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Les dédis de la finance islamique Dossiers de Recherches en Economie et Gestion, Dossier Spécial, Juin 2013 | 87 Les défis de la finance islamique Yahia ZAHIRI Docteur d’Etat en Sciences économiques Cadre au Ministère des Finances

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Les dédis de la finance islamique

Dossiers de Recherches en Economie et Gestion, Dossier Spécial, Juin 2013 | 87

Les défis de la finance islamique

Yahia ZAHIRI

Docteur d’Etat en Sciences économiques Cadre au Ministère des Finances

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Les produits structurés, nouvel essor pour l'ingénierie financière islamique

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Résumé :

La Finance Islamique (FI) a connu une expansion remarquable ces dernières années, cependant ce progrès ne se fait pas sans obstacles et en dehors de tout risque, ce qui pose des défis devant le développement de la finance islamique, des défis qu’on a classé en trois catégories pour simplifier l’analyse :

- des défis d’ordre général qui touchent la FI dans son ensemble,

- des défis d’ordre juridique liés à la conformité à la Charia,

- et des défis spécifiques au cas du Maroc dans son adoption des produits alternatifs.

: ملخص

من المخاطر رة، غير أن هذا التطور تحفه كثيرلقد عرفت المالية اإلسالمية تطورا ملحوظا في السنوات األخي .و قد تضعفهأتحديات قد تحول دون هذا النمو .والعوائق

: قسمنا هذه التحديات إلى ثالثة أصناف ن من تسهيل التحليل وتبسيطهمكوحتى نت

تحديات عامة تمس بالمالية اإلسالمية في عمومها، -

لشريعة اإلسالمية،بالمالئمة لتحديات قانونية تتعلق -

.تحديات خاصة بالمغرب وتبنيه للمنتوجات البديلة -

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Introduction

La finance Islamique gagne du terrain, le nombre de banques islamiques augmente d’une année à l’autre et leur actif se diversifie et devient de plu en plus important ; leurs activités se multiplient et s’étendent à l’ensemble du globe y compris aux pays non musulmans. Cependant les obstacles sont nombreux et les défis relevés sont lourds et risquent de compromettre cet essor ou du moins de l’affaiblir.

Certains défis sont d’ordre général et touchent l’ensemble du système financier islamique, d’autres sont plutôt d’ordre juridique, internes au système de la finance islamiques, d’autres encore sont spécifiques aux pays dans lesquels sera introduit se système, c’est le cas du Maroc.

Dans cette communication, et en présentant ces points, on ne prétend pas évoquer de manière exhaustive l’ensemble des difficultés rencontrées par la finance islamique, mais il serait toujours intéressant de prendre conscience de certains obstacles et de certaines limites dont la délimitation constitue en elle-même une étape importante pour leur dépassement.

I- Défis d’ordre général

- Recherche de profit et conformité à la Chariaa

La finance islamique a pour objectif la mobilisation de ressources et leurs allocations entre les différents projets d’investissement. C’est la raison d’être du système financier classique. Mais s’il y’a convergence d’objectifs, les principes régissant le système de fonctionnement différent. La finance islamique s’organise autour de mécanismes, d’institutions et de produits qui doivent respecter l’ensemble des principes fondamentaux édictés par la charia :

- L’interdiction du Riba. L’utilisation d’un taux d’intérêt prédéterminé, et le transfert de l’ensemble des risques à un projet d’investissement sur le seul débiteur ;

- La condamnation de la spéculation.La charia tout en acceptant la prise du risque, interdit l’incertitude dans les termes et dans les relations contractuelles ;

- Toute transaction doit être adossée sur un actif tangible. L’argent doit être utilisé pour créer des valeurs réelles, il ne doit pas être considéré comme objet d’échange en soi-même ;

- La finance islamique interdit l’investissement dans certaines activités jugées nuisibles pour l’être humain (haram : l’industrie des jeux d’argent, l’alcool, la prostitution, la vente de drogue…).

Ces principes fondamentaux sont partagés universellement, mais dans la pratique ils ne font pas l’unanimité.

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Depuis les années soixante dix, les institutions financières islamiques se sont dotées de conseils consultatifs islamiques (charia board), composé de spécialistes en loi islamique qui valident la conformité aux règles coraniques des produits proposés ; or, les mécanismes financiers ne sont pas définis par des règles précises et immuables. Ils sont déterminés plutôt par l’appréciation de ces sharia scholars.

A noter que les interprétations ne sont pas uniformes d’un pays à un autre et d’un comité à un autre. C’est que plusieurs écoles d’interprétation règnent dans différents pays. Globalement l’Arabie Saoudite se montre moins tolèrant que les pays d’Asie du Sud Est. La création d’instruments islamiques de type obligatoire (au cours des années quatre vingt en Malaisie) a été d’abord condamnée, puis copié par les pays du moyen Orient. Hétérogénéité qui explique la diversité des instruments islamiques.

