Leconomiste 13 Février 2015Fonction PubliqueLes Gâchis de La GRH

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Édition N° 4462 du 2015/02/13 Cette entreprise emploie environ 860.000 salariés. Plus de 65% parmi eux sont des cadres. Abdelmounim Belalia est professeur de stratégie, responsable du Centre d’études et de recherches en gestion de l’ISCAE (CERGI). Ingénieur d’Etat et docteur en management stratégique, il a été enseignant-chercheur à l’université Paris Dauphine. Après une expérience dans une banque européenne de premier plan, il a évolué dans un cabinet de consulting à Paris spécialisé en management du changement La masse salariale, qui est de l’ordre de 103,7 milliards de dirhams en 2014, s’accapare plus de la moitié des coûts de fonctionnement et environ 10% du PIB. Pourtant, la fonction publique marocaine est l’incarnation d’une machine lourde, rouillée et sclérosée. Des services publics qui ne fonctionnent qu’à moitié régime, des c itoyens qui ne s’adressent qu’obligés à l’administration et aux établissements publics, des personnes physiques et morales qui souffrent de la lourdeur des procédures, de l’abus et de l’incompétence des agents de l’Etat… La situation est préoccupante, mais comment l’expliquer? Les réponses on peut les avoir quand on ouvre cette boîte noire de l’administration marocaine. Un premier angle d’analyse est la Gestion des ressources humaines (GRH). La fonction publique marocaine a ouvert ses portes depuis les années 2000 à la modernisation des pratiques de gestion au travers du recours devenu massif à la sous-traitance et aux cabinets de conseils. Ces derniers ont joué un rôle important pour l’introduction de techniques comme l’évaluation annuelle, la gestion prévisionnelle des emplois et compétences et l’ingénierie de formation. Théoriquement, tout doit aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Cependant, le choix de ces cabinets pose déjà problème en raison de la loi sur les marchés publics qui privilégie le «moins-disant» sur le plan financier et écarte de ce fait les prestations de qualité. A ajouter aussi que les choix de ces prestataires ne s’appuient pas toujours sur des critères rationnels et objectifs… Fonction publique: Les gâchis de la GRH Par Abdelmounim BELALIA

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Édition N° 4462 du 2015/02/13

Cette entreprise emploie environ 860.000 salariés. Plus de 65% parmi eux sont des cadres.

Abdelmounim Belalia est professeur de stratégie, responsable du Centre d’études et de recherches en gestion de l’ISCAE (CERGI). Ingénieur d’Etat et docteur en management stratégique, il a été enseignant-chercheur à l’université Paris Dauphine. Après une expérience dans une banque européenne de premier plan, il a évolué dans un cabinet de consulting à Paris spécialisé en management du changementLa masse salariale, qui est de l’ordre de 103,7 milliards de dirhams en 2014, s’accapare plus de la moitié des coûts de fonctionnement et environ 10% du PIB. Pourtant, la fonction publique marocaine est l’incarnation d’une machine lourde, rouillée et sclérosée. Des services publics qui ne fonctionnent qu’à moitié régime, des citoyens qui ne s’adressent qu’obligés à l’administration et aux établissements publics, des personnes physiques et morales qui souffrent de la lourdeur des procédures, de l’abus et de l’incompétence des agents de l’Etat… La situation est préoccupante, mais comment l’expliquer? Les réponses on peut les avoir quand on ouvre cette boîte noire de l’administration marocaine. Un premier angle d’analyse est la Gestion des ressources humaines (GRH).La fonction publique marocaine a ouvert ses portes depuis les années 2000 à la modernisation des pratiques de gestion au travers du recours devenu massif à la sous-traitance et aux cabinets de conseils. Ces derniers ont joué un rôle important pour l’introduction de techniques comme l’évaluation annuelle, la gestion prévisionnelle des emplois et compétences et l’ingénierie de formation. Théoriquement, tout doit aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Cependant, le choix de ces cabinets pose déjà problème en raison de la loi sur les marchés publics qui privilégie le «moins-disant» sur le plan financier et écarte de ce fait les prestations de qualité. A ajouter aussi que les choix de ces prestataires ne s’appuient pas toujours sur des critères rationnels et objectifs…

