LES ASPECTS FISCAUX ET EN DROIT DES … · 3 - d’une gestion des investissements de...

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1 U.H.P.C. 26/04/2012 LES ASPECTS FISCAUX ET EN DROIT DES SOCIÉTÉS DES OPÉRATIONS POST-ACQUISITION DE TITRES par Olivier D’AOUT, Avocat aux Barreaux de Liège et de Charleroi, Maître de Conférences à l’U.Lg Chargé d’enseignement à l’UCL Mons Co-directeur du Master en Fiscalité de l’UCL Mons Association d’avocats DEFENSO Rue de Joie 56 – B 4000 LIEGE Quai du Brabant 12 – B 6000 CHARLEROI Tél : 04/254.15.45 – Fax : 04/226.36.58 e-mail : [email protected] www.defenso.be

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U.H.P.C.

26/04/2012

LES ASPECTS FISCAUX ET EN DROIT DES SOCIÉTÉS DES OPÉRATIONS POST-ACQUISITION DE TITRES

par

Olivier D’AOUT,

Avocat aux Barreaux de Liège et de Charleroi, Maître de Conférences à l’U.Lg

Chargé d’enseignement à l’UCL Mons Co-directeur du Master en Fiscalité de l’UCL Mons

Association d’avocats DEFENSO Rue de Joie 56 – B 4000 LIEGE

Quai du Brabant 12 – B 6000 CHARLEROI Tél : 04/254.15.45 – Fax : 04/226.36.58

e-mail : [email protected] www.defenso.be

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1 – INTRODUCTION La problématique du rachat d’une entreprise est soumise de manière transversale au respect de bon nombre de dispositions du Code des sociétés. Une attention particulière a été apportée par le législateur aux opérations qui nécessitent d’importants leviers financiers avec des fonds propres initiaux assez limités. Ainsi, Initialement, le législateur européen avait légiféré en la matière en adoptant la deuxième Directive 77/91/CEE du Conseil du 13 décembre 1976, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées par les états membres, des sociétés au sens de l’article 58, al.2 du Traité de Rome, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, tant en ce qui concerne la constitution de la société anonyme qu’en ce qui concerne le maintien et les modifications de son capital1. Le 6 septembre 2006, le Parlement européen et le Conseil ont modifié ce régime2. Ce 8 octobre 2008, le Gouvernement a adopté un Arrêté royal tendant à la modification de notre Code des sociétés en vue de transcrire dans notre droit les dispositions de la Directive 2006/68/CE précitée3. Les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur au 1er janvier 20094. Le succès des opérations de reprise dépend bien entendu :

- de la volonté, de l’expérience et de la qualité des cadres et dirigeants intéressés ;

- du prix de la transaction ; - du secteur d’activités : la concurrence est-elle clairement identifiée et

maîtrisée ou maîtrisable ? - d’une certaine constance dans la marge de l’entreprise (chiffre d’affaires,

bénéfices, etc…) ;

1 2ème Directive, 77/91/CEE du Conseil du 13 décembre 1976, J.O.C.E., n° L026 du 30 janvier 1977, p. 1 2 Directive 2006/68/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006 modifiant la Directive 77/91/CEE du Conseil en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital. 3 Arrêté royal du 8 octobre 2008 modifiant le Code des Sociétés conformément à la Directive 2006/68/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006 modifiant la Directive 77/91/CEE du Conseil en ce qui concerne la constitution d’une société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital. 4 Article 20 de l’Arrêté royal du 8 octobre 2008 précité.

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- d’une gestion des investissements de l’entreprise planifiée (il faut éviter, pour les nouveaux acquéreurs, un renouvellement total des biens d’investissements de l’entreprise cible qui alourdirait le coût de l’opération) ;

- d’un fond de roulement limité ; - des sources de financement équilibrées ; - du peu d’obsolescence technologique des biens de l’entreprise cible.

Ces opérations mettent en présence bon nombre de personnes aux intérêts divergents (vendeurs, acheteurs, banques, investisseurs, etc…). Ces divergences sont sources potentielles de conflits, et induisent des difficultés juridiques importantes. Le Code des sociétés, sous l’impulsion de la deuxième directive européenne, s’est principalement focalisé sur les sources de financement et la protection à apporter aux tiers. Les aspects fiscaux sont, bien entendu, aussi fondamentaux et ne peuvent être négligés. 2 – STRUCTURES ET TYPES DE TRANSACTIONS. Pour acquérir une société, l’acquéreur recourt le plus souvent à l’outil sociétaire. Il crée une société « holding » en vue de l’acquisition des titres de celle-ci. Pour des raisons fiscales évidentes, il est souvent déconseillé que l’acquisition se fasse en personne physique (voir infra). L’acquisition par l’intermédiaire de cette nouvelle société peut porter tant sur les actifs de la société cible que sur ses actions ou parts. Le choix des biens acquis met en exergue toute la difficulté de ce type de négociation, et surtout les divergences d’intérêts entre le vendeur et l’acquéreur. L’acquéreur a souvent intérêt à ce que l’opération porte sur les actifs. En effet, le financement de cette opération est plus aisé ; le banquier y trouve rapidement un gage. L’actif acquis est en outre amortissable, tout comme le goodwill. L’acquéreur évite d’autre part tout passif occulte, l’acquisition ne portant que sur les actifs et certaines dettes bien identifiées – et, donc, maîtrisées. Ce type d’opération est cependant rarement accepté par le vendeur, principalement en raison de l’absence en Belgique de taxation des plus-values sur titres. Il lui préfèrera la vente des titres de la société cible. Nous nous attacherons à l’examen de cette seule hypothèse, classiquement (mais souvent improprement) appelée Management buy out (MBO). Rappelons que ce MBO pose en premier lieu la question des garanties exigées par le banquier et la

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compatibilité de ces garanties avec les articles 329 (SPRL), 430 (SCRL) et 629 (S.A.) du Code des sociétés. Ce besoin de financement extérieur inévitable doit être mis en liaison avec la nécessité pour les acquéreurs d’une minimalisation du coût de cette opération. Il existe bien entendu d’autres moyens de prendre le contrôle d’une société (augmentation de capital, réduction de capital, rachat d’actions propres, etc…). Ces éléments seront aussi examinés ici en tant que tels. L’Arrêté royal du 8 octobre 2008 modifiant le Code des sociétés contenant la Directive 2006/68/CE va modifier les pratiques existantes. En effet, nous sommes passés d’un système d’interdiction pure de toute avance, prêt ou sûreté accordés par la société dont les titres seront acquis, à un système d’autorisation sous condition. Nous analyserons ensuite toutes les questions postérieures à l’acquisition de la société cible. 3 – LES ACTES PREPARATOIRES Comme le rappelle M. FYON, ce type d’opération est « basé sur un effet de levier juridique, puisque les fonds investis par les (personnes) reprenant la société ne correspondent pratiquement jamais au montant total d’investissements requis pour le rachat de l’entreprise. Le MBO suppose souvent une dissociation entre propriété économique et gestion de la société. L’opération suppose donc que les cadres obtiennent un financement externe qui sera souvent – et c’est là l’un de ses éléments essentiels –, sous une forme ou une autre, lié aux activités et/ou aux actifs de la société faisant l’objet de l’opération de rachat. Cet effet de levier implique que, lors du montage de l’opération et en fonction des caractéristiques propres de celle-ci, soient définies avec précision les relations entre :

- les cadres de l’entreprise, - les responsables du financement de l’opération de rachat et - les autres actionnaires de la société »5.

Ainsi, préalablement, il est impératif de mettre en place une structure juridique permettant de rencontrer dans le futur ces exigences et de prévenir tout conflit et transfert de pouvoirs (par exemple par la levée des garanties). Cette structure doit donc envisager la répartition des pouvoirs entre le management et les actionnaires investisseurs.

5 M. FYON, Effet de levier juridique : comment répartir les pouvoirs et les capitaux entre les parties ?, in Séminaire VAN HAM & VAN HAM, 6 avril 2001.

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Elle s’articule et s’organise la plupart du temps autour :

- de pactes d’actionnaires, - d’une structure sociétaire adéquate, - de contrats de management, - de l’émission de parts bénéficiaires, d’actions sans droit de vote ou de

certificats d’actions, avec éventuellement des options d’achat sur des titres attribués aux cadres, ou promesses de vente en leur faveur.

- Etc… 4– FINANCEMENT DE L’OPERATION Pour aboutir à l’acquisition de la société cible et crédibiliser celle-ci, il est important de dégager rapidement des liquidités pour permettre à la société « holding » d’assurer ses engagements financiers vis-à-vis des investisseurs et banques. Les leviers juridiques fréquemment rencontrés sont les suivants :

- les financements « externes » :

� l’apport par les repreneurs de fonds propres dans la société cible ou dans la société « holding »;

� un financement plus classique auprès des banquiers ou investisseurs (prêts, ouvertures de crédits, souscription d’obligations, émission de certificats, …)

Bien entendu, nous nous retrouvons confrontés ici à la dichotomie entre les intérêts des acquéreurs et ceux des vendeurs. Pour obtenir les financements précités, des garanties importantes sont souvent réclamées qu’il est plus facile de donner sur les actifs de la société cible. Ainsi, lorsque l’opération se réalise par une simple cession d’actif, il est plus facile pour les acquéreurs de trouver des financements et d’affecter ces actifs en garantie du remboursement de l’investissement ou du prêt ainsi reçu de tiers. En revanche, lorsque l’opération s’opère par le biais d’une acquisition des titres de la société cible, la question des garanties est beaucoup plus sensible. Depuis le 1er janvier 2009, les actifs de la société cible peuvent partiellement servir de garantie à condition de respecter les articles 329 (SPRL), 431 (SCRL) et 629 (SA) du Code des sociétés. Dorénavant, les sociétés peuvent accorder une aide financière en vue de l’acquisition de leurs parts par des tiers sous certaines conditions.

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- les financements « internes » : De même, pour réduire le coût de l’opération et viabiliser les modes de remboursement, certaines opérations internes sont mises en place quand elles sont possibles :

� la distribution des dividendes ou des réserves disponibles de la société cible à la société « holding ».

Le bénéfice fiscal des revenus déjà taxés (article 202 du C.I.R.) (bien

qu’impliquant en principe une détention d’au moins un an des titres concernés) peut être obtenu par la production d’une simple attestation d’engagement d’une telle détention durant au moins un an par la société bénéficiaire des dividendes exceptionnellement distribués.

Ces sommes peuvent alors être immédiatement affectées en remboursement d’une partie du prix de cession.

� la réduction du capital de la société cible peut aussi être envisagée pour opérer

ce remboursement. � une opération de rachat d’actions propres. � le paiement différé du prix, voir l’émission d’obligations en paiement du prix. Les vendeurs acceptent de jouer les banquiers pendant une durée déterminée,

les repreneurs offrant en contrepartie du prix non payé des obligations à rendement fixe.

� la vente d’une partie des actifs de la société cible quelques temps après

l’opération de management buy-out (éventuellement grâce à une opération de sale and lease back qui permet de dégager des moyens financiers en gardant l’usage des actifs ainsi vendus).

� la fusion de la société cible avec la société « holding ». � la création d’une base imposable au sein de la société « holding » (but : profiter

de la déductibilité fiscale des intérêts générés par la dette d’acquisition – moyens : attribution de tantièmes, management fees, transfert d’une partie des activités de la société cible vers la société « holding » (service d’achat, comptabilité, service administratif, …).

Nous examinerons le régime de ces différents mécanismes tant au regard du droit fiscal qu’au regard du Code des sociétés.

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5 – LIMITATIONS, INTERDICTIONS ET EXCEPTIONS Les actes posés dans le cadre d’une opération de management buy-out doivent à chaque étape faire l’objet d’une attention particulière ; ceux-ci doivent à chaque fois être confrontés aux interdictions ou limitations légales existantes (intérêt social, conflit d’intérêts, responsabilité des administrateurs, abus de majorité, abus de biens sociaux, …). Section 1 Régime applicable 5.1.1. – Régime actuel Antérieurement, les articles 329, 431 et 629 du Code des sociétés disposaient que la société cible :

« ne peut avancer des fonds, ni accorder des prêts, ni donner des sûretés en vue de l'acquisition de ses actions ou de ses parts bénéficiaires par un tiers, ni en vue de l'acquisition ou de la souscription par un tiers de certificats se rapportant aux actions ou aux parts bénéficiaires ».

La doctrine s’accordait sur le fait que ces dispositions devraient être interprétées de manière restrictive : seules les opérations qui y sont reprises étaient concernées à savoir les avances de fonds, les prêts et les sûretés. Ce caractère restrictif résultait entre autres des sanctions pénales qui sont attachées à la violation de ces dispositions (article 648, 6°, du Code des Sociétés). Ces dispositions ne s’appliquaient dès lors pas :

- à la distribution de dividendes ; - à une opération de réduction de capital ; - aux opérations éventuelles de rachat d’actions propres. De même, elles ne visaient pas les sûretés données en vue de l’octroi d’un crédit à l’acquéreur des actions par le nantissement de celles-ci 6. Depuis le 1er janvier 2009, afin d’adapter notre Code des sociétés à la Directive 2006/68/Ce du 6 septembre 2006 du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006, les sociétés seront autorisées à accorder une aide financière en vue de l’acquisition de leurs parts à des tiers pour autant qu’ils soient satisfaits aux conditions suivantes : - les avances de fonds, prêts ou sûretés accordés le sont sous la responsabilité de

l’organe de gestion et devront être réalisés à des justes conditions de marché « notamment en regard des intérêts perçus par la société et des sûretés qui lui sont données » ;

6 Com. Tongres, 5 décembre 2001, R.W. 2002-2003, p. 1394.

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- ces opérations doivent être soumises à une décision préalable de l’assemblée

générale statuant aux conditions de quorum et de majorité prévues en matière de modifications des statuts ;

- l’organe de gestion doit rédiger un rapport indiquant les motifs de l’opération,

l’intérêt qu’elle présente pour la société, les conditions auxquelles elle s’effectue, les risques qu’elle comporte pour la liquidité et la solvabilité de la société et le prix auquel le tiers est sensé acquérir les actions.

- ce rapport doit être publié au Moniteur belge. - une justification spéciale doit en outre apparaître dans ce rapport si un

administrateur de la société mère ou la société mère elle-même bénéficie de l’opération.

- les sommes affectées à cette avance de fonds, prêt ou sûreté, doivent être

susceptibles d’être distribuées. L’examen de cette possibilité s’effectue sur base de l’actif net tel qu’il résulte des comptes annuels à la date de clôture du dernier exercice. Le montant distribuable ne peut réduire cet actif net en dessous du montant du capital libéré. Il appartient à cet égard à la société d’acter au passif de son bilan une réserve indisponible équivalente aux montants correspondants à l’aide financière totale. Section 2 Evitements possibles ? Tenant toujours compte du caractère restrictif qui doit présider à l’interprétation de ces dispositions, la problématique des garanties ne se pose en réalité qu’en ce qui concerne l’acquisition :

- d’actions ; - de parts bénéficiaires ; - de certificats se rapportant à des actions ou part bénéficiaires. Echapperait dès lors à toute sanction l’octroi de prêts ou la constitution de sûretés liées à l’acquisition d’obligations. La problématique des obligations convertibles en actions est par contre controversée: le prix payé pour ce type d’obligations « porte en partie sur les actions obtenues ultérieurement lors de la conversion de manière telle qu’en faisant l’acquisition d’obligations convertibles, on ferait une acquisition d’actions au sens de l’article (629) »7.

7 R. PRIOUX et M. CALUWAERTS, op. cit., p. 9.

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De même, le terme « sûreté » doit recevoir une interprétation restrictive. Cette notion doit s’apprécier au regard des sûretés qui existent en vertu du droit belge et non au regard de toute une série d’autres garanties issues de la pratique non réglementée par les lois belges telles que les lettres de confort, de patronage ou les engagements de ne pas faire ou des engagements d’information ou d’autorisation partielle. Si les lettres de patronage ou de confort semblent un peu irréalistes dans ce type d’opération puisqu’en général elles s’appliquent aux situations inverses c’est-à-dire l’engagement d’une société mère vis-à-vis de ses filiales et non l’engagement des filiales vis-à-vis de leur société mère, la souscription d’un engagement de ne pas faire entre beaucoup plus dans les hypothèses de management buy-out. Les investisseurs peuvent exiger que la société cible ne s’endette pas au-delà d’un certain montant, n’hypothèque pas certains biens ou ne donne pas en gage tout ou partie de ses actifs. On pourrait de même envisager l’exclusion de la conclusion de certains types de contrats. Ce type d’engagement est conforme à la ratio legis qui a présidé au vote de l’article 500 ter des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, actuel article 629 du Code des sociétés 8. Ce type de sûretés issues de la pratique doit cependant être conforme à l’intérêt social de la société pour éviter toute contestation ainsi que répondre et respecter les procédures liées aux éventuels conflits d’intérêts qui pourraient naître de ce type d’engagement. Par ailleurs, pour contourner les interdictions posées par les articles 329, 431 et 629 du Code des sociétés, la pratique avait envisagé le recours à différents mécanismes qui peuvent toujours être envisagés avant :

1. L’octroi de crédits non pas à la société « holding » mais à la société cible elle-même. Ce crédit peut faire l’objet de garanties sur les actifs mêmes de la société cible. Il a en outre l’avantage d’être plus facilement remboursable puisque directement payé par la société « d’exploitation ». Ce crédit peut en outre faciliter la distribution des réserves au nouvel actionnaire qu’est la société holding.

R. PRIOUX et M. CALUWAERTS soulignaient cependant à cet égard que :

« Une distribution de réserves ne tombe pas non plus dans le champ d’application de l’article 629 sauf éventuellement si elle est elle-même financée par un emprunt lié directement ou indirectement à une acquisition préalable des titres de la société qui distribue les réserves » 9.

8 P. VAN OMMESLAGHE, Le maintien du capital des sociétés anonymes, Annales de droit LOUVAIN, 1985, p. 172. 9 R. PRIOUX et M. CALUWAERTS, op. cit, p. 12.

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2. La société cible peut accorder postérieurement à la prise de contrôle par la

société « holding » un prêt à cette dernière qui lui permettra de rembourser le prêt initial lié à l’acquisition des actions de la société cible.

L’objectif est d’obtenir en quelque sorte une substitution de débiteurs puisque pour faire face à l’octroi dudit crédit, la société cible recourra souvent elle-même à la souscription d’un crédit, l’organisme financier ne faisant que changer de débiteur.

R. PRIOUX et M. CALUWAERTS soulignaient cependant à cet égard que :

« Ce scénario me paraît critiquable dans la mesure où le prêt accordé par la société rachetée à l’acquéreur peut, selon les circonstances en l’espèce, être interprété comme constituant réellement un financement du prix de cession d’actions.

Je crois en effet que la formulation utilisée par l’article 52 ter et par l’article 629 (avances, prêts ou sûretés en vue de l’acquisition de ces actions, parts bénéficiaires ou certificats) vise toute forme de refinancement par la société rachetée, même postérieurement à la cession, dès lors que le financement a été conçu dès le départ de l’opération pour échapper à l’interdiction de l’article 52 ter » 10.

Il s’agit cependant là d’un point doctrinal fort controversé. 3. Les sûretés ne sont pas accordées par la société cible (société rachetée) mais

par une filiale de celle-ci sous forme de garantie classique (gage sur fonds de commerce, nantissement, prise d’hypothèse, cautionnement, …).

Ce dernier type de scénario est cependant à déconseiller. En effet, celui-ci peut révéler un dépassement de l’objet social de la filiale, une violation de l’intérêt social de la filiale ou une simulation par interposition de personnes. La violation de l’intérêt social sera examinée ci-après. En ce qui concerne le dépassement de l’objet social, à plusieurs reprises la jurisprudence a estimé que l’octroi de garanties par une société en faveur d’un administrateur ou d’un associé était étranger à l’objet social de la société visée et donc illicite 11. Une partie de la doctrine estime cette jurisprudence trop sévère car les clauses statutaires classiques telles que l’autorisation pour la société d’effectuer tous les

10 R. PRIOUX et M. CALUWAERTS, op. cit, p. 12. 11 Bruxelles, 24 juin 1987, R.P.S. 1987, p. 250 ; Com. Liège, 27 février 1967, R.P.S. 1970, p. 225 ; Liège, 11 décembre 1969, R.P.S. 1970, p. 222 ; Bruxelles, 20 juillet 1936, R.P.S. 1938, p. 169

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actes se rapportant directement ou indirectement à son activité permettraient de couvrir ce type de sûreté. Faut-il encore que la clause statutaire soit à notre avis claire et spécifique ! Enfin, en ce qui concerne la simulation par interposition de personnes à savoir l’existence d’un acte apparent dont les effets sont modifiés ou détruits par une autre convention secrète, celle-ci a fait l’objet d’un célèbre arrêt prononcé le 1er mars 1998 par la Cour d’Appel de Bruxelles (affaire de la GENERALE DE BELGIQUE) 12. En principe, la simulation est licite en droit belge à condition que celle-ci n’ait pas pour objectif d’éluder l’application de dispositions légales impératives ou d’ordre public ou de frauder le droit des tiers 13. Dans sa décision du 1er mars 1988, la Cour d’Appel de Bruxelles en a cependant décidé autrement. Certains auteurs tels que R. PRIOUX et M. CALUWAERTS estiment dès lors que la théorie de la simulation ne peut être appliquée à l’article 329 dans le scénario précité si : - la filiale avait au préalable une existence propre et n’a pas été constituée

uniquement pour cette opération ; - il n’apparaît pas que la sûreté doit être considérée comme portant sur des actifs

de la société rachetée ; - toutes les parties respectent les conséquences de leurs engagements.

4. Plutôt que de recourir à une filialisation, on procède à une scission de la société

cible et les garanties sont prises de manière croisée pour le rachat des actions d’une des sociétés scindées.

Les sûretés sont prises sur les actifs de l’autre société scindée. A priori, les sûretés et le crédit n’apparaissent pas avoir été pris en vue d’acquérir les propres actions des sociétés concernées.