Au départ, orientés vers le développement de manière plus diversifiée et plus décentralisée, à l’image du monde musulman, se développe dans un petit nombre de pays (Arabie Saoudite, Égypte et Pakistan). Au cours des années quatre vingt quatre vingt dix, l'extension se fait vers de nouveau pays d’Asie du Sud Est mais également dans un nombre de pays occidentaux à forte concentration de la communauté musulmane; les objectifs de ces institutions financières évoluent ainsi progressivement et le système de financement islamique n’est plus un simple outil de développement, il doit répondre aux besoins de vastes couches sociales et aux contraintes environnementales de son application ; les banques islamiques acquièrent le statut d’intermédiaires financiers à part entière, l’objectif de maximisation des profits devient ainsi une priorité.

Sous l’impulsion d’une demande de plus en plus sophistiquée et dynamique, la finance islamique devient plus pragmatique et ses objectifs convergent progressivement avec celles de la finance traditionnelle.

Parallèlement, la finance islamique revendique sa spécificité en l’existence des « Charia board » qui servent de garant du caractère islamique de ces instruments financiers.

Un défi que doit relever la finance islamique de manière permanente est la recherche du profit maximum tout en respectant la charia sous la contrainte de la compétitivité.

La nécessité de la réorientation de l’investissement

En l’espace de seulement cinq ans, les revenus tirés des exportations de pétrole ont presque doublé dans les pays exportateurs de pétrole, dont les pays du Proche Orient. Situation qu’on a constatée également avec les deux chocs pétroliers en 1973 et 1979. Cependant elle en diffère profondément au moins sur deux points :

- L’allocation des capitaux investis à l’étranger par les pays exportateurs

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de pétrole s’est profondément modifiée ;

- Les IDE (Investissements Directs à l'Étranger) et les investissements de portefeuilles représentent en 0115 près de la moitié de l’excédent du compte courant des pays producteurs de pétroles. Or dans les années quatre-vingt, la part des actifs était insignifiante dans les flux de capitaux extérieurs des pays pétroliers.

Par ailleurs, les tensions sur le plan politique qui ont suivi le 11 septembre, ont poussé les investisseurs musulmans à rapatrier une partie de leur épargne ou, au moins, à modifier la composition de leur portefeuille de placement.

Gérer des passerelles financières et trouver des dossiers d’investissements

Le champ d’action traditionnel était la banque de détail, l’orientation actuelle étant l’investissement dans de nouveaux territoires dont principalement les pays musulmans.

Un premier handicape qui peut être à l’origine d’un échec, tel celui des investissements emblématiques en Tunisie, comme le dossier « Berges du Lac », et le privilège de l’investissement rentable en hôtellerie au lieu des autres secteurs défaillants, nécessaires pour le développement du pays de réception.

Le véritable enjeu pour les années à venir serait donc de trouver des cibles d’investissement ; le marché financier des pays musulmans actuel n’est pas capable d’aborder le surplus d’épargne émanant des investisseurs musulmans, ces marchés devraient être développés, à la fois par voie de privatisation et par voie de cotation d’entreprises privées.

Par ailleurs, il faut accompagner le développement du marché des petites et moyennes entreprises, en créant et en renforçant les fonds propres des PME.

Une création des « passerelles financières »

Afin de permettre une meilleure allocation des actifs islamiques, de nombreux pays sont surbancarisés (trop de banque) et sont en même temps sousbancarisés (pas assez de services, notamment en matière d’ingénierie financière). La création des institutions financières spécialisées (fonds de private equity, banques d’affaires…) permettrait de détecter les opportunités d’investissement et à sécuriser les montages financiers.

L’obligation d’assurer une meilleure standardisation des produits

Afin de jouer un rôle significatif sur le marché financier global et permettre le financement des économies nationales, les standardisations des produits deviennent nécessaires. La standardisation n’aurait pas de sens non plus pour les principes sous-jacents des produits. Mais dans un marché globalisé, la standardisation devient indispensable quant aux concrétisations techniques des

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produits.

Des tentatives sont menées dans ce sens comme l’AAIOIFI (Acounting and Auditing Organisation for Islamic Financial Institutions) qui élabore des normes comptables concernant des opérations financières islamiques et sur les grands principes de conduite de cette activité.

Cependant, ces initiatives demeurent au mieux régionales, et ont un caractère plus consultatif que normatif.

- L’identification d’un cadre institutionnel

La promotion financière islamique suppose l’amélioration nécessaire du cadre institutionnel dans lequel opèrent ces institutions. L’absence d’informations homogènes et comparables est un handicape majeur empêchant le développement des fonds d’investissements islamiques et en particulier des fonds d’action. Or pour le choix et la décision d’allocation de leurs fonds, ces institutions ont besoin d’informations financières traditionnelles sur les sociétés cibles, mais également des informations particulières permettant de vérifier la trésorerie, en plus de la nature des activités halals ou non.

La création d’indices boursiers sharia-compil est un premier pas dans cette direction mais il ne suffit pas.

Se pose également le problème de traitement réglementaire des institutions financières qui sont traitées au même titre que les autres banques. Ils sont assujettis aux mêmes normes prudentielles et aux mêmes règles que les autres. Or, il est plus rationnel d’accorder à ces institutions un traitement spécial, ce qui n’est pas toujours admis par les opposants à cette position, qui argumentent que la segmentation serait néfaste pour la concurrence entre les différentes institutions financières.

