LEÇONS DE MATHÉMATIQUES D'AUJOURD'HUI II

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LEÇONS DE MATHÉMATIQUES D'AUJOURD'HUI II

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Collection Le Sel et le Fer

1. L. Salem, F. Testard, C. Salem, Les plus belles formules mathématiques2. S. Gindikin, Histoires de mathématiciens et de physiciens3. P. Halmos, Problèmes pour mathématiciens petits et grands4. Collectif, Leçons de mathématiques d'aujourd'hui I5. J. Maynard Smith, La construction du vivant6. C. Tudge, Néandertaliens, bandits, fermiers7. P. Singer, Une gauche darwinienne8. Ph. Depondt, L'entropie et tout ça9. M. Daly, M. Wilson, La vérité sur Cendrillon10. R. Wilkinson, L'inégalité nuit gravement à la santé11. D. Deutsch, L'étoffe de la réalité12. Collectif, Leçons de mathématiques d'aujourd'hui II13. B. Randé, Les carnets indiens de Srinivasa Ramanujan14. W. Poundstone, Le dilemme du prisonnier

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Gilles Godefroy/Jean-Yves Girard/Gérald TenenbaumMichel Waldschmidt/François Morain/Guy DavidClaude Bardos/Max Karoubi/Jean-Marc Fontaine

Michel Raynaud/Marc Hindry/Michael Keane

Leçons de mathématiques d'aujourd'huiVolume 2

Présentées par Éric Charpentier, Laurent Habsieger etNicolaï Nikolski

CASSINI

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ISBN 2-84225-058-3© Cassini, Paris, 2003

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[...] les maîtres de l'art, qui, par une étude longue et assidue,en ont vaincu les difficultés et connu les finesses, dédaignentsouvent de revenir sur leurs pas pour faciliter aux autres le cheminqu'ils ont eu tant de peine à suivre ; peut-être encore frappés dela multitude et de la nature des obstacles qu'ils ont surmontés,redoutent-ils le travail qui serait nécessaire pour les aplanir, et quiserait trop peu senti pour qu'on pût leur en tenir compte.

Uniquement occupés de faire de nouveaux progrès dans l'art,pour s'élever, s'il leur est possible, au-dessus de leurs prédécesseursou de leurs contemporains, et plus jaloux de l'admiration que de lareconnaissance publique, ils ne pensent qu'à découvrir et à jouir,et préfèrent la gloire d'augmenter l'édifice au soin d'en éclairerl'entrée.

Ils pensent que celui qui apportera comme eux, dans l'étudedes sciences, un génie vraiment propre à les approfondir, n'aurapas besoin d'autres éléments que de ceux qui les ont guidés eux-mêmes ; que la nature et les réflexions suppléeront infailliblementpour lui, à ce qui manque aux livres, et qu'il est inutile de faciliteraux autres, des connaissances qu'ils ne pourront jamais se rendrevraiment propres, parce qu'ils sont tout au plus en état de lesrecevoir sans y rien mettre du leur.

Un peu plus de réflexion eût fait sentir combien cette manièrede penser est nuisible au progrès et à la gloire des sciences ; à leurprogrès, parce qu'en facilitant aux génies heureux, l'étude de cequi est connu, on les met en état d'y ajouter davantage et pluspromptement ; à leur gloire, parce qu'en les mettant à la portéed'un plus grand nombre de personnes, on se procure un plus grandnombre de juges éclairés.

D'Alembert

Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts etdes techniques : article « Éléments ».

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Préface

Depuis 1993, l'École Doctorale de mathématiques et informatiquede Bordeaux organise des « Leçons de Mathématiques d'Aujourd'hui » :une série d'exposés faits par des experts de renommée internationale,qui sont à la fois accessibles aux étudiants avancés et intéressants pourles professionnels. Dans notre lettre d'invitation, nous expliquons notreprojet de la façon suivante :

Le but que nous visons est de permettre aux jeunes chercheurs dedécouvrir les domaines incontournables des mathématiques contempo-raines. Car nous craignons que, dans l'immense océan de recherches offertpar les mathématiques d'aujourd'hui, les chercheurs débutants se noyentou soient tentés de se réfugier sur d'étroits îlots très vite stérilisants.

L'orateur dispose d'une heure et demie (ou deux heures, s'il le désire)pour décrire, dans un but de formation plutôt que d'information, lesracines et motivations du sujet abordé, les notions initiales fondatrices,l'évolution historique, jusqu'aux développements récents et certaines desquestions actuelles restant ouvertes. Ces exposés s'adressant à de jeuneschercheurs à la culture ni très étendue ni très profonde, nous souhaitonsun ton pédagogique s'écartant, autant que possible, d'un discours soittrop vague, soit trop pointu.

Les « Leçons » sont enregistrées puis rédigées par un doctorant ou parun enseignant, avec l'aide et l'accord du conférencier. Nous espérons ainsifaire partager à un large public le bénéfice de ces Leçons.

La lettre d'instructions aux rédacteurs précise :

La retranscription suivra au plus près tout le discours parlé. Enparticulier, elle conservera le style du conférencier, ses exemples et sesanecdotes, ses comparaisons et ses images : tout ce qui fait la richesse dela « Leçon », par opposition à la « sécheresse » parfois rébarbative d'unarticle ou de notes de cours.

Nombreux sont les éminents collègues qui ont accepté de jouerle jeu, et sont venus faire à Bordeaux ces exposés magnifiques, dontdouze ont déjà été publiés aux éditions Cassini (Paris, 2000). Ce secondvolume regroupe douze autres « Leçons », données à Bordeaux entre1993 et 2001.

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Un grand merci aux conférenciers, bien sûr, qui ont relevé ce défipeu usuel. Notre gratitude va aussi aux rédacteurs1 des « Leçons » (leursnoms sont indiqués p. ix) ainsi qu'à tous ceux et celles qui, spontané-ment, ont participé à leur organisation ou à la longue phase de concré-tisation de ce recueil, par leurs conseils ou leur soutien : les directeurssuccessifs de l'École Doctorale — Jean-Luc Joly (1991-1992), Henri Co-hen (1993-1994), Alain Bachelot (1995-1999), Yves Métivier (1999-2002),Thierry Colin (depuis 2003) − mais aussi Christophe Doche, ÉlisabethDubuisson, Gisèle Estèbe, Laurent Herr, Nicole Labesse, Liu Qing, DavidLubicz, Étienne Matheron, Michel Mendès France, Hervé Pajot, JoëllePargade, Christine Parison, Thierry Sageaux, Alain Yger, et beaucoupd'autres.

Enfin, last but not least, nous remercions très chaleureusement lesÉditions Cassini de nous donner la chance, par ce recueil, de touchernon seulement un plus grand nombre de mathématiciens, mais aussi« tous ceux, physiciens, ingénieurs, professeurs, étudiants, qui sontintéressés par la recherche en mathématiques et curieux d'en avoir unevue de l'intérieur ».

Talence, janvier 2003.

Éric Charpentier, Laurent Habsieger, Nikolaï Nikolski

1Les notes de bas de pages signées N.d.r. ont été ajoutées par le rédacteur ou (le plussouvent) par l'un d'entre nous. Les notes ajoutées par le conférencier sont signées de sesinitiales.