Section 3 EXCEPTIONS Les tempéraments posés actuellement par les articles 329, 431 et 629 du Code des sociétés connaissent deux exceptions. Les avances, prêts ou sûretés peuvent être accordés par la société cible dans la mesure de ses bénéfices distribuables tels qu’ils résultent des articles 320 ou 429 ou 617 du Code des sociétés lorsque : 12 Bruxelles, 1er mars 1988, J.T. 1988, p. 232. 13 P.VAN OMMESLAGHE, Examen de jurisprudence – les obligations, R.C.J.B. 1986, pp. 125 et svt.

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� Ceux-ci sont consentis à des membres du personnel ou à une société dont les membres du personnel détiennent au moins la moitié des droits de vote. Le législateur a ainsi entendu favoriser la participation financière des travailleurs en permettant à la société dont ils font partie de financer l’acquisition des actions par ceux-ci 14. Ces dispositions ne visent cependant que l’acquisition d’actions ou de certificats d’actions. Elles ne s’étendent donc pas aux parts bénéficiaires. D’autre part, la loi ne définit pas ce qu’il faut entendre par les termes « membres du personnel ». Cette faveur n’est-elle dès lors applicable qu’aux travailleurs salariés d’une entreprise ou s’étend-elle aussi aux administrateurs, aux dirigeants non salariés ? Une partie de la doctrine est favorable à une interprétation large du texte15. « Il faut bien reconnaître que, si l’on adopte l’interprétation étroite, la disposition n’a plus guère de sens, car rares sont les hypothèses où les opérations d’acquisition ne sont pas menées par des administrateurs, au moins futurs »16 . D’autre part, l’adaptation légale de l’article 23 de la deuxième directive dont est issu l’article 629 du Code des sociétés (et l’ancien article 52 ter des lois coordonnées sur les sociétés commerciales) n’est pas conforme au texte européen. En effet, le texte européen prévoit que l’exception doit être formulée en faveur de membres du personnel d’une société qui est liée à la société cible.

� Ceux-ci se rapportent à une ou à des opérations courantes conclues par les institutions de crédit ou les banques.

5.1.3. CONSÉQUENCES

14 J. MALHERBE et Y. DE CORDT, « La participation des travailleurs au capital », in La participation des travailleurs au capital et au bénéfice des sociétés, Commentaires de la loi du 22 mai 2001, Bruylant 2001, p. 288, n° 97. 15 K. GEENS, Verwerving van eigen aandelen et personeelsaandelen, n.v. en b.v.b.a. nadeweg van 18 juli 1991, Biblo 1992, p. 29 et 45 ; M. MASSAGE, L’adaptation du droit des sociétés anonymes aux deuxième et quatrième directives européennes (loi du 5 décembre 1984), Bruxelles, 1985, p. 149. 16 J. MALHERBE, Ph. LAMBRECHT et Ph. MALHERBE, Droit des sociétés – Précis – droit communautaire – droit belge, Bruylant 2004, p. 691.

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Il ne fait pas de doute que les articles 389, 431 et 629 du Code des sociétés sont des dispositions d’ordre public. Toute violation est dès lors frappée de nullité absolue. Bien entendu, la cession d’actions elle-même ne sera pas touchée par cette nullité mais uniquement le prêt ou la sûreté y relative. D’autre part, la violation de ces dispositions entraînera la responsabilité non seulement civile mais aussi pénale des administrateurs de la société cible. 5.2. Conflit d’intérêts Il apparaît clairement que tout au long de l’opération, que ce soit au moment de l’acquisition des actions ou dans le cadre des opérations destinées à assurer le parfait remboursement des crédits obtenus en vue de la réalisation du management buy-out, les administrateurs et la société cible ou la société holding seront souvent confrontés à l’existence de conflits d’intérêts. L’existence d’un conflit d’intérêts ne fait pas obstacle à l’opération mais impose le respect d’une procédure d’information et d’avertissement tant de la société que des tiers (articles 259 et 523 du Code des sociétés). 5.3 Respect de l’intérêt social Nous l’avons vu, dans certains mécanismes mis au point pour éviter les difficultés posées par les articles 389, 431 et 629 du Code des sociétés, les acteurs peuvent être confrontés à une éventuelle violation de l’intérêt social des sociétés concernées. La notion d’intérêt social est très vague.

« L’intérêt social est une notion dont la définition peut varier en fonction du contexte dans lequel elle est mobilisée. Dans sa dimension purement patrimoniale, il s’identifie avec l’obtention d’un gain au profit de la collectivité des associés, tant présents que futurs. Dans d’autres contextes, l’intérêt social s’identifie à celui de l’ensemble des acteurs dont le sort est lié à la société par la mise qu’ils y ont placée, l’enjeu qu’elle représente pour eux et la confiance qu’elle leur a inspiré. Il s’agit, selon les circonstances, des actionnaires, des créanciers, des travailleurs, voire de la région et de l’état dans lequel la société déploie son activité »17.

17 J. MALHERBE, P. LAMBRECHT et P. MALHERBE, op.cit., p. 231, n° 481.

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Cette notion tire sa source du principe même de la personnalité juridique personnelle dont est nantie la société. Elle est principalement utilisée en droit des sociétés pour prévenir ou combattre les abus des organes de gestion. L’intérêt social implique que tous les administrateurs et gérants aient exclusivement à l’esprit l’intérêt de la société, entendu dans son acception fonctionnelle (survie et prospérité de la société), au moment de prendre leur décision et non leur intérêt propre, l’intérêt d’un actionnaire déterminé ou même l’intérêt des actionnaires dans leur ensemble s’ils s’opposent à celui de la société18. Dans le cadre des management buy-out et plus particulièrement du mode de financement de cette opération, se pose souvent le problème de la conformité de l’opération à l’intérêt social, notion d’autant plus difficile à apprécier que la société cible fait partie d’un groupe de sociétés. Une partie de la doctrine estime qu’il convient d’avoir une approche différente de cette notion lorsque l’on se trouve dans le cadre d’un groupe de sociétés, l’intérêt devant être aussi apprécié en fonction de l’existence des relations de groupe et des avantages à long terme dont pourrait bénéficier la société de par l’existence de ce groupe. Mais cette notion a cependant des limites lorsqu’on fait reposer sur une filiale l’ensemble des garanties, sous peine de sacrifier cette dernière. 5.4. Abus de majorité Dans le cadre d’un management buy-out, les différents opérateurs et plus particulièrement le comité de gestion auront toujours à l’esprit de garder une certaine proportionnalité dans leurs décisions surtout par rapport aux actionnaires minoritaires sous peine d’être sanctionnés pour abus de majorité. 5.5. Abus de biens sociaux Les opérations de management buy out doivent être réalisées en ayant à l’esprit les sanctions pénales qui existent dans le cadre d’un éventuel délit d’abus de biens sociaux. L’article 492 bis du Code pénal19 prévoit en effet que :

18 J.P BOURS et P. HERMANT, Les principes généraux du droit des sociétés, in Traité pratique de droit commercial, Tome IV, Les sociétés, p. 60, n° 78. 19 Pour un examen plus spécifique de cette disposition pénale, nous renvoyons à : Thierry LITANNIE, Do Societatis, in Do fiscum ; L. BIHAIN, « Fraude et entreprise, respect de l’intérêt social et délit financier », p. 26 et suivantes in Fraude et entreprise – mise en cause des organes internes et externes, Faculté de droit de Liège, 30 mai 2002.

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« Les dirigeants de droit ou de fait des sociétés commerciales et civiles ainsi que des A.S.B.L. qui, avec une intention frauduleuse et à des fins personnelles, directement ou indirectement, ont fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage qu’ils savaient significativement préjudiciable aux intérêts patrimoniaux de celle-ci et à ceux de ses créanciers » sont punissables d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 100 BEF à 5.000 BEF.

Si l’objet de la présente analyse n’est pas de rentrer dans des développements importants concernant cette notion, on observera directement les liaisons possibles avec les limitations et interdictions visées ci-avant. Le délit d’abus de biens sociaux incrimine l’auteur moyennant un élément matériel à savoir l’usage de biens ou de crédits de la société. Cette notion d’usage est très large et très simple. Il n’est donc pas nécessaire qu’il y ait détournement ou dissipation. Certes, cet usage doit être significativement préjudiciable, ce qui pose des limites assez floues à l’incrimination. Outre un élément matériel, le délit d’abus de biens sociaux nécessite également un dol spécial c’est-à-dire une intention frauduleuse. Cet élément moral n’est présent que si l’auteur a agi à des fins personnelles et qu’il avait connaissance du caractère significativement préjudiciable de son acte.

6. - LA DISTRIBUTION DES DIVIDENDES OU DES RESERVES DISPONIBLES DE LA SOCIETE « CIBLE » A LA SOCIETE « HOLDING » 6.1 Principes Il est possible pour la société qui acquiert les titres d’une autre société de procéder, immédiatement après l’acquisition, à la distribution des réserves existantes. L’assemblée générale extraordinaire qui décide de cette distribution n’est soumise à aucune forme particulière ni à aucun quorum particulier. Il n’en va bien entendu pas de même si la société « mère » souhaite distribuer les dividendes de l’exercice en cours. Dans cette hypothèse, le Code des sociétés impose le respect de certaines conditions voire même exclut cette possibilité pour certains types de sociétés. 6.2 Droit des sociétés – acompte sur dividendes Outre la distribution des réserves antérieures, il est possible d’envisager la distribution d’un acompte sur dividendes de l’exercice en cours.

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La loi permet en effet au conseil d’administration de décider de la distribution en cours d’exercice d’un acompte sur les dividendes définitifs20. Cette distribution est cependant soumise à 5 conditions :

1. Il faut impérativement que les statuts de la société accordent ce pouvoir au conseil d’administration. Rien n’empêche bien entendu, l’assemblée générale, en vertu de sa compétence générale en matière de distribution des bénéfices, de décider elle-même d’un acompte sur dividendes sur les bénéfices de l’exercice en cours21. On estime en général qu’en vertu de l’article 15 2ème de la deuxième directive européenne, il appartient à l’assemblée générale qui verse l’acompte sur dividende de respecter les autres conditions prévues à l’article 618 du Code des sociétés.

2. La distribution ne peut être réalisée qu’au moyen du bénéfice de l’exercice en cours réduit de la perte reportée éventuelle ou majoré du bénéfice reporté « à l’exclusion de tout prélèvement sur des réserves constituées en tenant compte des réserves à constituer en vertu d’une disposition légale ou statutaire ».

Comme le soulignaient Messieurs MALHERBE et LAMBRECHT, « l’on aperçoit ici l’impact du choix posé par l’assemblée générale de comptabiliser un résultat soit comme bénéfice reporté, soit comme réserves disponibles. Dans le dernier cas, ce montant ne pourra faire l’objet d’un acompte sur dividendes »22.

3. Le conseil d’administration doit au préalable établir un état résumant la situation passive et active de la société qui démontre que le bénéfice calculé est suffisant pour permettre la distribution de l’acompte prévu. Cet état est vérifié par le Commissaire aux comptes.

4. La décision du Conseil d’Administration ne peut intervenir plus de deux

mois après la date à laquelle est arrêté l’état résumant la situation passive et active de la société.

5. La distribution ne peut être décidée moins de six mois après la clôture de

l’exercice précédent ou avant l’approbation des comptes annuels de cet exercice.

6. S’il apparaît que les dividendes définitifs sont inférieur au montant de

l’acompte payé, cet acompte ne devra pas être remboursé mais sera à valoir sur les dividendes des exercices futurs.

20 Article 618 du Code des sociétés. 21 J. MALHERBE, Ph. LAMBRECHT et Ph. MALHERBE, Droit des Sociétés – Précis, Bruylant, p. 670. 22 J. MALHERBE, Ph. LAMBRECH et Ph. MALHERBE, op.cit., p. 671

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Tout dividende ou tout acompte sur dividendes payé en violation de l’article 618 du Code des sociétés devra être restitué par l’actionnaire bénéficiaire s’il est établi que celui-ci connaissait ou ne pouvait ignorer l’irrégularité de cette distribution. Cette irrégularité peut en outre entraîner la responsabilité civile et pénale des administrateurs. Il n’y a cependant aucun doute qu’une assemblée générale peut décider de l’attribution d’un dividende exceptionnel en cours d’exercice sans respecter les conditions posées par l’article 618 du Code des sociétés. Cette distribution portera exclusivement sur les réserves antérieures ou les bénéfices reportés et répondra souvent à un besoin de liquidités pressant dont le rachat de la société cible peut être à l’origine. Ce principe a été rappelé par la Cour de cassation dans sa décision du 23 janvier 200323. 6.3 Aspects fiscaux 6.3.1 Généralités

Afin d’éviter la double imposition économique des dividendes, notre législation a mis en place le mécanisme de la déduction des revenus définitivement taxés (R.D.T.). Il s’agit d’un système d’exemption des dividendes : le dividende reçu est inclus dans le bénéfice imposable de la société bénéficiaire puis déduit de sa base imposable à concurrence de 95 % au titre de R.D.T.24 25. Le régime belge est plus large que la directive européenne puisqu’il ne fait en principe pas de distinction selon que le dividende reçu provient d’une société belge, d’une société de l’Union européenne ou d’une société d’un état tiers26. Cette opération doit cependant être examinée avec attention en raison de la modification de l’article 344 §1 du CIR 92, entré en vigueur le 16 avril 201227. Cette mesure anti-abus fiscale permet à l’Administration de taxer certaines opérations dont elle démontre le caractère abusif sans tenir compte des effets des actes juridiques posés. Il faut notamment pour cela que l’opération se place en violation des objectifs de la loi en dehors de son champ d’application.

23 Cass., 23 janvier 2003, RDC 2003, p. 836, note D. . 24 Directive fiscale mère-filiale du 23 juillet 1990, JOCE , n° L225 du 20 août 1990, pp. 6 et suivantes 25 Voir 100% dans le cadre de fusion – nouvel article 18 du projet de loi n°1398, Chambre, session 2007-2008. 26 J. KIRKPATRICK et D. GARABEDIAN , Le régime fiscal des sociétés en Belgique, Bruylant, 3ème éd., 2003, p. 239. 27 Art 167 de la loi-programme du 29 mrs 2012, MB, 6 août 2012, Ed.3, p. 22/88

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Certains pourraient prétendre que la vente d’actions suivie d’une distribution des réserves permet d’éviter la retenue d’un précompte mobilier et être tenté d’user de ce nouvel article 344 §1 du CIR 92. Il appartiendrait alors au contribuable de démontrer l’existence de motifs autres que fiscaux à l’opération. Cela me semble difficile à tout le moins dans le cadre d’opération de plus-value interne. 6.3.2 Conditions d’application du régime R.D.T. Le régime des R.D.T. est soumis à deux conditions : une condition de participation minimale et une condition de taxation. 1. La condition de participation minimale : La société bénéficiaire des dividendes doit impérativement détenir une

participation dans la société distribuant les dividendes atteignant un seuil minimum de 10 % du capital de ladite société ou une valeur d’investissement d’au moins 2.500.000 €.

N’entrent en considération que les actions représentatives du capital social à

l’exclusion de tout autre type d’actions28. Ces titres doivent être détenus en pleine propriété29. La Cour d’Appel de Liège a récemment posé une question préjudicielle à la

Cour Européenne de Justice afin de savoir si la détention en usufruit rencontre les obligations posées par la directive européenne mère-filiale. L’arrêt n’est pas encore intervenu mais le 3 juillet 2008, l’avocat général estime pour sa part que « la directive mère-filiale impose aux Etats membres d’accorder (également) le traitement fiscal avantageux applicable aux dividendes reçus par une société mère de la part d’une filiale (…) dans une situation dans laquelle la propriété des actions de la filiale a été démembrée, de sorte qu’une société reçoit les dividendes en vertu d’un droit d’usufruit tandis qu’une autre société demeure titulaire de la nue-propriété »30.

Le 22 décembre 2008, la CJCE a tranché la question :

« La notion de participation dans le capital d'une société d'un autre État membre au sens de l'article 3 de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23-07-1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents, ne comprend pas la détention de parts en usufruit.

28 P-F. COPPENS, L’entreprise face au droit fiscal belge, Larcier 2004, p. 335. 29 Article 202 §2 2° du C.I.R. 1992. 30 Le fiscologue du 08.08.2008, n° 124, p.12

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Toutefois, conformément aux libertés de circulation garanties par le traité C.E., applicables aux situations transfrontalières, lorsqu'un État membre, afin d'éviter la double imposition de dividendes perçus, exonère d'impôt tant les dividendes qu'une société résidente perçoit d'une autre société résidente dans laquelle elle détient des parts en pleine propriété que ceux qu'une société résidente perçoit d'une autre société résidente dans laquelle elle détient des parts en usufruit, il doit appliquer, aux fins de l'exonération des dividendes perçus, le même traitement aux dividendes perçus d'une société établie dans un autre État membre par une société résidente détenant des parts en pleine propriété et à de tels dividendes perçus par une société résidente qui détient des parts en usufruit ».

Par contre, ces titres ne doivent plus avoir d’un point de vue comptable la

nature d’une immobilisation financière. En raison de son absence de conformité en droit européen, l’article 202 §2 cl.2

du CIR 92 a été abrogé31. Le texte de loi prévoit en outre une durée de détention d’un an au moins des

titres concernés.

A noter que cette durée de détention « ne doit pas nécessairement être déjà atteinte au moment de l’attribution du dividende (voir les mots « sont » ou « ont été » dans l’article 202, §2 2°…) »32.

En conséquence, rien ne s’oppose en matière fiscale à ce que la société qui

vient d’acquérir les titres d’une autre société s’attribue, sous le bénéfice des R.D.T., les réserves antérieures de la société cible.

Faut-il pour autant retenir le précompte mobilier ?

Il est en principe renoncé à la perception du précompte mobilier lorsque le débiteur ou le bénéficiaire sont des sociétés résidentes.

Il faut cependant que la participation du bénéficiaire soit d’au moins 10 % du capital de la société débitrice des dividendes et que cette participation minimale ait été ou soit conservée pendant une période ininterrompue d’au moins un an.

Si la société mère entre dans les conditions de participation mais qu’elle vient

d’acquérir ou ne détient pas encore les titres depuis plus d’un an, la filiale peut malgré tout bénéficier de l’exemption du précompte mobilier à condition que sa société mère lui délivre une attestation par laquelle elle s’engage à conserver une participation d’au moins 10 % pendant un an depuis la date d’acquisition des titres 33.

La société filiale doit en outre s’engager à retenir à titre provisoire sur les

dividendes un montant correspondant au précompte mobilier qui aurait été en 31 Article 44, 2° de la loi du 14 avril 2011 portant d es dispositions diverses, MB 6 mai 2011 32 J. KIRKPATRICK et D. GARABEDIAN, op.cit., p. 241 33 Ce régime d’exemption est visé par les articles 117 §§ 4 et 5 de l’A.R/C.I.R.92

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principe dû sur ces dividendes tant que les conditions de durée de détention ne sont pas définitivement acquises.

Si les conditions ne sont pour finir pas remplies, la société fille est tenue de

verser ce montant au Trésor à titre définitif au titre de précompte mobilier majoré des intérêts de retard éventuellement dus.

Le non-respect de cette obligation engage la responsabilité du conseil

d’administration. Cette exemption permet en réalité aux parties de faire l’économie du

financement du précompte. Celui-ci est en effet en principe imputable à l’impôt des sociétés de la société

mère34. 2. La condition de taxation : Pour bénéficier du régime des R.D.T., il faut en outre que la société distributrice

ait subi une imposition analogue à notre impôt des sociétés35. Cela exclut du régime toute une série de dividendes suivant la nature des

sociétés distributrices principalement les dividendes provenant de sociétés étrangères bénéficiant d’un régime fiscal anormal, de sociétés belges d’investissement ou de sociétés belges qui ont un établissement stable dans un état non membre de l’Union européenne (mais avec lequel la Belgique a conclu une convention préventive de double imposition et dans lequel le bénéfice de l’établissement subit une charge fiscale effective de moins de 15 % (art. 203 §1 4 du C.I.R.92)36.

6.3.3 Suppression des limitations à la déduction d es R.D.T. Antérieurement, la déduction des R.D.T. intervenait à la 4ème opération de la détermination du revenu imposable de la société. De ce fait, la déduction des R.D.T. s’en trouvait limitée. Le 12 février 2009, la C.J.C.E.37 a condamné le système belge. Le législateur belge a alors adapté les dispositions légales38. Dorénavant, le report des dividendes R.D.T. non déduits sur les périodes imposables est autorisé. Les modalités sont déterminées par le Roi en application de l’article 207 du C.I.R./92. Ce report ne porte que sur 95 % des dividendes perçus (article 204 du C.I.R./92) et ne concerne bien entendu que les dividendes distribués par une filiale au sens de la

34 Pour les exceptions à l’imputabilité ou à la restitution de ce précompte mobilier, voir J. KIRKPATRICK et D. GARABEDIAN, op. cit., pp. 248 à 250 35 P-F. COPPENS,op.cit., p. 335 36 J. KIRKPATRICK et D. GARABEDIAN, op.cit., pp. 246 37 C.J.C.E., arrêt COBELFRET, 12 février 2009, aff. C-138/07 38 Loi du 21 décembre 2009 portant les dispositions fiscales diverses – article 8

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directive mère-filiale, de sorte que la distribution de dividendes d’une participation dont la valeur d’acquisition est de moins de 2.500.000 € ou dont le pourcentage de détention est inférieur à 10% ne bénéficiera pas de ce report. Le report ne sera en outre pas autorisé pour les sociétés filiales qui sont établies dans des pays liés à la Belgique par une convention préventive de double imposition, comportant une clause de non-discrimination. Par contre, cela restera possible pour les sociétés établies dans un pays avec lequel la Belgique a conclu des conventions qui ne prévoient pas de clause d’égalité de traitement en Europe, et ce en application de l’article 56 du Traité U.E. Des limitations de la déduction des R.D.T. sont cependant maintenues. Ainsi, la partie des résultats de la période sur laquelle les R.D.T. ne peut être déduits comprend les éléments suivants (article 205, §2 du C.I.R./92) :

- les libéralités non déductibles à titre de frais professionnels ; - les amendes, les frais de vêtements non-spécifiques, les frais de chasse,

pêche, etc., les frais déraisonnables, les allocations des tiers en remboursement desdits frais précités, les avantages sociaux, les avantages pour les bénéficiaires de rémunération, de cotisations ou primes relatives à des engagements collectifs ou individuels, les cotisations et primes patronales, etc. (voir article 5321, 21° à 23°) ;

- les intérêts versés à un contribuable étranger soumis à un régime de taxation notamment plus avantageux que la Belgique, sauf si celui-ci répond à des opérations réelles et sincères et ne dépasse des limites normales ;

- les intérêts à un taux déraisonnable ; - les cotisations et primes patronales liées à l’article 52, 3°, b pour autant que

ces primes ou cotisations ne satisfassent pas à la règle des 80% ; - la partie non-déductible des frais et moins-values afférente à une utilisation

de pécule ; - etc.

