étonné. Secoué, même. Et qui est l'heureux élu ?

HUGUETTE : C'est vous, monsieur Paul.

PAUL : Vous devez vous tromper, Huguette.

HUGUETTE : Non, j'ai réfléchi très longtemps et j'en suis sûre maintenant. Vous êtes l'homme de ma vie. Vous incarnez toutes les valeurs qui me sont chères: le courage, l'honnêteté, la droiture, la force...

PAUL : Ne vous emballez pas, Huguette. J'en vaux vraiment pas la peine.

HUGUETTE : Oh, si,si ! monsieur Paul. Au contraire ! Bien sûr, entre nous il y a une certaine différence d'âge: vous êtes jeune et moi...Mais j'ai beaucoup réfléchi à ça aussi et je ne crois pas que cela soit un obstacle à notre union qui sera fondée sur la tendresse, la compréhension, l'estime (même si, rassurez-vous, dans notre couple une place de choix sera réservée aux relations sexuelles)...Paul, je t'aime !

ACTE 3 : SOLEIL COUCHANT

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PAUL : Ecoutez, vous ne trouvez pas que j'ai assez de problèmes comme ça : ma voiture est en panne, ma mère ne m'a pas écrit depuis une semaine et ma demande de mutation pour chez moi, en Alsace, a été refusée. Alors, vous comprenez, l'amour en ce moment...

HUGUETTE : Je comprends, monsieur Paul.

PAUL : Mais je vous estime beaucoup, Huguette.

HUGUETTE : Merci, monsieur Paul. C'est encore un échec mais, comme dit mon amie Sylvette, qui n'essaie rien n'a rien. On ne va pas se fâcher pour si peu. Tiens, qu'est-ce que vous faites le quinze août ? C'est bientôt et...

PAUL : J'aurais aimé faire comme tout le monde : tondre ma pelouse et m'occuper de mes enfants.

HUGUETTE, stupéfaite : Ah ?...Excusez-moi: je ne savais pas...

PAUL : Mais le problème, c'est que je n'ai pas d'enfants, je n'ai pas de pelouse et le pire (vous allez rire, Huguette !): je n'ai même pas de tondeuse !

HUGUETTE : Vous savez, monsieur Paul, je n'ai pas le cœur à rire. Dans ce monde, chacun porte sa croix. Remarquez, encore un point qui nous rapproche: je n'ai pas de tondeuse non plus. Vous allez me dire que c'est pas pour ça qu'on va se marier mais enfin moi, je connais des couples qui se sont mariés pour moins que ça ...

PAUL : Et ils sont heureux ?

HUGUETTE : Non.

PAUL : Vous voyez !

HUGUETTE : Alors n’en parlons plus et restons amis !

PAUL : Ca vaudra mieux pour tout le monde !

HUGUETTE : Mais au fait, le quinze août, vous êtes donc toujours libre ?

ACTE 3 : SOLEIL COUCHANT

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 62

PAUL, sombre : Le quinze août, je ne suis pas libre, Huguette, je suis seul.

HUGUETTE : Parfait ! Voilà ce que je vous propose. Vous connaissez Superbesse dans le Puy-de-Dôme ? Son Saint-Nectaire, ses marmottes ? C'est une splendeur ! Alors pour le pont du quinze août, on pourrait y aller...tous les deux...avec mon amie Sylvette...Qu'en dites-vous ?

PAUL : S'il y a Sylvette...Pourquoi pas, après tout...Je suppose que passer un quinze août à Superbesse dans le Puy-de-Dôme avec Huguette et Sylvette, ça ne se présente pas plusieurs fois dans une vie. J’ai peut-être intérêt à sauter sur l'occasion...

HUGUETTE : Mais oui ! Sautez, sautez, monsieur Paul !

SCENE 2

LA POESIE

un homme et une femme

Entrée d'un couple sur une barque. La femme rame vigoureusement, l'air renfrogné; le mari fume sa pipe et contemple le ciel.

LE MARI :

O Marthe, entends-tu

la rumeur délicieuse de l'océan profond ?

O Marthe, entends-tu

La joie des enfants que roule la vague écumeuse ?

O Marthe, entends-tu

Le cri de l'oiseau hardi qui salue le noble chalutier ?

O Marthe, entends-tu

Ton cœur, enfin, qu'enivre l'infini de la vaste mer ?

LA FEMME, ramant : Marthe, l'infini de la vaste mer, elle en a plein l'cul, mais alors vraiment plein l'cul...