Au fait, la plupart des instruments financiers islamiques ont une contrepartie dans la finance classique, bien qu’ils ne s’imbriquent pas parfaitement dans les régimes réglementaires existants. Ils comportent des techniques de contractualisation spécifiques et répartissent les risques différemment entre les parties prenantes. Ainsi, du point de vue de la propriété et du contrôle, la supervision actuelle, sur une base consolidée, est critiquable pour les banques islamiques. Un autre exemple, l’absence de garantie des dépôts pour les banques islamiques, qui revêt peu d’importance dans un environnement global favorable, peut devenir une préoccupation centrale si la conjoncture économique et bancaire se dégraderait ; hypothèse qui devient, depuis l’éclatement de la crise des « subprimes » de plus en plus vraisemblable.

- Développement de la formation

Des compétences doubles sont exigées des cadres des institutions financières islamiques : des connaissances approfondies dans le domaine financier,

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mais également dans le domaine de la charia, d’où la nécessité d’organiser des cycles de formations adaptées. Le recours aux experts au niveau international suppose la mobilité des ressources humaines et l’élaboration de programmes de formations spécifiques au système financier et au pays dans lequel il serait appliqué. La Malaisie encourage fiscalement et sur le plan du droit de travail les experts en finance islamique étrangers à travailler en Malaisie et à former les cadres autochtones. Une solution louable qui peut être généralisée et améliorée par tous les pays adoptant la finance islamique.

II- des défis d’ordre juridique :

La finance islamique propose le mariage de l’économique, du droit et de la charia, ce qui l’expose à des difficultés techniques dues aux contraintes que la morale islamique lui impose.

Les défis sont de plusieurs ordres :

- L’insécurité juridique, le droit islamique se superpose aux droits nationaux qui sont souvent d’inspirations doctrinales différentes ;

- Dans la pratique, apparaissent des difficultés de mise en œuvre de certaines règles juridiques islamiques spécifiques ;

L’évaluation et l’appréciation que doivent apporter les déposants et investisseurs doivent se baser sur des données générales et comptables souvent non homogènes, les empêchant de juger de la performance de ces institutions.

- L’insécurité juridique de la finance islamique

La jurisprudence doctrinale sunnite n’étant pas uniforme, plusieurs écoles de droit sont nées au sein de la même famille sunnite, avec bien sûr des divergences qui apparaissent dans la formulation des divers produits entre certains juristes du Golf Persique et certains juristes de Malaisie.

Or il est incontestable que l’insécurité juridique constitue un véritable obstacle au développement de la finance islamique, il importe de citer ici quelques exemples à titre illustratif :

L’autonomie de la volonté

La question de l’autonomie de la volonté apparaît très importante lors qu’on la lie aux règles qui régissent le système contractuel ; or les différentes écoles ne sont pas unanimes sur la question et sur le système des clauses adjointes.

Les positions des écoles juridiques

Ainsi, pour les hanafites, la volonté à elle seule n’est pas génératrice de droits et d’obligations. La formation de contrat suppose l’existence de deux déclarations concordantes, c'est-à-dire un état d’esprit favorable au contrat (rida)

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assimilable à la capacité au moins psychologique de contracter : l’intention (qasd) nécessaire pour déclencher le processus.

L’accord (rida) est nécessaire pour la validité du contrat, à défaut il y’a existence de vice qui peut être évoqué par chacune des parties qui demanderait la nullité du contrat.

Pour l’école malikite, la volonté des parties est essentielle, car elle insiste sur le motif qui a amené les parties à contracter. Ainsi dans le cas de vice de consentement, le contrat est nul et sans effet ipso facto (pas seulement susceptible d’être annulé).

Les hanbalites prônent la souveraineté de l’autonomie de la volonté et admettent que les individus sont parfaitement libres d’insérer dans un acte juridique des clauses et stipulations qui ne sont pas en contradiction avec les règles de la charia, ce qui signifie que tout ce qui n’a pas été expressément interdit par la charia est autorisé1. C’est une formulation proche de celle de l’autonomie de la volonté, limitée simplement par l’ordre moral.

La possibilité d’ajouter des clauses en convenance avec les désirs des contractants est par conséquent très limitée, cela est illustré par les clauses adjointes.

Les clauses adjointes

Ce sont des clauses contractuelles qui s’ajoutent aux dispositions spécifiques du contrat type. Or l’existence de ces clauses est à l’origine d’un nombre de controverses doctrinales.

En théorie, ces clauses sont inefficaces, elles réduisent le champ de liberté contractuelle, au nom du principe fondamental de l’unité interne du contrat, or il est fondamental pour certains de n’avoir un contrat dans le contrat. Les écoles ont au fait, des points de vue nuancés sur la question.