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Auteurs et rédacteurs

Gilles Godefroy (Université Pierre et Marie Curie)De l'irrationnalité à l'indécidabilitéLeçon donnée le jeudi 6 mai 1999Rédigée par Emmanuel Fricain

Jean-Yves Girard (Institut de mathématiques de Luminy)La théorie de la démonstration, du programme de Hilbert à la logiquelinéaireLeçon donnée le jeudi 5 juin 1997Rédigée par Pierre Castéran et Éric Charpentier

Gérald Tenenbaum (Institut Élie Cartan, Université Nancy 1)Qu'est-ce qu'un entier normal ?Leçon donnée le 7 mai 1997Rédigée par Guillaume Hanrot

François Morain (Laboratoire d'Informatique de l'École polytechnique,Palaiseau)La cryptologie est-elle soluble dans les mathématiques ?Leçon donnée le jeudi 1er février 2001Rédigée par Valère Dussaux

Michel Waldschmidt (Université Pierre et Marie Curie)Fonctions modulaires et transcendanceLeçon donnée le jeudi 7 novembre 1996Rédigée par Nicolas Brisebarre

Guy David (Université Paris-Sud, Orsay)Ensembles uniformément rectifiablesLeçon donnée le jeudi 5 mai 1994Rédigée par Maïté Togni et Volker Mayer

Claude Bardos (Université Paris 7, et LANN, Université Paris 6)2

Observation à hautes et basses fréquences, contrôlabilité, décroissance lo-

2Et CMLA (École Norm. Sup. de Cachan) au moment de cette Leçon.

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cale de l'énergie, et mesures de défautLeçon donnée le jeudi 18 janvier 1996Rédigée par Éric Charpentier

Max Karoubi (Université Paris 7)Topologie et formes différentiellesLeçon donnée le jeudi 5 mars 1998Rédigée par Gilles Bailly-Maître

Jean-Marc Fontaine (Université Paris-Sud, Orsay)Nombres p-adiques, représentations galoisiennes, et applications arithmé-tiquesLeçon donnée le jeudi 4 novembre 1999Rédigée par Niels Borne

Marc Hindry (Université Paris 7)Géométrie et équations diophantiennesLeçon donnée le jeudi 18 mai 1995Rédigée par Teresa de Diego

Michel Raynaud (Université Paris-Sud, Orsay)Courbes algébriques et groupe fondamentalLeçon donnée le jeudi 1er avril 1993Rédigée par Mohamed Saïdi

Michael S. Keane (Centrum voor Wiskunde en Informatica, Amsterdam)Marches aléatoires renforcéesLeçon donnée le jeudi 6 avril 2000Rédigée par Christophe Doche

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Table des matières

Préface viiAuteurs et rédacteurs ix

Leçon 1. Gilles Godefroy. De l'irrationalité à l'indécidabilité 1Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre . . . . . . . . . . . . . . . 1La suite de Fibonacci . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10Du paradis que Cantor a créé pour nous... . . . . . . . . . . . . 12Le programme de Hilbert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23Le vertige contemporain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

Le théorème de Gödel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25Ensembles récursivement énumérables et ensembles ré-

cursifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28Le théorème de Robinson-Matijasevic . . . . . . . . . . . 31

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36

Leçon 2. Jean-Yves Girard. La théorie de la démonstration, duprogramme de Hilbert à la logique linéaire 37La « crise des fondements » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

La théorie naïve des ensembles : grandeur et décadence . 37Une crise de quoi ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

Le programme de Hilbert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40Un chevalier blanc et une ontologie . . . . . . . . . . . . . 40Le programme : un principe de conservation . . . . . . . 43

La chute . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44Immersion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44Le(s) théorème(s) d'incomplétude de Gödel . . . . . . . . 45

L'obstination . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48Gentzen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48Avatars du théorème de Gödel . . . . . . . . . . . . . . . . 50

Le Hauptsatz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52Toutes les mauvaises idées ne sont pas à jeter . . . . . . . 52Les séquents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53

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L'élimination des coupures (le Hauptsatz) . . . . . . . . . 59Idée de la preuve . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

Corollaires du Hauptsatz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64La cohérence de l'arithmétique de Peano . . . . . . . . . 64La propriété de la sous-formule, et la programmation

logique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65La contraction coupable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67

La logique intuitionniste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68Don Camillo contre Peppone . . . . . . . . . . . . . . . . 68Le Hauptsatz et la propriété de la disjonction . . . . . . . 69La lecture moderne de l'intuitionnisme . . . . . . . . . . 71

L'interprétation fonctionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72La sémantique des preuves . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72Le λ-calcul typé et l'isomorphisme de Curry-Howard . . 73Le paradigme de programmation fonctionnelle . . . . . . 76

La nature des fonctions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77Une interprétation linéaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77Le calcul des séquents linéaire . . . . . . . . . . . . . . . . 79

Interprétation intuitive des connecteurs linéaires . . . . . . . . 82Les réseaux de démonstration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88

Réseaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88Le critère de correction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90Normalisation des réseaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92Analogie électrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94

Des règles de la logique à la logique des règles . . . . . . . . . . 95La dualité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95La ludique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97Le pourquoi et le comment . . . . . . . . . . . . . . . . . 97

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98

Leçon 3. Gérald Tenenbaum. Qu'est-ce qu'un entier normal ? 101Nombres premiers et entiers au hasard . . . . . . . . . . . . . . 101Densités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103Conflit structural . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104De Hardy-Ramanujan à Erdos-Kac . . . . . . . . . . . . . . . . 105Le modèle d'Erdos-Kubilius . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108Un objet fractal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111Les limites du modèle d'Erdos-Kubilius . . . . . . . . . . . . . 112Un modèle plus précis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115

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Exploitation heuristique du nouveau modèle . . . . . . . . . . 116Un point de vue « extérieur » sur la normalité : les suites de

Behrend . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119Transformées de Fourier de fonctions arithmétiques . . . . . . 122Sommes d'exponentielles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124Limitation théorique : un principe d'incertitude . . . . . . . . 127En guise de conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127Questions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130

Leçon 4. François Morain. La cryptologie est-elle soluble dans lesmathématiques ? 133Introduction : cryptographie, cryptanalyse, cryptologie . . . . 133Cryptographie symétrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134Cryptographie asymétrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138

Le principe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138Quels problèmes choisir ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139Sécurité d'un système . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140

Le chiffrement RSA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141Le principe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141Une première approche de la sécurité de RSA : le pro-

blème de la factorisation . . . . . . . . . . . . . . . 142L'échange de clés de Diffie-Hellman . . . . . . . . . . . . . . . 148

Le principe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148Une approche de la sécurité de l'échange : difficulté du

problème du logarithme discret . . . . . . . . . . . 149Vers des preuves de sécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162

Leçon 5. Michel Waldschmidt. Fonctions modulaires et transcen-dance 167Le théorème de Liouville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167Le nombre ξ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169Exemples naturels de transcendance et d'indépendance algé-

brique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171Fonctions thêta et modulaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173Fonctions elliptiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176

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Transcendance des valeurs des fonctions modulaires via lesfonctions elliptiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178

Le théorème stéphanois et les théorèmes de Nesterenko . . . . 181Problèmes ouverts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185Questions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195

Leçon 6. Guy David. Ensembles uniformément rectifiables 197Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197Rectifiabilité uniforme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199Un critère particulier : inégalité de Poincaré (ou de Sobolev)

dans le complémentaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208Un exemple d'application : la fonctionnelle de Mumford-Shah

en traitement d'images . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209Quoi de neuf depuis la Leçon ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213

Leçon 7. Claude Bardos. Observation à hautes et basses fréquences,contrôlabilité, décroissance locale de l'énergie et mesures de dé-faut 215Le problème de la détection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215

L'observation et sa stabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . 215Hautes fréquences : optique géométrique . . . . . . . . . 216Basses fréquences : diffraction . . . . . . . . . . . . . . . . 220

Mathématisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221Notations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221Le problème de l'observation (ou de l'unicité) . . . . . . . 222Le problème de l'observation stable . . . . . . . . . . . . 222