Sortie des deux personnages

ACTE 3 : SOLEIL COUCHANT

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SCENE 3

LE GOUT DE LA METAPHORE Castor, Pollux et le marchand de glaces

Entrée du marchand de glaces

LE MARCHAND DE GLACES : Glaces, glaces ! A la bonne glace ! Bâtonnets et cornets ! Crème et sorbet ! Glaces, glaces ! A la bonne glace ! Bâtonnets et cornets ! Crème et sorbet !

Entrée de Castor et Pollux qui se dirigent d'un pas hésitant vers le marchand de glaces

LE MARCHAND DE GLACES : Vous, vous avez des têtes de mangeurs de gaufres, des têtes de gros crétins ! Allez, dites le voir que vous voulez des gaufres, des gaufres chaudes et croustillantes. N'ayez pas peur, demandez-moi des gaufres et ça sera avec un enthousiasme sans mélange que je vous enverrai ma glacière à travers la gueule.

POLLUX : Soyez assuré que mon ami et moi n'éprouvons aucun désir pour les gaufres, surtout en cette saison...

CASTOR : Les gaufres, c'est lourd !

LE MARCHAND DE GLACES : Vous dites ça mais je suis sûr que vous ne le pensez pas.

POLLUX : Monsieur, sachez que nous n'avons jamais varié sur ce point : les gaufres, c'est lourd.

CASTOR : Et c'est gras.

POLLUX : Par contre, les glaces...

CASTOR : Ah,oui ! Les glaces, c’est léger !

LE MARCHAND DE GLACES : Ah, je vois. J'ai tout compris, les glandus ! Vous voulez des glaces mais vous ne pouvez pas payer; alors vous essayez de m'amadouer. Encore des touristes sans le sou ! Ca vient polluer nos plages et ça n'a pas un rond ! Quelle honte ! POLLUX : Calmez-vous, monsieur. Nous désirons juste vous poser une petite question à laquelle personne n' a encore été capable de donner une réponse qui nous satisfasse. Nous voudrions savoir ce qu'est la mortalité.

ACTE 3 : SOLEIL COUCHANT

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LE MARCHAND DE GLACES, subitement radouci : Ah bon ! Je préfère ça. Vous tombez bien, mes amis car je suis philosophe à mes moments perdus. Alors, la mort ? La mort...Comment dirai-je ?...La mort, c'est le rideau diapré de l'écume qui danse au-dessus des vagues. C'est une image et, comme toutes les images, elle est un peu réductrice mais en fait, la mort, c'est ça. Enfin, pour être plus précis, la mort c'est surtout le vide entre la vague et le rideau diapré de l'écume qui danse. Je concède que tout cela reste un peu grossier mais je pense que cela peut vous guider dans votre recherche personnelle.

POLLUX : Castor, tu comprends quelque chose ?

CASTOR : J'essaie mais je n'y arrive pas. De toute façon, si en rentrant, on dit à Zeus que la mort, c'est l'écume diaprée qui danse entre le rideau et le vide, il ne va pas être très content.

POLLUX : Ecoutez: nous souhaiterions une explication plus simple. Nous sommes des olympiens, des immortels, quoi. Le problème, c'est qu'on s'ennuie ferme, là-haut. Alors, Zeus, notre chef, il nous a dit: "Allez, les gars ! Découvrez le secret du bonheur des humains, découvrez le secret de la mortalité !" Voilà notre mission.

LE MARCHAND DE GLACES : Je comprends. Sachez que la mort ici-bas est dans tout et dans rien. Certains philosophes prétendent qu'elle est dans tout, d'autres qu'elle est dans rien. Et moi j'affirme qu'elle est dans presque rien. Tenez, je vais prendre un exemple : regardez cette glace; d'une certaine manière, c'est l'existence mortelle. La boule, c'est le bonheur; le cornet, c'est l'assise du bonheur: un emploi, une maison, une voiture, un cornet, quoi ! Mais le bonheur, ça fond irrémédiablement, alors il faut vite le croquer ; et quand il n'y en a plus, quand le cornet devient mou et poisseux, on touche l'instant ultime...Oui, c'est ça : la vie est un sorbet.

POLLUX, fixant la glacière : Regarde, Castor, il est là, le secret de la mortalité.

CASTOR : On a enfin trouvé !

POLLUX : Viens, j'ai un plan. (au marchand de glaces) Merci, monsieur. Nous avons compris ! Les dieux vous en seront à jamais reconnaissants.

