Leçons psychanalytiques sur «Corps et Symptôme» (2 ...

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Corps et Symptôme

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dirigée p a r Michel GARDAZ

1. ASSOUN Paul-Laurent, Leçons psychanalytiques

sur le regard et la voix - Tome 1 : Fondements.

2. ASSOUN Paul-Laurent, Leçons psychanalytiques sur le regard et la voix - Tome 2 : Figures.

3. LAPEYRE Michel, Clinique freudienne.

4. MEYER Conrad Ferdinand, Les souffrances d 'un

enfant (trad., notes : A. S. Pet i t -Emptaz ; post- f ace : F. Sauvagnat).

5. PORGE Erik, Freud Fließ. Mythe et chimère de l 'auto-analyse.

6. LAPEYRE Michel , Le complexe d ' Œ d i p e et le complexe de castration (en préparation).

7. LAPEYRE M i c h e l , A u - d e l à du c o m p l e x e

d 'Œdipe.

8. DRAÏ Raphaël, Relations internationales et psy- chanalyse (en préparation).

9. ASSOUN Paul-Laurent, Leçons psychanalytiques sur corps et symptôme - Tome 1 : Clinique du corps.

10. ASSOUN Paul-Laurent, Leçons psychanalytiques sur corps et symptôme - Tome 2 : Corps et inconscient.

11. CHARRAUD Nathalie, Lacan et les mathéma- tiques.

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Leçons psychanalytiques sur

C o r p s

e t S y m p t ô m e Tome 2

Corps et Inconscient

Paul-Laurent ASSOUN

Diffusion : Economica, 49, rue Héricart - 75015 Paris

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DU M Ê M E A U T E U R

Freud, la philosophie et les philosophes, PUF, 1976 ; « Quadrige », PUF, 1995.

Marx et la répétition historique, PUF, 1978.

Marxisme et théorie critique (en collaboration avec G. Raulet), Payot, 1978.

Présentation, traduction et commentaire de L'Intérêt de la psychanalyse de S. Freud, Retz, 1980.

Introduction à l'épistémologie freudienne, Payot, 1981 ; 1990.

Présentation et commentaire de De l'origine des sentiments moraux de Paul Rée, PUF, 1982.

Freud et la femme, Calmann-Lévy, 1983, 1993 ; Payot, 1995. L'Entendement freudien. Logos et Anankè, Gallimard, 1984.

Édition critique de Pour une évaluation des doctrines de Mach de Robert Musil, PUF, 1985.

L'École de Francfort, PUF, « Que sais-je ? » n° 2354, 1987 ; 1990.

Freud et Wittgenstein, PUF, 1988 ; « Quadrige », PUF, 1996.

Le Pervers et la Femme, Anthropos/Économica, 1989 ; 1996.

Le Freudisme, PUF, « Que sais-je ? » n° 2563, 1990.

Le Couple inconscient. Amour freudien et passion postcour- toise, Anthropos/Économica, 1992.

Introduction à la métapsychologie freudienne, PUF,

« Quadrige », 1993. Freud et les sciences sociales. Psychanalyse et théorie de la

culture, Armand Colin, « Cursus », 1993.

Le Fétichisme, PUF, « Que sais-je ? » n° 2881, 1994.

Leçons psychanalytiques sur le regard et la voix, Anthropos/ Économica, 1995, 2 vol.

Littérature et psychanalyse. Freud et la création littéraire, Ellipses/Marketing, 1996.

© Ed. ECONOMICA, 1997 Tous droits de reproduction, de traduction, d'adaptation et d'exécution

réservés pour tous les pays.

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LEÇON X

Le surmoi et le corps : la douleur, du physique au moral

Nous sommes renvoyés, avec la question de la désintri- cation pulsionnelle, à la prise en compte, en notre réécri- ture topique du corps, du rôle de cette tierce instance qu'est le surmoi. Régulatrice du rapport du moi au ça, c'est aussi là où « règne une pure culture de pulsion de mort » [1]. Le surmoi est ici impliqué à un titre capital : c'est à partir de son action que l'on peut mesurer la dimension de douleur — en ce point de jonction du « physique » et du « moral » — que la dimension masochiste nous a fait, dès l'abord cli- nique, dépister (supra, t. 1, pp. 44 et sq. et 58 sq.).

