Les complications neurologiques après circulation extracorporelle

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192 Le praticien en anesthésie réanimation © Masson, Paris, 2006 mise au point Les complications neurologiques après circulation extracorporelle Charles Christian Arvieux (photo), Gildas Gueret, Benoît Rossignol Correspondance : Charles Christian Arvieux, Service d’Anesthésie Réanimation Chirurgicale, Hôpital de la Cavale Blanche, CHU de Brest, 29609 Brest cedex. [email protected] i vingt ans de substantielles améliorations dans la morbidité et la mortalité des patients opérés en chirurgie cardiaque ont pu être obtenus du fait du perfectionnement des techniques tant chirurgicales, anesthésiques que de réanimation, les compli- cations neurologiques restent préoccupantes, particulièrement chez les sujets âgés. En effet, en postopératoire un fort pourcen- tage de patients présente dans les heures, jours voire mois ou années suivant l’intervention, des complications neurologiques de gravité et de durée variables. Certains de ces accidents de type vasculaire cérébral (AVC) ne prêtent pas à confusion quant à leur étiologie mais ils posent le problème de l’origine de l’ischémie. D’autres complications, à type de perturbations neuropsychologiques aiguës ou prolongées, ressemblent aux dysfonctions cérébrales postopératoires constatées chez le sujet âgé après anesthésie générale ou locorégionale pour une intervention non cardiaque de gravité variable (1, 2). Cependant, ces complications sont plus fré- quentes après chirurgie cardiaque, ce qui oblige à reconsidérer les mécanismes sous-jacents. Nous tenterons ici de démontrer les causes connues ou putatives de ces différents types de complica- tions et de voir dans quelle mesure nous pouvons les prévenir. Les complications neurologiques de type 1 et de type 2 Roach et coll. (3) divisent en deux groupes les manifestations neurologiques survenant après chirurgie cardiaque : – le type I est constitué soit par des déficits sensitivomoteurs per- manents ou transitoires soit par un coma. Les AVC peuvent sur- S venir en postopératoire immédiat ou n’apparaître que vers le 2 e ou 3 e jour. Leur fréquence est de l’ordre de 1 % en dessous de 65 ans, de 5 % entre 65 et 75 ans et plus de 8 % au-delà ; – le type II inclut des dysfonctions neuropsychologiques sans lésion organique identifiée survenant soit en postopératoire immédiat et ne durant que quelques jours (confusion mentale, agitation, delirium aigu) soit apparaissant progressivement pres- que à bas bruit et durant pendant des mois ou des années (déficit de mémorisation). On note également parfois une comitialité. L’incidence des délires aigus est de 13 à 30 %, et les dysfonctions cérébrales progressives ou retardées peuvent affecter 53 % des patients bénéficiant d’un pontage aorto-coronarien à la sortie du service (4). Elles peuvent perdurer sur des semaines, des mois et des années : elles concernent 36 % des sujets à 6 semaines, 24 % à 6 mois avec une remontée tardive à 42 % à 5 ans. Il est impor- tant de noter à ce stade que le taux de dysfonction cérébrale pro- gressive après chirurgie non cardiaque est de 26 % à une semaine et 10 % à trois mois selon Canet et coll. (1). Les facteurs prédictifs des complications de type I rapportés par Roach et coll. sont l’existence d’une athérosclérose de l’aorte proxi- male, des antécédents d’AVC et l’âge du patient. Les facteurs lais- sant présager des accidents de type II seraient l’âge du patient, une hypertension artérielle systolique à l’arrivée, une pathologie pulmonaire et l’intoxication alcoolique chronique. L’âge semble être le facteur prédictif le plus souvent en cause, ce qui n’a rien de surprenant puisque, avec le temps, l’hypertension, l’athérosclérose associée ou non à un diabète peuvent aggraver les lésions d’un système nerveux déjà soumis au phénomène naturel du vieillisse- ment physiologique : – l’hypertension artérielle déplace vers la droite la courbe d’auto- régulation du débit sanguin cérébral, prédisposant ces patients à une hypoperfusion pour des pressions de perfusion habituelle- ment inoffensives ; – l’athérosclérose peut agir soit par le biais de plaques d’athérome qui peuvent libérer des particules lors du clampage aortique, induisant un accident embolique, soit par réduction du débit san- guin cérébral à travers une sténose hémodynamiquement signifi- cative de la carotide, produisant une ischémie. Il faut autant que possible détecter ces plaques en préopératoire, de façon à adapter

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Le praticien en anesthésie réanimation© Masson, Paris, 2006

mise au point

Les complications neurologiques après circulation extracorporelle

Charles Christian Arvieux (photo), Gildas Gueret, Benoît Rossignol

Correspondance :

Charles Christian Arvieux, Service d’Anesthésie Réanimation Chirurgicale, Hôpital de la Cavale Blanche, CHU de Brest, 29609 Brest [email protected]

i vingt ans de substantielles améliorations dans la morbiditéet la mortalité des patients opérés en chirurgie cardiaque ontpu être obtenus du fait du perfectionnement des techniques

tant chirurgicales, anesthésiques que de réanimation, les compli-cations neurologiques restent préoccupantes, particulièrementchez les sujets âgés. En effet, en postopératoire un fort pourcen-tage de patients présente dans les heures, jours voire mois ouannées suivant l’intervention, des complications neurologiques degravité et de durée variables. Certains de ces accidents de typevasculaire cérébral (AVC) ne prêtent pas à confusion quant à leurétiologie mais ils posent le problème de l’origine de l’ischémie.D’autres complications, à type de perturbations neuropsychologiquesaiguës ou prolongées, ressemblent aux dysfonctions cérébralespostopératoires constatées chez le sujet âgé après anesthésiegénérale ou locorégionale pour une intervention non cardiaque degravité variable (1, 2). Cependant, ces complications sont plus fré-quentes après chirurgie cardiaque, ce qui oblige à reconsidérer lesmécanismes sous-jacents. Nous tenterons ici de démontrer lescauses connues ou putatives de ces différents types de complica-tions et de voir dans quelle mesure nous pouvons les prévenir.