LE MARCHAND DE GLACES : A votre service !

Pollux et Castor sortent.

LE MACHAND DE GLACES : Glaces, glaces ! A la bonne glace ! Bâtonnets et cornets ! Crème et sorbet ! Glaces, glaces !...

ACTE 3 : SOLEIL COUCHANT

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Le marchand de glaces sort.

SCENE 4

LA SIRENE

Henri-Didier, Jeanne-Coline, une sirène, Agathe, Valéry, Paul, Huguette, Geneviève, Nicole, un vieux marin.

Henri-Didier, qui pêchait à l'épuisette avec sa soeur dans les coulisses, reparaît.

HENRI-DIDER : Maman, maman, on a trouvé une sirène !

AGATHE : Henri-Didier, tu ne peux vraiment pas t'empêcher de faire ton intéressant.

JEANNE-COLINE, qui reparaît à son tour : Maman, c'est vrai, Henri-Didier a raison : elle a de longs cheveux et une queue de poisson.

HENRI-DIDER : Et des nénés, elle a aussi des nénés.

AGATHE : Henri-Didier !!

VALERY, qui disparaît dans les coulisses et reparaît aussitôt portant dans ses bras la sirène : C'est fou ! c'est fou ! Regardez, Agathe ! Regardez, tous ! Une sirène ! Une sirène ! C'est mon fils qui l'a trouvée. Il faut appeler les journalistes ! Une sirène ! C'est incroyable ! Une sirène, au XXème siècle !

Un vieux marin entre et s'approche du petit groupe. Il observe, immobile.

AGATHE : Valery, modérez votre enthousiasme ! Ces accès de joie incontrôlés sont inconvenants. D'abord, êtes-vous sûr que c'est une sirène ?

VALERY, qui a posé la sirène sur un rocher : Mais voyez, Agathe; c'est tout de même pas un canard !

AGATHE : Je n'ai pas dit que c'était un canard !

ACTE 3 : SOLEIL COUCHANT

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VALERY : Mais voyez sa chevelure d'or, sa bouche pulpeuse, ses bras roses et tendres, ses seins...

HENRI-DIDER : Oh oui, papa, ses seins !

AGATHE : Allez-vous cesser, Valery; vous entraînez sans vergogne votre propre fils dans votre délire pornographique. De grâce, Valéry, contrôlez-vous ! Une sirène !

PAUL : C'est étrange, tout de même !

HUGUETTE : Ca doit être encore un coup de madame Lekallec, la directrice du syndicat d'initiative.

PAUL : Le syndicat d'initiative aurait pu nous prévenir de cette nouvelle opération promotionnelle.

HUGUETTE : C'est sûr qu'elle est dynamique, madame Lekallec.

PAUL : D'accord, mais on a l'air de quoi, maintenant ? Pourvu qu'on ne nous pose pas de questions!

VALERY : Je vais chercher la caméra !

HENRI-DIDER : Oh oui, la caméra, la caméra !

Valéry court jusqu'à sa femme, toujours assise.

AGATHE : Vous ne prendrez pas la caméra : je la garde. Mon ami, votre passion soudaine pour l'aquariophilie m'étonne. Avez-vous déjà oublié notre contrat ? Je vous préviens : vous prenez la caméra ; de ce pas, je vais m'offrir à monsieur le sauveteur.

Valéry hausse les épaules et retourne auprès de la sirène, sans la caméra.

JEANNE-COLINE : Ce qu'elle est belle !

VALERY : Merveilleusement belle !

ACTE 3 : SOLEIL COUCHANT

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HENRI-DIDER, qui la caresse du bout des doigts : Et puis si douce !

GENEVIEVE, qui s'est approchée : Viens voir, Nicole !

NICOLE : Oh là là ! Mais qu'est-ce que c'est que cette allumeuse ! On trouve de tout aujourd'hui sur la plage !

VALERY : C'est une sirène !

HENRI-DIDER : C'est une sirène !

GENEVIEVE : On est out, Nicole, définitivement out. Cette pétasse va attirer tous les gars de la plage. Déjà qu'il n'y en a pas beaucoup !

NICOLE : Mais non, mais non, ne t'inquiète pas. Ces trucs-là, ça fait illusion au début...Le mauvais goût, le clinquant, ça lasse vite.