Les chaféites et les malékis admettent l’existence de ces clauses dans le contrat, alors que les hanafites ne font que les tolérer. Un point de vue inspiré par l’école dhahirite (école peu représentée actuellement dans le monde musulman), « il n’est pas permis à la volonté humaine de façonner à sa guise les actes juridiques et d’en fixer le contenu […], il n’y a pas de place dans le fiqh pour l’autonomie de la volonté »2.

Même dans le cas de leur acceptation, elles subissent des limitations pour ne retenir que celles relatives à la morale et aux textes religieux. Ainsi, par exemple, il n’est pas permis de réunir un prêt et une vente, ce qui revient à stipuler deux conditions dans une vente et vendre ce que l’on ne possède pas

1 cf. Comar Obaid, les contrats en droit musulman des affaires, p.39 2 ibid p.36

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actuellement3.

Ces controverses rendent difficiles la mise au point des contrats même sur les sujets relativement simples, et surtout, elles accroissent l’insécurité juridique des relations d’affaires.

La liberté contractuelle apparaît ainsi très limitée, la règle générales étant que « tout accord de volonté est efficace pourvu qu’il ne déroge pas aux principes préétablis »4. Or les modalités de réalisation des contrats sont strictement encadrées par la loi, ce qui rétrécit le domaine d’action supposé être libre.

- Les difficultés :

Les difficultés d’interprétation s’étendent aussi bien à la définition des produits islamiques qu’aux concepts utilisés et aux principes d’interprétation.

Les produits

On expose ici à titre illustratif les divergences concernant les produits salam et mourabaha.

La vente Salam

L’école hanafite très exigeante quant à l’existence de la chose objet de la vente, de la conclusion du contrat à la livraison. Pour les hanafites enfin, l’objet doit être largement défini et il peut être présent au moment de la livraison.

Pour l’école chaféite, si la chose est bien déterminée, bien qu’elle ne soit pas présente au moment de la vente, le contrat est valable.

L’école maliki quant à, considère que la vente peut porter sur tout objet qui se pèse ou se mesure. La présence de l’objet n’est pas nécessaire lors de la conclusion de contrat, et même le paiement peut être différé jusqu’à la livraison.

La mourabaha

C’est la technique la plus utilisée. Elle fait cependant l’objet d’un nombre de critiques :

Les promesses d’achat et de vente sont illicites dans la mesure où elles imposent des obligations incontrôlables puisque l’acheteur promet d’acheter un bien qu’il n’a pas encore vu et que le vendeur promet de vendre alors qu’il n’en dispose pas ;

Si le prix différé est plus élevé que le prix au comptant, cela reviendrait à la rémunération d’un prêt, une pratique entaché de riba ;

En pratique, des pénalités sont facturés en cas de retard de paiement

3 Sanhoury, T.III, p166, cité par Comar Obeid, op.cit. p.39 4 Chehata ch, Essai d’une théorie générale de l’obligation en droit musulman, op, cit., p.105

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alors que le débiteur devrait en être exonéré;

En définitive, le mourabaha permet un contournement de la Shariaa, c’est une opération de crédit déguisé, le montant de l’échéance est fixé à l’avance, et la marge est certaine au défaut de paiement près.

A ces critiques, s’ajoutent les discussions sur la pratique de la double Mourabaha, opération largement pratiquée par les banques islamiques et qui font pourtant l’objet de controverses doctrinales.

En quoi consiste la double mourabaha ?

Sur proposition d’un client, la banque achète une marchandise pour la revendre à ce client moyennant un paiement au comptant du prix (1ère mourabaha). Le client cède alors immédiatement la même marchandise à la même banque, mais le paiement se fera cette fois à une échéance ultérieure et le prix de la marchandise sera plus élevé (seconde mourabaha). Le client perçoit donc à terme un montant plus élevé que celui qu’il a versé au comptant en échange d’une immobilisation de ses fonds pendant une certaine période.

Certains y voient une vente au comptant pris à crédit, c'est-à-dire un placement à terme de trésorerie rémunéré par un intérêt.

Une conférence à Dubaï en 1979 a mis en exergue les divergences des points de vue, mais la majorité l’a considéré comme licite. Au fait, lors de l’achat de la marchandise, le client ne s’engage pas à la racheter. Il s’agit plutôt d’une double promesse d’achat source donc d’une part de risque de contrepartie puisque le client peut faire défaut.

Par ailleurs, la banque connue par le fournisseur, peut bénéficier d’un prix plus bas que celui dont pourrait bénéficier le client.

Ainsi l’opération présenterait les deux caractéristiques de la finance islamique : la prise de risque et le travail effectué.

Il est possible de raffiner l’opération en y insérant un ou deux intermédiaires : le client demande à la banque d’acheter une marchandise pour son compte en tant qu’agent, celle-ci s’adresse à un premier fournisseur qui vend la marchandise au client, ce dernier cède alors les biens en question à la banque qui les revend à un tiers. Formulation bien que complexe, elle est plus conforme au droit islamique des affaires5.