Les complications neurologiques de type 1 et de type 2

Roach et coll. (3) divisent en deux groupes les manifestationsneurologiques survenant après chirurgie cardiaque :– le type I est constitué soit par des déficits sensitivomoteurs per-manents ou transitoires soit par un coma. Les AVC peuvent sur-

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venir en postopératoire immédiat ou n’apparaître que vers le 2

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 jour. Leur fréquence est de l’ordre de 1 % en dessous de 65 ans,de 5 % entre 65 et 75 ans et plus de 8 % au-delà ;– le type II inclut des dysfonctions neuropsychologiques sanslésion organique identifiée survenant soit en postopératoireimmédiat et ne durant que quelques jours (confusion mentale,agitation, delirium aigu) soit apparaissant progressivement pres-que à bas bruit et durant pendant des mois ou des années (déficitde mémorisation). On note également parfois une comitialité.L’incidence des délires aigus est de 13 à 30 %, et les dysfonctionscérébrales progressives ou retardées peuvent affecter 53 % despatients bénéficiant d’un pontage aorto-coronarien à la sortie duservice (4). Elles peuvent perdurer sur des semaines, des mois etdes années : elles concernent 36 % des sujets à 6 semaines, 24 %à 6 mois avec une remontée tardive à 42 % à 5 ans. Il est impor-tant de noter à ce stade que le taux de dysfonction cérébrale pro-gressive après chirurgie non cardiaque est de 26 % à une semaineet 10 % à trois mois selon Canet et coll. (1).Les facteurs prédictifs des complications de type I rapportés parRoach et coll. sont l’existence d’une athérosclérose de l’aorte proxi-male, des antécédents d’AVC et l’âge du patient. Les facteurs lais-sant présager des accidents de type II seraient l’âge du patient,une hypertension artérielle systolique à l’arrivée, une pathologiepulmonaire et l’intoxication alcoolique chronique. L’âge sembleêtre le facteur prédictif le plus souvent en cause, ce qui n’a rien desurprenant puisque, avec le temps, l’hypertension, l’athéroscléroseassociée ou non à un diabète peuvent aggraver les lésions d’unsystème nerveux déjà soumis au phénomène naturel du vieillisse-ment physiologique :– l’hypertension artérielle déplace vers la droite la courbe d’auto-régulation du débit sanguin cérébral, prédisposant ces patients àune hypoperfusion pour des pressions de perfusion habituelle-ment inoffensives ;– l’athérosclérose peut agir soit par le biais de plaques d’athéromequi peuvent libérer des particules lors du clampage aortique,induisant un accident embolique, soit par réduction du débit san-guin cérébral à travers une sténose hémodynamiquement signifi-cative de la carotide, produisant une ischémie. Il faut autant quepossible détecter ces plaques en préopératoire, de façon à adapter

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les techniques chirurgicales pour éviter le clampage aortique ouprévoir une endartériectomie préalable. Il n’est pas anodin deconstater que des antécédents d’AVC constituent un facteur de ris-que supplémentaire d’ischémie cérébrale peropératoire. Plusieursétudes ont montré que l’endartériectomie restaurait une perfusioncérébrale satisfaisante (5, 6) ;

– le diabète, à travers la microangiopathie qu’il induit, modifiel’hémodynamique cérébrale, prédisposant aux AVC. De plus, il estbien établi que des glycémies élevées aggravent les lésions céré-brales lors d’une ischémie (7).

Les dysfonctions cérébrales post CEC sont plus fréquentes

chez les sujets âgés

Si les manifestations de type I ne peuvent prêter à confusionquant à l’origine organique des lésions causales, celles de type IIposent un problème étiologique évident. Sommes-nous en pré-sence de lésions organiques infracliniques ou situées dans unezone cérébrale silencieuse ? Ou sommes-nous devant une dysfonc-tion cérébrale du type de celles souvent constatées chez des sujetsde plus de 60 ans opérés de chirurgie lourde non cardiaque sousanesthésie générale ou locorégionale (1, 2) ?

Physiopathologie des complications neurologiques

L’ischémie et le cerveau

La perfusion cérébrale peut être modifiée en fonction du site del’intervention, comme par exemple au cours de la chirurgie del’arche aortique impliquant les vaisseaux à destinée céphalique.Elle peut également être diminuée par des sténoses significativessur l’un de ces vaisseaux (5, 6) ou le faible débit de pompe encours de CEC. Une autre possibilité provient de l’embolisation dedébris de plaques de cholestérol ou d’embols gazeux, voire graisseux.Toutes ces causes peuvent avoir une voie physiopathologiquecommune vers l’ischémie et des facteurs de risques communs,avec des effets cumulatifs.