7. - LA RÉDUCTION DU CAPITAL DE LA SOCIÉTÉ CIBLE 7.1 Principes Pour favoriser le financement de l’opération, la société mère peut réduire le capital de la société dont elle vient d’acquérir les titres afin de lui permettre de dégager des liquidités et de remonter celles-ci assez facilement vers elle. S’il s’agit d’un bon capital fiscal, l’opération ne pose aucun problème. Lorsque le capital est composé d’anciennes incorporations, le régime fiscal variera selon la nature de ce capital (taxation à l’I.Soc. pour la partie du capital provenant de l’incorporation d’une plus-value immunisée, taxation sous le régime des R.D.T. pour les réserves incorporées, etc.).

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Le Code des sociétés impose pour la réduction du capital le respect de conditions plus particulières.

7.2 Droit des sociétés Seule l’assemblée générale est autorisée à décider d’une réduction de capital. Cette décision doit être prise aux conditions de quorum et de majorité prévues pour la modification des statuts. S’il y a plusieurs catégories d’actions et que la réduction du capital entraînera la modification des droits respectifs de ces catégories, un vote séparé pour chaque catégorie d’actions affectée par la réduction de capital doit intervenir 39. La réduction pour chaque catégorie d’actions devra en outre être calculée proportionnellement à la part de chacune des catégories dans le capital. Les convocations à l’assemblée générale doivent indiquer de manière précise la manière dont la réduction sera opérée (remboursement aux actionnaires, dispense de libération, apurement des pertes, etc…). L’assemblée générale doit impérativement se tenir devant le notaire. Le procès-verbal de cette assemblée aura donc une forme authentique et devra être déposé au Greffe du Tribunal de Commerce dont la société dépend. Il sera publié aux annexes du Moniteur Belge. Lorsque la réduction de capital génère un remboursement aux actionnaires avec dispense pour ceux-ci du versement du solde de leurs apports, le Code des sociétés prévoit la possibilité pour les créanciers de demander une sûreté 40. Cela ne concerne cependant que les créanciers dont les créances ne sont pas encore échues au moment de la publication de la décision de réduction de capital aux annexes du Moniteur Belge. Les créanciers dont la créance est échue ne sont pas protégés puisqu’ils ont un droit immédiat en raison même de l’exigibilité de leur créance. Les créanciers concernés disposent de deux mois à dater de la publication pour exiger la sûreté précitée. La société peut ne pas faire droit à cette demande mais doit alors payer immédiatement la créance à sa valeur nominale sous déduction d’un escompte. A défaut d’accord, le Président du Tribunal de Commerce siégeant comme en référé est compétent pour trancher le différend. 39 Article 560 du Code des sociétés. 40 Article 613 du Code des sociétés.

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Il peut néanmoins estimer qu’aucune sûreté ne doit être fournie eu égard à la solvabilité de la société ou aux garanties et privilèges dont jouit déjà le créancier. Le remboursement prévu par la réduction de capital ou la dispense effective de versement du solde des apports ne peut intervenir avant l’expiration du délai de deux mois précité ou en cas de litige, tant que la décision judiciaire n’est pas coulée en force de chose jugée. Rappelons que la décision de réduction de capital ne peut avoir pour effet de réduire le capital à un montant inférieur au minimum légal. Pour les autres hypothèses telle la réduction de capital en vue d’apurer une perte ou en vue de constituer une réserve pour une perte prévisible, voir : J. MALHERBE, Ph. LAMBRECHT et Ph. MALHERBE, Droits des sociétés – précis, BRUYLANT 2004 p. 842 et suivantes. 7.3 Aspect fiscaux L’article 18 2° du C.I.R.92 assimile à des dividend es les remboursements totaux ou partiels du capital social. Il exclut cependant les remboursements du capital libéré (opéré en exécution d’une décision régulière de réduction de capital social). Comme souligné ci-avant, lorsque la réduction de capital porte sur une autre composante du capital, cette réduction est considérée comme une distribution de dividendes et une retenue du précompte mobilier doit éventuellement être opérée. Si la réduction s’opère sur une partie du capital constituée de réserves exonérées, il y aura en outre une taxation à l’impôt des sociétés pour non-respect de la condition d’intangibilité prévue à l’article 190 du Code des Impôts sur les Revenus. Il est donc prudent de veiller à indiquer dans l’acte de réduction de capital l’ordre d’imputation de cette réduction. A défaut, la réduction de capital s’effectuera proportionnellement aux différentes composantes de celui-ci avec toutes les conséquences fiscales précitées. 8. – LE RACHAT D’ACTIONS PROPRES 8.1. – Introduction L’acquisition par une société de ses propres titres n’est pas une opération anodine. Elle touche à l’intégrité du capital social.

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Cette opération peut répondre à de multiples justifications économiques telles que :

- l’évitement d’une offre publique d’acquisition (O.P.A.) – par ce biais, on rend indisponible un certain pourcentage des titres;

- la régulation du cours de bourse; - le reclassement de titres (notamment dans les sociétés familiales) pour faire

face au départ ou au décès d’un actionnaire 41 ; - l’intéressement du personnel; - la protection de la structure de l’actionnariat; - l’adaptation de la surface financière aux besoins réels de l’entreprise. Dans le cadre de l’acquisition de titres d’une société, cette opération permet de dégager des liquidités à partir de la société cible. Au vu des dangers que présente ce type d’opération, la nécessité d’une réglementation s’imposait. En effet, la détention d’actions propres par une société donne au tiers une image faussée du capital. A défaut de réglementation, des confusions au niveau des pouvoirs au sein de la société auraient pu voir le jour puisque le conseil d’administration par la détention des titres aurait pu prendre part aux assemblées générales de la société. On aurait pu craindre aussi un risque de violation de l’intérêt social au profit de certains actionnaires. Enfin un rachat sélectif d’action aurait pu mettre en péril le principe d’égalité entre les actionnaires. Le 5 décembre 1984, sous l’impulsion de la deuxième directive européenne du 13 décembre 1976, le législateur a introduit dans notre arsenal juridique l’article 52 bis des lois coordonnées sur les sociétés commerciales repris actuellement par les articles 620 et suivants du Code des sociétés. L’Arrêté royal du 8 octobre 2008 modifiant le Code des sociétés conformément à la Directive 2006/68/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006 modifiant la Directive 77/91/CEE du Conseil en ce qui concerne la constitution d’une société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital, modifie quelque peu le régime à partir du 1er janvier 2009. Les conséquences fiscales ne sont pas non plus à négliger notamment en cas de non respect des dispositions du code de société. 8.2. – Droit des Sociétés 8.2.1. CHAMP D’APPLICATION Les dispositions légales relatives à l’acquisition des titres propres concernent les S.A., les S.C.A. et les S.P.R.L..

41 X. DIEUX, « Le rachat d’actions propres », in Cession et rachat d’actions, Séminaire VANHAM & VANHAM, 25 novembre 1999, p. 2.

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Cette réglementation porte tant sur l’acquisition d’actions que sur celle de parts bénéficiaires ou de certificats d’actions ou parts y relatifs. La réglementation s’applique aussi lorsqu’il y a interposition de personnes par le biais de contrats tels que les conventions de portage, de fiducie, de trust, de mandat, de commission, … qui révèlent en réalité l’acquisition des titres par des personnes agissant au nom et pour compte de la société. Elle s’étend à tous types d’opérations de vente, d’échange, à titre onéreux ou à titre gratuit . La loi aborde l’acquisition, la détention et l’annulation desdits titres. Cette réglementation est d’ordre public. Eu égard aux sanctions pénales qui y sont rattachées, elle est d’interprétation restrictive42. 8.2.2. ACQUISITION DE TITRES PROPRES PAR LA SOCIÉT É ELLE-MÊME 8.2.2.1. Conditions – règles générales 43 La société ne peut acquérir ses propres titres, parts bénéficiaires ou certificats que moyennant le respect de cinq conditions :

1. L’existence d’une habilitation spéciale de l’assemblée générale.

Une décision préalable de l’assemblée générale statuant aux conditions de quorum et de majorité prévues à l’article 559 du Code des sociétés est nécessaire44.

A défaut de respect de ce quorum, une seconde assemblée devra être convoquée, qui délibèrera valablement quel que soit le capital représenté à celle-ci. La décision devra être prise au moins aux quatre cinquième des voix. Attention : il ne s’agit pas de la décision de rachat, mais simplement d’une décision d’habilitation par l’assemblée générale du conseil d’administration à acquérir les actions ou autres titres prévus. S’agissant d’une habilitation générale, elle ne devra pas être renouvelée à chaque fois qu’une action est acquise. Par contre, cette habilitation devra impérativement :

42 voir art. 648, 3° du Code des sociétés. 43 Art. 620, § 1, al. 1er du Code des sociétés. 44 En d’autres termes, les conditions existant pour la modification de l’objet social, à savoir l’obligation pour ceux qui assistent à l’assemblée générale de représenter au moins la moitié du capital social et au moins la moitié des parts bénéficiaires (s’il en existe).

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- spécifier sa durée de validité, qui ne peut excéder depuis le 1er janvier 2009,

5 années45. - fixer le nombre maximum d’actions, de parts bénéficiaires ou de certificats à

acquérir ; cette mention ne doit pas être confondue avec le seuil des vingt pour cent du capital;

- fixer la fourchette de prix dans laquelle doit s’opérer cette ou ces acquisitions.

L’objectif de cette dernière condition est, bien entendu, de veiller à ce que l’acquisition de titres propres ne se fasse pas en faveur d’un actionnaire particulier et au détriment de la société. Cette décision de l’assemblée générale doit en outre être publiée conformément à l’article 74 du Code des sociétés (dépôt au greffe du Tribunal de commerce et publication au Moniteur belge). En principe, il n’est pas nécessaire de passer chez un notaire, contrairement à ce qui se passe en matière de modification des statuts, puisque la loi, en réalité, n’impose que les conditions de quorum et de votes, sans autre spécification. La pratique veut cependant que l’on recourt en général à la procédure classique de modification des statuts pour cette décision d’habilitation prise par l’assemblée générale en faveur du conseil d’administration.

2. La valeur nominale ou, à défaut de valeur nominale, le pair comptable des

actions, parts ou certificats acquis en propre ne peut dépasser vingt pour cent du capital souscrit (en ce compris toutes les actions ou certificats propres déjà détenus par la société ou par une filiale directe de la société)46.

Le calcul s’opère non pas par rapport au capital libéré, mais bien par rapport au capital souscrit. Ainsi, pour respecter ce seuil de 20%, il convient de prendre déjà en compte : - les actions, parts ou certificats détenus par la société elle-même, - les actions, parts ou certificats acquis par une personne agissant pour son

compte ou pour le compte d’une filiale directe, - les actions, parts ou certificats acquis par une filiale directe - les actions, parts ou certificats mis en gage au profit de la société par la

société elle-même, par une filiale directe ou par un société agissant pour leur compte.

3. Les sommes affectées à cette acquisition doivent être susceptibles d’être

distribuées conformément à l’article 617 du Code des sociétés.

45 Article 17 de l’Arrêté royal du 8 octobre 2008 modifiant le Code des statuts conformément à la Directive 2006/68/CE. 46 Article 17 de l’Arrêté royal du 8 octobre 2008 modifiant le Code des statuts conformément à la Directive 2006/68/CE.

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Cet article 617 dispose en effet qu’ « aucune distribution ne peut être réalisée lorsqu’à la date de clôture du dernier exercice, l’actif net est ou deviendrait à la suite de la distribution, inférieur au montant du capital libéré ou si ce montant est supérieur du capital appelé augmenté de toutes les réserves que la loi ou les statuts ne permettent pas de distribuer ». Rien n’interdit, par contre, que le financement effectif du rachat soit réalisé grâce à un crédit ou un emprunt spécialement souscrit dans ce but 47.

4. L’opération ne peut porter que sur des actions entièrement libérées. Le

législateur a entendu éviter des inégalités dans la mesure où chaque actionnaire doit recevoir un prix équivalent – ce que ne permettrait pas l’acquisition d’actions qui n’aurait pas été entièrement libérées.

L’absence de libération effective des titres n’opérerait qu’une extinction de la dette par compensation sans que le capital n’en soit affecté 48.

5. L’offre d’acquisition doit être faite aux mêmes conditions à tous les

actionnaires et, le cas échéant, aux porteurs de parts bénéficiaires ou titulaires de certificats. L’objectif de cette condition est bien entendu de protéger les actionnaires minoritaires. Il est cependant dérogé à cette règle d’égalité lorsque l’achat se fait en bourse. L’Arrêté royal du 8 octobre 2008 adapte le régime à la Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers. Elle permet dès lors une dérogation à la règle d’égalité tant pour les sociétés cotées que pour les sociétés dont les titres sons admis aux négociations sur un MTF (Multi Lateral Trading Facility)49.En effet, d’après les travaux parlementaires : « le fait que le rachat ait lieu en bourse place les associés sur pied d’égalité ». C’est fort théorique si l’acquisition n’est pas effectivement annoncée50. Depuis le 1er janvier 2009, les sociétés cotées et les sociétés dont les titres admis aux négociations sur un MTF pourront acheter leurs propres actions ou certificat sans être tenues de faire une offre d’acquisition à tous les actionnaires mais à la condition qu’elles garantissent, par le prix auquel l’opération de rachat est effectué, l’égalité de traitement des actionnaires ou titulaires de certificat qui se trouvent dans les mêmes conditions51.

47 C. FISCHER, Rachat d’actions propres et de participations croisées, De Boeck, 1996, p. 27. 48 J. t’KINT, Les modifications apportées au droit des sociétés anonymes par la loi du 5 décembre 1984 et par la loi du 21 février 1985, Larcier, 1985, p. 67, n° 120. 49 Article 2, 4 ° de la loi du 2 août 2002. 50 J. MALHERBE, Ph. LAMBRECHT et Ph. MALHERBE, op. cit., p. 680. 51 Article 17 de la l’Arrêté royal du 8 octobre 2008 modifiant le Code des sociétés conformément à la Directive 2006/68/CE.

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L’opération de rachat d’actions propres pourra même se réaliser par une vente de gré à gré. Le prix ne pourra cependant jamais excéder le prix auquel les autres actionnaires peuvent vendre au moment leurs actions sur un marché réglementé ou un MTF.

Rien n’interdit bien entendu que l’opération de rachat d’action se fasse donc à un prix inférieur. L’offre ne devra porter que sur maximum 20% du capital souscrit, l’égalité de traitement entre actionnaires étant assurée par un système de réduction proportionnelle 52. N’oublions pas aussi que, lorsque l’offre s’adresse à plus de cinquante personnes, elle tombe sous la réglementation des offres publiques d’acquisition (notification à la commission bancaire, financière et des assurances, établissement d’un prospectus, etc…) 53. Il est admis que l’égalité ne doit pas être respectée lorsque l’acquisition a été décidée à l’unanimité par une assemblée générale à laquelle tous les actionnaires étaient présents ou représentés. Les actionnaires minoritaires ayant approuvé la décision, il n’y a plus lieu de veiller à la protection éventuelle de leurs droits. Le principe de la réduction proportionnelle posée par la réglementation s’oppose donc également à un tirage au sort des actions rachetées.

8.2.2.2. Exception particulière : dispense de décision préal able de

l’assemblée générale L’habilitation préalable par l’assemblée générale n’est pas requise dans les deux hypothèses suivantes : 1. l’acquisition a été opérée en vue d’une distribution au personnel (art. 620, § 1,

al. 3 du Code des sociétés) ; 2. l’acquisition a pour objectif d’éviter à la société un dommage grave et

imminent (art. 620 § 1er, al. 4 du Code des sociétés). A cet égard, le conseil d’administration ne peut faire usage de cette faculté

que moyennant le respect des quatre conditions suivantes :

52 J.M. NELISSEN-GRADE, « Le rachat d’actions propres », in Cession et rachat de titres dans les sociétés anonymes privées et publiques, Séminaire VAN HAM & VAN HAM, 8 mars 2001, p. 7. 53 Voir l’Arrêté royal n° 485 du 9.7.1935 et le chapit re 2 de l’A.R. du 8.11.1989 relatif aux offres publiques d’acquisition et aux modifications de contrôle des sociétés – Quant à la procédure : A.R. du 8.11.1989.

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1. existence d’une clause statutaire prévoyant cette faculté ; on notera que, dans le cadre des sociétés cotées, il s’agit actuellement d’une clause de style : cette clause ne doit pas prévoir d’éléments particuliers tels que le nombre maximum de titres à acquérir ou la fourchette de prix, etc…

2. cette clause doit être publiée conformément au Code des sociétés ; elle n’a

qu’une durée de validité que de 3 ans à dater de sa publication mais est prorogeable par l’assemblée générale statuant aux conditions de quorum et de majorité prévues pour les modifications statutaires.

3. il faut que la société soit confrontée à un dommage grave et imminent : « Ce dommage devra s’apprécier de manière raisonnable : en cas de

contestation, le juge devra vérifier si le conseil ne s’est pas trop écarté d’une appréciation raisonnable, comme en matière de responsabilité, du dommage grave et imminent. Le dommage grave et imminent existera dans la mesure où il menace l’intérêt social de la société (Doc. parl., Sénat, 1990-1991, n° 1107-3, p. 118). Cette menace s’appréciera en fonction de deux préjudices éventuels, à savoir d’une part le préjudice provenant du statu quo, c’est-à-dire si les mesures de rachat de titres propres ne sont pas opérées par le conseil d’administration, et d’autre part le préjudice provenant d’une opération d’acquisition, c’est-à-dire si les mesures de rachat de titres propres sont opérées par le conseil d’administration. »

Un autre exemple d’application est bien entendu l’acquisition opérée en

vue de soutenir le cours boursier (dépression boursière grave). Le législateur a surtout eu à l’esprit, la possibilité de pouvoir faire échec à

une offre publique d’achat (OPA) ou d’échange (OPE). Bien qu’une OPA, en tant que telle, ne cause pas de dommage en soi, le

coût de l’achat risque de lui causer des difficultés de trésorerie. J.M. NELISSEN-GRADE souligne à cet égard que « la détermination du

sens et de la portée de la notion même de « dommage grave et imminent » requiert un effort d’interprétation de la deuxième directive et du texte allemand qui l’a inspirée. Ainsi, le dommage doit menacer la société elle-même et non ses actionnaires pris individuellement. Le dommage doit également avoir une probabilité raisonnable de se produire si l’acquisition n’a pas lieu. Il faut en outre que le rachat d’action soit le seul moyen d’empêcher la réalisation du dommage. Afin d’éviter les écueils d’une interprétation, par définition postérieure à la survenance d’une contestation, une doctrine influente a proposé que les statuts précisent ce qu’ils entendent par « dommage grave et imminent » 54.

Cette interprétation nous semble, pour notre part, trop restrictive.

54 J-M NELISSEN-GRADE, op.cit.., pp. 5. et 6.

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4. si le conseil fait usage de cette habilitation statutaire, l’assemblée générale qui suit l’acquisition doit être informée par ce conseil des raisons et des buts de l’acquisition, du nombre et de la valeur nominale (ou à défaut de valeur nominale, du pair comptable des titres acquis), de la fraction du capital souscrit qu’ils représentent ainsi que leur contre valeur.

Toutes les autres conditions régissant le régime des acquisitions de titres propres continuent à s’appliquer. 8.2.2.3. Dérogation générale à toutes les condition s L’ensemble des conditions de mise en application d’une opération d’acquisition de titres propres ne doit pas être respecté dans la mesure où elles ne se justifient pas. Sont visées les hypothèses suivantes :

1. Lorsque les actions sont acquises « en vue de leur destruction immédiate, ou en exécution d’une décision de l’assemblée générale de réduire le capital en application de l’article 612 du Code des sociétés » (art. 621, 1° du Code des sociétés).

Une réduction du capital s’opère de manière proportionnelle, au contraire d’une acquisition de titres propres qui peut aboutir au retrait de certains actionnaires – c’est-à-dire ceux qui le désirent, pour autant que les règles des articles 612 à 614 du Code des sociétés soient respectées. La réduction de capital n’entraîne pas en soi la destruction d’actions. La réduction de capital par remboursement d’actions peut s’appliquer à une partie de la valeur nominale ou du pair comptable des actions au contraire des cas des hypothèses d’acquisitions de titres propres. La réduction du capital s’opère sans que soit requis le consentement individuel de chaque actionnaire, au contraire de l’acquisition de titres propres (pour info). Attention, les difficultés tiennent à la confusion opérée entre deux opérations fondamentalement différentes que sont l’acquisition d’actions propres et la réduction du capital (voir supra). Pour éviter toute contestation, il convient dès lors de respecter, dans l’hypothèse visée, tant les règles de procédure prévues pour l’acquisition de titres propres que celles prévues spécifiquement pour la réduction de capital.

2. Lorsque les actions, parts bénéficiaires ou certificats sont acquis à la suite

d’une transmission de patrimoine à titre universel.

Est principalement visée la fusion par absorption, mais aussi la scission, voire l’apport d’universalité de biens ou de branches d’activité.

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Si, suite à cette opération, la société détient des titres propres au-delà du seuil des 20% du capital souscrit, les titres excédentaires doivent être aliénés dans un délai de 12 mois à compter de leur acquisition.

3. Lorsque les actions entièrement libérées, parts bénéficiaires ou certificats sont

acquis lors d’une vente réalisée conformément aux articles 1494 et suivants du Code judiciaire en vue de recouvrer une créance de la société contre les propriétaires de ces actions ou parts bénéficiaires ou certificats.

Est visée l’hypothèse d’une vente forcée permettant en réalité une dation en paiement acceptée par une société « car elle y voit le seul moyen de se faire payer » 55. Ici aussi, ces titres doivent être impérativement aliénés dans les douze mois à compter de leur acquisition s’ils excèdent le seuil des 20% du capital souscrit.