Le continent de la douleur

Nous entrons en fait dans ce « continent noir » de la douleur qui va permettre de redéployer les enjeux clinico-métapsy-

chologiques en leur ensemble, tout en en acérant la pointe. La douleur, cet opposé du « plaisir », touche en effet à

l'affect — de déplaisir — antonyme du plaisir d'organe, tou- chant ainsi à la pulsion, mais aussi au vécu de la maladie organique. Mais c'est plus profondément ce par quoi le sujet a accès à son « sentiment de soi » : il y a bien une sorte de Cogito corporel douloureux, qui implique un mode de connaissance de « soi ». Enfin, cette « pseudo-pulsion », véritable régime « para-pulsionnel », permet de saisir la prise du sujet dans un rapport — via le corps souffrant — à l'objet de la perte et à l'Autre.

Comment se forme la représentation du corps propre ? A cette question qui a polarisé la quête du spéculaire, Freud

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répond, on l'a insuffisamment remarqué, après avoir ren- voyé le problème à la « psychophysiologie » pure et simple, en évoquant la douleur (Schmerz).

Passage capital qui montre le corps du symptôme impli- qué dans la genèse de l'image du « corps propre » : « la manière dont l'on acquiert à l'occasion d'affections dou- loureuses (schmerzhafte Erkrankungen) une nouvelle connaissance de ses organes est peut-être prototypique (vorbildlich) de la manière dont on arrive à la représenta- tion de son corps propre (seines eigenen Körpers) en géné- ral » [2].

Ainsi, la maladie serait acquisition d'une « nouvelle connaissance » (neue Erkenntnis) des organes : définition originale de l'organicité comme modus cognoscendi... du moi-corps.

Mais la douleur s'avère un langage surmoïque. « L'homme a des endroits de son pauvre cœur qui

n'existent pas encore et où la douleur entre afin qu'ils soient »

C'est en une telle profession de foi « doloriste » que s'exprime peut-être le mieux la portée de la douleur, en sa vertu secrète de faire exister certains « endroits » de l'être, qui autrement — sans cette douleur — n'auraient pas droit de cité pour le sujet qui en pâtit.

Au-delà de sa connotation pathologique, la douleur prend ainsi sa valeur proprement tragique d'accès à un cer- tain « savoir ». Ce qui est là désigné comme « coeur » ne fait que figurer un certain « organe » par quoi existe le sujet de la douleur. En ce point précisément, où la douleur prend sa dimension de passion, « physique » et « moral » sont lit- téralement indiscernables. Que la douleur cesse d'être évé- nement ponctuel pour atteindre l'« être moral », et l'on sera enclin à lui donner le nom de « douleur morale », véritable « existence névralgique ».

La douleur morale à l'épreuve de la métapsychologie

Y a-t-il une « douleur morale » ? Accoler le substantif qui désigne cette sensation pénible et désagréable à l'adjectif « moral » - qui suggère

que cette sensation n'est pas localisée dans une partie du corps, mais « fait allusion » à cette autre chose qu'est l ' « esprit », - n'est-ce pas réaliser une simple opération rhé-

1. Lettre de Léon Bloy à Georges Landry.

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torique, qui laisse le droit d 'objecter : suffit-il de parler de « douleur morale » pour désigner un réel — et pas simple- ment quelque entité pseudo explicative, qui n ' a de valeur qu'analogique (ou tout au plus métaphorique) ?

Il est vrai que cette création linguistique s 'est étayée par une longue et riche tradition médico-psychologique et psy- chopathologique — qui renvoie au champ de la dépressivité. Le terme dit bien ce qu' i l veut dire et son simple emploi satisfait un besoin : les manifestations de la « douleur

morale » en clinique sont bien avérées et l 'extension d 'un terme qui se réfère au registre physique réalise (fût-ce par la magie d 'une périphrase) une véritable opération épisté- mologique. Mais la contribution proprement freudienne à la thématique de cette douleur dite « morale » peut s ' inau- gurer par cette mise en questionnement : comment penser une douleur — cette notion foncièrement physique, qui ren- voie au registre du sentir « aversif » - en la transposant et en la spécifiant au plan « moral » ? Que signifie une telle transplantation ?