Applications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224Contrôlabilité exacte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224Stabilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225Scattering . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225

Quelques résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2261. Scattering. La conjecture de Lax et Phillips . . . . . . . 2262. Stabilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227

D'un problème à l'autre. . . . . . . . . . . . . . . . 228Retour sur l'intrus caché. . . . . . . . . . . . . . . . 229

Le cas analytique. . . . . . . . . . . . . . . . 229Au-delà du cas analytique. . . . . . . . . . . 230

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La stratégie de la preuve du théorème de l'observation stable . 232Étape 1 : traduction géométrique . . . . . . . . . . . . . . 232Étape 2 : estimations élémentaires et mesures de défaut . 236Étape 3 : relations entre les mesures µ et ν . . . . . . . . . 238Étape 4. Propagation de la mesure au voisinage des points

glissants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241Esquisse de la preuve de Robbiano . . . . . . . . . . . . . . . . 244Conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245Postface (par Claude Bardos) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247

Leçon 8. Max Karoubi. Topologie et formes différentielles 251Quelques rappels classiques : formes différentielles, cohomo-

logie de de Rham, lien avec la topologie, et un problèmeouvert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251Formes différentielles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251L'algèbre différentielle graduée �∗(X) . . . . . . . . . . . 252Lemme de Poincaré et cohomologie de de Rham . . . . . 253Lien avec la topologie : H1(X) et π1(X) . . . . . . . . . . . 255Les groupes d'homotopie supérieurs πn(X), n > 1 . . . . 256

La théorie de Quillen-Sullivan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 258Les algèbres différentielles graduées (ADG) et leurs quasi-

isomorphismes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 258Le théorème de Quillen-Sullivan sur R . . . . . . . . . . . 259Passer des réels aux rationnels . . . . . . . . . . . . . . . . 260

Réduction du problème aux complexes simpli-ciaux (triangulation). . . . . . . . . . . . . 260

Les formes différentielles sur un complexe simpli-cial, et le théorème de Quillen-Sullivansur Q. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261

Passer de Q à Z . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 262Cohomologie à coefficients entiers et théorie de Quillen-

Sullivan tressée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263Un calcul différentiel non commutatif . . . . . . . . . . . 263Cohomologie tressée d'un complexe simplicial . . . . . . 264ADG tressées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266Lien avec la topologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270

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Leçon 9. Jean-Marc Fontaine. Nombres p-adiques, représenta-tions galoisiennes et applications arithmétiques 271Nombres p-adiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271Représentations galoisiennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 276Exemples de représentations galoisiennes . . . . . . . . . . . . 280Cohomologie de de Rham et structures de Hodge . . . . . . . . 285Structures de Hodge p-adiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287Représentations �-adiques géométriques . . . . . . . . . . . . 292Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297

Leçon 10. Marc Hindry. Géométrie et équations diophantiennes 301Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301Hauteur sur l'espace projectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 302Estimation du nombre de points de hauteur donnée par des

constructions géométriques usuelles. . . . . . . . . . . . . 304Invariants géométriques et nombre de points rationnels . . . . 305

Diviseurs, groupe de Picard . . . . . . . . . . . . . . . . . 305Hauteur associée à un diviseur . . . . . . . . . . . . . . . 306Formes différentielles ; diviseur canonique . . . . . . . . 307

Cas des courbes projectives lisses . . . . . . . . . . . . . . . . . 309Et en dimension supérieure ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311Le nombre de points rationnels de hauteur bornée . . . . . . . 313Remarques supplémentaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315

Leçon 11. Michel Raynaud. Courbes algébriques et groupe fonda-mental 317Surfaces (point de vue topologique) . . . . . . . . . . . . . . . . 317

Tores, surfaces compactes, genre . . . . . . . . . . . . . . 317Le groupe fondamental (point de vue topologique) . . . . 320

Première définition (point de vue des lacets). 320Deuxième définition (point de vue galoisien).321

Surfaces de Riemann . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323Passage au point de vue algébrique . . . . . . . . . . . . . . . . 324

Courbes algébriques sur C. Le groupe fondamental algé-brique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 324

Courbes algébriques sur un corps algébriquement clos . 328Courbes en caractéristique nulle . . . . . . . . . . . . . . 329

Page 17: LEÇONS DE MATHÉMATIQUES D'AUJOURD'HUI II

xvii

Cadre arithmétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 330Courbes en caractéristique positive . . . . . . . . . . . . . 331La courbe générique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 336

Appendice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 340Minilexique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 340Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 343

Leçon 12. Michael S. Keane. Marches aléatoires renforcées 347Les probabilités classiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 347L'apport de Markov . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 348Processus non markoviens : une mémoire d'éléphant . . . . . 349Le bar ou la plage : l'émergence des opinions . . . . . . . . . . 350Retour inattendu à Markov . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 352Marches aléatoires classiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 354Autres problèmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 357Questions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 359Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 360

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Max Karoubi

Topologie et formes différentielles

Quelques rappels classiques : formes différentielles,cohomologie de de Rham, lien avec la topologie, et un

problème ouvert

Dans cette Leçon, j'espère vous convaincre de l'intérêt des algèbresde formes différentielles pour étudier la topologie, et vice versa. Je vaiscommencer par un petit nombre de rappels classiques (je vais peut-être ennuyer quelques personnes), et puis petit à petit, crescendo, je vaisarriver à des choses plus actuelles − très actuelles, même, puisque jevais parler des recherches les plus récentes.

Formes différentielles. Pour commencer, je vais considérer une variétédifférentielle réelle C∞ , X, de dimension m. On peut lui associer unealgèbre différentielle graduée, notée �∗(X), qui est l'algèbre des formesdifférentielles sur X (je parle des formes différentielles définies sur toutela variété X et C∞ sur cette variété − ce qu'on appelle les formesdifférentielles globales). Voici comment :

Une forme différentielle de degré 1 sur un ouvert de Rm est uneexpression de la forme

ω = p1 dx1 + · · · + pm dxm (1)

où p1 , ..., pm sont des fonctions C∞ sur cet ouvert. La forme ω

s'interprète comme la donnée pour chaque point x d'une forme linéairesur Rm (notamment dxi s'interprète comme la forme linéaire associant

à x ∈ Rm sa i-ième coordonnée xi ). Sur une variété X, on définit uneforme différentielle de degré 1 comme la donnée en chaque point d'uneforme linéaire sur l'espace tangent en x ; une telle forme possède danschaque carte une expression en coordonnées du type (1) ; la forme estde classe C∞ si les coefficients p1 , ..., pm le sont.

251

Page 20: LEÇONS DE MATHÉMATIQUES D'AUJOURD'HUI II

252 Max Karoubi

Les formes de degré 1 s'intègrent naturellement sur les chemins :∫γ

ω =∫ b

a〈ω, γ ′(t)〉 dt

si γ : [a, b] → X est un chemin de classe C1 . L'intégrale ne dépend pasdu paramétrage.

Une forme différentielle de degré n � 1 sur une variété X consisteen la donnée en chaque point x d'une forme n-linéaire alternée surl'espace tangent en x. En coordonnées :

ω =∑

1�i1<···<in�m

ai1...in(x) dxi1

∧ · · · ∧ dxin

en notant, lorsque α1 , ..., αn sont des formes de degré 1,(α1 ∧ · · · ∧ αm

)(v1, . . . , vm) = 1

m!