HUGUETTE, qui s'est approchée à son tour : Monsieur Paul, c'est assez curieux. Vous savez, mon amie Sylvette, elle collectionne les fossiles, eh bien, on dirait un gros fossile, un gros fossile qui serait vivant. Vous ne trouvez pas ?

PAUL : Pourquoi me demandez-vous ça ? Je suis maître-nageur, pas géologue. Il n'est spécifié nulle part que je doive connaître la nature de tous les déchets qui s'échouent chaque jour sur toutes les plages de France ! A chacun son métier !

VALERY : Mais, monsieur le maître-nageur, c'est une sirène !

PAUL, ricanant : C'est ça, c'est ça !

AGATHE : Monsieur le maître-nageur, faites quelque chose. Ouvrez les yeux à mon mari. Vous devez savoir qui a déposé cette chose sur votre plage et à quelle fin ! Si c'est une plaisanterie, permettez-moi de vous dire qu'elle est d'un goût très douteux !

PAUL : Madame, ceci n'est pas du ressort de ma compétence. Je ne puis en aucun cas intervenir. Adressez vos plaintes au syndicat d'initiative ou au service municipal de la voierie.

VALERY : Regardez ! On dirait qu'elle va parler !

ACTE 3 : SOLEIL COUCHANT

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LA SIRENE :

"Je suis belle, ô mortels ! Comme un rêve de pierre,

Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,

Est fait pour inspirer au poète un amour

Eternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris;

J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes;

Je hais le mouvement qui déplace les lignes,

Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris."

NICOLE : Elle ne se prend pas pour de la crotte, celle-là ! (mimant la sirène) "je suis belle, ô mortels ! Comme un rêve de pierre." Si elle croit qu'elle va nous impressionner avec sa queue de poisson pané ! Retourne à Disneyland !

VALERY : Quel amour de petite sirène ! Et elle connaît Charles Baudelaire ! C'est incroyable mais c'est merveilleux ! Je fais un rêve, un rêve !

NICOLE : Réciter du Charles Baudelaire en frétillant de la queue, n'importe qui peut le faire, avec un peu d'entraînement.

VALERY : Votre mauvaise foi ne brisera pas l'allégresse que nous a apportée notre extraordinaire découverte !

HENRI-DIDER : MON extraordinaire découverte, papa !

VALERY, au vieux marin : Alors mon brave, que pensez-vous de ce miracle ?

LE VIEUX MARIN : J'en pense rien: par ici, pendant la pleine lune, c'est par dizaines que les sirènes s'échouent sur nos côtes, alors...En revanche, si ç'avait été un phoque, ça, c'aurait été extraordinaire. Hélas je crois que je mourrai sans voir de phoque par ici ! Mais des sirènes...on n'y fait même plus attention.

VALERY : Ah bon, mais c'est pas possible ! Cette merveilleuse créature... LE VIEUX MARIN : Cette merveilleuse créature ! Une vraie saleté, oui. Ca déséquilibre l'écosystème, ça bouffe vingt kilos de poissons par jour, ça fait fuir tous les crustacés. Une vraie calamité, je vous dis ! En plus, ça donne de l'eczéma. A votre place, je ne laisserai pas votre fils la tripoter comme ça : c'est pas un phoque.

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Le vieux marin sort.

AGATHE : Henri-Didier, ne touche pas à la chose, ça donne des maladies. Allez les enfants, remontez: le monsieur dit que votre sirène n'a strictement aucun intérêt, que c'est aussi commun que les bigorneaux et en plus, c'est vénéneux. D'ailleurs, il est temps de rentrer.

NICOLE, à Geneviève : Tu vois, Nicole, ça récite du Charles Baudelaire les seins à l'air mais en fait c'est de la vraie cochonnerie.

GENEVIEVE : Je suis rassurée.

Valery, Henri-Didier et Jeanne-Coline rejoignent Agathe.

AGATHE : Vous êtes satisfait ? Ca vous apprendra à ramasser tout ce qui traîne sur une plage !

VALERY : Mais c'est insensé, insensé ! Ils sont fous ! Une sirène, quand même !

AGATHE : Vous êtes déçu ?

HENRI-DIDER : Ah ça, oui !

AGATHE :(à Henri-Didier) Je pose cette question à ton père. (à Valéry) Mon ami, votre désappointement devient blessant.

VALERY : Agathe, foutez-moi la paix !

AGATHE, qui ramasse fébrilement les affaires : Nous réglerons cela à l'hôtel.

PAUL : Le vieux marin, c'est aussi une idée du syndicat d'initiative ? Je n'y comprends rien !