Physiopathologie de l’ischémie cérébrale per-CEC

Les lésions ischémiques suivent une voie commune directe depuisla privation d’oxygène jusqu’à la mort cellulaire. Les délais d’appa-rition des lésions cellulaires peuvent s’échelonner de quelquesminutes à 2 ou 3 jours. Ces dernières lésions sont dites de mort

cellulaire retardée (« delayed cellular necrosis » des anglo-saxons). Nous avons mené chez le rat une étude portant sur leseffets préventifs de la kétamine et du propofol sur un modèled’ischémie cérébrale par clampage carotidien unilatéral associé àune hypotension hypovolémique pendant 60 minutes. La simplesurveillance clinique à l’aide d’un score neurologique en dix huitpoints a permis de montrer que quelques rats de la série kétamineprésentaient des dysfonctions neurologiques minimes au premieret deuxième jours postopératoires mais que la moitié de l’effectifdécédait dans un tableau de coma subit au troisième jour

(fig. 1)

.Dans la série propofol, le score neurologique était nettement plus

Figure 1. Évolution du score neurologique chez les deux populations de rats « kétamine » et « propofol » dans les trois jours suivant un épi-sode d’ischémie — reperfusion d’un des hémisphères. Le score comporte 18 points suivant l’altération de la coordination des mouvements, de l’équilibre, des réflexes posturaux, de l’état de conscience et du comportement des animaux. L’état normal donne un score nul, et un coma ou le décès subit un score maximal.

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perturbé dès le premier jour, avec une aggravation le deuxièmejour et un décès de neuf animaux sur dix le troisième jour. Ainsi,à la suite de la reperfusion cérébrale, trois modes évolutifs appa-raissent chez l’animal :– décès en post expérimentation immédiate, par œdème cérébral(moins de 2 heures) ;– décès dans les trois jours qui suivent l’ischémie expérimentaleaprès avoir récupéré une fonction cérébrale quasi intégrale lepremier jour, mais une démarche désordonnée avec perturbationsplus ou moins accentuées du score neurologique dès le deuxièmejour, et évolution vers un coma profond ou décès brutal au troi-sième jour ;– enfin, survie sans aucun trouble parmi la population ischémiée.L’histopathologie a mis en évidence des lésions cellulaires pro-fondes dans l’aire C1A de l’hippocampe chez les animaux décé-dés, alors qu’aucune lésion n’était observée chez les survivants

(fig. 2)

. Cette expérimentation montre les effets relativementprotecteurs de la kétamine vis-à-vis de l’ischémie cérébrale, parson action inhibitrice sur les récepteurs NMDA. En effet, uneanoxie ou une ischémie cérébrale vont entraîner une hyperpro-duction de glutamate. Le glutamate en excès peut agir sur deuxtypes de récepteurs, des récepteurs non NMDA et des récepteursNMDA. L’action sur les récepteurs non NMDA provoque uneentrée brutale de sodium dans les cellules, à l’origine d’une mortcellulaire immédiate par œdème. Nous avons constaté dans notresérie une très forte mortalité immédiate avec, en anatomiepathologique, un volumineux œdème cérébral. La stimulationdes récepteurs NMDA par le glutamate induit une entrée de cal-cium à l’origine d’une mort cellulaire retardée survenant généra-lement vers le deuxième ou le troisième jour post-agression.

Ainsi, dans cette expérimentation, la kétamine a pu préserver lamoitié de l’effectif des effets retardés de l’ischémie cérébrale. Cetargument expérimental semble pouvoir être approché de la situa-tion clinique où, en postopératoire de chirurgie cardiaque, lepatient présente des perturbations des tests psychomoteurs com-mençant dès le 2

e

-3

e

 jour sans que l’on puisse toujours mettre enévidence des lésions permanentes dans des zones cliniquementsilencieuses du cerveau, par une imagerie cérébrale, qu’il fautpouvoir motiver par des signes cliniques. L’ischémie est due à undéficit en apport sanguin au niveau cellulaire et les lésions cel-lulaires varient en fonction de cinq grands principes que l’onpeut résumer de la manière suivante :

– toutes les structures cérébrales ne reçoivent pas le même débitsanguin, certaines sont chroniquement sousperfusées au pointqu’une discrète diminution de la pression de perfusion peutinduire rapidement une ischémie dans cette zone. C’est ce qu’onappelle le « débit cérébral seuil » ;

– toutes les ischémies ne sont pas permanentes et le délai de res-tauration d’un flux sanguin normal détermine le « délai critique »au-delà duquel les lésions commencent à apparaître ;

– tous les tissus ne sont pas égaux face à l’ischémie. Certainsendurent une ischémie beaucoup plus longtemps que d’autres,sans développer de lésion. C’est la « susceptibilité tissulaire » ;

– une ischémie peut être complète ou non, avec donc possibilitéd’un « flux sanguin résiduel » de la plus haute importance enterme de métabolisme

(tableau 1)

 ;

– enfin, une ischémie peut être globale ou focale, cette dernièrepermettant une possibilité de « suppléance ».

La

figure 3

résume ces différents déterminants.

Figure 2. A : Coupe histologique frontale passant par la zone C1a de l’hippocampe dans un cerveau de rat décédé au 3 e jour post-ischémie. À gauche de l’image, l’hémisphère présente une structure normale. À droite, l’hémisphère ischémié montre une dégénérescence des couches cellu-laires, avec des zones de vacuolisation.B : Agrandissement de la zone ischémiée montrant la raréfaction cellulaire avec des noyaux pycnotiques et de très nombreuses zones de vacuolisation.C : Agrandissement de la zone symétrique dans l’hémisphère non ischémié montrant le maintien des structures avec une grande richesse cellulaire et une rareté de la vacuolisation.

ba c

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Que se passe-t-il à l’étage sub-cellulaire ?