On pourrait penser que la psychanalyse va d 'emblée à ce registre proprement « psychique » de la souffrance et qu'elle renverrait plutôt à l 'arrière-plan de la scène l 'évé- nement physique par l 'accent mis sur la « psychogenèse » du symptôme. Il nous semble au contraire qu'el le fournit une mise en équation, dans sa problématique théorique spécifique — métapsychologique - et son expérience cli- nique (des processus inconscients), de ce devenir moral de la douleur, en ce point où la souffrance même s 'objective comme telle : si l ' inconscient — au sens psychanalytique — se présente comme « maillon intermédiaire » entre psy- chique et somatique, véritable missing link, la douleur pourrait bien être l 'un des « échangeurs » privilégiés de cet entre-deux-scènes.

Mais précisément, là où la « douleur morale » est pos- tulée séméiologiquement pour caractériser la dépressivité

» et intervient par exemple comme index subjectif - suppo- sée présente dans la névrose et estompée dans la psy- chose - , le mode de penser métapsychologique probléma- tise ce qui, dans la causalité psycho-sexuelle et la symptomatologie afférente, organise de cette « dialec- tique » du physique et du moral.

Il y a une prise clinique tangible sur ce problème : celui du statut de la douleur dans la névrose, en ce point d 'embranchement des « névroses » dites « actuelles » et

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des « psychonévroses » (celles qui fondent l 'expérience proprement analytique). Cela ouvre, au-delà, la voie de la réflexion sur la mélancolie où s 'épanouissent les formes les plus intenses de « douleur morale ».

Mais l 'enjeu en est bien métapsychologique - et pas s implement « psychologique ».. . Si la douleur est bien vécue — l ' idée même d 'une douleur inconsciente est aussi

contradictoire que celle, plus génériquement, d 'un senti- ment ou d 'un affect inconscient - , elle est l ' index subjectif d ' un processus qui, lui, « mène au-delà du conscient » - ce qui impose l ' idée d 'une métapsychologie de la douleur qui profilerait l 'émergence d 'une figure « morale » de cet affect princeps. C 'es t là ce que la psychanalyse a de plus spécifique à dire sur ce registre : encore le projet est-il à construire, dans la mesure où la douleur n 'est pas un concept métapsychologique proprement dit : nous devrons donc cerner la fonction métapsychologique de douleur - jusqu 'en sa pointe « morale ».

Il s 'agit , autrement dit, de tenter de saisir la douleur en tant que telle - et non d 'emblée à travers telles de ses formes plus familières (comme la mélancolie), quitte à se servir de ce « portrait métapsychologique » pour éclairer celles-ci en retour. La « douleur en détail » en quelque

sorte — qui fait l 'ordinaire de l 'expérience analytique et cli- nique — se doit d 'ê tre éclairée par cette question, aussi élé- mentaire que complexe : que signifie la douleur comme phénomène inconscient sui generis ? Or, on ne peut parler de « présentation métapsychologique », comme le relève Freud, que si « nous réussissons à décrire un processus psychique d 'après ses relations dynamiques, topiques et économiques », c 'est-à-dire en prenant en compte solidai- rement les « forces » - éléments conflictuels - les instances

psychiques concernées et les « quantités » engagées dans ces processus.

Le défi est d 'autant plus important que, on l 'a rappelé, la douleur est plus une condition déterminante des phéno- mènes qu ' un principe « à part ». La métapsychologie freu- dienne nous donne pourtant les moyens d 'en cerner les lois « économico-topico-dynamiques », en un lieu stratégique d'interaction.

Cela ne peut s'orienter tout d'abord que par les « signes » de l'expérience clinique du sujet inconscient dont la métapsychologie n'est que le savoir, rigoureux mais ordonné aux phénomènes du matériel clinique.

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Cela suppose de saisir tout d'abord cet affect fonda- mental qu'est la douleur - cet antagoniste du plaisir. S'il y a bien un « principe de plaisir », recteur du fonctionnement psychique inconscient, la douleur ne peut être qu'une objection (interne) à l'économie du plaisir. La douleur est proprement physique, puisque quelque chose doit arriver au corps pour que s'installe ce déplaisir. La douleur morale fait pourtant allusion à une sorte de douleur de l'être même : s'il est possible de dire. dans la douleur physique (ce qui est à proprement parler et une fois pour toutes un pléonasme) où « ça fait mal », la douleur dite morale implique une douleur inhérente à l'exister même, aussi dif- fuse qu'irrécusable.