HUGUETTE : Moi non plus. Il faudra demander à madame Lekallec, la directrice du syndicat d'initiative, ce qu'elle a voulu dire.

PAUL : Je ne vois pas l'intérêt d'organiser des attractions que personne ne comprend.

ACTE 3 : SOLEIL COUCHANT

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HUGUETTE : Au syndicat d'initiative, ils vont finir par se couper des masses.

PAUL : Je le crains, Huguette, je le crains.

SCENE 5

DU REVE A LA REALITE

Nicole, Geneviève et un homme en tenue de plongée

puis le marchand de glaces, Castor et Pollux

NICOLE : Brr, brr, l'air a sacrément fraîchi !

GENEVIEVE : Ce fut encore une journée sans ! Il ne reste plus qu'à rentrer au camping, dîner et vite aller se coucher.

NICOLE : Allez, Geneviève, courage. Il ne faut pas se laisser abattre. La roue tourne ! Un jour ou l'autre, la chance nous sourira. Deux beaux garçons viendront vers nous et diront : "Mesdemoiselles, vos beautés nous ont ensorcelés, nous vous invitons à faire une magnifique croisière autour des îles grecques, puis rentrés à Paris, nous souhaiterions vous épouser et vivre heureux à vos côtés. Bien sûr, vous n'aurez plus besoin de travailler et tous les soirs, nous irons danser avec le Tout-Paris, chez Régine."

Entrée de l'homme qui était apparu au premier acte avec masque, tuba et palmes. Il est tout mouillé et couvert d'algues. Il s'arrête devant Nicole et Geneviève.

L'HOMME : Eh, les filles, vous venez ? Je vous offre une bière au café du port.

GENEVIEVE : Tu vois, Nicole, c'est foutu : on a la tête de filles qui boivent de la bière sur le port avec des hommes-grenouilles. Quelle humiliation ! Mais tant pis, suivons-le. On aura peut-être plus de chance demain.

Geneviève rejoint l'homme et tous les deux quittent la plage en riant, bras dessus bras dessous.

NICOLE, qui rassemble ses affaires et court derrière les deux autres personnages : Mais Geneviève, attends-moi, attendez-moi !

Sortie de Nicole et entrée du marchand de glaces.

ACTE 3 : SOLEIL COUCHANT

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LE MARCHAND DE GLACES : Glaces, glaces...

Il est aussitôt agressé par Castor et Pollux qui s'enfuient avec sa glacière.

SCENE 6

RUPTURES

Georges et Gladys, deux petits vieux

puis Valéry, Agathe et leurs enfants

Entrée des deux petits vieux. Ils ont l'un et l'autre plus de quatre-vingts ans. Gladys, la femme, tient d'une main un panier et de l'autre le bras de son mari qui marche très difficilement. A plusieurs reprises, Georges tente de se dégager, manifestant ainsi clairement l'exaspération que lui cause la douceur excessivement maternelle de sa femme. Ils atteignent enfin le devant de la scène, Gladys sort de son panier deux pliants et ils s'assoient face au public.

GLADYS : Regarde, Georges, là-bas, on dirait le beau voilier que ton oncle Edgar avait loué pour nos fiançailles. Tu te souviens ? C'était le 13 juillet 1925. On avait été jusqu'à Belle-Ile ! Qu'est-ce qu'on était contents !

GEORGES : Non, je ne me souviens pas.

GLADYS : Mais, le 13 juillet 1925, à Belle-Ile ! Tu portais ton beau costume bleu et moi une petite robe rose. Ton oncle Edgar nous appelait les deux tourtereaux parce qu'on s'embrassait tout le temps...

GEORGES : Non, je ne me souviens toujours pas !

GLADYS : Mais, Georges, ce n'est pas possible !

GEORGES : La nostalgie ne m'intéresse pas. Ce que je veux regarder, c'est l'avenir.

GLADYS : Ah bon ?

GEORGES : Gladys, j'ai à te parler.

ACTE 3 : SOLEIL COUCHANT

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GLADYS : Oui, Georges.

GEORGES : Je ne t'aime plus. Cela fait soixante ans que nous vivons ensemble. Soixante ans de mariage, te représentes-tu ce que cela signifie ?

GLADYS : Soixante ans de bonheur, Georges.

GEORGES : Soixante ans de bonheur ? Eh bien, j'en ai assez du bonheur. Je veux connaître autre chose, je veux partir à l'aventure, à la découverte de nouveaux horizons. La vie est courte, le monde est grand ! Alors, Gladys...