4. Lorsque les actions, parts bénéficiaires ou certificats sont acquis auprès des

sociétés visées aux articles 631 (sauf les sociétés filiales) et 632 du Code des sociétés en vue de réduire le nombre de titres possédés par la société anonyme.

Cela concerne en réalité les sociétés filiales indirectes. L’objectif est de dénouer les participations réciproques. Il s’agit de permettre à la société de racheter ses propres titres aux filiales indirectes ou aux sociétés indépendantes visées à l’article 632 au-delà du seuil des vingt pour cent, sans respecter l’égalité des créanciers et sans que le prix doive être payé au moyen des bénéfices distribuables, tout en évitant de devoir convoquer une assemblée générale pour dénouer cette participation croisée. Dans le cadre de l’adaptation du Code des sociétés à la Directive 2006/68/CE du 6 septembre 2006, le Gouvernement n’a pas jugé utile de rehausser ici, dans le cadre des participations croisées, le seuil des 20 %, cette majoration n’étant pas prévue par ladite Directive européenne.

8.2.3. – LA DETENTION DES TITRES PROPRES 8.2.3.1. Les droits de vote En application de l’article 622, § 1, al. 1 du Code des sociétés, le droit de vote des actions ou titres propres acquis est suspendu. L’objectif est bien entendu d’éviter une situation d’auto-contrôle et de conflit d’intérêts.

55 J. MALHERBE, Ph. LAMBRECHT et Ph. MALHERBE, op. cit., p. 683.

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Ces titres exclus du pouvoir votal ne sont pas pris en compte pour la détermination des conditions de quorum et de majorité à observer pour la tenue des assemblées générales subséquentes. On estime en outre que les droits accessoires du droit de vote, tels que le droit d’assister à l’assemblée générale, le droit de poser des questions, etc…, sont aussi suspendus de plein droit. 8.2.3.2. Le droit aux dividendes Le droit aux dividendes attaché aux titres détenus par la société peut être :

1. suspendu : dans cette hypothèse, les coupons restent attachés aux titres et le bénéfice distribuable est réduit en fonction des titres détenus ; les sommes y relatives étant conservées jusqu’à la vente des titres coupons attachés ;

2. maintenu, et donc, partagé entre les autres actionnaires, les coupons échus

des titres visés étant détruits. Une controverse existe concernant la question de savoir si cette dernière décision doit être prise par l’assemblée générale ou par le conseil d’administration. S’agissant d’une opération de distribution, elle ressort en principe du pouvoir de l’assemblée générale. 8.2.3.3. Constitution d’une réserve indisponible. Au passif de la société doit être reprise une réserve indisponible pour la contrepartie de la valeur à laquelle les actions sont évaluées à l’actif (art. 623 du Code des sociétés). Les actions propres sont alors reprises, quant à elles, au poste « placements de trésorerie ». 8.2.4. DEVOIR D’INFORMATION Une information sur l’opération d’acquisition de titres propres doit impérativement être reprise au rapport de gestion ou, à défaut d’un tel rapport, dans les annexes des comptes annuels (art. 624 du Code des sociétés). D’autre part, lorsque l’acquisition a eu lieu en vue de sauver l’entreprise d’un danger grave et imminent, un rapport spécifique doit être établi par le conseil d’administration et présenté aux actionnaires de la première assemblée générale qui suit cette opération. 8.2.5. L’ALIENATION DES TITRES PROPRES 8.2.5.1. Délais.

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En principe, la société n’a aucune obligation de revendre les titres qu’elle a acquis, sauf dans les hypothèses suivantes :

1. lorsque l’acquisition a été réalisée en vue d’une distribution au personnel : dans cette hypothèse, l’aliénation doit intervenir dans les douze mois de l’acquisition ;

2. lorsque l’acquisition est survenue dans le cadre d’une vente forcée, au-delà du

seuil des 20% : les titres excédentaires doivent être aliénés dans les douze mois de leur acquisition ;

3. lorsque les titres ont été acquis par l’effet d’une transmission universelle au-

delà du seuil des 20% du capital souscrit : les titres excédentaires doivent être aliénés dans un délai de douze mois à compter de leur acquisition.

4. lorsque les actions ont été acquises en vue de dénouer des participations

réciproques : dans cette hypothèse, les titres doivent être vendus dans un délai de trois ans à compter de leur acquisition.

8.2.5.2. Procédure de l’aliénation. Conformément à l’article 622 § 2, al. 1 du Code des sociétés, l’aliénation de titres propres ne peut être réalisée qu’en vertu d’une décision de l’assemblée générale prise aux mêmes conditions de quorum et de majorité que pour la modification de l’objet social (art. 559 du Code des sociétés). Néanmoins, au contraire de la décision d’habilitation, cette décision ne doit contenir aucune dispositions spécifiques quant à la durée, quant au nombre et quant au prix de l’aliénation ; elle peut donc être donnée sans limite de temps et laisser toute latitude au conseil d’administration quant au prix et quant au nombre. On estime de même que le code n’impose aucune obligation d’offrir les actions à tous les actionnaires en les traitant sur un pied d’égalité, contrairement à l’acquisition des titres propres (voir supra). 8.2.5.3. Exception à l’obligation d’une autorisatio n de l’assemblée générale L’autorisation préalable de l’assemblée générale n’est pas requise dans les hypothèses suivantes (article 622, § 2, al. 2 du Code des sociétés) :

1. pour les actions ou certificats cotés en bourse, acquis par le conseil d’administration sur base d’une clause statutaire habilitante (voir supra). La doctrine s’accorde pour dire que bien que le texte le prévoit, cette exception ne vise en réalité que l’aliénation en bourse des acquisitions visées par l’exception énoncée à l’article 620 § 1, 5° du Code des sociétés. On considère que l’aliénation doit également avoir lieu en bourse.

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2. pour les titres acquis en vue d’éviter à la société un dommage grave et imminent. A nouveau, une clause statutaire doit préalablement avoir donné le pouvoir au conseil d’administration d’opérer une telle aliénation en bourse ou une aliénation par une offre adressée de façon égalitaire à tous les actionnaires. Le conseil d’administration sera tenu des mêmes obligations d’information que celles prévues dans le cadre de l’acquisition de titres propres.

3. pour les titres acquis en vue de leur distribution au personnel.

Passé le délai de douze mois, les actions sont nulles de plein droit ; aucune autre habilitation ne doit être donnée au conseil d’administration.

4. les hypothèses où l’aliénation est obligatoire (dépassement du seuil de 20%

lors des transmissions de patrimoines de titres universels, vente publique suite à une saisie acquisition en vue de dénouer des participations réciproques).

8.2.6. SANCTIONS La loi dispose expressément que les actions acquises en violation des dispositions légales ou non aliénées dans les délais prévus par la loi sont nulles de plein droit (article 625, § 1 du Code des sociétés). En réalité, le législateur belge est ici plus sévère que le législateur européen. Il appartient alors au conseil d’administration de détruire les titres nuls et d’en déposer la liste au greffe du Tribunal de commerce. Pour l’hypothèse des titres nominatifs, ceux-ci doivent faire l’objet d’une mention spéciale dans les registres de la société (article 463 du Code des sociétés). D’autre part, la réserve indisponible constituée en application de l’article 623 du Code des sociétés doit être supprimée, ce qui implique une diminution des réserves disponibles à due concurrence et, à défaut de pareille réserve, une réduction du capital opérée moyennant une convocation de l’assemblée générale au plus tard avant la clôture de l’exercice en cours 56. En outre, une adaptation des statuts s’imposera afin qu’ils reflètent le nouveau nombre des titres de la société. « Les tiers de bonne foi seront protégés en cas de remise en circulation irrégulière des titres. Il sera souvent impossible de les identifier. La sanction serait donc peu efficace »57.

56 M. WAGEMANS, « Participations croisées – l’auto-contrôle », RPS, 1998, p. 241. 57 J. MALHERBE, Ph. LAMBRECHT et Ph. MALHERBE, op.cit., p. 687.

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Selon nous, la nullité des actions, parts bénéficiaires ou certificats entraîne la nullité de l’acquisition elle-même, et donc l’obligation pour l’acquéreur de restituer le prix de cession 58. Reste dès lors la possibilité d’engager la responsabilité solidaire des administrateurs, en application de l’article 528 du Code des sociétés, la faute résultant bien entendu dans la violation du Code des sociétés et le dommage dans la perte des titres irréguliers acquis. Certains auteurs prétendent que la société pourrait en outre agir en nullité de l’opération lorsque le conseil d’administration a acquis les titres sans l’autorisation de l’assemblée générale, ce qui constituerait pour eux un défaut de pouvoir de représentation59. A cela, il convient bien entendu de ne pas oublier les sanctions pénales prévues par l’article 648 du Code des sociétés. 8.2.7. LE RACHAT D’ACTIONS PROPRES SANS DROIT DE VO TE L’article 626 du Code des sociétés prévoit un régime particulier pour ce type de titres. Il est ainsi prévu que « les statuts peuvent donner à la société la faculté d’exiger le rachat, soit de la totalité de ses propres actions sans droit de vote, soit de certaines catégories d’entre elles, chaque catégorie étant déterminée par la date d’émission ». Néanmoins, les conditions suivantes ont été imposées en vue de protéger ces actionnaires particuliers, à savoir : - l’offre d’achat doit porter sur l’intégralité des actions sans droit de vote ou

l’intégralité de la catégorie concernée par le rachat ; - les statuts doivent autoriser ce type de rachat, étant entendu que la clause

statutaire doit avoir été insérée avant l’émission des actions visées par le rachat ; - l’opération n’est en outre autorisée que si les dividendes privilégiés dus à ce titre

pour l’exercice en cours et l’exercice antérieur ont été intégralement payés.

Pour les sociétés ayant fait appel ou faisant appel public à l’épargne la faculté de rachat des actions sans droit de vote doit être mentionnée dans le libellé même de l’émission. L’assemblée générale qui autorise ce rachat doit s’organiser dans les conditions requises pour la modification des statuts (article 559 du Code des sociétés). Le prix d’achat sera pour sa part fixé de commun accord entre la société et une assemblée générale spéciale des actionnaires vendeurs réunis conformément aux articles 559 et 570 du Code des sociétés (convocation spéciale) statuant à des

58 Voir à cet égard P. VAN OMMESLAGHE, « Le maintien du capital des sociétés anonymes », Annales de droit, Louvain, 1985, n° 18. 59 D. VAN BRUYSTEGEM, De Vennootschappenwet, 1984, Na de tweede en de vierde richtlijn, Kluwer, p. 79.

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conditions de quorum et une majorité spéciale au sein de chaque catégorie de titres tels que fixés par l’article 560 du Code des sociétés. En, l’absence d’accord, le prix sera fixé par un expert désigné conjointement par les parties ou à défaut par décision du Tribunal de Commerce statuant en référé. Les actions sans droit de vote ainsi acquises sont annulées et le capital social réduit de plein droit. 8.2.8. ACQUISITION DE TITRES D’UNE SOCIETE ANONYME PAR UNE FILIALE DIRECTE Cette acquisition particulière est régie par les articles 627 et 628 du code des sociétés. Est considérée comme une filiale directe la société contrôlée par une société anonyme conformément à l’article 5, § 2, 1°, 2° et 4° du Code des Sociétés ainsi que toute personne morale agissant en son nom mais pour compte de la filiale. La loi vise donc les sociétés dont la société mère détient seule la majorité des droits de vote ou exerce la majorité des droits de vote en vertu d’une convention d’actionnaires ou détient le droit de nommer directement la majorité des administrateurs. Le régime de l’acquisition de titres propres trouve pleinement à s’appliquer dans cette hypothèse. L’objectif est bien entendu d’éviter un détournement des limitations et conditions relatives au rachat de titres propres qui consisterait pour une société à faire acquérir ses titres par sa filiale. « L’acquisition d’actions par une filiale directe reste toutefois une opération juridiquement et comptablement distincte de l’acquisition d’actions propres par une société anonyme elle-même. Ce n’est que sur le plan des conditions respectées et des procédures à suivre que les deux régimes peuvent être assimilés. Ceci explique que certaines dispositions ne soient pas applicables à l’acquisition d’actions d’une société mère par sa filiale directe » 60. Les conditions suivantes doivent donc être respectées :

� autorisation préalable de l’assemblée générale de la société mère; � limite des 20% du capital souscrit et des droits de vote; � caractère entièrement libéré des actions rachetées; � existence de bénéfices distribuables suffisants dans le chef de la société mère; � obligation d’information (rapport à l’assemblée générale de la société mère, dépôt

au greffe de l’acte d’assemblée générale, information de l’autorité de marché). Se pose bien entendu la question de savoir si ces conditions doivent être remplies tant dans le chef de la filiale que dans le chef de la société mère.

60 J. MALHERBE, Ph. LAMBRECHT et Ph. MALHERBE, op. cit., p. 688.

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La question est controversée et la prudence impose de veiller au respect de celles-ci dans les deux sociétés. On notera cependant que ne trouveront pas à s’appliquer :

� l’exigence de traitements égaux des actionnaires (article 620, § 1, 5° du Code des sociétés);

� la suspension des droits aux dividendes (article 622, § 1, alinéa 2 du Code des sociétés);

� l’obligation de constituer une réserve indisponible (article 623, alinéa 1 du Code des sociétés).

De même, l’acquisition d’action en vue d’une distribution au personnel ne vise que le personnel de la société mère. En cas de non respect des présentes conditions, les sanctions civiles trouveront pleinement à s’appliquer. Par contre, aucune sanction pénale n’est attachée à cette violation puisque l’article 648 ne renvoie qu’aux articles 627 et 628 du Code des sociétés. 8.2.9. ACQUISITION DE TITRES PAR UNE FILIALE QUALIF IEE DE

PARTICIPATION CROISEE Cette acquisition particulière est régie par l’article 631 du code des sociétés. La notion de filiale s’applique non seulement aux filiales directes visées ci-dessus mais aussi aux filiales indirectes c’est-à-dire les sociétés dans lesquelles une société détient le contrôle de la majorité du droit de vote ou la faculté de nommer la majorité des administrateurs. On comprend qu’ici non seulement un contrôle de droit mais aussi un contrôle de fait doit s’exercer. Il est permis de présumer l’existence de ce régime en fonction entre autre de l’exercice de la majorité des droits de vote aux deux dernières assemblées générales de la société. L’article 631 du Code des sociétés dispose que :

« Les sociétés filiales ne peuvent posséder ensemble des actions ou parts bénéficiaires de leur société mère ayant pris la forme de société anonyme ni de certificats se rapportant à ses actions ou parts bénéficiaires représentant plus de 10 pour cent des voix attachées à l’ensemble des titres émis par ladite société mère. »

La doctrine est partagée sur la question de savoir s’il faut inclure dans le champ d’application de cet article les actions sans droit de vote.

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Au contraire du régime prévu par l’article 620, § 1, 2°, du Code des sociétés, l’article 631 impose un seuil différent à savoir 10%des voix attachées à l’ensemble des titres émis par cette société et non 10% du capital souscrit. Le Gouvernement n’a pas jugé utile, dans le cadre de l’adaptation de notre Code des sociétés à la Directive européenne 2006/68/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2008 de modifier ce seuil, le législateur européen n’ayant pas prévu dans le cadre des participations croisées, de porter le seuil à 20% comme dans le cadre des rachats de titres propres classiques. Selon certains auteurs, cette distinction démontre la volonté du législateur de lutter contre tout contrôle en matière de participation croisée. Les droits de vote attachés à toutes les actions et parts bénéficiaires détenues par les sociétés filiales sont suspendus. La société filiale doit notifier à la société mère :

- le nombre et la nature des titres qui sont en sa possession; - toute modification qui interviendrait dans son portefeuille de titres; et ce dans un délai de deux jours à compter du jour de l’opération ou du jour où la prise de contrôle a été connue de la société nouvellement contrôlée par les titres qu’elle détenait avant cette date. Le texte de loi ne prévoit aucune forme quant à cette notification mais il ne faut pas oublier toute la problématique des règles de preuve. Dans l’état actuel du texte de l’article 631 du Code des sociétés, seule la société mère doit mentionner dans l’annexe de ses comptes annuels la structure de son actionnariat, ce qui constitue une lacune selon certains auteurs 61. Les actions, parts bénéficiaires ou certificats détenus en violation des règles précitées doivent être revendus dans l’année de cette violation. Un certain flou entoure dès lors le moment à partir duquel ce délai de douze mois commence à courir. Cette aliénation devra « avoir lieu proportionnellement au nombre de titres possédés par chacune des sociétés filiales ». Il est cependant permis de s’interroger sur l’adéquation de cette disposition pour laquelle aucune sanction n’est prévue en cas de non respect du délai précité, au contraire du régime général qui impose la nullité immédiate et de plein droit des parts : l’article 631 ne renvoie en effet qu’à l’article 627 c’est-à-dire l’obligation d’aliénation dans un délai précis. 8.2.10. PARTICIPATION CROISEE ENTRE SOCIETES INDEPENDANTES

61 J.M. NELISSEN GRADE, op. cit., p. 25.

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Ne sont concernées que les sociétés anonymes pour autant qu’au moins l’une d’entre elles ait son siège social en Belgique. S’agissant de sociétés indépendantes, il faut dès lors qu’il n’existe aucun contrôle de fait ou de droit d’une société sur l’autre. L’article 632 du Code des sociétés prévoit que lorsqu’une des sociétés devient propriétaire de titres représentant plus de 10 pour cent des droits de vote attachés à l’ensemble des titres de l’autre société, il lui appartient d’aviser celle-ci par lettre recommandée en indiquant le nombre de titres dont elle est propriétaire et le nombre de voix qui y sont attachées. Pour le calcul dudit seuil de 10 pour cent, il faut également prendre en compte les titres détenus par des filiales directes ou indirectes ou les titres détenus par des tiers agissant en leur nom propre mais pour compte de la société concernée. Si la participation redescend en-dessous du seuil des 10 pour cent, une notification similaire devra être réalisée par la société détentrice des parts visées. Cette notification a pour effet que la société qui la reçoit se voit interdire le droit d’acquérir des titres de l’autre société qui feraient qu’elle détiendrait plus de 10 pour cent des voix attachées à l’ensemble des titres émis par la société première notifiante. Le Gouvernement, dans son Arrêté royal du 8 octobre 2008, n’a pas ici non plus touché à ce seuil de 10 %, le législateur européen n’ayant pas prévu cette extension à 20 %. 8.3.- Aspects fiscaux 8.3.1. GENERALITES La loi assimile à un dividende distribué « l’excédent que représente le prix d’acquisition ou, à défaut la valeur de ces actions ou parts, sur la quote-part de la valeur réévaluée du capital libéré représenté par ces actions ou parts »62. Cet excédent est qualifié de boni d’acquisition. Celui-ci n’est considéré comme un dividende distribué, que lorsque cette acquisition aboutit à un prélèvement sur les fonds propres de la société.63 Il convient dès lors de distinguer les opérations d’acquisition portant immédiatement annulation des actions de celles qui sont faites en vue de conserver les titres en portefeuille. La taxation éventuelle n’intervient que s’il y a appauvrissement de la société.

62 Article 186 alinéa 1er du C.I.R.92. 63 Article 186 al 1er et al 2er du C.I.R.92.

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Cet appauvrissement est réputé se réaliser : - lors de l’annulation des actions ou parts propres en cas de non respect du code

des sociétés ; - lorsque et dans la mesure où une réduction de valeur est comptabilisée sur

lesdites actions ou parts ; - lors de l’aliénation avec moins-value de ces actions ou parts ; - lorsque la société est dissoute. Le boni ainsi qualifié de dividende distribué est soumis au même régime que les revenus mobiliers classiques. Un précompte mobilier de 21 % doit être retenu 64. La taxe complémentaire de 4 % s’appliquera en outre si les seuils sont dépassés. 8.3.2. ACQUISITION DE TITRES PROPRES SUIVIE IMMEDIATEMENT DE LEUR ANNULATION Comme souligné précédemment, le boni d’acquisition subit en principe une retenue à la source de 21 % voir 25 %. Si l’actionnaire est une personne physique, seul la retenue à la source de la taxe complémentaire de 4 % libère celui-ci de toute obligation de déclaration, même s’il peut opter pour celle-ci 65. Lorsque l’actionnaire est une société belge, la société distributrice peut bénéficier d’une exonération de retenue du précompte mobilier pour autant que l’actionnaire « société » détienne une participation d’au moins 10 % pendant au minimum 12 mois. Il en est de même lorsque l’acquisition de titres propres résulte d’une restructuration exonérée d’impôts (fusion ou scission). A défaut d’exonération, le précompte mobilier peut être imputable par la société actionnaire à condition que les titres soient détenus en pleine propriété 66. Malgré le décalage qui existe entre l’acquisition et l’annulation du titre, le Ministre des Finances considère que les articles 280 du C.I.R.92 et 123 de l’A.R./C.I.R.92 n’empêchent pas l’imputation du précompte mobilier retenu à l’occasion d’un rachat d’actions propres pour autant que :

(i) les actions rachetées soient détenues en pleine propriété au moment du rachat ;

(ii) l’opération s’effectue dans le but d’annuler les actions rachetées ; (iii) le rachat et l’annulation des actions interviennent au cours de la même

période imposable dans le chef de l’actionnaire cédant 67. 64 Article 269 al 1er 2° bis du C.I.R.92. n’est plus a pplicable en l’espèce 65 Article 313 du C.I.R.92. 66 Article 380 du C.I.R.92.