∑(−1)

sgn(i1,...,im)αi1

(v1) · · · αim(vm),

où la somme est prise sur toutes les permutations (i1, . . . , im) de(1, . . . , m) et où sgn(i1, . . . , im) est la signature de la permutation(i1, . . . , im). En particulier, lorsque α et β sont des formes de degré 1,on a α ∧ β = −β ∧ α et α ∧ α = 0.

Ajoutons qu'une forme différentielle de degré 0 est tout simplementune fonction C∞ .

Les formes différentielles de degré n sont par excellence l'objet quis'intègre sur les (morceaux compacts de) sous-variétés orientées dedimension n. Il n'est pas besoin pour cela d'une métrique ou d'unemesure.

L'algèbre différentielle graduée �∗(X). On note �n(X) l'ensemble desformes différentielles de degré n (n � 1), �0(X) l'anneau des fonctionsC∞ . Chacun des �n est un module sur A = �0(X). On note �∗(X) lasomme directe des �n(X) pour n ∈ N. La somme directe �∗(X) estmunie d'un produit ∧ appelé « produit extérieur » et d'un opérateurd, appelé « différentielle extérieure ». C'est cela qui en fait une algèbredifférentielle graduée.

Le produit ∧ est défini de façon que(dxi1

∧ · · · ∧ dxin

)∧ (dxj1

∧ · · · ∧dxjp

) = dxi1∧ · · · ∧ dxin

∧ dxj1∧ · · · ∧ dxjp

et prolongé de manière à

obtenir une application A-bilinéaire de �n(X) × �p(X) dans �n+p(X).Le produit d'une forme de degré 0 par une forme de degré n � 1 estcommutatif et se note sans le symbole ∧ : fω = ωf. Le produit extérieur

Page 21: LEÇONS DE MATHÉMATIQUES D'AUJOURD'HUI II

Topologie et formes différentielles 253

s'étend par linéarité en une application A-bilinéaire de �∗(X) × �∗(X)

dans �∗(X). Cette opération est distributive par rapport à l'addition. Onvérifie qu'elle est aussi associative.

La différentielle extérieure se définit par ses restrictions :

d|�n(X)

= dn : �n(X) −→ �n+1(X)

est l'application R-linéaire donnée en coordonnées locales par laformule suivante : si

ω =∑

1�i1<···<in�m

ai1···in(x) dxi1

∧ · · · ∧ dxin

alors

dω = dnω =m∑

r=1

∑1�i1<···<in�m

∂ai1···in

∂xrdxr ∧ dxi1

∧ · · · ∧ dxin.

L'opérateur d est bien connu − sous des déguisements divers − endimension trois : dans un ouvert de R3 , où les formes de degré 0 (f(x)) etde degré 3 (g(x) dx1 ∧dx2 ∧dx3 ) s'identifient aux fonctions et les formesde degré 1 (p1(x) dx1 + p2(x) dx2 + p3(x) dx3 ) et de degré 2 (q1(x) dx2 ∧dx3 + q2(x) dx3 ∧ dx1 + q3(x) dx1 ∧ dx2 ) aux champs de vecteurs, d0est le gradient (différentielle des fonctions), d1 le rotationnel et d2 ladivergence :

�0 grad−→ �1 rot−→ �2 div−→ �3

Une part de la signification géométrique de la différentielle exté-rieure réside dans la formule de Stokes : si Y désigne une sous-variétéà bord de X, compacte, orientée, de dimension n, dont le bord est noté∂Y, et si ω est une forme différentielle de degré n, on a∫

∂Yω =

∫Y

dω. (2)

Lemme de Poincaré et cohomologie de de Rham. On vérifie par lecalcul que d2 = 0 (c'est-à-dire dn ◦ dn−1 = 0 pour tout n). Autrementdit, on a cette propriété remarquable : Im dn−1 ⊂ Ker dn . Les élémentsde Ker dn s'appellent les formes différentielles fermées de degré n (on

note souvent Zn(X) pour Ker dn ). Les éléments de Im dn−1 s'appellentles formes différentielles exactes de degré n.

Dans une boule de Rm , ou plus généralement dans un ouvert

Page 22: LEÇONS DE MATHÉMATIQUES D'AUJOURD'HUI II

254 Max Karoubi

Fig. 1. Ouvert étoilé. Ouvert contractile. Ouvert non contractile

étoilé et, plus généralement encore, dans un ouvert contractile1, on aIm dn−1 = Ker dn : toute forme fermée est exacte (lemme de Poincaré).

Dans le cas général, on définit la cohomologie de de Rham de X endegré n par :

Hn(X) = Ker dn/ Im dn−1. (3)

Autrement dit, le n-ième groupe de cohomologie matérialise l'obstruc-tion pour qu'une forme régulière fermée sur X soit exacte (on convientque �−1(X) = {0}, donc H0(X) = Ker d0 ) ; Hn(X) est un espace vectorielréel, et dans beaucoup de situations (disons si X n'est pas trop « patho-logique »), il est de dimension finie. Par exemple, H0(X) � Rd , où d estle nombre de composantes connexes de X. Si X est compacte, tous lesHn(X) sont de dimension finie. On a même de très jolies propriétés : siX est non seulement compacte, mais aussi orientée, et de dimension m,on a : Hn(X) � Hm−n(X) (c'est ce qu'on appelle la dualité de Poincaré).

L'exemple le plus simple est celui du cercle : X = S1 ; la formeusuelle dθ a une classe de cohomologie [dθ ] ∈ H1(X) qui est nonnulle, contrairement à ce qu'on pourrait penser ; parce que ce n'est pasune différentielle exacte (θ n'est pas une fonction − je sous-entends :univaluée − définie globalement sur S1 ).

Une façon de voir si une classe de cohomologie est non nulle, c'estde l'intégrer. C'est un résultat très utile : si X est une variété orientée

1Un espace topologique X est dit contractile si on peut, par une transformationcontinue, le ramener à n'être plus qu'un point : cela signifie qu'existent un point x0 ∈ Xet une application continue F : X × [0, 1] → X, tels que ∀x ∈ X, F(x, 0) = x etF(x, 1) = x0 . Si on pose Ft(x) = F(x, t), la famille de fonctions (Ft)t∈[0,1] apparaît commeune déformation continue faisant passer de l'application idX = F0 à l'applicationconstante F1 . Une telle fonction F s'appelle une homotopie (entre F0 et F1 ), et nousallons retrouver plusieurs fois cette notion dans ce qui va suivre. (N.d.r.)

Page 23: LEÇONS DE MATHÉMATIQUES D'AUJOURD'HUI II

Topologie et formes différentielles 255

connexe (sans bord) de dimension m et si ω est une forme différentiellede degré m (c'est le degré maximal ; ω est alors nécessairement fermée :ω ∈ �m(X) = Zm(X)), alors :(

∃ σ ∈ �m−1(X), ω = dσ)

⇐⇒∫

Xω = 0. (4)

Si on reprend l'exemple X = S1 , on voit que∫

S1 dθ = 2π , ce qui confirme

que dθ n'est pas exacte.

Lien avec la topologie : H1(X) et π1(X). L'intérêt de la cohomologie dede Rham provient du théorème suivant (qui date d'environ 1940) :

Théorème de de Rham : Pour tout n ∈ N, Hn(X) est un invarianttopologique.

Ceci signifie que, contrairement aux apparences, Hn(X) ne dépendque de la topologie de X, et non de sa structure différentiable. J'ai déjàsignalé le fait, assez trivial, que H0(X) = Rd , où d est le nombre decomposantes connexes de X. Un exemple plus intéressant est celui deH1(X) : il y a (pour X connexe) une relation entre H1(X) et le groupefondamental π1(X). Mais je vais d'abord rappeler ce qu'est ce groupe.