GLADYS, atterrée : Tu veux me quitter ? Maintenant ?

GEORGES : Cela n'a rien d'extraordinaire, Gladys. Aujourd'hui, le divorce...

GLADYS : Mais, Georges, tu n'as plus le droit; il est trop tard maintenant.

GEORGES : Il n'est jamais trop tard pour quitter quelqu'un qu'on n'aime plus. Tu verras, tu referas ta vie, tu trouveras un compagnon qui saura te rendre heureuse. Tandis que moi...

GLADYS : Comment peux-tu...Tu as rencontré quelqu'un ?

GEORGES : Mais non !

GLADYS : Alors qui te soignera ? Tu es malade, très malade.

GEORGES : Merci de me le rappeler ! Que parfois tu peux être mesquine, ma pauvre Gladys ! Et puis, c'est ça que tu me proposes: rester ensemble pour que tu puisses tous les jours changer mes pansements jusqu'à ce que mort s'ensuive ? Ton amour du devoir accompli me dégoûte !

GLADYS : Je t'aime !

GEORGES : Tu me fais rire !

GLADYS : Tu oublies Cloé. Que vais-je dire à Cloé pour lui expliquer ton départ ? Que va-t-elle penser ?

ACTE 3 : SOLEIL COUCHANT

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 73

GEORGES : Cloé, c'est ta chatte, pas la mienne. Personnellement, je ne la regretterai pas: cette bête m'a toujours été antipathique.

GLADYS : Tu es dur, Georges !

GEORGES : Il le faut bien puisque je veux partir.

GLADYS : Ce n'est pas possible ! Ce n'est pas possible. Tu ne vas pas m'abandonner comme ça après si longtemps !

GEORGES : Tout a une fin, Gladys.

GLADYS : Non, non, non, je ne le supporterai pas. Je t'en prie, reste. Je te promets que si tu restes, eh bien tu pourras sortir autant que tu voudras, et je ne t'embêterai jamais plus, je ne te poserai aucune question, c'est promis, mais ne me quitte pas !

GEORGES : Calme-toi. Pour l'instant, nous sommes encore ensemble. Et puis je peux rester un peu pour que tu t'habitues à l'idée de notre séparation inévitable...

GLADYS : Oui, oui, je t'en prie, laisse-moi un peu de temps. Reste encore un peu et puis, après, si tu souhaites toujours partir, eh bien, tu partiras...Surtout, mon chéri, ne brusque pas les choses...

GEORGES : Mais rappelle-toi, Gladys: je ne t'aime plus; c'est irrévocable.

GLADYS : Oui, oui, Georges, je te promets de ne pas l'oublier: c'est irrévocable ! Je suis si contente que tu veuilles encore rester un peu avec moi. Tu verras, tu ne le regretteras pas. Tu as faim ?

Gladys sort de son panier deux serviettes, des sandwiches et une bouteille de vin. Ils mangent très lentement, sans un mot, en regardant la mer. Pendant ce temps la famille s'apprête à quitter la plage: Valéry et Agathe plient serviettes et transats en se disputant.

GEORGES, se levant : Je vais chercher des allumettes.

GLADYS : Mais, Georges, tu ne fumes plus depuis quarante ans !

GEORGES : J'ai dit que j'allais chercher des allumettes, pas des cigarettes ! Je reviens.

ACTE 3 : SOLEIL COUCHANT

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Sortie de Georges. Jeanne-Coline et Henri-Didier sortent à leur tour. La querelle entre les deux parents s'est singulièrement envenimée : Agathe a saisi la cravate de son mari et l'agite dans tous les sens tandis que Valéry fait de grands gestes menaçants. Enfin, ils quittent la plage, chacun de son côté.

VALERY, hurlant : Morue !

AGATHE, hurlant : Ordure !

SCENE 7

ON FERME

Paul, Huguette, Gladys, Henri-Didier et Agathe

Paul et Huguette regardent intensément leur montre.

PAUL : Attention ! Attention ! Cinq, quatre, trois, deux, un, zéro ! Zéro !

HUGUETTE : Ca y est ! C'est fini !

PAUL, qui descend de sa chaise : On ferme ! On ferme ! Allez, au revoir Huguette et à demain.

HUGUETTE : Ce fut une journée épuisante mais exaltante, monsieur Paul !