Fonction publique: Les gâchis de la GRH Par Abdelmounim BELALIA

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Peu importe. Aujourd’hui on ne peut pas nier qu’au sein de la fonction publique marocaine on entend parler de toutes les méthodes modernes de gestion des ressources humaines. A commencer par le recrutement qui s’appuie sur des procédures souvent formelles de sélection des candidats, de concours ou d’entretien d’embauche. Cependant, dans la pratique la description du poste vacant est parfois faite sur mesure pour le profil ou le candidat chanceux. Les commissions et jurys de sélection ne sont pas toujours à l’abri d’influences surtout quand il s’agit de postes de responsabilité…Après le recrutement se pose la question de l’évolution de carrière. Aujourd’hui, les organismes marocains mobilisent en majorité les entretiens annuels et l’évaluation du personnel. Néanmoins, jeter un coup d’œil sur ces évaluations montre qu’il est de coutume d’accorder des notes excellentes à tout le personnel pour n’offusquer personne. Le phénomène devient frappant quand on voit que dans un service ou dans une administration tout le personnel a une note qui dépasse 18 sur 20… L’évaluation a été instaurée à la base pour déterminer l’évolution ainsi que les conditions de rétribution des salariés. Il est aussi consternant de constater que dans certains services où le responsable doit accorder chaque année des primes aux plus méritants, cette règle laisse place à un tour de rôle qui fait que le responsable s’arrange pour que chaque année des membres différents aient la prime. En voilà une pratique qui met en brèche toutes les théories de GRH en faveur d’une règle purement marocaine d’égalité des chances!

En matière de formation, nos organismes ont acquis le réflexe de l’élaboration d’un plan de formation pour déterminer les besoins dans le domaine. Ces besoins doivent remonter notamment au travers des entretiens annuels avec le personnel. Dans la réalité, les plans de formation sont souvent élaborés au niveau des départements des ressources humaines et parfois par l’intermédiaire de cabinets de formation qui interviendront ensuite dans la réalisation des formations. Les responsables démissionnent devant des cabinets qui jouent le

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rôle de prescripteur et de prestataire en même temps.Sans entrer dans l’analyse de la productivité, les responsables dans la fonction publique font en permanence face au problème de l’absentéisme. Des milliers de jours de travail sont perdus chaque mois à cause des absences non justifiées, des certificats de maladie de connivence et des retards d’entrée au travail ou des sorties avant l’heure. Cela sans compter ceux qui laissent leurs vestes dans leurs bureaux alors qu’ils sont en train de vaquer à leurs préoccupations ailleurs. La perte est difficile à chiffrer mais elle représente des coûts énormes pour la fonction publique. Le problème est que les responsables sont souvent démunis devant ce type de situation. Au mieux, un responsable hiérarchique peut écrire et alerter mais souvent il n’a pas la main pour sanctionner directement tant la décision revient au ministère de tutelle ou à l’administration centrale. Nos responsables sont souvent enclins à éviter les situations conflictuelles et tant mieux d’ailleurs, car en matière de gestion des conflits de grands progrès sont à faire. S’agissant d’une discipline indépendante en matière de GRH, nos administrations et ministères ont introduit des formations dans le domaine pour leurs cadres et responsables. Néanmoins, les conflits sont monnaie courante car les affaires personnelles et professionnelles sont souvent mélangées, les intérêts individuels sont privilégiés et les procédures ne sont pas toujours respectées. Même la posture de responsable et de manager, elle, n’est pas souvent respectée par ceux qui l’incarnent et on a le droit à des scènes hilarantes de dispute parfois devant les usagers et les citoyens.Les exemples présentés montrent que nous avons des administrations qui utilisent le maquillage de la GRH moderne. Ce maquillage est souvent mis au gré des habitudes et traditions de la fonction publique marocaine et ce, quand il ne tombe pas laissant derrière lui un management régi par les humeurs, les intérêts et les caprices… De tels problèmes se répercutent sur des services ou des postes particuliers, de fonctionnaires animés par le sens du devoir (ils existent et ils sont nombreux), qui se retrouvent vite broyés par la machine de l’administration et deviennent victime du stress au travail et de l’exclusion professionnelle.Il faut donc une vraie réforme qui révolutionne les pratiques de la GRH dans la fonction publique marocaine. Ces pratiques, rappelons-le, s’inspirent toujours du statut de la fonction publique qui date de 1958. La seule réforme qui a été menée est celle du départ volontaire mais elle concernait le quantitatif plus que le qualitatif. Elle a même vidé la fonction publique de ses compétences sans proposer des mesures d’accompagnement concrètes sur le terrain. A quand donc cette grande réforme globale et cohérente tant attendue de la fonction publique?- See more at: http://www.leconomiste.com/article/966694-fonction-publique-les-gachis-de-la-grh-par-abdelmounim-belalia#sthash.Z45DrAz6.dpuf