La privation d’oxygène induit une acidose intracellulaire par accu-mulation de lactates, une dégradation rapide des composésphosphatés à haute énergie conduisant à l’accumulation d’adéno-sine qui va elle-même être catabolisée par la xantine-oxydase enacide urique. Selon qu’il persiste ou non un débit sanguin rési-duel, la captation de glucose et un métabolisme oxydatif minimalpeuvent perdurer. Cette ischémie incomplète permet une faibleproduction d’ATP (2 molécules au lieu de 38), qui limite l’accumu-lation de lactates et l’acidose cellulaire. Là est l’importance dumaintien d’un flux sanguin résiduel. La cascade ischémique

(fig. 4)

, induit une accumulation intracytosolique de calcium quiactive les phospholipases et, ainsi, la dégradation des phospholi-pides membranaires libérant des acides gras libres. L’augmenta-tion du calcium intracellulaire débute avec la privation en phos-phates à haute énergie et la faillite des pompes membranaires : lespompes sodiques travaillent de manière moins efficace et perdentleur sélectivité pour le sodium, permettant ainsi au calcium derentrer de manière non sélective dans la cellule ; l’acidose, à sontour, active la pompe à sodium-proton pour évacuer les ions H

+

,augmentant ainsi le stock intracellulaire de sodium qui est évacuépar l’échangeur sodium-calcium, au prix d’une majoration del’accumulation de calcium ; enfin, l’œdème cellulaire détériore lesstructures membranaires, permettant une entrée libre de sodiumet de calcium à l’intérieur de la cellule. La nécrose cellulaire estaccélérée par l’activation lysosomiale et par la protéolyse déclen-chée par l’acidose métabolique.

Cette physiopathologie de l’ischémie cérébrale est à l’heureactuelle admise et peut permettre d’envisager des moyens de pré-vention en chirurgie cardiaque.

Les mécanismes impliqués

La macroembolisation

Les plaques athéromateuses peuvent être à l’origine de l’embolisa-tion de particules ou de thrombose in situ. Trehan et coll. (8) onttenté de relier la gravité des lésions athéromateuses aortiquesavec le risque embolique. Ils ont classé en trois paliers de gravitéles lésions athéromateuses :– le grade I correspond à des plaques lisses, avec un épaississe-ment intimal inférieur à 5 mm vers la lumière aortique ;– le grade II correspond à une sévère irrégularité intimale, avecune augmentation irrégulière de l’échogénicité et une extensionvers la lumière dépassant 5 mm ;– le grade III correspond à des plaques avec segments mobiles.Ces auteurs ont montré que les lésions les plus graves se localisaientdans le tiers distal de l’arc aortique et que, chez les sujets de plus de70 ans, ces lésions sont constituées à 80 % de grades II et III. Endessous de cet âge, cette proportion passe à moins de 50 %.

Figure 3. De l’ischémie à la nécrose cellulaire, plusieurs déterminants ajou-tent leurs effets pour altérer la viabilité cellulaire. Le retard à la reperfusion, l’existence d’un flux sanguin résiduel, une consom-mation d’oxygène plus ou moins élevée associés à la susceptibi-lité tissulaire sont autant de facteurs de risque de mort cellulaire soit immédiate par œdème cellulaire, soit retardée par apoptose.

Temps20- 60 minutes 2- 6 heures

Ischémie Nécrose

MVO 2Pas de flux sanguin

collatéral

Viabilité cellulaire

Reperfusion

MVO 2 basse élevée

Bon flux sanguin collatéral

Figure 4. À la suite d’une ischémie, plusieurs événements cellulaires vont aggraver cette ischémie et conduire à la nécrose cellulaire. La faible délivrance en oxygène par la dépression mitochondriale qu’elle induit réduit la production des phosphates à haute éner-gie (traduire l’ATP) nécessaires au fonctionnement des pompes membranaires qui maintiennent l’homéostasie cellulaire. Le défaut d’apport énergétique provoque l’utilisation des acides gras dont les métabolites sont impliqués dans l’activation des phospholipases qui détruisent la bicouche de phospholipides membranaire, produisant des lésions membranaires, une fuite d’enzymes et une nécrose cellulaire. Les métabolites des acides gras aggravent également la dépression mitochondriale. Une acidose cellulaire s’installe progressivement activant les lysoso-mes et faisant apparaître une protéolyse qui contribue à la

Faible délivrance d’O2 Faible débit sanguin

ATP

Fuite K+

Nécrose

Ischémie

Aggravation del’ischémie

Lésionsmembranaires

Activation desphospholipases

Ca++

Métabolites acides gras Lactate, H+, CO2

Protéolyse

ActivationlysosomialeNa+, œdème

dépression mitochondriale

Acidose cellulaire

Relargaged’enzymes

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De même, la fibrillation auriculaire, fréquente en postopératoireimmédiat, peut engendrer des embols cruoriques. Les travaux deLikovski (9) ont montré, sur près de 12 000 pontages aortocoro-nariens consécutifs, que ces AVC s’accompagnaient dans 14 % descas d’une fibrillation auriculaire dans les 24 heures qui suiventl’intervention, avec un risque relatif de 1,82.

La microembolisation

Ce mécanisme est connu de longue date (les premières publica-tions remontent aux années soixante) mais il semble jusqu’àrécemment avoir été minimisé. Il s’agit de la mise en circulationpar le biais de la CEC de bulles d’air, de particules de graisse,d’agrégats plaquettaires. Chronologiquement les embols d’air sontpossibles tout au long de la procédure de CEC : aux différentesmanœuvres de canulation et décanulation, à la mise en route de laCEC, au clampage et déclampage aortiques, au redémarrage ducœur mais aussi durant les prélèvements de sang ou l’injection deproduits dans le circuit. La surveillance systématique par Dopplercérébral confirme la grande fréquence de ce type d’embolisation.Il est cependant difficile d’en déterminer les conséquences délétè-res ; le rapprochement avec les accidents de décompression laissepenser que la bulle piégée dans un vaisseau cérébral peut agirautant par sa taille que par les phénomènes d’activation plaquet-taire qu’elle induit. Par ailleurs, plus récemment, l’embolie grais-seuse a été remise en exergue.