Les fictions juridiques

Tous les droits y ont recours, les procédés extérieurs au droit musulman sont utilisés à condition qu’ils ne soient pas en contradiction avec lui. La coutume ne peut autoriser ce qui est interdit ou défendre ce qui n’est pas autorisé, mais elle

5 Cf. Francois Guéranger, Finance islamique, Dunod, Paris2009.

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peut interdire ce qui est blâmable ou rendre obligatoire ce qui est possible ;

Cependant, certains profitent du vide textuel pour parfois introduire des pratiques appelées ruses (Hiyal) qui permettent d’amoindrir la rigidité des règles. Ces ruses ne sont pas défendues par toutes les écoles, elles sont admises par les écoles hanafites et chaféites. Des montages juridiques sont ainsi construits permettant de résoudre des problèmes précis.

Conséquence au niveau de la pratique

L’ouverture sur l’extérieur et la recherche du compromis parfois impossible avec le droit commercial positif, pousse certaines banques à adopter de formulations douteuses, ce qui met en jeu la crédibilité de la Finance Islamique et sème la confusion chez les fidèles. On cite à titre d’exemples :

Bien que la clause de la promesse qui oblige ne soit pas admise par les quatre écoles islamiques, elle a été retenue par l’AAOIFI et appliqué par l’ensemble des banques islamiques à l’exception de celles du Soudan, Bayt Tamwil Al Koweiti et en Arabie Saoudite, le courant conservateur. On avance que les Malikis l’ont admise, ce qui n’est pas vrai puisqu’ils ne l’admettent que dans les cas des dons (Tabarrou').

L’application des majorations et pénalités pour non réalisation de la promesse dans les délais, bien que prohibée par les quatre écoles, elle est pratiquée par la majorité des Banques Islamiques, à l’exception du courant conservateur. Bien que les recettes qui sont généralement affectées aux actes de bienfaisance, un tel choix est non-conforme à la Shariaa.

Selon certains plus de 85% des Sukuk sont illicites, parce que généralement ou bien ils ne sont pas adossés, ou bien leurs propriétaires sont complètement détachés des biens fongibles que représentent ceux-ci. La propriété des actifs sous-jacents, explicites et tangibles, favorisée par les règles de la Charia devraient renforcer la position des investisseurs en Sukuk en cas de liquidation ou de scénario de défaut de paiement, mais dans la structuration de la plupart des Sukuk, les droits et les règles de transfert (dans les contrats de Sukuk asset-based) ne fournissent pas contractuellement une propriété robuste des sous-jacents aux investisseurs. L’objectif de l’émetteur reste de répliquer de manière islamique une forme de dette conventionnelle6.

Parfois, ils représentent des parts des Sociétés qui ne font pas de distinction dans leurs activités entre Haram et Halal. Ils sont déconnectés de leurs actifs sous-jacents en termes d’appréciation du risque, conduisant les Banques à investir massivement dans des produits risqués ou prohibés,

6 Cf. Anouar HASSOUNE, Sukuk : principes de structuration et opportunités pour l'État de

l’UEMOA, Dakar, janvier 2010.

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non admis par la Charia, mais très rémunérateurs7.

Le financement de la liquidité (Tawarruq) est une opération prohibée par la Charia pour les quatre écoles, alors qu’elle prend de plus en plus de l’ampleur au niveau mondial. Elle conduit à des opérations de spéculations qui ne diffèrent en rien de la finance classique.

A ces difficultés internes à la législation, s’ajoutent des problèmes des droits des États nationaux.

- Le droit interne des États islamiques

Les pays recevant l’investissement islamique ne sont pas soumis intégralement au droit islamique. La coexistence d’un droit musulman et un droit laïque est la réalité qui couvre une trentaine d’États à majorité musulmane regroupant plus de un milliard de musulmans.

Pour réaliser le compromis, certains pays ont désigné des commissions chargées de remplir cette mission, c’est le cas du Conseil de Surveillance de la Constitution en Iran et d’un comité ad hoc au Pakistan.

Au cours du 19ème siècle et 20ème siècle, on a pu observer deux phénomènes dans l’évolution du droit des États musulmans : d’abord l’occidentalisation d’une grande partie du droit, ensuite la codification des matières qui avaient échappé à cette occidentalisation.

La vague de codification a touché plusieurs pays qui adoptèrent le code napoléon. L’empire ottoman représentant le monde musulman à cette époque s’en est inspiré pour faciliter ses activités commerciales avec l’Europe en 8151, mais pas en matière du droit civil. La révolution Kemalienne va adopter par la suite une codification helvétique grâce à des collaborateurs formés en Suisse.

En Égypte, le législateur s’est fortement inspiré du droit français, les fortes relations entre les deux pays au 19ème siècle marquerait profondément ce changement.

Dans les pays du Maghreb, le colonialisme français a joué un rôle déterminant dans la codification du droit dans ces pays.

La cohabitation des deux droits d’inspirations différentes est généralement difficile, ce qui fait que les codes actuellement en vigueur dans les pays musulmans se référent essentiellement à la Shariaa. Ce qui se matérialise par une séparation du droit civil du droit commercial ; un droit civil applicable aux citoyens attachés à leur islamité, et un droit commercial applicable au monde des affaires. Ce qui permettra d’adopter des règles qui sont conformes aux habitudes internationales

7 Voir Farid MASSOUDI et Tarik BELABED, la Finance Islamique dans le contexte de la

crise financière : opportunités et défis, Fiance. Note pour Capmena, mars 2010.