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8.3.3. ACQUISITION DES TITRES EN VUE DE LES CONSERVER EN PORTEFEUILLE Le régime fiscal de ce type d’opération est beaucoup plus problématique. En effet, la taxation repose sur l’appauvrissement de la société. Or, tant que les titres sont détenus, cet appauvrissement n’existe pas. Le boni d’acquisition ne peut donc immédiatement être traité comme un dividende distribué. Le décalage temporel entre l’acquisition des titres propres et leur éventuelle aliénation, destruction, revente avec moins-value, application d’une réduction de valeur, etc… pose d’importants problèmes pratiques. Selon certains auteurs, ces problème sont insolubles 68. Monsieur C. LAURENT arrivait d’ailleurs à la constatation qu’ « il est matériellement, juridiquement et pratiquement impossible de satisfaire à cette obligation de retenue dans l’hypothèse d’un rachat d’actions propres en vue de les conserver. Par conséquent, les lois de réparation sont plus que nécessaires » 69. En effet, comme aucune retenue à la source n’est intervenue, le contribuable personne physique a t-il l’obligation de déclarer spontanément les bonis reçus alors que « d’une part il ne connaît pas le montant du boni imposable et d’autre part une telle obligation de déclaration est juridiquement impossible » 70. Des problèmes se posent aussi pour l’actionnaire « société ». Au moment de la vente de ses titres, l’actionnaire « société » réalise une plus value qui est en principe exonérée en vertu de l’article 192 du C.I.R.92. L’annulation ultérieure des titres, la réalisation d’une moins-value ou la comptabilisation d’une réduction de valeur opérée ultérieurement imposerait de requalifier la plus-value en une distribution de dividendes à due concurrence. On ne perçoit cependant pas comment cet événement pourrait modifier le régime fiscal de la plus value initiale, ni comment le précompte mobilier pourrait être retenu. 8.3.4. DISPOSITION ANTI-ABUS Le rachat d’actions propres ne présente plus l’avantage, lorsqu’il est taxé, de limiter le taux de l’impôt à 10 %, au lieu des 15 ou 25 % anciennement applicables en matière de distribution de dividendes. Le risque d’application de l’article 344 § 1er du C.I.R.92 n’est plus d’actualité. 67 C. LAURENT, « Rachat des actions propres : status questionis », RGF 2007 p. 16 ; voir aussi décision anticipée n° 600.208 du 27 juin 2006, www.fisconet.fgov.be. 68 C. LAURENT, op. cit, p. 3 et suivantes. 69 C. LAURENT, op.cit., p. 18. 70 C. LAURENT, op.cit., p.17.

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Antérieurement, en effet, l’administration pouvait en effet être tentée de requalifier l’opération en une distribution ordinaire de dividendes si tous les actionnaires reçoivent leur part dans une même proportion 71. La jurisprudence estimait néanmoins que l’article 344 § 1 du C.I.R.92 ne peut trouver à s’appliquer 72. Elle considérait qu’il fallait écarter l’application de l’article 344 § 1er du C.I.R. 92 étant donné que le droit fiscal commun traite déjà ce type d’opération d’une manière spécifique (article 186 du C.I.R. 92). La loi requalifiait en effet déjà les remboursements en dividendes distribués. La disposition anti-abus ne pouvait requalifier une seconde fois la première requalification en une opération imposable, les contribuables n’ayant pas eu le choix entre différentes qualifications juridiques. Relevons néanmoins une jurisprudence contraire de la Cour d’appel de Liège qui a admis la requalification le 10 septembre 2004 73. Cet arrêt a heureusement été cassé par la Cour de cassation le 4 novembre 2005 74. L’égalisation du taux rend cette controverse obsolète. 9. - L’ÉMISSION D’OBLIGATIONS EN PAIEMENT DU PRIX 9.1.- Définition et notions Le prix de vente peut en tout ou en partie être transformé avec l’accord du cédant en obligations à charge de la société acquéreuse. Le vendeur sert ainsi de banquier à l’acheteur. Ce type de crédit est régi de manière spécifique par la Code des sociétés. 9.2.- Droit des sociétés 9.2.1. GENERALITES L'émission d'obligations est un mode de financement qui s'offre aux sociétés. Elle constitue une opération de prêt à intérêts. Elle est représentée par un titre négociable. Chaque obligation constitue la division d'un emprunt unique, aux conditions et droits identiques.

71 J. KIRKPATRICK et D. GARABEDIAN op.cit. p. 329. 72 Civ. Bruges, 3 novembre 2003, TFR 2004, p. 77 ; Civ. Bruges, 28 juin 2004, www.fiscalnet.be; Civ. Mons, 8 mai 2003, Do Fiscum. 73 Liège, 10 septembre 2004, Do Fiscum. 74 Cass., 4 novembre 2005, www.cass.be.

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Bien que le Code n'en donne aucune définition, elle est spécifiquement réglementée par le Code de société : � pour les sociétés privées à responsabilité limitée (articles 243 et suivants du Code

des sociétés), � pour les sociétés anonymes (articles 485 et suivants du Code des sociétés), � pour les sociétés coopératives (article 356 du Code des sociétés) et � pour les sociétés en commandite par actions (article 657 du Code des sociétés

par renvoi aux règles applicables aux sociétés anonymes),

Selon J. VAN RYN, un emprunt obligataire est un « emprunt collectif ayant une certaine unité ... Les droits des prêteurs sont incorporés dans des titres négociables qui leur sont attribués en contrepartie de leur avance et qui confèrent à chacun des avantages identique » 75. Nous pourrions aussi emprunter à Bruno COLMANT sa définition : « une obligation se définit comme un titre, généralement négociable, représentatif d'une créance, émis par une institution publique ou privée, entraînant, pour l'émetteur, l'obligation de payer un intérêt et de rembourser le capital selon des modalités prévues contractuellement. (...) De manière générale, les principaux éléments caractéristiques d'une obligation sont au nombre de cinq : --la qualité et la solvabilité de l'émetteur de l'obligation ; -- la valeur nominale ; -- le taux d'intérêt ; -- le mode d'amortissement ; -- la durée de vie ou échéance »76. Il s'agit d'un mode de financement à moyen ou long terme. Il comporte une certaine prise de risque eu égard à la nature mixte de l'obligation qui constitue à la fois un droit de créance et un droit social. Contrairement aux actions, le droit de l'obligataire n'est pas conditionnel . A l'échéance de l'obligation, l'obligataire détient en principe une créance certaine, liquide et exigible. Le détenteur de l'obligation a donc droit à l'échéance au remboursement des sommes qu'il a prêtées et a droit au cours de la vie de l'obligation à son intérêt quelque soient les résultats de la société. L'obligataire n'est cependant pas un créancier ordinaire: « les obligataires sont les créanciers sociaux d'une nature spéciale dans la mesure où l'obligation est une coupure d'un emprunt global contracté dans l'intérêt de la société. Tous les obligataires constituent des créanciers d'une seule et même dette. La dette est unique, les créanciers sont multiples » 77.

75 J. VAN RYN, Droit commercial, tome 1, première édition, n° 560 et 557. 76 B. COLMANT, V. DELFOSSE et L. ESCH, Les obligations - les notions financières essentielles, Cahiers financiers, Larcier, 2002, p. 4. 77 JASSOGNE, Traité pratique de droit commercial, tome 4, p. 452.

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Ce caractère collectif de l'emprunt n'est pas une condition essentielle à la validité de celui-ci : rien ne s'oppose à ce que l'emprunt obligataire soit souscrit par une seule personne. Le Code des sociétés attache une attention particulière à ce type de prêt. Le législateur poursuit ainsi un double objectif:

� accorder à ses créanciers un droit de regard sur la société � mais aussi permettre une renégociation des conditions du crédit en faveur

de la société si la vie de la société le justifie. Le caractère public de l’emprunt entraîne aussi des conséquences juridiques 78. Rappelons que l’emprunt devient public s’il y a au moins 50 souscripteurs. 9.2.2. SORTES D'OBLIGATIONS Les obligations peuvent être cataloguées :

� selon leur forme (obligations nominatives, obligations au porteur, obligations dématérialisées) ou

� selon les garanties offertes (obligations ordinaires, obligations hypothécaires, obligations subordonnées 79) ou

� selon la forme des revenus produits (fixe, variable, zéro Bonds 80, à revenu minimum) ou

� selon le taux d'émission ou de remboursement, ou � selon les modalités de remboursement (obligations convertibles ou non,

obligations dites "à fenêtre" 81). L'imagination est au service du droit. Le Code des sociétés retient pour sa part au-delà de la forme les catégories suivant :

� les obligations ordinaires 82 ; � les obligations hypothécaires 83 ;

78 Loi du 22/4/2003 relative aux offres publiques de titres et art. 202 à 204 de l’AR du 30/1/2001 portant exécution du Code des sociétés. 79 Obligation remboursée après les créances chirographaires mais avant les actions. Elle est ainsi considérée comme un quasi fonds propre de la société. La plupart du temps ces obligations sont subordonnées au remboursement de prêts bancaires (exigence posée en pratique par les organismes financiers). 80 Obligation dont les intérêts sont capitalisés au lieu d'être régulièrement distribués. « En pratique, sont émises à un prix inférieur à leur valeur de remboursement, la différence étant censée représenter les intérêts que l'obligataire n'a pas perçus durant la durée de vie de l'obligation. Ainsi une obligation dont la valeur nominale est de 1000 est souscrite pour 600 par l'obligataire. À l'échéance, la société lui rembourse la valeur nominale c'est-à-dire 1000. La différence de 400 représente les intérêts non versés durant la durée de vie de l'obligation » (J. MALHERBE, Ph. LAMBRECHT et Ph. MALHERBE, op.cit., p. 444). 81 Obligation dont les conditions d'émission organisent des périodes où tant l'émetteur que l'investisseur peuvent demander le remboursement. 82 L'obligation ordinaire est une créance chirographaire. Aucune sûreté ou garantie ne lui est attachée. 83 Obligation garantie par une hypothèque portant sur un ou plusieurs immeubles, propriétés de la société émettrice. Son régime est spécifiquement réglementé par le Code de société pour les sociétés

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� les obligations à prime 84 ; � les obligations convertibles en actions 85 ; � les obligations avec droit de souscription 86.

Lorsqu'elle est remboursable par voie de tirage au sort, afin d'éviter qu'elle ne constitue une loterie et tombe donc sous l'application des articles 300 et 303 du Code pénal, le législateur impose la réunion des quatre conditions suivantes pour que l'émission soit licite :

� l'intérêt de l'obligation doit être d'au minimum 3 % (mais il peut être supérieur à ce taux) ;

� toutes les obligations doivent être remboursables pour la même somme. Les lots sont donc interdits ;

� le montant de l'annuité qui comprend l'amortissement du capital et les intérêts doit être le même pendant toute la durée de l'emprunt ;

� le montant de ces obligations ne peut être supérieur au capital social libéré.

9.2.3 . FORMES En ce qui concerne la forme des obligations, tout comme les actions, elles peuvent :

1- être nominatives Dans cette hypothèse, la société est tenue de reprendre celles-ci dans un registre 87. Ce registre reprend la désignation précise de chaque obligataire avec le nombre d'obligations détenues par lui. De même, chaque transfert y est repris avec sa date. La conversion éventuelle de ces obligations en obligations au porteur ou dématérialisées doit de même y apparaître. La tenue de ce registre est importante : en effet, la propriété des obligations nominatives s'établit par l'inscription qui y figure88. Un certificat constatant cette inscription est délivré au titulaire de l’obligation

anonymes (et donc par répercussion pour les sociétés en commandite par actions), de même que pour les sociétés privées à responsabilité limitée (émission, inscription, publication, forme, mainlevée et purge). Bien qu'aucune disposition semblable n'existe pour les sociétés coopératives, on estime que rien ne s’oppose à ce que ces dernières émettent aussi des obligations hypothécaires. 84 Obligation remboursable à un taux supérieur au taux d'émission. Il s'agit d'une des particularités des obligations : celles-ci peuvent être émises au-dessous du pair (article 488 du Code des sociétés). 85 Obligation qui garantit à son titulaire le droit de recevoir des actions de la société émettrice dans des conditions et à des moments déterminés d'avance. 86 Obligation ordinaire à laquelle est attaché un droit supplémentaire, celui de souscrire à une augmentation du capital de la société émettrice. « Ce droit de souscription est matériellement représenté par un coupon et est appelé en langage financier un " warrant" » (P. HAINAUT-HAMENDE et G. RAUCQ, op.cit., p. 413). Ce type d'obligation se différencie de l'obligation convertible en ce qu’elle accorde à son titulaire la faculté de négocier séparément l'acquisition d'actions nouvelles. L'obligataire a le droit de souscription et a la faculté de rester obligataire tout en devenant actionnaire. 87 Article 463 du Code des sociétés. 88 Article 465, alinéa 1 du Code des sociétés.

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2- être au porteur En vertu de l'article 466 du Code des sociétés, « l'obligation au porteur indique : 1° la date de l'acte constitutif de la société et d e sa publication; 2° le nombre et la nature de chaque catégorie d'obl igations ...; 3° la durée de l’emprunt; 4° le numéro d'ordre, la valeur nominale de l'oblig ation, l'intérêt, l'époque et le lieu du paiement de celui-ci et les conditions du remboursement; 5° le montant de l'émission dont elle fait partie e t les garanties spéciales qui y sont attachées; 6° le montant restant dû sur chacune des émissions d'obligations antérieures avec l'énumération des garanties attachées à ces obligations. Les parts bénéficiaires au porteur portent les mentions prescrites par l'article 463, alinéa 3 du Code des sociétés. Les obligations hypothécaires au porteur portent l'indication de l'acte constitutif d'hypothèque et mentionnent la date de l'inscription, le rang de l'hypothèque et la disposition du dernier alinéa de l'article 493 relative au renouvellement de l'inscription ». Il est cependant important de noter que ce type d'obligations était réservé exclusivement aux sociétés anonymes et aux sociétés en commandites par actions. L'émission d'obligations au porteur était formellement interdite pour les sociétés privées à responsabilité limitée ou les sociétés coopératives. Toute modification apportée ultérieurement aux conditions de l'emprunt obligataire doit apparaître sur le titre au porteur : les obligataires sont invités par la société à lui présenter les titres pour permettre d'estampiller ces corrections. En vertu du principe "possession vaut titre", la propriété de l'obligation s'établit par la possession de celle-ci. Rappelons que depuis la loi du 15 décembre 2005 89, toute émission de titres au porteur est interdite depuis le 1er janvier 2008 et que pour le 1er janvier 2014, tous les titres au porteur auront dû être convertis, au choix du titulaire, en titres nominatifs ou en titres dématérialisés 90.

3- être dématérialisées

En vertu de l'article 468, alinéa 1 du Code des sociétés, les sociétés anonymes peuvent émettre des obligations dématérialisées. Celles-ci sont représentées par une

89 Loi du 14 décembre 2005 portant suppression des titres au porteur ; M.B., 23 décembre 2005, p.55488, err. M.B., 6 février 2006, p. 6111, modifiée par la loi du 25 avril 2007 portant dispositions diverses (IV), M.B., 8 mai 2007, p. 25103. 90 B. COLMANT, S. DE GEYTER, M. DELBOO et P. LALEMAN, La suppression des titres au porteur – 70 questions et réponses, Anthemis, 2007.

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inscription en compte au nom de leur propriétaire ou détenteur auprès d'un teneur de compte agréé. La transmission de ce type de titres se fait par virements de compte à compte. 9.2.4. DROIT DES OBLIGATAIRES Le Code des sociétés reconnaît aux obligataires des droits sociaux limités sur les affaires de la société.

� le droit de prendre connaissance, au siège social de la société, des pièces déposées conformément à l'article 553 du Code de société (les comptes annuels ; le cas échéant, les comptes consolidés; la liste des actionnaires qui n'ont pas libéré leurs actions, avec l'indication du nombre de leurs actions et celle de leur domicile; la liste des fonds publics, des actions, obligations et autres titres de société qui composent le portefeuille; le rapport de gestion et le rapport des commissaires).

� le droit d'assister aux assemblées générales mais avec une voix

consultative uniquement (sauf exceptions - voir infra). D'autre part, l'obligataire possède tous les droits reconnus par le Code civil aux créanciers. Ainsi, l'obligataire dispose de son droit de créance à l'égard de la société tant en ce qui concerne le paiement des intérêts que le remboursement du capital. Pour rappel, ce droit n'est pas conditionnel mais uniquement affecté d'un terme. Ce droit doit être exercé au siège social de la société (les dettes en Belgique sont quérables). Il peut aussi arriver que la société soit déchue du terme (article 1188 du Code civil - faillite, diminution de sûreté par le chef du débiteur). A l’instar de l'ensemble des créanciers de la société, l'obligataire a le droit d’être payé avant qu’intervienne un quelconque remboursement en faveur des actionnaires. Le droit à percevoir l'intérêt convenu se prescrit par cinq ans (article 2277 du Code civil). Enfin, en cas d'inexécution de ses obligations par la société, le titulaire de l'obligation peut au choix solliciter du tribunal la résolution de la convention (avec éventuellement des dommages et intérêts) ou poursuivre l'exécution forcée de la convention. L'article 487 du Code des sociétés rappelle d'ailleurs à cet égard que « la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans le contrat de prêt réalisé sous la forme d'émission d'obligations, pour le cas où l'une des deux parties ne satisferait point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à

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l'exécution de la Convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution et des dommages-intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances ». Dans le cadre d'une fusion ou d'une scission de la société émettrice, en application de l'article 684 du Code des sociétés, le créancier obligataire peut exiger une sûreté afin de garantir ses droits. Enfin, le titulaire d'une obligation au porteur peut toujours à tout moment, mais à ses frais, demander la conversion de son titre en une obligation nominative (article 462 du Code des sociétés). A défaut d’avoir fait le nécessaire pour le 1er janvier 2014 au plus tard, il appartiendra à l’émetteur d’opérer une conversion de plein droit de ces titres en titres dématérialisés (par une inscription en compte-titres), sauf si les statuts ne prévoient pas ce type de titres. Dans cette dernière hypothèse, les titres seront convertis de plein droit en titres nominatifs. Tant que le titulaire ne s’est pas manifesté, les titres sont inscrits au nom de l’émetteur des titres 91. 9.2.5. L'EMISSION DES OBLIGATIONS 9.2.5.1. Principes Sous réserve des obligations convertibles ou des obligations avec droit de souscription, rien ne s'oppose à ce que les émissions soient décidées par le conseil d'administration. En effet, le Code des sociétés ne contient aucune disposition spécifique quant au pouvoir de décider d'une émission d'obligations. Il est néanmoins possibles dans les statuts, de réserver expressément ce pouvoir à l'assemblée générale. Le conseil d'administration tire donc cette faculté de l'article 522 § 1 du Code des sociétés: à savoir le pouvoir d'accomplir tous les actes nécessaires ou utiles à la réalisation de l'objet social de la société, à l'exception de ceux que la loi réserve à l'assemblée générale. Certes, les statuts peuvent apporter des restrictions aux pouvoirs du conseil d'administration. Ces restrictions, de même que la répartition éventuelle des tâches dont les administrateurs se seraient convenus, ne sont cependant pas opposables aux tiers, même si elles sont publiées. En d'autres termes, la restriction statutaire éventuelle étant inopposable aux tiers, une émission d'obligations décidée par le conseil d'administration en violation de cette clause statutaire ne pourrait être annulée. Elle engage bien entendu la responsabilité des administrateurs. Tel n'est pas le cas des émissions d'obligations convertibles ou avec droit de souscription, puisque celles-ci interviennent dans le cadre d’une décision éventuelle d’augmentation de capital de la société. Seule l'assemblée générale des actionnaires (statuant au trois-quarts des voix) est compétente.

91 Article 9, al.3 et 4 de la loi du 15 décembre 2005 portant suppression des titres au porteur.

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Le conseil d'administration retrouve éventuellement certaines prérogatives quant à la décision d'émettre un emprunt obligataire convertible ou avec droit de souscription dans le cadre du capital autorisé (article 603 du Code des sociétés). Néanmoins, même dans le cadre d'une mise en oeuvre du capital autorisé, les pouvoirs du conseil d'administration restent limités. L'autorisation visée à l'article 603 ne peut, en effet, pas être utilisée pour les opérations suivantes, à moins qu'elle ne les prévoit expressément: « 1° les augmentations de capital ou les émissions d 'obligations convertibles ou de droits de souscription à l'occasion desquelles le droit de préférence des actionnaires est limité ou supprimé; 2° les augmentations de capital ou les émissions d' obligations convertibles à l'occasion desquelles le droit de préférence des actionnaires est limité ou supprimé en faveur d'une ou plusieurs personnes déterminées, autres que les membres du personnel de la société ou de ses filiales (article 605 du Code des sociétés). 3° l'émission de droits de souscription réservée à titre principal à une ou plusieurs personnes déterminées autres que des membres du personnel de la société ou d'une ou de plusieurs de ses filiales » (article 606 du Code des sociétés). Ces opérations requièrent une autorisation spéciale de l'assemblée générale des actionnaires. La commission bancaire, financière et des assurances a d'autre part souligné que la durée et l’habilitation du capital autorisé d'un maximum de cinq ans ne fait pas obstacle à la possibilité pour le conseil d'administration de décider d'une émission d'obligations convertibles ou d'obligations avec droits de souscription qui seraient convertibles plus de cinq ans après l'octroi de l'autorisation 92. Le professeur VAN RYN pose pour sa part une restriction complémentaire : selon lui, toute émission d'obligations est interdite tant que le capital social n'a pas été complètement libéré et tant que la société n'a pas publié ses premiers comptes annuels 93. Nous ne partageons pas ce point de vue qui ne trouve nulle part appui dans un texte de loi. En outre, pour rappel, si l'émission est publique, c'est-à-dire si elle répond à une offre telle que définie par l'arrêté royal du 7 juillet 1999 relatif au caractère public des opérations financières, la rédaction d'un prospectus approuvé par la commission bancaire et financière devra être préalablement établie. Enfin, lors de l'émission, il est possible de regrouper des titres au porteur (article 486 du Code des sociétés). La société peut créer "une ou plusieurs obligations collectives au porteur représentatives d'obligations au porteur dont les numéros se suivent" : titre regroupant par exemple 10, 100, 500, .... obligations). 92 Commission bancaire, financière et des assurances, Rapport annuel, 1986 -1987, p. 114. 93 J. VAN RYN, Droit commercial, Tome 1, première édition, numéro 562.