Soit un point x0 ∈ X ; un lacet issu de x0 (ou de point base x0 ) estune application σ : [0, 1] → X, continue, telle que σ(0) = σ(1) = x0 .Deux lacets σ0 et σ1 sont dits homotopes s'il existe une applicationF : [0, 1] × [0, 1] −→ X continue, telle que ∀t ∈ [0, 1], F(t, 0) = σ0(t),F(t, 1) = σ1(t) et que ∀s ∈ [0, 1], F(0, s) = F(1, s) = x0 − autrementdit si on peut déformer continûment σ0 en σ1 . L'homotopie est une

σ0

σ1

σ

γ

x0

x01

2

Fig. 2. Lacets homotopes ; composition des lacets

relation d'équivalence sur l'ensemble des lacets continus de X de pointbase x0 . Par définition, π1(X, x0) est l'ensemble des classes d'homotopie

Page 24: LEÇONS DE MATHÉMATIQUES D'AUJOURD'HUI II

256 Max Karoubi

de lacets issus de x0 . La loi de composition (au sens « concaténation »)des lacets passe au quotient, et fait de π1(X, x0) un groupe (en généralnon commutatif). Si x1 est un autre point de X, les groupes π1(X, x0) etπ1(X, x1) sont isomorphes, et donc on note souvent π1(X), sans préciserle point base.

L'intégrale∫σ ω peut être définie pour toute ω ∈ Z1(X) = Ker d1 et

tout lacet σ (il n'est pas nécessaire2 qu'il soit C1 ), et elle ne dépend quede la classe d'homotopie de σ dans π1(X, x0) (où x0 = σ(0) = σ(1)) et

de la classe de cohomologie de ω dans H1(X). On a donc une application

π1(X, x0) × H1(X) −→ R

(σ, ω) −→∫σ

ω

linéaire par rapport à sa deuxième variable, qui induit une application

H1(X) −→ Hom(π1(X, x0), R). (5)

Le théorème de de Rham précise en fait que c'est un isomorphisme degroupes. C'est déjà ici une petite indication qu'il y a une relation entrela topologie et les formes différentielles − une toute petite indication,vraiment, car on est en train de parler seulement des lacets ; mais lestopologues ont introduit d'autres invariants qui sont beaucoup plusfins que π1(X, x0), à savoir les groupes d'homotopie supérieurs πn(X, x0),n > 1 que nous allons maintenant décrire.

Les groupes d'homotopie supérieurs πn(X), n > 1. Soit x0 un point de

X et e un élément de la sphère unité Sn de Rn+1 . On définit πn(X, x0)e

(le n-ième groupe d'homotopie) de la façon suivante : soit [Sn, X]′e,x0

l'ensemble des applications continues de Sn dans X qui respectent lepoint base x0 ∈ X, c'est-à-dire qui envoient e sur x0 (c'est la raison d'être

du « ′ » dans la notation [Sn, X]′e,x0). Deux éléments de [Sn, X]′e,x0

, σ0 et

σ1 , sont dits homotopes s'il existe une application F : Sn × [0, 1] −→ Xcontinue, telle que ∀t ∈ [0, 1], F(t, 0) = σ0(t), F(t, 1) = σ1(t) et ∀s ∈[0, 1], F(e, s) = x0. Notons ∼ la relation d'homotopie (qui, pour e et

x0 fixés, est une relation d'équivalence sur l'ensemble [Sn, X]′e,x0) ; on

2Tout lacet continu σ est limite uniforme de lacets C1 ; ceux-ci, dès qu'ils sont assezproches de σ , sont homotopes à σ , donc homotopes entre eux, et ils donnent (parStokes) la même valeur à

∫ω . C'est cette valeur qu'on attribue à

∫σ ω .

Page 25: LEÇONS DE MATHÉMATIQUES D'AUJOURD'HUI II

Topologie et formes différentielles 257

définit alors

πn(X, x0)e := [Sn, X]′e,x0� ∼

comme le groupe quotient (l'opération de concaténation entre élé-ments de [Sn, X]′e,x0

passant aussi au quotient). Là encore, c'est un

groupe, et il ne dépend pas du choix de e, ni du point base x0 , et onpeut le noter simplement πn(X). La nouveauté est qu'il est cette foiscommutatif dès que n � 2.

Fig. 3. Concaténation dans [Sn, X]′e,x0(n = 2)

Le calcul des groupes πn(X) est un problème fondamental de latopologie algébrique. Ceci a l'air d'être un problème abstrait, mais enfait des tas de considérations amènent à calculer ces groupes − parexemple la détermination du nombre de structures différentiables surune variété. Ce sont des objets fondamentaux de la topologie, et onaimerait donc connaître un peu leur structure. Mais, curieusement, onne sait même pas calculer les groupes d'homotopie des sphères, πn(Sr)

− sauf, bien sûr, si n < r (c'est {0}) et si n = r (c'est Z). On ne connaîtque des résultats particuliers : π3(S2) = Z (H. Hopf) ; πn+1(Sn) = Z/2Z

Page 26: LEÇONS DE MATHÉMATIQUES D'AUJOURD'HUI II

258 Max Karoubi

pour n � 3 (H. Hopf) ; πn(Sr) est abélien fini si r est impair et n >

r (J.-P. Serre) ; toutes les sphères de dimension > 1 ont une infinitéde groupes d'homotopie non nuls (J.-P. Serre) ; πn(S5) �= 0 pour toutn � 5 (Curtis), etc. On a tout de même quelques résultats généraux : parexemple, si la variété X est compacte, alors πn(X) est un groupe de typefini. Mais il est quasiment impossible pour le moment d'en savoir plus.

Les topologues se sont donc fixé un objectif moins ambitieux : peut-on au moins décrire

πn(X) ⊗Z Q

(la partie libre du groupe) ? Et là, il se trouve que la réponse est oui, dumoins si X est simplement connexe (c'est-à-dire si π1(X) = 0) : dans cecas, on peut calculer les groupes πn(X) ⊗Z Q à partir du complexe dede Rham, grâce à la théorie de Quillen-Sullivan ([Q],[S]), qui date desannées 1960-1970, et dont je vais parler maintenant.

La théorie de Quillen-Sullivan

Les algèbres différentielles graduées (ADG) et leurs quasi-isomor-phismes. Je vais d'abord introduire la notion de quasi-isomorphisme,et pour cela, je vais commencer par vous donner une définition (d'aprèsCenkl et Porter [CP] et Mouet [Mo]), que j'ai un peu escamotée tout àl'heure :

Définition Une algèbre différentielle graduée (ADG) A∗ est la donnéed'une suite de groupes (ou d'espaces vectoriels) A0 , A1 , A2 · · · , coupléeavec la donnée d'une différentielle pour passer de l'un à l'autre, c'est-à-dire

A0 d−→ A1 d−→ A2 d−→ · · · (6)

avec la propriété que d2 = 0, et d'un produit ∧ : An × Ap −→ An+p ,comme dans le cas du complexe de de Rham. Mais ce que je n'ai pas dittout à l'heure (parce qu'alors c'était automatique), c'est que ce produitdoit être compatible avec la différentielle, et donc vérifier

d(ω ∧ ω′) = dω ∧ ω′ + (−1)deg ωω ∧ dω′. (7)

Ce qui est intéressant, c'est la cohomologie de l'ADG, définie commel'était la cohomologie de de Rham, c'est-à-dire par

Hn(A∗) = Ker dn/ Im dn−1 , n ∈ N .

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Topologie et formes différentielles 259

Une ADG est dite commutative (au sens gradué) si

ω ∧ ω′ = (−1)deg ω deg ω′ω′ ∧ ω

pour toute paire homogène (ω, ω′). Cette propriété de commutativitéétait satisfaite pour les formes différentielles usuelles.