Les microembols ont un rôle important dans les dysfonctions

cérébrales post-CEC

En effet, il s’agit en quelque sorte de la reviviscence d’une vieillehistoire puisque Miller, en 1962 (10), rapportait dans Surgery descas d’embolie graisseuse per-CEC. Wright a confirmé ces donnéesen 1963 (11) dans la même revue, ainsi que De Gasperi en 1968(12) qui poussa l’élégance jusqu’à démontrer, chez l’humain,l’existence de micro-embols graisseux en microscopie électroni-que. Ultérieurement, au milieu des années 70, de nouveaux casont été rapportés et des expérimentations chez l’animal ontdémontré le caractère délétère de ces embols. Tous les interve-nants de chirurgie cardiaque, chirurgiens, perfusionnistes etanesthésistes-réanimateurs ont un temps oublié ces leçons dupassé et viennent de les redécouvrir récemment. La plus belledémonstration nous vient des travaux de médecine légale deBrown (13). Il a pu montrer, par vérification anatomique systéma-tique chez des patients décédés dans les 3 semaines suivant uneintervention de chirurgie cardiaque sous CEC, que la quantité

d’embols cérébraux était directement proportionnelle à la duréede la CEC et que le délai de survie était inversement corrélé à cettecharge embolique cérébrale : plus il y a d’embols, plus le décès estprécoce. Ces microembolismes pourraient jouer un rôle dans lesdysfonctions cérébrales progressives, au même titre qu’une hypo-perfusion ou la réaction inflammatoire associée à la CEC (14).

L’hypoperfusion

Le débit de la CEC est volontairement réduit de 30 % par rapportau débit cardiaque normal, afin d’éviter le traumatisme des élé-ments figurés du sang. On peut ainsi concevoir que s’il existe deslésions oblitérantes des vaisseaux à destinée cérébrale, une hypo-perfusion per-CEC soit possible. Ces lésions prédominent dans leszones chroniquement sous-perfusées (ischémie jonctionnelleentre deux territoires vasculaires contigus), dans les régions céré-brales où le tissu cérébral est le plus vulnérable ou dans les terri-toires où la consommation d’oxygène est la plus élevée. Il fautrapprocher de ce mécanisme les résultats des travaux de Likovskidéjà cités (9) et ceux d’Ascione (15). Le premier, sur 12 000 pon-tages aortocoronariens consécutifs, a pu montrer qu’outre la fré-quence de la fibrillation auriculaire, d’autres facteurs peropératoiresinduisent un risque d’AVC : utilisation prolongée d’inotropes(10 % des cas, risque relatif de 2,6) ; durée de la circulation extra-corporelle de plus 114 minutes (23 % des cas, risque relatif de2,4). Pour Ascione et coll. (15), trois facteurs particuliers ont uneincidence beaucoup plus forte que l’âge sur la survenue d’une

Tableau 1Tableau comparatif des effets métaboliques de la persistance d’un flux sanguin résiduel (ischémie incomplète) par rapport à une absence totale de perfusion pendant l’ischémie. Un flux sanguin résiduel maintient un captage minimal de glucose et autorise la persistance d’un métabolisme oxydatif, ce qui réduit l’acidose cellulaire avec une faible accumulation de lactate et de pyrophosphate. Ainsi, les lésions ischémiques sont moindres lorsque persiste un flux sanguin résiduel.

Ischémie incomplète

Ischémie complète

Captation de glucose + –

Acidose cellulaire + ++

Accumulation de lactate + ++

Accumulation de pyrophosphate + ++

Métabolisme oxydatif ± nul

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ischémie cérébrale : angor instable (risque relatif de 2,7), antécé-dents d’infarctus myocardiques récents (risque relatif de 3) et sur-tout extrême urgence de l’intervention qui multiplie le risque par16. Si on analyse plus finement les résultats de ces deux études, ilapparaît à l’évidence que les facteurs prédisposant aux complicationscérébrales postopératoires sont strictement reliés à l’hypoper-fusion, celle-ci pouvant provenir d’un bas débit lié à une insuffi-sance cardiaque préexistante, survenir en peropératoire et nécessiterl’utilisation d’inotropes, ou être liée à une durée prolongée de CEC(en dehors de son effet par le biais de la majoration du risqueembolique).