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dans certains pays (cas du Koweït, d’Émirats Arabes Unis, d’Oman) où la jurisprudence précise abondement les modalités d’application du droit de commerce.

Parallèlement les banques islamiques sont tenues de respecter le droit islamique dans leurs opérations financières. La souplesse devient la règle dans le droit islamique grâce au recours à la coutume.

III- Les défis de la finance islamique dans le cas du Maroc

Le Maroc reste à notre connaissance le seul pays arabo musulman qui n’a pas vécu l’expérience de l’installation des banques islamiques sur son territoire. A l’exception de l’admission de certains produits « alternatifs » que les banques classiques ont offert de façon très timide, au moment où la finance islamique est en plein essor, et où le surplus du pétrodollar pourrait facilement être orienté vers le Maroc fort de sa stabilité politique et très favorable par rapport aux autres pays arabes impactés par le printemps arabe.

- Les divers handicapes

Malgré la faible bancarisation et le souhait proclamé des citoyens marocains8 de voir l’installation des banques islamiques dans leur pays, les trois produits alternatifs9 autorisés au Maroc ont eu peu de succès.

Les prix bancaires chers

Le financement alternatif est plus cher de 26% pour la Mourabaha et de 86% pour le produit Ijara comparativement au financement classique. En s’intéressant aux deux formules commercialisées à savoir la Mourabaha et la Ijara wa Iqtinaa immobilière, en reprenant les simulations faites par deux chercheurs marocains10, il s’avère que pour la Mourabaha, le surcroît fiscal est de 4,5% et que le surcroît bancaire est de 48% (95% marge bancaire, 89% frais d’assurance et 68% frais de gestion de Mourabha).

8 Une étude récente du cabinet de Consulting Islamic Finance Advising and Assurance

Services » (IFAAS) sur les opportunités du marché marocain montre que 94% de la population marocaine est intéressée par les opérations islamiques, cf. www.ifaas.com

9 La Mourabaha, l’Ijara wa iqtinaa et la Moucharaka. 10 El OMARI ALAOUI Sidi Mohamed et MAFTAH Souhail, La finance islamique au

Maroc, Imrimerie El Maarif Al Jadida-Rabat 2012

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Tableau n.1 : Cherté du financement Mourabaha11

Montant en DH Financement

alternatif Crédit

classique Différence mensuelle

Différence Totale 20

ans

Niveau du

surcoût

Financement 750.000 750.000

Salaire maximum de remboursement

40% 50%

Période de remboursement

240 mois 240 mois

Taux Marge commerciale

Taux fixe 5,5%

Mensualité HT 5.666,66 5373,69 292,97 70.312,80 44,76% TVA (10% Mourabaha et 10%classique)

254,16 224,87 29,30 7.031,28 4,48%

Mensualité TTC (3=1+2)

5.920,82 5598,56 322,26 77.344,08 49,23%

Frais d’assurance 22.500,00 Incluse dans la mensualité

22500,00 14,32%

Frais gestion Mourabha

57.250,00 ------------- 57.250,00 36,44%

157.094,08 100,00%

Pour l’Ijara wa iqtinaa, le coût est majoré de 86% par rapport au produit classique avec une TVA de 20% appliquée sur le capital et sur la marge locative.

Tableau n.1 : Cherté du financement Ijara wa Iqtinaa12

Montant en DH Financement

alternatif Ijara Crédit

classique Différence mensuelles

Différence totale

Niveau du surcroit

Taux Marge locative Taux fixe 5,50%

Mensualité HT 6.181,16 5.373,69 807,47 197.792,58 37,89% TVA 20% (Ijara wa Iqtinaa) et 10% (classique)

1.236,23 224,87 1011,36 242.726,62 47,45%

Mensualité TTC 7.417,39 5598,56 ---- ----

Valeur résiduelle (10%)

75.000,00 0,00 ---- 75.000 14,66%

511.519,93 100,00%

Le surcroît total de Ijara wa Iqtinaa = 86,16% : (511.519,93/593.654,16)

11 Cf El OMARI ALAOUI Sidi Mohamed et MAFTAH Souhail, La finance islamique au

Maroc, Imrimerie El Maarif Al Jadida-Rabat 2012,p. 29. 12 Cf El OMARI ALAOUI Sidi Mohamed et MAFTAH Souhail op.cit p.31

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Cout total sur 20 ans

Ijara : 1105174,08

Crédit classique : 593.456,16

Différence : 511.519,93

Surcout 86,16%

Surcroit mensuel (réel) 511.519,93/240mois = 2.131,33

La cherté de ces produits alternatifs est due en partie à la marge bancaire très élevée, ce qui nous pousse à nous demander sur les raisons de cette excessivité qui nous parait irrationnelle du point de vue économique. Et nous poserons la question suivante : quel est l’intérêt dans la présentation de ces nouveaux produits s’ils ne sont pas compétitifs ou du moins qu’ils présentent les mêmes conditions concurrentielles ? Les banques qui offrent ces produits existaient déjà avec tous leurs équipements et infrastructure en place, aucune autre dépense n’est venue s’ajouter avec l’adoption de ces nouveaux produits ! Et les risques d’usage de ces produits sont presque inexistants du moins en l’absence d’utilisation du produit Moucharaka (non adoptée jusqu’à présent au Maroc). D‘autant plus qu’ils sont orientés particulièrement vers les opérations d’acquisition de biens immobiliers et des biens de consommation, des opérations à risque presque nul.