PAUL, apercevant Gladys : Tiens, il y a encore quelqu'un. (s'approchant de Gladys.) Madame, on ferme !

GLADYS : J'attends mon mari.

PAUL : Mais il est parti où, votre mari ? GLADYS : Il est parti acheter des allumettes, chez le buraliste. (levant le bras) Il a pris cette direction.

PAUL : Mais, madame, par là, c'est la mer !

ACTE 3 : SOLEIL COUCHANT

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 75

GLADYS : Oui, c'est curieux mais je ne suis pas inquiète, je sais qu'il reviendra.

HUGUETTE : Vous avez raison, on revient toujours vers ceux qu'on aime !

PAUL : Et puis, il faut avouer que par ici, trouver des allumettes, c'est pas facile, facile. Ce qui explique le petit retard de votre mari !

HUGUETTE : Ne vous en faites pas, ma petite dame.

GLADYS : C'est gentil à vous de vouloir me réconforter mais, vous savez, je ne suis vraiment pas inquiète.

PAUL : Eh bien, nous vous laissons. Au revoir !

HUGUETTE : Au revoir !

GLADYS : Au revoir !

HUGUETTE : Vivement demain, monsieur Paul !

Paul et Huguette sortent. L'obscurité envahit toute la scène. Restent éclairés les deux derniers personnages présents: la petite vieille, côté jardin, et la sirène, côté cour. Entrée furtive d'Henri-Didier. Il embrasse longuement la sirène puis se retourne vers le public en titubant.

HENRI-DIDER : C'est bon !

AGATHE, des coulisses : Henri-Didier !

Henri-Didier sort en courant. Noir

GLADYS, angoissée : Georges ! Georges ! Georges !

Musique.

FIN DU TROISIEME ACTE

EPILOGUE ANTIQUE

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 76

Zeus, Héra, Artémis, Apollon, Héraclès, Poséidon, Cassandre, Aphrodite, Castor, Pollux, le Chœur, un homme

Le séjour des dieux grecs où nous retrouvons tous les personnages du prologue.

Entrée en courant de Castor, coiffé de la casquette du marchand de glaces et de Pollux qui brandit la glacière.

POLLUX : Zeus, ô Zeus, revoilà tes fidèles guerriers à la bravoure étincelante qui déposent à tes pieds le SECRET de la mortalité.

CASSANDRE : Youpi, ô Popoï da !

ZEUS : Pollux ! Castor ! La joie fait péter ma formidable poitrine !

CASTOR, frappant la glacière de son poing : Le secret des humains est ici !

Tous les dieux font un mouvement vers la glacière; ils sont aussitôt arrêtés par un geste de la main de Zeus.

ZEUS : Nenni, nenni, mes amis! Vos têtes affolées oublieraient-elles que je suis Zeus, le dieu souverain ? Apporte, fidèle Pollux. Voyons les éblouissants prodiges de la mortalité!

D'un pas cérémonieux, Pollux apporte la glacière qu'il tient les bras levés, la dépose aux pieds de Zeus, ouvre le couvercle.

POLLUX : Mais attention, Zeus, sache que les humains ne s'ennuient jamais mais qu'ils sont souvent malheureux.

CASTOR : Oh, oui ! Ils font même pitié.

ZEUS : Plutôt le malheur que l'ennui!

CHOEUR : Plutôt le malheur que l'ennui!

HERA : Mon cher, ne soyez pas excessif, tout de même, le malheur...

EPILOGUE ANTIQUE

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 77

Zeus se baisse, plonge une main dans la glacière et en retire une matière gluante qu'il sent.

ZEUS : Par mon foudre tout-puissant, qu'est-ce que c'est ça?

HERA : C'est immonde!

A leur tour, Apollon et Héraclès plongent un doigt dans la glace.

HERACLES : "Cette succion du visqueux que je sens sur mes mains ébauche une continuité de la substance visqueuse à moi-même."1

APOLLON : C'est rigolo!

HERACLES : Mais oui, tu as raison, Apollon, c'est rigolo, car "dans le projet appropriatif du visqueux, la viscosité se révèle soudain comme symbole d'une antivaleur, c'est-à-dire d'un type d'être non réalisé, mais menaçant qui va hanter perpétuellement la conscience."2

ZEUS : Apollon, je t'en prie, fais moi taire cette grosse andouille d'Héraclès.

APOLLON : J'aimerai bien, Zeus, mais je crois que ça va être très difficile.