La CEC et sa gestion

Sans rentrer dans le domaine très spécialisé des techniques deperfusion, il est possible d’évoquer quelques facteurs qui ont puêtre avancés comme facteurs de risque d’ischémie ou d’anoxiecérébrale au cours de la CEC. La température de CEC est un facteurde risque qui reste toujours débattu : la normothermie a été plusfréquemment incriminée dans des AVC par rapport à l’hypothermiemais ce point n’a pas été confirmé par des études ultérieures. Parailleurs, il se pourrait que l’utilisation systématique d’agentsvasopresseurs comme la noradrénaline, utilisée pour maintenir lapression de perfusion chez les sujets en normothermie, puissefavoriser l’ischémie cérébrale. Avec une hypothermie modérée,une relative protection cérébrale perdure du fait notamment d’unemoindre production d’acides aminés neuroexcitateurs et d’uneréponse inflammatoire moindre par rapport à la normothermie. Iln’en reste pas moins que le taux d’ischémie cérébrale avérée esttout à fait similaire que le sujet soit en hypothermie (1,6 %) ou ennormothermie (1,5 %), comme l’a mis en évidence l’étude des« Warm Heart Investigators » en 1994 (16). Le débit de pompe etla pression de perfusion cérébrale doivent être ajustés à la demandecérébrale en oxygène, surtout en normothermie ou durant lapériode de réchauffement d’une circulation hypothermique, par lesimple fait que la perfusion cérébrale peut devenir inadaptée à unmoment où la consommation cérébrale d’oxygène est en forte aug-mentation. Notons cependant qu’on constate cette augmentationde la consommation d’oxygène tant dans les interventions sousCEC que sans CEC. Le contrôle du pH et de la PaCO

2

per-CEC est plusen faveur de l’alpha-stat chez l’adulte (maintien d’un pH à 7,40et d’une PaCO

2

à 5,3 KPa quelle que soit la température) que lepH-stat (pH et PaCO

2

corrigés en fonction de la températurecorporelle) car il est plus susceptible de diminuer l’incidence descomplications neurologiques. Il semble que cette supériorité soitencore débattue.

La réaction inflammatoire

L’utilisation d’un circuit extracorporel fait apparaître une réactioninflammatoire tant cellulaire qu’humorale, à l’origine d’une vaso-plégie, fréquente en post-CEC. Celle-ci a été incriminée dans descomplications multiviscérales similaires au SIRS (notammentinsuffisance cardiaque ou rénale). Son implication dans la dys-fonction cérébrale aiguë ou progressive n’est actuellement pasencore démontrée. Cependant, comme nous l’avons signalé dansla description du mécanisme lésionnel des embols gazeux, il n’estpas impossible que cette réaction inflammatoire puisse s’avérerdélétère (14).

Les facteurs génétiques

Une étude ancienne a établi une relation entre la présence del’allèle APOE 4 et la survenue de dysfonctions cognitives sixsemaines après l’intervention (par rapport aux allèles APOE 2/3)(17), l’hypothèse semblant séduisante par son analogie avec larelation existant entre cet allèle et la maladie d’Alzheimer, maisune étude plus récente n’a pas confirmé cette relation (18). Toutaussi contestée est l’hypothèse d’une relation entre l’allèle PlA2du récepteur GPIIIa et une majoration du risque de dysfonctionsprogressives sévères (19, 20).

Les autres mécanismes

Les particularités des dysfonctions cognitives progressives ouaiguës en chirurgie cardiaque ne doivent pas nous faire oublier lesautres mécanismes pouvant induire ces mêmes perturbations dansla chirurgie non cardiaque.

Le groupe européen ISPOCD (International Study of Post OperativeCognitive Dysfunction) a réalisé une étude portant sur l’incidence etles mécanismes des dysfonctions cérébrales aiguës rattachées soit àune hypoxie soit à une hypotension peropératoires (21). Les patientsinclus étaient âgés de plus de 60 ans et avaient au préalable unscore de mini mental score examination (MMSE) supérieur à 23. Unebatterie de 9 tests psychométriques a été effectuée chez ces patients,en préopératoire, à une semaine postopératoire et à trois mois aprèsl’intervention. Ces tests évaluaient la mémoire, l’attention, laréflexion, la compréhension du langage et la planification detâches complexes. Sur les 12 118 patients inclus, on a dénombré26 % de dysfonction cérébrale aiguë à une semaine, ce chiffredescendant à 10 % de l’effectif à trois mois. Ces résultats sontà comparer aux 3,4 % et 2,8 % pour ces mêmes périodes dans legroupe témoin. En analyse multivariée, les auteurs n’ont constatéaucune relation entre les agents anesthésiques utilisés et la persis-tance à long terme de la dysfonction cérébrale. Dans une étude

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Les complications neurologiques après circulation extracorporelle

publiée en 2000 (22), les mêmes auteurs, prolongeant la surveillancedes patients âgés de 60 à 86 ans, constataient que les dysfonctionscérébrales persistaient à un et deux ans dans 1 % des cas.

Malgré la distinction habituellement faite entre les dysfonctionscérébrales aiguës et les manifestations chroniques, il semble toutde même exister un lien dont le mécanisme causal reste à identi-fier. De nombreuses hypothèses ont été avancées. Une très anciennehypothèse semble revenir au goût du jour et incrimine les effetsanticholinergiques centraux des traitements pharmaceutiques uti-lisés. Un article récent réactualise cette hypothèse (23). Il postuleque le vieillissement induit une

down regulation

des récepteursmuscariniques qui sont habituellement impliqués dans le proces-sus cognitif et plus particulièrement dans la mémoire. Dans lamaladie d’Alzheimer, on considère qu’il existe un état d’hypo-cholinergie chronique. Cette analogie entre dysfonction cérébraleet maladie d’Alzheimer est également soulignée par le trait géné-tique de patients homozygotes pour l’allèle 4 de l’apolipoprotéineE comme nous l’avons signalé, cette particularité génétique seretrouvant dans la maladie d’Alzheimer. En faveur de cette théorieanticholinergique, il faut en effet remarquer que la plupart desagents anesthésiques sont des antagonistes des récepteurs musca-riniques de type M1, M2 ou M3. C’est le cas des anesthésiquesvolatils, des barbituriques et du propofol. La morphine aux dosescliniques est un antagoniste des récepteurs M1, M2 et M3, le fen-tanyl à forte dose est un antagoniste M3 puissant, alors que lerémifentanil ne semble pas interférer avec le système cholinergi-que. En dehors de la pharmacopée anesthésique, un grand nombred’agents utilisés soit en préopératoire, soit en per- ou postopéra-toire, comme les antibiotiques ou les anti-inflammatoires non sté-roïdiens, sont aussi des anticholinergiques. À l’encontre de cettethéorie viennent un certain nombre de publications n’ayant pasmontré de différence significative entre les fonctions cognitivespostopératoires après anesthésie générale ou après anesthésielocorégionale (2, 24).