Deux ADG A∗ et B∗ sont dites quasi-isomorphes s'il existe unmorphisme d'ADG

A∗ f−→B∗

qui induise, à chaque étage n ∈ N, un isomorphisme en cohomologie :

Hn(A∗)H(f)−→ Hn(B∗) .

(Je triche un petit peu : pour être tout à fait correct j'aurais dû introduireune troisième ADG commutative, et considérer quelque chose comme

A∗ f−→ B∗↘ ↙

C∗(8)

Je ne veux pas trop entrer dans les détails − ce que je viens de dire estessentiellement vrai, et suffisant pour se faire une première idée de lachose.)

Dans la notion de quasi-isomorphisme, ce que l'on retient doncessentiellement de l'ADG, c'est sa cohomologie. Mais c'est un peu plussubtil que cela, car il ne faut pas oublier que la flèche f doit respecterles structures d'algèbre différentielle (c'est un morphisme d'ADG), cequi implique qu'elle soit compatible avec la structure multiplicativeafférente au calcul extérieur. Je veux dire par là que si vous avezdeux ADG qui ont la même cohomologie (à isomorphismes près),elles ne sont pas forcément quasi-isomorphes, encore faut-il pouvoirpour cela exhiber aussi la flèche f dont dérive l'isomorphisme encohomologie H(f).

Le théorème de Quillen-Sullivan sur R. Voici maintenant un théorème,très profond, qui est dû à Quillen et à Sullivan.

Théorème (Quillen [Q], Sullivan [S]). Soient X et Y deux variétésdifférentielles réelles simplement connexes telles que les algèbres diffé-rentielles graduées de formes différentielles �∗(X) et �∗(Y) soient quasi-isomorphes. Alors πn(X) et πn(Y) sont isomorphes modulo la torsion ;

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260 Max Karoubi

plus précisément :πn(X) ⊗Z R � πn(Y) ⊗Z R (9)

pour tout n ∈ N.

Ce théorème n'est pas du tout trivial. Il signifie qu'il y a un lienprofond, plus profond qu'on ne le pense, entre les formes différentielleset la topologie. Il y a quelque chose derrière ce théorème qu'il fautessayer de comprendre : c'est ce qu'on va faire maintenant. Il serait aussinaturel de voir si on ne pourrait pas remplacer R par quelque chose deplus petit, par exemple Q ou Z, puisque l'idéal qui apparaît au niveau duproduit tensoriel dans (9) est Z. Il convient pour cela de transposer ducadre réel au cadre rationnel (voire entier) les diverses notions (formesdifférentielles, ADG) que nous venons d'introduire.

Passer des réels aux rationnels. On va donc s'occuper maintenant decette question : comment peut-on faire pour passer des réels aux ration-nels ? On voudrait pouvoir parler de formes différentielles rationnelles.Évidemment, la notion de fonction rationnelle (c'est-à-dire, ici, à valeursrationnelles) C∞ sur une variété n'a pas beaucoup de sens ! Pour s'entirer, on va devoir commencer par trianguler les variétés.

Réduction du problème aux complexes simpliciaux (triangulation).Définition. Soit S un ensemble fini ; on appelle complexe simplicial unsous-ensemble K de P(S) tel que si σ ∈ K et si τ ⊂ σ alors τ ∈ K.

Remarque. On pourrait prendre S infini, mais on rencontrerait alorsquelques problèmes de nature topologique ; on va donc ici se contenterde prendre S fini.

Un exemple paradigmatique. Prenons

S = {sommets d'un tétraèdre

} = {0, 1, 2, 3

} ;soit K l'ensemble des parties de S contenant au plus trois éléments.On peut voir les parties à 3 éléments comme les faces du tétraèdre,les parties à 2 éléments comme les arêtes et les singletons comme lessommets : on obtient ainsi la réalisation géométrique de K, notée

∣∣K∣∣, quiest un espace topologique. Dans notre exemple,

∣∣K∣∣ est homéomorphe

(en tant qu'espace topologique) à S2 . Par abus de langage,∣∣K∣∣ lui-même

est appelé un « complexe simplicial ».

Théorème de triangulation des variétés. Toute variété différentielleC∞ réelle compacte est homéomorphe à la réalisation géométrique

∣∣K∣∣

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Topologie et formes différentielles 261

d'un certain complexe simplicial K.

Donnons une méthode permettant d'envisager d'une façon plusconcrète la construction d'un tel complexe simplicial K subordonné àune variété différentiable réelle X (cf. par exemple [BT] ou [KL]). Soit

U =(

Ui

)i∈I

un recouvrement ouvert fini de X, tel que les ouverts

Ui0···ir= Ui0

∩ · · · ∩ Uirsoient vides ou contractiles. Il n'est pas

très compliqué de montrer qu'un tel recouvrement existe : c'est unrésultat classique de topologie3. U est appelé un bon recouvrementfini. On obtient alors un complexe simplicial noté N(U), appelé nerfdu recouvrement, en prenant l'ensemble des multi-indices (i0, . . . , ir)

tels que Ui0...ir�= ∅. Soit

(αi

)i∈I

une partition de l'unité adaptée

au recouvrement U (les fonctions αi , i ∈ I, réalisant cette partitionprenant leurs valeurs dans [0, 1]) ; soit |N(U)| la réalisation géométriquede N(U) ; alors l'application

X −→ ∣∣N(U)∣∣

x −→(αi(x)

)(les αi(x) jouant le rôle de coordonnées barycentriques pour un pointde |N(U)|) définit une équivalence d'homotopie, et celle-ci induira unquasi-isomorphisme d'algèbres différentielles graduées

�∗(N(U))Q ⊗ R −→ �∗(X)R (10)

une fois que l'on aura défini avec précision ce que l'on entend parcomplexe de de Rham �∗(N(U))Q (notons qu'il s'agit cette fois deformes rationnelles, et non plus réelles comme dans le complexe dede Rham classique). Par conséquent, travailler sur X (en réel) revientà travailler sur N(U) (cette fois en rationnel). Le problème consistedonc maintenant à définir les formes différentielles sur un complexesimplicial.

Les formes différentielles sur un complexe simplicial, et le théorème deQuillen-Sullivan sur Q. Reprenons l'exemple précédent du tétraèdre :comment peut-on définir des formes différentielles sur un tétraèdre ?On les définit en fait sur chaque face en se donnant un modèle algé-brique. Si je prends par exemple trois variables x0, x1, x2 , l'analogue des

3En gros, on prend une métrique riemannienne et on recouvre X par des boules assezpetites pour être convexes au sens des géodésiques. (N.d.r.)

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262 Max Karoubi

formes différentielles sur la face (0, 1, 2) sera défini par des différen-tielles formelles dx0, dx1, dx2 , avec comme coefficients les polynômesen (x0, x1, x2) à coefficients rationnels, et en quotientant par les rela-tions

x0 + x1 + x2 = 1,

dx0 + dx1 + dx2 = 0.

Implicitement, cela revient à éliminer l'une des variables. Par exemple,

x20x

31dx0 ∧ dx1 est une forme différentielle sur le triangle {x0 + x1 + x2 =

1}.Une forme différentielle au sens de Sullivan sur le bord d'un té-

traèdre est la donnée pour chaque face (i, j, k) d'une forme ωijk(xi, xj, xk),et ce de façon compatible, c'est-à-dire de telle sorte que ces formes serecollent sur les arêtes : ω012 |02= ω023 |02 , etc. On voit, à partir de cetexemple, comment on peut construire en général les formes différen-tielles sur un complexe simplicial.