Par ailleurs, la TVA supposée neutre ne l’est plus avec ces produits. En effet, au début, les autorités fiscales ont considéré ces produits nouveaux comme faisant partie des activités commerciales bancaires, par la suite ils ont été considérés comme des possibilités offertes pour l’acquisition de biens mobiliers ou immobiliers.

Dans le cas d’Ijara wa Iqtinaa, il est retenu comme assiette de la taxe, la marge bénéficiaire et le capital, ce qui rend l’assiette imposable plus importante - la TVA supportée est donc impérativement beaucoup plus élevée.

Ainsi dans le cas d’acquisition de bien immobilier par Ijara wa Iqtinia,étant donné que l’acquéreur est engagé dès le départ à acheter le logement pourquoi ne pas assimiler en matière fiscale cette opération à une vente. La législation fiscale prévoit des réductions d’impôts sur le revenu dans le cas d’acquisition, ce qui n’est pas admis dans le cas de l’Ijara wa Iqtinaa, les mensualités sont considérées comme des loyers non déductibles de l'Impôt sur le Revenu.

Par ailleurs, si le logement a été détenu pendant plus de 6 ans (LF 2013), le cessionnaire bénéficie de l’exonération de l'Impôt sur le Revenu / profit immobilier. Par contre le recours à l'Ijara wa iqtinaa par le cessionnaire est considéré comme une opération de location, le cessionnaire ne bénéficierait donc pas de cette exonération.

- La motivation religieuse

Si le choix de ces produits n’est pas motivé par des incitations économiques

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et fiscales, il l’est encore moins du point de vu moral et religieux.

L’offre des produits (alternatifs) islamiques par les banques classiques n’est pas convaincante pour les pratiquants qui ont l’impression d’acheter de la viande supposée halal à un boucher qui vend du porc.

Bank Al Maghrib, en interdisant l’utilisation dans la compagne publicitaire de l’argument religieux ne fait que renforcer cette impression ; d’autant plus que la publicité destinée à ces produits est presque inexistante.

L’absence de « Majliss Oulama » dans le domaine de l’information, en prenant des avis clairs quant à la conformité à la charia des produits financiers classiques et celles de la finance islamique sème la confusion, et rend indécis le citoyen marocain.

- Le faible engagement des autorités gouvernementales

La loi bancaire13 permet à Bank al Marghrib d’exercer un contrôle sur l’entrée et sortie du marché bancaire, l’article 4 de cette loi autorise seulement les opérations bancaires dont l’exercice n’est pas de nature à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence. Ave l'introduction de la finance islamique, il y’a le risque d’introduction de banques géantes ce qui peut déséquilibrer le marché bancaire national selon certains. Mais le risque est couru plutôt par les quelques familles qui monopolisent le marché de la finance au Maroc est non par l’économie marocaine qui a un besoin énorme en devises et en investissements.

L’absence d’étude profonde préparant l’engagement des autorités gouvernementales décourage toute initiative et plonge aussi bien l’opinion publique que des autorités dans un climat de doute et d’hésitation. Ce qui fait perdre au Maroc des opportunités énormes qui pourraient favoriser son décollage économiques : le printemps arabe, la crise financière occidentale et le recyclage du pétrodollar en excès grâce à la hausse des prix des hydrocarbures et la réorientation des courants des placements financiers au niveau mondial.

Au niveau du parlement, on ne sent pas de force significative de l'engagement et de la volonté de soutenir ce mode de financement ; à l’exception d’actes isolés et de simples lettres adressées dans ce sens, et même le projet de loi des établissements de crédit prévoyant l’introduction de la fiance islamique, demeure très timide et trop passif pour accorder les encouragements nécessaires à la finance islamique14.

- Le défi de l’introduction de la finances islamique au Maroc

13 Dahir n° 1-05-178 du 14 février 2006 Moharem 1427 portant loi n°34-03 relative aux

établissements de crédit et organismes assimilés .l’art.12 de cette loi interdit l’exercice à

toute banque non agrée en qualité d’établissement de crédit. 14 Projet de loi relative aux établissements de crédit et organismes assimilés, juillet 2012.

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Le Maroc doit tirer des enseignements des expériences des autre pays en adoptant un système dualiste où cohabiteraient les deux modes de financement, ce qui ne l’empêcherait pas de se glisser progressivement vers un système totalement islamique.