HERACLES : Moi, une grosse andouille, une grosse andouille ? J'ai l'air d'une grosse andouille ? J'essaie de raisonner, de penser droitement et pour toute récompense, je suis traité de grosse andouille !

ZEUS : Suffit !

HERACLES : Fort bien, la grosse andouille se tait mais elle n'en pense pas moins...la grosse andouille...

APOLLON : Pense, Héraclès, pense mais sans bruit.

CASTOR : O Zeus, écoute ma parole explicative qui dissipera ton trouble: voilà le secret des mortels. Ils en raffolent. Ca, c'est la boule qu'on place sur le cornet et la vie des humains est comme cette boule : douce, sucrée, colorée mais la boule fond, le cornet devient mou et poisseux: c'est la mort. 1 JEAN-PAUL SARTRE L’Etre et le Néant 2 Idem

EPILOGUE ANTIQUE

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 78

ZEUS : Le cornet !

POLLUX : Tiens, Zeus !

Zeus essaie de placer la substance sur le cornet.

CHOEUR : Le courroux assombrit le noble front de Zeus, dieu des dieux !

ZEUS : Ils me prennent pour un zozo !

HERA : Du moins, c'est l'impression qu'ils donnent; c'est incontestable.

ZEUS : Qu'on les jette à Scylla, la terrible aboyeuse !

CASTOR ET POLLUX : Zeus, accorde-nous ta clémence !

CASTOR : C'est un humain se prétendant philosophe qui nous a trompés !

APOLLON : Un philosophe?? Ha, ha, ha ! Ils ont aussi des Héraclès, chez les humains ?

HERACLES : Ta goule!

Entre un homme en tenue de plongée, ruisselant d’eau. Les dieux restent interdits.

L'HOMME , qui s'arrête au centre de la scène et qui se tourne alternativement vers les dieux et vers le public. : Oh la la ! J’ai dû me perdre. Maman, maman !!

Il s'enfuit.

ZEUS : Poséidon, c'est quoi ça ?

POSEIDON : Jamais vu !

CASTOR ET POLLUX : C'est un mortel, Zeus, c'est un mortel !

EPILOGUE ANTIQUE

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 79

HERACLES , qui s'élance à la poursuite de l'homme : Ben, viens là, mon petit canard, faut pas avoir peur!

Héraclès reparaît, suçant le tuba et rongeant une palme.

ZEUS : Héraclès, il est où, le mortel ?

HERACLES : Je l'ai mangé.

APOLLON, secoué par des rires nerveux : Qu'il est con, qu'il est con !

HERACLES : Ta goule, j’t’ai dit !

ZEUS : Héraclès, tu es un crétin : on tenait un humain; on aurait pu le disséquer et ainsi découvrir le secret de la mortalité...

HERACLES : N'aie pas de regret, Zeus, j'ai goûté l'homme et puis te dire que l'homme est un faux universel dissimulant une indétermination foncière. Bref, c'est fade !

ZEUS : Fade ? Ah ! Que je suis déçu !

POLLUX : Et tu ne sais pas tout, Zeus, dieux des dieux ! Comme nous te l’avons dit, les humains souffrent mais nous avons aussi découvert un autre petit détail…

CASTOR : Un tout petit détail…

POLLUX : Presque rien…

ZEUS : Quel est ce détail ? Parlez, vite !

CASTOR ET POLLUX : Les humains travaillent !

Cri d'effroi de l'ensemble de l'assistance

HERA : On l'a échappé belle !

EPILOGUE ANTIQUE

Les Dieux de la Plage de Philippe Bardin Page 80

ARTEMIS : Jamais nous n’accepterons de travailler !

APOLLON : Faudrait quand même pas nous prendre pour des guignols !

APHRODITE : Zeus, nous sommes des dieux, demeurons des dieux et jouissons pour l'éternité de notre divinité.

ZEUS : Mais alors que peut-on faire pour échapper à l’ennui épouvantable de l’immortalité ?

CHŒUR : La réflexion fait grimacer les nobles visages de tous les dieux de l’Olympe !

CASTOR : On pourrait déjà faire un petit somme?

ZEUS : C’est pas bête !

APOLLON : Oui, abandonnons-nous au sommeil et Morphée nous offrira des rêves splendides !

HERACLES : Oui, dormons car le rêve est la totalisation détotalisée de tous les possibles...

TOUS LES DIEUX : Dors !

Musique. Noir.

FIN

DES DIEUX DE LA PLAGE