En résumé, si K est un complexe simplicial, on peut définir une ADG« du type de de Rham » �∗(K) à coefficients rationnels. Remarquez qu'ona pris des polynômes et non des fonctions C∞ . Remarquez aussi quenotre définition aurait autorisé a priori des coefficients quelconques,entiers par exemple ; mais on verra plus tard pourquoi en fait ce n'estpas « raisonnable ». C'est une telle ADG du type de Rham que nousavons introduite comme �∗(N(U))Q dans la sous-section précédente.Le théorème de Quillen-Sullivan passe alors à ce nouveau cadre etdevient cette fois le résultat suivant :

Théorème (Quillen-Sullivan [Q],[S]). Soient K et L deux complexessimpliciaux connexes et simplement connexes tels que les ADG : �∗(K)

et �∗(L) soient quasi-isomorphes. Alors πn(K) et πn(L) sont rationnelle-ment isomorphes, c'est-à-dire :

πn(K) ⊗Z Q � πn(L) ⊗Z Q. (11)

En fait, ce théorème (avec Q) implique le théorème précédent(avec R).

Passer de Q à Z. Maintenant nous arrivons au point difficile : commentpasser du résultat sur Q à un résultat sur Z ? Tout d'abord on pourraitcroire qu'il suffit d'adapter la construction précédente, c'est-à-dire

prendre Z[

x0, x1, x2

]au lieu de Q

[x0, x1, x2

]. Mais si on s'y prend de

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Topologie et formes différentielles 263

cette façon, la démonstration de Quillen-Sullivan ne va plus marcher,essentiellement à cause du lemme de Poincaré4.

Regardons par exemple ce qui se passe dans le cas le plus simple,celui où il y a une seule variable x. On a A0 = Z [x], A1 = Z [x] dx (etAn = {0} pour n > 1) ; l'opérateur d : A0 → A1 traditionnel est définipar d(xn) = nxn−1dx, afin que soient vérifiées les formules

d(uv) = (du)v + u dv

(du)v = v du .

Mais alors on voit que la forme différentielle (fermée) x2dx n'est pasexacte (elle n'a pas de primitive dans Z [x]), puisque sa primitive devraitêtre

13

x3 + const

et que 13 /∈ Z ; dans ces conditions, le lemme de Poincaré n'est plus vrai,

ce qui montre que cette construction n'est pas la bonne. C'est donc larègle d(xn) = nxn−1dx qui bloque le passage de la théorie de Quillen-Sullivan de Q à Z. Plus précisément, c'est la règle (du)v = v du : on vaabandonner cette règle [en conservant la règle d(uv) = (du)v + u dv],ce qui va donner lieu à un calcul différentiel plus riche, car moinscontraignant.

Cohomologie à coefficients entiers et théorie deQuillen-Sullivan tressée

Un calcul différentiel non commutatif. La construction qui va per-mettre de résoudre notre problème (le passage de Q à Z) est la sui-vante : soit A une k-algèbre commutative (pour ce qui nous concerneon peut prendre k = Z), munie d'un endomorphisme a → a. On pose�0(A) = A, et �1(A) = le A-bimodule engendré par les symboles du,avec les règles de calculs suivantes : d(uv) = (du)v+u dv, et (du)v = vdu(et non v du !) ; et puis, par simplicité, on pose �n(A) = 0 pour n > 1.

Exemple fondamental. Soit A la k-algèbre des fonctions f : Z −→ kqui sont constantes quand x → +∞ et quand x → −∞ (les deux limites

4On veut préserver, ici et plus loin, le lemme de Poincaré, parce que c'est à la foisle cas le plus simple et l'outil essentiel de la démonstration du théorème de de Rham.(N.d.r.)

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264 Max Karoubi

étant indépendantes). On peut munir A de l'automorphisme f �→ f avecf(x) = f(x + 1). Il n'est pas difficile de voir que �1(A) s'identifie commel'idéal à gauche de A formé des fonctions f qui tendent vers 0 quandx → ±∞. Cet idéal est aussi un module à droite si on pose ω · f = f · ω

pour f ∈ A et ω ∈ �1(A). Nous définissons enfin la « différentielle noncommutative »

d : A −→ �1(A)

par la formule (df)(x) = f(x + 1) − f(x) (calcul aux différences). Cettedifférentielle vérifie la formule de Leibnitz d(fg) = df · g + f · dg, commeil se doit. Pour souligner la variable x, nous poserons A = �0(x) et�1(A) = �1(x). Le « lemme de Poincaré » est alors évident :

La différentielle

d : �0(x) −→ �1(x)

est surjective et son noyau se réduit aux fonctions constantes.

Cohomologie tressée d'un complexe simplicial. On voudrait faireune construction similaire à celle de Sullivan, dont j'ai parlé tout àl'heure. Mais on tombe très vite sur un os : prenons le n-simplexed'équation x0 + · · · + xn = 1 dans Zn . Ce simplexe ne se prêtepas au calcul aux différences précédent (il n'est pas invariant par lechangement de variables xi �→ xi+1 ). L'idée nouvelle est de considérerplutôt le n-simplexe comme défini par l'équation x0 + x1 + · · · +xn = +∞ : ceci veut dire en clair qu'on considère les (n + 1)-uplets (x0, . . . , xn) dont au moins une composante xi est égale à +∞(les esprits pointilleux remarqueront qu'on doit convenir que (+∞) +(−∞) = +∞ !). L'interprétation géométrique de tout cela est qu'ondoit en fait interpréter [−∞, +∞] comme une version discrétisée del'intervalle continu [0, 1], −∞ jouant le rôle de 0 et +∞ le rôle de 1. Pourn = 2 par exemple, la géométrie nous conduit à redessiner le simplexestandard comme étant le sous-ensemble de R3 formé des points de

coordonnées (u1, u2, u3) tels que 0 � ui � 1 et∏2

i=0(ui − 1) = 0

qui se déforme de manière évidente sur le simplexe standard défini par

0 � ui � 1 et∏2

i=0 ui = 1.

Algébriquement, pour définir les « formes différentielles » sur le n-simplexe standard, on considère la sous-ADG qui égalise les deux flèches

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Topologie et formes différentielles 265

Fig. 4

évidentes5∏i

�∗(x0, . . . , xi, . . . , xn)−→−→

∏i<j

�∗(x0, . . . , xi, . . . , xj, . . . , xn)

obtenues en posant xi ou xj égal à −∞ (pour n = 2 par exemple, celarevient à décomposer un triangle en 3 carrés).

Fig. 5

Si K est un complexe simplicial, on peut définir �∗(K) avec la suiteexacte :

0 −→ �∗(K) −→∏σ

�∗(σ )−→−→

∏σ,τ

�∗(σ ∩ τ) (12)

où σ , τ , ... parcourent les faces des simplexes. L'exactitude signifie,d'abord, que la seconde flèche est injective (donc les formes sur Ksont définies de manière univoque par leurs restrictions aux faces des

5La notation �∗(y1, . . . , ym) désigne le produit tensoriel gradué des algèbres �∗(yi)

pour i = 1, . . . , m. (N.d.r.)

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266 Max Karoubi

simplexes) ; ensuite, que l'image de la seconde flèche (c'est-à-dire lesdonnées sur les faces qui proviennent de formes différentielles au sensde Sullivan sur K) est le noyau de la double flèche, c'est-à-dire que cesont celles qui coïncident sur les arêtes (intersections deux à deux desfaces).