Une autre hypothèse a été remise à l’ordre du jour par l’équipe deSchelling à Munich (25) dans le prolongement des premiers travauxpubliés par Cahill et coll. (26-29). Il s’agit de l’hypothèse du stress.Les effets du stress ont été très étudiés chez les patients en soinsintensifs qui, du fait d’une association d’une dysfonction cardiaque,d’une détresse respiratoire, de douleurs sévères et d’une forteanxiété peuvent développer des perturbations neuropsychologiquesà très long terme. Ce stress, né de souvenirs traumatiques est enparfaite corrélation avec les doses de catécholamines administrées,ces dernières étant connues pour renforcer la mémoire émotionnelleen agissant sur la modulation des amygdales au niveau du réseau

cérébral de la mémoire. Selon des travaux récents, les glucocorticoïdes

pouvaient inhiber le souvenir de ces événements émotionnels puis-

sants (30). Ils jouent un rôle important dans la

down regulation

dustress. D’ailleurs, Ramussen (31) a démontré en 2005 sur une sériede 187 patients de plus de 60 ans soumis à une chirurgie majeurenon cardiaque, sous anesthésie générale ou régionale, qu’une dys-fonction cérébrale postopératoire est strictement reliée à un aplatis-sement du rythme circadien de sécrétion du cortisol, l’incidence dela dysfonction cérébrale étant respectivement de 19 % des patientsà une semaine et de 15 % de la population à trois mois. D’aprèsd’autres études de Shelling (32), le traitement par de fortes dosesd’hydrocortisone préviendrait l’apparition d’un syndrome post-traumatique et de stress. De même, de faibles doses d’hydrocorti-

sone sont utiles dans le syndrome de stress post-traumatique d’origine

non médicale (33).

Le diagnostic de complication repose sur la clinique

La clinique

Les signes cliniques focaux font évoquer une complication neuro-logique, mai il faut noter que la pratique systématique d’investiga-tions radiologiques sur de courtes séries montre une plus grandeincidence (jusqu’à 20 %) d’AVC « infracliniques » que les 1 à 8 %habituellement admis. Le diagnostic de dysfonction cérébralerequiert une évaluation par batterie de tests psychomoteurs quidépasse très largement les compétences des équipes médicochirur-gicales ayant à charge ces patients. Ces tests prennent en fait touteleur valeur essentiellement dans le cadre d’études cliniques.

L’imagerie

Salazar (34) a démontré que les accidents les plus fréquents étaientde type embolique (71 %) ; les accidents ischémiques de type jonc-tionnel représentaient 12 % et les 12 % restant seraient des acci-dents mixtes jonctionnels et emboliques. Ces accidents jonctionnelssont liés à la précarité de la vascularisation artérielle entre deux ter-ritoires vasculaires cérébraux adjacents, l’ischémie survenantlorsqu’une baisse de débit exclut ces zones mal vascularisées. Ils’avère que ces lésions jonctionnelles sont souvent situées dans deszones cliniquement silencieuses. Si l’on observe la chronologie desurvenue des dysfonctions cérébrales précoces en postopératoire,on se rend compte qu’elles apparaissent généralement vers le 2

e

-3

e

 jour après l’intervention, puis qu’elles perdurent quelques joursavant de s’atténuer et de laisser place à une perturbation des testspsychomoteurs. Ce mode évolutif se rapproche de celui décrit dansla « delayed necrosis » montrant le substratum organique de cestroubles fonctionnels. L’IRM ou le scanner sont deux modalités dia-

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Charles Christian Arvieux, Gildas Gueret, Benoît Rossignol

gnostiques de valeur équivalente, et ils ne doivent être indiqués quesur des arguments cliniques. L’IRM en séquence de diffusion avecétude vasculaire intracrânienne sans injection de produit de con-traste permet un diagnostic précoce (avant la 6

e

 heure) des lésionscérébrales, et elle permet de déterminer plus précisément leslésions, quel que soit leur stade évolutif.

Les marqueurs biologiques

De nombreux marqueurs biologiques ont été proposés mais aucunn’est réellement significatif : le dosage des taux de CPK-BB spécifi-quement cérébral ou de lactate, a les mêmes limites que dansl’ischémie myocardique ; la protéine S-100, présentée commehautement spécifique dans de nombreux articles (35-37), peut enfait provenir directement du péricarde en peropératoire (38) ; le« dernier-né » de la série, la « neuron specific enolase » considéréecomme fort prometteuse pourrait en fait provenir des éléments figu-rés du sang et être in fine moins spécifique que prévue (39). Un autreproblème est lié à l’interprétation des dosages biologiques en fonc-tion du moment du prélèvement par rapport à l’évolution naturelle dela mort cellulaire post-ischémique : à la phase aiguë, la mort cellu-laire peut être rapide avec réaction œdémateuse marquée qui peutne pas permettre la libération des marqueurs d’ischémie cérébrale ;dans la mort cellulaire retardée, la nécrose cellulaire survient au 2

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ou 3

e

 jour et la plupart des études ne poursuivaient pas les dosa-ges jusqu’à ce moment, manquant ainsi le pic de production.