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9.2.5.2. Conditions C'est l'émetteur qui détermine les conditions de l'émission (montant total, échéance des coupons, taux d'intérêt, forme des titres, valeur nominale, date de libération, prix d'émission, sûretés et avantages particuliers). Le Code des sociétés réserve au Roi la faculté de prendre des mesures quant à la forme des titres. À l'heure actuelle, cet arrêté royal n'a pas encore été pris. L'investisseur potentiel n'a pas la possibilité de négocier ces conditions : le contrat obligataire est un contrat d'adhésion. Tout comme pour les actions, les obligations ne doivent pas être intégralement libérées lors de leur souscription (commission bancaire et financière, rapport, 1976 - 977, pp 116 et 117). « En cas de non-libération à l'échéance, il convient de s'en référer au contrat d'émission, notamment quant à l'exigibilité d'un intérêt de retard. Si rien n’est stipulé à ce sujet, les intérêts ne sont dus qu'à partie de la demande ; l’associé qui doit apporter une somme dans la société qui ne l’a point fait, devient, de plein droit et sans demande, débiteur des intérêts de cette somme à compter du jour où elle doit être payée. Il est prudent de prévoir l'exécution en bourse le cas échéant, en cas de défaillance du débiteur » 94. Lorsque l’émission envisagée porte sur des obligations convertibles avec droit de souscription, il appartient à la société de respecter les droits de préférence des actionnaires en leur offrant la faculté prioritaire de souscrire à l'emprunt dans le respect de leur quote-part dans le capital social (article 592 du Code des sociétés). Toute dérogation à ce principe doit se faire dans le respect des articles 595 et suivants du Code des sociétés (rapport spécial du conseil d'administration, rapport du commissaire ...). 9.2.5.3. Procédure d’émission La procédure d'émission varie selon qu'elle est décidée par l'assemblée générale ou par le conseil d'administration. Si l'émission ressort de la compétence de l'assemblée générale, le conseil d'administration doit établir un rapport spécial dans lequel l'opération doit être expliquée tant dans son objet que dans sa justification 95. L'absence de ce rapport entraîne la nullité de la décision de l'assemblée générale subséquente 96.

94 P. HAINAUT-HAMENDE et G. RAUCQ, op.cit., p. 400. 95 Article 583 du Code des sociétés. 96 Article 583, alinéa 2, du Code des sociétés.

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Si la société a fait ou fait appel public à l'épargne, une copie de ce rapport doit être transmise à la commission bancaire, financière et des assurances (et ce, même si l'opération en question n'a pas un caractère public). Si l'émission ressort de la compétence du conseil d'administration, le rapport de gestion comportera un exposé y relatif. Pour rappel, cette obligation n'est pas applicable aux "petites" sociétés (article 608, alinéa 2 du Code des sociétés). 9.2.6. L'ASSEMBLEE GENERALE DES OBLIGATAIRES 9.2.6.1. Principes L'assemblée générale des obligataires est l'assemblée qui réunit l'ensemble des titulaires d'obligations afférentes à un ou plusieurs emprunts obligataires émis par la société. Les décisions qu'elle prend, lient l'ensemble des obligataires en ce compris les absents, les incapables et ceux qui ont voté contre les résolutions adoptées. Toute décision de l'assemblée générale des obligataires doit en outre être approuvée par la société (parce qu'elle l’a proposée ou parce qu'elle la ratifie). Malgré l'apparence que lui donne le Code des sociétés, l'assemblée des obligataires n'est pas un organe de la société. Elle ne représente pas la société mais uniquement ses membres à savoir les obligataires. De même, elle n'a aucun caractère permanent ni même périodique. Sa tenue est exceptionnelle. Elle ne répond qu'aux besoins de la société, lorsque les circonstances l'exigent, d'obtenir de la part des obligataires une révision des conditions de l'emprunt pour permettre à la société de faire face à des difficultés financières qui mettraient en péril le respect des termes de l'emprunt. Au-delà de ces difficultés financières, il peut arriver aussi que l'assemblée générale des obligataires soit convoquée « par exemple lorsque la société, soucieuse de disposer d'un immeuble aux meilleures conditions, va demander aux obligataires la mainlevée de l'hypothèque dont ils disposent sur celui-ci, en contrepartie d'une hypothèque donnée sur un autre bien » 97. Ses pouvoirs sont limités (voir infra). Ils se réduisent à ceux qui lui sont attribués par la loi, par les statuts ou par les conditions de l'emprunt. « Ainsi, notamment, l'assemblée générale des obligataires ne peut disposer que pour les créances non échues des obligataires. Elle ne pourrait contourner cette règle en donnant un effet rétroactif à ses décisions pour, par exemple, renoncer aux paiements d'intérêts échus » 98.

97 Commentaire systématique du Code des sociétés, Kluwer, titre V, chapitre IV, n° 2 - art. 568. 98 Commentaire systématique du Code des sociétés, Kluwer, titre V, chapitre IV, n° 4 - art. 568.

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9.2.6.2. Convocations En vertu de l'article 569 du Code des sociétés l'assemblée générale des obligataires est convoquée par le conseil d'administration ou les commissaires (de même que par les liquidateurs, même si la loi n'en dit rien). Il s'agit simplement d'une faculté. Aucune assemblée générale périodique ne doit être tenue de sorte que les convocations par le conseil d'administration ne sont réalisées que lorsque les circonstances l'exigent. Le conseil d'administration est néanmoins tenu de convoquer l'assemblée si la demande lui en est faite par des obligataires représentants au moins un 1/5 du montant des obligations concernées. Les convocations se font par voie de presse, sauf si toutes les obligations sont nominatives. Depuis la loi du 27 décembre 2004, une seule publication est nécessaire au moins quinze jours avant l'assemblée générale dans le moniteur belge et dans un organe de presse de diffusion nationale. La référence à un organe de presse régionale a été abandonnée par le législateur. Pour les obligations nominative, le conseil d’administration est tenu d’adresser aux obligataires une convocation par lettre recommandée, au moins quinze jours avant la date de l'assemblée générale. Depuis la loi du 27 décembre 2004, cette convocation par voie de recommandé peut être remplacée par tout autre moyen de communication aux obligataires qui ont personnellement, expressément et par écrit accepté ce nouveau mode de communication et de convocation (voir supra -- le régime des actionnaires qui est identique). La convocation doit contenir l'ordre du jour et les propositions de décision qui seront soumises à l'assemblée générale. « Il s'agit d'obliger la société à informer valablement les obligataires, préalablement à l'assemblée, des mesures qui seront proposées, sachant que celles-ci sont le plus souvent de nature à modifier leurs droits, à l'avantage de la société. L'atteinte risquant d’être portée aux droits des obligataires justifie que la formation qui leur est donnée doit être plus complète que celle qui est généralement donnée aux actionnaires préalablement à l'assemblée générale des actionnaires. Par contre, la loi ne prescrit la remise ou la mise à disposition des participants d’aucun document préalablement à l'assemblée générale des obligataires » 99. 10.2.6.3. Tenue et vote de l’assemblée générale des obligatai res La loi renvoie aux statuts pour déterminer les formalités à accomplir pour être admis à l'assemblée générale. La doctrine s'accorde sur le fait que ce renvoi n'est pas particulièrement opportun. Les obligataires sont des tiers et n'ont donc rien à voir

99 Commentaire systématique du Code des sociétés, Kluwer, titre V, chapitre IV , n° 4 - art.570.

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avec les statuts. Il aurait été plus opportun de renvoyer aux conditions d'émission de l'emprunt obligataire pour réglementer la tenue de l'assemblée générale. « La règle demeure donc à notre avis que les formalités d'admission à l'assemblée sont réglées par les conditions d'émission de l'emprunt, lesquelles peuvent elles-mêmes contenir un renvoi aux statuts. En pratique, les règles relatives à l'admission et la participation à l'assemblée générale des obligataires seront, soit détaillées dans les conditions de l'émission, soit celles-ci renverront, le plus souvent, aux statuts, qui auront, dès l'origine, intégré des dispositions en cette matière. Les statuts ne pourraient valablement, postérieurement à l'émission, prévoir des dispositions rendant plus difficile l’admission à l'assemblée générale des obligataires, ou l'exercice du droit de vote à celle-ci »100. « En principe, tout obligataire peut assister à l'assemblée et prendre part au vote. Cependant, le contrat d'émission pourrait subordonner la participation avec délibération à l'assemblée à la possession d'un certain nombre de titres »101. Par contre, pour les sociétés ayant fait ou faisant publiquement appel à l'épargne, le droit de participer à l'assemblée générale est subordonné, - soit à l'inscription de l'obligataire sur le registre des obligations nominatives de la société, - soit au dépôt des obligations au porteur, - soit au dépôt d'une attestation, établie par le teneur de comptes agréé ou l'organisme de liquidation, constatant l'indisponibilité, jusqu'à la date de l'assemblée générale, des obligations dématérialisées. Cette attestation renseigne les lieux indiqués par l'avis de convocation, le délai porté par les statuts sans que celui-ci puisse être supérieur à six jours ni inférieur à trois jours ouvrables avant la date fixée pour la réunion de l'assemblée générale. En cas de silence des statuts, ce délai expirera le troisième jour avant la date fixée pour la réunion de l'assemblée générale. Au début de la réunion, le conseil d'administration devra mettre à disposition des obligataires la liste des obligations en circulation 102. L'objectif est de permettre de vérifier les conditions de présence. En effet, l'assemblée générale des obligataires ne peut valablement délibérer que si la moitié au moins du montant des titres en circulation est présente ou représentée. À défaut, une nouvelle convocation est nécessaire, la deuxième assemblée délibérant et statuant valablement quel que soit le montant des titres représentés. Il est néanmoins admis que la règle relative au quorum n'est pas d'ordre public de sorte que les conditions de l'emprunt pourraient prévoir un quorum plus souple que celui organisé par la loi 103.

100 Commentaire systématique du Code des sociétés, Kluwer, titre V, chapitre IV , n° 4 - art.570. 101 P. HAINAUT-HAMENDE et G. RAUCQ, op.cit., p. 408. 102 Article 573 du Code des sociétés. 103 P. WAUWERMANS, Manuel pratique des sociétés anonymes, Bruxelles, Bruylant, 1993, 7e édition, n° 840.

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Le vote par procuration est autorisé selon les modes prévus par les articles 577 à 579 du Code des sociétés. Le vote nécessite une double majorité. Tout d'abord, le vote doit être exercé par des obligataires représentant au moins trois quarts du montant des obligations concernées par la mesure soumise au vote 104. Les abstentions ne sont donc pas prises en compte. Ensuite, la décision doit être approuvée par le tiers au moins des obligations en circulation105. Lorsqu'il existe plusieurs catégories d'obligations et que la délibération de l'assemblée générale est de nature à modifier leurs droits respectifs, la délibération doit, pour être valable, réunir dans chaque catégorie les conditions de présence et de majorité précitées. Si les décisions n'ont pas réuni une majorité représentant au moins le tiers du montant des obligations en circulation, elles ne peuvent être mises à exécution qu'après avoir été homologuées par la Cour d'appel dans le ressort duquel se trouve le siège de la société. Le conseil d'administration introduit cette demande d'homologation par voie de requête (cette faculté est aussi laissée à tout obligataire). Cette requête doit être introduite dans les 8 jours du vote de la décision. À défaut, elle est considérée comme non avenue. Les obligataires qui ont voté contre les résolutions prises ou qui n'ont pas assisté à l'assemblée, peuvent intervenir à l'instance. La cour statue toutes affaires cessantes, le ministère public est entendu. « L'objectif poursuivi par l'homologation est de s'assurer que la décision prise par une majorité non représentative d'obligataires l'a été régulièrement, que la société n'a pas agi en fraude des droits des obligataires, que l'arrangement n'apparaît pas comme irréalisable, et que la décision est sincère et loyale » 106. « La cour décidera d'après les éléments de la cause, comme si elle se trouvait amenée à homologuer une mesure grave prise dans laquelle un mineur est intéressé. Elle vérifiera si les conditions de forme ont été respectées, si les garanties de publicité ont été fournies, les majorités acquises, le scrutin loyal. Elle pourrait refuser l'homologation si la société a été de mauvaise foi, si elle a agi en fraude des droits des créanciers, si l'arrangement apparaît comme onéreux ou irréalisable. Sans doute les obligataires sont les meilleurs juges de leur intérêt et il ne faut infirmer la décision que pour des motifs graves. Mais la disposition organise une tutelle ; il faut

104 Article 574, alinéa 3 du Code des sociétés. 105 Article 574, alinéa 4 du Code des sociétés. 106 Commentaire systématique du Code des sociétés, Kluwer, titre V, chapitre IV, section IV, n° 5 - art. 574.

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vérifier si la délibération est sincère, loyale, si les obligataires n'ont pas été subornés, s'ils n'ont pas été achetés par des promesses ou des avantages particuliers »107. Toutefois, lorsque l'assemblée générale statue sur des actes conservatoires à faire dans l'intérêt commun ou en vue de désigner un ou plusieurs mandataires chargés d'exécuter les décisions prises en vertu du présent article et de représenter la masse des obligataires dans toutes les procédures relatives à la réduction ou à la radiation des inscriptions hypothécaires, les conditions de présence et de majorité spécifiées ci-dessus ne sont pas requises. Dans ces hypothèses, les décisions pourront être prises à la simple majorité des titres représentés. Les décisions prises sont publiées, dans la quinzaine, aux annexes du Moniteur Belge. C'est au conseil d'administration qu'incombe de veiller à cette publication. Notons qu'aucune sanction particulière n'est prévue en cas de non-publication ou de non-publication dans le délai prescrit. Le procès-verbal de la réunion ne doit pas être authentique sauf s'il s'agit de l'émission d'obligations hypothécaires ou de la mainlevée d’une inscription hypothécaire. Le procès-verbal sous seing privé est à conserver par la société. Il est signé par les membres du bureau et par les obligataires qui le demandent; les expéditions à délivrer aux tiers sont signées par un ou plusieurs administrateurs, conformément à ce que prévoient les statuts. Il doit comprendre le nom des obligataires qui ont votés contre la résolution afin de leur permettre d'intervenir au besoin à l'instance d'homologation si celle-ci s'avère nécessaire. 9.2.7. POUVOIRS DE L'ASSEMBLEE GENERALE DES OBLIGA TAIRES Les pouvoirs de l'assemblée générale des obligataires sont différents selon que le capital social de la société a été ou non entièrement appelé. Lorsque le capital social est entièrement appelé, l'assemblée générale des obligataires a le droit : 1° de proroger une ou plusieurs échéances d'intérêt s, de consentir à la réduction du taux de l'intérêt ou d'en modifier les conditions de paiement; L'assemblée peut ainsi soulager la société en modifiant la créance des obligataires. Elle ne peut par contre jamais accorder de remise de dette même partielle que ce soit sur le capital ou sur les intérêts échus. 2° de prolonger la durée du remboursement, de la su spendre et de consentir des modifications aux conditions dans lesquelles il doit avoir lieu;

107 P. HAINAUT-HAMENDE et G. RAUCQ, op.cit, p. 409, citant la séance du 24 septembre 1919 à la chambre.

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3° d'accepter la substitution d'actions aux créance s des obligataires. A moins que les actionnaires n'aient antérieurement donnés leur consentement au sujet de la substitution d'actions aux obligations, les décisions de l'assemblée des obligataires n'auront d'effet à cet égard que si elles sont acceptées, dans un délai de trois mois, par les actionnaires délibérant dans les formes prescrites pour les modifications aux statuts. Cette dernière hypothèse constitue en réalité un cas de libération par compensation. « Une société sur le point d'être mise en faillite ; elle a émis des obligations depuis deux ans au moins ; les créanciers, se conformant à l'article 568, alinéa 1er, 3°, du Code consentent à transformer leurs créances en actions de la société ; ils apportent leurs créances à la société et libèrent leur apport par compensation. La substitution d'actions aux obligations s'analysant en un apport de créances, c'est-à-dire un apport en nature, l'intervention d'un réviseur d'entreprise ou du commissaire réviseur est nécessaire.(...) l'opération implique une augmentation de capital. Celle-ci est généralement précédée d'une réduction de capital par amortissement de pertes. L'assemblée délibère donc dans les formes requises pour la modification aux statuts » 108. En toute hypothèse, même lorsque le capital social n'a pas été entièrement appelé, l'assemblée générale des obligataires a le droit : 1° d'accepter des dispositions ayant pour objet, so it d'accorder des sûretés particulières au profit des porteurs d'obligations, soit de modifier ou de supprimer les sûretés déjà attribuées; L'attention sera attirée ici spécifiquement sur la faculté de radier ou réduire l'inscription hypothécaire garantissant l'emprunt obligataire. 2° de décider des actes conservatoires à faire dans l'intérêt commun; Il peut s'agir notamment du renouvellement d'une inscription hypothécaire. « Par contre, ne constituent pas des actes conservatoires à accomplir dans l'intérêt commun et ne pourrait dès lors pas être décidé par l'assemblée générale, les actions en résolution du contrat de prêt, en payement des coupons, ou une action en responsabilité des administrateurs. Les mesures d'exécution doivent être prises individuellement par chaque obligataire, ou par un mandataire désigné par eux en dehors de l'assemblée générale des obligataires »109. 3° de désigner un ou plusieurs mandataires chargés d'exécuter les décisions prises en vertu du présent article et de représenter la masse des obligataires dans toutes les procédures relatives à la réduction ou à la radiation des inscriptions hypothécaires.

108 P. HAINAUT-HAMENDE et G. RAUCQ, op.cit., pp. 411 et 412. 109 Commentaire systématique du Code des sociétés, Kluwer, titre V, chapitre IV , section I, n° 13 - art. 568.

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En principe le mandat est gratuit à défaut de dispositions contraires dans le contrat d'émission ou d’une décision de l'assemblée générale des obligataires. 10. - LA VENTE D’UNE PARTIE DES ACTIFS DE LA SOCIÉT É CIBLE Pour permettre à la société acquéreuse de bénéficier de liquidités complémentaires, les repreneurs peuvent être amenés à décider de vendre certains actifs de la société cible. Les liquidités générées par ces ventes pourront être affectées au remboursement de la dette d’acquisition des titres selon différents scénarios (distribution de dividendes, réduction de capital, rachat d’actions propres, …). Une attention particulière doit être apportée au respect de l’intérêt social, des intérêts des minoritaires, des règles de conflits d’intérêts, etc…. (voir supra). En principe, ces ventes génèreront des plus-values dont le régime de taxation dépendra de la nature des biens cédés. 11. - LA FUSION DE LA SOCIÉTÉ CIBLE ET DE LA SOCIÉT É HOLDING 11.1.- Principes L’objectif est de transférer, grâce à la fusion, la dette d’acquisition dans la société cible. Pour éviter toute critique mais aussi pour des raisons fiscales, il est conseillé que cette fusion s’opère au moins six à douze mois après l’acquisition. Si la société cible est détenue à 100 pour cent par la société « holding », la fusion peut être réalisée par le biais d’une procédure simplifiée 110. A défaut, il faut respecter l’intégralité de la procédure classique pour les fusions. Le régime d’immunisation fiscale de la fusion est régi par l’article 211 du C.I.R.92 et la circulaire administrative du 19 juin 1995 111. Selon les textes légaux actuels, l’immunisation dépend de la démonstration par le contribuable de l’existence de besoins légitimes de caractère financier ou économique pour l’opération. Tant la directive 2005/56/CE relative aux fusions transfrontalières 112 que la décision de la Cour de cassation du 13 décembre 2007113 remettent en cause cette condition à l’immunisation des fusions (même nationales). 110 Articles 676 et 619 et suivants du Code des sociétés. 111 Circulaire du 19 juin 1995, CI.RH 421/461.318. 112 10ème directive - directive européenne 2005/56/CE du Parlement Européen 2005/56/CE et du conseil du 26/10/2005 sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux. 113 Cass., 17 décembre 2007, www.cass.be.

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Cette directive impose pour les fusions transfrontalières une neutralité fiscale complète pour autant que toutes les réserves exonérées présentes dans la société absorbée soient maintenues dans l’établissement qui subsistera après l’opération dans l’état où elles se trouvaient dans la société absorbée 114. La loi du 11 décembre 2008 a adapté notre Code des Impôts sur les Revenus aux exigences de la dite directive européenne et à supprimer le critère des « besoins légitimes » pour le remplacer par la notion de fraude ou d’évasion fiscales. 11.2. Droit des sociétés 11.2.1. GENERALITES Notre code définit la fusion par absorption comme étant l’opération par laquelle, par suite d’une dissolution sans liquidation d’une société, celle-ci transfert à une autre société, l’intégralité de son patrimoine activement et passivement moyennant l’attribution aux actionnaires ou associés de cette société dissoute des actions ou parts de la société absorbante et le cas échéant moyennant le paiement d’une soulte en espèces ne dépassant pas le 10ème de la valeur nominale des nouvelles actions ou parts attribuées 115. Cette fusion entraîne de plein droit les effets suivants :

- la société absorbée cesse d’exister ; - les actionnaires ou associés de cette société deviennent actionnaires ou

associés de la société absorbante; - l’ensemble du patrimoine actif et passif de cette société est transféré à la

société absorbante. 11.2.2. PROCEDURE Les conseils d’administration des deux sociétés concernées doivent établir un projet de fusion. Ce projet de fusion comprend entre autres :

- le rapport d’échange des actions et parts de la société absorbée contre les actions et parts de la société absorbante ;

- la forme, la dénomination, l’objet et le siège social des sociétés appelées à fusionner ;

- les modalités de remise des actions ou parts de la société absorbante ; - la date à partir de laquelle les opérations de la société à absorber sont

considérées d’un point de vue comptable comme accomplies pour le compte de la société absorbante (est visée ici la rétroactivité de la fusion) ;

- les émoluments attribués aux commissaires ou réviseurs chargés de la rédaction des rapports spéciaux ;

114 Article 5 de la directive 2005/56/CE. 115 Article 661 du Code des sociétés.

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- la justification juridique et économique de l’opération, de même que l’opportunité, les conditions, les modalités et les conséquences de la fusion ;

- les avantages particuliers éventuellement attribués aux membres des organes de gestion des sociétés concernées.