Maintenant, une bonne nouvelle :

Théorème. La cohomologie tressée et la cohomologie singulièrecoïncident :

Hn(�∗(K)) = Hn(X ; k) . (13)

En particulier, si l'on prend k = Z, on sait donc construire lecomplexe des « formes différentielles à coefficients dans Z » et ona le lemme de Poincaré. Mais qu'est-ce qui se cache derrière ? Nousallons regarder de plus près l'algèbre différentielle graduée �∗(K) etconstater qu'elle a une structure tressée remarquable (ce qui justifienotre terminologie).

ADG tressées. Définition. Une ADG, A∗ , est dite tressée s'il existe unmorphisme de k-modules (k = Q ou k = Z) :

R : A∗ ⊗k A∗ −→ A∗ ⊗k A∗,

appelé tressage de l'ADG,⊗

de degré total 0 et vérifiant les propriétés suivantes :

1. Équations de Yang-Baxter : Si Rij désigne l'opérateur dont l'actioncorrespond à celle de R, prise sur les facteurs de numéros i et j (icientre 1 et 3) de A∗ ⊗k A∗ ⊗k A∗ , alors,

R12 ◦ R23 ◦ R12 = R23 ◦ R12 ◦ R23

A∗ ⊗k A∗ ⊗k A∗ −→ A∗ ⊗k A∗ ⊗k A∗

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Topologie et formes différentielles 267

2. Compatibilité du tressage avec la multiplication et l'élément unité :si µ12 (resp. µ23 ) désigne l'application de A∗ ⊗k A∗ ⊗k A∗ dansA∗ ⊗k A∗ induite par la multiplication (extérieure) entre premier etsecond termes (resp. second et troisième termes), alors on exige queR ◦ µ12 = µ23 ◦ R12 ◦ R23 , c'est-à-dire graphiquement :

ainsi, bien sûr, que l'identité correspondante « vue de derrière » :R ◦ µ23 = µ12 ◦ R23 ◦ R12 , (que je vous laisse dessiner). En outre,on suppose R(a ⊗ 1) = 1 ⊗ a et R(1 ⊗ a) = a ⊗ 1.

3. Compatibilité du tressage avec la différentielle : sur A∗ ⊗k A∗ , on aune différentielle D définie par :

D(θ ⊗k θ ′) = dθ ⊗k θ ′ + (−1)deg θ θ ⊗k dθ ′. (14)

Alors :

R ◦ D = D ◦ R. (15)

4. A∗ est R-commutative, i.e. le diagramme suivant commute :

A∗ ⊗k A∗ R−→ A∗ ⊗k A∗

µ ↘ ↙µ

A∗(16)

La notion d'ADG tressée (ADGT) est une généralisation de celled'ADG commutative (ADGC). C'est une bonne notion : le produittensoriel de deux ADGT est une ADGT.

Pour mieux comprendre cette définition, voici un tressage R pourune algèbre commutative A munie d'un endomorphisme a → a (sur

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268 Max Karoubi

les formes de degré � 1) :

R(u ⊗ v) = v ⊗ u,

R(u dv ⊗ w) = w ⊗ u dv,

R(u ⊗ v dw) = v dw ⊗ u + v(w − w) ⊗ du,

R(udv ⊗ w dt) = −w dt ⊗ u dv.

Et voici le résultat que je vous ai annoncé :

Théorème. L'algèbre différentielle graduée �∗(K) peut être munied'une structure (remarquable) d'ADGT.

Pour se convaincre de ce théorème, l'idée est de remarquer que Kn'est autre qu'une réunion de simplexes. Il faut donc définir un tressagesur le « complexe de de Rham » de chaque simplexe n , et globaliser

ensuite. Puisque �∗( n) est une sous ADG de∏

i �∗(x0, . . . , xi, . . . , xn),il suffit de remarquer que cette sous-algèbre est stable par le tressage. Cequi est encore plus remarquable est que le tressage

R : �∗( n) ⊗ �∗( n) −→ �∗( n) ⊗ �∗( n)

se prolonge en un morphisme « bisimplicial »

�∗( n) ⊗ �∗( m) −→ �∗( m) ⊗ �∗( n).

Pour s'en convaincre, il suffit de considérer l'exemple fondamental�∗(x) de tout à l'heure (p. 263) et de remarquer que le tressage« basique »

�∗(x) ⊗ �∗(x) −→ �∗(x) ⊗ �∗(x)

est compatible en un sens évident aux deux augmentations x = ±∞,qui correspondent géométriquement aux deux extrémités de l'intervalle[0, 1].

Lien avec la topologie. Nous pouvons maintenant revenir à notremotivation initiale, qui était le lien avec la topologie, et nous poser laquestion fondamentale suivante :

Question : La classe de A = �∗(K) en tant qu'ADGT détermine-t-ellela topologie du complexe simplicial K ?

Cette question reste encore ouverte mais admet une réponse partielle àcondition de « stabiliser » �∗(K) par un procédé technique qui est décrit en détaildans [K7]. Dans ce cas, la réponse est positive pour chaque nombre premier pet aussi rationnellement (ce qui permet de retrouver les résultats de Quillen et

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Topologie et formes différentielles 269

Sullivan, car une ADG commutative est un cas particulier d'ADGT). Ainsi, à partirde A (ou plutôt de sa stabilisée) on peut théoriquement calculer les groupesd'homotopie de K, les opérations de Steenrod sur sa cohomologie modulo p,etc. Il reste quand même du travail à faire : d'une part sur le plan théorique,en cherchant un modèle plus simple que �∗(K), et d'autre part (et surtout) surle plan pratique, pour avoir des algorithmes effectifs permettant de calculer lesinvariants topologiques de K.

Pour conclure la Leçon, nous pouvons revenir à un problème quese posaient les topologues il y a une quarantaine d'années, et que lesméthodes précédentes permettent d'aborder positivement. Il s'agissaitde chercher un complexe qui calcule H∗(LX), où X est un complexesimplicial fini pointé par un point base x0 , et LX l'espace des lacets de X,c'est-à-dire l'espace des applications continues σ : [0, 1] → X telles queσ(0) = σ(1) = x0 (il s'agit cette fois d'un complexe simplicial infini). Ceproblème a été résolu au niveau des cochaînes singulières C∗(X) de X :la cohomologie en question est celle du bicomplexe (n, m) �→ Cm(Xn)

(théorème d'Adams-Hilton), où on peut remplacer C∗(Xn) par C∗(X)⊗n

grâce au produit d'Alexander-Whitney sur les cochaînes (formule deKünneth). De la même manière, la cohomologie de l'espace des lacetsr-itérés H∗(LrX) est celle du multicomplexe

(n1, . . . , nr) �→ C∗(Xn1...nr ).

Mais cette fois-ci, on ne peut pas remplacer C∗(Xn1...nr ) par C∗(X)⊗(n1...nr),

la raison en étant que l'algèbre des cochaînes C∗(X) n'est pas commuta-

tive et que les diagrammes qui feraient de C∗(X)⊗(n1...nr) un multicom-

plexe ne commutent pas.

Cependant, si on remplace C∗(X) par A = �∗(X) et C∗(Xn1...nr ) par

A⊗(n1...nr) , on peut définir maintenant un multicomplexe en exploitantle tressage de A. On peut illustrer ce qui se passe au tout début, pourr = 2, par le diagramme suivant :

qui est un substitut de l'égalité (ab)(cd) = (ac)(bd), au signe près,dans le cas des ADG commutatives (au sens gradué). Le tressagedes algèbres, qui est la nouvelle notion introduite, permet donc depallier leur manque de commutativité, et c'est peut-être la philosophie

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270 Max Karoubi

essentielle de cette Leçon ; elle peut avoir d'autres applications quecelles esquissées ici, dans un contexte autre que topologique.

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