Prévention des accidents neurologiques

Pression de perfusion

Pour Salazar (34), que ce soit en per- ou en postopératoire, lameilleure prévention de l’AVC est sans conteste la préservation dela perfusion cérébrale, notamment chez les patients prédisposésou ayant un passé de pathologie vasculaire cérébrale. Les AVCjonctionnels illustrent certainement le mieux les effets d’une hypo-perfusion prolongée sur des zones fragiles situées aux confins dedeux territoires voisins. La chirurgie combinée alliant reperfusioncérébrale par endartériectomie carotidienne et reperfusion myo-cardique par pontage aortocoronarien ne peut être que bénéfique,notamment en présence d’antécédents vasculaires cérébraux oude fonction cardiaque limitée.

La glycémie

Nous avons déjà souligné l’intérêt d’un contrôle glycémiqueparfait en périopératoire de chirurgie cardiaque, l’a montré une

des plus importantes équipes de réanimation cardiothoraciqued’Europe (7).

Protection pharmacologique

En se basant sur les données impliquant les acides aminés excita-teurs et les cascades inflammatoires dans la physiopathologie deslésions cérébrales, plusieurs agents inhibiteurs ont été utilisésdans des modèles expérimentaux et annoncés comme prometteursdans la prévention des effets de l’un ou l’autre des systèmes exci-totoxiques : les inhibiteurs des récepteurs du TNF alpha, les inhi-biteurs des récepteurs du NMDA, les lazaroïdes, les antiadénosines,les inhibiteurs calciques ou sodiques, les agonistes GABA-ergiques(gammaOH, barbituriques, propofol…), les halogénés commeinducteurs de préconditionnement cérébral, les œstrogènes, lavitamine E, etc. Malheureusement, nous manquons de recul quantà une éventuelle efficacité clinique de ces agents. Nous avons vupar ailleurs que Shelling (33) a démontré l’efficacité de faiblesdoses d’hydrocortisone dans la prévention du stress post-traumatiquemais, là encore, on manque de recul clinique pour la préventiondes dysfonctions cérébrales postopératoires.

Filtration particulaire

Beaucoup plus récemment, avec la prise de conscience du carac-tère très délétère des embols graisseux, une nouvelle attitude aété proposée. Sur la base de preuves expérimentales animalescomme celles apportées par Kincaïd (40) ou d’une confirmationperopératoire chez l’humain, il semble que l’utilisation de Cell-Saver associée à des filtres permette de diminuer la charge embo-lique graisseuse.

La stratégie chirurgicale et le « Off Pump »

Tréhan (41), Murkine (42) et Cleveland (43) ont proposé unedétection systématique préopératoire des plaques athéromateu-ses, de façon à éviter tout geste chirurgical dans leur immédiateproximité, proposant une canulation fémorale ou une limitationdu clampage aortique, voire le recours à la technique « off pump ».Cette stratégie chirurgicale pourrait prévenir efficacement lesembolies cérébrales mais n’écarte pas de façon formelle le risquede dysfonction cérébrale aiguë ou progressive. De nombreusesétudes ont ici apporté des réponses contradictoires. Si, pourCleveland, le « Off pump » est bénéfique sur le taux d’AVC (1,25 %)par rapport aux patients sous CEC (1,99 %), la méta-analyse deParolari en 2003 (44) ne montre tout au plus qu’une tendance nonsignificative vers une meilleure issue des pontages « off pump ».La charge embolique mesurée par doppler transcrânien est signifi-

200

Les complications neurologiques après circulation extracorporelle

cativement plus faible dans le groupe « off pump » (indice decharge embolique de 16) par rapport au groupe sous CEC (indicede charge embolique de 90), mais cette différence significative nes’accompagne pas de différence notable des résultats des testspsychométriques postopératoire (35 %

versus

29 % de réductiondu score), ce qui fait évoquer une certaine indépendance des deuxparamètres.

Conclusions

On peut considérer que l’AVC est rare après chirurgie cardiaquemais il grève gravement le pronostic à court et à long termes. Dans75 % des cas, les AVC sont emboliques, avec une implication touteparticulière des plaques d’athérome originaires de la crosse del’aorte ou des sténoses carotidiennes chez le sujet âgé. À côté deces AVC dramatiques, entre 50 et 70 % des patients opérés en chi-rurgie cardiaque présentent une dysfonction cérébrale à court et

long terme pour laquelle plusieurs mécanismes peuvent être évo-qués soit isolément, soit de façon intriquée : existence de lésionsorganiques en zone cérébrale silencieuse comme le système limbi-que (impliqué dans les phénomènes de mémorisation immédiate),effets d’un stress post-traumatique suivant les théories de Cahill etde Shelling ou interactions cholinergiques per- et postopératoiresliées aux traitements souvent utilisés en chirurgie cardiaque. Laprévention ne peut totalement écarter plusieurs facteurs de risquetels que l’âge, les antécédents d’AVC ou la survenue d’épisodes debas débit per- ou postopératoires plus ou moins prolongés. Le seulpoint sur lequel on puisse agir semble être la prévention, soit enproposant une stratégie chirurgicale alternative pour favoriser laperfusion cérébrale en évitant l’embolisation de plaques athéro-mateuses aortiques, soit en préconisant une technique de « offpump » lorsqu’elle est possible. Il semble surtout que la préven-tion des embolies graisseuses peropératoires pourrait éviter desincidents de type I ou de type II comme l’a démontré Brown (13).

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