De la douleur comme affect vital

Étrange figure que cette « douleur d 'exis- ter » : elle nous donne à voir cet « exis-

tant » qui vit son exister même comme affect de préjudice (supra, t. 1, p. 60).

Si adhérer à l'existence suppose de prendre assez de plaisir à son être pour se « plaire », voire s'y complaire, la douleur d'exister met le sujet en porte-à-faux à soi. Expérience de solitude étrangement « saturée » : être seul - au sens de la déréliction, état dans lequel se trouve le « délaissé », en un abandon total —, c'est avoir soi pour tout autre. La douleur d'exister n'est donc pas simple privation : elle est encombrement de soi par une altérité douloureuse.

Angoisse « existentielle » qui, au-delà des stéréotypes du « mal de vivre », nous oblige à réenvisager l'idée même de douleur dans le champ de l'expérience psychanalytique. Comment penser cette douleur qui n'a d'objet... que le sujet même qui est acculé à cette toute-présence de la dou- leur faite existence ? C'est donc bien l'occasion de se demander ce que la métapsychologie freudienne peut nous dire sur cet affect de douleur (Schmerzaffekt), repéré très tôt [3], mais élaboré très progressivement [4] et en un approfondissement aussi précieux que discontinu. Moyen d'entourer ce « point de douleur » faite existence.

Il est de fait que la douleur ne semble pas un concept princeps de la théorie psychanalytique : si la psychanalyse a plus à dire sur l'angoisse et le deuil que sur la douleur, ce n'est pourtant pas par omission ou négligence : peut-être la douleur a-t-elle pour effet - voire pour finalité — de dissi- muler autre chose, qui se joue au-delà de la scénographie doloriste. La « douleur d'exister » même ne serait-elle

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qu 'un impressionnant « leurre » destiné à détourner l 'atten- tion de ce qu 'e l le dissimule, à soi et aux autres (tant la dou- leur d 'exis ter est, à son insu même, foncièrement mise en

spectacle jusque dans ses dérobades mélusinesques) ? Mais précisément la douleur d 'exister est ce réel qui vient sur le devant de la scène et requiert d 'en interroger les cou- lisses, sans le diluer : quand quelqu'un a ainsi mal à soi - ce que le terme de « dépression » vient déjà affaiblir et dénommer et en quelque sorte estomper - , que se passe-t- il ? Au-delà de la diversité des formes cliniques que cette posture subjective et symptomatique tolère, l 'on peut tenter d ' en fixer avec quelque rigueur la constellation propre. C 'es t même le seul moyen, mobilisant sur ce point la « sor- cière métapsychologie », de ne pas abandonner la douleur au Charybde de la pathologisation ou au Scylla de la « pathétisation ».

Il nous faut rendre compte des conditions dans les- quelles un « existant » - de façon paradigmatique - cède à la douleur — expression révélatrice : comme si au fond je me livrais à une certaine douleur, qui, dès avant, était aux aguets et à laquelle, à ce moment, je cesse de résister ! Céder à la douleur, c'est donc se conformer à son obscure volonté, lui « agréer » et lui « obéir ». Si le sujet doulou- reux se sent abandonné foncièrement, il s'abandonne lui- même, par le même mouvement, à la douleur qui devient alors « sa » douleur. Lui et sa douleur, dès lors, « font la paire ».

Nous sommes bien là dans le « symptôme » - ce que Freud désigne génériquement, il faut s'en aviser, comme « symptôme de souffrance » (Leidensymptom). Mais il arrive que la douleur se présente comme le symptôme même, véritable « style de vie »...

Il s'agit donc d'« entourer » ce vécu où se mêlent l'authenticité et la sincérité les plus totales - qui a mal ne ment pas - et la mystification - car la douleur, il faut le dire, se trompe : non qu'elle soit une « erreur » — qui souffres « a ses raisons » - , mais il ne veut pas savoir la raison ; e t c'est ce vouloir-ne pas-savoir qui donne du grain à moudre à la machine à douleur. La douleur trompe son homme... e t « trompe son monde » (en quoi elle est nocive).

Voyons si les « renseignements de la sorcière » sont ici de quelque utilité pour quand même en savoir plus.

Point de douleur sans déplaisir ou désagrément (au sens fort du terme) : ainsi la conception psychanalytique repère-