Le projet de fusion doit être déposé par chacune des sociétés au greffe du Tribunal de Commerce dont elle dépend, six semaines au moins avant les assemblées générales appelées à se prononcer sur la fusion. Mention de ce dépôt sera publiée au Moniteur belge116. Ensuite, les assemblées générales extraordinaires des deux sociétés concernées sont convoquées pour se prononcer sur le projet de fusion. La date des assemblées ne peut être fixée qu’au moins six semaines après le dépôt du projet de fusion au greffe. Le Commissaire de l’entreprise, un réviseur ou un expert comptable externe désigné par le conseil d’administration doit en principe rendre un rapport dans lequel il se prononce sur la détermination du rapport d’échange des actions de la société absorbée contre celles de la société absorbante. Ce dernier rapport comprend la description des méthodes suivies pour la détermination du rapport d’échange proposé et l’avis du commissaire sur le caractère approprié ou non de ces méthodes. Depuis le 16 janvier 2010117, lorsque tous les actionnaires sont unanimement d’accord sur le projet de fusion, il n’est plus nécessaire d’établir une déclaration sur le projet de fusion, ni même nécessaire de recourir au rapport d’un commissaire externe118. D’autre part, si le projet de fusion intervient plus de 6 mois après la fin de l’exercice auquel se rapporte les derniers comptes annuels des sociétés concernées, un état comptable arrêté dans les 3 mois précédents le projet de fusion doit être rédigé.119 Les conseils d’administration sont en outre tenus d’informer les assemblées générales, de même que les organes de toutes les autres sociétés concernées par la fusion, de toute modification importante du patrimoine qui se serait produite entre l’établissement du projet de fusion et l’assemblée générale devant se prononcer sur la fusion. Tous les projets de fusion et les différents rapports doivent être mis à disposition des associés ou actionnaires. L’ordre du jour de l’assemblée générale appelée à se prononcer sur la fusion doit annoncer la possibilité offerte à ceux-ci d’en obtenir copie sans frais (de même que les bilans des trois derniers exercices).

116 Article 74 du Code des sociétés. 117 Article 54 de la loi du 30 décembre 2009. 118 Article 695, dernier aliné du Code des sociétés. 119 Article 720 §2 5° du Code des sociétés.

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L’assemblée générale extraordinaire appelée à se prononcer sur le projet de fusion délibère aux conditions de présence et de majorité requises pour la modification des statuts. L’assemblée générale extraordinaire de fusion se tient devant un notaire qui est appelé à « vérifier et attester l’existence et la légalité, tant interne qu’externe, des actes et formalités incombant à la société auprès de laquelle il instrumente »120. Immédiatement après la décision de fusion, la société absorbante doit modifier ses statuts en raison de l’augmentation de capital qui en résulte 121. Il en est de même en ce qui concerne l’objet social si l’activité de la société absorbée est différente de celle de la société absorbante. Les extraits des procès-verbaux constatant la décision de fusion sont déposés au greffe du Tribunal de Commerce et publiés aux annexes du Moniteur belge. La fusion n’est opposable aux tiers qu’à partir de cette publication. Le Code des sociétés organise aussi une protection des tiers . Les créanciers peuvent solliciter une sûreté de la société absorbante pour garantir leur créance. Cette demande doit être faite au plus tard dans les 2 mois de la publication de la décision de fusion aux annexes du Moniteur belge. Elle ne peut cependant concerner qu’une créance non échue et antérieure à cette publication. Cette demande de sûreté peut être écartée par les sociétés concernées moyennant le paiement de la créance, à sa valeur nominale sous déduction d’un escompte. A défaut de sûreté constituée après demande, le créancier peut demander la constitution de celle-ci au Président du Tribunal de Commerce, statuant comme en référé. A défaut de constitution de la sûreté dans les délais fixés par le Juge, la créance devient immédiatement exigible. 11.2.3. FUSION SIMPLIFIEE Lorsqu’une société détient l’intégralité des actions d’une autre société, la fusion des deux sociétés est simplifiée 122. Aucun échange d’actions ou parts ne devant intervenir, le rapport d’un réviseur ou un expert comptable externe n’est pas nécessaire. Aucune augmentation des fonds propres n’interviendra. 120 Article 700 du Code des sociétés. 121 Article 701 du Code des sociétés. 122 Articles 719 à 726 du Code des sociétés.

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11.2.4. FUSION TRANSFRONTALIERE La loi du 8 juin 2008 portant des dispositions diverses123 a modifié notre Code des sociétés et introduit dans notre législation nationale la notion de fusion transfrontalière de sociétés telle que prévue par la directive européenne 2005/56/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux (appelée « dixième directive »). Le régime des fusions transfrontalières choisi par le législateur belge s’applique à toutes les formes de sociétés pouvant fusionner sur le plan national afin de permettre à celles-ci de valablement fusionner avec une forme juridique étrangère si tant est que le droit national de cette dernière l’autorise. Se sont néanmoins exclues du régime les sociétés en liquidation et les sociétés d’investissement public à capital variable124. Par dérogation au régime national, le législateur a prévu la possibilité de déroger au maximum des 10 % pour la soulte en espèces payée dans le cadre d’une fusion transfrontalière125. La loi prévoit aussi une dérogation à l’article 683 du Code des sociétés en permettant une opposabilité de la fusion transfrontalière dès que le Notaire a constaté l’accomplissement de la fusion. Le projet de fusion qui doit être établi par les organes de gestion des sociétés appelées à fusionner contient les mentions classiques. A celles-ci s’ajoutent les mentions suivantes :

- les statuts de la société issue de la fusion transfrontalière ; - le cas échéant, des informations sur les procédures selon lesquelles sont

fixées les modalités relatives à l’imputation des travailleurs dans la définition de leurs droits de participation dans la société issue de la fusion transfrontalière ;

- des informations concernant l’évaluation du patrimoine actif et passif transféré à la société issue de la fusion transfrontalière ;

- la date des comptes des sociétés fusionnées utilisés pour définir les conditions de la fusion transfrontalière.

Ce projet doit être déposé au Greffe du Tribunal de Commerce de l’arrondissement où les sociétés ont leur siège et publié par extrait aux annexes du Moniteur belge126. L’organe de gestion doit aussi établir un rapport écrit et circonstancié à l’attention des actionnaires qui expose la situation patrimoniale des sociétés appelées à fusionner et qui explique et justifie, d’un point de vue juridique et économique, l’opportunité, les conditions et les modalités de la fusion transfrontalière, les

123 Moniteur belge du 16 juin 2008, Ed. II, p. 30529 124 Articles 10 et 14 de la loi du 24 juillet 2004 relative à certaines formes de gestion collective de portefeuille d’investissement 125 Article 772/2 du Code des sociétés 126 Article 772/7 du Code des sociétés

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conséquences de cette fusion pour les taxes, les associés, les créanciers et les salariés, les méthodes suivies pour la détermination du rapport d’échange des actions ou des parts, l’importance relative qui est donnée à ces méthodes, les valeurs auxquelles chaque méthode parvient, les difficultés éventuellement rencontrées et le rapport d’échange proposé127. La fusion doit être approuvée par l’assemblée générale dans le respect des règles de présence et de majorité suivantes :

- le quorum de présence doit être équivalent au moins à la moitié du capital social. A défaut, une nouvelle convocation est nécessaire pour permettre l’assemblée de délibérer valablement quelque ce soit la portion de capital représentée ;

- les votes en faveur de la fusion doivent être d’au moins ¾ des voix.

L’unanimité est cependant exigée : o dans les sociétés absorbantes ou à absorber qui sont des sociétés en

nom collectif ; o dans les sociétés à absorber lorsque la société absorbante est :

� une société en nom collectif ; � une société en commandite simple ; � une société coopérative à responsabilité illimitée ;

Le rôle du Notaire est primordial puisqu’il est le garant de l’existence et de la légalité tant interne qu’externe de tous les actes posés dans le cadre de la fusion128. Pour le surplus, la procédure est calquée sur la procédure pour les fusions nationales. 11.3. Aspect fiscaux 11.3.1. GENERALITES Nous ne commenterons pas de manière détaillée les conséquences fiscales d’une fusion pour laquelle la neutralité fiscale n’est pas accordée. Relevons simplement que la fusion est alors assimilée fiscalement à une liquidation de la société absorbée avec les conséquences suivantes :

- taxation à l’impôt des sociétés de toutes les plus-values latentes existantes sur les actifs, à l’exclusion des plus-values sur titres 129 ;

- taxation à l’impôt des sociétés de toutes les réserves qui étaient immunisées sous la condition d’intangibilité prévue à l’article 190 du C.I.R.92 ;

127 Article 772/8 du Code des sociétés 128 Articles 772/12 et 772/13 du Code des sociétés 129 Exonérées en vertu de l’article 192 § 1 du C.I.R.92.

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- disparition des pertes fiscales et des déductions pour investissements reportables qui subsisteraient après imputation sur cette dernière base imposable130.

- application éventuelle d’un précompte mobilier de 10 % sur le boni de liquidation 131.

L’absence de neutralité fiscale aura pour corollaire dans le chef de la société absorbante que les actifs qui entreront dans son patrimoine auront une valeur correspondante à la valeur du marché : le capital libéré de la société absorbante sera augmenté à concurrence de la valeur de marché de l’actif net transféré132. 11.3.2. FUSION EXEMPTEE FISCALEMENT 11.3.2.1. Régime actuel 11.3.2.1.1. Généralités Actuellement, la loi belge exonère d’impôts toute fusion qui répond aux conditions suivantes : 1. la société absorbante est une société belge 2. l’opération est réalisée conformément aux dispositions du Code des sociétés 3. l’opération n’ayant pas pour objectif principal ou comme un de ses objectifs

principaux, la fraude ou l’évasion fiscale133. Cette exemption s’inscrivait dans le cadre du régime comptable de la continuité. Le transfert du patrimoine de la société absorbée vers la société absorbante se réalisait à la valeur comptable existante dans le chef de la société absorbée. Selon l’administration, la preuve que ces conditions sont remplies incombe au contribuable. Dans un arrêt du 13 décembre 2007134, la Cour de cassation, se fondant sur la directive européenne 90/434/CEE 135, est arrivée au constat que la neutralité fiscale étant la règle, c’est à l’administration fiscale et non au contribuable qu’il appartient de démontrer que les conditions d’application permettant de bénéficier de l’exemption de la fusion ne sont pas remplies. La Cour impose néanmoins au contribuable un devoir de collaboration. En d’autres termes, selon la Cour de cassation, il appartient à l’administration fiscale de prouver que l’opération ne peut bénéficier de la neutralité fiscale136.

130 J. KIRKPATRICK et D. GARABEDIAN, op.cit. p. 340. 131 Exception faite du boni distribué à des actionnaires exemptés tels que, par exemple, les sociétés détenant une participation de plus de 10% depuis un an au moins. 132 Article 210 § 4 du C.I.R.92. 133 Article 183bis du C.I.R. 92. 134 Cass.13 décembre 2007, www.cass.be. 135 Directive 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990. 136 A. HAELTERMAN, « Fusion : c’est au Fisc à démontrer l’absence de besoins légitimes », le Fiscologue n°1101, p. 1 à 3.

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Il n’en reste pas moins qu’en cas de doute la neutralité fiscale prévaudra. La loi du 11 décembre 2008 visant à transposer la dixième directive européenne ajoutés à notre Code des impôts sur les revenus un article 183bis qui remplace la notion de « besoins légitimes de caractère financier ou économique » par la notion de « fraude ou évasion fiscales » qui existe dans le texte de la directive européenne 137. La loi fait usage de la présomption réfragable de fraude ou d’évasion fiscales en faveur de l’administration si la fusion ne répond pas à des motifs économiques valables tels que la rationalisation ou la restructuration des sociétés concernées. Cette problématique avait déjà fait débat suite à l’arrêt du 6 septembre 2005 de la Cour d’appel d’Anvers : « On peut selon nous conclure … que la présomption de fraude aux dispositions fiscales en l’absence de motifs économiques constitue une présomption réfragable, et que le contribuable est en droit d’établir qu’il n’existe pas d’objectif principal de fraude ou d’évasion fiscale (i) soit en établissant l’existence d’autres motifs (nécessairement non économique)(ii) soit en rendant plausible la non existence d’un objectif principal de fraude ou d’évasion fiscale, même sans établir l’existence d’autres motifs. Ce n’est donc pas finalement l’existence d’objectifs économiques déterminés qui est importante mais bien la non-existence d’un objectif (déterminant) de fraude ou d’évasion fiscale, étant entendu que la charge de la preuve du contribuable est rendue plus difficile en cas d’absence de motifs économiques. On ne peut cependant pas attendre du contribuable qu’il apporte une preuve impossible, car cela violerait le principe de proportionnalité » 138.

La philosophie tant de la directive sur les fusions 139 que de la dixième directive 140 va même au delà. Le fait que la présomption soit rendue réfragable, permet au contribuable de ne pas nécessairement devoir établir l’existence de motif économique. Il suffit qu’il établisse qu’il n’avait pas d’objectif principal de fraude ou d’évasion fiscale. Les deux directives donnent comme exemple de motifs économiques « la restructuration et la rationalisation des activités de sociétés participant à l’opération ». La preuve de motifs liés aux actionnaires peut aussi être à notre sens relevante. Ils démontraient qu’il n’existe pas de motifs de fraude ou évasion fiscales à l’opération.

137 Art. 11 de la Directive 90/434/CEE du 23 juillet 1990 du Conseil. 138 M. VAN KEIRSBILCK, note sous Anvers, 6 septembre 2005, courrier fiscal 2005 p. 545. 139 Directive 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990. 140 Directive 2005/56/CE du Parlement Européen 2005/56/CE et du conseil du 26/10/2005 sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux.

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Limiter l’examen des critères dans le seul chef de la société revient à ajouter une condition à la loi. Admettre une présomption de fraude ou évasion fiscales sans tenir compte des objectifs non fiscaux des actionnaires serait à notre sens tout aussi illicite. La Commission des décisions anticipées reconnaissait d’ailleurs elle-même que l’analyse « des besoins légitimes doit s’opérer dans le cadre d’une fusion ou d’une scission aussi bien dans le chef de la (ou) des société(s) concernée(s) que des principaux actionnaires, en particulier si l’opération s’intègre dans une restructuration des activités d’un groupe de société »141. Ce constat s’impose à fortiori dans le cadre des critères d’évasion ou fraude fiscale. Bien souvent l’administration ne pratique pas de la sorte. Elle ne regarde dans le chef de l’actionnaire que les motifs fiscaux sans jamais tenir compte des motifs économiques qui existeraient dans son chef. C’est ce que condamne en quelque sorte la Cour de cassation dans sa décision du 17 décembre 2007, renversant la charge de la preuve tout en imposant une collaboration du contribuable. Ce n’est pas parce que les motifs financiers ou économiques d’une fusion sont jugés par l’administration comme peu importants et communs à la plupart des réorganisations, voire à toutes, que l’objectif déterminant de la réorganisation en question serait par définition une fraude ou évasion fiscales. Il est cependant permis de se demander si le renversement de la charge de la preuve induit par la décision de la Cour de cassation du 17 décembre 2007 ne revient pas à imposer à l’administration une preuve négative c’est-à-dire impossible à rapporter. Ainsi, quand bien même l’administration démontrerait qu’une fusion entraîne un avantage fiscal, cette seule constatation sera insuffisante pour faire obstacle à la neutralité fiscale. La notion d’«évasion fiscale » doit s’entendre au sens de sa définition en droit communautaire. Elle vise la recherche d’un avantage fiscal abusif142. D. Garabedian rappelait d’ailleurs à cet égard que « seule une analyse incluant le contexte de la fusion (situation et opération avant et après fusion) peut faire apparaître un objectif d’évasion fiscale. En effet, si l’on envisage la fusion isolément, le seul objet d’ordre fiscal qui est susceptible d’apparaître est l’application du régime d’immunité. Or, ce régime constitue l’objet même de la directive, et son application ne saurait dès lors être considérée comme abusive, quand bien même ce serait le seul objectif de la fusion (CF., Les conclusions de l’avocat général KOKOTT avant l’arrêt « KOFOED », par. 58) »143.

141 Rapport d’évaluation sur le fonctionnement de la commission des accords fiscaux préalables jusqu’au 31/12/1996, Bull. Contr., n° 788, p. 2799. 142 Arrêt « LEUR – BLOEM » du 17 juillet 1997, C-28/95 ; arrêt « KOFOED » du 5 juillet 2007, C-321/05 ; 143 « Qu’est ce que « l’évasion fiscale » au sens du nouvel article 183bis C.I.R. 1992 ? », LE FISCOLOGUE n° 1132, p.2

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La loi précise d’ailleurs que le fait que l’opération n’ait pas été effectuée pour des motifs économiques valables, telles que la restructuration ou la rationalisation des activités des sociétés participant à l’opération, permet de présumer, sauf preuve contraire, que cette opération avait pour objectif principal la fraude ou l’évasion fiscale. 11.3.2.1.2. Conséquences de l’immunisation fiscale de la fusion La neutralité fiscale implique qu’il n’y aura de taxation ni des plus-values sur le patrimoine transféré de la société absorbée, ni des plus-values exprimées mais non réalisées de cette société. Le boni de liquidation n’est pas considéré comme un dividende distribué. En réalité, la loi organise un report de taxation. Il appartient à la société absorbante de déterminer les amortissements, déductions pour investissements, moins-values et/ou plus-values sur le patrimoine transféré, « comme si la fusion n’avait pas eu lieu »144. C’est la valeur fiscale nette des biens avant leur transfert qui compte. Les réserves immunisées de la société absorbée conservent le même statut lorsqu’elles sont transférées dans la société absorbante. Les plus-values bénéficiant du régime d’une taxation différée sous condition de remploi poursuivent leur régime dans la société absorbante, comme si la fusion n’avait pas eu lieu. Par contre, les pertes fiscales antérieures de la société absorbées ne sont déductibles des bénéfices de la société absorbante qu’en proportion de la fraction suivante :

valeur fiscale nette avant fusion de l’avoir social de la société absorbée

------------------------------------------------------------ valeur fiscale nette totale avant fusion

des avoirs sociaux des sociétés absorbantes et absorbées.

Lorsque la société absorbée détient des actions de la société absorbante, la fusion entraînera le fait pour la société absorbante de détenir ses propres titres. La société absorbante peut soit immédiatement annuler ses actions soit les conserver moyennant l’inscription au passif d’une réserve indisponible pour actions propres 145.

144 Article 212 al. 1er du CIR 92 145 Voir la partie de l’exposé se rapportant au rachat d’actions propres, n°8.3 .

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Notons cependant que par dérogation au régime classique, le précompte mobilier sur le boni d’acquisition ne sera pas dû146. L’acquisition de titres propres en raison de la fusion n’aura aucune conséquence fiscale, sauf si la société absorbante impute l’annulation, la réduction de valeur ou la moins-value sur des réserves immunisées soumises à la condition d’intangibilité147. 11.3.2.2. La loi du 11 décembre 2008 La loi du 11 décembre 2008 tire les enseignements des nouvelles règles d’interprétation découlant de l’arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 2007 (charge de la preuve incombant à l’administration mais devoir de collaboration du contribuable) et reprend à sa charge le texte européen de la directive 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990. Le législateur a abandonné la notion de « besoins légitimes de caractère économique ou financier » pour reprendre la notion « anti-abus » prévue par la deuxième directive tout en l’assortissant d’une présomption réfragable en faveur du fisc. Le nouvel article 183bis du C.I.R.92 dispose que la neutralité fiscale ne pourra être refusée que si l’opération a « comme objectif principal ou comme un de ses objectifs principaux la fraude fiscale ou l’évasion fiscale. Le fait que l’opération n’est pas effectuée pour des motifs économiques valables, tels que la restructuration ou la rationalisation des activités des sociétés participant à l’opération, permet de présumer, sauf preuve contraire, que cette opération a comme objectif principal ou comme un de ses objectifs principaux la fraude fiscale ou l’évasion fiscale ». Ainsi, la charge de la preuve incombe dans un premier temps à l’administration fiscale. La loi prévoit cependant à défaut de motifs économiques valables, une présomption réfragable de fraude ou évasion fiscales. Rappelons que la 10ème directive impose une neutralité fiscale complète. Cette neutralité a contraint le législateur belge à revoir les conditions d’exonération reprises dans notre Code des impôts sur les revenus. Dans la loi du 11 décembre 2008, on peut relever principalement 148: - la possibilité pour la société absorbante de créer elle-même des réserves

exonérées lorsque, par exemple, des éléments du patrimoine propre de la société absorbée imputables sur les réserves exonérées disparaissent.

146 Article 264 al. 1er, 2ème tiret du C.I.R.92. 147 J. KIRKPATRICK et D. GARABEDIAN, op.cit. p. 346. 148 lire entre autres : E. SMET, « La neutralité fiscale requiert un établissement stable », Le fiscologue n°1123, p. 4.

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- d’un point de vue technique, la disparition des actions que la société mère détenait dans la société absorbée peut conduire à l’encaissement d’un boni de liquidation auquel la déduction au titre des RDT trouve à s’appliquer.

Mais, même dans ce cas, il n’y a actuellement de déduction possible qu’à concurrence de 95 %. Cette limite est contraire à la directive qui interdit toute imposition. Les limites chiffrées assignées à la déduction en matière de RDT ne s’appliquent pas aux bonis de liquidation perçus lors d’une fusion en neutralité d’impôts149. En outre, dans ce cas spécifique, la déduction au titre de R.D.T. sera portée à 100%150.

- de même, la neutralité fiscale absolue n’existait dans notre ancien régime que

lorsque l’apport est intégralement rémunéré par l’émission de nouvelles actions, ce qui n’est pas le cas dans le cadre d’une fusion simplifiée.

En effet, le capital et les réserves de la société absorbée sont réduits de la partie de l’apport qui n’est pas rémunérée par des nouvelles actions. Cette réduction s’imputait sur les réserves taxées puis sur les réserves exonérées avant d’être imputée sur le capital libéré. Dans le cadre des fusions simplifiées, la règle d’imputation se faisait proportionnellement sur le capital libéré et les réserves, avec comme réduction prioritaire les réserves taxées. Néanmoins, la neutralité fiscale n’était pas atteinte lorsque la réduction porte même partiellement sur des réserves exonérées. Suite à la loi du 11 décembre 2008, la règle d’imputation est modifiée. La réduction est d’abord réalisée sur les réserves taxées de la société absorbée puis sur le capital libéré et enfin sur les réserves exonérées. L’imposition prévue à l’article 209 du C.I.R.92 liée à l’imputation sur les réserves exonérées n’est en outre pas due : • lorsque les apports sont rémunérés par de nouvelles actions émises à cet

effet ; • ou lorsque la société absorbante reprend les réserves exonérées de la

société absorbée présentes avant l’opération 151. La manière dont cette reprise doit être effectuée n’est actuellement pas énoncées dans le projet de loi n°1398. Les travaux parlementaires suggèrent toutefois soit la constitution d’une réserve exonérée via le débit du compte de résultat, soit la reprise dans un compte distinct du capital d’une réserve taxée négative à incorporer au capital.