En Malaisie par exemple, où cohabitent les deux systèmes, on a vu le nombre des banques islamiques augmenter de 2 à 11 banques entre 2001 et 2007. Inversement le nombre de banques classiques a régressé de quatorze à sept. Le nombre d’agence est monté de 800 à 807 durant la même période.

Le total des actifs a augmenté au cours de la même période en passant de 8,22% à 12,80%. Le total des financements a augmenté de 6,53% à 13,96% et les dépôts se sont élevés15 de 9,50% à 14,02%.

Dans les autre pays tels, Bahreïn, l’Arabie Saoudite, et même dans les pays occidentaux, la finance islamique connaît un essor énorme. Souvent les deux systèmes cohabitent sans danger l’un pour l’autre, chacun présentant ses propres produits et certains présentant les deux à la fois, et chacun à ses propres clients.

- Créer un environnement favorable

Le gouvernement en Malaisie a proposé une panoplie de mesures attractives notamment en matière fiscale en exonérant les revenues des experts étrangers en finance islamique, en admettant la déductibilité fiscale des frais d’étude en finance islamique. De même en droit de travail, il a été admis la possibilité de recrutement d’experts en finance islamique sans aucune restriction, tout en créant un fond pour la recherche en finance islamique. Ce qui montre l’engagement ferme de l’autorité gouvernementale et sa volonté de faire réussir ce mode de financement.

De même en Europe, la dernière crise financière a piqué sur le vif certains pays, convaincus de l’apport positif de ce mode financement. Ils ne se sont pas contentés d’observer et d’attendre l’offre étrangère du système financier islamique, ils ont engagé un nombre d’études et organisé des tables rondes, des colloques et des réunions avec des experts de la finance islamique – ce qui les a convaincu de la nécessité de l’harmonisation des cadres juridiques et fiscaux de leurs pays pour les accueillir.

La G.B a commencé cette harmonisation depuis le début des années quatre vint dix, une avance de 10 ans par rapport aux autres places financières de l' Europe qui lui vaut une installation de 22 banques islamiques en plus de cinq d’investissement et une banque de détail entièrement conformes à la Shariaa.

La G.B a procédé à l’abrogation de multiples taxes d’enregistrement et de timbres sur les hypothèques islamiques (L.F 2003), des mesures destinées à effacer

15 Cf El OMARI ALAOUI Sidi Mohamed et MAFTAH Souhail op.cit. p.56

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les différences de taxation entre les banques conventionnelles et les banques islamiques.

Elle a également introduit des dispositions visant à mettre les produits islamiques au même pied d’égalité avec les produits classiques (LF 2005 et 2006). Avec la LF 0117, il y’a eu clarification du cadre fiscale des Sukuk.

Sur le plan réglementaire, dès 0119, il y’a eu approbation de la Financial Service Authority ; ainsi il a été élaboré un cadre réglementaire approprié dont notamment un dispositif législatif pour la réglementation des Sukuk (décembre 2008), permettant ainsi de faire un rapprochement entre les instruments de financement classiques et ceux de la finance islamique. Des incitations normatives portant sur les principes comptables de l’Organisation Internationale des Commissions de Valeurs (OICV) ont été introduites pour les adapter aux pratiques de la finance islamique.

Cette réussite a séduit d’autres pays dont principalement la France pour qui, le développement de l’industrie de la finance islamique est devenu une priorité. Le ministère de l’économie de l’industrie et de l’emploi a ainsi, créé dans cet objet le « Haut Comité de la Place » en 2007, et il a adopté une série de mesures accompagnant l’investissement et la finance islamique en France.

Le Maroc n’a qu’à faire le Benchmarking, la réussite du modèle de transition de la Malaisie peut être prise comme exemple et la prise de l’initiative de l’adoption du système en Grande Bretagne et en France comme argument convaincant de l’apport positif de celui-ci, en ces circonstances de crise de la finance au niveau international.

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Bibliographie

Ouvrages

- Chehata ch, Essai d’une théorie générale de l’obligation en droit musulman, Dalloz 2005.

- Comar Obeid, les contrats en droit musulman des affaires, Paris Economisa, 1995.

- El OMARI ALAOUI Sidi Mohamed et MAFTAH Souhail, La finance islamique au Maroc, Imprimerie El Maarif Al Jadida-Rabat 2012.

- Francois Guéranger, Finance islamique, Dunod, Paris2009.

Interventions

- Anouar Hassoune, Sukuk : principes de structuration et opportunités pour les Etats de l’UEMOA, Dakar, janvier 0181.

- Anouar Hassoune, Etat des lieux et enjeux de la gestion des risques en finance islamique, paris janvier 2010.

- Farid Masmoudi et Tarik Beabed, La finance islamique dans le contexte de la crise financière : opportunités et défis, notes pour Capmena, mars 2010.

Réglementation

- Dahir n° 1-05-178 du 14 février 2006 Moharem 1427 portant loi n°34-03 relative aux établissements de crédit et organismes assimilés .l’art.80 de cette loi interdit l’exercice à toute banque non agrée en qualité d’établissement de crédit.

- Projet de loi relative aux établissements de crédit et organismes assimilés, juillet 2012.

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