149 Article 202 § 2 al. 1 du C.I.R.92. 150 Article 204 al. 2 du C.I.R.92. 151 Article211 du C.I.R.92.

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Il est vraisemblable qu’un arrêté royal déterminera la manière de comptabiliser cette réserve.

- notons cependant que dans le cadre des fusions transfrontalières, la neutralité n’est garantie qu’à la condition que les éléments de la société belge absorbée soient effectivement maintenus dans un établissement stable belge. La loi du 11 décembre 2008 a introduit dans le C.I.R.92 un nouveau concept : celui de capitaux propres d’un établissement belge152. Ces capitaux propres d’un établissement belge comprennent : • les moyens mis à disposition à titre de capital par l’établissement principal et

étranger. Sont donc exclus les moyens empruntés auprès de la maison mère dont la charge financière est déduite du résultat imposable de l’établissement belge.

• les bénéfices propres de l’établissement c’est-à-dire tous les résultats ou plus-values comptabilisés ou réalisés par l’établissement (réserves taxées ou réserves exonérées).

Toute réduction ou prélèvement des capitaux propres de l’établissement belge par l’établissement principal et étranger est imposable153.

- le régime des pertes professionnelles antérieures a été repensé.

• Notre législation intègre dorénavant le principe de la « recapture » de l’imputation des pertes étrangères.

Les pertes subies par un établissement étranger (établi dans un pays avec lequel la Belgique a signé une convention préventive de double imposition) seront déductibles des bénéfices belges. Cette déduction est cependant exclue lorsque : (i) la déduction a eu lieu à l’étranger (ii) ces pertes ont déjà été déduites des bénéfices futurs de l’établissement (iii) dans le futur, elles sont déduites à l’étranger des bénéfices étrangers ;

dans cette hypothèse, elles s’ajouteront, dans la mesure de cette déduction, aux bénéfices belges de l’année.

• Les pertes belges d’un établissement belge sont maintenues après

l’absorption par une société intra-européenne. • Les pertes belges d’un établissement belge existant avant l’opération sont

maintenues après l’absorption par une société résidente.

• Les pertes belges d’un établissement belge sont maintenues en cas de transfert du siège social d’une société européenne.

152 Art. 26 du projet de loi n°1398 : introduction d’un nouvel article 229 §4 du C.I.R.92. 153 Art. 25 projet de loi n°1398 : introduction d’un no uvel article 228 § 2 3ème bis du C.I.R.92.

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Par contre, le législateur ne touche pas au principe des règles proportionnelles de déductions des pertes antérieures en cas d’opérations fiscalement neutres.

• Le législateur a repensé l’exonération liée à l’échange d’actions ou parts dans le chef de personnes physiques.

Il modifie l’article 90, 9° du C.I.R.92 afin de le rendre conforme aux exigences de la jurisprudence européenne154. La taxation de la cession d’une participation importante de parts ou actions des sociétés résidentes ne trouvera plus à s’appliquer que lorsque la participation sera acquise par une personne morale non établie dans un état membre de l’espace économique européen. La loi introduit en outre le principe d’une taxation des plus-values réalisées sur actions ou parts dans le cadre d’une opération excédant la gestion normale du patrimoine privé. Il est possible de s’interroger sur l’opportunité de cet ajout qui est en réalité sans lien avec le régime des fusions. Il s’agit simplement d’une manière pour l’administration de contourner et contrer les effets de l’arrêt de la Cour de Cassation du 30 novembre 2006155 en matière de revenus divers. Cette décision limite la taxation des revenus divers au sens de l’article 90, 1° du C.I.R.92 au seul profit anormal. Notons cependant que le législateur a renoncé à tout effet rétroactif de cette nouvelle mesure.

12. SCISSION DE L’ENTREPRISE AVANT CESSION 12.1. Principes Il s’avère parfois utile de procéder préalablement au transfert de l’entreprise à une scission de celle-ci moyennant notamment par exemple le transfert dans une nouvelle structure de certains biens tels que des immeubles. L’opération se réalise alors par le biais de la scission de l’entreprise. Cette scission peut se réaliser par la constitution de deux nouvelles sociétés et disparition de la société existante ou par le biais d’une scission partielle, c’est-à-dire la constitution d’une nouvelle société, l’ancienne société subsistant pour les actifs non transférés. 12.2. Droit des sociétés

154 C.J.C.E., 8 juin 2004 affaire n° 268/03, Le Fiscologue du 25 juin 2004 ; RGF 2004, p.27. 155 Cass., 30 novembre 2006, www.cass.be

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L’exercice des opérations se réalise pour les fusions, c’est-à-dire la réalisation et le dépôt d’un projet de scission préalablement à l’assemblée générale de décision de scission. Le recours à un commissaire externe (réviseur ou expert-comptable) n’est à nouveau plus nécessaire si les associés sont unanimement d’accord. 12.3. Droit des sociétés La scission bénéficie aussi de la neutralité fiscale. Il est renvoyé à cet égard à ce qui a été précisé au niveau des fusions. Seule la scission partielle a un régime un peu particulier au niveau des droits d’enregistrement. En effet, contrairement aux fusions silencieuses, la scission partielle pourrait ne pas bénéficier de la neutralité fiscale au niveau des droits d’enregistrement si, conjointement à un immeuble, une dette est apportée. La contrepartie de la remise de cette dette est soumise aux droits d’enregistrement conformément à la vente des biens. Par contre, l’exigence d’une branche d’activité n’est pas une condition imposée par le texte de loi. Cependant, la loi du 16 juillet 2001 qui avait introduit le régime des scissions n’a, comme signalé ci-dessus, rien prévu en ce qui concerne la fiscalité directe, de sorte que les conditions prévues à l’article 117 du Code des droits d’enregistrement et des articles 11 et 18, §3 du Code TVA restent d’application. En d’autres termes, l’exemption ne joue qu’en cas de transfert de branche d’activité. La suppression du droit d’apport permet donc, lorsqu’il s’agit d’un actif simple, d’éviter des droits d’enregistrement mais cette réduction du droit d’apport ne s’applique pas en cas d’apport mixte, c’est-à-dire en cas d’apport rémunéré autrement que par l’attribution de titres. Tel est le cas lorsqu’il y a une reprise du passif. Les droits de mutation seront dès lors dus sur cette reprise. De même, si la cession porte sur certains bien, la TVA peut trouver à s’appliquer. 13. CRÉATION D’UNE BASE IMPOSABLE AU SEIN DE LA SOC IÉTÉ HOLDING – LES MANAGEMENT FEES 13.1. Principes

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Que ce soit dans le but de jouir de revenus plus réguliers et de pouvoir ainsi faire face plus facilement aux obligations financières liées à l’acquisition des titres ou que ce soit pour des raisons fiscales (neutralisation des charges professionnelles que représentent les intérêts payés aux organismes financiers par la création d’une base imposable), il est fréquemment conseillé à la société mère de s’attribuer des managements fees en provenance de la société cible après son acquisition. Ces managements fees peuvent être liés à l’exercice d’un mandat par la société holding ou à la réalisation de prestations techniques, commerciales ou administratives pour compte de la société cible. Une attention particulière doit cependant être apportée à ce type d’opération d’un point de vue fiscal. Il existe aussi quelques précautions à prendre au regard du droit des sociétés. 13.2. Droit des sociétés La rémunération est en principe librement fixée par les parties. Cette rémunération peut prendre différentes formes ; elle est le plus souvent fixe ou correspond à un pourcentage soit du chiffre d'affaires, soit du résultat brut, soit du résultat net ou des bénéfices réalisés par la société administrée. Elle peut encore être une combinaison de différents types de rémunérations et peut comprendre des options d’achat sur actions, stock options, etc... Le mode de fixation des rémunérations est délicat, et ce tant au regard de la qualification du contrat qu’au regard du Code des sociétés. En effet, lorsque la nature du contrat est dominée par le mandat, les tribunaux possèdent un pouvoir de réduction des rémunérations accordées au mandataire lorsqu’ils estiment celles-ci disproportionnées. Ce principe a été consacré pour la première fois par la Cour de cassation dans un arrêt du 6 mars 1980 :

« Attendu que dans le système du Code civil, le mandat est par nature gratuit, mais il peut cependant, en vertu d’une convention contraire, comporter un salaire ; Que celui-ci, ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires du Code civil, doit constituer la rémunération équitable des services rendus ;(…) Attendu que le fait que, dans la pratique actuelle, le mandat serait généralement rémunéré ne suffit pas à justifier une modification du régime propre à ce contrat, établit par le Code civil, et cela même si, comme la demanderesse soutient que, comme c’est le cas en l’espèce, le mandat constitue un acte de commerce dans le chef du mandataire ; Attendu qu’il entre, dès lors, dans le pouvoir du Juge de réduire le salaire convenu pour l’exécution d’un mandat, s’il constate que ce salaire est hors proportion avec

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l’importance des services rendus » 156. Si cette décision fut fortement critiquée par la doctrine, force est cependant de constater qu’elle est pleinement appliquée par les juridictions. Par contre, ce pouvoir de modération n’existe pas dans le cadre des contrats de louage d’ouvrage. Les tribunaux n’ont pas le droit d’intervenir dans la fixation du salaire convenu pour ce type de contrat. D’autre part, le Code des sociétés prévoit lui-même, en son article 617, l’interdiction de distribuer des bénéfices fictifs. Selon la doctrine majoritaire, cette disposition du Code des sociétés vise toutes les formes de distribution des bénéfices et s’appliquerait donc également aux rémunérations des gestionnaires qui prennent la forme de pourcentage des bénéfices 157. L’article 617 du Code des sociétés interdit en effet toute « distribution (…) lorsqu’à la date de clôture du dernier exercice, l’actif net tel qu’il résulte des comptes annuels est, ou deviendrait à la suite d’une telle distribution, inférieur au montant du capital libéré, augmenté de toutes les réserves que la loi ou les statuts ne permettent pas de distribuer ». La méconnaissance de cette disposition entraîne les sanctions suivantes :

- la distribution faite en violation de cette disposition doit être restituée par le bénéficiaire s’il est prouvé que celui-ci connaissait l’irrégularité de la distribution en sa faveur, ou ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances (ce qui sera la plupart du temps vraisemblablement le cas pour les sociétés de management possédant un mandat sociétaire) ;

- la violation de l’article 617 du Code des sociétés constitue une faute qui

entraîne la responsabilité des administrateurs ;

- la mise en œuvre d’éventuelles poursuites pénales (article 648 du Code des sociétés). Il est cependant en général admis que cette disposition pénale ne vise que les distributions de dividendes et de tantièmes et pas les autres formes de distributions 158.

L'article 648 du Code des sociétés est d’application restrictive au contraire de l’article 617 du Code des sociétés. Ce régime ne trouve pas à s’appliquer aux gestionnaires qui n’ont pas la

156 Cass., 6 mars 1980, Pas., 1980, I, p. 832. 157 V. SIMONART, Le contrat de management, Aspect de droit des obligations et de droit des sociétés, RDC 1991, p. 1061 et suivantes, n° 52 . 158 V. SIMONART, op cit., p. 1061.

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qualité d’administrateurs. En effet, les rémunérations que ces derniers perçoivent ne constituent nullement des tantièmes et ne peuvent acquérir une telle qualification par la simple existence du contrat de management. Ce n'est que si le manager a la qualité d’organe de la société que l’on tombe dans le champ d’application de l’article 617 et de ses sanctions éventuelles.

13.3. Aspects fiscaux159 13.3.1. GÉNÉRALITÉS Les écueils fiscaux sont principalement liés à la déduction par la société cible des managements fées qui lui sont facturés. Le rejet du caractère déductible de la prestation ainsi payée repose simplement sur une application stricte de l’article 49 du C.I.R.92. Ce rejet entraînera le plus fréquemment une double imposition puisque les managements fées auront été taxés dans le chef du prestataire de service et le seront une seconde fois dans le chef du preneur de services lors du rejet de leur déductibilité. Une partie de la doctrine et un mouvement jurisprudentiel important ont tenté de lutter contre cette double imposition en estimant que l’article 26 du C.I.R.92 qui règle le régime fiscal des avantages anormaux et bénévoles, exclut le recours à l’article 49 C.I.R.92. Pour lutter contre cette jurisprudence, l’administration a obtenu la modification de l’article 26 du C.I.R.92 . La loi du 27 avril 2007 permet d’exclure cette primauté en insérant au début du texte de l’article 26 du C.I.R.92 les termes « sans préjudice de l’article 49 ». Un recours en annulation a été introduit contre cette loi programme du 27 avril 2007 devant la Cour Constitutionnelle. L’arrêt devrait tomber incessamment. 13.3.2. LA DÉDUCTIBILITÉ DES MANAGEMENTS FEES L’examen de la déductibilité des managements fees se fait sous le filtre des articles 49 et 53.1° du C.I.R.92. Ces dispositions rappellent que pour être admis fiscalement, les managements fees doivent répondre aux conditions suivantes : - se rattacher nécessairement à l’exercice de la profession de la société gérée. - avoir été faits ou supportés durant la période imposable,

159 Lire : O. D’AOUT, « Aspects fiscaux de la déductibilité des management fees », C&FP, 2006, pp. 19 et svt ; J. MALHERBE et P-Ph. HENDRICKX, « Le régime fiscal des management fees : impôt des sociétés et TVA », C&FP, 2008, pp. 1 et svt.

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- avoir été faits ou supportés en vue d’acquérir ou de conserver des revenus imposables,

- être justifiés par la société gérée tant quant à leur réalité que quant à leur montant.

Il est cependant acquis que le contribuable reste seul maître de l’opportunité de la dépense. Il faut et il suffit que la dépense ait été faite en vue d’acquérir ou de conserver des revenus. En d’autres termes, ces dépenses ne doivent pas être nécessaires à l’activité de la société mais elles doivent présenter un lien nécessaire avec cette activité 160. Dans une décision du 11 janvier 2002, le Tribunal de Première Instance de Namur rappelait ainsi qu’il « n’appartenait pas à l’administration de juger de l’opportunité et de la nécessité pour la demanderesse d’avoir recours à la société IMONAS pour sa gestion » 161. L’administration ne peut s’immiscer dans la gestion de la société et ne peut dès lors juger de l’opportunité ou de l’adéquation d’une dépense 162. Il ne faut cependant pas perdre de vue que du simple fait que la dépense soit exposée par une société, il ne se déduit pas que cette dépense a un caractère professionnel et puisse être déduite de son bénéfice brut 163. Bien au contraire, la jurisprudence de la Cour de cassation tend à restreindre le critère de nécessité prévu à l’article 49 du C.I.R.92 en soumettant la déductibilité des dépenses à leur conformité à l’objet social de la société qui expose celles-ci 164. Une partie de la doctrine estime que ce nouveau critère revient à ajouter une condition à la loi et serait donc illicite 165 . Force est de constater que la jurisprudence tend à s’aligner sur ce nouveau critère de la conformité de la dépense à l’objet social de la société. Il convient néanmoins de s’interroger sur la compatibilité de cette exigence par rapport aux articles 10 et 11 de la Constitution et à la discrimination que pose ce rejet alors que les revenus exposés par une société grâce à cette dépense non compatible avec son objet social, sont taxables. Bien entendu, la plupart des conflits entre l’administration et les contribuables suite au paiement de managements fees, porte sur la preuve de la réalité des prestations et la production par la société gérée de documents pouvant démontrer cette réalité. 160 P-F. COPPENS et A. BAILLEUX, Droit fiscal - Impôts des personnes physiques, Tome I, Bruxelles, Larcier 1992, p. 200 et 201. 161 Civ. Namur, 11 janvier 2002, Do Fiscum. 162 Voir en ce sens aussi GAND, 18 mai 1991, RGF 1992, p. 62. 163 Cass., 3 mai 2001, RGF 99 p. 253. 164 Cass., 18 janvier 2001, www.cass.be; Cassation, 19 juin 2003 www.cass.be; Cass., 12 décembre 2003, Actualités Fiscales, n° 11, 2004 p.6 . 165 Th. AFSCHRIFT et M. DAUBE, « la déduction des rémunérations payées par une société belge à une autre société », RGF, 2006, p. 5.

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Trop souvent, l’administration fiscale exige, pour répondre à la condition de déductibilité, un document conforme à la règlementation TVA. Il s’agit à notre sens d’une interprétation illégale ajoutant une condition à l’article 49 du C.I.R.92. En effet, le texte légal ne contient que l’obligation de la production d’un document probant sans autre précision 166. Cette notion de « documents probants » est plus large que la notion de « document » exigé par la législation TVA167. Rapporter la preuve de l’exercice effectif de prestations de management n’est pas toujours aisé. S’il nous semble acquis qu’on ne peut nier la réalité de ces prestations lorsque la société est investi d’un mandat au sens du Code des sociétés et plus particulièrement lorsque celle-ci est chargée de la gestion journalière par l’assemblée générale, dans les autres cas, force est de constater que la production de simples documents écrits tels que des factures ou une convention ne suffit pas. Il faut bien souvent conserver d’autres preuves de la réalité de la prestation (fax, agendas, témoignages, etc….). La jurisprudence se montre à cet égard assez stricte. La production de simples factures ne suffit pas.168 Le montant des managements fees peut également faire l’objet d’une contestation par l’administration fiscale. Dans cette hypothèse, le rejet repose sur l’article 53, 10ème du C.I.R.92. La charge de la preuve est ici renversée. C’est à l’administration qu’il appartient de démontrer le caractère déraisonnable du montant litigieux. Seule la partie considérée comme déraisonnable peut faire l’objet d’un rejet de déduction. Un examen de la jurisprudence révèle d’autres hypothèse où la démonstration de la réalité de la prestation de management est mise en cause par l’administration, souvent avec succès : - Existence d’un administrateur commun.

La société prestataire de services a les mêmes dirigeants que la société preneuse de services. Le problème repose ici sur l’ambiguïté et la difficulté de démontrer que la société de management a réellement exécuté des prestations pour compte de la société gérée alors que les acteurs personnes physiques sont déjà gérants ou administrateurs de la société gérée.

166 Voir aussi dans ce sens, T. AFSCHRIFT, Traité de la preuve en droit fiscal, Larcier, 1998, p.116 167 Art.5 de l’A.R. n°1 du 29 décembre 1992. 168Anvers 18 mai 1999, www.waw.be/idefisc/article/contrat/management.html; Bruxelles 25 novembre 1905 FJF n° 96/39 ; Liège 21 octobre 1998, Do Fiscu m, etc …; voir cependant une décision contraire : Civ. Namur, 6 février 2002, Do Fiscum : « il n’existe aucun élément susceptible de mettre en doute la sincérité (de la convention de management) ; les factures reprennent d’ailleurs les services prestés tels que décrit dans cette convention conformément au tarif connu. Ces conventions à elles seules suffisent à justifier de la réalité des prestations facturées».

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Le 10 septembre 1999, la Cour d’appel de Liège écartait ainsi les managements fees déduits par une société estimant qu’il n’était pas démontré que les prestations effectuées par la société de management l’avaient bien été par leurs dirigeants en leur qualité de dirigeant de cette société de management et non en leur qualité de dirigeants de la société gérée 169. Le Tribunal de première instance de Mons a statué dans le même sens le 13 septembre 2001170. On comprend ici la difficulté d’apprécier le moment à partir duquel l’administration est réputée statuer illicitement en opportunité . En effet, la Cour d’appel de Gand a estimé pour sa part que le seul fait que les mêmes personnes fassent partie des Conseils d’Administration des deux sociétés contractantes, n’implique pas l’existence d’une simulation et a rappelé que le choix posé concernant la facturation est une décision d’opportunité dans laquelle l’administration ne pouvait s’immiscer. « Aucune disposition légale n’interdit à une société de confier sa gestion à une autre… »171. Pour éviter cet écueil, il est souvent conseillé de désigner la société de management en qualité d’administrateur délégué ou de gérante de la société preneuse de services. Les anciens gérants ou administrateurs délégués « personnes physiques » doivent démissionner de leur fonction dans la société gérée. Ils poursuivront celle-ci en qualité de représentant permanent du nouvel administrateur ou gérant « société » en conformité avec le Code de société.

- Contrat de management illicite S’appuyant sur une jurisprudence de la Cour de cassation du 3 mars 1999 172, l’administration a, avec succès, obtenu l’absence du droit à déduction lorsque les management fees ont été obtenus en violation d’une disposition légale. En effet, la Cour de cassation a estimé que l’administration « peut demander qu’un acte juridique ne lui soit pas opposé lorsqu’il viole une règle de droit d’ordre public en vue d’éviter les impôts ». Si cette décision de justice est fortement contestée en doctrine173, à notre sens, à juste titre, force est de constater que la jurisprudence a, à plusieurs reprises, appliqué celle-ci. Exemple : rejet de management fees liés à l’exercice du mandat de gérant d’une SPRL par une autre société avant la modification législative de 2002 174.

169 Liège, 10 septembre 19992, FJF, n°2000/17 . 170 Civ. Mons, 13 septembre 2001, Do Fiscum. 171 Gand, 18 mai 1991, FJF, 1992, p. 62 ; dans le même sens : Gand, 1er juin 1999, FJF, 1999/253. 172 Cass., 3 mars 1999, JT 2000, p.200 173 J. KIRKPATRICK, « L’opposabilité au Fisc de la convention illicite non simulée », J.T., 1999, p. 193 et svt. 174 Civ. Mons, 24 mars 2004, Do Fiscum, confirmé par Mons, 14 mars 2008, Do Fiscum.

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La Cour de cassation a cependant tempéré la portée de son arrêt du 3 mars 1990 dans un nouvel arrêt du 16 octobre 2009 rappelant que l’Administration ne peut demander l’inopposabilité d’un acte juridique « lorsqu’il viole une règle d’ordre public en vue d’éluder l’impôt ». En conséquence, on pourrait souligner que la simple violation d’une loi, même d’ordre public, mais sans intention aucune d’éluder l’impôt, ne permettrait pas à l’Administration de rejeter l’acte en question. Elle serait contrainte d’en accepter les effets. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que la déductibilité des managements fees lorsqu’ils sont liés à un mandat ou qu’ils n’ont pas fait l’objet d’une facturation avec application de la TVA doivent être repris dans les fiches et relevés fiscaux175. A défaut d’établir ces fiches et relevés, la société gérée s’expose à l’application de la cotisation spéciale sur commission secrète de 300% 176.

175 Article 57 du C.I.R.92. 176 Article 219 du C.I.R.92.